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Islam et pétrodollars en Afrique : des solidarités "islamiques" à l’exportation des idéologies
23/12/2008
 

Bakary Sambe revient sur l'évolution de l'évolution des relations arabo-africaines
 
Par Bakary Sambe
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Le président égyptien Gamal Abdel Nasser  
Le président égyptien Gamal Abdel Nasser
 

Le modèle de coopération afro-arabe basé sur l’idéologie tiers-mondiste a montré ses limites et son inefficacité, en tout cas, sur le plan de la visibilité et de l’impact politique. Les figures comme Nasser ou Nkrumah disparues de la scène internationales, aussi bien le nationalisme arabe que le socialisme africain dans le sillage de Bandoeng cessèrent de faire recette. C’est dans ce contexte que les "solidarités islamiques" vont résolument se substituer au tiers-mondisme d’antan. Dans cette nouvelle configuration, le rôle de l’Arabie Saoudite allait s’accroître tout en entraînant les relations arabo-africaines dans une dimension de plus en plus religieuse.

Les pays donateurs vont s’inspirer du modèle adopté par l’Eglise catholique, l’autre rival en Afrique noire. En effet, les organismes chrétiens tels que "Frères des Hommes", "Caritas" et Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD), ont marqué l’actualité des années 70-80, avec leur assistance humanitaire aux populations sinistrées d’Afrique sub-saharienne. S’inscrivant dans l’optique traditionnelle d’une fantasmatique confrontation islam/christianisme, les pays arabes, et, plus particulièrement, l’Arabie Saoudite, vont aider à l’émergence d’organisations islamiques de secours et d’assistance humanitaire.

L’objectif d’efficacité a, alors, poussé à une "privatisation" progressive de l’aide, avec des projets de plus en plus en direction des populations locales défavorisées. C’est, dans ce contexte, qu’aux partenaires étatiques, institutionnels, vont s’ajouter d’autres relais informels et plus proches des "réalités sociales". De simples regroupements d’anciens étudiants des universités du monde arabe, les associations islamiques vont, ainsi, devenir de véritables acteurs de coopération. Elles servirent de relais pour l’aide arabe (ou islamique !) directe et s’affirmèrent, de plus en plus, comme des intermédiaires privilégiés et incontournables pour les pourvoyeurs d’aides ou encore les "exportateurs" d’idéologie.

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C’est comme si, à l’esprit de Bandoeng, et aux principes de solidarités Sud-Sud, s’est superposé ou substitué un sentiment d’obligation d’aide et de secours aux pays africains, désormais vus comme des Etats "musulmans" dans la nécessité et destinataires privilégiés de l’aide des "frères en religion". Les Etats arabes, en tant qu’institutions, ne seront plus les seuls présents sur ce terrain. On assistera, suite aux énormes rentrées financières due à la manne pétrolière, à l’émergence d’une "bourgeoisie" arabe, ouverte idéaux de la "solidarité islamique", qui s’impliquera directement dans cette aide aux pays "musulmans" pauvres par des projets sociaux.

Le sentiment de solidarité sera accentué par l’importante mobilisation des Etats africains, dans le cadre de l’OUA et des initiatives personnelles en faveur de la cause palestinienne. A côté des politiques étatiques, cet engagement pro-palestinien va renforcer le sentiment de "solidarité naturelle" largement entretenu par les organes de presse des organismes islamiques. L’aide arabe revêt, de ce fait, un caractère populaire où on voit des individualités s’impliquer financièrement, indépendamment des initiatives diplomatiques officielles de leurs pays d’origine. La privatisation de l’aide va engendrer un besoin, de plus en plus croissant, de partenaires locaux acquis aux thèses des courants idéologiques provenant d’un monde arabe en plein bouleversement. Les associations islamiques sont plus habilitées à jouer ce rôle vu, l’origine sociale et, surtout, l’itinéraire de leurs membres. Elles sont aussi bien présentes dans les luttes politiques intérieures que dans la coopération entre le Sénégal et ses partenaires arabes.

