Barber Tonya Jones, à left, works on customer Terrainie Chester, right, at the First Class Barber Shop in Atlanta, Georgia, on Saturday, October 18.

Par Richard Fausset, Rédacteur Los Angeles Times

Traduit de l’Anglais par Guy Everard Mbarga

(19 Octobre 2008)

ATLANTA -- Tonya Jones ne veut pas imaginer à quoi cela ressemblerait d’avoir un président noir à la Maison Blanche.

"Je veux ressentir cette euphorie, mais je ne peux pas," indiquait Jones, une coiffeuse Africaine Américaine qui trainait en face de son salon un après midi tranquille. "Car je ne veux pas avoir l’esprit à cette hauteur, pour voir tout retomber après" – elle leva alors sa main au dessus de sa tête avant de la laisser plonger comme un ascenseur en chute libre.

"Tout le monde est à cran, je vous le dis," affirmait-elle.

Telles sont les émotions tendues que vivent les Africains Américains, dont l’histoire, en partant de l’esclavage pourrait culminer le 4 Novembre par l’élection d’un président noir. Les sondages montrent que les électeurs noirs soutiennent massivement Barack Obama dans la course à la présidence, très souvent pour des raisons qui dépassent la politique: Un T-Shirt populaire représente ainsi Obama avec le Révérend Martin Luther King Jr. sous la bannière "A Dream Answered (Un Rêve Exaucé)."

Mais de nombreux noirs se préparent également au chagrin qu’ils auraient si la percée ne se produit pas. Damascus Harris, directeur d’école à Chicago, énumère toute une litanie d’indignités subies par les noirs – des promesses brisées qui ont suivi l’esclavage à la suppression de leurs votes durant l’époque des lois Jim Crow et la discrimination financière par les banques. Tout ce cela explique en partie pourquoi une défaite d’Obama ne sera pas une surprise.

"Je ne suis pas naïf quant à ce qu’a été notre histoire," dit-il.

Ce scepticisme, né de siècle d’expériences, façonne l’humeur de l’électorat noir à la veille de cette élection historique. Malgré l’émergence d’Obama dans les sondages nationaux, l’enthousiasme de ses supporters noirs est très souvent tempéré par une anxiété.

"J’ai pu être témoin de beaucoup d’états d’esprits allant de la colère au progrès et toutes ses choses" indique Andrea Y. Simpson, professeur de science politique à l’Université de Richmond, qui a marché avec King quand elle était adolescente. "C’est l’un des états d’esprit le plus étrange que j’aie expérimenté . . . fait d’excitation, d’espoir, de fierté – et de crainte."

La peur trouve son expression la plus intense dans les préoccupations continuelles par rapport à la sécurité d’Obama. Rosalind Johnson, employée d’une entreprise financière de Camden, S.C., expose avec franchise sa plus profonde inquiétude, comme s’il s’agissait d’un fait : "On va le tuer," disait-elle récemment un matin ensoleillé alors qu’elle sortait du bureau d’enregistrement local.

D’autres ont moins de préoccupations morbides. Certains électeurs s’inquiètent plutôt d’un système, qui, pensent-ils, dans l’ombre, empêchera Obama d’accéder à la plus haute responsabilité administrative du pays. Parfois, cette conversation tourne autour des irrégularités enregistrées lors des élections en 2000. Des fois, le sentiment est plus vague.

"Ça va être quelque chose," déclare Tony Gonzales, un coiffeur d’Atlanta. "Comme il est noir, il va se passer quelque chose."

Shan Dennis, employée d’une compagnie d’assurance de Decatur, Ga., affirme qu’elle n’est pas inquiète qu’il y ait fraude – mais selon elle, c’est une chose qu’elle entend assez souvent.

"C’est un gros sujet de discussion dans la communauté Africaine Américaine," dit-elle. "Beaucoup d’entre eux pensent qu’on ne va pas le laisser gagner."

D’autres électeurs sont consternés par le ton déplaisant qui a émergé il y a quelques mois, alors que la candidature d’Obama a révélé des expressions évidentes du préjugé des électeurs blancs ; et les sondages montrent que certains d’entre eux pourraient résister à l’idée d’un président noir: Un sondage AP-Yahoo News du mois de Septembre suggérait que un tiers des Démocrates blancs avaient une opinion négative des noirs.

Le Révérend Kevin M. Turman, Pasteur de la Second Baptist Church de Detroit a vu les mêmes sondages. Il est de plus en plus inquiet et frustré du scenario qu’ils pourraient suggérer.

"Mon inquiétude est que des démocrates Blancs – qui partagent chacune des idées d’ Obama – ne votent pas pour lui parce qu’il est noir," dit Turman

Historiquement, indique-t-il, les électeurs noirs se sont avérés être un des bastions le plus digne de confiance du parti Démocrate. Si les blancs ne se présentent pas pour voter pour un candidat noir qualifié, il aurait un sentiment proche de la trahison.

