Vous savez que vous êtes le premier président de la République, après l’abolition à compter quatre ministres noirs à vos côtés et à en avoir nommé un au Tribunal Suprême Fédéral (Supremo Tribunal Federal). Ne s’agit-il que d’une coïncidence, d’un coup de pub ou est-ce effectivement un choix politique?

Je me sens très satisfait et heureux, particulièrement parce que ces invitations ont été faites sur la base du parcours et de la capacité de chacun de ces collaborateurs, et non à cause de la couleur de leur peau. Tel est le sens de la composition de mon gouvernement et c’est le sens que nous souhaitons donner au pays. Je dis toujours que la grande priorité de mon mandat à la présidence de la République est la réduction des inégalités – de toutes sortes. Il n y a par conséquent rien de plus naturel que de traduire cette idée dans la composition de l’équipe de mon gouvernement. La plus grande richesse du Brésil c’est sa diversité.

En tant que nordestino et issu des couches les plus nécessiteuses de notre société, vous devez avoir ressenti le préjugé dans votre chair. Qu’avez vous appris de la discrimination?

Ce qui m’a le plus marqué c’est la tristesse de percevoir qu’il ne suffisait pas d’être bon, il ne suffisait pas d’être dévoué et d’être engagé. Sans opportunités, avec les portes qui se fermaient devant vous, rien de tout cela ne semblait suffisant pour vous garantir une vie digne. C’est la raison pour laquelle aujourd’hui, avec beaucoup de travail et d’effort, nous aidons à changer cette réalité. Il y a cinq ans, j’ai créé le Secrétariat Spécial des Politiques de Promotion de l’Égalité Raciale (Seppir) avec cette philosophie. Avec l’idée de considérer les choses avec du cœur et de formuler des politiques publiques spécifiques pour la couche importante de la population brésilienne qui soufre encore du préjugé, de la discrimination et du manque d’opportunités.

Après avoir visité l’île de Gorée en Afrique d’où partaient les esclaves en direction du Brésil, vous avez déclaré que vous avez dès lors mieux compris la problématique du noir au Brésil. Comment cela s’est-il produit?

Il y a des choses que les gens apprennent dans les livres, des choses que les gens apprennent en écoutant et des choses que les gens n’apprennent qu’en les éprouvant véritablement. La visite que j’ai effectuée à l’île de Gorée au Sénégal, fut l’un des moments les plus émouvants de tout mon passage à la Présidence de la République jusqu’à présent. Là-bas, de la porte par laquelle ils embarquaient pour un voyage sans retour, j’ai pu sentir un tout petit peu – vraiment à un degré infime comparé au crime brutal que fut l’esclavage, mais avec une sensation très marquante – ce que les noirs mis en esclavage ont ressenti. Moi, le ministre Gilberto Gil, l’ex-ministre Matilde Ribeiro, et même des journalistes qui couvraient l’événement nous avons tous pleuré. Ce fut un moment très fort, qui n’a fait que renforcer ma conviction et mon engagement à racheter la dette séculaire que nous avons envers la population noire, et de faire du Brésil un pays avec moins d’inégalités.

Alors que nous fêtons les 120 ans post-abolition, votre gouvernement a beaucoup investi dans les relations avec l’Afrique. Quelles sont les raisons de cette politique?

Les raisons sont diverses. La principale, évidemment est le lien puissant que nous avons avec les pays africains. Nous sommes unis par le sang et par l’histoire. Par la culture et par les traditions. Cela n’avait pas de sens de continuer à ignorer ou à minimiser ces liens forts, comme le Brésil l’a fait dans le passé.

La deuxième raison est liée au grand potentiel diplomatique qui existe dans nos relations bilatérales avec les pays africains, du commerce et des investissements à l’éducation et la santé. Et la preuve que cela est vrai c’est l’augmentation spectaculaire des flux commerciaux entre le Brésil et nos partenaires africains au cours des cinq dernières années: en 2002, notre commerce avec l’Afrique représentait 4,9 milliards de dollar; en 2007, il a atteint 19,8 milliards de dollars, presque cinq fois plus. Notre politique étrangère vis-à-vis de l’Afrique reprend des initiatives qui existaient dans les années 70, sous les ministres des Affaires étrangères Gibson Barbosa et Azeredo da Silveira. À tel point que nos échanges avec l’Afrique sont en train d’approcher les 10% du total de notre commerce, niveau atteint à cette époque. Aujourd’hui, ce rapprochement avec l’Afrique fait partie d’un mouvement large de valorisation des relations Sud-Sud – d’exploitation des possibilités de dialogue et de coopération avec des pays frères que notre gouvernement a mis en place. Le Brésil est en train de diversifier ses partenariats et d’approfondir des liens qui étaient auparavant simplement protocolaires.

Grâce à cela, les échanges de biens et de services augmentent, de même que la coopération et la conciliation des positions dans les forums internationaux. Enfin, il y a le fait que le Brésil peut et veut contribuer concrètement au développement des pays africains, et plus spécifiquement, pour vaincre la famine, la pauvreté et les inégalités dans le monde. C’est dans ce sens que nous offrons une coopération technique et le transfert de technologie dans les secteurs les plus divers, avec une emphase sur l’agriculture, les biocombustibles, l’éducation et la santé. Nous pensons que les pays africains ont besoin de disposer des instruments pour construire leurs propres destins et nous voulons contribuer à ce genre de solution, qui va bien au delà de simples envois d’aide financière.

C’est la raison pour laquelle je me suis rendu au Ghana récemment pour inaugurer un bureau de l’Embrapa. C’est également pourquoi nous voulons apporter la technologie de fabrication de vaccins de Fiocruz au Mozambique. Nous avons tous à gagner du développement de l’Afrique.

