Grioo.com   Grioo Pour Elle     Village   TV   Musique Forums   Agenda   Blogs  



grioo.com
Espace de discussion
 
RSS  FAQFAQ   RechercherRechercher   Liste des MembresListe des Membres   Groupes d'utilisateursGroupes d'utilisateurs   S'enregistrerS'enregistrer
 ProfilProfil   Se connecter pour vérifier ses messages privésSe connecter pour vérifier ses messages privés   ConnexionConnexion 

L’émigration des Juifs sépharades en Afrique et aux Amérique

 
Poster un nouveau sujet   Répondre au sujet       grioo.com Index du Forum -> Histoire
Voir le sujet précédent :: Voir le sujet suivant  
Auteur Message
Chabine
Super Posteur


Inscrit le: 02 Mar 2005
Messages: 3040

MessagePosté le: Ven 21 Avr 2006 04:08    Sujet du message: L’émigration des Juifs sépharades en Afrique et aux Amérique Répondre en citant

Notes sur l’émigration des Juifs portugais en Afrique de l’Ouest

par Pierrette et Gérard Chalendar



L’histoire ne meurt jamais. Peu ou prou, elle demeure présente en mémoire. Une commémoration organisée à l’occasion d’un anniversaire la remet ordinairement sur le devant de la scène. Mais elle peut aussi refaire surface par le biais d’un romancier quand il choisit tel ou tel évènement ou personnage comme prétexte à l’élaboration d’une fiction personnelle. Le récent roman de l’écrivain portugais Mario Claudio (1) en est l’exemple - type. Il met en scène « la première purge massive anti-juive au Portugal » qui eut lieu au XV° siècle. Certes, il ne s’agit pas de ce qu’on nomme habituellement « un roman historique » au sens strict de l’expression mais plutôt d‘une réflexion personnelle sur le pouvoir politique en général (hors de tout cadrage spatio-temporel) à l‘intérieur d‘un récit qui, lui, prétend prendre appui sur des faits dont l’existence ne saurait être mise en doute. Nous laisserons ici de côté les questions afférentes à l’écriture romanesque et à la réception du texte (les critiques parues dans la presse au moment de la parution du livre commentent exclusivement la portée philosophique du roman) pour nous interroger sur l’événement qui a été à l’origine de cette narration : la déportation d’enfants juifs à la fin du règne de D. Joao II, roi du Portugal entre 1481 et 1495.
À dire vrai, ce moment de l’histoire portugaise a commencé à susciter quelque intérêt non seulement dans la communauté des chercheurs mais également au niveau politique, voilà plus d‘une décennie. En mars 1994, un article paru dans le quotidien israélien Yediy’oth A’haronoth avait attiré l’attention de ses lecteurs sur une possible origine juive de certaines populations autochtones des îles Sao-Tomé et Principe. Quelques mois plus tard, Moché Liba, ambassadeur d’Israël en Guinée, au Gabon et au Cameroun, se rendit en visite officielle à Sao-Tomé. Le président de la République confirma la souche juive d’une partie de ses concitoyens, tout comme Abilio Ribas, évêque de l’île, auteur d’une Histoire de l’église sur l’île de Saint Thomas dont la première partie aborde précisément le thème de la venue forcée d’enfants juifs à cette période.
De telles recherches viennent combler un vide qui ne peut manquer de susciter suspicion et interrogation parmi les historiens portugais d‘aujourd'hui. S’il existe un musée juif à Tomar, une Société des Études Juives à Lisbonne et une synagogue à Castelo de Vide, si plus récemment (1997) une chaire d’histoire juive a vu le jour à l’université de Lisbonne, l’accès aux documents de première main n’en demeure pas moins d’un accès difficile (2)

Les sources :
Mario Claudio déclare s’être longuement documenté sur l’événement. Il cite les deux principales sources, à savoir les chroniques de Garcia de Resende et de Rui de Pina. Le premier, valet de chambre puis secrétaire du Roi, relata l’évènement dans sa Cronica de D. Joao II e Miscelânia (3) ; le second, retraça l’épisode dans sa Croniqua del Rey Dom Joham II (4). Pour intéressants que soient ces documents, ils donnent peu de détails sur le phénomène et ne concernent que les débuts de l’émigration juive dans ces contrées car, en fait, elle s‘étend sur une durée beaucoup plus longue.

Les juifs dans l’Espagne des Rois catholiques :
Pour comprendre la raison d’être de cette émigration (il s’agit comme nous le verrons, d’une véritable déportation), il faut faire un détour par l’Espagne car son histoire est à cette époque étroitement liée à celle du Portugal (5). Henri, fils de Jean II, devient roi de Castille en 1454. Sa fille Jeanne doit normalement lui succéder. Mais l’inconstance de la Reine, seconde épouse du Roi, incite les nobles à penser qu’elle est une bâtarde née des amours illicites de sa mère avec un favori, Beltran de la Cueva. Pour cette raison, elle ne peut s’installer sur le trône ; de plus, le mariage n’avait fait l’objet d’aucune dispense papale. Jeanne est donc jugée héritière illégitime à un double titre et les nobles obtiennent sa mise à l’écart au profit de son frère Alphonse. Mais ce dernier meurt en 1468 à l’âge de 15 ans. Ce sera donc Isabelle, sa sœur qui héritera de la couronne castillane. Pour asseoir son pouvoir, elle épouse Ferdinand, héritier de la couronne d’Aragon. Elle prend le titre de Reine en 1474. L’événement n’est pas du goût de tous les membres de la noblesse ; une guerre civile s’en suivit mais le couple royal en vient à bout et Ferdinand devient roi d’Aragon en 1479.
Les deux états sont aux antipodes l’un de l’autre. Alors que l’Aragon connaît le marasme avec une démographie stagnante (1 million d’âmes), la Castille fait montre d’une économie dynamique grâce à une situation géographique avantageuse : les ports de Santander et Bilbao exportent la laine des moutons de la Mesta. Burgos est un centre commercial important tout comme Séville où se croisent les commerçants et voyageurs venus d’Italie et d’Europe du Nord. Forts de cette situation, les nouveaux souverains rétablissent l’autorité royale sur l’aristocratie foncière castillane qui, jusqu’alors, la défiait. Des représentants de la couronne font exécuter les décisions prises au plus haut niveau dans les villes ; la Santa Hermandad sorte de police rurale, fait régner l’ordre dans les campagnes, mettant fin à de multiples insurrections notamment à Barcelone.
Cette pacification intérieure allait permettre l’essor d’une politique d’indépendance et d’expansion. Le premier acte consiste dans la prise de Grenade le 2 janvier 1492. Un émirat, dernier vestige de la présence maure en terre espagnole, y était encore présent - les autres royaumes musulmans ayant été conquis par les chrétiens - subsistait dans la ville moyennant tribut. La guerre commencée en 1481 allait y mettre fin. L’entrée de Ferdinand II d’Aragon fut saluée comme une victoire de la chrétienté sur le monde musulman et les cloches sonnèrent à Londres, à Paris et à Rome. La Croix avait vaincu le Croissant ; la défaite des croisés à Constantinople en 1453 était vengée.
Sur le plan de la politique intérieure, cette victoire allait ouvrir l’ère d’un autoritarisme forcené. Puisque la prise de Grenade avait été réalisée au nom de la chrétienté, il fallait poursuivre dans cet esprit en chassant du territoire tous ceux qui n’observaient les règles édictées par Rome. Le haut clergé ayant encouragé cette initiative, engagea le Roi à pourchasser les hérétiques (6).
Cette nouvelle donne met fin à une organisation multi-séculaire où plusieurs religions cohabitaient dans l’Espagne médiévale. On sait qu’entre le VIII° et le XIII° siècles, les groupes confessionnels vivaient en bonne entente en Andalousie. Les mozarabes chrétiens, les juifs, les Berbères avaient leurs propres chefs religieux, leurs rites, leurs règles de justice. Les juifs en particulier, formaient des communautés autonomes où les pratiques religieuses ou alimentaires étaient observées sans contrainte. Bien intégrés dans le milieu humain ambiant - ils avaient adapté la langue, le costume et les mœurs arabes - ils servent souvent d’intermédiaires au niveau diplomatique entre chrétiens et musulmans et prennent part aux grandes batailles militaires où leurs rites religieux sont déterminants puisque la bataille de Zalaca (1086) fut différée du samedi au dimanche pour qu‘ils puissent y prendre part. Autant dire qu‘ils ne sont soumis à aucune loi de nature ségrégationniste, ils circulent librement sur le territoire et n‘arborent aucun signe qui permettrait de les distinguer des autres communautés. Certains juifs assuraient même la collecte de l’impôt.
Cependant, au fil du temps, leur situation allait devenir de plus en plus difficile. Bien qu’ils jouissent d’un statut politique tout à fait légal, la population développe des phénomènes de rejet qui se manifestent épisodiquement à l’occasion d’un sermon enflammé émanant d’un responsable religieux d’une autre communauté Nombre de juifs furent ainsi massacrés en 1391. Ceux qui en réchappent durent se convertir au christianisme sous la contrainte. Les massacres, accompagnés de conversions massives, allaient se répéter épisodiquement jusqu’à l’expulsion pure et simple à la fin du siècle suivant. Un certain nombre d’entre eux s’assimilèrent à ce nouvel environnement religieux ; et Spinoza, philosophe d’ascendance juive mais issu d’une souche d’anciens convertis portugais (et non espagnols) a relevé le fait : « Quand un roi d’Espagne contraignit les Juifs à embrasser la religion de l’Etat ou à s’exiler, un très grand nombre devinrent catholiques romains et ayant part dès lors à tous les privilèges des Espagnols de race, jugés dignes des mêmes honneurs, ils se fondirent si bien avec les Espagnols que, peu de temps après, rien d’eux ne subsistait, non pas même le souvenir. » (7). Mais certains parmi ces « nouveaux chrétiens » ou conversos n’avaient pas renié pour autant certaines pratiques de leur religion originelle. Jugés hérétiques par les autorités romaines, ils furent pourchassés par les représentants de tribunaux de l’Eglise placés sous la responsabilité du Saint Office dont la création remonte en 1231. Depuis 1184 en effet avait été mise en place l’Inquisition par le pape Lucius III. Elle prévoyait de punir de châtiments corporels (flagellation) ceux qui se rendaient coupables de haute trahison envers l’autorité religieuse ou civile. Plus particulièrement, les « relaps » autrement dit, ceux qui retombaient dans l’hérésie après avoir abjuré publiquement leur croyance d’origine, se voyaient confisquer tous leurs biens ; leur maison était rasée et ils étaient même passibles du bûcher. Instituée en 1479 en Espagne, l’Inquisition visait les marranes, juifs faussement convertis. Elle développe un climat de délation généralisée. « La lecture des dénonciations glissées dans les boîtes aux lettres du tribunal de l’Inquisition est à cet égard édifiante : X change les draps chaque vendredi, Y refuse de consommer du porc, Z n’allume pas le feu le jour du sabbat et aucune fumée ne s’échappe de sa cheminée… C’est un hallali » (8 ) Son action allait se solder par un grand nombre de suicides collectifs parmi les juifs qui refusaient d’abjurer leur foi, par la mise en œuvre de l’autodafé, cérémonie publique où les condamnés sont exposés habillés du vêtement d’infamie, le san benito et par une émigration massive imposée par le pouvoir. Le décret autorisant l’expulsion, signé le 31 mars 1492, se concrétise par le départ forcé de 150.000 Juifs soit vers des pays d’Europe plus cléments pour cette population. Le Sud-Ouest de la France, l’Italie, la Turquie ou Amsterdam accueilleront la majeure partie d’entre elle (9). Cette politique s’explique à la fois par des raisons idéologiques et économiques. D’une part, la proximité des conversos et des Juifs authentiques maintenait un crypto-judaïsme préjudiciable à la cohésion de la société chrétienne. D’autre part, ces exclus constituaient une main-d’œuvre importante pour mettre en valeur des contrées mal connues mais dont les potentialités économiques laissaient espérer des bénéfices substantiels pour la Couronne.

L’expansion coloniale et l‘ambivalence de la société juive :
Car le pays est à un tournant de son histoire. Ayant éliminé les dernières manifestations de l’Islam, il peut désormais assurer une hégémonie religieuse à l’intérieur de ses frontières ; ce qui implique l’évacuation des Juifs, ceux-ci étant vus comme des éléments hétérogènes et dangereux. De plain-pied dans la chrétienté, l’Espagne des Rois Catholiques se croit investie d’une mission grandiose : porter la foi envers Jésus Christ au-delà des mers sur toutes les terres habitées par des hommes. Ce sont eux qui vont financer le projet de Christophe Colomb qui vise à découvrir le Japon et la Chine en traversant l’Atlantique par l’ouest. Cette initiative qui allait modifier en profondeur l’état du savoir en matière géographique s’inscrivait dans une volonté de découvrir les limites de notre monde avec, en arrière-fond, la volonté de tirer profit de ses connaissances. Car déjà en cette fin du XV° siècle, l’horizon s’est considérablement agrandi. Sous l’impulsion du prince Henri le Navigateur, les Portugais avaient déjà découvert Madère en 1418 et l’archipel des Açores 14 ans plus tard. Les îles du Cap-Vert étaient atteintes en 1460. En 1488, Bartolomeu Dias franchit le cap de Bonne-Espérance, ouvrant par là même la route des Indes tant convoitée. Une lutte pour la conquête des terres lointaines ne pouvait manquer de se faire jour entre l’Espagne et le Portugal. Ce fut le traité de Tordesillas en 1494 qui apporta la solution : une ligne imaginaire est tracée reliant les pôles à 370 lieues à l’ouest du Cap-Vert ; les territoires situés à l’est de ce repère sont la propriété du Portugal ; ceux qui sont à l’ouest appartiennent à la Castille.
Ce traité mettait fin à un flou politique. Il allait permettrait le développement de l’esprit de conquête de la part de ces deux grandes puissances maritimes en même temps qu’il clarifiait une situation plutôt confuse en délimitant les zones d‘influence des deux pays. Les conséquences politiques furent des plus importantes puisque cet accord allait être très favorable au Portugal : après que Vasco de Gama eût atteint l’Inde en 1498, il ouvrit des comptoirs de commerce à Cochin et Deccan ; la zone d’influence portugaise allait très vite toucher Goa (1510), Malacca (1511) et les îles Moluques (1512), autant de territoires dont la production d’épices allait être l’objet d’un commerce très lucratif.
Parallèlement à ces découvertes qui allaient fortement dynamiser l’économie nationale, la politique intérieure se renforce. Le pouvoir royal fait corps avec les hauts dignitaires de l’Église catholique pour asseoir son autorité et si les Cortes, assemblée réunissant les membres de la haute noblesse et du haut clergé instituée par le roi Alphonse II (1211-1223), mettent en place le tribunal de l’Inquisition en 1531, c’est parce qu’un climat de fanatisme religieux s’est instauré dans tout le pays un demi-siècle auparavant. Les premières victimes furent les Juifs. Le Portugal les avait accueillis moyennant finance. Leur accueil n’était donc pas désintéressé. Mais rapidement, une évolution se dessine. Et Spinoza se révèle un remarquable observateur quand il écrit après avoir noté l’intégration réussie des Juifs christianisés dans la société espagnole de l‘époque : « Il en fut tout autrement de ceux que le roi du Portugal obligea à se convertir, exclus des charges honorifiques, ils continuèrent à vivre séparés » (op cit). Dans les faits, l’émigration sous la contrainte d’enfants juifs vers les terres lointaines d’Afrique ne fut que le premier épisode d’une série de mesures visant à la négation globale de la communauté comme de la religion juive. Alors que les conversions aux rites chrétiens s’étaient échelonnées sur un siècle ou presque en Espagne, c’est l’ensemble de la communauté juive établie sur le sol lusitanien qui doit accepter le baptême en 1497. Les pratiques spécifiquement juives passaient donc dans une clandestinité absolue. Le crypto-judaïsme qui s’en suivit fut donc doté d’une force bien supérieure à celui qui vit le jour de l’autre côté de la frontière. D’autant que l’Inquisition en Espagne s ‘était montrée assez efficace pour éradiquer le marranisme en un demi-siècle ; si bien que les persécutions contre les Juifs hérétiques étaient devenues relativement rares au milieu du XVI° siècle sur tout le territoire hispanique. Par contre son homologue, introduite au Portugal en 1536-1540 chasse sans répit les hérétiques judaïsant sur la terre de Camoens. Les Juifs chassés d’Espagne en 1492 n’eurent d’autre solution que de retourner sur la terre de leurs parents, le pays des Rois Catholiques étant devenu par le jeu de la stratégie politicico-religieuse, une relative terre d’accueil. L’espoir de ces éternels errants allait être de courte durée ; le reflux des populations juives en Espagne ne pouvait que développer les suspicions des autorités inquisitoriales du pays et les procès - verbaux des interrogatoires et autodafés à la fin du XVI° siècle montrent que les victimes étaient majoritairement des « nouveaux chrétiens » portugais venus y chercher refuge.
L’installation forcée des Juifs en Afrique fut donc le début d’une politique d’exclusion qui allait connaître de multiples épisodes.

