Le 1er septembre dernier, le journaliste Olivier Roger reçoit Guillaume Soro pour une interview au cours de laquelle le leader de la rébellion réaffirme sa proposition de voir installé un gouvernement de transition, et son souhait de voir Laurent Gbagbo exclu de ce processus. Invité à répondre à la question de savoir si son intransigeance ne le fait pas apparaître comme le principal facteur de blocage face à un Laurent Gbagbo qui a accepté la candidature de Ouattara, commencé à désarmer, cédé sur les cartes d'identité, il justifie cette exigence par l'état de 'décrépitude' dans lequel se trouve le pays, avec un Etat qui n'en garde que les apparences… A court d'arguments, GS accuse la communauté internationale en s'étonnant de sa réticence à éloigner Laurent Gbagbo du pouvoir comme elle l'avait fait autrefois pour Charles Taylor au Libéria et Jean-Bertrand Aristide à Haïti. 'Amalgames', lui répond le journaliste dans un sursaut de lucidité. Au cours du même entretien, GS affirme que la médiation sud-africaine s'est disqualifiée en soutenant un camp, en l'occurrence, celui de Laurent Gbagbo. Le leader des rebelles se demande alors si Thabo Mbéki n'effectue pas ce rapprochement parce qu'il vend des armes à son homologue ivoirien ! Cette accusation grave que l'intervieweur aurait pu faire étayer par des explications à défaut de preuves (il n'en a rien été) est une tentative de décrédibiliser la médiation sud-africaine.

La manoeuvre connaît un nouvel épisode le 5 septembre avec l'appel à la rescousse d'un chercheur à l'Institut électoral d'Afrique du Sud, Claude Kabemba. Après avoir fixé le cadre dans lequel s'effectue l'intervention sud-africaine, à savoir la Renaissance africaine à travers le Nepad qui a besoin d'un continent africain politiquement stable, cet universitaire justifie les craintes des rebelles. Pour lui, parce que ces derniers suspectent une considération par la médiation plus grande pour Laurent Gbagbo que pour eux, Thabo Mbéki doit se déplacer dans leur fief pour lever le doute né dans leur esprit. Une démarche similaire pourtant déjà effectuée dans une lettre du 7 août répondant aux requêtes de l'opposition, qui portaient alors sur le processus électoral et l'identification relatifs aux lois du 15 juillet. Le président Thabo Mbéki affirmait : "Nous avons systématiquement évité de prendre parti ou d'apparaître comme ayant une attitude partisane en faveur de l'une des parties en conflit". Et las de leurs obstructions répétitives, il ajoute à l'adresse des rebelles : "il est inacceptable que l'une des parties en conflit pose désormais des préalables et n'accepte de travailler avec la médiation qu'à la condition que cette médiation serve ses intérêts particuliers (...)". (1)

Au moment où tous les acteurs s'accordent à admettre le report des élections que Laurent Gbagbo a toujours refusé pour éviter à son pays de vivre le cauchemar que le Congo-Brazzaville a connu en 1997 (2), RFI invite Jean Dubois de Gaudusson le samedi 10 septembre. Présenté comme le 'spécialiste des constitutions africaines', ce professeur de droit public renvoie dos à dos les deux protagonistes en arguant que chacun peut évoquer la même constitution pour justifier ses positions : Laurent Gbagbo l'article 39 qui dispose que le président sortant reste en place jusqu'à l'élection de son successeur ; et les oppositions, armées ou non, l'article 36 qui stipule que le mandat présidentiel s'achève le 30 octobre de l'année électorale. Quant à savoir si, dans la première hypothèse, le président garde tous ses pouvoirs en attendant le choix de son successeur, le spécialiste répond que la constitution n'est pas claire à ce sujet. Les accords de Linas-Marcoussis, d'Accra, ou de Pretoria ne sont pas plus prévoyants. En définitive, seule la communauté internationale, au regard de ce spécialiste, peut trancher.

Ceux qui s'affichent au fil du temps comme les préposés aux rebelles ont convoqué le 8 septembre sur leur antenne le Haut représentant des Nations unies en Côte d'Ivoire, comme pour lui présenter les doléances de la rébellion, à savoir une transition sans Laurent Gbagbo. Antonio Monteiro répond à Olivier Roger qu'il ne faut pas créer des obstacles artificiels au processus de paix. Il faudra travailler pour trouver des solutions, poursuit-il. A la question de savoir ce qui garantit l'équité dans le traitement des acteurs, le fonctionnaire international répond que sa nomination par le Conseil de sécurité lui donne de l'autorité. Excédé par la méfiance du journaliste, il cite le succès de la médiation au Burundi en ajoutant en substance que la Côte d'Ivoire ne se trouve pas sur une autre planète et qu'il est donc aussi permis d'y espérer une sortie de crise.

Les médiateurs sud-africains, en la personne de Mosiuoa Lekota, ministre de la Défense, ou Aziz Pahad, vice-ministre des Affaires étrangères, ont depuis le 31 août dernier présenté leurs conclusions devant le Conseil de sécurité des Nations unies. Leurs analyses au terme desquelles ils pointent un doigt accusateur sur les rebelles comme facteur principal de blocage, sont suspectées de parti pris sur le site de RFI (3)… Sur cette même antenne ce 13 septembre, les propos du président libyen, tenus la veille au cours d'un entretien accordé à Africa N°1 et à des médias ivoiriens, dans lequel il soutient son homologue ivoirien et invite les forces françaises à quitter le pays, sont tournés en ridicule : 'le président libyen est coutumier de déclarations fracassantes qui ne vont pas toujours dans le même sens'…

La France était connue dans le monde entier pour avoir des médias privés à la solde des capitaines d'industrie ainsi que le montrent ces dossiers du Nouvel observateur (4) et du Monde diplomatique (5). Certes on le soupçonnait déjà, mais on sait aujourd'hui que les médias publics n'échappent pas à cette spécificité hexagonale, pour développer, eux, une lecture de l'actualité qui sauvegarde les intérêts français. Du coup, l'information n'apparaît plus dans ce pays comme une présentation des faits, mais comme une représentation du monde. Dès lors, à chacun de choisir ses couleurs.




Notes :

(1) http://www.icilome.com/nouvelles/news.asp?id=45&idnews=6065

(2) Une fin de mandat présidentiel, précédée d'une remise en question par le président sortant (Pascal Lissouba) de contrats avec des sociétés françaises ayant conduit à la guerre civile.

(3) http://www.rfi.fr/actufr/articles/069/article_38269.asp et http://www.rfi.fr/actufr/articles/068/article_38263.asp

(4) http://www.nouvelobservateur.com/archives/nouvelobs_1808/dossier/art1.html

(5) http://www.monde-diplomatique.fr/2003/11/BENILDE/10494