Matilde Ribeiro est à la tête du nouveau Secrétariat Spécial pour les Politiques de Promotion de l'Égalité Raciale, avec rang de ministre. Cette semaine, elle a été interviewé par IPS à Montevideo, où elle prenait part à la réunion de la Alianza Estratégica Afrolatinoamericana y Caribeña (Alliance Stratégique Afrolatinoaméricaine et Caribéenne) dans le cadre de son premier voyage officiel.

Ribeiro, assistante sociale et activiste pour l'égalité raciale et de genre dans la fin des années 80 est entré en fonction le 21 mars dernier (2003) , Journée Internationale pour l'élimination de la Discrimination Raciale, relégué au second plan cette année par le déclenchement le jour suivant de la guerre contre l'Irak.

Elle avait auparavant participé à la coordination du programme du gouvernement de gauche du Parti des Travailleurs dirigé par Lula, et faisait partie de l'équipe de transition ayant préparé l'accession au pouvoir de l'actuel président le 1er janvier. Mais elle ne sut qu'elle deviendrait ministre que le jour précédent sa nomination.

En prenant ses fonctions, elle indiqua que la création de ce Ministère exprime "l'accumulation de siècles de résistance", et qu'il s'agit d'une construction collective effectuée par plusieurs "têtes, cœurs et mains ", mais "qui ne pouvait se produire que dans un gouvernement comme celui-ci".

IPS: Le gouvernement de l'État de Río de Janeiro a décidé de réserver 40% des places dans son université aux noirs. Qui l'État brésilien considère t-il comme noir?

Matilde Ribeiro: Le terme "Noir" est un terme politique. Au Brésil on parle également de pardos, métisses et mulâtres, mais le mouvement contre le racisme préfère appeler noirs tous les descendants d'africains.

IPS: Ce système d' "affirmative action" a été remis en question face à la justice par des étudiants blancs de Río de Janeiro, qui ont obtenu le nombre de points suffisants pour être accepté lors de l'examen d'entrée à l'université, mais qui n'ont pas pu s'inscrire pour que le quota de noirs puisse être rempli.

MR: Les quotas ne sont pas le seul élément nécessaire, mais ils sont importants, avec d'autres actions affirmatives au sein et en dehors du système éducatif.

IPS: Vous avez déjà vécu une telle situation, lorsque vous avez participé il y a quelques années à la discussion sur les quotas pour les femmes au PT et au sein du parlement.

MR: Effectivement, et plus de dix ans plus tard, je vois que la politique des quotas a servi à provoquer une augmentation quantitative de la présence des femmes.

IPS: Y a-t-il d'autres actions affirmatives prévues dans d'autres domaines?

MR: Le gouvernement précédent a lancé un programme national dans ce cadre, qui a répondu à la demande sociale et inclut des mesure incitatives pour les hommes et les femmes noirs dans les organismes publics tout comme elle appuie la jeunesse noire qui souhaite étudier la diplomatie. Le gouvernement de Lula évalue ce programme et prépare sa reformulation.

IPS: Une autre action importante pour la communauté noire initiée par le gouvernement précédent, mais appliqué jusqu'à présent avec lenteur, fut celle qui cherche à octroyer des titres de propriété de terres aux "quilombolas", qui sont partie intégrante de communautés revendiquant la continuité des "quilombos" établis par la résistance à l'esclavage depuis le XVIième siècle.

MR: Ce qui reste des "quilombos" sont des communautés historiques qui doivent avoir toute l'attention du gouvernement, pour valoriser la population noire et sauvegarder leur dignité. L'ancien gouvernement en avait répertorié quelques 2.000, mais les "quilombolas"elles mêmes disent qu'il y en a 3.000 ou 4.000. La première chose à faire est de reconnaître leur existence et de légitimer la propriété des terres qu'ils occupent, mais en plus de cela, ces communautés vivent dans des conditions de grande précarité et d'exclusion sociale, et il faut les inclure dans les programmes socio économiques.