Le métissage comme fondement des colonies portugaises en Afrique
Le livre de Mario Claudio se donne comme point de départ l’envoi sous la contrainte des armées royales d’enfants juifs entre 3 et 12 ans à destination de Sao- Tomé. Il a donc un ancrage historique indéniable mais il reste une fiction à visée philosophique, invitant à une réflexion sur le pouvoir tant religieux que politique et plus largement sur la nature humaine (10) - divers épisodes du roman accréditent l’idée que l’homme est prédateur de sa propre espèce et que l’hostilité du milieu naturel dévoile une intelligence pratique permettant d’assurer la survie des individus ; celle-ci débouchant sur une stratification des liens sociaux opérant sur la base de l’exploitation économique des plus faibles.
Sont donc mis entre parenthèses d’une part les caractères essentiels du marranisme portugais et d’autre part les conséquences économiques de la répression subie par la communauté juive lusitanienne. Ce sont ces domaines que nous souhaitons ici prospecter. Sans laisser complètement de côté les aspects proprement religieux du phénomène, nous porterons notre attention sur la dimension économique, même si ce qu‘on appelait jadis « le pays des Noirs » c’est-à-dire la bande littorale comprise entre le sud du Sénégal et la Sierra Leone, fut l’objet d’une conquête aussi bien commerciale que spirituelle.
Cette entreprise avait évidemment une finalité mercantile - le commerce des épices et de l’or soudanais était source d‘énormes profits - mais elle était aussi portée par une idéologie centrée sur la figure du Prêtre- Jean, figure légendaire qui aurait vécu en Afrique orientale au XII° siècle et dont un message de 1165 aurait incité les souverains chrétiens à faire alliance avec eux pour développer l’évangélisation vers de nouveaux continents et contrecarrer ainsi l‘expansion du mouvement islamique (la légende allait avoir longue vie puisqu’au XIV ° siècle, on crut avoir découvert son royaume dans l’actuelle Abyssinie).
Commencé en 1492, l’exode des juifs portugais (et plus largement ceux de la Péninsule ibérique) allait être relayé plus tard (XV° et XVI° siècles) par celle des Juifs fixés aux Pays-Bas. Les deux mouvements sont à distinguer : le premier fut engagé sous la contrainte pour des motifs à la fois religieux (les Juifs Portugais étaient considérés comme hérétiques) et économiques. Le second fut volontaire ; les membres de la communauté juive des Pays-Bas s’expatriant pour développer un commerce naissant entre l’Afrique et les nations les plus puissantes économiquement de l’Europe du Nord et du Sud.
Nous reviendrons ultérieurement sur ces différences. Pour l’heure, reprenons le fil des évènements qui menèrent à la présence portugaise en Afrique. Le milieu du XV° siècle fut crucial du point de vue historique puisqu’en 1445, Ca’da mosto découvre certaines îles du Cap-Vert dont celle de Santiago et s’installe à Gorée et que l’année suivante, Nuno Tristao accoste en Guinée Bissau. S’en suivit la venue de la troupe chargée de pacifier la région afin que des comptoirs commerciaux puissent s’y ouvrir. Pillages et razzias y furent nombreux si on en croit les récits de voyages de ce temps. Mais cette politique ne suffit pas à faire de la région une terre portugaise. À partir de 1460, la stratégie de la Couronne se modifie. Après une guerre de conquête dont les résultats se sont avérés décevants tant sur le plan commercial qu’au niveau religieux, Elle établit des rapports pacifiques avec les chefs des différents royaumes qui se partageaient la zone. Cette stratégie aura une double conséquence : d’une part, certains souverains africains acceptent le baptême et l’évangélisation de leurs territoires. Le roi Jean II du Portugal (1481-1495), comme son successeur D.Manuel (1495-1521) était « seigneur de Guinée » et entretenait des relations étroites avec le roi du Congo. Il reçut ainsi à sa cour le prince wolof Benoim en 1488. Il y fut baptisé et prêta serment de fidélité à la Couronne. La seconde conséquence de cette politique est d’ordre économique : en manifestant la volonté de collaborer avec les Africains, le pouvoir royal portugais avait en vue de développer ses propres richesses en s’appropriant celles du sol et du milieu récemment découverts. Mais que ce soit sur le plan religieux ou commercial, les rapports entre le Portugal et ces territoires africains furent litigieux et très aléatoires.
Concernant le domaine de l’évangélisation, tout n’alla pas de soi. Le regard dévalorisant des Blancs sur les Noirs fait que les premiers se méfient viscéralement des seconds, ces « âmes perdues, sans religion, qu’il faillait ramener dans le droit chemin ». Et même lorsqu’un grand d’Afrique a embrassé le christianisme, il demeure un hérétique voire un traître en puissance. Benoim en fit la triste expérience : accusé de complot contre les intérêts du royaume portugais, il fut exécuté lors de son retour sur sa terre d’origine. À un niveau plus général, les missionnaires franciscains œuvrant dans l’actuelle Guinée Bissau se heurtèrent aux pratiques de l’islam fortement ancré parmi les populations locales. Et 150 ans séparent la découverte de l’ensemble sénégambien de l’édification de la première église en Guinée, laquelle vit le jour vers 1590. L’exploitation et la commercialisation des richesses locales furent elles aussi objet de problèmes. Les Portugais eurent maille à partir avec les Buramos, population installée dans la zone de Cacheu qui leur livrèrent une bataille acharnée durant 3 jours (11) comme le relate le jésuite Manuel Alvares en 1616. La colonie de peuplement avait pourtant installé dès 1590 des surgidouros ou petits ports d’escale. Ils servaient bien sûr les intérêts de la métropole mais en contrepartie, les Blancs étaient astreints à payer des taxes et à reverser une partie de leur avoir aux souverains africains.
En ce point, nous retrouvons les conversos. Ils jouaient alors un rôle crucial dans les transactions avec les autochtones. On les nommait lançados car « ils se lançaient parmi les Noirs » ou tangomaos car ils servaient d’intermédiaires entre les natifs et les Portugais. Ce statut socio-économique était un prolongement de la situation qu’ils avaient connue en Espagne ; il fallait qu’en terre africaine, ils fassent preuve de rouerie, de dissimulation, faisant ressortir l’intérêt que les rois africains avaient de lier entente avec les Blancs alors qu’ils défendaient celui de ces derniers ; comme ils savaient si bien le faire quand ils ont feint d’être devenus des adeptes fervents du catholicisme alors qu’ils n’avaient rien renié des rites du judaïsme. Ce type d’homme qu’il faut bien qualifier d’aventurier allait perdurer en Afrique durant tout le XVI °siècle à mesure que le commerce entre la métropole et le continent noir allait se développer. Cet état de fait est dû à la très grande faculté d’adaptation des Juifs au contexte économique dans lequel ils doivent vivre mais aussi au fait que le Saint-Office n’a été d’aucune efficacité hors des frontières européennes, ce qui permit aux nouveaux chrétiens évoluant en Guinée et dans les territoires voisins de renouer avec leurs pratiques religieuses d’origine, pour autant que le milieu géographique s’y soit prêté (12).
Les chroniques du temps ne donnent guère d’informations sur leur nombre mais il est permis de penser il fut relativement restreint. En tout état de cause, ils ne firent pas souche. Le départ des juifs ordonné par le Roi D.Juan II allait changer les choses en profondeur. Il ne s’agissait plus seulement de porter le message du Christ en terre étrangère et de tisser des liens commerciaux avec le pouvoir local ; il s’agissait d’exploiter les richesses naturelles et humaines qu’elle recelait. Dès lors, la politique d’expansion allait prendre une nouvelle dimension ; le but recherché étant de constituer un véritable empire portugais par la conquête militaire, religieuse et économique de territoires excédant les frontières nationales. Or les premiers contacts établis au Cap-Vert et à Sao-Tomé avaient montré le côté inhospitalier de ces lieux.
L’île de Santiago était soumise à une sécheresse endémique qui interdisait la présence d’une végétation véritable et donc d’une agriculture rentable. Quand à celle de Sao--Tomé, ainsi nommée car découverte en 1470 par Joao de Santarem et Pedro Escobar, le jour où le calendrier honorait ce saint, elle fut vite connue comme étant l’île aux lézards à cause des reptiles et crocodiles géants qui la peuplait. Mais par sa situation géographique, Sao-Tomé s’avérait un relais essentiel pour organiser les expéditions vers les Indes, terre de toutes les richesses.
Devant le peu d’empressement des autochtones pour aller s’implanter sur ces terres, le Roi du Portugal n’eut d’autre recours que de programmer le départ sous la contrainte des exclus du royaume c’est-à-dire les détenus condamnés à mort - la sentence étant alors commuée sous la forme d’une déportation - et certains enfants de marranes issus de la communauté juive espagnole réfugiée sur son territoire dont l’âge était compris entre 2 et 14 ans. Un témoin juif de l’époque, Samuel Usque apporte une précision d’importance : « Comme mes enfants (les membres des familles juives) avaient quitté la Castille en toute hâte, on n’avait pas eu le temps de les recenser et personne n’avait vérifié leur nombre. Quand on fit ce recensement, on trouva que le nombre de ceux qui étaient entrés dépassait les six cents familles. Le roi décida que les excédentaires seraient ses prisonniers et ses esclaves. Dès lors, il pouvait humilier les Juifs pour ses tragiques desseins. Aucun rachat ne fut possible » (13). Avant leur départ, les enfants furent baptisés d’autorité et en grande pompe. Selon Usque, « plusieurs femmes se jetèrent aux pieds du Roi, demandant la permission d’accompagner leurs enfants mais cela n’éveilla pas la moindre étincelle de pitié chez lui. Une mère… prit son bébé dans ses bras et sans prêter attention à ses cris, se jeta du bateau dans la mer démontée et se noya, embrassant son fils unique ». (Mario Claudio a magistralement brossé la scène). Le même chroniqueur ajoute qu’arrivés sur l’île, les déportés furent « jetés à terre et abandonnés sans pitié. La quasi-totalité d’entre eux furent dévorés par les crocodiles et ceux qui échappèrent à ces reptiles moururent de faim et d’abandon. Seuls quelques-uns furent miraculeusement épargnés par ce sort abominable ». D’autres documents attestent la cruauté des lieux mais avec le temps, le regard qu’ils portent sur la communauté d’enfants juifs débarqués par la contrainte se modifie. Yits’haq Avrabanel note par exemple : « Nombreux sont les enfants des expulsés d’Espagne… déportés la-bas voici 14 ans… Ils s’y sont multipliés et forment la majorité des habitants de cet endroit ».
Commencé en 1485 (ou un an plus tard selon d’autres documents), le peuplement de Sao Tomé s’est donc accéléré avec ces nouveaux arrivants (les autres îles de l’archipel seraient occupées plus tard -Principe accueillera les Portugais en 1500 et Ano Bom en 1503). Il va également se structurer sous l’égide d’un notable portugais nommé Alvaro da Caminha, premier administrateur de cette terre et on peut considérer, sans grossir les faits, que le départ des enfants juifs opéré par la force en 1492 a été à l’origine du phénomène de la colonisation portugaise en Afrique.
Le roman de Mario Claudio met en avant le phénomène du métissage pour expliquer la survie de ces jeunes déportés juifs. Ceci n’est pas un simple effet du travail fictionnel opéré par le romancier ; beaucoup de documents de cette époque attestent la pratique du métissage chez les nouveaux chrétiens, que ce soit à Sao Tomé ou sur la Petite Côte. Vivant parmi les autochtones, ils ont adapté sans trop de problèmes la langue et la morale collective des natifs sans renier pour autant les valeurs qui les faisaient être des juifs portugais. Les archives soulignent avec stupeur la réussite de cette intégration. Ainsi Alvares de Almada relève que vers 1540, les rois du Saluum (petit territoire autour de Joal) disaient régner sur le Pai dos Brancos car ils avaient assimilé les Blancs comme leurs sujets et punissaient lourdement ceux qui les volaient ou les insultaient (14). Les Jésuites qui relatent leur séjour en ces lieux notent également que les Portugais installés parmi les Noirs adoptent leur manière d’être : « ils vont nus pour s’attirer la bienveillance et se naturaliser avec le gentil du Royaume dans lequel ils commercent, se marquent le corps avec un fer jusqu’au saignement, et ils se font beaucoup de tatouages qui, après l’ajout de certaines herbes, prennent la forme de lézards et de serpents ». L’assimilation pouvait aller jusqu’au plus haut niveau de l’édifice politique puisque Joao Ferreira prit en mariage une des filles du roi du Grao Fulo. Les Africains l’appelaient Ganagoga, littéralement « l’homme qui parle toutes les langues ». Cette donnée est importante puisque la compréhension des langues locales par les Blancs (en particulier par les Juifs) permit l’établissement de relations commerciales entre les commerçants portugais et leurs homologues noirs.
Malgré ce côté positif qui fut essentiel sur le plan historique, le Juif d’Afrique ne fut jamais accepté par les autorités ecclésiastiques de l’époque. Son paraître physique comme son adhésion à certaines valeurs du milieu humain ambiant étaient le signe d’une monstruosité hors norme. Elles le nommaient cristianos criollos et voyaient en lui le résultat d’une hybridité physique et culturelle incontrôlable. Le fruit des unions avec des filles à la peau noire - les criollos (créoles) - leur semblait contre-nature et elles n’avaient pas de mots assez durs pour « ces barbares et autres de leurs descendants mélangés avec du sang portugais ». Leur mode de vie comme leur aspect physique choque l’Occidental quelle que soit sa nationalité. Richard Jobson, navigateur anglais qui foule le sol de la Gambie en 1620 écrit : « Ce sont des Portugais comme ils se nomment eux-mêmes et quelques-uns parmi eux leur ressemblent, d’autres sont mulâtres, entre le blanc et le noir, mais la plupart sont aussi noirs que les naturels du pays. Ils sont groupés par deux ou trois dans un même lieu et sont tous mariés, ou plutôt vivent avec des femmes noires du Pays, dont ils ont des enfants. Néanmoins ils n’ont ni église, ni prêtre ni aucun ordre religieux. Il apparaît de toute évidence que ceux qui se trouvent en cet état sont ceux qui ont été bannis ou se sont enfuis du Portugal ou des îles » (15) D’autant que sur le plan strictement religieux, certaines pratiques issues du judaïsme perdurent parmi eux. Pedro da Cunha Lobo, un évêque catholique qui s’était rendu à Sao Tomé eut l’occasion de le constater en octobre 1532, alors que les Créoles descendants d’émigrés juifs portugais fêtaient la Sim’hat Torah : durant trois jours consécutifs ils célébraient la fin de la lecture de la Torah qui se conclut par la mort de Moïse et la découverte de la Terre promise. D’où le rituel particulièrement bruyant qui rend présent l‘événement (16).
Malgré la réprobation générale de l’Église catholique (17) et le fait que les Créoles soient considérés comme ne faisant pas partie de la population portugaise, le phénomène de mixité s’est amplifiée dans la durée. Un document datant de 1546 avançait le nombre de 200 nouveaux chrétiens établis en Guinée et le métissage est mis en pratique également au Cap-Vert et à Sao Tomé.