Vous vous êtes déjà dit favorable à l’approbation du statut de l’égalité raciale au Sénat. Pourquoi ce statut n’est pas encore approuvé à la Chambre où le gouvernement est majoritaire?

Comme je l’ai dit lors de la cérémonie d’installation du ministre Edson Santos, au Seppir, le mouvement noir a beaucoup de points de vues différentes et doit trouver des positions de consensus. C’est un problème qui se reflète dans la position de ses représentants à l’Assemblée. Il faut que le mouvement mette ses divergences de côté dans un grand effort pour la réalisation des convergences. J’ai déjà discuté avec le ministre Edson, qui définissait l’approbation du Statut comme une priorité du Seppir, et j’ai aussi déjà eu une conversation avec le ministre José Múcio, qui articule la politique de notre gouvernement au Congrès. Je crois que nous avons encore de grandes chances de voir le Statut de l’Égalité Raciale approuvé cette année.

En tant que premier président ouvrier de ce pays, quand pensez-vous que nous pourrons également avoir un président noir?

Je pense que la démocratie a beaucoup avancé au cours des dernières années dans notre pays. Mon élection en est la preuve. Je suis certain que nous avons atteint un degré de maturité qui nous permet d’avoir un président noir, jaune, une femme à la Présidence... C’est une question de temps. Et la meilleure manière de contribuer à cela est de garantir que le Brésil offre les mêmes opportunités à tous.

Cela fait presque 20 ans que les droits des quilombolas sont garantis au Brésil dans la Constitution Fédérale. Plus de 80 communautés ont déjà reçu des titres dans tout le pays, cependant, il n y en a eu que sept sous le gouvernement Lula. Quelle est la raison de cette lenteur ?

Voyez-vous, il s’agit d’un processus très compliqué et fréquemment sujet du questionnement de la Justice et des autres secteurs sociaux. Il y a par exemple une Action Directe d’Inconstitutionnalité (ADIN) proposée par le Parti Démocrate qui met en échec le décret présidentiel qui garantit et crée les règles servant à normaliser les dispositions de la Constitution. Le Tribunal Fédéral Suprême en jugera. À ce sujet, j’ai monté un groupe de travail pour revoir l’Instruction Normative qui définit la caractérisation des zones quilombolas. Il faut que la loi soit claire pour que les abus et les injustices ne soient pas commis. Nous savons tous que faire avancer la question agraire dans un pays aux dimensions continentales comme le nôtre n’est pas facile. Mais nous avançons.

Dans l’affaire des Cartes de Crédit Corporatives, la personne la plus pénalisée a été l’ex-ministre du Seppir, Matilde Ribeiro. S’agirait-il d’un réflexe des élites machistes et racistes de ce pays?

C’est difficile à évaluer, peut-être en est on arrivé à ces dérives. Mais je crois que la question fondamentale était la lutte politique sournoise que nous vivons au pays. Et la ministre Matilde est finalement devenue la cible la plus facile.

Pourquoi est-il si difficile d’appliquer des politiques publiques en faveur de la communauté noire au Brésil, malgré le fait qu’il s’agit de l’une des politiques claires de votre gouvernement?

Parce que nous butons également sur des questions culturelles. Ce n’est pas seulement l’aspect économique que nous brassons quand on ouvre l’espace pour tout le monde sur le marché du travail et dans l’éducation au niveau supérieur. La politique des quotas est la cible de critiques dans le monde entier, des fois bien intentionnées. Mais il est clair que nous remuons également les préjugés que les gens ne se rendent même pas compte des fois qu’ils ont-parce que cela fait partie de leur éducation et des choses qu’ils ont entendues en grandissant. C’est pourquoi le travail que fait le Seppir pour l’adoption de la Loi 10.639 qui institue l’enseignement de l’histoire de l’Afrique et Afrobrésilienne dans les écoles est si important. L’éducation est le meilleur vaccin contre le préjugé.

Quel message adresseriez-vous à la communauté noire pour pouvoir avancer dans sa lutte pour l’égalité dans notre pays?

Qu’ils soient unis et suivent l’exemple de grands guerriers comme Zumbi. Je leur suggère de ne jamais abandonner. Il faut de la patience et de la persévérance pour la lutte. Voyez combien d’élections j’ai dû disputer avant d’atteindre la Présidence de la République... Aujourd’hui, je vois à quel point les défaites ont renforcé ma conviction et m’ont mieux préparé au défi consistant à gouverner le pays. Qu’ils conservent l’estime de soi et la confiance qu’il est possible de faire du Brésil un pays pour tous.

Enfin, Monsieur le Président, nous vous invitons à vous adresser à travers nos colonnes à la communauté noire à l’occasion des 120 ans d’abolition.

Il y a encore beaucoup à faire au Brésil en ce qui concerne l’égalité raciale. Mais, le plus important est de reconnaitre que la Loi Áurea ne fut pas le fruit de la volonté exclusive de la princesse Isabel. Ce fut le résultat d’un grand mouvement abolitionniste, qui rassembla les noirs et les blancs pour une cause commune. Ce fut une victoire du peuple. L’abolition fut un cadre légal important, qui doit inspirer la communauté noire pour cheminer encore plus vers la conquête de l’espace qu’elle mérite dans la société brésilienne. Dans ce sens, avant la fin de mon mandat, j’ai l’intention d’inaugurer l’Université Brésil-Afrique à Redenção, no Ceará, qui fut la première ville à abolir l’esclavage au pays. Il s’agira d’une université qui comptera 50% d’étudiants africains et l’autre moitié de brésiliens, Ensemble, nous allons construire un Brésil meilleur pour tous.