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Renaissance Africaine : Diop, Nkrumah, Mbeki, Wade...?

 
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Tchoko
Grioonaute 1


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MessagePosté le: Dim 21 Aoû 2005 17:28    Sujet du message: Renaissance Africaine : Diop, Nkrumah, Mbeki, Wade...? Répondre en citant

Le MAP et l'OMEGA : deux approches complémentaires de l'intégration africaine

En proposant des stratégies nouvelles de croissance et de prospérité pour l'Afrique, Le MAP (Millenium Africa Renaissance Programme) et le plan OMEGA, initiés respectivement par Mbeki et Wade, offrent un cadre de réflexion pertinent à plusieurs égards.

En effet, il importe tout d'abord de relever le fait sans précédent que pour la première fois l'Afrique est à l'avant garde d'initiatives qui la concernent, par ailleurs soutenues au plus haut niveau par des leaders jouissant d'une légitimité démocratique. Quatre décennies de coopération bilatérale et multilatérale ont montré les limites de la politique de crédit, qui a engendré le fardeau de la dette, compromettant ainsi tous les efforts de développement du continent.

L'autre fait remarquable qui mérite d'être souligné tient à l'intérêt intellectuel et politique, et la confiance que suscitent ces plans. La confiance agit non seulement sur la motivation des acteurs sociaux, mais elle induit également des comportements nouveaux de nature à stimuler la conscience et le développement de l'esprit d'entreprise.

Enfin, on peut apprécier l'étendue des domaines couverts par ces plans à travers leur complémentarité, qui va de la sphère culturelle à la sphère économique, en incluant la dimension politique.

Pour mieux saisir cette complémentarité, il importe de revenir sur les sources d'inspiration de Mbeki et les perspectives économiques de Wade.

Les bases doctrinales du plan Mbeki



Présenté comme un "partenariat mondial" pour le développement de l'Afrique et son intégration dans le monde, le plan Mbeki se fonde principalement sur le concept de Renaissance Africaine. Il importe donc d'analyser les significations possibles que véhicule ce concept, qui se prête souvent à des interprétations diverses, compte tenu de la diversité des cas auxquels il se réfère.

La Renaissance évoque au premier abord la révolution médiévale européenne, qui se rapporte à la Renaissance Humaniste du XVème et XVIème siècle, marquée par le retour aux antiquités gréco-latines comme source d'inspiration du renouveau artistique et scientifique. Elle avait une essence culturelle et psychologique.

En Egypte antique, la célébration rituelle du "heb-sed", marquait la Renaissance du roi par la revitalisation de ses forces physiques. Elle permettait à la royauté de repartir sur un nouvel élan après trente années de règne. Elle constituait ainsi une rupture évitant la sclérose du pouvoir. Elle avait une dimension spirituelle, psychologique et politique.

L'époque contemporaine nous offre des exemples éloquents, avec la révolution Meiji au Japon, avec la Corée du Sud après la guerre dévastatrice de 1950 à 1953, et avec l'Europe à la sortie de la seconde guerre mondiale, qui a connu un essor fulgurant grâce au plan Marshall. Ces mouvements de Renaissance étaient guidés par un souci de prospérité économique, même si par ailleurs leur dimension culturelle n'était pas pour autant négligée, comme au Japon notamment. Ces renaissances se distinguent particulièrement par la forte personnalité et la détermination inébranlable de leurs protagonistes : Churchill en Europe, Mutsu-hito au Japon, Syngman Rhee et Park Chunghee en Corée.

Qu'elles soient dominées par des considérations psychologiques, politiques, culturelles ou économiques, les Renaissances, à travers leurs manifestations et indépendamment de leur contexte historique, ont ceci en commun :

1. La renaissance, c'est d'abord un acte de rupture, à partir du moment où elle s'inscrit dans une logique de dépassement, de passage d'un stade d'apathie, de léthargie, de stagnation, de régression vers un stade de vitalité, de progrès et de prospérité. Il s'agit de deux stades fondamentalement antinomiques. En Europe médiévale, cette rupture s'est traduite par le refus du courant scholastique, de la sclérose des théologiens formalistes. Au japon elle s'est traduite par des réformes drastiques de la politique des shoguns. En Europe à la sortie de la seconde guerre mondiale la politique de pacification et le renforcement de la coopération régionale, qui a abouti à la création de l'Union Européenne, ont été les actes décisifs de rupture avec la fatalité de la guerre et pour une prospérité de la région. La Renaissance Africaine ne se réalisera qu'en opérant elle aussi des séries de ruptures : rupture avec la forme paternaliste de la coopération bilatérale et multilatérale, rupture avec la politique "d'aide et de crédit", rupture avec l'assistanat, émergence d'un esprit d'entreprise, etc. Le développement ne se délègue pas, ni ne se réalise par procuration. Il est temps que les politiques s'imprègnent de cette évidence.

2. La Renaissance c'est aussi un acte volontariste et doit s'accompagner d'une vision lucide et concrète de l'avenir. Le courage, la clairvoyance et la farouche détermination des acteurs politiques est un facteur clé de réussite. En 1972, le président sud coréen Park lançait avec une détermination sans précédent le mouvement des "nouveaux villages" pour la modernisation des campagnes et le développement d'une agriculture moderne. Quelques années plus tard, les campagnes coréennes arboraient une physionomie totalement différente.

En ce qui concerne l'Afrique contemporaine, le concept de Renaissance a été pour la première fois utilisé par Cheikh Anta Diop, qui dans un article prémonitoire, s'interrogeait déjà en 1948 sur l'avènement de la Renaissance Africaine : "Quand pourra-t-on parler d'une Renaissance Africaine ?". Le savant africain posait les bases doctrinales, de ce que pourrait être une politique continentale de croissance et de prospérité. L'idée maîtresse de sa doctrine postulait que le développement n'était possible que dans le cadre du rétablissement de la conscience historique africaine. Par conscience historique, Cheikh Anta Diop entendait l'imprégnation de la profondeur historique du monde et la conscience d'être acteur de sa propre histoire. Pour lui, l'intégration africaine est une nécessité qui participe de la logique historique de rupture avec cinq siècles d'asservissement. Elle relève également d'une logique géopolitique et stratégique. Sa réalisation ne peut faire l'économie d'une analyse critique du passé, qui doit restituer la vérité historique et apporter une visibilité temporelle et spatiale au devenir africain. Enfin, les fondements culturels et psychologiques de l'intégration africaine doivent tirer leur racine de la parenté qui lie les Africains d'un bout à l'autre du continent depuis l'antiquité à nos jours.