Une nouvelle conjoncture économique :
La situation allait très vite évoluer. Puisque les autorités portugaises voulaient développer l’exploitation des richesses naturelles des contrées nouvellement conquises et en faire des plates-formes commerciales, il fallait assouplir la législation et permettre un accroissement rapide de la population émigrée d’origine portugaise. Étant donné que c’étaient majoritairement des hommes qui s’exilaient à la suite de la déportation des enfants juifs, le seul moyen d’assurer une natalité importante consistait à permettre par la loi leur union avec des filles du pays. À partir de 1515, un décret royal autorise chaque colon portugais (povoador) à posséder une esclave noire. Le métissage devint donc monnaie courante. La concubine africaine comme les enfants auxquels elle donne le jour possède une identité administrative particulière consignée dans une lettre de privilège (alforria). L’idéologie religieuse qui prévalait depuis plus d’un siècle est donc battue en brèche devant l’urgence économique ; le pouvoir lisboète ayant compris que les premiers occupants venus de la métropole en Afrique n’avaient d’autre salut pour assurer leur survivance que de s’assimiler aux populations d’accueil. La loi vient donc cautionner un état de fait préexistant.
Pourquoi un tel changement ? La première raison tient à la production et à la commercialisation d’un produit nouveau (pour l’époque) : la canne à sucre.
Retraçons à grands traits son histoire. Le berceau de cette plante serait, pense-t-on, la Nouvelle Guinée. Mais très tôt on la retrouve aux îles Fidji, en Indonésie et en Inde. Le Râmâyana, poème rédigé en sanscrit datant du III° siècle avant notre ère, évoque un festin avec les « tables recouvertes de sucreries, de sirop, de cannes à mâcher ». À cette date, elle a déjà gagné le Moyen-Orient grâce aux armées perses de Darius qui l’y ont introduite mais elle demeure une simple curiosité et n‘est pas encore cultivée. Ce sont les Grecs qui, au 1° siècle après Jésus-Christ, vont en extraire le sucre car ils achètent la canne aux marchands caravaniers venus d’Asie Mineure. Petit à petit, la plante est produite en Syrie et sur les rives du Nil puis elle est exportée à Chypre et aux Baléares et de là pénètre le sud de l’Espagne. La France comme l’Italie ne la découvrent réellement qu’au XII° siècle quand les croisés la ramènent de Palestine. Déjà les Turcs savent raffiner le sucre de canne et composer des pâtisseries qui font les délices des califes. Les Vénitiens s’intéressent eux aussi de près à la fabrication de cette denrée ; ils ont alors établi leur hégémonie sur les transactions commerciales en Méditerranée orientale, ce qui leur permet de fournir cette denrée de luxe aux cours royales et princières dès le XV° siècle en l‘important de Babylone, de Malaga, de Damas ou de Chypre. Mais le Portugal qui a acquis une avance considérable en matière de commerce maritime, se pose en rival de Venise. En 1418, Madère est annexée à la Couronne et comme le climat et le sol lui sont très favorables, la canne à sucre y connaît un essor rapide. Le sucre est déjà un signe de grande richesse et le restera durant au moins deux siècles. Il était utilisé non seulement comme épice mais aussi à des fins décoratives. En 1574, le futur roi de France Henri III fut reçu en grande pompe à Venise. Les statues qui ornaient la salle du banquet avaient été fabriquées en sucre tout comme les couverts des convives. Et les artisans de Murano ne travaillaient pas seulement le verre ; ils confectionnaient pour les grandes occasions des lustres en sucre filé, summum du faste pour les plus riches de la Cité des Doges… Un tel engouement, une telle demande en constante augmentation de la part d’une clientèle très aisée ne pouvait qu’inciter à développer cette activité. La plante fut introduite avec succès sur la terre de Sao Tomé et l’archipel devint au milieu du XVI° siècle le principal producteur de sucre. Or l’entretien des cannes, la récolte des tiges et le travail en sucrerie demande une main-d’œuvre importante et robuste. Force était de trouver des bras pour travailler dans les plantations et les manufactures. La déportation de juifs et de proscrits portugais n’étant plus de mise, ils ne pouvaient provenir que de la main-d’œuvre africaine. En 1493, les premiers colons portugais s’installent dans l’île de Sao Tomé. Ils viennent de Madère et apportent avec eux des plants de canne à sucre. Les premiers esclaves font leur apparition sur l’archipel. Ce sont des autochtones. Au cours du siècle suivant, ils seront relayés par leurs frères béninois puis congolais (le Congo-Brazzaville s’appelait alors Rio Congo).
Ainsi les besoins sans cesse croissants en sucre expliquent-ils en partie le développement considérable de la traite négrière en Afrique à partir de 1550. On n’ouvrira pas ici le douloureux dossier de l’esclavage en Afrique. « Ce vieux démon qui sommeille dans l’histoire de l’humanité » a suscité tellement d’études, de colloques et de polémiques qu’il serait vain de vouloir y apporter de nouveaux éléments. On remarquera simplement qu’avant l’arrivée des Portugais sur le continent, le commerce des hommes comme pur produit marchand était pratiqué dans le royaume de Tékrour (terme francisé sous la forme Toucouleur) dans l’actuel Sénégal et que les Sérère adoptèrent les lois esclavagistes du Djolof. En 1455, le navigateur vénitien Ca’ da Mosto, œuvrant au service des intérêts portugais, relate que Zucholin, roi d’une région du Sénégal « maintient son pouvoir économique par des pillages qu’il fait de plusieurs esclaves sur le pays, comme sur ses voisins, desquels il se sert de plusieurs manières, et surtout à faire cultiver ses possessions. Il en vend un grand nombre aux marchands arabes et en livre aussi aux chrétiens depuis qu’ils ont commencé à contracter marchandises en ces pays ». Des recherches récentes sur la traite des Noirs ont mis en lumière le rôle central joué par les souverains locaux dans la mise en esclavage de millions d’Africains (18 ). Il existait donc un terrain favorable à la mise sur pied d’un vaste commerce d’être humains organisé depuis les terres conquises par le Portugal dans cette partie du monde.
Si les Maures furent soumis à l’état d’esclaves après avoir été capturés au terme de batailles ou de sièges, leurs frères africains le furent comme objets dotés d’une valeur d’échange. On les achète à un prix déterminé tout comme du bétail ou n’importe quel produit qui entre dans un circuit commercial. L’esclave est une marchandise qui intéresse l’acquéreur pour diverses raisons et pas seulement pour sa force de travail. Quatorze ans avant la rédaction de ce compte rendu de voyage, Adahu, noble d’origine maure fait prisonnier par les troupes portugaises, proposa d’acheter sa libération contre six de ses esclaves noirs. Il eut gain de cause en 1443 (Henri le navigateur pensait par leur intermédiaire obtenir des informations sur le pays du prêtre Jean, territoire correspondant à l’Ethiopie actuelle et censé receler des richesses inouïes). L’acquisition de jeunes hommes et de femmes autochtones sur les terres nouvellement annexées à la Couronne comme l’île d’Arguin (1443) mais également parmi les prisonniers maures est devenue chose courante à la fin du XV° siècle ; en 1552, ces « étrangers » représentent 10 % de la population lisboète. La capitale ne compte pas moins de 70 marchands d’esclaves. La pratique de l’esclavage n’était donc pas nouvelle quand les Portugais mettent le pied sur le continent africain. Avant d’être le fait des Européens, tout laisse à penser que les pratiques esclavagistes étaient solidement établies dans les royaumes de la région sénégambienne et plus largement parmi ceux des zones côtières situées plus au sud entre Port-Séguro (Togo) et Lagos au Nigéria.
Cet état de chose ne pourrait expliquer à lui seul le développement du trafic des esclaves. Ca’ da Mosto auquel nous avons déjà fait référence nous donne une information de première main sur le sujet : « Certains esclaves, écrit-il, une fois qu’on les avait baptisés et qu’ils parlaient la langue de leur maître, étaient embarqués à bord des caravelles et envoyés auprès de leurs congénères. Ils devenaient des hommes libres après qu’ils avaient ramené quatre esclaves ». La loi portugaise prévoyait donc l’octroi de la liberté à un esclave qui, faisant prisonnier quatre de ses frères de même couleur, les livrerait comme esclaves aux représentants du pouvoir portugais en Afrique. Ce dernier trouvait par ce biais des partisans prêts à vendre leurs semblables et le moyen de fournir par là même la main d‘œuvre indispensable à la mise en valeur des territoires conquis de fraîche date.
Ceci dit, quel fut le rôle des Juifs dans la traite des esclaves africains ? Les exilés d’origine métropolitaine qui avaient été forcés de vivre et de travailler sur les terres d’Afrique nouvellement colonisées firent rapidement souche : « Cette société de métis allait se convertir rapidement en trafiquants d’esclaves lorsque les habitants de Sao Tomé eurent obtenu du roi (du Portugal) le privilège du « rachat », sur les côtes africaines en face de l’archipel » note Françoise Latour da Veiga Pinto (20). Ceci incline à penser, même si les statistiques font ici cruellement défaut, que les premiers descendants des Juifs déportés sur le continent noir jouèrent le rôle de « rabatteurs » dans le commerce des esclaves.
Les choses allaient évoluer par l’entremise des juifs hollandais ainsi que par les « nouveaux chrétiens » récemment émigrés au Nouveau monde ou dans ce qui était l’Empire ottoman d‘alors. Pour saisir cette situation, il faut remonter à 1492 et corriger ce qui a été dit de l‘expulsion des Juifs espagnols à cette date. 160.000 Juifs fuient la terre espagnole mais le Portugal ne fut pas le seul pays d’accueil pour ces exclus comme notre propos le laissait entendre ; 90.000 d’entre eux se dirigent vers l’Italie, 25.000 vers les Pays-Bas, 30.000 posent leur dévolu sur la France et autant dans les pays du Maghreb, se vouant pour la plupart au commerce. Ce faisant, les bannis ne pénétraient pas en terre inconnue car, pour ne prendre que le seul exemple français ; d’autres familles juives les avaient précédés sur les voies de l’exil. Ce fut le cas en 1349 où les Juifs résidant dans le Dauphiné et en Franche-Comté en furent expulsés et trouvèrent refuge au pays de Dante et de Luther ; la chose se reproduit en 1491 pour ceux résidant en Bretagne ; en 1498 pour ceux installés en Provence ; le bannissement de la population juive allait d’ailleurs être confirmé en 1615 par Louis XIII. Lorsqu’intervient le renvoi des Juifs du territoire espagnol prononcé par Ferdinand et Isabelle le 31 mars 1492, il existe donc une diaspora juive conséquente hors des frontières., en particulier dans l’Empire ottoman. Certains, tel Joseph Nasi, occupent une position diplomatique importante auprès du Sultan ; beaucoup sont devenus experts dans le négoce transnational et commercent avec des partenaires au-delà des mers. Les Séfarades de Constantinople et de Salonique formaient déjà au XIII° siècle un important et indispensable trait d’union entre certains gros négociants installés dans les pays orientaux, méditerranéens et nordiques (plus précisément à Amsterdam et Anvers). Lorsqu’une nouvelle émigration séfarade s’implante sur la côte sénégambienne dans les ports de Joal, Portudal et Ruffisque où sont déjà bâtis des comptoirs commerciaux, à la fin du XVI° siècle - c’est-à-dire avec l’union des deux couronnes ibériques - ses membres font déjà partie d’un réseau de solidarités à la fois familiales et financières. Il est encore difficile de reconstituer dans le détail les échanges entre Juifs travaillant en Afrique, en Italie, en Grèce, en Espagne ou en Belgique mais on sait que les « nouveaux chrétiens » y ont tenu un rôle de premier plan. Cela est dû aux conquêtes portugaises au XV° siècle ainsi qu’à l’expansion turque en direction des Balkans, lesquelles ont profondément et durablement modifié la trame générale du commerce traditionnel. Les routes maritimes se sont diversifiées ; les distances couvertes par bateau, rendues possible par les progrès des techniques de navigation, sont devenues beaucoup plus grandes. Cette configuration nouvelle du commerce maritime exigeait des connaissances en matière de comptabilité et de crédit que n’avaient pas la plupart des marchands génois, vénitiens ou florentins (21). De plus, des liens de famille ou d‘affaires (bien souvent les deux à la fois) étaient déjà solidement établis et permettaient des transactions entre les négociants juifs de Séville, d’Anvers, de Venise, de Salonique, de Madère et d’Amsterdam et quelques années plus tard du Brésil. Ceux qui émigrent en Afrique savent d’entrée de jeu qu’ils pourront commercer avec leurs frères de religion restés en Europe. C’est le cas de Diego Fernandes et Felipe de Nis qui quittent respectivement Madère et le Cap-Vert pour s’installer au Brésil et y développer le commerce de la canne à sucre. Au tout début de XVII° siècle, ceux qui décident de quitter leur terre natale vont aller grossir la petite population juive qui a pris racine en Guinée et au Cap-Vert.


