AMAK (Bordeaux)

                                       ASSOCIATION POUR LA MAISON D'AFRIQUE-KARAÏBE
    	                                         MANIFESTE POUR L'AVENIR







Au commencement était un poème intitulé « Heritage », de l'écrivain africain-américain Countee Cullen (1903-1946), qui s'y interrogeait ainsi « qu'est-ce que l'Afrique représente pour moi? »

Nous voulons reprendre cette interrogation en l'élargissant à la question de savoir qu'est-ce que l'Afrique représente pour les Africains et pour les Karibéens d'ascendance africaine.

L’Afrique a joué un rôle décisif tout au long des grandes étapes qui ont marqué l'évolution culturelle et technique de l'espèce humaine, de ses débuts préhistoriques il y a 5,5 millions d'années en Afrique équatoriale, jusqu' à l'avènement il y a 4236 ans de la première forme de civilisation humaine, autour de la Vallée du Nil.

Or, l'histoire de cet immense continent et des peuples qui y vivent est l'objet de préjugés et d'une interprétation raciste. Ainsi, non seulement cette histoire est falsifiée, mais dans le même temps elle est quasiment interdite d'enseignement dans les écoles occidentales.

C’est à partir du 6ème siècle AV JC que débuta la période de Destruction de la Civilisation Africaine et d'Abrutissement du Monde Noir. L'objectif premier fut de susciter en eux un complexe d'infériorité culturelle, dissiper dans leur esprit l'image du Dieu Créateur qu'adoraient leur plus lointains Ancêtres et obscurcir l'authentique Foi qui les avaient illuminé de joie de vivre. Cet objectif fut atteint au delà de toute espérance, à partir du moment où les Noirs se mirent à prier un Dieu que leurs Ancêtres n'avaient pas connu et à l'invoquer dans des langues étrangères. En somme l'actuelle situation religieuse des Noirs est l'ultime triomphe des envahisseurs de l'Afrique: le contrôle de l'esprit des Noirs.

KMT (l'Égypte) qui fut durant plus de 3000 ans le fleuron du Monde Noir fut envahi à partir de 525 AV JC par Cambyse le Perse et sa coalition armée venue de l'Asie Occidentale, aujourd'hui appelée Moyen Orient. Celui ci transforma ce pays en un centre de castration et de prostitution des femmes, avant d'en faire la plaque tournante d'un système esclavagiste.

A partir de 639 AP JC, suite à la conquête de KMT (prononcer Ké-Mét), les Arabes lancèrent des opérations militaires dans la partie nord d'Alkebu-Lan (L'Afrique), jusqu'à parvenir en Afrique de l'ouest et fonder ce qui deviendra en 710 le Maroc. C'est durant cette même période que les hordes de bédouins armées déclenchèrent une guerre offensive contre les royaumes africains, dans le but de monopoliser le commerce de l'or et du sel, puis de faire des prisonniers à expédier comme esclaves vers le Monde Arabe. Ce qui entraîna dés le 11ème siècle AP JC d'abord le déclin et l'effondrement de l'empire du Ghana, puis par un effet de domino provoqua la désorganisation sur les plans politique et économique de l'ensemble du continent, du royaume Kongo jusqu'en Afrique australe.

Au début du 15ème siècle, les états européens eux aussi à la recherche de l'or, la richesse par excellence, décidèrent de se lancer eux aussi à l'assaut des royaumes côtiers africains. Totalement affaiblis par la traite Arabe et démunis militairement, ceux ci ne furent pas en mesure de s'opposer durablement à la situation d'état de siège, à présent créée par les puissances occidentales. S'ensuivit alors durant plus de 400 ans la traite négrière européenne.

Nous voulons tendre nos efforts vers la connaissance des mouvements de résistance politique et culturel nés dans le Monde Noir, surtout à partir du 14ème et 15ème siècle, au moment où commence le génocide des Amérindiens, le tout premier de l'histoire de l'humanité, la totale déshumanisation de la Femme et de l'Homme africains dans les bateau-esclaves et dans l'univers obscur des plantations américaines... tout un monde d'exploitation et d'horreurs codifié par ces « bibles » dites « Codes Noirs ».



Nous voulons des réparations du Monde Arabe et de l'occident afin de compenser les pertes humaines et économiques dont souffrent aujourd'hui les descendants de victimes où qu'ils se trouvent.



Nous voulons la réhabilitation de plus de deux cents millions de victimes du système esclavagiste occidental. Nous voulons la désignation d'un Lieu où sera instauré un service du Mémorial pour la commémoration annuelle de l'abolition de l'esclavage.

Nous voulons le vote d'une Loi instaurant un jour férié sur toute l'étendue territoriale des pays où vivent des descendants d'africains.

Mais aujourd'hui, notre problème ne peut se résumer à un inventaire même exhaustif de nos tortures physique et mentale, ni même à une citation des rôles respectifs et des responsabilités étrangères, que plus personne n'ignore d'ailleurs... en réalité, le problème est ailleurs, il s'agit de fonder un modèle de mémoire, de tisser un lien entre notre Histoire et notre Mémoire, de redéfinir nos valeurs communes...C'est ainsi et seulement ainsi que nous pourrons transmettre aux générations futures ce passé là, dire à nos enfants et aux enfants de nos enfants ces expériences là...