Afin de mieux saisir leur rôle et comprendre leurs mécanismes d’interventions dans des relations bilatérales ou multilatérales, nous essayerons de nous atteler à l’approche sociopolitique de leur action et de leurs rapports souvent complexes avec les autorités politiques. Mais avant tout, arrêtons-nous sur la manière dont les pays arabes arrivent à contourner les circuits diplomatiques classiques pour établir des relations directes avec des acteurs locaux, dans les pays africains. La stratégie de l’Arabie Saoudite, peut, à cet effet, fournir un cas d’exemple assez représentatif.

La spécificité de la politique saoudienne en Afrique noire :

L’aide apportée aux pays africains à dominante musulmane, par l’Arabie Saoudite, se caractérise, généralement, par son habillage religieux. Autrement dit, le royaume wahhabite a été, toujours, animé par une volonté d’exporter sa doctrine politico-religieuse : la wahhabisme. L’aide financière directe et les actions humanitaires facilitent cette influence idéologique.

Entre « missions » de prédication et stratégies d’« expansion » idéologique

A part les premières décennies qui suivirent la conquête de l’Arabie par les Âl-Sa’ûd et leur allié, sur le plan religieux, Muhammad ‘Abd al-Wahhâb (1703-1792), la doctrine s’est vite cherché des moyens de gagner des contrées hors de sa terre de prédilection. Reinhard Schulze (1) soutient qu’au début, pour les oulémas wahhabites, "l’expansion, au-delà de la Péninsule, présentait un danger dans la mesure où l’un des piliers de la doctrine affirmait qu’ils n’y avait de vrais musulmans que les ahl al-tawhîd" (2). C’est une manière de considérer toutes les autres populations musulmanes n’appartenant pas à leur école comme sorties de la "communauté". Cette considération allait, toutefois, au moment opportun, être utilisée comme argument justifiant le "Jihâd".

L’usage du glaive alternait, ainsi, avec celui de versets du coran pouvant aller dans le sens d’une prédication plus ou moins pacifique, selon les enjeux et, surtout, les rapports de force.
En 1932, lorsque les Âl-Sa’ûd affirmèrent leur totale hégémonie sur l’actuelle Arabie Saoudite, la wahhâbiyya devint doctrine d’Etat. Malgré les divergences internes entre oulémas du Najd et du Hijâz, le wahhabisme, selon ses expressions, trouvera, très vite, des adeptes et des alliés dans le monde arabe, notamment, en Egypte et en Syrie.
Ainsi, l’Arabie Saoudite essayera de trouver dans le wahhâbisme et sa prédication, un moyen d’influer dans le monde arabe où régnait, encore, une large fascination de personnalités charismatiques, comme Nasser.

De ce fait, le recours à une prétendue mission religieuse, comme moyen d’expansion idéologique, devient une solution de politique étrangère. Cette stratégie qu’on pourrait qualifier de containment de l’idéologie du nationalisme et/ou du socialisme, s’affirma, de plus en plus, durant les deux décennies qui suivirent l’année 1932.


Durant cette période, le concept-clé de da‘wa connut une certaine résurgence et fut à la base de toutes sortes de constructions idéologiques. Il est, parfois, compris comme l’obligation de tout musulman de professer et répandre l’islam. L’Arabie Saoudite l’utilisa en véritable idéologie pour s’autoproclamer seul pays relevant, véritablement, du domaine de l’islam "pur" de telle sorte qu’à son nom, elle s’était arrogée le droit de mener le jihâd. Muhammad Ibn ‘Abd al-Wahhâb, lui-même, considéra, dans sa doctrine, qu’il était devenu une obligation religieuse de rejoindre le domaine des Àl-Sa’ûd seul véritable pays de l’islam (3). C’est, ainsi, qu’en 1960, dans le but de contrecarrer l’idéologie de la révolution chère à Nasser et qui serait véhiculée par l’Université d’Al-Azhar, le royaume wahhabite accélèrera la création du Conseil Supérieur des Affaires Islamiques.