L'héritage historique des "quilombos" est très positif. Zumbí (leader noir du XVIIème siècle qui a dirigé durant des dizaines d'années la résistance des communautés noires émancipées dans le nord est du Brésil) avait établi un espace de convivialité dans l'égalité pour les noirs, indigènes et blancs pauvres.

IPS: Ces derniers jours, Lula a nommé le premier membre de la Cour Suprême Fdérale de race noire, Joaquim Benedito Barbosa Gomes.

MR: Cette nomination est un symbole très important dans un processus de changement culturel t d'attitudes, comme l'est la nomination de quatre ministres noirs dans des domaines stratégiques (Benedita da Silva en Assistance et Promotion Sociale, Gilberto Gil à la Culture, Ribeiro, et Marina Silva à l'Environnement).

IPS: La ministre Marina Silva insiste sur la nécessité de la "transversalité", pour que la dimension environnementale soit incorporée dans toute l'action de l'état Quelles actions prévoyez-vous pour "transversaliser" la dimension raciale?

MR: Le rôle principal du Ministère n'est pas d'exécuter des politiques, mais plutôt de les formuler avec les autres ministères et coordonner leur exécution à court, moyen et long terme. Ceci est très difficile culturellement, car il y a une grande et traditionnelle séparation entre les organismes publics, et chaque domaine agit pour son propre compte. L'expérience dans les gouvernements locaux m'a appris qu'il n'est pas facile de changer des comportements quotidiens, même si des lois et des instruments et la volonté politiques existent .Mais la transversalité est la clé qui permettra de rendre le Secrétariat effectif. Nous savons par exemple que le système éducatif devrait être un instrument libérateur, mais ses procédures, normes et routines ne lui ont pas permis jusqu'à présent d'intégrer la composante raciale et l'histoire de la population noire. On pourrait dire la même chose pour chaque secteur, l'emploi, la santé, le tourisme ... La population noire fait également le tourisme, elle est également consommatrice.

IPS: Il n'existe pas d'institution similaire à celle que vous dirigez dans le Mercosur. Avez-vous des projets au niveau régional?

MR: Il y a 40 jours que le Secrétariat a été créé, et nos premiers contacts et tournées se sont effectués au Brésil, pour coordonner les actions avec les organismes municipaux et étatiques. Au cours de cette réunion, j'ai commencé à établir des contacts avec des organisations noires d'Amérique Latine et des Caraïbes pour voir ce qui pourrait être fait au niveau des gouvernements. Le Brésil peut donner l'exemple dans ce cadre, mais pour cela il faut que nous fonctionnions bien, que nous soyons exemplaires.

IPS: Le ministre de l'Éducation, Cristovam Buarque, a mis en doute l'efficacité des quotas, et il a affirmé que la solution est d'améliorer l'enseignement public, pour que la population noire soit mieux préparée lorsqu'elle affronte l'examen d'entrée à l'université.

MR: Des faits historiques, économique et d'ordre social démontrent que la population noire est celle qui abandonne le plus le système éducatif, et il faut établir des incitatifs qui permettront qu'elle y demeure. À court terme, il semble que les blancs sont perdants, mais dans le long terme, la conquête de la citoyenneté par les populations noires bénéficiera à tous les brésiliens.

Matilde Ribero en compagnie du Président Lula

IPS: Vous avez travaillé comme consultante des syndicats métallurgiques de Sao Paulo, desquels Lula est issu. Qu'est ce qui demande plus de travail avec les dirigeants syndicaux, faire prendre conscience du problème racial ou du problème de genre?

MR: (Rires) J'ai réussi à ne pas séparer théoriquement l'un de l'autre. Dans mon expérience de vie s'entrecroisent l'exercice professionnel, la politique, le féminisme et l'action contre le racisme. C'est là que se trouve le centre de mes études et de mon militantisme. Classe, genre et race sont trois points de vue qui structurent la vie et l'inégalité, et peuvent également structurer l'égalité.

Source : Agence IPS

Traduit de l'Espagnol par Guy Everard Mbarga

http://www.mujereshoy.com/secciones/680.shtml