Les Juifs en Afrique : une hérésie sur le plan religieux, une nécessité sur le plan commercial :
Vue sous cet angle, la communauté judaïsante issue de la nouvelle vague migratoire en Afrique au début du XVII° siècle paraît être un précieux allié pour la Couronne portugaise puisqu’elle lui permet de tirer des profits substantiels de la conjoncture qui s’est fait jour avec l’expansion maritime. En fait, la situation est beaucoup plus ambiguë pour une double raison. La première est d‘ordre religieux. .
On sait qu’à cette époque, les affaires politiques et les enjeux économiques qu’elle génère sont étroitement liés à l’idéologie religieuse, laquelle est axée sur l’évangélisation des peuples conquis et sur la diffusion du christianisme. Or si les tangomaos nés de l’union des premiers Juifs arrivés sur le continent avec des femmes noires sont assimilés à la population locale et sont perçus comme des Africains à part entière, il n’en va pas de même pour les nouveaux émigrés, « hommes de nation hébraïque, qui après avoir été baptisés, étaient passés à la loi de Moïse et se proclamaient comme étant juifs ». Des documents rassemblés aux Archives Nationales de la Torre do Tombo à Lisbonne apportent des renseignements précis sur le comportement religieux de ces nouveaux arrivants ; ils émanent de fonctionnaires portugais en poste à Cacheu ou de pères jésuites dépêchés sur la Petite Côte par le roi d’Espagne Philippe III entre 1605 et 1616 c’est-à-dire durant la période d‘Union des deux Couronnes ibériques (1580-1640). Leurs conclusions se recoupent. D’une part « ils pratiquent et suivent leurs rites et cérémonies comme ceux de Judée ». Alors qu’en métropole, leurs rituels religieux étaient proscrits officiellement, en Afrique ils sont observés au grand jour dans des lieux appropriés édifiés par ces nouveaux Juifs émigrés. Plusieurs documents attestent l’existence d’une synagogue à Joal, sinon c’est le domicile de l’un d’eux qui est choisi comme lieu de culte et de réunion. Ces gens prient ensemble « à voix haute les vendredis après-midi. Le samedi était un jour férié comme s’il s’agissait d’un dimanche ». Comment expliquer une pareille liberté ? Francisco de Lemos Coelho remarque qu’« ils s’installèrent ici parce que les rois locaux les protégeaient et parce qu’ils ne pouvaient être punis en raison de leur pratique religieuse ». Une autre archive révèle que les Portugais vivant à Portudal « voulurent les tuer et les expulser mais le Roi (africain) dit… que son Pays était ouvert et que toutes sortes de gens pouvaient y vivre, et qu’il ferait couper la tête à tous ceux qui s’interposeraient… ». On devine que la tolérance des roitelets locaux servait leurs intérêts économiques ; les Juifs payant une redevance élevée pour avoir l’autorisation de faire du commerce sur leur territoire. Ces Juifs nouvellement implantés « judaïsent ouvertement » (22) et certains se veulent des guides spirituels qui abandonnent leur nom d‘état civil pour en endosser un autre, de consonance nettement plus israélite, allant jusqu’à tenter de convertir « d’autres catholiques avec de l’argent », apprenant l‘art de pratiquer la circoncision avec des instruments qu‘ils amenaient dans leurs bagages. On comprend qu’un tel zèle judaïsant ait inquiété le clergé (métropolitain ou en mission sur le terrain) comme le pouvoir royal ; il constituait un frein à la délivrance du message chrétien sur le continent africain dont les populations risquaient à terme d’embrasser cette hérésie qu’était le judaïsme, réduisant à néant les efforts des missionnaires franciscains puis jésuites.
Pour juguler ce mouvement, le roi Philippe III, en 1601, impose à tout nouveau chrétien qui désire aller travailler outre-mer le versement d’une lourde taxe annuelle (200.000 cruzados) à la Couronne ibérique. Mais cela ne met pas un terme au phénomène migratoire. Des Portugais de confession juive quittent leur province à destination des Flandres (la colonie lusitanienne était déjà importante au XIII° siècle à Bruges) ou d’Amsterdam. Là ils se replongent dans l’atmosphère de leur religion d’origine car ils sont accueillis dans des familles très pratiquantes qui financent leur voyage vers les côtes africaines ; ou bien ils émigrent directement dans cette direction pour ensuite, aller dans le plat pays, s’enraciner dans les traditions religieuses de leurs ancêtres et revenir en Afrique avec des produits manufacturés ou des denrées alimentaires qu’ils échangent contre de la cire, de l’ivoire, des peaux de bête. Ils ramènent très souvent en Guinée ou sur les terres environnantes, des membres de leur famille, adeptes de la religion juive et qui ont vocation à commercer. Si le danger qu’ils représentent sur le plan religieux est évident, celui qu’ils suscitent sur le plan financier ne l’est pas moins. Car les transactions engagées par ces hommes échappent en grande partie aux Portugais ; ceux-là traitent majoritairement avec les négociants hollandais - lesquels ont d’ailleurs protégé leurs intérêts en faisant construire un fort sur l’île de Bezeguiche, autre nom de l’île de Gorée - ou ibériques de religion juive installés sur terres conquises par les Turcs. Ils exportent ainsi des matières ou des produits appréciés par la noblesse ou les notables les plus aisés d’Europe (23). De plus, certains d’entre eux, appartenant à des familles très fortunées, disposent de capitaux importants ; ils deviennent ainsi bailleurs de fonds et prêtent de l’argent aux Portugais pour qu’ils puissent eux aussi transporter sur de petites distances les marchandises qu’ils achetaient ou vendaient.
Toutes ces données sont consignées dans les rapports émanant des ecclésiastiques ou des hautes personnalités représentant le pouvoir royal de la métropole. Tous proposaient de procéder à une émigration et à une christianisation intensives pour endiguer l’influence religieuse et économique juive.
Ils ne furent pas écoutés. Mais leurs mises en garde débouchèrent néanmoins sur un projet d’expulsion des Juifs résidant sur les terres africaines relevant de l’administration portugaise entre les années 1612 et 1615. Les souverains noirs, en particulier celui de Lambaïa dont dépendait Portudal, s’opposèrent farouchement à leur départ, non seulement parce qu‘ils recevaient d’eux des dadivas (dons) et des taxes les autorisant à faire du commerce sur leur territoire mais parce que ces étrangers leur procuraient des armes dont la vente leur était interdite en tant qu’ils étaient des « gentils » (c’est-à-dire des païens). Au final, les Juifs ne furent pas poursuivis pour cause d’hérésie et les territoires où ils étaient installés ne reçurent pas massivement d’autres émigrés venus d’Ibérie.
Pourquoi le statu quo s’est-il maintenu ? Parce que cette communauté servait non seulement les intérêts des souverains africains mais également ceux des Portugais (même si par ailleurs, Juifs et Portugais d’Afrique étaient en lutte ouverte d’intérêts). Non seulement, ils possédaient assez de capitaux pour prêter de l’argent à un taux de rémunération élevé aux négociants lusitaniens - ce qui permettait à ces derniers d’améliorer leur mode de transport des marchandises par cabotage - mais ils s’étaient taillé une place de premier plan dans la traite négrière. Entre 1609 et 1615, ils ravitaillaient plus de 30 navires exportant officiellement des esclaves pour le compte de la Couronne, sans compter ceux venant illégalement de Séville ou des Canaries, soit un total annuel de 10.000 à 15.000 individus.


De l’Afrique à l’Amérique du Sud :
Le commerce esclavagiste en Afrique qui avait assuré la prospérité de nombre d’émigrés juifs allait décliner à compter de 1660 soit 2 décennies après la restauration de la souveraineté portugaise représentée par la Maison de Bragance. Certains d’entre eux, comme Jacob Peregrino (Jacob le pèlerin), bien qu’originaire de l’Alentejo (son vrai nom était Joao Freire), vont finir leurs jours à Amsterdam. D’autres embarqueront pour le Nouveau Monde. Et là, ils vont s’intégrer facilement aux réseaux commerciaux et religieux que les « nouveaux chrétiens » ont établis dans les colonies espagnoles à partir de 1580, date à laquelle l’Union des deux royaumes favorisa le départ des émigrés. Leur point de chute fut d’abord le Brésil. De là, ils poussèrent par le nord et atteignirent le Mexique et en s’orientant vers l’est et le sud, ils atteignirent le Pérou et les mines d’argent du Potosi dans l’actuelle Bolivie. Un rapport daté de 1602 et adressé au Roi indique que « de nombreux Portugais sont entrés dans le Rio de la Plata ; ce sont des gens peu sûrs en la matière de notre Sainte Foi catholique… Dans certains ports, ils ont fait entrer nos ennemis et ils font commerce avec eux ». Dix ans plus tard, Francisco de Tejo, commissaire auprès du tribunal de l’Inquisition crée à Lima en 1599, se voulait encore plus explicite : « Nous tenons pour certains que doivent arriver de nombreux fuyards, des juifs d’Espagne et du Brésil… ; il faut remédier à la facilité avec laquelle les Juifs entrent en ce port et en sortent ; mais on n’y peut rien car ils sont tous Portugais, ils s’aident et se cachent les uns les autres ». On estime qu’en 1643, 25 % de la population de Buenos Aires était d’origine portugaise. A Potosi résidaient 6000 Espagnols sur une population globale de 13.000 âmes. Les cités minières de Pachuca et de Zacatecas ou les villes de Vera Cruz, Mexico et Guadalajara abritaient également un grand nombre de marranes portugais au milieu du XVII° siècle. Pour la plupart, ce sont des commerçants dont le niveau de fortune est variable ; certains sont de simples marchands présentant leurs marchandises sur l’étal des marchés, d’autres des colporteurs, d’autres d’importants brasseurs d’affaires comme Simon Vaez Sevilla considéré comme l’homme le plus riche de la Nouvelle Espagne. Quelques-uns évoluent dans d’autres sphères (médecine ou comptabilité). Mais la majorité d’entre eux savent lire et écrire selon les comptes rendus des interrogatoires fournis par les Inquisiteurs qui enregistrent leurs dépositions et 20 % de ces marranes ont fréquenté l’université ou un monastère pour y acquérir une instruction supérieure.
Parmi ces « nouveaux chrétiens » les négociants qui sont devenus de puissants hommes d’affaires pratiquent un commerce à vaste échelle à la fois transatlantique et transpacifique : Simon Vaez importe en Nouvelle Espagne des tissus de luxe, des outils métalliques, du papier, de la cire, de l’huile venus du pays de Don Quichotte mais aussi des esclaves africains ainsi que des produits orientaux (épices, tissus précieux) qu’ils exportent en Europe, tout comme la cochenille (puceron vivant au Mexique dont on tire un colorant, le carmin), l’indigo et surtout l’argent. Ce vaste circuit commercial qui s’étend sur trois continents fonctionne sans raté car ils occupent les membres d’une même famille. Les marchandises qu’il fait entrer en Nouvelle Espagne quittent le port de Séville où sont affrétés par ses frères et ses cousins. Ceux-ci traitent avec les frères Alonso et Gaspar Passarino, eux-mêmes partenaires avec d’autres négociants d’origine juive tels que Duarte Fernandez et Jorge de Paz. Ces « nouveaux chrétiens » concentrent donc d’énormes capitaux à telle enseigne que Olivares, favori de Philippe IV et maître du royaume d’Espagne entre 1621 et 1643 a recours à eux pour financer sa politique expansionniste.
On retrouve ici l’ambiguïté du statut des commerçants juifs, honnis par le pouvoir religieux mais incontournables commercialement et financièrement pour le pouvoir royal.
De quoi était faite cette immense fortune ? Elle était constituée par la commercialisation des esclaves d’origine africaine et par la vente illicite de certaines richesses naturelles des pays du Nouveau Monde.
La traite négrière est fondamentale dans l’édification de la fortune des membres les plus riches de la communauté marrane. Cela s’explique essentiellement par le fait qu’entre 1580 et 1640, la couronne ibérique avait réservé l’exclusivité du transport des esclaves vers le Nouveau Monde à des hommes d’affaires portugais qui, pour la majorité, étaient d’ascendance juive. De plus, les fermiers chargés de lever l’impôt au Roi d’Espagne en échange d’une somme établie par contrat, faisaient alliance avec les hommes préposés à la collecte des esclaves, lesquels étaient pour la plupart des Portugais de confession juive. Une autre donnée favorisant grandement les gains de ces derniers a été la contrebande. Les trafiquants habilités au chargement des esclaves sur les bateaux en embarquaient plus que le nombre autorisé et dans la foulée quantité de marchandises étaient introduites illicitement sur le nouveau continent. Le tout était acheminé vers Vera Cruz et Carthagène pour être redistribué dans les Caraïbes, au Mexique et au Pérou (pour la dernière destination).
Outre le commerce des esclaves, l’argent extrait des mines de Potosi à est l’origine de profits considérables. Il est amené par la route à Buenos Aires et de là, il prend le chemin de l’Europe et du Brésil (24). D’énormes quantités sont détournées des circuits autorisés et vendues en toute illégalité par des commerçants d’ascendance juive. Parmi eux, il faut citer Francisco de Victoria, premier évêque de Tucuman, une ville du nord-ouest de l’Argentine d’aujourd’hui qui fut autant membre du haut clergé que gros commerçant (et gros trafiquant) et l’un de ses frères, Diego Perez de Acosta, lequel, après avoir été marchand à Potosi puis au Pérou, fut brûlé en effigie au cours de l’autodafé de Lima (1605, et, aidé par son frère Francisco, s’exila à Séville puis à Venise pour terminer sa vie à Safed en Palestine. D’autres données montrent l’implication des juifs dans l’exploitation des richesses humaines et naturelles des terres nouvellement conquises ; l’île de Curaçao située au Vénézuela fut un relais important pour les cargaisons d’esclaves ; les affaires étaient régies en majeure partie par des commerçants sérafades venus d’Amsterdam dont les partenaires installés dans les ports de Coro ou de Maracaïbo assuraient la livraison dans l’ensemble des Amériques et dans les principales capitales de la métropole.