La démarche s’inscrivait dans l’optique du nouveau roi d’alors, Fayçal Ibn ‘Abd al-‘Azîz qui se considéra comme le contrepoids du socialiste Nasser et le leader de la ‘Ummah islamique. A cet outil de prédication et de propagande saoudienne s’ajoutera, dès octobre 1961, la création de l’Université islamique de Médine. Elle sera, en même temps, la rivale, le contrepoids d’Al-Azhar et le point de diffusion de l’idéologie wahhabite dans le monde. Des bourses d’études vont être accordées aux ressortissants de tous les pays musulmans qui, après leur formation, devront repartir prêcher le « vrai islam » dans leurs pays d’origine.

Les deux principaux objectifs de cette université furent nettement repris dans sa charte publiée en mai 1962. Celle-ci s’attaqua à la "politique pseudo-laïque" des socialistes arabes, en ces termes : "Si aujourd’hui, nous sommes témoins de diverses nations qui se proclament, elles-mêmes, "nations islamiques", elles ne le sont pas vraiment, car elles ne suivent pas uniquement les dogmes de l’islam et ne gouvernent (ou jugent, hakama) pas conformément à ses commandements et interdits ». Cette critique acerbe, visant directement le concurrent égyptien, devait être suivie d’une action d’égale ampleur.


Afin de conforter l’idée saoudienne du "retour à l’islam" et surtout à son berceau originel, l’Université islamique de Médine s’inscrira dans une logique d’expansion. Comme le précise la charte, "l’Université islamique de Médine fut créée (…) pour renouveler le dogme islamique" avant de rappeler que, conformément aux vœux de Riyad, "les musulmans de tous les pays islamiques sont conviés à venir à Médine pour y étudier l’islam (...) pour, plus tard, retourner chez eux pour y enseigner et guider" (4) .

L’Université islamique de Médine est au centre du dispositif propagandiste de l’Arabie Saoudite. Les futurs militants des associations islamiques ainsi que les relais des organisations internationales y étudieront en grand nombre ou suivront les stages annuels de prédication organisés dans les pays d’Afrique. L’accent sera mis sur la formation religieuse et l’enseignement strictement surveillé et orienté par la doctrine wahhabite sous la tutelle exclusive des Al Shaykh, alliés religieux inconditionnels de la monarchie, depuis son avènement.

De la même manière que cette famille prêtera son allégeance religieuse aux entreprises guerrières des Al Sa‘ûd, elle sera la garante de sa légitimité en lui produisant les fatwas nécessaires à toutes sortes d’action. L’Université islamique de Médine, citadelle du wahhabisme, est d’ailleurs dirigée depuis sa création par un membre de cette famille. Muhammad ‘Ibn ‘Ibrâhîm Àl –Shaykh en sera le premier Président avant d’y être succédé par l’une des figures les plus marquantes de l’orthodoxie wahhâbite : Abdelaziz Ben Bâz, mort en 1997.


Par ses enseignements et, surtout, ses énormes moyens financiers, cette université attirera des milliers d’Africains. La sélection des futurs étudiants pour ce qui est du Sénégal, se fait par le biais d’un séminaire d’été annuel de formation de prédicateurs à l’Institut islamique de Dakar. L’Arabie Saoudite dispose de plusieurs instruments par lesquels s’applique son vaste programme de conquête idéologique du monde musulman. Ce dispositif universitaire est renforcé par un autre plus institutionnalisé s’appuyant sur sa diplomatie.

Afin de mieux s’implanter dans les pays à dominante musulmane, l’Arabie Saoudite fait accompagner sa diplomatie classique d’une autre politique qui passe par l’action des organisations islamiques qu’elle crée ou finance en majorité. Ces organisations sont du même type que la Ligue islamique mondiale (à laquelle nous consacrerons une étude) et s’activent dans le social et, surtout, l’éducation comme meilleurs véhicules des idéologies dans des contrées où ils brillent par leur insuffisance.

