Je suis horrifié par tant de scélératesses commises par une bonne partie de ceux qui ont en charge le destin de notre pays lors des décès d’autorités. Sous prétexte d’organiser des funérailles à la dimension du défunt, les voilà qui gaspillent sciemment du temps avec des cérémonies qui durent plusieurs jours, de l’argent qui pouvait être utile aux plus défavorisés, et des valeurs de notre société telles que l’attachement à la vérité, la discrétion dans l’action de donner et l’humilité dans le comportement. Pour le régime en place, certains morts sont des prétextes pour gaspiller les deniers de l’Etat. Situation très surprenante pour moi. Du levée du corps à l’enterrement, que d’hypocrisie, que de petitesses chez nos hommes d’Etat lorsque, le mort appartenait de son vivant au cercle du chef ou à la jet-set du pays. On voit toute la république désertée ses responsabilités étatiques pour s’agglutiner autour de la célèbre dépouille. Chacun joue des coudes, si nécessaire, pour occuper une place qui lui permet d’être bien visible aux yeux du chef et de ses proches. Mouiller les mouchoirs blancs, « pleurer », « toujours pleurer »… On ne sait jamais, une promotion ou une meilleure considération venant du chef peut toujours être le résultat d’un tel effort. Ce genre de perte, regrettable à l’image de toutes les pertes en vies humaines, met sur la scène d’un théâtre d’Etat tellement de comédiens d’un autre genre : les avaricieux de la République. Costume noir, chemise bleue et cravate jeune pour harmoniser avec les couleurs du parti, lunettes qui masquent le regard indifférent au malheur de l’autre, montre d’orée et autre gadgets du genre téléphone portable coûteux et qui sonne jusque dans le cimetière pour des conversations souvent banales ou à but politique ou bancaire, grand boubou en basin riche avec babouches toujours aux couleurs du parti, les nouveaux maîtres de la bombance bombent la poitrine et animent la kermesse grâce à des discours extravagants, des largesses inouïes parce que c’est un proche du chef qui est mort ou membre éminent du gotha du pays. Le deuil porte les habits de l’exubérance, 4X4, 8X8, 607, 406, Mercedes de luxes… bref ! Le défilé des pachas s’effectue grâce aux deniers publics subtilement extorqués.

Tout y passe : valets du régime, intellectuels bouffons et profiteurs, religieux arnaqueurs, toutes les excellences qui ne respirent que pour leurs strapontins, les fonctionnaires collaborateurs du régime, les chefs de parti démagogues, les syndicalistes sans éthique, les badauds et les jeunes désoeuvrés qui s’improvisent pour les besoins d’un petit déjeuner décent garde du corps de ces malicieux du système qui se nomment autorités, les femmes de vie, certains hommes et femmes de principes, respectables venus pour des raisons saines etc. Et les caméras de télévisions et photographes immortalisent cette grande pagaille sur ordre de leurs patrons poltrons ou pourris comme la plupart des acteurs qui évoluent sans rechigner sur cette scène dégelasse de l’indécence. N’oublions pas tous ces griots qui scandent la lignée de leur proie et n’hésitent pas, malgré la tristesse de la mort, à se chamailler en pleine cérémonie pour les prises de parole très lucratives. Tout se joue devant un public qui pendant un temps, oublie sa misère et le mort lui-même en salivant devant autant de richesse étalée le temps d’un deuil. Et les commentaires et commérages remplacent dans les langues et les cœurs les prières au mort. Après l’enterrement, on cède la place aux innombrables témoignages. Sous prétexte qu’on dit pas du mal sur les morts, c’est la porte ouverte à tous les mensonges possibles, à toutes les inventions… pourvu que tout vote en faveur d’une bonne présentation de l’image du mort. Les morts de la gentry sont des héros, toujours des héros… Gare au téméraire qui ose s’aventurer à émettre une opinion contraire et tout à fait véridique. Il sera exposé alors à la vindicte populaire sans ambages avec comme argument c’est un mécréant, un indiscipliné qui blasphème et salit la mémoire d’un mort.

Notre société est ainsi faite ; les démunis ont toujours tort : ils vivotent jusqu’au seuil de leur tombe… enterrés à la va vite parce que personne n’a le temps de perdre son temps avec ce genre de dépouille, même un grand nombre d’Imams y compris, quelle que soit leurs qualités de leur vivant, ils sont, pour la plupart des cas, vite oublié. La vie ne leur a jamais fait de cadeau et la mort non plus. Mais ils ont la chance, ces morts infortunés de leur vivant, de ne pas avoir à recevoir le lot de mensonges pompeux et quotidiens des morts du beau monde, surtout ceux du cercle du chef qui reçoit lui et ses proches le zèle cocasse de ses inconditionnels même dans ces moments de grande douleur.

. Cela se passe au Sénégal. Qu’ils sachent que le peuple qu’ils ont tant affamé par leur gabegie, leur non respect des règles de la bonne gouvernance, les scandales financiers à la pelle, l’absence d’une bonne politique agricole, industrielle et commerciale, d’une politique d’emploie, de santé… est indigné par cette tragédie des condoléances à coups de millions. Ces types de condoléances sont partis pour ravir la vedette au gaspillage constaté lors des meetings du parti et des mobilisations de militants pour accueillir le président et ses homologues en visite au Sénégal.

S’il est vrai que « les morts ne sont pas morts …» comme disait Birago Diop … et je n’en doute pas… comme ce patriarche de la plume, « Je sais que j’aurais dû n’en rien faire… et garder mon secret… ». Car, j’en vois déjà qui se retroussent les manches pour cracher du feu sur le hardi que je suis. Mais tant pis ! Je refuse de me taire et d’être complice de tant de sottises frustrantes à tout point de vue commises par des nantis de la République, des élus qui doivent donner le bon exemple.

Tafsir Ndické DIEYE, écrivain sénégalais ndickedieye@yahoo.fr