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Onirologie afrocentrique

 
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OGOTEMMELI
Super Posteur


Inscrit le: 09 Sep 2004
Messages: 1498

MessagePosté le: Sam 24 Sep 2005 22:48    Sujet du message: Onirologie afrocentrique Répondre en citant

Djibril SAMB, « L’interprétation des rêves en Afrique noire (La Sénégambie) », éd. Ediphis, Bruxelles, 2004, 498p.

Pour écrire ce livre, le professeur Djibril SAMB a exploité environ 5000 documents et manuscrits ; constitué et traité un corpus de 500 rêves recueillis en Sénégambie. Une immense érudition, une très grande rigueur analytique et méthodologique. Ce livre est à ranger parmi les plus grandes œuvres intellectuelles négro-africaines contemporaines ; aux côtés des « Nations nègres et culture », « La philosophie africaine de la période pharaonique », « De l’origine égyptienne des Peuls », etc.

Cette recherche de longue haleine, qui lui a pris dix ans, aboutit à la fondation, sinon à la consolidation, d’une nouvelle discipline scientifique des études africaines : l’onirologie afrocentrique, c’est-à-dire l’étude scientifique de l’interprétation des rêves selon les pratiques et traditions onirocritiques négro-africaines. L’auteur ne parle pas expressément « d’onirologie afrocentrique », mais je crois pouvoir tirer une telle conséquence du travail colossal par lui effectué, selon les procédures académiques les plus orthodoxes. En tout cas démonstration est faite par le professeur SAMB qu’il existe une tradition africaine millénaire de l’interprétation des rêves, avec ses méthodes et procédures spécifiques, attestée depuis Kemet jusqu’en Sénégambie. Et que cette tradition se fonde sur une conception endogène du monde, particulièrement du rêve, qui la distingue nettement des traditions onirocritiques bibliques et coraniques, entre autres.

De ce point de vue, cette étude constitue une énième pièce probante à verser au crédit de la négro-africanité de Kemet, en révélant des « similitudes frappantes entre l’anthropologie et l’onirologie de l’Egypte antique et celles de la civilisation sénégambienne, sans qu’on puisse, au demeurant, en conclure à une quelconque influence de l’une sur l’autre. » (p8 ) Néanmoins, il faut souligner qu’elle ne s’inscrit pas explicitement dans cette optique ; les préoccupations de l’auteur résidant plutôt en ceci : « l’étude de l’interprétation traditionnelle des rêves constituait une voie d’accès privilégiée à la connaissance de l’imaginaire collectif, de la culture qui le sous-tend, et notamment des paradigmes qui modèlent de nombreuses pratiques sociales. » (p7)

La conception moderne/occidentale du rêve le tient pour une réalité psychologique subjective ; comme l’activité paradoxale du cerveau au repos d’un individu. Pour les Africains, le rêve est l’expérience réelle des pérégrinations diurnes ou nocturnes des âmes échangeant les unes avec les autres. En effet, « l’homme se définit comme un composé de corps et d’âme [… laquelle…] peut mener une vie autonome en se libérant du carcan corporel. » (pp88-91) Ce qui se dit également « Sayaa te nii ban », ou « la mort n’épuise pas l’âme ». Certes, la réalité onirique ne se situe pas au même plan que la réalité physique. Mais le rêve est une dimension amatérielle du réel. D’ailleurs, il n’y a pas d’un côté un monde réel, et de l’autre un monde onirique. Il y a que le monde est simultanément physique et imaginaire ; le rêve étant ce qui distingue et relie ces dimensions.
Pour le professeur SAMB, « les rêves se sont toujours situés au centre de la vie sociale, culturelle et religieuse, de toutes les sociétés humaines connues, quel que soit leur degré de complexité. » p17 En sorte que l’onirologie est une voie d’accès particulièrement pertinente à la connaissance approfondie desdites sociétés : « le rêve est certainement le fait mental qui permet le mieux de connaître les ressorts profonds de la mentalité populaire, son imaginaire, et les diverses représentations collectives ou individuelles. » (p77)

L’importance concrète du rêve dans les sociétés négro-africaines peut être appréhendée de diverses manières. La venue au monde d’un homme exceptionnel est souvent annoncée en rêve. Le choix de l’emplacement d’un nouveau village, ou d’un autel du culte des ancêtres, peut être déterminé à partir d’un rêve. La décision de faire ou de ne pas faire la guerre peut être prise à la suite d’un rêve. Telle thérapie peut être appliquée par un médecin traditionnel, après l’avoir « vue » en rêve. Un commerçant peut décider de s’engager ou non dans telle affaire, à la suite d’un rêve. En somme, tous les domaines de la vie collective et individuelle sont concernés par le rêve. Or si l’expérience onirique tient une telle place prépondérante, alors on comprend à quel point l’interprétation des rêves est une activité sérieuse ; dont l’apprentissage et la maîtrise requièrent souvent de longues études auprès de nombreux maîtres. Toutes choses qui attestent indéniablement d’une véritable tradition onirocritique, dont il urgeait d’entreprendre une étude approfondie comme celle du professeur Djibril SAMB. En effet, les grands savants onirocrites traditionnels sont de moins en moins nombreux, emportant outre-tombe, les uns après les autres, leur science ancestrale. Si l’on ne veut pas perdre à jamais un aussi précieux patrimoine culturel et scientifique, il faudrait multiplier les initiatives visant à en hériter des derniers survivants. Des cursus universitaires africains pourraient être dédiés à l’onirologie afrocentrique, afin de fructifier un tel héritage. « Aussi longtemps que l’anthropologie continuera d’ignorer les faits oniriques, elle se condamnera à n’avoir qu’une compréhension étriquée des problèmes humains ». (p287)

Il reste encore quelques personnes pour considérer que la rareté relative de documents écrits anciens en Afrique constitue un handicap rédhibitoire pour connaître la civilisation africaine. Mais outre une exploitation de plus en plus féconde de la riche documentation orale, et un traitement très fructueux du matériau linguistique ; voici que Djibril SAMB propose une autre voie de connaissance de l’Afrique, par le biais du rêve et des techniques/procédures africaines de son interprétation. La seconde partie du livre consiste en une foisonnante clef africaine des songes, prélude au « Dictionnaire universel des songes » que l’auteur projette d’écrire.



