L’insignifiant
La dernière opposition illustre assez joliment la question
« d’en avoir ou pas », la problématique du phallus.
Est-ce l’opposition ivoire-ivoirien qui déclenche une dérive
dont l’affleurement ultime, les nuits blanches, ouvre l’accès
à la satisfaction substitutive, névrotique, du désir infantile ?
N’est-ce pas le zéro (place vide, manque, trou, béance) qui
introduit une pesanteur, un déséquilibre entraînant à son tour
l’oscillation d’une mécanique signifiante ?
Astrid Regina
Une jeune femme avait entrepris une psychanalyse, après une
dépression, en raison d’angoisses fréquentes et de vécus
d’étrangeté, d’irréalité.
Son histoire, dramatique, peut se résumer ainsi : sa mère, exdemi-
mondaine, alcoolique, l’avait étroitement associée à sa
vie mouvementée. Changements d’hommes, changements de
pays sur fond d’ivresses et de tentatives de suicide. Dès son
plus jeune âge, la patiente avait materné sa mère, la lavant de
son vomi lors de ses cuites, de son sang lorsqu’elle se tailladait
les poignets. Tout cela sans jamais protester, sans le
-nuit
-noir
-sommeil
-bête
-mauvais
-patronyme africain
-ivoirien ébène
À mon fils Serge
Loi de l’Univers et du Livre. « Ce qui arriva était arrivé depuis longtemps. »
(Edmond Jabès, Postface à L’arrêt de mort de Maurice Blanchot, Gallimard, 1948.)
« Mon berceau a de ma tombe, ma tombe a de mon
berceau : mes souffrances deviennent des plaisisirs,
mes plaisirs des douleurs, et je ne sais plus, en achevant de lire
ces Mémoires, s’ils sont d’une tête brune ou chenue. »
(Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, avant-propos, Gallimard, 1951.)
DANS UN MONDE HUMAIN, TOUT EST SIGNIFIANT. Lorsque le
langage saisit l’homme, il ne le lâche plus.
Lacan a assurément raison : le langage est la condition de
l’Ics, et de la folie.
L’Ics est structuré comme un langage. Le
sujet est parlé, à son insu, par le langage.
On connaît l’anecdote du sauvage qui tourne et retourne une
échelle dans tous les sens, sans saisir le moyen d’en user pour
s’élever. Pour lui il n’y a pas de Signifiant échelle, dès lors il
n’y a pas d’échelle. Et pourtant, elle tourne, l’échelle !
Lacan a assurément raison. Encore faut-il savoir ce qu’est le
Signifiant et ce qu’est le langage.
L’Empereur de Chine
Dans La Cendre et la Foudre, Frédérick Tristan (1982) nous
conte l’origine légendaire de la Société secrète du Ciel et de
la Terre, ou Société de la Grande Triade : la Loge fondatrice
des Hong.
À l’avènement de la dynastie mandchoue des Qing, cinq
moines bouddhistes, détenteurs du sceau sacré des empereurs
Ming, font le serment de renverser l’usurpateur et de restaurer
l’ancienne dynastie. De nuit, ils placardent, dans les villages,
un appel à la révolte. En voici le contenu :
« Habitants des neuf provinces, les cinq rescapés du massacre
de Shiu Lam vous saluent !
Depuis trois années, l’Empire
n’est plus au centre.
Le Suprême milieu s’est perdu. Nous,
gardiens du sceau sacré de la divine Bodhisattva Guan Yin,
proclamons que l’aîné des officiers majeurs, descendant des
mandchous, qui actuellement usurpe le pouvoir et la fonction
du trône impérial, doit être considéré comme traître à
l’Empire. Son pouvoir est indigne. Il répand la souffrance et
la mort. Sa fonction est un travesti.
Elle parodie la justice. Le
ciel et la terre sont séparés.
Habitants des neuf provinces, soulevez-vous contre le Quig
comme vous le feriez contre un adversaire étranger ! Les
moines du monastère de Shiu Lam ont repoussé les Éleuthes.
Ils repousseront le Qing au nom de l’empereur Ming dont ils
ont reçu le Sceau. Que la lune et le soleil resplendissent, et les
sept astres !
Que la guerre nettoie la Chine et ramène la
paix ! »
Que viennent ici faire le suprême milieu, le ciel et la terre, le
soleil et la lune et les sept astres ? Sont-ils un hommage au
beau livre de Viderman (1977) Le céleste et le sublunaire ?
Sont-ils une licence poétique ou un exemple de ce style vif et
concret qui fait tout le charme des romans chinois ?
Il n’en
est rien. Ces images sont prescrites par la lettre du texte
chinois.
L’insignifiant
La Chine, c’est ZHONG GUO, littéralement
l’empire du milieu. L’usurpation du trône impérial par les
Mandchous, peuple des confins, « décentre » donc l’empire.
L’idéogramme WANG = empereur, figure « celui (trait
horizontal intermédiaire) qui unit (trait vertical) la terre et le
ciel (traits horizontaux inférieur et supérieur) ».
L’abolition
du souverain légitime « désunit » ciel et terre.
Le caractère MING (= 1. nom dynastique 2. éclatant,
vif, brillant 3. clair, distinct) est constitué des radicaux, ou
clefs, RI = soleil YUE = lune.
La mort du dernier
empereur Ming « obscurcit » ciel et terre.
Quant aux sept astres, il m’a été suggéré que ce sont les
étoiles de la Grande Ourse.
Le sens en serait-il que la Chine
a perdu le Nord, que l’empire est déboussolé ?
Tristan se réfère à des sources en anglais. Le message, s’il
gagne en tension poétique, perd en français une grande part
de redondance, de surdétermination dont on imagine aisément
la force d’impact dans l’original chinois.
Mais que quelque
chose de la lettre survive, quoiqu’affadi, aux traductions successives
illustre bien le concept de l’autonomie du signifiant.
C’est en effet ici l’idéogramme
– le signifiant, le code – qui
impose le contenu du message.
Celui-ci est mis en forme par
les défilés obligés du signifiant, comme le message de
Nelson, à l’escadre britannique, à l’engagement de la bataille
de Trafalgar (Mannoni 1969 p. 100). Dostoïevski
Un jeune Noir africain me consulte. Ses premières paroles
sont textuellement : « Je passe des nuits blanches ! » Un
moment de stupeur – un blanc – et je l’invite à poursuivre. Je
note :
« Depuis qu’il est tout petit, il rêve de devenir blanc. Il
méprise les Noirs.
Tout ce qui est noir est affecté d’une
valence négative, tout ce qui est blanc d’une valence positive.
Le monde en noir et blanc. Originaire de Côte d’Ivoire. Il est
ivoirien ! Son argument décisif : « Les Blancs ont l’avion ! »
La dernière opposition illustre assez joliment la question
« d’en avoir ou pas », la problématique du phallus.
Est-ce l’opposition ivoire-ivoirien qui déclenche une dérive
dont l’affleurement ultime, les nuits blanches, ouvre l’accès
à la satisfaction substitutive, névrotique, du désir infantile ?
N’est-ce pas le zéro (place vide, manque, trou, béance) qui
introduit une pesanteur, un déséquilibre entraînant à son tour
l’oscillation d’une mécanique signifiante ?
..etc
http://www.revue-chimeres.fr/drupal_chimeres/files/05chi04.pdf
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