Celui qui a osé dire la vérité : Laurent Lafforgue, un de nos plus brillants mathématiciens (médaille Fields en 2002). « Il a dit la vérité, il doit être exécuté Guy Béart, _ Récemment nommé au Haut Conseil de l’ Education, nouveau "machin" créé par la fameuse "loi Fillon", il a été contraint tout de suite à la démission, à cause d’un e-mail du 16 novembre 2005 reproduit ci-dessous , dans lequel il osait simplement appeler un chat un chat, et dire que le roi était nu


Monsieur le Président du HCE, Je vous remercie de votre message ci-dessous qui nous donne l’ordre du jour de la prochaine réunion. Je ne peux m’empêcher de réagir sur certains points qui me plongent dans le désespoir.

Le principal est le suivant : - appel aux experts de l’ Education nationale : Inspections générales et directions de l’administration centrale, en particulier direction de l’évaluation et de la prospective et direction de l’enseignement scolaire.

Pour moi, c’est exactement comme si nous étions un "Haut Conseil des Droits de l’Homme" et si nous envisagions de faire appel aux Khmers rouges pour constituer un groupe d’experts pour la promotion des Droits Humains.

Je m’explique : depuis un an et demi que j’ai commencé à m’intéresser sérieusement à l’état de l’éducation dans notre pays - en lisant tous les livres de témoignage d’instituteurs et de professeurs que j’ai pu trouver, en recueillant systématiquement tous les témoignages oraux ou écrits d’enseignants avec qui je peux être en contact, en interrogeant moi-même des jeunes pour jauger ce qu’ils savent ou ne savent pas - je suis arrivé à la conclusion que notre système éducatif public est en voie de destruction totale.

Cette destruction est le résultat de toutes les politiques et de toutes les réformes menées par tous les gouvernements depuis la fin des années 60. Ces politiques ont été voulues, approuvées, menées et imposées par toutes les instances dirigeantes de l’Éducation Nationale, c’est-à-dire en particulier : les fameux experts de l’ Education Nationale, les corps d’Inspecteurs (recrutés parmi les enseignants les plus dociles et les plus soumis aux dogmes officiels), les directions des administrations centrales (dont la DEP et la DESCO), les directions et corps de formateurs des IUFM peuplés des fameux didacticiens et autres spécialistes des soi-disant "sciences de l’éducation", la majorité des experts des commissions de programmes, bref l’ensemble de la Nomenklatura de l’ Education Nationale. Ces politiques ont été inspirées à tous ces gens par une idéologie qui consiste à ne plus accorder de valeur au savoir et qui mêle la volonté de faire jouer à l’école en priorité d’autres rôles que l’instruction et la transmission du savoir, la croyance imposée à des théories pédagogiques délirantes, le mépris des choses simples, le mépris des apprentissages fondamentaux, le refus des enseignements construits, explicites et progressifs, le mépris des connaissances de base couplé à l’apprentissage imposé de contenus fumeux et démesurément ambitieux, la doctrine de l’élève "au centre du système" et qui doit "construire lui-même ses savoirs". Cette idéologie s’est emparée également des instances dirigeantes des syndicats majoritaires, au premier rang desquels le SGEN.

Tous ces gens n’ont aujourd’hui qu’un but : dégager leur responsabilité et donc masquer par tous les moyens la réalité du désastre. J’avoue ne pas savoir s’ils étaient de bonne foi ou bien s’ils ont délibérément organisé la destruction de l’Ecole.

Je ne sais pas non plus lesquels parmi eux - une minorité de toute façon n’ont pas participé à la folie collective ni lesquels y ont participé mais se rendent compte aujourd’hui des conséquences dramatiques des erreurs accumulées depuis des décennies et seraient prêts à repartir dans une meilleure direction. A priori, j’ai la plus extrême défiance envers tous les membres de la Nomenklatura de l’ Education Nationale.