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ARDIN
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Inscrit le: 22 Fév 2004
Messages: 1863
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MessagePosté le: Dim 25 Sep 2005 04:11    Sujet du message: Re: Onirologie afrocentrique Répondre en citant

Salut Ogo!

Connais tu un site ou ce livre est en vente?
Je viens de tenter le site de la fnac.fr, amazon.fr, alapage.com, chapitre.com, rien du tout!

Merci si tu as des infos.
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OGOTEMMELI
Super Posteur


Inscrit le: 09 Sep 2004
Messages: 1498

MessagePosté le: Dim 25 Sep 2005 04:57    Sujet du message: Répondre en citant

ARDIN a écrit:
Salut Ogo!
Connais tu un site ou ce livre est en vente?
Je viens de tenter le site de la fnac.fr, amazon.fr, alapage.com, chapitre.com, rien du tout!

Je me le suis fais envoyé directement du Sénégal, où il vaut environ moitié moins cher qu'en France (à peu près 40€ à Paris). Il me semble que tu le trouveras à Anibwé ; à moins que tu le fasses commander par une boutique FNAC, puisque la maison de co-édition est à Bruxelles.
Voilà, j'espère que tu pourras te le procurer : c'est vraiment du très très lourd.

Au départ je voulais en faire une note de lecture, mais ce livre est tellement riche et dense que cela m'aurait pris trop longtemps. Or, comme j'avais hâte d'en parler aux grioonautes, je me suis contenté d'en faire une rapide présentation, en insistant sur ce qui pour moi constitue une importante innovation épistémologique : aller à la rencontre des Africains et de leur civilisation en étudiant leur conception du rêve et leur science de l'interprétation des rêves. Science, au demeurant, qui se serait progressivement ensévélie à jamais. Ce qu'a fait Djibril SAMB est comparable au travail d'un archéologue passionné ET COMPETENT qui fouille un site richissime avant qu'il ne soit détruit par une construction moderne, par exemple un barrage hydraulique, comme en Egypte, et bientôt à Méroé (?)...

Je me disais que si deux érudits africains de son niveau (qui est vraiment le top : d'ailleurs son travail a reçu une distinction académique, le PRIX NOMA) s'emparaient enfin, chacun de son côté, de la question du Yovodah, en vue d'édifier tant de millions de Nègres en quête de leur histoire, les pitreries de la Grenouille et de ses épigones grioonautes seraient plus efficacement circonscrites...
Imaginons, un petit instant, qu'un mécène africain finance une telle recherche conduite par des universitaires de la trempe de SAMB ; en lieu et place des ectoplasmes qui nous (des)servent d'Etat...
Patience, ce travail finira bien par être accompli, sinon par la génération des SAMB, au moins par celle de leurs enfants et/ou petits frères.

P.S. J'envisage de poster des extraits du bouquin, s'il rencontre quelque intérêt ici...
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lolo
Grioonaute


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MessagePosté le: Dim 25 Sep 2005 08:18    Sujet du message: Répondre en citant

Les éditions menaibuc vendent ces livres.
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lolo
Grioonaute


Inscrit le: 16 Sep 2005
Messages: 34

MessagePosté le: Dim 25 Sep 2005 08:35    Sujet du message: Répondre en citant

Vous avez des failles les gars !

Avez-vous oublié qu'il y a des librairies, des maisons d'édition dédiés à la culture noire . La conscience c'est aussi ça, les gars ! ça craint du boudin
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Nino
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Inscrit le: 05 Mar 2004
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MessagePosté le: Dim 25 Sep 2005 10:38    Sujet du message: Répondre en citant

lolo a écrit:
Les éditions menaibuc vendent ces livres.

http://www.menaibuc.com/rubrique.php3?id_rubrique=1
Je ne trouve pas ce livre ici http://www.menaibuc.com/rubrique.php3?id_rubrique=1
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Mon blog: http://nino.akopo.com
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manocry
Grioonaute 1


Inscrit le: 15 Juin 2005
Messages: 108

MessagePosté le: Lun 26 Sep 2005 09:37    Sujet du message: Répondre en citant

Très intéressant, en effet j'aimerais bien voir comment il gère ça de façon rationnelle.
Je pense sincèrement que c'est une nouvelle aventure qui commence Wink
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La vérité est comme une étincelle, quand elle jaillit au milieu des pailles, elle embrase tout.
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Soundjata Kéita
Super Posteur


Inscrit le: 06 Mai 2005
Messages: 1655
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MessagePosté le: Lun 26 Sep 2005 09:51    Sujet du message: Répondre en citant

Lu sur Africamaat :

Citation:
2005-09-25 18:22:28 par AKOMELA

Selon Les Enseignements de Nos Ancêtres Luba,l’Être Humain(Muntu)est fait d’un Double-Entier. Ce Double-Entier est fait de Trois Parties :

1°)L’ESPRIT 2°)LE DOUBLE 3°)Le FANTÔME

Or,toujours selon Les Enseignements de Nos Ancêtres,quand nous rêvons,c’est notre Double qui agit. Quand nous faisons un Sacrifice(Boissons,nourriture)à Nos Ancêtres,c’est à Leur Double que nous le faisons. Quand Nos Ancêtres nous interpellent dans nos rêves,c’est par l’entremise de leur Double.


http://www.africamaat.com/article.php3?id_article=403


Hotep, Soundjata
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La vérité rougit l'oeil, mais ne saurait le transpercer