Pour ne pas conclure :
On le voit, les circuits commerciaux de distributions qui relient les trois continents (Europe, Afrique, Amérique) fonctionnent parfaitement ; traitant de n‘importe quelle marchandise, ils ont été constitués par les « nouveaux chrétiens » issus de la capitale portugaise pour la plupart et qui dans la durée ont pris pied à Amsterdam, Anvers, Livourne, Constantinople, Mexico, Vera Cruz ou dans les Caraïbes. Cette population est très mobile ; alors que certains d’entre eux quittent l’Espagne, le Portugal ou les nouvelles colonies pour échapper aux rigueurs de l’Inquisition, d’autres viennent s’y installer pour y gérer leurs affaires. Ils signent les documents comptables de leur nom portugais ou espagnols mais garde un nom hébreu au sein de la communauté juive dont ils se réclament (Joao Freire dont nous avons parlé plus haut se fit appeler Jacob Peregrino dès qu’il foula le sol de la Petite Côte).
Même si leurs rites religieux présentent quelques différences, ils professent un attachement indéfectible à la loi de Moïse. Certaines recherches menées sur l’histoire des Marranes et des « nouveaux chrétiens » tendent à relativiser l’observance des pratiques quotidiennes liées à la religion juive (contraintes calendaires, alimentaires etc.) pour privilégier une mémoire collective qui s’exprime dans le précepte zakhor (souviens-toi). Elles développent la thèse selon laquelle ce qui lie les Juifs chassés d’Espagne et du Portugal et leurs lointains descendants dispersés dans l’ancien et le nouveau monde, c’est l’omniprésence et la force du souvenir des ancêtres, des persécutions, des haines, des humiliations dont ils ont été l’objet en même temps que le sentiment d’une spécificité, d’une « fierté du sang » (Nathan Wachtel.). C’est cette « communauté de destin », cette « foi du souvenir » (ibid) qui forme le ciment idéologique entre les membres des réseaux commerciaux que nous avons évoqués. On ne peut nier la force du souvenir ; toutefois elle ne doit pas reléguer au second plan les réalités qui ponctuent la vie quotidienne, telles que les fêtes juives (fixées selon un calendrier différent de celui observé par les chrétiens) et les interdits alimentaires liés, de près ou de loin, à un événement heureux ou catastrophique survenu dans le peuple juif il y a des siècles. Combien d’adeptes de la religion juive ont péri ou ont été contraints à l’exil à cause de ces pratiques ? Pour banales qu’elles aient été, ces traditions forment la mémoire vive de cette communauté ; elles se concrétisent au niveau des manières et des produits de table par une grande diversité, ce qui prouve une remarquable adaptation au milieu naturel et humain.
Pour des raisons de place, on n’entamera pas l’étude de la symbolique festive (vestimentaire et culinaire) juive et les multiples manifestations par lesquelles elle s‘est concrétisée selon l‘environnement et l‘époque. On peut cependant poser comme hypothèse de travail qu‘elle a été la médiation dans l‘espace et la durée qui a permis à des individus dispersés de s’identifier comme membres d’une seule et même communauté et que le respect du passé, pour général qu’il ait été, n’aurait pu suffire à constituer l’identité commune à une population aussi éparse et mobile géographiquement.
L’importance du marranisme en Afrique est donc double : d’une part, il participe à l’émergence d’une modernité économique en développant de nouvelles formes d’échanges commerciaux sur des distances beaucoup plus longues qu’auparavant, d’autre part, il contribue à l’édification d’une conscience commune et maintenant la mémoire du vécu et des faits marquants qui ont scandé le passé des Juifs. Il constitue donc un point d’articulation entre histoire économique, coloniale et religieuse, montrant l’extrême complexité des rapports entre l’activité commerciale, bancaire, politique et l’apparition d’une « religiosité », manière pour les judaïsant de se penser différents des chrétiens et de récupérer les préceptes religieux de leurs aïeux.
Pierrette et Gérard Chalendar

[size=9](1) Mario Claudio : Orion - Lisboa - Publicaçoes Dom Quixote - 2003.
(2) « Qui veut travailler aujourd’hui au Portugal sur les Juifs portugais et des anciennes colonies portugaises ne peut effectuer ses recherches qu’avec beaucoup de difficultés : les bibliothèques, dans un état catastrophique sont incapables de se procurer la littérature scientifique étrangère, ce qui rend impossible toute recherche sérieuse ». (Machael Studemund Halevy : Les Juifs au Portugal aujourd’hui).
(3) Texte réimprimé en 1974 (Imprensa National - Casa da Moeda). Garcia de Resende, poète, musicien et architecte militaire, a également laissé un Cancionero general qui réunit des poèmes composés dans les cours de D. Afonso V, D. Joao II et D. Manuel.
(4) Texte réédité par Atlantica Livraria à Coimbra en 1950.
(5) On se réfère ici au livre de Joseph Pérez : Isabelle et Ferdinand, Rois Catholiques d’Espagne-Paris- Fayard 1988.
(6) Voir Bartolomé Bennassar : L’inquisition espagnole XV°-XIX siècles Paris- Hachette - 2001.
(7) Spinoza : Tractatus theologico-politicus - Gallimard - Coll Folio-Essais, p 78.
(8 ) Michel Del Castillo : Dictionnaire amoureux de l’Espagne – Paris - Plon 2005 p 305.
(9) Il convient de mentionner que l’exil pratiqué pour des raisons de religion ne frappe pas seulement les Juifs. Les chrétiens appelés mozarabes vivant en terres islamisées après les conquêtes maures du VII° siècle, furent contraints de quitter les lieux où ils étaient installés depuis des générations lors de la reconquête lancée aux X° et XI siècles par les royaumes chrétiens du nord (Castille, Aragon, Léon) car au terme d’un revers des troupes musulmanes, ils étaien
_________________
"Le colonialisme et ses dérivés ne constituent pas à vrai dire les ennemis actuels de l'Afrique. À brève échéance ce continent sera libéré. Pour ma part plus je pénètre les cultures et les cercles politiques plus la certitude s'impose à moi que LE PLUS GRAND DANGER QUI MENACE L'AFRIQUE EST L'ABSENCE D'IDÉOLOGIE."
Cette Afrique à venir, Journal de bord de mission en Afrique occidentale, été 1960, Frantz Fanon, Pour la Révolution Africaine
2011, annee Frantz Fanon


Dernière édition par Chabine le Dim 23 Avr 2006 17:23; édité 1 fois
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
dovdevan
Grioonaute


Inscrit le: 14 Avr 2006
Messages: 13

MessagePosté le: Ven 21 Avr 2006 21:16    Sujet du message: juifs en afrique Répondre en citant

Very Happy cet articles est trés interessent car moi étant juif blanc j'ai de nombreux amis africains mais issus d'anciennes colonie portugaise qui m'ont dit avoir des ancètres juifs soit en angola ou au cap vert on peut meme retrouver des cimetières juifs qui attestent de leur présence la bas
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Chabine
Super Posteur


Inscrit le: 02 Mar 2005
Messages: 3040

MessagePosté le: Ven 21 Avr 2006 21:23    Sujet du message: Répondre en citant

La présence juive aux Amériques est également très marquée, je reviendrai plus tard pour poster d'autres infos dessus Wink
_________________
"Le colonialisme et ses dérivés ne constituent pas à vrai dire les ennemis actuels de l'Afrique. À brève échéance ce continent sera libéré. Pour ma part plus je pénètre les cultures et les cercles politiques plus la certitude s'impose à moi que LE PLUS GRAND DANGER QUI MENACE L'AFRIQUE EST L'ABSENCE D'IDÉOLOGIE."
Cette Afrique à venir, Journal de bord de mission en Afrique occidentale, été 1960, Frantz Fanon, Pour la Révolution Africaine
2011, annee Frantz Fanon
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
OGOTEMMELI
Super Posteur


Inscrit le: 09 Sep 2004
Messages: 1498

MessagePosté le: Ven 21 Avr 2006 22:35    Sujet du message: Répondre en citant

Très belle pioche, Chabine. ça me rappelle un échange de mp que nous avons eu il y a quelques temps. Certaines idées font bien leur petit bonhomme de chemin...
Balançez la sauce Exclamation

Au plaisir
_________________
http://www.afrocentricite.com/
Umoja Ni Nguvu !!!

Les Panafricanistes doivent s'unir, ou périr...
comme Um Nyobè,
comme Patrice Lumumba,
comme Walter Rodney,
comme Amilcar Cabral,
comme Thomas Sankara,
Et tant de leurs valeureux Ancêtres, souvent trop seuls au front...
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Chabine
Super Posteur


Inscrit le: 02 Mar 2005
Messages: 3040

MessagePosté le: Sam 22 Avr 2006 00:37    Sujet du message: Répondre en citant

Toi même tu sais, grand sage Dogon ! Wink

Je continue :

Monde noir, Monde juif , rencontres, émancipation
communication de Philippe Boukara, maître de conférences à l'I. E.P. de Paris
Vendredi 17 octobre

En préambule Ph. Boukara rappelle ce que son intervention doit à l'ouvrage d'Annie Kriegel, Les Juifs et le monde moderne paru au Seuil en 1977.
Il constate une convergence entre les communautés juives et noires africaines sur la question de l'émancipation, convergence qui crée des liens que l'ont peut observer au niveau de trois espaces différents : l'Afrique, l'Amérique et Israël.

En Afrique les contacts entre les deux communautés ont été nombreux.
L'Ethiopie occupe une place particulière. En effet on y rencontre une population qui s'y déclare juive depuis un millier d'années : les Falashas. Il s'agit de convertis qui pratiquent un judaïsme original, dû entre autre à la méconnaissance du talmud.
La colonisation a été l'occasion de contacts : en effet les Anglais aux Juifs accordent le droit d'être des colonisateurs comme les autres en Afrique du Sud ce qui peut être à l'origine de choix moraux difficiles à assumer pour une population habituée à subir les discriminations en Europe. Par la suite, les populations juives s'engageront dans la lutte contre l'apartheid.
Madagascar a été envisagée comme une terre d'immigration dès 1936 par Léon Blum pour les Juifs d'Europe orientale. En 1940, Hitler envisage également de transformer l'île en une immense prison pour des millions de Juifs avant d'opter pour une solution plus radicale.
L'Île Maurice a servi de lieu d'internement pour les Juifs que les Anglais ne voulaient pas voir entrer en Palestine.
Théodore Herzel envisage un temps la possibilité d'une installation en Ouganda pour une période transitoire avant une installation définitive en Palestine.

L'émigration en direction des Amériques est à l'origine d'autres relations.
Des Juifs ont participé à la Traite des Noirs. On a ainsi pu observer des conversions au judaïsme d'esclaves noirs dans des plantations du Surinam. L'émigration de populations juives y fut importante pendant la présence d'Hitler au pouvoir en Allemagne.
Dans les Antilles françaises par contre, le code Noir de 1685 interdit l'installation des juifs. Ce n'est qu'après la Révolution que des Juifs purent émigrer aux Antilles et se mélanger aux populations noires.
Au cours de la Guerre de Sécession aux Etats-Unis, des Juifs se trouvaient dans les deux camps. Cependant à la fin du XIX° siècle on assiste à une prise de position du judaïsme américain contre la discrimination. Les juifs s'investirent par la suite dans la lutte pour les droits civiques des Noirs américains : le rabbin Abraham Eschel participe aux manifestations aux cotés du pasteur Martin Luther King. De même des avocats juifs interviennent pour protéger les Noirs et faire appliquer les lois sur les droits civiques. On observe également que quand des maires noirs sont élus dans les grandes villes comme à New York c'est grâce aux voix de la communauté juive. On assiste cependant à quelques fausses notes depuis 1968 avec certains comportements antisémites de la part des membres noirs de la Nation de l'Islam tandis que l'histoire de l'esclavagisme est réécrite contre les juifs.

La création de l'Etat d'Israël en 1949 est à l'origine de liens particuliers entre les mondes juif et noir.
Théodore Herzel souhaitait se consacrer aux populations noires après avoir résolu le cas des Juifs (mais il est décédé trop jeune).
Golda Meir, ministre des affaires étrangères, mit en place un vaste programme d'échanges avec l'Afrique noire. Israël avait l'avantage de pouvoir se présenter comme un pays neuf. Des coopérants sont envoyés en Afrique pour mener des projets de développement tandis que des Africains suivent des formations en Israël
Moshé Dayan, ministre de l'agriculture, jugea cependant que si ces projets n'ont pas été forcément couronnés de réussite c'est parce que les bénéficiaires africains étaient moins soucieux des résultats que les coopérants israéliens.

En conclusion, Ph. Boukara s'arrête sur la situation actuelle des relations entre Israël et l'Afrique noire. L'année 1973 a marqué un tournant : les pays arabes ont incité les pays d'Afrique noire à rompre leurs relations avec Israël. Ces relations ont cependant aujourd'hui repris, y compris avec un pays où l'islam est fortement implanté comme le Nigeria.
_________________
"Le colonialisme et ses dérivés ne constituent pas à vrai dire les ennemis actuels de l'Afrique. À brève échéance ce continent sera libéré. Pour ma part plus je pénètre les cultures et les cercles politiques plus la certitude s'impose à moi que LE PLUS GRAND DANGER QUI MENACE L'AFRIQUE EST L'ABSENCE D'IDÉOLOGIE."
Cette Afrique à venir, Journal de bord de mission en Afrique occidentale, été 1960, Frantz Fanon, Pour la Révolution Africaine
2011, annee Frantz Fanon
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
dovdevan
Grioonaute


Inscrit le: 14 Avr 2006
Messages: 13

MessagePosté le: Sam 22 Avr 2006 09:35    Sujet du message: relations entre noirs et juifs Répondre en citant

aimé cesaire et senghor ont dit "lorque l'on parle des juifs les noirs doivent doivent avoir leur oreillent grandes ouvertes car c'est aussi d'eux dont on parle "
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Chabine
Super Posteur


Inscrit le: 02 Mar 2005
Messages: 3040

MessagePosté le: Sam 22 Avr 2006 13:21    Sujet du message: Re: relations entre noirs et juifs Répondre en citant

dovdevan a écrit:
aimé cesaire et senghor ont dit "lorque l'on parle des juifs les noirs doivent doivent avoir leur oreillent grandes ouvertes car c'est aussi d'eux dont on parle "


DU TOUT. Ni Aimé CESAIRE, ni SEDAR SENGHOR. Ni même FANON, c'est LUI, par contre, qui cite son professseur de philosophie dans Peau Noire Masques Blancs (ed.Point Seuil, p.98 ):

"De prime abord, il peut sembler étonnant que l'attitude de l'antisémite s'apparente à celle du négrophobe. C'est mon professeur de philosophie, d'origine antillaise, qui me le rappelait un jour : "Quand vous entendez dire du mal des Juifs, dressez l'oreille, on parle de vous". Et je pensais qu'il avait raison universellement, entendant par là que j'étais responsable, dans mon corps et dans mon âme, du sort réservé à mon frère. Depuis lors, j'ai compris qu'il voulait tout simplement dire : un antisémite est forcément négrophobe."