Ainsi, l’orientation de la politique de prédication saoudienne vers l’Afrique noire trouvera son appui chez des acteurs locaux et des organisations susceptibles de mener des actions dans les domaines de l’éducation et du social. L’action du royaume wahhabite, inaugurée vers 1962, connut une accentuation dans les décennies 1970, notamment, avec les conséquences économiques des différents chocs pétroliers. La da‘wa, ainsi préconisée, comme faisant partie de la mission du royaume, s’est trouvée de plus en plus institutionnalisée et relayée par des organismes et des acteurs sous sa solde.
On pourrait croire à une véritable stratégie de conquête développée par Riyad avec la multiplication d’organismes spécialisés financés par elle et qui essayent de coordonner les actions de prédication sous différentes formes. Ces organismes, comme nous le verrons, essayent de prendre la forme d’organisations internationales avec une certaine représentativité afin d’acquérir la respectabilité et surtout le statut privilégié des ONG sur la scène internationale où les rapports se privatisent de plus en plus.

De l’endiguement idéologique aux stratégies d’implantation locale :

Dans leur stratégie d’implantation, les organismes pro-saoudiens s’appuient soit sur des associations islamiques locales ou des personnes ressources bénéficiant d’un certain prestige sur le plan religieux, fussent-ils non wahhabites ou même, de manière encore plus contradictoire, d’obédience soufie. Les appellations et les structures se multiplient alors que les objectifs et les modes d’action restent les mêmes. Ainsi, après la naissance de la Ligue islamique mondiale, d’autres organismes annexes seront créés comme le World Assembly of Muslim Youth (WAMY), al-nadwa ‘âlamiyya li al-shabâb al-islâmî. Plusieurs autres organismes tentent de relayer cette action dans différentes zones géographiques d’Afrique et du monde musulman.

Parmi ces organismes qui ont, souvent, une apparence purement ponctuelle, on pourrait citer le Mu’tamar ihyâ risâlat al-Masjid (Conférence pour la revivification du message de la mosquée) (5) . C'est à dire que l’Arabie Saoudite, telle qu’elle procède, essaye de multiplier les entrées en Afrique afin d’y rendre sa politique prédicative plus efficace et toujours plus visible. D’ailleurs, la da‘wa saoudienne tente, de plus en plus, de s’épanouir dans un cadre où les organisations internationales contrôlées par Riyad mènent différentes actions et créditent l’Arabie Saoudite d’un actif symbolique la présentant comme "le pays qui assiste les musulmans démunis".

Les initiatives n’ont cessé de se multiplier en Afrique où le combat déguisé contre le confrérisme prend plusieurs formes. La Ligue islamique ne se contentera pas d’actions sociales mais agira pour une meilleure visibilité et une occupation du terrain politique en Afrique. Elle fera même recours à des coups d’éclats tels que la conversion de Présidents ou de communautés, numériquement ou politiquement, importantes. On aura l’impression quelques fois que c’est plus la symbolique de l’action qui l’emporte sur son ampleur réelle ou quantitative.


A partir de 1976, avec la Conférence islamique africaine, organisée, à l’instigation de l’Arabie Saoudite, à Nouakchott, jusque dans les années 80, avec l’autre politique de containment visant, cette fois-ci, l’Iran république islamique révolutionnaire mais chiite, l’Arabie Saoudite semble, de plus en plus, impliquée en Afrique noire. Pourtant les initiatives de l’Iran chiite, au Sénégal, n’ont jamais pris une grande ampleur. Il y a eu, de temps à autre, des actes isolés ou, plutôt, des "coups médiatiques" dans lesquels on voyait trop vite la main de l’Iran.

Ainsi, l’attribution de la nationalité sénégalaise à titre honorifique à Shaykh ‘Abd al- Mun‘im Zayn, le guide de la riche communauté chiite libanaise au Sénégal, avait déclenché une polémique autour d’une éventuelle infiltration de l’Iran aux idées révolutionnaires.
Néanmoins, certains intellectuels musulmans, comme Cheikh Touré ou encore le futur membre influent da la Jamâ’t ‘Ibâd al-Rahmân, Bamba Ndiaye défendaient l’islamité de la révolution iranienne, bien qu’ils soient d’obédience sunnite. Ainsi, MuÎammad Bamba Ndiaye, dans la Revue Etudes Islamiques, prenait la défense de la révolution iranienne et de Khomeyni, alors diabolisé par la presse sénégalaise, en ces termes :

