Si à cet instant on lui emmenait par exemple un patient avec la tête fendue, elle devrait lui coudre les points de suture sur la figure avec un fil beaucoup plus mince que celui utilisé pour coudre le cuir chevelu.

Basilia Pérez, secrétaire  administrative, affirme que dans les trois collèges, les chaises  sont insuffisantes. Selon elle, dans toutes les salles, il y a entre dix et quinze élèves qui prennent les cours debout ou assis sur les morceaux de bois qu'ils transportent eux-mêmes chaque jour. Le problème touche un tiers des 911 étudiants du village. "Au niveau du baccalauréat il n'y a que neuf ordinateurs pour les 330 élèves", indique Walberto Torres. "Et trois de ces ordinateurs sont endommagés".



Une maîtresse de maison qui pour des raisons évidentes refuse de donner son nom, a rappelé que jusqu'à il y a quelques trois années ils ont enduré l'agression violente des guérilleros et des paramilitaires. "Ils sont partis d'ici quand ils ont compris que nous n'avons même pas d'endroits pour tomber raide morts ".




Plusieurs des personnes sur lesquelles nous sommes tombés durant le parcours avec Fredman Herazo, fuient l'appareil photographique ou disent franchement qu'ils se laissent prendre en photo si et seulement si on leur donne de l'argent.

 Certains veulent une boisson, d'autres, une colombine. Les ivrognes qui ont survécu  aux trois mariages de la veille  mendient de l'eau-de-vie.  Herazo lui-même s'arrête devant presque toutes les  boutiques pour boire une bière à notre compte. Je lui demande alors si sur la liste des situations qu'il faut changer ne figure pas cette manie de demander et demander encore.

"Ce qui arrive", répond-il avec un regard dur, "c'est que tout ceux qui viennent ici gagnent quelque chose. Vous allez être payés pour ce que vous écrivez. L'autre pour ses photos. Cette fille fait un travail et gagne de l'argent de l'université. Le monsieur qui porte une chemise rouge gagne de l'argent pour avoir conduit la voiture jusqu'ici. Et que nous reste t-il à nous?"




Je lui rappelle que, jusqu'à présent, personne ne nous a demandé un morceau de viande ni une paire de bottes de travail, mais plutôt, uniquement du rhum et des cigarettes. Herazo hausse les épaules et prend un air triste qui me fait me sentir misérable. Même s'il admet qu'une communauté quémandeuse court le danger de s'avilir, il indique qu'il s'agit là d'un fardeau de leur éternelle pauvreté.

Puis, il nous demande comment nous agirions si nous étions des palenqueros et que nous devions vivre avec le harcèlement permanent des étrangers qui ne pensent qu'à leur propre convenance.




Durant des années, ils ont dû batailler avec le photographe qui sort un billet avant de sortir sa caméra pour qu'on le laisse prendre l'ancien de la tribu en photo, l'anthropologue qui promet monts et merveilles pour qu'on la laisse filmer son documentaire, et n'a même pas la délicatesse de leur offrir une copie, et avec le politicien qui les utilise comme affiche de propagande.




"Les journalistes ne restent pas ici", ajoute-il en me regardant d'un air ironique.

L'avocat Manuel Cásseres Reyes dit qu'il a passé sa vie à attendre la même histoire, répétée au point d'être usée comme un disque rayé. On parle toujours – proteste-t-il – du boxeur Kid Pambelé, premier champion mondial de Colombie, des femmes ancestrales qui vendent des sucreries, des chants des veillées funèbres, des dynasties de joueurs de tambours et évidemment de Evaristo Márquez. On reste dans l'ébauche pittoresque, le petit dessin anecdotique. Nous imposons la trame des sujets en accord avec ce que nous voulons entendre, mais on ne demande jamais aux palenqueros quelle histoire ils veulent raconter.




Au fait, quelle est cette histoire ? Manuel Cásseres affirme que le Palenque est actuellement le village de Bolívar ayant le meilleur taux d'alphabétisation. Dans chaque maison, selon lui, il y a au moins un professionnel. Je lui demande s'il existe une enquête sérieuse à ce sujet, et pour toute réponse, il me demande d'écrire l'information sans aucune crainte.




"Cette enquête est très facile et nous-mêmes nous l'avons réalisée en faisant les comptes de maisons en maisons, car nous nous connaissons tous ici".

María Margarita Padlla, 18 ans, dit que les jeunes d'aujourd'hui, au lieu de conserver le sentiment d'appartenance sont capables de voir plus loin que leur petit village. Ils savent que certains éléments du legs, comme le tambour, sont intouchables, tandis que d'autres tolèrent le changement. En vendant les cocadas (friandise à base de noix de coco), comme les grands-parents, on atteint à peine les plages de Carthagène. Faire des études fait beaucoup plus avancer.




De telle sorte que, même s'ils apprécient l'héritage que le sort leur a donné, ils ne sont pas prêts à se faire immoler en son nom. La lampe de Kérosène, c'est bien, mais on a besoin de lumière. C'est un délice de poser un pied nu sur le sable mais, on a besoin de souliers.

"Le fait de ne pas avoir nous oblige à être, dit maintenant Fredman Herazo, tandis qu'il nous dit au revoir. Faisant un clin d'œil malicieux, il nous demande une dernière bière. Et nous implore, s'il nous plait, de ne pas l'oublier quand nous serons partis, comme le font souvent tous ceux qui leur rendent visite. Herazo, comme le reste des habitants du palenque pense que l'honneur que l'Unesco leur a fait en les déclarant patrimoine culturel n'aura de la valeur que si dans la pratique cela les aide à résoudre leurs problèmes.

Il est vrai que voilà plus de trois siècles qu'ils survivent de la pointe de mapalé, mais il est maintenant temps de comprendre que le tambour, le sublime tambour ne peut pas faire tous les miracles pour eux.

Palenque de San Basilio est une communauté fondée par les esclaves qui ont trouvé refuge dans les palenques de la Côte Nord de la Colombie dès le 15ième siècle. Le terme palenque se definit comme un endroit peuplé par les esclaves africains ayant fui le régime esclavagiste durant la période coloniale. De là il est devenu le sysnonyme de liberté, puisque toute personne qui y parvenait était automatiquement libre.

Voir aussi cette vidéo sur le Palenque de San Basilio

Traduit de l'Espagnol par Guy Everard Mbarga

http://www.revistaebano.com/pages/cronica.html