L'actualité scientifique et politique semble lui donner raison. En effet, on assiste d'un côté à l'effondrement irréversible de l'Africanisme, englué dans une vision étriquée de l'Afrique et prisonnière d'idéologies (Montaigne, Hegel, Hume, etc.), et de l'autre côte à la montée irrésistible de la conscience collective panafricaine.

La vision du développement et de l'intégration de Mbeki prend en compte cette dimension essentielle du développement, comme en témoignent ses différentes interventions, en particulier son discours historique à l'université des Nations Unies. Aussi, il est à noter que le MAP dispose d'un Institut de recherche pluridisciplinaire à Gaborone (Botswana) co-dirigé par l'économiste Max Nomvete, dont l'objectif est de proposer des stratégies pour la Renaissance.

La perspective économique du plan Oméga



Les principes caractéristiques d'une Renaissance déjà évoqués dans ce qui précède se retrouvent dans le plan Oméga, notamment l'esprit de rupture et d'engagement politique. Mais c'est la dimension économique qui fait sa spécificité.

En proposant un réel ancrage économique à l'intégration africaine, le plan Oméga donne une visibilité au projet africain. Cette visibilité est d'autant plus nécessaire et indispensable, qu'elle confère une dimension concrète et pragmatique à l'intégration.

Le plan Oméga propose quatre domaines stratégiques d'intervention : les infrastructures, l'agriculture, l'éducation et la santé. Il fonde sa justification économique sur la théorie de la croissance, à travers une injection massive de capitaux dans l'économie. le décollage attendu de cette politique au sens de Rostow (take-off) ou de Rosenstein Rodan (big push) résulterait de l'accumulation du capital.

Si sa pertinence est avérée du point de vue de son orientation, sa mise en œuvre soulève une série de questions. La première question à résoudre se rapporte sans doute à l'évaluation de la capacité d'absorption des économies africaines. Cette interrogation induit une analyse plus fine sur les sous-secteurs stratégiques à privilégier de manière à créer des "pôles de croissance" (F. Perroux) et surtout des effets de "complémentarité" (Hirschmann) pour inscrire cette croissance dans la durée.

Les limites d'absorption du capital peuvent se manifester à différents stades : dans la phase de constitution du capital réel et celle de l'utilisation du capital. La question de la gestion de la période transitoire se pose alors avec acuité. Les choix stratégiques du plan apportent des éléments de réponse, mais ceux-ci doivent s'élargir à la prise en compte des besoins immédiats en ressources humaines. A cet effet, les compétences nationales doivent être pleinement mises à contribution de même que les compétences expatriées.

Les limites de l'absorption du capital peuvent aussi être d'ordre politique, lorsque les autorités souhaitent éviter une forte dépendance vis-à-vis de l'extérieur. Ces dernières limites peuvent être surmontées si une réelle politique de transfert de technologie, de renforcement des capacités institutionnelles et des expertises nationales est parallèlement mise en place. L'expertise étrangère obère les budgets des programmes et entraîne une démotivation des personnels et experts nationaux. Cela se traduit généralement par une faible implication des principaux acteurs concernés et explique dans une large mesure l'échec des milliers de projets initiés sur le continent. Les cas de la Corée du Sud et du Japon durant leur phase de décollage sont exemplaires à ce sujet : clauses explicites de transfert de technologie dans les contrats avec les Etats ou entreprises étrangères, implication effective des compétences nationales dans toutes les phases de réalisation des projets, etc. Ces attitudes, souvent jugées nationalistes, ont permis à ces pays de réussir leur décollage, de développer des capacités nationales et surtout d'inscrire leur développement dans la durée.

Aussi, dans l'optique d'un développement mieux articulé, il serait nécessaire de mettre en place des mécanismes d'orientation et d'incitation de l'investissement. En effet, autant le capital financier est mobile, autant il a tendance à se concentrer sur les secteurs à forte rentabilité. Ceci a pour conséquence de renforcer la spécialisation. Cette viscosité expose les Etats aux fluctuations des marchés internationaux. Pour les pays soumis au sort du "price taker", c'est-à-dire ne pouvant pas fixer le prix de leurs production selon leur coût réel de production, la diversification alliée à une production tournée vers la satisfaction des besoins internes est un impératif de progrès.

Par ailleurs, la réflexion sur l'accumulation et la croissance, doit s'étendre à la relation entre croissance et développement, avec comme objectif la satisfaction des besoins fondamentaux des populations. A cet égard, les questions de création d'emplois et de répartition du revenu national doivent revêtir une importance primordiale. Elles induisent une réflexion sur les secteurs à privilégier selon leur intensité en main d'œuvre ou en capital. En effet, le seul progrès technique ne suffit pas à enrayer la pauvreté, même s'il demeure un déterminant important de la croissance.

Une autre interrogation majeure qui va naturellement se poser est celle de la répartition des projets entre sous-régions et à l'intérieur de chaque sous-région. Même si la théorie économique de l'avantage comparatif permet une allocation rationnelle des ressources (programmes/projets), elle doit être envisagée dans un cadre macro-économique qui prenne en compte la stratégie future de développement et surtout les potentialités et particularités de chaque région, notamment en terme de ressources halieutiques, énergétiques, forestières, minières, etc. Une vision globale des besoins du continent, déclinée en stratégies sous-régionales s'avère nécessaire non seulement pour la visibilité du plan OMEGA, mais aussi pour les négociations futures entre Etats africains.

Enfin, sur le plan de l'évaluation des besoins, la méthode préconisée gagnerait davantage en précision et en pertinence si elle intégrait les nombreuses études sectorielles déjà réalisées. Cette approche éviterait aussi l'effet probable d'une inflation des besoins dans les diagnostics nationaux.

La nécessaire clarification du financement du Plan OMEGA

Différentes sources de financement sont envisagées dans le plan OMEGA : l'épargne nationale, le financement bilatéral et multilatéral, le financement privé national et étranger, avec cependant une primauté accordée à l'Investissement Etranger Direct (IED) sous ses différentes formes (prises de participation, délocalisation, Build Operate and Transfer, etc.).

