G8 et dette : des priorités inversées
Par mrafrican88, jeudi 7 juillet 2005 à 16:38 :: Général :: #255 :: rss
A la Une des journaux occidentaux le weekend dernier figurait LIVE 8, une série de concerts simultanés dans plusieurs villes occidentales. Tenus tout juste quelques jours avant le sommet annuel du G8, ces concerts visaient à éveiller les consciences sur le besoin pressant de résoudre la dette qui accable terriblement la majorité des pays africains. Pour nous, l'aide est toujours la bienvenue, mais le moment est mal choisi.
La question de la dette est un sujet de division aussi bien en Occident que chez nous.
Pour commencer, il existe une vraie-fausse controverse sur le choix de mots : faut-il parler d'"annulation" ou de "pardon"?
Il y a d'une part les sceptiques chevronnés pour qui l'Afrique est le probleme des Africains, et "pardonner" leur dette ne servirait à rien, sinon gacher des ressources que les gouvernements occidentaux pourraient mieux utiliser ailleurs.
Souscrivent également à cette école les Afro-pessimistes, pour qui la cause du continent est perdue depuis belle lurette. Et comme invité-surprise à ce point de vue s'ajoute la famille des quémandeurs - la plupart des dirigeants africains.
Selon l'entendement de ces derniers, seul un "pardon" pourrait aider le continent à sortir de l'actuelle impasse economique.
A l'école de l'"annulation" souscrivent en premier lieu les idéalistes du "droit" à l'aide. Il s'agit d'un conglomerat mixte comprennant aussi bien des Africains que des Occidentaux. Pour eux, l'Afrique endettée d'aujourd'hui n'est que le résultat d'un colonialisme aux allures génocidaire suivi d'ingérence néo-colonialiste ancrée dans un racisme patent. Il s'agit, pour cette école, de mettre fin à ce que l'ONG Oxfam appelle "la dette odieuse". En d'autres termes, annuler la dette ne serait que faire justice au continent des Noirs.
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Pour nous, nul besoin de s'attarder sur des details sémantiques. Le fait est que l'Afrique est en dette, et sans aide elle ne saurait s'en sortir. Les vraies questions sont: sous quelle forme livrer cette aide? et est-ce le moment opportun?
Jacques Chirac avait proposé une taxe internationale basée sur le transport aérien. Mais plusieurs pays se sont opposés à ce qui apparaissait comme une sorte de mesure à la Robin-des-Bois. En partie parce que l'idée d'une taxe transnationale semblait porter atteinte à l'orgueil nationaliste, mais aussi parce que cela semblait supposer une conscience chargée pour les Occidentaux. Le projet a plus ou moins accouché d'une souris.
Vint ensuite Tony Blair qui, pour sa part, a proposé une annulation de la dette amortie par la liquidation d'une partie des réserves d'or du FMI et/ou de la Banque Mondiale. Il a également suggéré que l'Occident augmente le budget consacré a l'aide africaine pour atteindre environ 50 milliards de dollars en quelques années.
Beaucoup de pays considerent avec respect la proposition de la Grande-Bretagne - qui du reste acceuille les participants au sommet de Gleneagles, au rang desquels figurent certains présidents africains, tel que l'Honorable Thabo Mbeki. Le seul probleme, c'est que les Etats-Unis n'y sont pas favorables.
George Bush fils a concu un projet dénommé Millenium Challenge Account. Il s'agit d'un compte sous lequel seront allouées les ressources consacrées a l'assistance des pays d'Afrique répondant à certains criteres.
Deux problemes se posent: premierement, le caractere unilatéral du projet (les fonds seront gérés par une agence americaine, Millenium Challenge Corporation); deuxiemement, les fonds sont limités (rien à voir avec les 50 milliards proposés par Blair). En fait, le seul mérite du projet americain, c'est qu'il a été proposé par ce qu'un certain francais avait appele une "Hyperpuissance".
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AU DELA DU CHARABIA
Le premier fait à reconnaitre, c'est que l'aide - et partant l'annulation de la dette - n'est ni un droit ni un privilege, et encore moins un devoir. Il s'agit simplement d'un geste d'humanité, et en tant que tel, il serait mal placé de vouloir imposer un taux "acceptable" ou de la juger de "dérisoire". Un don est un don.
Deuxiemement, comme l'a souligné Stephen Smith du journal Le Monde (cf. 'NEGROLOGIE' aux editions Calmann-Lévy), la charité sert beaucoup plus le donneur que le récipiendaire. (Soulignons en passant que selon CNN, Bob Geldof, le chanteur irlandais qui a organisé LIVE 8, vient d'etre mis sur la liste des potentiels lauréats du Prix Nobel de la Paix...)
Troisiemement, le principe de "conditionalité" est inévitable. Il est raisonnable a quiconque donne son argent de préciser, au minimum, ce pour quoi cet argent ne devrait PAS etre utilisé. L'ennui c'est que entre humains, la tentation de s'ingérer est trop forte.
Quatriemement, il n'y a pas une Afrique, mais bien au contraire une mosaique africaine, aussi bien au niveau intra-étatique (le niveau de vie n'est pas le meme entre Bobo et Ouaga), que d'un pays a un autre (cf. Ethiopie v. Guinee Equatoriale)...
Enfin -et c'est tres important- l'aide n'est pas une panacée. Presque par définition, elle est censée servir de supplément; or, ici plusieurs dirigeants africains en font plutot la fondation de leur politique de developpement. C'est la une erreur tres grave.
Notre suggestion, c'est que l'Afrique procède d'abord a un nettoyage interne. L'aide la plus généreuse du monde, sans mesures préalables dans le sens de la bonne gouvernance, finira dans les comptes en Suisse ou dans des projets surréalistes dans le genre Basilique de Yamoussoukrou.
Bon nombre de nos pays sont sous une misère injustifiable. Et a l'école des injustifiables, le brassard est porté par un certain Mswati III, monarque absolu du Swaziland.
On apprenait il n'y a pas si longtemps que ce potentat multigame a dépensé des millions d'Emalangeni dans des BMW dernier cri, alors que ses concitoyens croupissent. De tels caprices sont intolérables, et contribuent a renforcer des stéréotypes du genre "mission civilisatrice".
Que chaque pays donc procede a du nettoyage interne. Il faudra d'abord convoquer "les états généraux du dévéloppement", dont le but sera d'inventorier les priorités réelles de chaque pays (éducation, santé, emploi, etc.), ainsi que les moyens REALISTES de les atteindre dans des délais tout aussi réalistes.
La deuxieme etape consistera a instaurer ce que certains ont appelé le regne de "la méritocratie", en d'autres termes, l'homme qu'il faut a la place qu'il faut.
Ce n'est qu'une fois ces conditions réunies, et seulement si elles le sont, qu'un Plan "Blair" (désolé, Marshall) serait le bienvenu.
Quant a l'aide pour le developpement, elle serait mieux mise à profit si elle allait non pas aux gouvernements, mais bien au contraire aux entrepreneurs africains, de preference aux femmes.
Une annulation de la dette - totale ou partielle - dans les conditions actuelles ne pourra au mieux que permettre de gagner quelques années d'un semblant de vache grasse, apres quoi la sécheresse habituelle frappera dur comme fer. Et cette fois, pas meme Allah viendra a la rescousse.
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