"Je devrai reconsidérer mon soutien de toute une vie au Parti Démocrate," dit-il. "Il sera alors peut-être temps pour nous de considérer les élections en fonction du candidat, et non plus seulement voter le ticket du parti.»

Le père d’Obama était un Kenyan, de race noire; sa mère était une femme originaire du Kansas, de race blanche; et il a été élevé par des grands-parents blancs. Bien sûr, il ne s’agira pas seulement de l’identité raciale lors de l’élection. Et les électeurs noirs ont des opinions différentes quant à la question de savoir si l’élection devrait être considérée comme un référendum sur l’état des relations raciales aux États-Unis.

Le Révérend Joseph Lowery, un vétéran des droits civils et co-fondateur de la Southern Christian Leadership Conference, pense que le problème est simple : En résumé, on se retrouve devant deux choix : ‘Est ce qu’on vote pour le bien du pays?' ou 'Est-ce qu’on vote en suivant ses craintes raciales?' " Se demandet-il.

Mais Charles Johnson, un romancier et professeur d’Anglais à l’Université de Washington, indique qu’il pourrait être difficile de tirer des conclusions rapides et solides sur les relations raciales après les élections de Novembre.

"On trouvera des Africains Américains qui croient que si Obama perd, ce sera à cause de sa race," indique Johnson . "Puis, il y aura un pourcentage de personnes pour lesquelles, le problème racial mis à part, n’auront pas aimé ses propositions politiques. Il pourrait s’agir d’une combinaison des deux."La conclusion qu’on en tirera variera," ajoute-t-il. "Je pense qu’on doit juste attendre pour voir."

Étant donné les fortes émotions qu’Obama a alimenté, il pourrait cependant être difficile pour certains électeurs de voir la nuances.

Keivin Rodgers, qui travaille à côté de Tonya Jones au Salon de Coiffure Atlanta's First Class, évoquait un séjour à Washington qu’il a effectué récemment en compagnie de sa jeune fille. Après avoir visité le Jefferson Memorial, il lui a acheté une règle avec les photos des 43 présidents.

"Ils étaient tous blancs, et nous en avons parlé," indiquait Rodgers. "Donc, avec une victoire, il y aura un visage noir sur la règle. Et cela veut tout dire pour moi."

Rodgers prédit qu’une victoire d’Obama provoquerait un immense changement dans la manière dont les noirs Américains perçoivent leur pays et leurs compatriotes.

"Tout le cœur que les blancs devront y mettre pour choisir Barack, je pense, aidera quelques noirs à considérer ce pays avec espoir," dit-il. "Ce serait un véritable geste – un geste important. Je pense qu’il s’agira d’un coup important porté à la haine."

Cependant, dit-il, une défaite d’Obama "prouverait le bien fondé d’une grande partie du mécontentement" que les noirs Américains nourrissent.

"Ce sera la preuve d’une certaine façon, " dit-il en faisant référence au préjugé persistant. "Et cela en permettra la validation."

Certains noirs ne veulent pas imaginer à quoi ressemblerait une défaite, un peu comme Tonya Jones ne veut pas imaginer une victoire. Mais le Représentant de l’état da Pennsylvanie Jewell Williams, un Démocrate qui représente l’un des districts Africains Américains les plus importants dans le Keystone State y a un peu pensé. Cela encouragerait les noirs à faire du 5 Novembre une journée morte.

"J’encouragerais chaque Africain Américain à ne pas aller travailler," dit-il. "On aura besoin de montrer une nouvelle fois à quel point nous sommes importants. Peut-être que l’Amérique fera plus attention à nous si nous restons à la maison."

Sur le long terme, une défaite d’Obama pourrait décourager une participation politique future des électeurs noirs qui se sont enregistré pour la première fois cette année, indique Wilbur C. Rich, un expert politique du Wellesley College au Massachusetts.

La perte d’enthousiasme pourrait s’étendre au delà des nouveaux électeurs. Harris, le directeur d’école de Chicago a voté à toutes les élections présidentielles qu’il pouvait. L’homme de 40 ans aime à penser qu’il est un électeur calme et objectif. Mais il dit qu’il a pleuré lorsqu’Obama a revendiqué la Nomination Démocrate – et s’attend à une réaction cathartique semblable si le candidat l’emporte en Novembre.

Imaginer une défaite d’Obama est une autre histoire. Si cela arrive, Harris déclare qu’il abandonnera probablement l’idée selon laquelle voter peut faire la différence.

"Pour moi, ce serait la fin de tout du point de vue politique," dit-il. "Si McCain gagne, c’est fini. Je conclurais de manière définitive qu’il s’agit là d’un acte inutile."

Michael Baisden, un animateur radio populaire et supporter d’Obama, minimise un tel discours. "Je pense que les gens espèrent le meilleur, mais se préparent au pire."

richard.fausset@latimes.com

http://www.latimes.com/news/printedition/front/la-na-mood19-2008oct19,0,1391328.story