Et si les pays africains définissaient des modèles constitutionnels originaux ? 06/01/2011



Une voie originale doit t-elle être recherchée au vu de l'échec des modèles importés ?



Par Bertrand Ulrich Mboungou




Excepté le totalitarisme, il n'est point de modèle constitutionnel qui soit indiscutablement parfait. Un modèle constitutionnel ne tient qu'à l'idéal "non avoué" de ceux qui la conçoivent. Or l'Africain "aliéné" par l'occident est réputé être incroyablement habile dans sa capacité à tirer le meilleur des insuffisances "programmées ou pas" d'un système, plutôt que d'y apporter les corrections.

Dans un régime présidentiel, on observe la nécessaire volonté des pouvoirs africains de verrouiller des parlements souvent – pourtant - sans réel pourvoir; imaginons un seul instant des législatives dans un régime parlementaire en Afrique, ce serait "une élection présidentielle" dans chaque circonscription avec autant de gbagbo vs Ouattara dans autant des circonscriptions...le vrai bordel avec chacun sa guerre dans son village, son quartier, sa ville.

De plus, qui peut imaginer un Africain se contenter d'une présidence honorifique comme en Israël ou en Allemagne? Un chef Africain sans le pouvoir "suprême", c’est impossible! Qui peut imaginer un premier ministre aller au bout de son mandat sans "secousses" au sein de sa majorité dans un régime parlementaire? Les Africains doivent cesser d'importer des modèles constitutionnels qui ne correspondent pas à leurs réalités. Nous vivons dans des républiques artificiellement "fabriquées" par notre communauté internationale bien aimée, nous n'avons pas de nations.

Imaginons un seul instant des législatives dans un régime parlementaire en Afrique, ce serait "une élection présidentielle" dans chaque circonscription avec autant de gbagbo vs Ouattara dans autant des circonscriptions...





Nous nous identifions d'abord à l'ethnie, puis à la région et enfin à la "nation"; le sens de la pyramide est inversé en occident, d'où sont originaires les modèles que nous calquons souvent à la lettre. Les Africains doivent donc avoir un rapport décomplexé avec leur attachement au clan et l’assumer. Ils doivent par conséquent identifier de grands ensembles identitaires au sein de leur république et imaginer un modèle constitutionnel qui prévoit une rotation à la tête de l'Etat.

Ce régime, nous le souhaitons présidentiel, pour les raisons citées plus haut, et inexorablement tournant. Il faut rendre l'alternance obligatoire par un mécanisme qui permet d’annihiler la tentation de la méthode "limitation, puis délimitation des mandats présidentiels". Prenons par exemple le cas brulant de la Cote d'Ivoire. On pourrait avoir une constitution qui reconnait l’existence de deux grands ensembles identitaires: le grand nord et le grand sud.

Le principe : Un originaire de chaque grand ensemble est élu à la magistrature suprême pour un mandat de cinq ans renouvelable une fois face à des adversaires également originaires du même grand ensemble. Le mécanisme : Le futur président de la République sera issu du grand sud. Seuls les candidats originaires de cet ensemble peuvent être candidats, mais le président est élu au suffrage universel pour avoir une réelle légitimité nationale et ne pas être "otage" de son ensemble d’origine ; car en cas d’une éventuelle sollicitation d’un second et dernier mandat, le président sortant à l’instar de ses adversaires "toujours originaires du même ensemble" devrait convaincre l’ensemble de la population.

Les Africains doivent identifier de grands ensembles identitaires au sein de leur république et imaginer un modèle constitutionnel qui prévoit une rotation à la tête de l'Etat



Le mandat est renouvelable une fois pour un ensemble, donc seul le président élu au début de l'alternance "des grands ensembles" peut prétendre à une réélection.

L'alternance "des grand ensembles" a lieu tous les dix ans. La constitution fixe les conditions d’appartenance à un grand ensemble pour les cas spécifiques tels que : personne née de parents originaires de différents grands ensembles ; personne née d’un parent étranger, éventuellement personne née des parents étrangers.

Ce système qui favorise un équilibre des rapports de forces au sein de nos "nations" où les peuples se vouent une méfiance source des maux les plus graves, peut être un levier extraordinaire pour consolider une démocratie africaine. Après avoir adopté des modèles importés avec un certain échec, il est temps de passer à un modèle révolutionnairement africain. Une institution telle que la FIFA a montré l’exemple en adoptant le système le moins injuste pour la désignation des pays organisateurs de la coupe du monde, sans quoi La coupe du monde ne serait jamais venue dans notre continent et nos frustrations n’auraient cessé d’être une bombe à retardement.

Crise ivoirienne : et si le régime parlementaire était la solution ? 09/12/2010



Extrait d'une conférence de Mamadou Koulibaly, prononcée en juin 2009, soulignant les avantages du régime parlementaire



Par Mamadou Koulibaly



Alors que la Côte d’Ivoire se retrouve dans une situation inédite avec deux présidents de la république, au delà de l’analyse à court terme des fléaux du combat de titans qui l’attend, on ne peut qu’orienter la réflexion sur les voies qui permettraient la limitation du pouvoir absolu qui grise les dirigeants au point de leur faire oublier qu’ils ne sont que les serviteurs de leurs populations.

Mamadou Koulibaly, Président d’Audace Institut Afrique a toujours été un fervent défenseur du régime parlementaire en Afrique. Voici un extrait de l’une de ses conférences prononcée lors du cinquantième anniversaire de l’Ordre des Avocats de Côte d’Ivoire à Yamoussoukro, le 24 juin 2009. Son analyse est tout à fait d’actualité.