Pour la Renaissance du Gondwana
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Soundjata Kéita
Super Posteur


Inscrit le: 06 Mai 2005
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MessagePosté le: Lun 26 Sep 2005 09:58    Sujet du message: Répondre en citant

A L'ECOUTE DE DJIBRIL SAMB, DIRECTEUR DE l'IFAN
PRIX NOMA 1999





L'interprétation des rêves dans la région sénégambienne
Un entretien avec Djibril Samb,
proposé par Jean-Marie Volet


The University of Western Australia

(Cette interview a été réalisée à Perth lors de la remise du Prix Noma 1999)

Professeur Djibril Samb est le Directeur de l'Institut Fondamental d'Afrique Noire de Dakar. Philosophe, platonicien et un spécialiste de la Grèce antique, il est également un fin observateur de la culture sénégalaise et a obtenu le Prix Noma pour son ouvrage L'interprétation des rêves dans la région sénégambienne (Nouvelles Editions Africaines du Sénégal, 1998, 500p.)

L'interprétation des rêves dans la région sénégambienne
Allocution du Professeur Samb lors de la remise du Prix Noma
Ouvrages de Djibril Samb - Remise du prix (photo)




--------------------------------------------------------------------------------

Professeur Samb, vous êtes le Directeur de l'Institut fondamental d'Afrique noire de Dakar et vous venez de gagner le Prix Noma pour votre ouvrage sur L'interprétation des rêves dans la région sénégambienne. Que signifie "le rêve" au Sénégal ?

Question bien difficile. Je ne vous donnerai sûrement pas une réponse complète ni vraiment satisfaisante, puisque mon travail a consisté moins à définir le rêve qu'à le décrire en partant de l'idée commune que l'on se fait des rêves, c'est-à-dire une vision qui intervient pendant le sommeil. Le Sénégambien considère que, pendant le sommeil, l'âme s'échappe du corps et mène un certain nombre d'activités. Ce sont ces activités que nous voyons dans nos rêves.

Dans quelle mesure cette conception du rêve est-elle très différente de la vision européenne qui a été fortement influencée par Freud par exemple.

Pendant très longtemps, la vision européenne a été semblable à la vision africaine du monde. Les conceptions des rêves que vous avez chez Homère, par exemple, sont assez proches, finalement, des conceptions sénégambiennes. Vous voyez que dans l'Iliade, dans l'Odyssée, il y a des rêves dans lesquels le rêveur se présente comme l'envoyé de Dieu, et le rêve est considéré comme ayant une signification ou un sens prémonitoire. C'est à partir d'Aristote, vraiment, qu'il y a une conception positiviste des rêves. La conception traditionnelle des rêves, en Grèce, se dissipe au contact du positivisme aristotélicien. Bien entendu, beaucoup plus tard, Freud donnera un autre système d'interprétation des rêves qui, dans son principe, rompra fondamentalement avec toutes les visions traditionnelles, qu'elles soient européennes ou africaines.

Où vous situez-vous par rapport à ces nouvelles visions freudiennes du rêve ?

Je ne me situe pas par rapport à la vision freudienne. Je suis dans la position du chercheur qui décrit une réalité et qui essaie d'amasser le maximum de connaissances sur celle-ci. Il s'agit du rêve dans la région sénégambienne. Je travaille sur une région limitée, parce qu'on a vite fait de mélanger les choses et d'oublier que je ne travaille pas sur l'Afrique noire dans son ensemble, mais uniquement sur une partie de l'Afrique noire, la région sénégambienne. J'essaie de décrire avec le maximum de précision et de détachement le rêve tel qu'il est vécu par les populations sénégambiennes, toutes ethnies confondues. J'essaie de mettre en évidence la pratique du rêve dans cette région parce que, figurez-vous, il y a une pratique du rêve, une véritable culture du rêve en Sénégambie. J'essaie de la décrire, de cerner le rêve dans ses relations avec les différentes activités sociales et politiques, avec la mort, la folie et la démonologie traditionnelle. C'est un travail strictement scientifique, au sens où il s'agit de décrire ce qu'on voit, d'accumuler un certain nombre de connaissances et d'affiner notre compréhension des choses.

Vous avez donc rencontré un très grand nombre de rêveurs et vous avez essayé de décrire ce qui se passait lorsqu'ils rêvaient. Comment vous y êtes-vous pris pour rassembler tous ces documents ?

J'ai fait des enquêtes de terrain. D'abord, il faut rappeler que, pour moi, la Sénégambie, au sens où elle est prise dans ce travail, regroupe uniquement le Sénégal et la Gambie dans leurs frontières officielles. J'ai sillonné huit des dix régions administratives du Sénégal actuel et j'ai ciblé toutes les ethnies vivant dans la région sénégambienne. Je suis parti avec un questionnaire qui est d'ailleurs joint à l'ouvrage qui vient de remporter le Prix Noma. J'ai interrogé des gens, j'ai recueilli des rêves, des contes et des légendes dans lesquels il y avait des rêves. J'ai interrogé les représentants qualifiés de ces différentes ethnies sur leur conception de la personne, de l'âme, du corps, de la démonologie, de la mort. Cela m'a permis de rassembler les informations de première main sur lesquelles repose mon travail.

Votre travail ne se limite donc pas au rêve qu'on oublie le matin dès qu'on se réveille. Il décrit aussi la manière dont les gens vivent jour après jour ?