D'où, à partir des années 1980, un peu partout en France métropolitaine, en banlieue parisienne comme en province, des associations déclarées ou non oeuvrent à la célébration de la fin de l'esclavage et de la traite des Noirs...ainsi, par exemple, s'organise chaque année la visite du Quartier des Négriers dans la ville de Nantes qui, à la différence de Bordeaux a reconnu son passé de port négrier, en organisant au mois de février 1994 l’exposition « Les Anneaux de la Mémoire ». Depuis plus longtemps dans la Karaïbe cette commémoration est devenue un moment particulier, jusqu'à la proclamation de jours fériés comme le 10 juin en Guyane, le 27 mai à la Guadeloupe, le 22 mai à la Martinique, ou encore le 20 décembre à la Réunion et le 27 avril à Mayotte.

Aux Etats-Unis les descendants d'esclaves africains déclarent « Never Again » (Plus Jamais Cela) et ont adopté un rituel du souvenir hautement symbolique, le « Nakumbuka (nah-Koom-boo-kah, « je me souviens » en Kiswahili) Day », célébré le 11 novembre de chaque année.

En Afrique et en Amérique du Sud ces rituels sont quasi permanents tout au long de l 'année, des marches sont organisées autour de visite-pèlerinages de sanctuaires de déportation comme Gorée au Sénégal, Ouidah au Bénin, Elmina Castle et Ogooua au Ghana... enfin les veillées sur les lieux mêmes où s'est illustrée la résistance noire contre le système esclavagiste, par exemple au Brésil, dans le Kilombo (« armée » en langue Kikongo) de Palmarès, dans l'état d'Alagoas qui avait rassemblé cent milles « Kilomberos » menés par Nganga Zumbu et qui infligea pas moins de vingt cinq défaites aux troupes hollandaises et portugaises entre 1671 et 1695.

Nous voulons aller au fond des choses, parler du rapport entre le passé et l'avenir, entre hier et demain, ce qu'il faut retenir du passé pour préparer l'avenir. Sauf à ne rien vouloir comprendre, nos lieux de mémoire sont absolument sans ambiguïté; ils sont clairs comme le cristal...y compris pour les Etats Occidentaux et Arabes, voire même les actuels dirigeants africains...tous savent parfaitement ce qu'il est arrivé aux Noirs, aux Africains.

Nous voulons que la vérité de notre histoire soit rétablie et les apports culturel et technique de nos ancêtres au développement humain soient reconnus par les instances éducatives internationales.

Nous voulons surtout nous adresser à nous mêmes, c'est à dire à nos peuples et à nos esprits. C'est cela la bonne méthode, la seule en prise directe avec notre histoire, notre mémoire et notre futur. C'est à cette condition seulement qu'il nous sera possible d'éclairer notre vision de l'avenir, en rendant transparente la continuité historique.

C'est depuis l' Antiquité que les élites européennes et arabes ont inventé le mythe de la malédiction de Cham, l'ancêtre de l'homme Noir, qui sera introduit dans les livres des religions dites révélées. (Bible et Coran), relayés aujourd'hui de manière insidieuse par les médias occidentaux. Ainsi avec la réécriture de l'histoire de l'humanité et le mythe des races dites supérieures et inférieures, c'est une véritable guerre psychologique qui est menée contre les seuls Noirs et qui consiste à leur renvoyer une image dévalorisante d'eux mêmes, tout cela dans le but de créer un sentiment d'infériorité, détruire toute volonté de s'en sortir, d'insuffler en eux l'esprit de résignation et de fatalisme.

« Humbles parmi les Humbles » les Noirs errent dans ce monde de violence, où les guerres pour le Pouvoir et l’exploitation des Richesses Naturelles provoquent des souffrances et des misères inexprimables. Nous voulons combattre toute tentative de hiérarchiser les races étant entendu que la Science, notamment les résultats en biologie humaine et l'analyse génétique appellent à la disparition même du concept de race puisque sans fondement biologique. Néanmoins, il serait débile de nier que la race intervient au niveau du phénotype c'est à dire dans l'histoire et les relations sociales. Jusqu’à ce jour, notre vécu au quotidien nous interdit de franchir ce pas. Le panafricanisme, sentiment d'une unité des Noirs à travers le monde, est basé sur une expérience concrète et psychologique. Les révoltes à bord des bateau-esclaves produisent des élans de fraternité...face aux négriers blancs impitoyables et cruels les femmes et hommes noirs d’origines diverses, Akan et Evhé, Bakongo et Ashanti, Mandingue et Haoussa, Wolof et Sérère, Foula et Soussou, Ibo et Haoussa, Baluba et Yorouba, se soutiennent mutuellement. Puis au début du 20ème siècle, cette idée fut théorisée en une doctrine de régénérescence et d'unité culturelles et politiques par des ressortissants des Karaïbes, dont principalement trois trinidadiens; H. Sylvester Williams, C.L.R James et G. Padmore. Sans oublier les illustres jamaïcains, Marcus Mosiah Garvey et son programme « Retour en Afrique » ou encore la chanson « African» chanté par Peter Tosh. (« D'où que tu viennes, dés lors que tu es un noir, tu es un africain, peu importe ta nationalité, tu as une identité, tu es un africain »).