« Sachez que Khomeyni n’est pas un sorcier : c’est un dignitaire de l’islam, les musulmans sénégalais le considèrent comme tel. Par conséquent, ils ne prêtent aucune attention aux falsifications que les Munâfiqûn (8) et autres Kuffâr (9) tentent de faire passer » (9). Ndiaye assimilait ces « attaques » de la presse sénégalaise comme relevant d’un complot contre l’islam lui-même : "cette alerte contre l’avancée de l’islam dans notre pays ne servira pas à grand chose. L’islam étant la religion de Dieu, il en est lui-même le Gardien Suprême. Il triomphera, n’en déplaise aux non-croyants" (10).


Dans une parfaite connaissance sociologique du contexte sénégalais, ce type de discours pro-iranien qui se voulait défenseur de l’islam, essayait toujours de trouver un lien entre la Révolution iranienne et l’action des chefs confrériques sénégalais afin de mieux frapper l’opinion publique. Ainsi, Bamba Ndiaye soutient : "la Révolution islamique a été déclenchée par le prophète Mohammed depuis Badr (11) , elle s’est poursuivie chez nous avec le refus de Cheikh Mouhammadou Bamba (12) de se plier aux lois des infidèles coloniaux, de Maba Diakhou (13) et de Cheikh Oumar Tall al-Foutiyou (14) qui n’ont pas hésité à utiliser le feu et le fer pour la défense de leur croyance. Et enfin El Hadji Malick Sy (15) qui, sur le terrain didactique, continuait de donner de sérieux coups aux "criquets pèlerins" en implantant des dârras (16) et Mosquées partout où cela fut possible. Une telle révolution se poursuivra de nos jours grâce aux héritiers conséquents de ces derniers" (17).

En somme, la Révolution iranienne dont se méfiaient les Saoudiens n’a pas eu d’effets politiques de masse mais a, toutefois, marqué les consciences. Le "danger" à éviter était qu’elle serve d’exemple même à des non chiites qui pourraient s’inspirer de la "réussite" de Khomeiny. Elle avait, tout de même, gagné une première bataille ; celle de la communication, à travers des organes de presse comme Etudes Islamiques de Cheikh Touré (18). Ses défenseurs sénégalais avaient, aussi, réussi à inscrire cette révolution, du moins par le discours, dans le cadre d’une éternelle lutte entre l’islam et les "forces du mal". La vulgarisation des idées révolutionnaires passait, ainsi, par leur explication avec des exemples tirés de l’histoire religieuse "nationale" du Sénégal ou, du moins, la version qu’en retiennent les mouvements islamiques.


Devant une telle effervescence et une telle densité du débat idéologique, le combat pour l’exportation des doctrines et des idées passait forcément par une meilleure communication pouvant atteindre les destinataires du message. L’Arabie Saoudite qui s’était débarrassée du concurrent « laïque » égyptien, avec la disparition de Nasser de la scène arabe, devait, maintenant, éviter d’être devancée, dans la « conquête » idéologique de l’Afrique, par le nouveau venu qu’était l’Iran. Pour contrecarrer cette fascination grandissante du modèle révolutionnaire iranien au sein de l’élite musulmane, il fallait déployer des moyens financiers colossaux et investir les terrains les plus « névralgiques » dans les pays africains à dominante musulmane : l’éducation et le social. Il était, surtout, nécessaire d’encadrer cette politique par des structures imposantes capables de gagner la bataille de la communication.

Dans un tel mode d’action, il faut, désormais, cibler des pays, des mouvements mais, aussi, des personnes ressources. C’est pourquoi, l’Arabie Saoudite cherchera des points d’appui choisis selon leur position géographique ou leur poids diplomatique. Ainsi, le troisième Bureau de la Ligue islamique mondiale qui s’ouvrit à Dakar était, en même temps, le siège du Conseil africain de coordination islamique. Cette dernière collaborait avec la Fédération des Associations islamiques du Sénégal. De même, la position géographique du Tchad le prédestine à accueillir le Centre de formation pédagogique de l’ISESCO, l’équivalent de l’Unesco pour les "pays musulmans". Ce dispositif est complété par l’ouverture d’une "annexe" de l’Université islamique de Médine, à Khartoum, au Soudan, pour accueillir et former de futurs prédicateurs.