Ce choix semble être dicté par les limites et/ou distorsions des autres modes de financement en raison de :

la faiblesse du niveau de l'épargne domestique ;

la baisse constante du financement bilatéral et son inefficacité avérée du fait en particulier de son caractère lié ;

l'incapacité du financement multilatéral à relever les défis africains et la dépendance structurelle qu'elle a engendré par le truchement de la dette ;

A ces considérations qui ont sans doute concouru à privilégier l'IED, se greffe sûrement la croyance en l'efficacité des mécanismes du marché et du secteur privé en économie ouverte. Alors se posent les questions suivantes qui méritent une attention : quels sont les facteurs susceptibles d'attirer l'investissement étranger ? La priorité de ce choix est-elle justifiée et doit-elle être exclusive ?

Les facteurs attractifs de l'IED sont essentiellement de deux ordres : la compétitivité des marchés et la stabilité des cadres juridiques et réglementaires qui régissent l'activité économique.

Sur le premier point les économies africaines présentent des handicaps importants malgré l'avantage comparatif en terme de coût de la main d'œuvre. Les principaux handicaps sont les suivants : limites de la circulation de l'information économique, la méconnaissance des réseaux de distribution, l'obsolescence des outils de production, la précarité des infrastructures de communication, la formation insuffisante des personnels, l'exiguïté des marchés, les incertitudes liées à l'instabilité politique, autant de limites qui pèsent lourdement sur le rendement (productivité) des facteurs de production. A ces causes d'ordre interne s'ajoutent les contraintes d'ordre externe qui tendent à confiner les économies des pays africains vers les productions primaires (à faible valeur ajoutée), et la complexité des normes techniques et sanitaires d'accès aux marchés occidentaux, qui cachent en réalité un protectionnisme déguisé, en dépit des nombreux accords commerciaux signés (les accords de Lomé notamment).

Sur le second point relatif au cadre juridique, la variabilité de la réglementation, les distorsions qu'engendre la corruption, la diversité des cadres juridiques au niveau régional et continental (même si l'OHADA vise à harmoniser le droit des affaires), constituent autant d'obstacles à surmonter.

En raison de ces contraintes fortes qui limitent l'IED, tout semble indiquer que l'accent doit être placé sur les ressources propres du continent, tout en poursuivant l'effort de sensibilisation des partenaires extérieurs. La mobilisation de l'épargne nationale par une politique vigoureuse (diversification de l'offre, renforcement de la réglementation bancaire, mise en place de mécanismes d'attraction de l'épargne de la diaspora, etc.) et l'orientation des réserves de certains pays du continent à des fins de développement régional et continental doivent figurer parmi les priorités. La CNUCED arrive à la même conclusion en considérant l'épargne nationale comme le seul moyen de rompre le cercle vicieux de l'IED qui "tend à montrer que pour être compétitif il faut pouvoir compter sur les IED et que pour attirer les IED il faut être compétitif".

En outre, les avatars de l'histoire africaine, d'hier et d'aujourd'hui, doivent nous édifier sur la nécessité de compter d'abord et surtout sur nos propres capacités. Dans le même temps, l'affirmation de la personnalité des leaders africains et la promotion de l'image du continent, qui passent par des changements de comportements en profondeur, vont sans doute contribuer à l'attraction des capitaux étrangers, dont l'efficience dépendra de leur intégration à l'effort national de développement.

Ainsi, parallèlement aux actions d'assainissement de l'environnement économique et de mobilisation des ressources continentales, il importe que les leaders africains poursuivent avec la même intensité leurs actions pour une ouverture des marchés occidentaux. Ces actions, pour être efficaces, doivent être coordonnées et conduites de manière collective. L'Union Africaine est le cadre indiqué pour des opérations de cette envergure.

Parler de financement dans le contexte actuel de l'Afrique, c'est aussi inévitablement considérer la question centrale de la Dette. La dette obère non seulement les budgets des Etats, en réduisant les marges de manœuvres des gouvernements, elle entretient également, de manière structurelle, le cycle pernicieux de l'appauvrissement.

En plus de l'urgence absolue de son annulation, eu égard à son caractère immoral et injuste, il importe de se pencher sur les mécanismes de sa genèse. En attendant des études plus systématiques sur la question, on peut d'ores et déjà relever la faible implication des Etats emprunteurs aussi bien dans la conception des programmes, la programmation des dépenses que la mise en œuvre des projets. Cette absence de possession ("ownership") rend totalement inopérants les crédits.

La question de la monnaie doit également faire l'objet de discussion dans le cadre du plan OMEGA, car l'intégration monétaire est une composante incontournable de l'intégration économique : il est illusoire d'aspirer au développement des échanges à l'intérieur du continent africain avec des monnaies aussi diverses que fluctuantes. Est-il besoin de rappeler que les intégrations régionales les plus dynamiques se sont développées autour d'une monnaie commune ? La question d'une monnaie africaine et indépendante doit être mise en perspective.

Similitude de destin et complémentarité des visions

Wade et Mbeki ont vécu des époques charnières de l'histoire du continent en tant que témoins et acteurs engagés de premier plan. La période des indépendances et son effervescence intellectuelle et politique, la longue marche vers une démocratie authentique constituent des étapes importantes du parcourt de Wade ; de même que l'histoire tragique de l'apartheid depuis la domination blanche jusqu'à la liberté reconquise marque indubitablement la trajectoire de Mbeki. Cette similitude de destin, riche en péripéties, rapproche les deux personnages aujourd'hui au cœur des plans de développement du continent.

Leur vision est complémentaire car la réussite de toute stratégie de développement en Afrique ne peut faire l'impasse sur :

1. la dimension psychologique et culturelle du développement. L'effort d'investissement et les transformations économiques attendues ne suffisent pas à entraîner le développement. La transformation des mentalités, la confiance en soi, la ferveur collective pour le progrès, sont tout aussi importants. La conscience collective renvoie à ces attitudes et comportements. La vision de Mbeki intègre cette dimension, qui revêt un caractère particulier en Afrique, où la période de domination prolongée (cinq siècles) laisse encore des séquelles profondes.