Je serais en mesure de proposer au HCE une liste d’experts dans toutes les disciplines en qui j’ai une grande confiance parce que tous sont des professeurs qui depuis des années se sont engagés pour le sauvetage de l’École et son redressement et ont réfléchi en profondeur aux problèmes posés.

Pour moi, la question de départ qui est posée au HCE est la suivante : Voulons-nous nous voiler les yeux, ne pas voir l’état dans lequel se trouve l’Éducation Nationale et confier l’élaboration des avis qui nous sont demandés aux mêmes experts et responsables dont les politiques ont conduit au désastre actuel ? Dans ce cas, autant vaudrait ne pas avoir créé le HCE. Ou bien, voulons-nous prendre la mesure de la situation, agir pour tenter un redressement et, pour cela, rompre radicalement avec tous les hiérarques de l’Éducation Nationale, entendre les personnes indépendantes qui depuis des années tirent la sonnette d’alarme et réfléchissent aux moyens d’un tel redressement, et travailler nousmêmes avec l’aide de ces personnes à rédiger des avis sur lesquels les responsables politiques pourraient s’appuyer pour sauver notre système éducatif de la destruction complète et définitive ?

Avec mes meilleurs sentiments, Laurent Lafforgue.

PS : Pour se renseigner sur l’état réel de notre système éducatif et trouver tous les renseignements possibles et imaginables sur les programmes actuels (et leurs dérives incroyables) comparés à ceux de toutes les époques depuis Jules Ferry, je recommande le site internet de Michel Delord : (un simple professeur de mathématiques du secondaire mais qui a une connaissance impressionnante de l’histoire de notre système éducatif). Ce site porte comme dédicace : "Page dédiée aux parents qui s’inquiètent que leurs enfants ne sachent toujours pas faire une division en Cours Moyen et à qui on a répondu : "Vous êtes des rétrogrades".

Il faut passer du temps à le visiter. On y trouve par exemple tous les programmes du primaire depuis 1880 et on peut faire la comparaison avec ceux d’aujourd’hui. C’est vraiment passionnant. Indication : les meilleurs programmes sont ceux de 1923 (et, soit dit entre parenthèses, ils tiennent en cinq pages, toutes matières et tous niveaux confondus). D’ailleurs, ce sont à ma connaissance ceux qui sont toujours en vigueur (moyennant une mise à jour dans certaines matières) au cours Hattemer à Paris : un cours privé "hors contrat", donc sans la moindre subvention de l’état, à qui nombre de familles très aisées (et, paraît-il, certains de nos ministres présents ou passés) confient leurs enfants en payant le prix fort.

Mesdames et Messieurs les Conseillers, Nous sommes convenus de nous réunir le 17 novembre prochain à 11 heures. Nous nous retrouverons au 101 rue de Grenelle (Rez-de-chaussée - salle 020). Un déjeuner, à 13 heures, suivra notre réunion. Je vous propose d’aborder au cours de cette première séance de travail les points suivants :

  • 1) fixation du rythme et des dates de nos réunions (pour l’instant, en tentant de tenir compte des contraintes de chacun, les mercredis après-midi paraîtraient pouvoir être retenus)
  • 2) échanges sur les échéances du Haut Conseil dont la première saisine par le Ministre, dans les jours prochains, devrait porter sur le socle commun des connaissances et des compétences, avec un avis à rendre en février 2006
  • 3) échanges sur nos méthodes de travail :
  • constitution d’un vivier d’experts français et étrangers auxquels le Haut Conseil pourrait confier des études (socle commun ; formation des maîtres ; éducation civique)
  • appel aux experts de l’ Education nationale : Inspections générales et directions de l’administration centrale, en particulier direction de l’évaluation et de la prospective et direction de l’enseignement scolaire - réception des organisations syndicales et des associations représentées au Conseil supérieur de l’ Education

4) fixation de l’ordre du jour de la prochaine réunion.

Je vous prie de croire, Mesdames et Messieurs les Conseillers, à l’assurance de mes sentiments les meilleurs. Bruno RACINE. Président du Haut Conseil de l’ Education

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