L’Afrique noire est, sans aucun doute, parmi les priorités de la politique d’expansion idéologique inaugurée par l’Arabie Saoudite. Elle est considérée, dans le jargon des organisations panislamiques comme un des maillons faibles de la ‘Ummah, qu’il faudrait sauver et en garantir l’« identité musulmane ».
C’est toute une nouvelle stratégie qui se dessine où l’aide financière accompagne l’exportation d’idéologies comme le wahhabisme ou le salafisme. Cette nouvelle situation va forcément remodeler le paysage religieux dans les pays d’Afrique noire traversés par une rude crise économique et où la contestation des modèles étatiques passera désormais par la manipulation des symboles religieux notamment islamiques.


Bakary SAMBE - Docteur en Science Politique
Research Fellow at ISMC –Aga Khan University (International)
Institute for the Study of Muslim Civilisations – London (UK)

www.bakarysambe.unblog.fr




Notes

1- Schulze R. : la da’wa saoudienne en Afrique de l’Ouest, in R. Otayek, le radicalisme islamique au Sud du Sahara, da’wa, arabisation et critique de l’Occident
2- cette expression veut dire "les partisans de l’unicité de Dieu". C’est un principe fondateur des religions dites monothéistes mais, dans le sens où il est, ici, exprimé, il est revendiqué par les tenants du wahhabisme comme étant leur exclusivité.
3- voir à ce propos son Kashf al-Shubhât fî al-tawÎîd, Université Islamique de Médine, Ed. Munayyir, 1975.
4- paru dans Umm al-Qurâ, 11 mai 1962, p5. NT.
5- cet organisme rassemblait étonnamment 76 pays d’Afrique et d’Asie et de l’ex-union Soviétique. Plus tard, l’Arabie financera la création du Conseil Supérieur mondial des mosquées.
6- Des observateurs avertis nous ont confirmé le rôle primordial de la Ligue islamique mondiale dans la conversion du Président Gabonais Bernard-Albert Bongo, devenu Omar Bongo en 1973.
7- hypocrites, ceux qui sont décrits comme n’étant ni véritablement musulmans ni incrédules, susceptibles de trahir, à tout moment leur religion. L’utilisation du terme « munâfiq » vise certainement les musulmans alliés du pouvoir politique considéré par ces islamistes comme étant impie car non conforme, selon eux, à l’islam.
8- pluriel de kâfir, dénégateur, incroyant, infidèle dans le langage prosélytique.
9- Etudes islamiques, n°16 décembre 1982, p.5,.
10- ibid, p5.
11- la bataille de Badr fut la première qui opposa MuÎammad aux Mecquois après l’Hégire à Médine.
12- Référence au fondateur de la confrérie des mourides considéré comme un résistant à la colonisation française même par les élites nationalistes.
13- ce Cheikh a mené des combats contre l’armée française au début de l’intrusion coloniale dans le Sine (provinces du sud du Sénégal).
14- Référence à El Hajj ‘Umar, l’apôtre de la Tijâniyya sénégalaise dont les combats contre les français sont mis sur le compte du « Jihâd ». La nisba « al-foutiyou » s’attache à sa région d’origine, le Fouta Toro sur la rive droite du fleuve Sénégal.
15- Célèbre personnage de la Tijâniyya dont nous avons parlé longuement dans notre partie sur la dimension spirituelle des rapports maroco-sénégalais.
16- Dâra : en wolof signifie « école coranique » ; de l’arabe dâr, maison.
17- Etudes islamiques, n°16, décembre 82, p.5.
18- Personnage emblématique de l’islamisme sénégalais, pourtant appartenant à une famille confrérique celle de Hâdy Touré, par ailleurs muqaddam de la Tijâniyya. Cheikh Touré visitera plusieurs fois l’Iran et enverra même certains de ses disciples que nous avons rencontrés et qui sont, aujourd’hui, à la tête de l’Organisation pour l’Action Islamique (OAI) dont nous parlerons.


       
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