Le point de départ de la description, c'est le rêve. Je prends les choses à partir du rêve. C'est comme s'il s'agissait de percevoir le monde à partir du rêve et, à partir de ce moment-là, si j'ose dire, ça va dans toutes les directions. Au départ, quand j'ai entrepris ces recherches, il ne m'a pas paru, par exemple, que le rêve fût lié à la mort. Or, il se trouve que le rêve est lié à la mort, puisqu'il y a certains rêves qui constituent des signes, des indications sur la mort de telle ou telle personne. Par exemple, on peut même déterminer avec précision la ou les personnes qui vont mourir en fonction des différentes parties du corps qu'on verra dans des rêves particuliers. De la même manière, l'étude du rêve m'a conduit à examiner les problèmes de la folie, puisqu'elle intervient dans les rêves. L'étude du rêve m'a également conduit à étudier des problèmes d'ordre politique. Il y a dans la société traditionnelle des événements politiques liés à des rêves. Je vous citerai le cas de ce prince dont le grand-père était le roi du Cayor. Il rêvait qu'il avait combattu son grand-père et qu'il l'avait défait. Sa mère lui conseilla de ne pas en parler parce que ce rêve portait sur des questions éminemment politiques. Son oncle lui donna le même conseil, mais le prince prédit que s'il faisait le rêve une troisième fois, il s'attaquerait à son grand-père. Il fit le même rêve une troisième fois ; il s'attaqua à son grand-père, le battit et prit sa succession. Le rêve intervient également dans les processus religieux : la plupart des chefs religieux ont eu des rêves prémonitoires avant de s'engager dans une carrière sainte.
Le rêve constitue l'âme de la société. Au lieu de partir de la veille pour expliquer le rêve, je pars du rêve pour aborder la veille. Je vous donnerai un dernier exemple : les déplacements de village, qui sont quelque chose d'extrêmement important, sont parfois décidés à la suite d'un rêve. Il arrive que des villageois rêvent que la place du village est disputée au humains par des êtres non humains. Dès lors, la seule solution c'est de quitter cette place et d'aller s'installer ailleurs. Il y a des cas, connus dans la région sénégambienne, de villages qui se sont déplacés à la suite de rêves. Ils portent le nom de gént, ce qui en, wolof, est presque le même mot que celui qui signifie "rêve".

Le rêve joue donc un rôle extrêmement important dans la société sénégambienne. Mais est-ce qu'il est important pour tout le monde, est-ce que la majorité des Sénégambiens essaient d'interpréter ou de savoir ce qu'ils vont devoir faire en fonction de ce qu'ils rêvent ?

Oui, en règle générale, le rêve est une indication sur ce qui va se passer et, par conséquent, il influence les décisions, quelquefois capitales, que l'on peut être amené à prendre soi-même. Les gens tiennent compte de leurs rêves. Ils font interpréter leurs rêves par des personnes compétentes et, lorsqu'il y a lieu de prendre des mesures déclinatoires, ils décident de mesures d'accompagnement, afin que le rêve se réalise, si c'est un rêve faste, ou qu'il ne se réalise pas, si c'est un rêve néfaste. Il y a quelques années, un des plus hauts responsables religieux du Sénégal, feu El Hadj Abdoul Aziz Sy, avait demandé à tous les Sénégalais de sacrifier un poulet. Des rêveurs avaient fait le même rêve : ils avaient vu la Kabba, et sur celle-ci étaient mentionnés les noms de tous les pays, sauf celui du Sénégal. Il a donc demandé que chacun fasse le sacrifice d'un poulet, le rêve étant interprété comme une sorte de malédiction pour le Sénégal. C'est vous dire combien les rêves sont importants. On peut également citer l'exemple de Saint-Louis, ma ville natale. En 1989, l'Imam principal avait fait diffuser à la radio un communiqué demandant aux ressortissants de Saint-Louis de donner chacun dix francs CFA pour qu'on puisse organiser des cérémonies de sacrifices, parce que certaines personnes avaient rêvé que cette année-là, beaucoup d'enfants risquaient de périr noyés dans le fleuve Sénégal. Le rêve occupe une position centrale dans la vie quotidienne du Sénégambien.

Qui est en mesure d'interpréter les rêves ?

L'interprétation des rêves est une activité hautement technique ; donc, ce sont des personnes qualifiées qui peuvent les interpréter. Dans la Sénégambie traditionnelle, il y avait, en effet, des interprètes spécialisés des rêves : ils avaient aussi d'autres activités, mais ils étaient les interprètes reconnus. On s'adressait à eux lorsqu'on avait fait un rêve. Avec la pénétration de l'islam, les choses ont changé, puisque la figure du marabout a remplacé progressivement la figure du charlatan traditionnel. C'est le marabout, aujourd'hui, qui fait office d'interprète des rêves. Or le marabout combine deux interprétations : une interprétation d'extraction islamique et une interprétation autochtone. L'objet de mon travail, ce n'est d'étudier ni l'interprétation purement autochtone ni l'interprétation islamique, mais plutôt la conception et l'interprétation du rêve, telles qu'elles résultent de cette combinaison entre la culture et la civilisation autochtones, d'une part, et, d'autre part, la culture et la civilisation judéo-chrétiennes au sens large, l'islam étant évidemment une religion d'extraction judéo-chrétienne.

Dans quelle mesure les chefs traditionnels, les marabouts et toutes les personnes qui ont en charge l'âme des Sénégalais s'entendent-ils sur l'interprétation des rêves ? Est-ce qu'il peut y avoir différentes interprétations ?

Tous ceux qui interprètent le rêve ont un point commun, c'est la clé des songes. C'est cette clé qui est utilisée par tous les marabouts. Elle circule dans la Sénégambie depuis le Xe ou le XIe siècle. Pour l'essentiel, il n'y a pas tellement de divergences sur l'interprétation des rêves. Ce sont les mêmes symboles et les mêmes interprétations qui sont donnés. Les divergences peuvent apparaître surtout lorsqu'il s'agit de l'assimilation d'objet artificiel d'origine étrangère, puisque l'analogie de fonction peut jouer, mais elle n'est pas perçue de la même manière par tout le monde. Toutefois, en dehors de ces cas finalement relativement peu importants, il y a un consensus, en Sénégambie, sur l'interprétation des rêves, et c'est ce consensus que vous trouvez dans mon ouvrage, lequel repose sur l'étude d'une longue tradition.