2. La dimension économique du développement, car même libéré d'une tutelle intellectuelle et psychologique aliénante, c'est en vain qu'on parviendrait à exercer sa liberté si on n'arrive pas à satisfaire ses besoins existentiels de base. La satisfaction des besoins matériels élémentaires participe pleinement de la liberté. L'économie est au cœur de cette exigence.

Ce lien inséparable des deux plans, parce que fondamental, laisse augurer leur réelle fusion comme cela est envisagé prochainement à la rencontre de Lusaka (Zambie). Le plan Africain qui résulterait de cette fusion présente des chances réelles de réussite. Ce serait alors pour la première fois qu'une vision complète et équilibrée du développement serait présentée aux Africains et élaborée par des Africains. L'OUA, le Plan d'Action de Lagos, le Traité d'Abuja, etc. sont autant d'engagements qui n'ont pas produit les effets escomptés. Mais faillir à ce nouvel engagement et à l'Union Africaine en gestation c'est compromettre pour plusieurs décennies encore l'avenir de l'Afrique, car les conséquences psychologiques d'un tel échec, en plus de porter les germes d'une profonde désillusion, risque d'offrir un prétexte de plus à une domination accrue du continent africain.

En attendant, il est urgent que les Etats africains s'attellent à améliorer leur environnement social, juridique et réglementaire, conditions indispensables à tout développement économique et sociale. Cela suppose une lutte contre la corruption, un combat pour la bonne gestion de l'Etat, l'instauration d'une véritable Démocratie, le respect des libertés individuelles, la mobilisation de toutes les énergies pour un idéal de progrès et de prospérité.

Au niveau continental, la priorité doit être accordée à la pacification du continent et aux réformes nécessaires des instances de concertation sous-régionales et continentales, qui doivent aussi être investies de véritables pouvoirs politiques, car la gravité des tentions politiques actuelles, la montée de l'irrédentisme, l'expansion de l'ethnicisme, etc. constituent les obstacles immédiats à l'intégration. L'ampleur et la complexité de ces problèmes devraient conduire à réfléchir davantage sur des stratégies transitoires d'édification d'une Afrique réunifiée, forte, prospère et indépendante.

Groupe de réflexion Initiatives Citoyennes E-mail : Initiativescitoyennes@hotmail.com

1 In "Le Musée vivant", Paris, N°36 – 37, novembre 1948.

2 "The African Renaissance, South Africa and the World" (9 avril 1998). Thabo Mbeki était à l'époque Vice Président de l'Afrique du Sud

3 OHADA : Organisation pour l'Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires

4 CNUCED (Conférence de Nations Unies sur le Commerce et le Développement), "Rapport sur le commerce et le développement", Genève, CNUCED, 1999

Source
_________________
« En me renversant, on n'a abattu à Saint-Domingue que le tronc de l'arbre de la liberté, mais il repoussera car ses racines sont profondes et nombreuses. » (Toussaint Louverture)


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Tchoko
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MessagePosté le: Dim 21 Aoû 2005 17:47    Sujet du message: Répondre en citant

CONTRIBUTION AU 22ème COLLOQUE ANNUEL SUR LES ETUDES AMERICAINES

I. LES JALONS DE LA RENAISSANCE



P. Olisanwuche Esedebe a montré dans un excellent ouvrage sur le Panafricanisme (Pan Africanisme, the Idea and Movement, 1776 - 1991, second edition, Howard University Press, 1994), la genèse du panafricanisme en articulation avec la déclaration d'indépendance américaine (1776), la naissance d'une Eglise indépendante négro-africaine en Amérique et en Afrique. Il a souligné la place du débat sur le destin des races humaines dans les formulations idéologiques et théoriques ; c'est ainsi qu'il consacre une profonde analyse à l'apport de James Africanus Beale Horton. Ce dernier, né en 1835 en Sierra Leone, après des études en médecine en Angleterre, a servi dans l'armée britannique en Afrique de l'Ouest.

Ses connaissances en Histoire, en Lettres Classiques et en Anthropologie, lui permirent de riposter contre les thèses racistes sur l'infériorité du nègre, mieux la prise en compte des travaux des premiers écrivains chrétiens d'Afrique dans l'Antiquité (Clément d'Alexandrie, Origène, Tertullien, Saint Augustin) n'a pas manqué de lui inspirer la théorie des cycles historiques. Aucune condition n'est permanente ni immuable, il existe une loi naturelle de l'évolution et de la dissolution ; les civilisations naissent, se développent et tombent en déclin, s'enfoncent dans la barbarie, puis après un certain temps, renaissent "There was no reason why the same race that had churches and repositories of learning and science, that governed ancient Egypt and was the terror of no less a city than ancient Rome should not once more stand on its legs" (J.A.B. Horton, West African Countries and Peoples ... A Vindication of the African Race 1868, p. 60 cité par P. Olisanwuche Esedebe, op cit p. 22).

Effectivement on peut espérer le relèvement d’un continent qui a eu ses monuments et ses lettres de noblesses ; l'Afrique a produit des oeuvres de grande spiritualité et de haute technicité, elle a abrité des Etats qui ont organisé la vie des populations dans l'antique Egypte, des Etats qui ont fait trembler Rome ou qui lui ont résisté ; au moment où Rome elle-même faisait trembler le monde (au Ie siècle avant notre ère) la reine de Meroe a obligé Cesar Auguste à signer un traite de paix dans l'Ile de Samos. Il n'est donc pas condamné ce continent qui a aussi abrité des empires comme celui d'Axoum ; cet Etat battait sa propre monnaie, avait son propre alphabet, rivalisait avec les Perses et les Romano-Byzantins au VIe siècle, juste avant l'hégémonie islamique au Proche Orient. Mais ces Africains du XXe siècle finissant et qui s'apprêtent à entrer dans le 3e millénaire sont ils les mêmes que ceux de l'Antiquité ou ceux du "Moyen Age" ? Ne seraient-ils pas réellement les produits des "Temps obscurs" de l'histoire africaine ?