Voilà. Fin du HS Wink
_________________
"Le colonialisme et ses dérivés ne constituent pas à vrai dire les ennemis actuels de l'Afrique. À brève échéance ce continent sera libéré. Pour ma part plus je pénètre les cultures et les cercles politiques plus la certitude s'impose à moi que LE PLUS GRAND DANGER QUI MENACE L'AFRIQUE EST L'ABSENCE D'IDÉOLOGIE."
Cette Afrique à venir, Journal de bord de mission en Afrique occidentale, été 1960, Frantz Fanon, Pour la Révolution Africaine
2011, annee Frantz Fanon
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Chabine
Super Posteur


Inscrit le: 02 Mar 2005
Messages: 3040

MessagePosté le: Dim 23 Avr 2006 16:49    Sujet du message: Répondre en citant

Marin.R.Delany a écrit:
Htp,

juste pour avoir les idees claires Chabine: quel est ton but avec ce sujet?

Parceque l'idee selon laquelle on devrait se preoccuper nous egalement Afro de l'antisemitisme me fait peur. En effet, comme quelqu'un l'avait rappelle dans un autre sujet: on est tjrs recuperer par les autres lors de leur luttes. C'etait le feminisme, l'homosexualite, l'islamopobie, etc... avant.

Donc eclaire moi.... Merci


Alors... pour comprendre ma réponse, il est nécessaire de retirer les oeillères.

Le but de ce topic est d'apporter un éclairage sur une des communautés venues d'Europe qui a pris part à la colonisation de l'Afrique (nous sommes encore sur un forum Afro, ça devrait donc intéresser du monde), puis des Amériques. Eclairage historique intéressant, notamment pour ceux qui prétendent que tout le monde a été salopard (occidentaux, arabes, africains) dans cette affaire SAUF un certain peuple que d'aucuns voudraient parfait et qui n'aurait jamais trempé dans aucun traffic douteux... l'histoire montre que les choses sont bien entendu plus nuancées. Et ce recul historique, on peut le prendre sereinement, sans pour autant être taxé de quoi que ce soit. Pas de réclamations ni d'animosité particulière, juste les faits historiques.

Peut-être t'es-tu limité à lire ma réponse à dovdevan, d'où ta question. Relis le 1er post de ce topic, celà devrait t'éclairer.

Tu peux remettre tes oeillères maintenant (celà dit, tu verras plus loin sans Wink ).
_________________
"Le colonialisme et ses dérivés ne constituent pas à vrai dire les ennemis actuels de l'Afrique. À brève échéance ce continent sera libéré. Pour ma part plus je pénètre les cultures et les cercles politiques plus la certitude s'impose à moi que LE PLUS GRAND DANGER QUI MENACE L'AFRIQUE EST L'ABSENCE D'IDÉOLOGIE."
Cette Afrique à venir, Journal de bord de mission en Afrique occidentale, été 1960, Frantz Fanon, Pour la Révolution Africaine
2011, annee Frantz Fanon
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Chabine
Super Posteur


Inscrit le: 02 Mar 2005
Messages: 3040

MessagePosté le: Dim 23 Avr 2006 16:59    Sujet du message: Répondre en citant

Pas évident de trouver des infos en français, désolée Confused

http://www.mindspring.com/~jaypsand/mozambique.htm

Citation:
THE JEWS OF AFRICA
Sao Tome and Principe


One of the most tragic episodes in the history of African Jewry occurred on two small islands off the west coast of Africa called Sao Tome and Principe. The islands were not yet under Portuguese influence in 1496 when Portugal expelled its Jews in accordance with the Spanish Inquisition. When the Spanish had expelled the Jews who would not convert to Catholicism three years earlier many of them had fled to Portugal. King Manuel of Portugal had placed a huge head tax on the Jews there in order to finance his nation’s colonies. The king wished to colonize the small islands of Sao Tome and Principe but did not wish to risk too many Portuguese to do so. To punish the Jews who would not pay the head tax, King Manuel deported almost 2,000 of two to ten year old children to the islands. Only 600 were alive a year later.
Some of the surviving Jewish children retained some semblance of their parents’ religion. In the early 1600s the local bishop noted with disgust that there were still Jewish observances on the island and returned to Portugal because of his frustration with them. Observances had declined by the 18th century, but in the 19th and 20th centuries some Jewish traders arrived on the islands and seeded a new, small community. Today there are no known practicing Jews on the Islands but the descendants of the children, who distinguish themselves by skin that is slightly lighter than that of their neighbors, have expressed interest in learning more about the customs of their ancestors.



http://www.mindspring.com/~jaypsand/cape.htm

Citation:
THE JEWS OF AFRICA
Cape Verde


"Monument of the grave, a pure and righteous man who made himself walk in his purity, modesty and virtue. He, by his donation, exists. With full funds he sought justice. He strengthens all support of the group of the Burial Society. The wise and important Mister Mordechai Auday who went to his rest 2 day in the month of Tibet 5761 of Creation. May his soul be bound in the bond of life."

– translation from Hebrew of inscription on a tombstone in Cape Verde


The story of the Jewish community in Cape Verde is one of greed, slavery and the Portuguese Inquisition. Since the 1460s, when the Portuguese discovered the array of fourteen islands that sit 450 kilometers off the West African coast, they used the archipelago as a fueling station for explorers on their way to conquer the New World, as a stopover terminal for the slave traders, where they could also refuel and "dispose of" weak or objectionable slaves, and as an outpost for Jews that the Inquisition forced to convert to Catholicism under threat of death.

history

In 1492 when the Spanish expelled the Jews from their land, many fled to Portugal. In 1496 the Prince of Portugal was arranged to marry Juanita, the daughter of the Spanish King Ferdinand and Queen Isabella. The Portuguese agreed to expel their Jews in order to smooth the unification of the two monarchies, though they didn’t want to lose the Jews’ economic influence. They therefore closed the ports and sent priests to the wharves to convert the fleeing Jewish population. The Church immediately validated these conversions, creating an entirely new class of Portuguese citizens -- Christaos Novos, New Christians. Nevertheless, a lot of Christaos Novos did escape and migrated to places like Cape Verde, the refueling stop on the ocean route to the New World.

When Jews arrived at the archipelago the Portuguese inhabitants put them into a ghetto in the Cape Verdean capital, Ribiera Grande. The New Christians in Cape Verde practiced Christianity as other Portuguese did, though the other Cape Verdeans, jealous of their economic status, continually threatened to expose them as Jews. These Christaos Novos worked as merchants and in some cases slave traders, hiding their Judaism for generations until the late 1700s when the religious animosity fostered by the Inquisition faded. By that time, however, most New Christians had stopped practicing Judaism in any form.

When the slave trade became illegal in the early 1800s, Cape Verde became a place for steamers heading to and from the Americas to load and unload coal. Jews came to Cape Verde from Morocco looking both to make money in the coal industry and to flea their status as second-class citizens in Islamic North Africa. A small Moroccan-Jewish community developed on Cape Verde, primarily on the islands of Santiago, San Vincente and Santo Antao, and thrived there for nearly a century until many of them left for the State of Israel in the second half of the 20th century.

today

Descendants of the Portuguese Christaos Novos and the Moroccan-Jewish Cape Verdeans founded the Cape Verde-Israel Friendship Society in 1995 in order to revitalize Jewish life in the islands. In August Jay plans to journey to the islands and visit the Cape Verde-Israel Friendship society to explore the lives of today’s Jewish Cape Verdeans. Jay will try to convey the Cape Verdean Jewish community’s difficult past by photographing the Jewish cemeteries of Praia, Santiago, where the pinkish Jewish graves lie in a row amidst barren earth, the Penha Franaa cemetery of Santo Antao, which is located on the precipice of a mountain near Ribiera Grande on an arid stretch of black volcanic sand, the Jewish cemetery of Ponta do Sol in Santo Antao, which is surrounded by yellow plastered volcanic walls, and the deteriorating cemetery of Boa Vista, which is on a sandy piece of land surrounded by an ash adobe wall and an unhinged gate.

_________________
"Le colonialisme et ses dérivés ne constituent pas à vrai dire les ennemis actuels de l'Afrique. À brève échéance ce continent sera libéré. Pour ma part plus je pénètre les cultures et les cercles politiques plus la certitude s'impose à moi que LE PLUS GRAND DANGER QUI MENACE L'AFRIQUE EST L'ABSENCE D'IDÉOLOGIE."
Cette Afrique à venir, Journal de bord de mission en Afrique occidentale, été 1960, Frantz Fanon, Pour la Révolution Africaine
2011, annee Frantz Fanon
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Chabine
Super Posteur


Inscrit le: 02 Mar 2005
Messages: 3040

MessagePosté le: Dim 23 Avr 2006 17:13    Sujet du message: Répondre en citant

http://en.wikipedia.org/wiki/African_Jew

Citation:
Medieval arrivals

The largest influx of Jews to Africa came after the Spanish Inquisition and expulsion of the Jews in Spain in 1492, and Portugal and Sicily soon afterwards. Many of these Sephardic Jews settled in North Africa. Additionally, King Manuel I of Portugal exiled about 2,000 Jewish children to São Tomé and Príncipe around 1500. Most died, but in the early 1600s "the local bishop noted with disgust that there were still Jewish observances on the island and returned to Portugal because of his frustration with them." [2] Although Jewish practices faded over subsequent centuries, there are people in São Tomé and Príncipe who are aware of partial descent from this population. Similarly, a number of Portuguese ethnic Jews were exiled to Sao Tome after forced conversions to Roman Catholicism.

The Jews of Mali - There are several thousand people of undoubted Jewish ancestry in Timbuktu, Mali. In the 14th century many Moors and Jews, fleeing persecution in Spain, migrated south to the Timbuktu area, at that time part of the Songhai empire. Among them was the Kehath (Ka'ti) family, descended from Ismael Jan Kot Al-yahudi of Scheida, Morocco. Sons of this prominent family founded three villages that still exist near Timbuktu -- Kirshamba, Haybomo, and Kongougara. In 1492, Askia Muhammed came to power in the previously tolerant region of Timbuktu and decreed that Jews must convert to Islam or leave; Judaism became illegal in Mali, as it did in Catholic Spain that same year. As the historian Leo Africanus wrote in 1526: "The king (Askia) is a declared enemy of the Jews. He will not allow any to live in the city. If he hears it said that a Berber merchant frequents them or does business with them, he confiscates his goods." The Kehath family converted with the rest of the non-Muslim population. The Cohens, descended from the Moroccan Islamicized Jewish trader El-Hadj Abd-al-Salam al Kuhin, arrived in the Timbuktu area in the 18th century, and the Abana family came in the first half of the 19th century. According to Prof. Michel Abitbol, at the Center for the Research of Moroccan Jewry in Israel, in the late 19th century Rabbi Mordoche Aby Serour traveled to Timbuktu several times as a not-too-successful trader in ostrich feathers and ivory. Ismael Diadie Haidara, a historian from Timbuktu, has found old Hebrew texts among the city's historical records. He has also researched his own past and discovered that he is descended from the Moroccan Jewish traders of the Abana family. As he interviewed elders in the villages of his relatives, he has discovered that knowledge of the family's Jewish identity has been preserved, in secret, out of fear of persecution.[3]

_________________
"Le colonialisme et ses dérivés ne constituent pas à vrai dire les ennemis actuels de l'Afrique. À brève échéance ce continent sera libéré. Pour ma part plus je pénètre les cultures et les cercles politiques plus la certitude s'impose à moi que LE PLUS GRAND DANGER QUI MENACE L'AFRIQUE EST L'ABSENCE D'IDÉOLOGIE."
Cette Afrique à venir, Journal de bord de mission en Afrique occidentale, été 1960, Frantz Fanon, Pour la Révolution Africaine
2011, annee Frantz Fanon
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Chabine
Super Posteur


Inscrit le: 02 Mar 2005
Messages: 3040

MessagePosté le: Dim 23 Avr 2006 17:15    Sujet du message: Répondre en citant

http://www.saudades.org/jewscapev.html

Citation:
JEWS IN CAPE VERDE AND ON THE
GUINEA COAST

by Richard Lobban

Paper presented at the University of Massachusetts-Dartmouth
11 February 1996


HISTORICAL BACKGROUND IN PORTUGAL

In Iberia the Reconquista movement was growing in its mission to recover their lands from the Muslim Moors who had first arrived in the 8th century. Jews may have first arrived far earlier during the time of the Phonecians and Roman. Nevertheless, Maghrebi Jews were key allies of the Moors and centuries-long residents of Iberia. Probably as early as 1480 one may find the beginnings of the Spanish Inquisition and expulsion of Jews. It was however in 1492 the the Spanish Inquisition emerged in its fullest expression of intolerance, anti-Semitism. This social pathology quickly spread to neighboring Portugal where Portuguese Kings Joao II and especially Manuel I in 1496, determined to exile thousands of Jews to Sao Tome, Principe, and Cape Verde. The numbers expelled at this time were so great that the term Portuguese" almost implied those of Jewish origin. Those who were not expelled were converted by force or were even executed.

Despite the important role of Portuguese Jews in commerce, navigational sciences, and in the cartography of Africa, they faced riots, pogroms, and profound oppression during the
Spanish and Portuguese Inquisitions when they became termed Narannos (Moorish Jews)
or Judeus Segredos (Secret Jews). This led to forced conversions and to Jews becoming known
as Novos Cristaos (New Christians). It was not until 1768 that Portugal officially abolished the distinction between "Old" and "New" (i.e. Jewish) Christians.

Meanwhile, in order to begin to develop the Cape Verde Islands which had been discovered between 1455 and 1462 the Portuguese king granted a Royal Charter in 1466 to have the right" to trade in slaves for Portuguese residing in Cape Verde. This lucrative offer was soon to be rescinded and in 1472 slave trading rights were restricted to an exclusive royal monopoly. Thus from the very beginning of its history Cape Verde, and its diverse multi-cultural peoples were situated within the context of a slave society and the slave trade.

JEWS ON THE WEST AFRICAN COAST AND ISLANDS

Despite their despised, exile, or degredado (convict) status, the small number of Europeans and Jews residing in Cape Verde were allowed to engage in trade, as long as they did not compete severely with the Portuguese trading monopolies. On the other hand if trading polices of the king were not sufficiently liberal then there was little incentive or reward to trade at all. Such was the
eternal tension in Cape Verde between free Judeo-European traders in the islands and on the coast and the monopolistic tendancies of the Crown. To a certain extent, this structural rivalry remains right to the present. Some Cape Verdean commercial interests are focused on economic and political links to Portugal while others have made their ties to the politics and economies of coastal West Africa. Those who formally served the Portuguese ruling class came to be known as capitaos who were almost never Jews, and those free-lance traders were usually termed lan, cados who were often but not completely, of part Jewish origin.