Est-ce que vous pensez que l'interprétation des rêves joue aussi un rôle en dehors du Sénégal, en Afrique ou en Europe ?

En Afrique très certainement, puisque je me suis livré à certaines comparaisons et je suis frappé par la similitude et par l'importance constante de l'interprétation des rêves dans la vie aussi bien sociale et collective que dans la vie individuelle. En Occident aussi, quoi qu'on dise, l'interprétation des rêves continue de jouer un rôle important, puisque, de temps en temps, vous trouvez dans la presse des clés des songes populaires. L'homme a toujours été soucieux de connaître la signification de ses rêves. À tort ou à raison, il considère que le rêve est significatif et, par conséquent, qu'il annonce quelque chose. Le rêve est prémonitoire. Et puis le rêve est très important pour tout le monde, quelle que soit la conception du rêve propre à une région donnée : un homme de 60 ans, quelles que soient ses origines, c'est quelqu'un qui a dormi en principe 20 ans et qui a rêvé 5 ans.

Personnellement, est-ce que vous vous souvenez de vos rêves ? Est-ce que vous vous y intéressez ?

Je vais vous dire le dernier que j'ai fait. J'ai rêvé que, quand on est arrivé à Dakar, ma femme et moi, il fallait déballer le Prix Noma. D'habitude, c'est ma femme qui s'occupe de cela mais, dans mon rêve, c'était moi qui le déballais et tout était en morceaux. J'ai dit à ma femme : "Regarde, le Prix est en morceaux !".

Un rêve que nous n'allons pas essayer d'interpréter... Les rêves, disent certains, appartiennent au monde des sorciers. Est-ce qu'il y a un rapport entre la sorcellerie et l'étude du rêve ?

Oui, il y a un rapport étroit. La carrière de sorcier est vue littéralement dans des rêves. L'école de Dakar du professeur Colomb a montré, dans une série d'études de cas cliniques, que des personnes qui avaient été hospitalisées au CHU de Dakar développaient une carrière de sorcier dès leur enfance et faisaient des rêves dans lesquels elles se voyaient avec des ailes. Mais le sorcier agit aussi durant le rêve. Si quelqu'un dort, si son âme s'échappe et s'il ne fait pas preuve de prudence, le sorcier s'emparera de son âme et cela se passera dans un rêve. Certains chasseurs de sorciers voient précisément ce que font les sorciers dans leurs rêves, le rapport est établi.

On pourrait aussi penser à certaines danses traditionnelles conduisant à un état de "transe". Est-ce qu'il y a un rapport entre ces manifestations et le rêve ?

Dans le ndëpp, qui est la manifestation de cette nature la plus célèbre, le rêve occupe une place essentielle puisqu'il sert d'opérateur au processus thérapeutique. Il faut que le rêve du thérapeute et celui du malade coïncident pour que le processus ait des chances d'aboutir. Ensuite, le sacrifice est déterminé d'après les données du rêve fait par le thérapeute. Est-ce qu'il faut sacrifier un mouton noir ou un mouton blanc, un poulet, un boeuf ? Le rêve est au coeur même du processus thérapeutique.


Comment envisagez-vous la suite de vos travaux dans ce domaine ?

Dans deux directions : cette étude touchant à l'interprétation des rêves est la première partie d'une vaste étude de l'imaginaire sénégambien. La deuxième partie examinera la mort dans la région sénégambienne, la troisième partie la folie. Mais dans l'immédiat, je pense m'engager dans la conception d'un dictionnaire universel des songes.

Voilà l'occasion de parler de l'Institut fondamental d'Afrique noire (IFAN), dont vous êtes le Directeur. Est-ce que c'est l'endroit d'où vont partir ces nouveaux projets ?

J'espère bien, mais l'avenir est incertain. Je dirige l'IFAN et j'assume de nombreuses tâches administratives et pédagogiques. Comme vous le savez, les tâches adminis-tratives ont souvent pour effet de retarder les projets scientifiques. En tout cas, je n'ai encore que des ambitions d'ordre scientifique et, plus largement, académique.

Combien de chercheurs avez-vous à l'IFAN ?

En ce moment, nous avons 44 chercheurs.

Quelles sont les disciplines majeures ?

Presque toutes les disciplines sont représentées. Nous avons un département de sciences humaines, avec notamment des laboratoires de géographie, d'archéologie, d'histoire et de sociologie, un département d'information scientifique, de botanique et géologie avec des laboratoires de botanique et de géologie, un laboratoire de physique, un département de biologie avec un laboratoire de biologie animale et des laboratoires de zoologie, un département des langues et civilisations (linguistique, islamologie, littérature). Il faut, enfin, citer un important département des musées, qui gère les trois principaux musées du Sénégal. Nous avons presque toutes les disciplines à l'exception notamment des mathématiques et de la médecine. Mais nous souhaitons en ouvrir bien davantage et, pour ce faire, nous réformer.

Etes-vous indépendant de l'université ?

Nous sommes un établissement public autonome au sein de l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Nous sommes dotés de la personnalité morale. Ce qui veut dire que l'IFAN a son propre budget. Le directeur de l'IFAN est l'ordonnateur de son budget, l'administrateur des crédits. L'IFAN peut faire tout ce que les établissements publics autonomes peuvent faire en vertu des lois et règlements en vigueur.

Il y a beaucoup de professeurs européens et américains qui s'intéressent à l'Afrique, qui l'observent sous toutes ses coutures. Vous qui êtes à la tête d'un grand centre de recherche africain, pourriez-vous nous dire comment on voit le futur de la recherche depuis l'Afrique ? Que voyez-vous se profiler à l'horizon en ce début de millénaire ?