En 1948, Cheikh Anta DIOP avait formulé une question géniale "Quand pourra -t-on parler d'une renaissance africaine" ? (article paru dans la Revue le Musée Vivant, n° spécial 36 - 37, novembre 1948, Paris pp 97 - 65, republié dans Alerte sous les Tropiques, articles de 1946 - 1960 - Culture et Développement en Afrique noire, Présence Africaine, 1990, pp 33-44). Pour le savant sénégalais la réalité (culturelle) africaine des années 40 est double : Il y a d'une part "la tradition qui est restée intacte et qui continue de vivoter à l'abri de toute influence moderne, d'autre part une tradition altérée par une contamination européenne". Dans les deux cas on ne peut parler de renaissance. Pour l'auteur la condition préalable d'une vraie renaissance africaine est le développement des langues africaines.

L'auteur qui, à l'époque, ne semblait pas être informé de la prodigieuse inventivité africaine en matière l'écriture(1), est conscient des difficultés de l'entreprise : multiplicité apparente des langues, acclimations des termes scientifiques et techniques. DIOP est d'avis que l'action qu'il préconise concerne à peine quatre langues importantes, le reste n'étant que des variantes parlées par un petit groupe. Pour lever le défi scientifique, les Africains doivent s'essayer dans les principales langues de leur pays avec toutes les facilités inventives et leur esprit d'initiative. Leur tâche est facilitée par l'apparition de "nouveaux moyens de diffusion de la pensée imprimerie, radio, cinéma. A cause de tous ces nouveaux moyens de diffusion qui sont propres au monde moderne, il y a plus de possibilités de s'instruire, par conséquent plus de possibilités d'action efficace" (article cité, Présence Africaine p. 37). Et DIOP de développer les grandes lignes de la rénovation culturelle qui passe par une véritable révolution de la conscience psychologique.

La création littéraire devrait concerner tous les genres : satires, épîtres, poèmes historiques, narrations etc. L'expression plastique doit bannir l'imitation des formes occidentales ; la peinture, la sculpture doivent être revigorées et refuser le passéisme. L'architecture africaine millénaire est susceptible d'une adaptation nouvelle. La nouvelle musique africaine "doit exprimer le chant de la forêt, la puissance des ténèbres et celle de la nature, la noblesse de la souffrance, avec toute la dignité humaine" (article cité p. 43). "Cette musique sans cesser d'avoir quelque chose de commun avec le jazz dans le domaine de la sensibilité, aura quand même je ne sais quoi de plus fier, de plus majestueux, de plus complet de plus occulte" (ibidem).

Le combat culturel est indissociable du combat politique et scientifique "C'est pour cela que, au-delà de la culture proprement dite, l'élite africaine a le devoir impérieux, inéluctable, de doter farouchement tout le continent, sans distinction de frontières politiques, d'une technique industrielle, seule garantie de la sécurité de vivre dans un monde atomique" (article cité p. 42) Cheikh Anta de conclure son article en exprimant sa foi au rationalisme laïque, appelé à remplacer à l'avenir tous les faux contacts avec la nature.

Kwame NKRUMAH a lui aussi développé le thème de la Renaissance Africaine. Dans son ouvrage. Le consciencisme, qui illustre sa solide formation philosophique, il revient largement sur la Renaissance Européenne, la seconde, celle du XVIe siècle, la première étant celle qui, dès l'Antiquité, avait été ouverte par Aristote. Procédant à une fine analyse. Il montre que, même si ce second mouvement, dans son expression philosophique, libéra la pensée de certains entraves surtout religieuses, il fit bon ménage avec le capitalisme (le consciencisme, Présence Africaine, 1976 pp 66 sq).

Il expose les pulsions divergentes du mouvement en Europe, l'évolution de l'attitude de l'Eglise, les tensions entre libertins et jésuites, en France par exemple, pour montrer comment ce héritage a été vécu au XXe siècle. La leçon qu'il en tire c'est l'intérêt qu'il y'a de « replacer une philosophie dans le contexte de l'histoire intellectuelle à laquelle elle appartient et du milieu où elle est née » (op cit p. 71). Tout cela l'amène à insister sur l'importance de l'histoire dans le projet de Renaissance africaine.

« Notre renaissance africaine insiste beaucoup sur la façon de présenter l'histoire. Il faut écrire notre histoire comme l'histoire de notre société, non comme l'histoire d'aventuriers européens. La société africaine doit être considérée comme jouissant de sa propre intégrité. Son histoire doit être le reflet d'elle même, et les contacts avec les Européens ne doivent y figurer que sous l'angle de l'expérience des Africains, même s'ils ont été une expérience plus importante que toutes les autres. Autrement dit, les contacts avec les Européens doivent être narrés et jugés au point de vue des principes qui animent la société africaine, au point de vue de l'harmonie et du progrès de cette société » (op. cit. p. 80).

La Renaissance à laquelle pense NKRUMAH passe par la consolidation de l'indépendance, l'instauration d'un socialisme qui cherche à se rattacher au passé égalitaire et humaniste du peuple, qui cherche comment utiliser même les résultats du colonialisme, adaptés dans l'intérêt du peuple (par exemple les méthodes nouvelles de production industrielle et d'organisation économique) ; il cherche à freiner et prévenir les anomalies et inégalités créées par l'habitude capitaliste du colonialisme, il réforme la psychologie du peuple en la purgeant de la mentalité coloniale. "Enfin il défend résolument l'indépendance et la sécurité du peuple. Il reconnaît le caractère créateur de la lutte et même la nécessité, pour toute transformation, de l'intervention de forces. Il comporte aussi le matérialisme et le traduit en termes d'égalité sociale" (op. cit. p. 129).

Ce texte intègre le fruit de l'expérience d'un militant et d'un homme d'Etat qui a été victime d'un coup d'Etat (la note d'auteur de la 2e édition ? celle 1976 est explicite là-dessus). NKRUMAH est conscient des divisions sociales culturelles et idéologiques en Afrique.

"La société africaine dit-il, comprend une fraction fidèle à notre genre de vie traditionnelle, une fraction représentant la présence en Afrique de la tradition musulmane, enfin une fraction trahissant l'infiltration de la tradition chrétienne et de la culture de l'Europe occidentale dont les principaux véhicules sont le colonialisme et le néocolonialisme. Ces trois fractions sont animées, par des idéologies rivales" (op. cit. p. 86). Le consciencisme qu'il préconise est une idéologique qui contient à la fois l'expérience africaine de la présence musulmane et euro-chrétienne et celle de la société traditionnelle pour un développement harmonieux de cette société (op. cit. p. 89).

