Tribu, tribun, tribaliste et tribaliser… Des mots donc la simple évocation renvoie à des images négatives, et particulièrement dans le contexte africain. Et pourtant, bon nombre de peuplades subsahariennes ont souvent eu pour socle la famille étendue, à travers une construction sociale plus ou moins concentrique, symbolisée par une hiérarchie de responsables depuis les chefs de famille au bas de la pyramide, jusqu’au chef du clan ou de la tribu tout au sommet !

Mais ce n’est pas souvent cette organisation sociétale qui est mise en avant, quand on parle de la {{tribu}. Il faudrait aussi remarquer que l’usage du terme renvoie toujours à l’Afrique, et rarement aux pays du Nord dans lesquels il a pourtant existé des organisations sociales du même acabit ! Et actuellement, le terme se veut tellement péjoratif que bons nombres de personnes l’éludent pour prétendre à une citoyenneté transfrontalière, à la limite de l’universel ! On aime alors à passer pour un « citoyen du monde », qui se veut mobile, très peu attaché à un territoire, ouvert à toutes les cultures et toutes les sensibilités, et défenseur de tous les modèles, surtout ceux qui s’éloignent le plus de son origine. Mais quoi qu’on dise ou pense, on vient forcément et toujours de quelque part ! Choisir d’éluder son origine est une démarche qui souvent résulte de l’idée négative qu’on se fait de tout l’attirail qui entoure son ascendance, et particulièrement les clichés qui renvoient à une culture des plus primitives !!!!! Pourquoi donc ne pas oser lever la chape de plomb pour explorer réellement l’univers tribal, question de se faire une idée plus précise !?

La tribu n’est pas plus dangereuse que ne veut le supposer le discours classique, qui a d’ailleurs souvent été influencé ou même initié par des visiteurs venus de l’hémisphère Nord. L’exemple des Belges est assez saisissant, puisque ces derniers étaient allés jusqu’à établir de visu des spécificités physiques et physionomiques pour différencier Tutsi et Hutu, alors que les 2 groupes pratiquaient la même langue !!! Une autre dérive de l’époque coloniale était de diaboliser une « tribu » entière simplement parce qu’un de ses fils semblait s’opposer trop ouvertement au nouvel ordre établi sous l’occupation…

Bref, combien de guerres dites tribales peut-on répertorier, avant l’arrivée des européens sur le continent Noir ? Et pour une guerre prétendument tribalisée, combien dénombrait-on de victimes en termes de pertes humaines, puisque bon nombre de sociétés avaient la pratique de la servitude et non de l’élimination physique pour marquer la victoire sur un ennemi présumé ! L'idée que plusieurs tribus étaient pacifiques n'est pas si saugrenues que ça, puisque pour en dénombrer en si grand nombre en Afrique, il faudrait bien que chacune d'entre elles ait existé aux côtés d'une ou de plusieurs autres voisines. Serait-ce si choquant de penser à une culture historique de la paix et du consensus là où le discours ambiant et contemporain déclare la guerre à tout vent?

Comment désigne-t-on l’étranger dans chacune de nos langues, et à quoi est-ce que cette désignation renvoie-t-il, historiquement parlant ? L’exemple de la désignation du Noir en arabe est de ce point de vue très éloquente : ce n’est rien d’autre que l’équivalent de l’esclave, étant entendu que les premiers Noirs qui ont massivement été intégrés à la vie associative arabe étaient leurs serviteurs soumis.

Du point de vue d’une langue, y a-t-il une différence d’appellation entre les étrangers, et si oui, les eurasiens sont-ils logés à la même enseigne que les Noirs ?

Autant de questions pour tenter de comprendre pourquoi et comment on en est arrivé à s’entretuer aujourd’hui en Afrique, souvent sous le motif officiel de l’appartenance tribale !

Mais au-delà de toutes ces interrogations, il faudrait devenir pleinement un « tribalien » qui s’opposera au « tribaliste », qui pense que son appartenance à un groupe lui donne automatiquement des prédispositions pour des assises socio-politiques, pour la résolution d’une certaine problématique, que n’est bon que celui qui partage les mêmes ancêtres que lui, que les affaires ne peuvent se mener qu’avec les personnes issues du même village que lui… et que doit être écarté ou tué tout autre voisin qui constituerait forcément un ennemi !

Et que serait donc le tribalien ?