Ce que je vois, c'est un grand effort d'intégration de la recherche à l'échelle mondiale. Il sera impossible de cloisonner la recherche dans des pays ou dans des régions, en raison du développement des prouesses technologiques de l'information. Chacun sait ce qui se fait dans le monde au même moment et, par conséquent, les échanges d'informations scientifiques iront plus vite, les publications elles-mêmes vont devoir s'adapter et, sans abandonner leurs formes traditionnelles, adopter de nouvelles formes, notamment par le Net. Cela permettra de mettre à disposition très rapidement les publications, d'organiser sur le Net des débats scientifiques, d'envisager donc de façon plus systématique les échanges entre les chercheurs du monde entier et, dans ce cadre-là, les chercheurs africains et les centres de recherche africains se comporteront comme tous les chercheurs et tous les centres de recherche du monde.

Vous parlez de globalisation mais est-ce qu'il n'y a pas le risque de perdre ce qui est propre à chaque culture ? Est-il possible d'envisager un Européen faisant le même genre de recherche sur le rêve que vous ?

Je crois qu'un Européen aurait été capable de faire le même travail. Parce qu'après tout, moi qui ai fait ce travail-là, je le dis dans l'avant-propos, c'est un regard occidental que j'ai jeté sur ma société. Je suis platonisant de formation, donc sur le plan académique, je suis au coeur de la culture, de la civilisation occidentale, puisque je m'occupe de ce qui est à la source même de la culture et de la civilisation occidentales. En faisant un effort important sur moi-même, j'ai pu surmonter certains écueils qui sont liés à l'organisation même du savoir en Afrique. En Occident, si vous savez quelque chose, vous l'enseignez dans les universités, vous faites preuve d'une certaine générosité. L'enseignement a un caractère laïque au sens le plus large du mot, tandis que le savoir africain est un savoir qui est protégé, qu'on ne délivre pas volontiers, qui fait l'objet d'une initiation. Il faut s'y prendre et s'y reprendre, faire la cour aux détenteurs du savoir, manoeuvrer, ruser, pour obtenir quelques miettes. C'est un autre univers. Je n'étais pas, par ma formation académique, préparé à cela, mais j'ai quand même pu surmonter cet écueil. Je pense qu'un Occidental aurait pu le faire.


Ce problème est différent de celui des rapports entre les cultures particulières et la culture universelle qui est en train de se mettre en place. Chaque fois qu'il y a de grands changements qui s'annoncent dans le monde, il est naturel que chaque nation soit tentée par une sorte de repli identitaire, quelle soit plus ou moins angoissée. C'est vrai aussi bien au Sud qu'au Nord. Mais cette réaction doit être surmontée et chaque nation, chaque culture doit être capable à la fois d'un enracinement dans son propre territoire de civilisation et de culture et d'une ouverture vers le monde, car il y a un mouvement d'universalisation de l'homme qui est en cours. Ce mouvement est irréversible, mais il ne conduit pas nécessairement à la disparition des cultures locales. D'ailleurs, en dépit de la globalisation, jamais autant qu'aujourd'hui le droit à la différence n'a été revendiqué. Le droit à la différence et le droit à l'exception culturelle sont revendiqués même par de grandes puissances. La France est tout de même un très grand pays, un grand pays par sa culture, par sa civilisation, par ce qu'elle représente dans le monde. Et pourtant, la France, notamment dans le cadre de l'OMC (Organisation mondiale du Commerce), demande que soit préservé le droit à l'exception culturelle. En résumé, selon moi, il n'y a pas lieu de partager de façon absolue l'inquiétude toute naturelle des populations parce qu'il y a des changements qui se mettent en place. Comme toujours, la plupart des sociétés seront capables, tout en protégeant ce qui fait leur personnalité propre, de s'ouvrir aux autres sociétés.

L'idée de globalisation est souvent associée à l'idée de modernité et qui dit modernité dit aussi parfois abandon des anciens maîtres. Pour un professeur comme vous, qui a étudié Platon et les Anciens, est-ce que vous voyez une menace pour la culture ancienne, pour tout ce qui a fait le monde ancien ?

Il y a, par certains côtés, une menace, mais, par d'autres côtés, la culture se défend finalement très bien. Pour me limiter au cas des études anciennes et, en particulier, des études platoniciennes, aujourd'hui il suffit de pianoter sur le Net pour avoir à l'écran les meilleurs manuscrits des dialogues de Platon, pour avoir devant soi l'essentiel de la bibliographie platonicienne. Donc, on s'adapte très bien. Je crois que la culture sera malgré tout préservée, puisque cette culture qui s'enracine dans les traditions grecques, c'est ce qui fait vraiment à la fois la force de l'Occident et, en un sens, la préfiguration constante de son destin, à savoir la puissance de la volonté de rechercher, la puissance de la raison, l'innovation, le changement continu, sans mise en cause de la personnalité et de l'identité propres.

Merci Professeur Samb.


Dr. Jean-Marie Volet
The University of Western Australia



http://www.arts.uwa.edu.au/MotsPluriels/MP1300samb.html


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Pour la Renaissance du Gondwana


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Soundjata Kéita
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MessagePosté le: Lun 26 Sep 2005 10:02    Sujet du message: Répondre en citant

Allocution de Djibril Samb
lauréat du
Prix NOMA 1999
Perth, 26 novembre 1999





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Djibril Samb
Institut Fondamental d'Afrique Noire Cheikh Anta Diop, Dakar


Monsieur le Président du Jury du Prix Noma,
Madame, Messieurs les Membres du Jury,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis, Étrangers et Australiens,

Je suis venu de l'Afrique noire, très lointaine si l'on en juge par les océans, les mers et les terres qu'il nous a fallu, mon épouse et moi-même, traverser pour arriver jusqu'à vous, mais elle est également fort proche si l'on tient, aujourd'hui, avec la majorité des savants autorisés, qu'elle fut probablement le berceau de l'Humanité. C'est pourquoi je voudrais d'abord apporter à votre immense et beau pays et à ses divers peuples le salut fraternel, amical et chaleureux de l'Afrique notre mère, elle-même si diverse et si prodigieuse. Ce salut chaleureux, comme l'on sait si bien le pratiquer dans nos contrées, me rappelle, vous aussi sans doute, ce qu'exprima, voilà quelque quatre siècles, le prudent et perspicace Montaigne, à savoir que chacun de nous, hommes et femmes, porte en lui la forme entière de l'humaine condition.