C. Anta avait identifié comme acteurs de la révolution africaine depuis le citadin (ouvrier, artisan, notable, fonctionnaire) jusqu'au paysan, depuis le Musulman jusqu'au Chrétien, en passant par les disciples des religions paléonigritiques (cf vers une idéologie politique africaine, 1952 in Alerte sous les Tropiques, Présence Africaine, 1990, p. 44). Mais le texte précise bien que les Africains dont il est question vivent depuis le Sahara jusqu'au Cap (article cité, ibidem) ; il est donc une question d'Afrique Noire. Cheikh Anta, dans une grande lucidité, pose le problème de l'apartheid en Afrique du Sud, la situation des pays de culture arabe en Afrique (Egypte, Soudan, Libye) celle de l'Ethiopie, pays à l'époque tous caractérisés par des régimes racistes ou monarchistes et féodaux (article cité, p. 56 - 61). Il était conscient de l'immixtion américaine et des coalisations impérialistes (Europe capitaliste, fauteuil électrique américain, féodalité arabe).

La Fédération africaine dont rêvait C. Anta devrait être indépendante démocratique et anti-raciste. Dans un autre texte publié en 1955 et intitulé Alerte sous les Tropiques" titre qui a été repris pour le recueil d'articles publié par Présence Africaine en 1990, Cheikh Anta DIOP revient longuement sur les relations entre le monde arabe et l'Afrique Noire. Il dit explicitement que c'est "après l'Occident la deuxième force qui cherche à diriger le Monde noir" (op. cit. p. 95). "Aussi longtemps, dit-il, que les Arabes qui vivent en Afrique se sentiront plus attachés à leurs frères de race du Proche Orient qu'au reste de l'Afrique Noire, nous aurons le devoir et le droit de nous défendre devant leur attitude raciste ... Si, au contraire , les Arabes qui vivent en Afrique ne sont pas racistes, et s'ils n'ont aucune pensée impérialiste, rien ne s'oppose à leur Fédération avec le reste de l'Afrique noire au sein d'un Etat multinational. En tout cas on souhaite qu'il soit ainsi (op. cit. p. 95).

L'auteur est d'avis que le Sahara est essentiellement composé de Nègres et de Négroïdes, que l'Afrique Noire doit avoir un débouché sur la Méditerranée, à travers la Libye (article cité, p.97. Signalons que l'auteur s'est mobilisé correctement pour la cause du peuple algérien et qu'il a gardé jusqu'à sa mort, en 1986, des relations suivies avec le FNL algérien. Ses amis algériens n'ont pas manqué de lui rendre un hommage mérité.

Cette question des relations entre l'Afrique au Sud du Sahara et l'Afrique septentrionale ne pouvaient pas donc être éludées, ni par C. Anta, ni par NKRUMAH, encore mois Gamal Abdel NASSER. En écrivant son article "Vers une idéologie politique africaine" (Février 1952), C. Anta avait lancé un appel au peuple égyptien pour une révolution sociale qui démocratiserait son régime politique (Présence Africaine, 1990 p. 61), NASSER et son organisation secrète des "Officiers Libres" prit le pouvoir le 23 Juillet 1952. L'Egypte s'engage à partir de ce moment, et surtout après l'agression occidentale de 1956, dans une politique progressiste en Afrique et dans le monde arabe.

Déjà en 1955 fut mis en place le bureau de "liaison africaine" avec un service spécial logé à la Présidence de la République, donc sous le contrôle direct du raïs, il coordonne l'intervention en direction du reste du continent ; en 1959 des bureaux furent ouverts pour les représentant des mouvements de libération. A partir de 1959 les mouvements suivants furent actifs sur le territoire egyptien : Combattants de la Liberté du Rwanda et du Burundi (1959 à 1961 ). Le Parti National Démocratique de Rhodesie du Sud à partir de 1960, le Congrès de la Ligue Africaine ALC et l'ANC d'Afrique du Sud, le MPLA et l'Unita d'Angola de 1961 à 1972, le PAIGC de Guinée Bissao de 1961 à 1974, le Frelimo du Mozambique de 1963 à 1975, la Zanu et la Zapo du Zimbabwé à partir de 1964 et de 1965.

Des programmes de radio furent diffusés en arabe et en swahili à partir du Caire. La Voix de l'Afrique (Sawt Ifrikiya) soutenait le combat pour la libération. Un revue trimestrielle, Nahdat Ifrikiya (la Renaissance africaine), relayait ce programme par l'écrit en arabe, avec des extraits en anglais et en français (cf Saliou Ndiaye, Nasser entre le panafricanisme et le panarabisme 1958 - 1970, mémoire de maîtrise, département d'arabe, F.L.S.H, Université Cheikh Anta DIOP, 1997 – 1998, p. 20 sq).

Mais "l'ambition réelle de Nasser d’œuvrer pour une unité intégrale afro arabe a été fortement ébranlée par l'incidence d'un contexte politique particulier qui a prévalu entre 1961 et 1963. De la rupture de la RAU, à la création de l'OUA, Nasser a été victime d'une contestation sévère, aussi bien du panarabisme qu'au sein du panafricanisme. Par conséquent, sa politique africaine a été modifiée et centrée sur la recherche d'une unité d'action à travers un bloc à la fois anti impérialiste, anti-raciste et anti-sioniste" (Saliou Ndiaye, op. cit. p. 80).

Cette revue de quelques des jalons du panafricanisme et de l'appel à la Renaissance permet de constater qu'il y a eu, dans l'effort de théorisation, non seulement des aspects politiques, idéologiques, culturels, scientifiques technologiques, économiques, mais aussi des angles d'attaque particuliers suivant que la formulation venait d'un militant hors (C. Anta DIOP) ou à l'intérieur des structures d'Etat ; les différences des positions et de focalisations (NKRUMAH, NASSER) sont à tenir en compte pour saisir les contre points dans le débat sur la Renaissance.