C'est des Îles Karibéennes que les esclaves africains organisèrent les plus grandes révoltes populaires de l'histoire de l'humanité. Et qu'auront ils déclarés? Précisément le 28 novembre 1803, après onze années de guerre révolutionnaire, Saint Domingue devenu Haïti, indépendant et souverain, rassemblés par milliers à Fort Dauphin les anciens esclaves proclamèrent:

        « Au nom des Noirs et des Hommes de couleurs,

l'indépendance de Saint Domingue est proclamée. Rendus à notre dignité primitive, nous avons assurés nos droits, nous jurons de ne jamais céder à aucune puissance de la terre. »

Ainsi, le testament de Toussaint Bréda dit L'Ouverture (1746-1803) est parvenu à nous:

« En me renversant on a abattu à Haïti que le tronc de l'Arbre de la Liberté des Noirs. Il repoussera par les racines car elles sont nombreuses et profondes. »

Aujourd'hui, à l'aube de ce vingt unième siècle, il est urgent de renforcer la lutte contre le racisme et les discriminations, de mieux s'organiser pour aller de l'avant; Pour cela, il nous faut d'abord rendre hommage et respect à nos Ancêtres, penseurs et martyrs, ensuite réfléchir et agir ensemble afin de sécuriser nos conditions d'existences, enfin contribuer à la prise de conscience des Noirs, pour une avancée réelle vers une nécessaire unité d'action, une mobilisation générale, pour sauvegarder nos précieuses vies maintenant et au cours de ce millénaire de tous les dangers!!!

Souvenons nous du « Discours sur le Colonialisme » qui n'appartient plus à A. Césaire ou à F. Fanon, le « Discours sur le Néocolonialisme » qui non plus n'appartient plus à K. Nkrumah, P. Lumumba, G. Padmore, W.E.B. Dubois. Egalement rendons hommage aux Cheick Anta Diop, Isaka Sémé, Théophile Obenga, J.H. Clarke, Georges James, Chancellor Williams... ils ont oeuvré à la naissance de la Nouvelle Académie de Pensée Africaine en sorte que l' histoire des Noirs ne soit plus enfouie dans les limbes du passé.

Souvenons nous de Frederick Douglass , cet homme né en 1815 dans les fers de l'esclavage, réussit à s'évader à l'âge de 23 ans. Historien autodidacte, il fut en 1845 le premier être humain qui une fois émancipé du joug de la servitude publia le récit de sa vie et s'activa ensuite jusqu'à sa mort en 1895 à obtenir la libération de ses frères et sœurs.

Souvenons nous d'Harriet Araminta Tubman née en 1820 dans l'état esclavagiste du Maryland, à 29 ans elle parvint à s'échapper en direction du nord et s'engagea au sein de l »Underground Railroad » un réseau clandestin d'environ 3000 membres dont la principale action était la libération des esclaves dans les plantations. Araminta retourna 19 fois dans le sud pour des missions commandos de libération d'esclaves. Entre 1810 et 1862, il y eut environ 15 000 évasions d'esclaves réussies. Pour sa part, Araminta fit évader à elle seule plus de 300 esclaves en 10 années. Sa tête fut mise à prix pour la somme de 40 000$. Lors de ses opérations commandos elle portait toujours un pistolet chargé qu'elle pointait sur les évadés qui voulaient abandonner la fuite et leur disait « tu seras libres ou tu mourras ».

Enfin, voici Steve Bantu Biko, Malcom X et Martin Luther King qui soutiennent que même si l’avenir est opaque voire incertain, nous devons nous du troisième millénaire ne jamais perdre espoir quoi qu’il arrive, nous frayer un chemin et accomplir par tous les moyens nécessaires notre mission sur cette terre, pratiquer l'esprit de libération absolue et sauver un monde aveuglé par l'ignorance.

Mais au préalable, il nous faut répondre à trois questions : Qui sommes nous? Que voulons nous? Quand le voulons nous?

Nous pensons qu'il nous appartient de construire sereinement et sûrement l'avenir immédiat... à l’image d’Horus nous n'échouerons pas afin de maintenir vivante la belle Tradition Noire de sagesse et de spontanéité révélée à Isis et Osiris , au temps des origines sur le Plateau de l'Éthiopie, sous la protection sacrée des Monts de la Lune, autour des Grands Lacs de l'Afrique Equatoriale, Kuandu, Kubangu, Okavangu, Kunene; aux sources légendaires du Nil fleuve d'Amon, le Dieu d'Eau de la Création.

Vie, santé et force.




                                                                                                                                         Bordeaux, avril 2006

Contact mail: amak70@hotmail.fr)