Mais comment ne pas remercier aussitôt, en mon nom propre et en celui des Nouvelles Éditions africaines du Sénégal (NEAS), qui m'ont confié la lourde responsabilité de les représenter officiellement, le Jury du prestigieux Noma Award qui a couronné mon livre intitulé L'Interprétation des rêves dans la région sénégambienne, suivi de la clé des songes comparée de la Sénégambie, de l'Égypte pharaonique et de la tradition islamique, choisi parmi 107 ouvrages rédigés en 10 langues différentes, proposés par 69 éditeurs de 19 pays africains ? Je voudrais vous assurer que je mesure bien l'exceptionnelle valeur de votre Prix, non seulement parce qu'il est précédé en amont par une redoutable sélection effectuée par les éditeurs eux-mêmes et par leurs experts, et que le Jury lui-même, naturellement, est porté et je dirais a intérêt à retenir ce qu'il juge le meilleur, mais aussi, parce que l'on m'a fait savoir, de bonne source, que votre Prix est, en Afrique, la consécration suprême pour un écrivain, un érudit ou un universitaire.


Parlant de l'immense prestige du Prix Noma, je ne puis m'empêcher de rendre hommage à son éminent fondateur, feu Shoichi Noma, et à ses continuateurs, pour leur brillante idée qui leur vaudra la reconnaissance éternelle de l'Afrique, ainsi à jamais liée intellectuellement et spirituellement à la glorieuse civilisation du pays du Soleil Levant. Je ne puis non plus manquer de nourrir, par la même occasion, une pieuse pensée à l'endroit de ma compatriote, feue Mariama Ba, première lauréate du Prix Noma, pour son roman Une si longue lettre, qui continue de faire les délices de tous les passionnés des Belles Lettres africaines.


Après ce prologue, je voudrais vous livrer, comme on l'a souhaité, quelques réflexions sommaires sur le rôle du livre en Afrique, "ancienne" et moderne, avant de dire un mot de L'Interprétation des rêves dans la région sénégambienne.


Rappelons, avant tout, que l'Afrique n'est pas ce continent totalement privé d'écriture, que l'on s'est souvent plu à décrire comme réduite à la seule culture de l'oralité, même si cette notion a été reconsidérée, depuis trente ans, par une foule d'études menées principalement par les ethno-linguistes, les sémioticiens et les historiens. L'Égypte, qu'elle ait ou non inventé l'écriture, la connaît cependant très certainement depuis au moins cinq mille ans, comme l'illustre le papyrus d'Edwin Smith, si l'on fait abstraction de l'os d'Ishango, présenté comme "le plus ancien document à entailles d'Afrique" (Battestini 1997 : 44), et dont l'âge est estimé entre 8500 et 25 000 ans.


Ailleurs, en Afrique noire, on sait que l'écriture nsibidi, indépendante de toute influence externe, existe depuis 1700 au Nigeria. En Afrique occidentale, le vaï, le mendé, le guerzé, le toma, le bassa et le bamoun étaient écrits, comme l'étaient le nuba et le galla, par exemple, en Afrique orientale.


Quant au livre, il est connu et pratiqué de longue date par l'Afrique noire, de même que les gens de lettres y sont bien traités, comme en portent témoignage abondamment les historiens médiévaux. Dans sa Description de l'Afrique, au livre VII, Léon l'Africain (ob. 1550 ?) dit du roi Askia de Tombouctou qu'"il porte grand honneur à ceux qui font profession des lettres, et pour ce regard, on rapporte dans cette cité des livres écrits à la main qui viennent de Barbarie, lesquels se vendent fort bien, tellement qu'on en retire plus grand profit, que quelque autre marchandise qu'on sache vendre" .


Ibn Batoutah (ob. 1378 ?) mentionne dans ses Voyages qu'il a trouvé, chez un commandant de Tombouctou, "un exemplaire du Kitab Almodhich ou du livre intitulé L'Étonnant d'Ibn Aldjeouzy". À Gaoga, Léon l'Africain, près de deux siècles plus tard, note que le roi Homara aussi "porte grand honneur aux gens de lettres et les a en grande recommandation", tandis qu'à Tombouctou, il remarque "plusieurs prêtres et docteurs, qui sont tous assez raisonnablement par le roy salariés[Sigma]". L'on sait aussi comment, d'après Ibn Khaldoun , le roi du Mali, Mansa Moussa, lors de son pèlerinage fameux à la Mecque (1324), ramena avec lui le poète espagnol es-Saheli, qu'il plaça, ainsi que sa descendance, sous sa bienveillante protection.


Au XIe s. déjà, El Bekri (ob. 1067), qui n'a cependant jamais visité le continent, dans sa Description de l'Afrique septentrionale, signale que la ville de Ghana "possède des jurisconsultes et des hommes remplis d'érudition".


Aujourd'hui, avec les évolutions et les mutations nées de plusieurs siècles de contact avec l'Occident chrétien et le monde arabo-islamique, le livre est devenu un aspect encore plus important de la civilisation et de la culture africaines.


C'est que le livre assume plusieurs rôles irremplaçables. Tout d'abord, il est et demeure un instrument privilégié de transmission du savoir scientifique, technique et culturel. C'est pourquoi, avec des fortunes variables, les gouvernements africains ont essayé de mettre en oeuvre des politiques de promotion et de développement du livre. Parfois même, certains États africains se sont associés, par le passé, pour fonder une maison d'édition commune. Ce fut le cas des Nouvelles Éditions africaines (NEA) créées en 1972 par le Sénégal, mon pays, la Côte-d'Ivoire et le Togo. Malheureusement, l'expérience n'a duré que dix-sept ans (1972-1989), mais chaque pays se retrouve avec ses Nouvelles Éditions, sans doute moins fortes isolément, mais ayant conservé une vitalité certaine pour les cas des Nouvelles Éditions africaines du Sénégal (NEAS) et des Nouvelles Éditions ivoiriennes (NEI).