II. LES CONTRE-POINTS

Il est évident qu'un combat qui met en branle des forces différentes ne peut manquer de susciter des focalisations différenciées, suivant le penchant, les intérêts prioritaires des acteurs. Ce n'est donc pas surprenant que la Southern African Grantmakers affinity Group ait organisé en 1998, en coopération avec le Congressional Black Caucus des USA, une grande conférence sur le thème "The African Renaissance, Opportunities and Implications for the US and the world". A cette conférence de Washington ont participé plus de 500 leaders politiques, des chefs d'entreprise et des délégués des secteurs philanthropiques américains et une quarantaine de leur homologues africains.


Parmi les intervenants à cette conférence on peut citer Marion Barry, maire de Washington, Ketumile Masire, ancien président du Botswana, Nicephore D. Soglo, ancien Président du Bénin, Susan E. Rice, Secrétaire d'Etat US pour les Affaires africaines, Cyril Enweze, Vice-Président de la Banque Africaine de Développement, le lieutenant Colonel Emmanuel ERSKINE, ancien Commandant de l'armée ghanéenne, Brian Atwoord, administration de l'USAID. Des résultats de cette conférence on peut retenir l'approfondissement de la réflexion sur la nouvelle politique commerciale des USA et la nouvelle approche de l'aide américaine. Elle a permis d'intégrer dans les préoccupations la corruption, les violations des droits humains. La conférence a insisté sur la bonne gouvernance, indispensable au progrès économique et à la stabilité politique.

L'hebdomadaire West Africa dans son édition du 7 au 27 septembre 1998 a consacré des dossiers intéressants à la Renaissance Africaine en insistant davantage sur certaines attentes. Il informe sur certains échos du thème au Nigeria et fait explicitement référence aux modèles asiatiques de croissance économique et de développement technologique. Pour ceux qui savent que les thèses de Cheikh Anta et de NKRUMAH ont pu être utilisés aussi bien par des groupes qui ont soutenu Amin DADA, Mobutu, etc., que des groupes qui se réclament de Lumumba ou Thomas Sankhara, il est tout a fait compréhensible de noter le retour du même phénomène à propos de la Renaissance Africaine.

Horace Campbell figure de gauche du mouvement panafricain n'a pas manqué de relever cette ambiguïté : "One indication of the hybrid nature of the South African Search for renewal is the simultaneous use of the African concept of ubhuntu (the respect for African humanity) side by side with the idea of the Renaissance. Howewer, international capital and local exploiters welcomed the hybrid concept if it were capable of pacifying the producers who were calling for the dismantling of the state structures of apartheid" (the African Search for renewal in the era of globalization, 12th biennal congress of the African Association of Political Science, Dakar, June, 1999 paper p. 24 -25). H. CampBell insiste sur la lutte contre les génocides en Afrique et sur la libération des femmes africaines.

Yvy Matsepe CASABURRI invite, de son côté, à dépasser les débats stériles sur la Renaissance pour mettre l'accent sur la praxis, susceptible de donner des solutions pratiques à nos problèmes. Il lance un appel aux médias et invite à prêter une attention particulière au sort des femmes et des enfants (Yvy Matsepe, "Mondialisation et Renaissance Africaine, Assemblée Générale du Codesria, Décembre, 1998). C'est dans ce contexte de reformulation, de réaménagement de la thématique sur la Renaissance Africaine qu'intervient le nouveau souffle donné à l'OUA par les sommets d'Alger et de Syrte en 1999.

L'élément de rupture avait été annoncé à l'occasion du 29e anniversaire de la révolution Libyenne en Septembre 1998. Le discours prononcé par le Président Moamar Khadafi à cette occasion est riche d'enseignements. On y ressent un plaidoyer pour la race noire, du style de l'écrivain Jahiz qui, au IXe siècle, au cœur du monde arabe, avait osé parler de la supériorité des Noirs. Pour Khadafi, Allah a béni les Noirs. Il s'est étendu sur les richesses prodigieuses du continent, dans le même style que Cheikh Anta Diop dans les Fondements économiques et culturels d'une Etat Fédéral d'Afrique Noire, Paris, Présence Africaine, 1960, 1974). Il remercie les peuples noirs d'Afrique qui ont osé briser l'isolement crée autour de la Libye. Il demande au peuple libyen, aux peuples d'Afrique du Nord, de l'Egypte jusqu'en Mauritanie, de se convaincre qu'ils sont africains, qu'ils ne peuvent faire fi de leur pigmentation noire ou brune, peu importe le terme utilisé.

Ils invitent ceux qui se reconnaissent pas dans l'africanité à être conséquents et à quitter le continent, à aller chez leurs maîtres en Europe ou en Israël. Il s'en prend à ceux qui se plaisent à mendier les subsides de l'Europe. Il prône le dépassement des divisions linguistiques, ethniques, tribales. Sa conviction est faite que l'Afrique est potentiellement plus riche que l'Europe et l'Amérique et que le jour où elle se réveillera, ceux qui profitent de la faiblesse des Africains (l'Europe et l'Amérique du Nord) risquent de s'enfoncer dans les abysses. Il rend hommage à NASSER, NYERERE, MANDELA. Il s'était promis, dans ce discours, de convoquer des assises spéciales pour revisiter la charte de l'OUA et donner un nouvel clan au panafricanisme ; ce qui a été fait.

Le leader libyen qui déjà avait oeuvré et continue d’œuvrer au financement de la traduction de l'histoire générale de l'Afrique par l'Unesco dans les langues africaines, s'est encore signalé par un effort considérable d'octroi de bourses de formation aux étudiants africains.

Pour certains, les jeunes africains ont déserté ces grands idéaux qui ont pour moins : panafricanisme, marxisme, négritude. "Les seuls groupements ou associations qui attirent les jeunes sont des clubs culturels où ils peuvent apprendre danses et musiques à la mode en copiant les clips des grandes stars diffusés par les chaînes internationales CNN, AFI, Canal Horizon... (Francis Awoudo, Syfia, repris par le Cafard Libéré du 11 Août 1999, sous le titre "Génération Concrète).