At least by the early or mid 1600's Cape Verdean lanados had trading centers all along the Senegambian coast as especially at such places as Goree (famed for the Crioula female slave traders or Senhoras) Joal, Portuguese Town in Gambia, and Ziguinchor in the Casamance as well as in Cacheu, Bissau, Bolama and further down the Upper Guinea coast including the Portuguese role in the construction of Al-Mina castle in modern Ghana, which also included a visit by the famed navigator Christopher Columbus.

The excellent research of Jean Boulegue has brought to light many fascinating details of the Portuguese Jewish presence in Senegambia and Guinea. For example, in 1517 Portuguese King Manuel I made reference to a group of lan, cados on the Senegambian coast; most of these were Portuguese Jews who had been deported. The term lancados, derived from the Portuguese verb "to throw out," is related to their outcaste or fugitive role in Luso-African coastal commerce. Figuratively the term lancados means "outcastes." They were usually fugitive Portuguese settlers including those exiled degredados following their conviction for some political "crime" as was the case for Jews following the full-scale Portuguese Inquisition in 1536, but Christian lanados were also known.

Jews from Cape Verde and Portugal were already known in Joal as early as 1591 and a synagogue was noted there in 1641. In 1606, in Portugal, also on the Senegalese coast there were 100 Portuguese following the "Laws of Moses." Boulegue notes that in 1614 the Governor of Cape Verde recorded that the greatest number of lanados were Jews. In 1622 the Cape Verdean Governor, Dom Francisco de Mourra, reported to the Portuguese King that the Guinea coastal rivers were "full of Jews who were masters of the local regions and were quite independent of the Crown." No doubt such information relating to "the Jewish danger" gave "justification" to the Portuguese to punish two wealthy members of the Jewish community around the synagogue in Rufisque, Senegal, for economic excesses in 1629. When a branch of the Portuguese Inquisition was established in Cape Verde in 1672, one result was the seizure of Jewish-owned merchandise. As the 17th century evolved, the Portuguese were steadily displaced from Senegambia, but they retained their bases in the Cape Verde islands and in Guinea at Cacheu, Bolama, Bissau, Buba, Geba, Mansoa. In the 16th and 17th centuries the term ganagoga was also used in the Upper Guinea/Cape Verde region to imply Jewish lanados, but in practice ganagoga also meant people who were able to speak many local African languages. Allied with them were the tangomaos who represented a still deeper connection to the African interior for the lanados. It seems most likely that the term tangomao is a corrupted form of targuman, which means "translator" in Arabic.

Muslims and Arabic-speakers were and are widespread in this area, especially the northern and interior regions where the tangomaos or lanados traded. Lanados were reputed for being resourceful and courageous, and having initiative. The term also connotes the mixed-race traders living in the trading communities in the islands or on the coast where they conducted trade. They often had African wives from the local groups and, as such, their children can be said to be the nucleus of the future Crioulo population. They were economic intermediaries or middlemen for the Portuguese regional trade.

Other references to Portuguese or Iberian Jews sometimes use the term Ladino to note this social group which constituted a portion of early migrants to the Cape Verde Islands. Some references use this term for the people and language of 16th and 17th century Sephardic Jews. from the Iberian peninsula. The term ladinos could also refer to baptized African slaves. In either case, the
reference was often racist, and derogatory, and implied a lying, wandering, sneaky, and thieving group which was particularly untrustworthy. In certain social contexts it could be used affectionately to mean a scamp.

While seeking to convert or expel Jews from Portugal, the Crown in the 16th and 17th century allowed, or even encouraged, the lanados to settle along the Senegambian and Upper Guinea coast to trade for ivory, hides, slaves, gold, gum, wax, and amber while based in Cape Verde. Within the islands Jews would receive these same items for later resale to those traders who wanted to avoid the risks of coastal trade even if it meant higher costs in the islands. Jews in Cape Verde were also active in the trade of hides, urzella, and coffee.

Restrictions for the lanados prohibited them from selling iron bars, firearms, and navigational instruments, yet the lanados were clearly critical in the economic network which linked the Crown trade monopolies to the coast. Spanish and English smugglers using ties to the lan,cados were frequent violaters of these rather schizophrenic Portuguese prohibitions. Evidentally such trading enterprises were "too effective" so in 1687 the King of Portugal ruled that Cape Verdean Jews and lan,cados were officially forbidden to sell cloth currency or panos to foreigners. By producing panos with slave labor in farming and weaving, the Cape Verdean merchants undermined the royal economy. Yet this rivalry continued for centuries. Another short chapter of the history of Cape Verdean Jews appears in the 1820s when some of the very few Jews of Portugal were involved in the ULiberal Wars" in Portugal. These Jewish UMiguelistas" fled Santo Antao for refuge and exile. A final chapter of Jewish history in Cape Verde takes place in the 1850's when Moroccan Jews arrived, especially in Boa Vista and Maio for the hide trade. In short, Jewish history plays a role in Cape Verde and Guinea that is far greater than expected or recognized.

Thus, as early as the later 15th century and through the 16th and even 17th centuries, a Jewish coastal presence was deeply established. This brought on an important synthesis which was responsible for playing a central role in the creation of Crioulo culture.

These Jews, both in the Cape Verde Islands and on the coast, were at the heart of the
Afro-Portuguese merging which became Crioulo culture. The anti-Semitism of Spain and Portugal and the financial goals of the Portuguese Crown were constantly trying to restrict their success. The more successful, the more restrictions, but also the more deeply struck were the commerical and cultural roots of these people.

The lanados were themselves undergoing a transformation because of their intermediary and collaborative relation with African cultures. This contradictory nature at once set them apart, while embedding them in a multi-racial and multi-cultural identity that was being concurrently synthesized. In Cape Verde this was to become the essence of Crioulo culture. This process has its close parallels in East Africa with the commercial presence of Omani and Shirazi Muslims who were trading for ivory and slaves from the African interior. A trade language and an entire cultural
group, now known as KiSwahili evolved in this other regional context. In the Senegambian case, French and British expansion finally reduced the presence of the lan,cados and their military body guard associates, the grumettas, to only Portuguese Guinea and to urban and coastal entrepots. Until the war of national liberation (1963-1974) in Guinea-Bissau, Crioulo people, culture, and language were still mainly in urban areas. During the war the use of Crioulo spread throughout the countryside and the former commercial lingua franca has become the national folk language for both Cape Verde and Guinea-Bissau.

Clearly the Jewish and African slaver trader alliance was already of very great historical depth. This relationship was based upon several factors. On the one hand, the Portuguese Crown and its feitors and capitaos gained tremendous wealth from the slave trade and they did little to oppose it, however, they were pleased to have a social pariah group, like the lan,cados, be responsible for the front line operation of the trade. Meanwhile, the commercial skills, and higher level of literacy put the Jews in a strong position to have a critical role in an economy and society which otherwise shunned them. It should be made very clear that, by no means, were all Portuguese slavers Jewish, nor were all Portuguese involved in the slave trade; likewise the slave trade in the interior necessitated strategic African collaboration.

A reference to a lanado expedition to the goldfields of Bambuk in 1785-88 referred to a Jewish ganagoga who married a daughter of the Muslim Imam of Futa Toro. In their heyday, the lanados owned and operated their own ships, river craft and canoes, as well as carrying firearms, daggers, and swords. Above all they were traders in wax, gold, hides, cloths, ivory, and cotton. However, by the late 18th century, a clearly defined lanado community in Senegambia was gone, but not really departed. Virtually all lanados had African wives and consorts and their subsequent generations continued to play a central and substantial role in the culturo-linguistic melange which constitutes Cape Verdean Crioulo culture. This was formed in the context of the merging and blending of Iberian, Moorish, Jewish, and African peoples.

Although there is no formal Jewish synagogue in Cape Verde today and there is no official rabbi, an elder named David Cohen was reported to lead other Jews in prayer in the 20th century. Historically there was a very definite Jewish presence amongst early Cape Verdeans. Jews first came to the island of Sao Tiago as refugees from religious persecution during the Inquisition. They were shunned by the wider society of the islands at that time and they were confined to a separate ghetto-like community in Praia. During the early nineteenth century, Jews also came to settle in Santo Antao where there are still traces of their influx in the name of the village of Sinagoga, located on the north coast between Riberia Grande and Janela, and in the Jewish cemetary at the town of Ponta da Sol. The family names of Cohn (priest) and Wahnon are prominent in Santo Antao. Other Jewish settlers such as the Ben Oliel family migrated to Boa Vista (q.v.), trading in salt, hides, and slaves. Jewish-derived surnames can be found amongst the inhabitants of the islands. Such names can include Auday, Benros, Ben David, Cohn, DaGama, and Seruya.

The family of Salomao Ben Oliel is still active today in trading activities of the Sociedade Luso-Africana, Ltd. This hyphenated company name suggests the long historical roots between two cultural regions. Jewish cemetaries or graves are in Brava (at Cova da Judeu), Boa Vista, Sao Tiago (in Praia and Cidade Velha), Santo Antao (especially at Sinagoga), Sao Nicolau (at Mindelo), Fogo, and probably in other islands as well. In the l9th and 20th century Praia cemetary, for example, there are about eight grave markers still extant with Hebrew inscriptions. These were originally outside of the cemetary walls, but as it expanded, the walls were relocated and thereby integrated these deceased Jews with their Crioulo cousins.

The Atlantic slave trade has also been known as the Triangle trade as it described a vast triangular shape linking West Africa with the Caribbean and then to New England and Europe and thence back to Africa. As a result, in the Caribbean, in Curacao, Surinam, and Jamaica, there were Jewish populations similar to, and linked with, those in West Africa. The case of Jamaica parallels that of the lanados since it was in its period of growth from the 1630s to 1670s. Eighteenth century Portuguese Jews in Jamaica include names such as Alvarez, Cardoso, Coreia, DaCosta, Gomes, Gonsalis, Gutteres, Lamego, Quisano, and Torres. In Newport, Rhode Island leading Yankee families gained great wealth from the slave trade including key members of the ruling class, however for the Rhode Island Jews who were also involved they were exclusively of Portuguese origins.

CONCLUSION

In conclusion it is apparent the the Jewish history of Cape Verde is both long and complex. Cape Verdean Jews have ceased their community of religious believers, but the dimension of Jewish cultural identity unquestionably survives. With several Jewish cemetaries still extant with Hebrew inscriptions it seems that this might be an ideal project of historic preservation for those concerned with Cape Verdean or Jewish history.
The role of Jews in the slave trade is confirmed in Cape Verde, but it is essential to realize that they were only brokers within a system fully endorsed by the Portuguese kings who made the greatest fortunes of all. Moreover for those who engaged in finger-pointing in their analysis of the slave trade we must not forget that the was also active African participation and coordination as they sought to control this economy in Africa's interior. The celebrated ancient African empires of Ghana, Mali and Songhai were all built upon the slave export business as much as the plantation south in the USA is intimately linked to slave imports and as much as Samuel Slater's famous industrial textile mill wove cheap cotton which had been cultivated, picked, and transported by slaves. This business has few heroes. For those who single out Jews in this sorry traffice in humans, it must also be recalled thatAfrican Muslims were earlier into the trade across the Sahara, down the Nile and in the Indian ocean; it is in those regions of Muslim Africa that this cruel trade still contines to the very present.

As is said, when you point your finger of blame you may have three other fingers aimed in your own direction. So, we've just seen, the racial, ethnic, and religious diversity found deep within Cape Verdean Crioulo culture has been so tightly interwoven at this point that the time for recriminations is long gone. This must be replaced with a celebration of these complex roots and relationships, but all in the context of building a new sense of national unity and collective pride.

_________________
"Le colonialisme et ses dérivés ne constituent pas à vrai dire les ennemis actuels de l'Afrique. À brève échéance ce continent sera libéré. Pour ma part plus je pénètre les cultures et les cercles politiques plus la certitude s'impose à moi que LE PLUS GRAND DANGER QUI MENACE L'AFRIQUE EST L'ABSENCE D'IDÉOLOGIE."
Cette Afrique à venir, Journal de bord de mission en Afrique occidentale, été 1960, Frantz Fanon, Pour la Révolution Africaine
2011, annee Frantz Fanon
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Chabine
Super Posteur


Inscrit le: 02 Mar 2005
Messages: 3040

MessagePosté le: Dim 23 Avr 2006 17:30    Sujet du message: Répondre en citant

http://www.sefarad.org/publication/lm/042/4.html


LES JUIFS SEFARADES DES ANTILLES ET LE SUCRE
(Barbade, Surinam, Cayenne, Pomeroon, Martinique)


Mordechaï Arbell

En 1496 fut proclamé l'ordre d'expulsion des Juifs du Portugal, selon lequel ils devaient soit se convertir au christianisme, soit quitter le Portugal. En outre, les jeunes de moins de 18 ans ne pouvaient pas décider eux- mêmes de leur propre sort : c'est donc au roi que la décision incombait. Ce dernier décréta qu'ils deviendraient chrétiens, espérant que cela forcerait leurs parents à rester au Portugal. Quand le roi Manuel 1er prit connaissance de rapports selon lesquels des milliers de Juifs s'étaient concentrés près du port de Lisbonne, en quête de bateaux pour quitter le pays, il donna aux autorités l'ordre de les convertir de force. Cette conversion forcée fut à l'origine d'une nouvelle classe de citoyens au Portugal, appelée les «Nouveaux Chrétiens». Cette classe était soumise à certaines restrictions légales, parmi lesquelles l'interdiction de quitter le Portugal ou ses colonies.

Lorsque l'Inquisition fut instituée au Portugal - vers le milieu du XVIe siècle - les Juifs qui continuaient à pratiquer le judaïsme cherchèrent un moyen de quitter le Portugal, partant souvent vers les colonies portugaises, en particulier l'île de Madère et les Açores. En 1420; les Portugais importèrent la culture de la canne à sucre de Sicile à Madère, colonie portugaise depuis 1400. Madère commença alors à devenir productrice de sucre et, vers la fin du XVe siècle, l'île comptait quelque 150 moulins à sucre.1 En 1516, le roi Manuel 1er décréta que les personnes désirant émigrer au Brésil pour se lancer dans la production du sucre, recevraient de la couronne tout le matériel nécessaire, ainsi que l'assistance d'experts pour produire le sucre au Brésil.2 Les «Nouveaux Chrétiens» de Madère, qui étaient déjà spécialisés dans la production du sucre, ont commencé à émigrer au Brésil. L'historien Don Antonio de Campany de Montpalan a écrit en 1779: «(La canne à sucre) a été importée au Brésil de l'île de Madère en 1548 par les Juifs expulsés du Portugal.»3 Il est très difficile de définir quel fut le rôle précis des Juifs dans la production du sucre au Brésil. Les «Nouveaux Chrétiens» n'étaient pas toujours reconnus comme juifs, mais les documents attestent leur participation dans un triple domaine : la culture de la canne à sucre, la production du sucre et la commercialisation.