Le livre est aussi un puissant instrument d'affirmation et de renforcement de l'identité africaine. En vérité, l'Afrique noire, depuis la nuit des temps, n'a jamais ni méconnu ni renoncé à l'ouverture aux autres, à la diversité des contacts et des échanges féconds avec d'autres peuples. Cependant, surtout en cette ère où la tentation de l'uniformisation compromet parfois ce que la mondialisation peut avoir de fécond, elle ne renie pas pour autant la préservation de sa personnalité, de sa civilisation et de sa culture. Même des pays autrement plus puissants que ne le sont généralement les pays africains revendiquent le droit à la différence ou à l'exception culturelle. Aucune nation, il est vrai, n'a intérêt à délaisser ce qui la constitue comme entité vivante, historique, c'est-à-dire ses souvenirs communs, et son destin collectif.


Enfin, loin d'être un instrument d'enfermement sur soi, sur ses particularités, ou d'être un miroir offert à un narcissisme délétère, le livre est un moyen de dialogue, de découverte réciproque, d'échanges avec l'Autre. Bref, c'est un puissant moyen d'universalisation de l'homme, de rapprochement entre les hommes et entre les peuples jusque dans leur intimité. Car, dans toute expérience humaine, si singulière qu'elle nous apparaisse tout d'abord, il y a une part immarcescible qui parle à tout l'Homme, qui lui fait signe, qui l'appelle à une auto-reconnaissance. C'est l'un des sens que l'on peut donner au mot fameux du célèbre Térence : Homo sum, humani nil a me alienum puto.


L'un des buts poursuivis par mon Interprétation des rêves dans la région sénégambienne, au-delà de la motivation de toute recherche fondamentale qui est de développer la connaissance humaine et d'affiner notre compréhension du monde, c'était précisément de révéler ce qui pouvait rapprocher l'imaginaire sénégambien de l'imaginaire universel, de telle sorte que l'Australien par exemple, vivant aux antipodes de cette région, puisse réaliser, en lisant tel symbolisme onirique ou en prenant connaissance de telle expérience onirique, combien le Sénégambien, dans son intimité même, lui est tout à coup si proche dans le temps même où il mesure sa différence, qui n'est cependant pas de l'ordre de l'irréductible. En somme, ce livre devrait illustrer, dans un domaine limité mais essentiel, combien les hommes, tout en étant différents, sont proches les uns des autres, et comment s'articulent concrètement, dans une sphère déterminée de la vie humaine, "universalisme et particularisme, globalité et diversité, sans tomber dans les travers ni du culturalisme ni du relativisme" (Samb 1999: 140).


C'est pourquoi, m'adressant à un aréopage d'éditeurs, de professionnels du livre, d'universitaires et d'érudits, j'exprime le souhait que L'Interprétation des rêves puisse être traduit rapidement au moins en anglais, en allemand et en japonais, en vue de mieux faire connaître à un public plus étendu l'intimité psychologique et les ressorts profonds de l'imaginaire des Africains noirs. Feu Shoichi Noma n'eût sûrement pas désavoué une telle ambition.


Pour conclure, j'ai plaisir à rappeler à tous nos amis, et notamment aux éditeurs et professionnels du livre, que les responsables des NEAS m'ont chargé tout spécialement d'être leur mandant et de mener tous contacts et tous échanges utiles, quel qu'en soit le niveau. Ils expriment, à l'endroit du Jury du Prix Noma, leur pleine satisfaction pour cette haute distinction qui honore et le Sénégal, cette Grèce noire de l'Afrique, et les NEAS elles-mêmes. Ils renouvellent leurs encouragements aux efforts importants du Prix Noma qui contribue magistralement au développement de l'édition en Afrique. Ils vous disent que si vous distribuez des Prix prestigieux, votre oeuvre, elle, est sans prix, car elle vous a déjà valu la reconnaissance de tous, et pour toujours.

Je vous remercie.



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Références bibliographiques

Battestini, S. Ecriture et texte : contribution africaine. Québec, Ottawa: PUL ; Paris: Présence Africaine, 1997.


El Bekri. Description de l'Afrique septentrionale. Trad. par Mac Guckin de Slane. Ed. rev. et corrigée. Paris : Maisonneuve, 1963. (Texte arabe).

Ibn Batoutah. Voyages d'Ibn Batoutah. Texte arabe, accompagné d'une traduction par G. Degrémery et B. R. Sanguinetti. Paris : Imprimerie nationale, 1922.

Ibn Khaldoun. Histoire des Berbères et des dynasties musulmanes de l'Afrique septentrionale. t. 2. Trad. de l'arabe par Le Baron de Slane. Nouv. éd. publ. sous la direction de P. Casanova. Paris : P. Geuthner, 1927.

Léon l'Africain, Jean. Description de l'Afrique : Tierce partie du monde. vol. 3. Nouvelle édition annotée par Ch. Schefer. Paris : E. Leroux, 1898.

Samb, D. Comprendre Abdou Diouf : Chroniques politiques Dakar : H2000, 1999.





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Professeur Djibril Samb est le Directeur de l'Institut Fondamental d'Afrique Noire Anta Diop de Dakar. Il est Commandeur de l'Ordre du mérite et Lauréat de l'Académie française. Philosophe, platonicien et spécialiste de la Grèce antique, il est également un fin observateur de la culture sénégalaise.


http://www.arts.uwa.edu.au/MotsPluriels/MP1300sambspeachfr.html


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