Une autre expérience, celle là non prise en compte par l'auteur de cet article, est la protestation d'étudiants africains comme en Côte d'Ivoire, ou au Sénégal, lorsque les autorités de leur pays ont augmenté les tarifs d'inscription pour les étudiants étrangers. Une autre tonalité, dont les études sérieuses devrait tenir compte, est celle de l'engagement d'artistes, de syndicalistes, de savants africains pour la cause du panafricanisme. On travaille sur la base des hypothèses qu'on a formulées. Quelqu'un qui ne sait pas où peuvent être enregistrées les voix de la Renaissance n'a pas beaucoup de chances de relever ses manifestations. Un sondage bien orienté dans différents secteurs d'activités tenant compte des niveaux d'éducation, dans des régions déterminées (frontalières ou non) pourrait être riche d'enseignements.

Nous pouvons tirer hors des enseignements majeurs de la relance du débat sur la Renaissance africaine.

I. Ce débat donne une nouvelle dignité aux controverses philosophiques et idéologiques. Le triomphe insolent du libéralisme à la fin du XXe siècle avait fait croire à la fin de l'histoire et celle des idéologies. L'Afrique, qui apporte toujours du nouveau dans la marche de l'humanité, va être le terrain de réflexions plus approfondies sur les rapports que l'être humain en général, africain en particulier, entretient avec son histoire, les religions, les langues et cultures, la science, la technologie, l'économie, l'environnement. Il est illusoire de croire qu'on peut faire quelque chose de sérieux, de solide et durable dans ce monde sans un ancrage idéologique et philosophique bien assis ; les débats peuvent ne pas être stériles. Il n'y a que les idéologues honteux et / ou confus qui refusent la nécessité de débats idéologiques. Et ils sont en réalité les premiers à profiter de la vacuité philosophique pour faire passer leur camelote.

II. La réflexion sur la Renaissance Africaine repose des questions de stratégies et de tactique dans un processus révolutionnaire. Quelles sont les différentes forces qui veulent transformer positivement la situation ? Quelles sont les forces alliées, les forces hostiles ? Croire qu'il est possible d'avancer dans un processus révolutionnaire sans identifier les forces progressistes, les forces réactionnaires, c'est faire preuve d'une naïveté coupable. Les ouvriers africains progressistes doivent tisser des liens solides avec les paysans qui partagent les mêmes idéaux de progrès et de dignité, ils doivent identifier, parmi les hommes ou femmes d'affaires, ceux et celles qui sont les compradores ou de véritables entrepreneurs soucieux de la qualité des produits et conscients du pouvoir d'achat des Africains. Ils ne peuvent pas ne pas établir des liens de partenariat, d'alliance solide avec les intellectuels acquis à la cause de la libération et du progrès de l'Afrique. Quelles fractions de la bourgeoisie au niveau international ont intérêt à investir en Afrique ? Les débats sur la stratégie et la tactique que les communards parisiens, les bolcheviks russes, les révolutionnaires maoïstes n'ont pas pu éviter, il est bon que les Africains s'en imprègnent sérieusement, non pas pour rééditer des NEP ou des communes populaires, mais pour voir comment, à la lumière de leur propre histoire et celle des autres peuples du monde, apporter une contribution décisive à la gestion et au renouvellement du capital humain, scientifique et technique.

III. Enfin le débat a ceci d'utile qu'il permet de bien situer les responsabilités des différents acteurs engagés dans la voie de la rébellion contre la situation désastreuse africaine. Ceux ou celles qui savent ce qu'ils, elles doivent faire, doivent se mobiliser, s'organiser pour bien accomplir leur missions. Les Etats progressistes savent ce qu'ils ont à faire, les acteurs sociaux, culturels, scientifiques etc. de même. Des mécanismes de coordination, des observatoires, des évaluations doivent être établis ou affinés, des priorités stratégiques dégagées. Alors l'idéal va nourrir constamment des projets et programmes qui mettront l'Afrique debout, la rendront épanouie et humaine.

Des pistes d’actions générales et spécifiques sont ainsi ouvertes.

1. Les forces socio politiques et mouvements culturels du panafricanisme devraient, dans leur agenda, prendre en charge l'approfondissement et la diffusion des idéaux de la Renaissance africaine dans leur propre pays et à l'extérieur.

2. Les enseignants devraient se battre pour que le thème de la Renaissance Africaine figure en bonne place dans les programmes d'enseignement surtout en histoire et en philosophie, aussi bien dans les programmes du secondaire que de l'enseignement supérieur.

3. Les Universités et institut supérieurs de recherche devraient accorder une place importante, au moins à une langue africaine de grande diffusion, haoussa, pulaar, mandinka, yoruba, swahili ; cette dernière devrait progressivement devenir la langue principale de la Renaissance africaine.

Son enseignement dans les établissements scolaires des autres régions d'Afrique devra être planifié, de même que dans le secteur non formel, par le biais des ONG par exemple. C'est par des actions de ce genre que la Renaissance Africaine cessera d'être une utopie. Ce sont des rêves qui ont frayé la voie aux grandes causes et ont permis le progrès de l'humanité.

La graine de la nouvelle Afrique est dans le fumier, la Renaissance est possible. Le soleil qui a bronzé les Africains est une source d'énergie qui fera tourner en Afrique les industries, les laboratoires, éclairera les esprits et les rues et sentiers, demeures et villes, si les Etats, les Universités, les citoyens y mettent les moyens à la hauteur des enjeux.

Les articulations entre questions économiques, politiques et culturelles doivent être assurées. C’est heureux qu’au début du millénaire des plans soient proposés comme celui du Millenium African Plan (MAP) à l’initiative du président Mbeki de la République Sud Africaine, soutenu par Obasanjo du Nigeria et Bouteflika d’Algérie, celui dit Omega proposé par le Président sénégalais Abdoulaye Wade. La CEA (Commission Economique pour l’Afrique) a assuré à travers un document intitulé compact une articulation et mise en œuvre des deux plans. Ce document unique a été présenté et adopté à l’occasion du sommet de l’OUA de Juillet 2001 à Lusaka d’abord sous une appellation provisoire « Nouvelle Initiative Africaine » puis « Nouveau Partenariat Pour le Développement de l’Afrique ». C’est ce processus qui a conduit au NEPAD, programme ambitieux, complexe, controversé.

Source
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« En me renversant, on n'a abattu à Saint-Domingue que le tronc de l'arbre de la liberté, mais il repoussera car ses racines sont profondes et nombreuses. » (Toussaint Louverture)
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