On comprend pleinement que les théories ne se limitent pas au cercle restreint des intellectuels mais qu’elles ont des débouchés pratiques dans la vie d’un pays.






Texte de Mamadou Koulibaly (prononcé le 24 juin 2009)



Mamadou Koulibaly




Le régime parlementaire, découvert par les anglais il y a plus de trois siècles, s’est plus facilement exporté et a eu plus de succès dans les pays pauvres et en développement institutionnel. C’est le modèle de gouvernement de Westminster découvert en Grande Bretagne qui a remarquablement passé l’épreuve du temps et des latitudes. Les pays, à populations hétérogènes, pauvres, sortant de la colonisation, éloignés de la culture occidentale et sous tensions politiques, ont eu très souvent à adopter ce modèle pour assurer une relative stabilité et un progrès effectif. Cela a été le cas de l’Inde depuis 1947 et du Japon depuis 1945.

Les pays, à populations hétérogènes, pauvres, sortant de la colonisation, éloignés de la culture occidentale et sous tensions politiques, ont eu très souvent à adopter ce modèle pour assurer une relative stabilité et un progrès effectif. Cela a été le cas de l’Inde depuis 1947 et du Japon depuis 1945(...) le modèle parlementaire est clair, simple et il établit une entente totale entre le gouvernement et la majorité parlementaire



Mamadou Koulibaly

Ce modèle est clair, simple et il établit une entente totale entre le gouvernement et la majorité parlementaire. Le pouvoir d’Etat est simplement exercé par le leader ou le dirigeant du parti qui dégage la majorité au parlement. Tant que la politique menée par le gouvernement est conforme au programme sur lequel la majorité a été élue, tout se passe bien. Le Président, ou le Premier Ministre, selon l’appellation qu’on lui donne, est d’abord lui-même un élu et la plupart des membres du gouvernement sont, eux aussi, des députés.

A titre d'illustration regardons les expériences d'Haïti et de la Jamaïque. Dans le premier pays, à l’indépendance, l’on a fait le choix de régimes présidentiels puis il s’en est suivi une succession de coups d’Etat et de dictatures pour laisser aujourd’hui une situation d’incertitude avec des Institutions fragiles. Le modèle a tourné à l’illusion.



Le président haïtien René Préval et l'ex premier ministre de Jamaïque Portia Simpson Miller © dailylife.com




A côté, la Jamaïque a adopté un régime parlementaire sur le modèle de Westminster et depuis, la démocratie fonctionne sans heurts, les partis transcendent les clivages sociaux ainsi que l’alternance au pouvoir. Les tensions ethniques et les difficultés économiques sont mieux amorties et canalisées.

Toutefois, le seul choix du régime ne suffit pas pour définir le cadre du jeu des partis politiques. Un complément absolument déterminant est le mode de scrutin qui peut soit dénaturer le régime parlementaire, soit faire évoluer le régime présidentiel. Le mode de scrutin devrait être le scrutin majoritaire à un tour pour permettre à une majorité d’avoir le pouvoir de décision. Les consensus politiques ont largement montré leurs limites sur le continent. La mission de l’opposition étant dans le contrepoids et non dans la décision

Il est du devoir des élites africaines de se donner de bonnes institutions constitutionnelles. Les politiciens doivent être conscients de leur responsabilité. La nature du pouvoir est plus importante que la personne qui l’exerce



Mamadou Koulibaly

En Afrique, on doit se méfier des régimes qui veulent un pouvoir exécutif fort avec un suffrage universel direct. Le régime parlementaire combiné avec le scrutin majoritaire à un tour, est plus efficace et moins dangereux pour la démocratie et l’Etat de droit. Il est du devoir des élites africaines de se donner de bonnes institutions constitutionnelles. Les politiciens doivent être conscients de leur responsabilité. La nature du pouvoir est plus importante que la personne qui l’exerce.



© lefaso.net




En Afrique, la classe politique devrait prendre conscience du fait que l’opposition fondamentale ne demeure pas dans la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire mais entre gouvernement à pouvoir limité et gouvernement à pouvoir absolu. Comme le dit le professeur Jean-Philippe Feldman, avocat à la Cour de Paris, "lorsque le pouvoir est absolu, le gouvernement est oppressif ; lorsque le pouvoir est limité le gouvernement est libéral". Quand on sait que tout pouvoir absolu corrompt, il y a lieu de s'en méfier pour ne pas hypothéquer l’avenir des générations futures.

Le fait de se voir confier un mandat public ou la gestion d'une administration d'Etat n’autorise pas à violer les droits et les libertés des citoyens. En tant que serviteurs, les dirigeants doivent au contraire les protéger.Hayek résume cette philosophie en des termes on ne peut plus clairs "le problème essentiel n’est pas de savoir qui gouverne, mais ce que le gouvernement a le droit de faire".

L’analyse des différents modèles constitutionnels montre que cette conception parlementaire est la plus adaptée à la voie de progrès souhaitée pour l’Afrique. Le modèle de Westminster reste le modèle de référence. Plus les régimes s’en rapprochent, mieux la démocratie et l’état de droit fonctionnent. Plus ils s’en éloignent, plus la démocratie fonctionne mal.

Le Professeur Mamadou Koulibaly est directeur de l’Audace Institut Afrique.

Publié en collaboration avec

www.UnMondeLibre.org

Note de Grioo.com :

Mamadou Koulibaly est également président de l'assemblée nationale de Côte d'Ivoire, et membre du FPI, le parti de Laurent Gbagbo. Il n'était pas présent lors de la cérémonie d'investiture de ce dernier, le samedi 4 décembre, sans que l'on en sache, pour l'instant, les raisons

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