Le tribalien serait celui qui tout en s’intéressant à l’histoire de sa tribu, par le truchement de l’étude de son arbre généalogique ou des faits d’armes plus ou moins connus, œuvrera aussi pour le rapprochement « culturel » avec les citoyens de la nation, et par delà, du continent. Le rapprochement culturel consisterait à ressortir l’essence et la connaissance culturelle, spirituelle et sociale de chacune des ethnies, pour mettre ce qui peut être profitable à tous dans la maison commune, dans le patrimoine national, de façon à en consolider la fondation et le fondement.

Le tribalien serait celui qui mettra en avant le singularisme de la langue, les particularités de l’art, les rites folkloriques d’une région définie, pour les arrimer au train touristique national, et contribuer à la production de richesses qui devraient profiter à la nation toute entière.

Le tribalien serait aussi celui qui rechercherait les similitudes dans la culture et dans la spiritualité, entre sa tribu et d’autres réputées proches ou même éloignées, pour mieux comprendre la vie sociale de ses ancêtres, les fondements des divergences qui auraient entraînées des séparations ou des établissements en clans géographiquement séparés.

Le tribalien serait enfin celui qui mettrait en avant les failles et faiblesses de la culture de ses ancêtres, face à l’influence des civilisations autres, avec parfois un effondrement de l’édifice culturel originel par une assimilation mal pensée.

Il convient donc de légaliser la tribu pour en ressortir tous les aspects qui peuvent profiter à plus grande échelle, au niveau d’une nation. De même, la langue doit être explorée en profondeur, car dans un contexte où la tradition orale a souvent prévalu, c’est en scrutant pendant qu’il est encore temps, les différents aspects des mots et autres expressions, en replongeant dans le contexte qui les a vu naître ou même qui les a fait disparaître, qu’on parviendra à rétablir le chaînon manquant entre la société africaine actuelle, appauvrie, déchirée, déshumanisée et manifestement en mal de repères, et ceux de ses ancêtres qui avaient en leur temps réussi à concevoir un mode de vie où l’épanouissement était la référence.

La connaissance de la langue seule, à travers son usage parlé, serait un préalable à cette exploration en profondeurs. Or, il se trouve que les natifs d’un village ou d’une tribu sont généralement ceux qui sont le plus enclins à parler la langue de ce village, ou encore, à restituer des événements vécus dans le contexte culturel local et ambiant. Mais toute autre personne pouvant parler une langue peut participer à ce travail, car de la différence des sensibilités peut germer la critique nécessaire à la production de ce qui serait essentiel.

La langue apparaît donc nécessaire, mais pas suffisante, car nombreux sont ceux qui ne connaissent de leur « village » que la langue qu’ils parlent. Or la langue dans un contexte de tradition orale, plus encore qu’un mode de communication, véhicule à la fois des événements, des faits sociaux, le savoir-faire et plus généralement l’histoire et la culture du peuple considéré…

La tribu, comme ensemble ethnique, possède au-delà de la langue, un vécu et une histoire socio-culturelle qui gagnerait à être revisitée, pour connaître les réponses que les individus avaient apportées aux problèmes qu’ils rencontraient, en mettant en exergue les conciliations qu’ils faisaient entre le réel et le spirituel ! Les civilisations qui se sont succédées ont souvent produit un art (sculptures, peintures, etc.), une architecture, un mode de vie et une organisation sociale qui reflétaient la manière avec laquelle elles avaient « maîtrisé » leur environnement ! De telles études sur le passé nous parleraient bien plus que les modèles clés-en-main souvent proposés de l’extérieur quand ils ne sont pas simplement imposés. Il ne s’agit pas de se fermer à toute influence extérieure, mais plutôt d’entamer une recherche introspective pour ressortir mieux armé et plus à même de savoir ce qui peut être tiré de cette essence originelle et ancestrale, pour être appliqué avec plus ou moins d’accommodations aujourd’hui.

Et plus prosaïquement, pourquoi ne pas arriver à un enchevètrement de cloisonnements en Afrique, avec le jeu du découpage sociétal poussé à son extrême, où les associations corporatistes se superposeraient aux tribus, qui elles-mêmes seraient entrecoupées par les réligions qui à leur tour seraient traversées par les partis politiques!!!! Ainsi un individu quelconque serait à la fois membre d'une association professionnelle qui n'est pas la même pour tous les ressortissants de sa tribu, puis serait d'une croyance réligieuse qui ne représente pas unanimément le courant politique auquel il appartiendrait!!!

Des pistes et d'autres, mais surtout une incitation à modifier notre façon d'aborder les choses, ou simplement notre paradigme!