Gilberto Freyre écrit : «Les Juifs étaient les agents les plus actifs dans la conquête du marché du sucre au Brésil, durant le premier centenaire de la colonisation. Les Juifs étaient aussi les plus efficaces dans la technique des moulins à sucre.»4

Le Dr Herbert Bloom, dans ses études sur le Brésil, écrit : «Les Juifs étaient propriétaires d'énormes plantations de sucre» et il ajoute : «Les Juifs contrôlaient le commerce du sucre au Brésil.»5

Lorsque les activités de l'Inquisition se sont accrues, on a commencé à arrêter des Nouveaux Chrétiens accusés de pratiquer la religion juive. Parmi eux, beaucoup de planteurs, de commerçants et de propriétaires dans l'industrie sucrière. Pour citer un autodafé en date du 15 décembre 1647, sur 37 condamnés, on comptait 5 «senhores de engenho», 5 planteurs de canne à sucre et 4 fils de «senhores de engenho».6 Ces arrestations et confiscations de biens ont provoqué une régression dans les exportations de sucre. Dans le rapport de Don Luis da Cunha, du Conseil royal du roi Pedro II, au début du XVIIIe siècle, on peut lire : «L'Inquisition confisquait les biens des Juifs qui étaient investis dans la production du sucre. Cette production ayant été ruinée, Sa Majesté dut ordonner que les moulins à sucre ne soient plus confisqués !»7 Avec la baisse considérable des exportations de sucre du Brésil, le Brésil hollandais devient le seul centre sucrier du Brésil.



Le Brésil hollandais

En 1630, les Hollandais occupèrent la province de Pernambouc, avec les villes de Recife et Olinda. De nombreux Portugais avaient fui cette province, à la différence des Nouveaux Chrétiens qui eux, n'abandonnèrent ni leurs plantations, ni leurs moulins. La population juive de cette région constituait plus d'un tiers - si ce n'est la moitié - de la population blanche. Pour la plupart, ils n'étaient pas des «senhores de engenho», mais ils étaient en grande majorité des financiers de l'industrie sucrière. Ils recevaient du sucre en paiement des prêts accordés. Les Juifs étaient spécialisés dans la technologie de la production et le raffinage du sucre. Lorsque les Portugais réoccupèrent la région, en 1654, les Juifs furent expulsés. L'occupation portugaise de Recife, en 1654, provoque un nouvel exode des Juifs. La majeure partie d'entre eux cherche refuge en Guyane et aux Antilles. Les Hollandais, constatant la prospérité des productions de sucre dans lesquelles les Juifs s'étaient spécialisés et avaient investi des biens, firent leur possible afin de promouvoir l'implantation juive dans leurs colonies des Indes occidentales. Ils avaient également remarqué que le pôle d'attraction le plus important pour les Juifs restait le respect des droits de l'Homme. Ils ont donc promulgué une série de décrets en faveur des Juifs dans ce domaine.Les Anglais, voyant les progrès que les Hollandais avaient faits dans le commerce du sucre grâce à cette attitude, décidèrent d'imiter leur politique à l'égard des Juifs.


La Barbade

En 1625, les Anglais occupèrent l'île de la Barbade qui devint très vite surpeuplée. Dans cette île, la production de tabac et de coton avait échoué car les colonies anglaises de Virginie et de Caroline avaient une bien meilleure production. En 1640, ils se lancèrent dans la production d'un sucre de très mauvaise qualité, dont le prix de revient était presque égal à celui du transport.Avec la crise sucrière au Brésil et la réoccupation portugaise de Pernambouc, la Barbade a commencé à attirer des colons juifs du Brésil hollandais. Les Juifs décidèrent de prêter assistance aux colons anglais en fournissant capitaux, technologie, savoir-faire, marchés et lignes de crédit. En 1654, les Anglais donnèrent «aux Juifs du Brésil» l'autorisation de s'établir à la Barbade.8 Nous trouvons un exemple de la contribution juive à l'économie du sucre de la Barbade en la personne de David Rafael de Mercado de Recife. Dans le décret du 22 juin 1663, le gouverneur anglais Francis Lord Willoughby obtient le droit d'utilisation pour 14 ans d'un moulin à sucre - mettant en pratique une nouvelle technique de M. de Mercado - et le 2 janvier 1664, il donne la description de l'invention : un procédé de séchage et de cristallisation du sucre grâce à une nouvelle technique.9 10 En conséquence, le gouverneur Francis Willoughby, et après lui son frère Henry, ont décidé d'élargir la production et, pour obtenir l'exclusivité dans la région, de détruire les sucrières hollandaises à Cayenne et à Pomeroon (aujourd'hui dans la République de Guiane), et de créer une région de production de sucre au Surinam, alors sous domination anglaise. Dans ce but, ils décidèrent de s'approprier les spécialistes juifs du Brésil hollandais.


Cayenne - aujourd'hui la Guyane française

Après quelques tentatives françaises de coloniser l'île de Cayenne, les Hollandais fondèrent une colonie en 1656. La Compagnie hollandaise des Indes occidentales décida d'avoir recours aux colons juifs, très expérimentés dans l'industrie sucrière. Le 12 septembre 1659, la Compagnie signa avec David Nassie et ses partenaires - des réfugiés juifs du Brésil hollandais - un document par lequel ils devenaient «Patroon et Patroons dans une colonie sur l'île de Cayenne»,11 dans une localité du nom de ‘Remire'. Là, ils ont fondé une colonie, ils ont planté des cannes à sucre et construit une fabrique de sucre, utilisant l'énergie hydraulique. Un missionnaire français, le Père Labat, nous décrit les lieux : ...«un fort, une synagogue, une plantation de cannes à sucre, quelques très bons moulins à sucre et entre 300 et 400 Juifs !»12 En 1664, les Hollandais capitulèrent à la suite d'une attaque française commandée par Lefebvre de la Barre et Alexandre Prouville de Tracy. Exceptionnellement, les Français ont accordé aux Juifs de Remire la liberté de religion et leur ont permis de rester à Remire. Néanmoins, la majorité des Juifs ont choisi de partir pour le Surinam, encore anglais, et seuls 60 à 80 Juifs sont restés pour faire fonctionner les moulins à sucre - ce qui était de l'intérêt des Français.13 En 1667, sous les ordres du général anglais Henry Willoughby, le capitaine John Harmon a envahi Cayenne et Remire a été totalement détruite. L'industrie sucrière fut ruinée et les plantations furent entièrement brûlées. Selon un compte rendu anglais, il s'agissait de 51 chaudières de cuivre, de 10 moulins à sucre et d'une fabrique de sucre.14 Les bateaux anglais étaient remplis d'ustensiles pour la fabrication du sucre et on avait donné l'ordre de mettre les Juifs dans les bateaux et de laisser les Français dans la localité détruite, dans la jungle. Les officiers anglais ont protesté contre la mesure d'abandonner des chrétiens français à leur sort et de n'emmener que les Juifs. La réponse du général fut : «Les Juifs sont l'intérêt de Sa Majesté.»15 En fait, l'intérêt résidait dans le sucre. Les Juifs étaient transportés dans les colonies anglaises du Surinam et à la Barbade, avec ustensiles et machines. A la Barbade, les Juifs ne pouvaient pas développer leurs plantations. Les ouvriers étaient d'anciens prisonniers anglais. En tant que chrétiens, les Juifs n'étaient pas autorisés à les employer. Les esclaves noirs d'Afrique étaient eux aussi baptisés et, selon la loi, les Juifs n'avaient pas le droit d'employer plus d'un esclave, et à condition qu'il ne soit pas chrétien. 16 Les Juifs étaient également assujettis à des taxes spéciales, payables en sucre. La vie juive devenait impossible, au point que beaucoup de Juifs quittèrent la Barbade pour l'île de Nevis, qui était sous une administration différente.17 Là, ils sont devenus planteurs et marchands de sucre et ont fini par constituer un quart de la population blanche de Charlestown. Une épidémie, en 1689, et une attaque française, en 1706, ont décimé la population de Nevis. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle - avec la baisse de la demande de sucre des Antilles - les Juifs ont commencé à abandonner l'île.


Pomeroon

Le 24 décembre 1657, les maires des villes de Middelburg, Vlissingen et Vere aux Pays-Bas et la Compagnie des Indes occidentales ont décidé de fonder une colonie près de la rivière Pomeroon.18 Là aussi, on donna la préférence aux Juifs portugais du Brésil hollandais, spécialisés dans la production du sucre et aux Juifs séfarades parlant espagnol pour les contacts avec les colonies espagnoles en Amérique. Le nom de la ville était New Middelburg et grand nombre de Juifs arrivèrent du Brésil, de Livourne, d'Amsterdam et de Hambourg, et même de Salé au Maroc. Nous pouvons trouver la description de cette colonie chez deux colons juifs - Joshua Nunez Netto et Joseph Pereira - qui ont écrit le 15 septembre 1658 : «Les Indiens sont très aimables et les plantations sont excellentes et très fertiles.»19 Et dans une lettre écrite le 20 novembre 1660 par un Juif venu du Brésil hollandais, Philippe de Fuentes, on peut lire : «La terre ici est meilleure qu'au Brésil... L'endroit est plein de cannes à sucre et nous avons grand besoin de chaudières pour le sucre.»20 Dans le rapport du major anglais John Scott, datant de 1660, on trouve mentionnée : «... une grande colonie hollandaise de Juifs du Brésil, qui sont des grands planteurs de canne à sucre, une colonie florissante...»21 Quant au commandant anglais du Surinam, le général Byam, il écrit : » C'est la meilleure colonie que les Hollandais aient eue en Amérique-Pomeroon.»22 Le sucre de très haute qualité produit à Pomeroon fut mis sur le marché d'Amsterdam en juin 1661, et dès 1665, Pomeroon est devenu l'un des plus grands producteurs de sucre. Les Anglais, dans leurs efforts pour détruire tous les centres sucriers des Indes occidentales n'appartenant pas à l'Angleterre, attaquèrent New Middelburg en décembre 1665, sous le commandement de John Scott. La colonie fut entièrement détruite. La majorité des Juifs quittèrent Pomeroon pour l'île de Curaçao. Les Anglais n'étaient pas toujours victorieux dans leurs efforts de destruction et les Hollandais ripostèrent le 6 mars 1667. Le Surinam anglais tomba aux mains des Hollandais et les Anglais perdirent ainsi un des plus grands centres de production du sucre.


Le Surinam

En 1652, Francis Lord Willoughby de Parham décida, depuis son siège à la Barbade, de fonder une colonie anglaise près de la rivière Surinam. Il voulait avoir des colons juifs, et quelques-uns sont arrivés d'Angleterre. Les exilés de Cayenne, en arrivant au Surinam, ont établi une région exclusivement juive près de la rivière - la «Savanna Juive». Pour les inciter à s'y installer, les Anglais accordèrent, le 17 août 1655, un certain nombre «de privilèges aux membres de la nation hébraïque au Surinam...», ce qui leur conférait des droits sans précédent : liberté de religion, droit de posséder des synagogues, des cimetières, des écoles et des tribunaux. Les Juifs étaient considérés comme citoyens anglais à part entière, avec tous les droits qui leur revenaient.
A la suite de l'occupation hollandaise, des traités de paix furent signés, stipulant que les Anglais pouvaient évacuer le Surinam.23 Mais les Hollandais s'opposèrent à l'évacuation des Juifs, même s'ils étaient citoyens anglais. Le gouverneur hollandais Vorsterre a déclaré que sans les Juifs, l'économie du Surinam basée sur le sucre serait ruinée.24 Les Anglais envisageaient d'emmener les Juifs à la Jamaïque pour y développer la production de sucre. Les différends entre les Pays-Bas et l'Angleterre sur l'évacuation juive ont presque dégénéré en conflit armé. Le gouverneur de Jamaïque proposa que des terrains, des lignes de crédit et les droits réservés aux sujets anglais soient offerts aux Juifs qui seraient actifs dans le domaine du sucre.25 Le 1er octobre 1669, les Hollandais accordèrent aux Juifs des privilèges spéciaux, tels que l'autorisation de travailler le dimanche, la création d'unités armées juives, la liberté judiciaire, etc.26 Les Juifs ont préféré le Surinam et la Savanna Juive est devenue un grand centre sucrier. En 1694, la Savanna avait 570 Juifs dans 40 plantations et 9 000 ouvriers. Au milieu du XVIIIe siècle, elle comptait 2 000 Juifs (la majorité de la population blanche), 115 plantations et une dizaine de milliers d'ouvriers. Les bateaux venus d'Europe arrivaient par la rivière Surinam jusqu'à la Savanna pour y prendre le sucre. Entre 1700 et 1750, les exportations de sucre ont triplé : il est impossible d'établir les chiffres relatifs à l'exportation juive parce qu'il n'existe pas de statistique particulière sur les Juifs. Les plantations sont devenues des villages portant des noms bibliques tels que Goshen, Carmel, Beersheva, Gilgal, Dothan, etc. Il y avait même une petite ville, capitale de la Savanna Juive, du nom de «Jérusalem près de la rivière». Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle - après une occupation française destructrice et par suite du développement de la production de sucre de betterave en Europe et des rébellions d'esclaves - la Savanna Juive a été peu à peu abandonnée et les Juifs sont partis pour Paramaribo.



Martinique et Guadeloupe

Lors de l'arrivée de Juifs du Brésil hollandais à la Martinique et à la Guadeloupe, le Père du Tertre nous raconte :
«... un navire de 1 400 tonneaux fit voile vers nos isles et aborda à la Martinique (1654). Les chefs vinrent faire la révérence à M. du Parquet et le supplièrent en même temps d'agréer qu'ils habitassent dans son isle, aux mesmes conditions et redevances que les habitants François, M. du Parquet y estant tout disposé, mais les RRPP Jésuites lui ayant remonstré qu'il n'y avait rien de plus contraire aux intentions du Roi, il se résolut avec bien de la peine de le refuser...»27

à la Guadeloupe : «... M. Hoüel les ayant fort bien reçus, leur accorda leur demande avec beaucoup de joie. Deux autres grands navires vinrent mouiller la nuit suivante... Le même jour, deux autres grands navires abordèrent.»28

et à la Martinique : «... Peu de temps après, un grand navire arriva (du Brésil) rempli de Juifs, le tout faisant 300. M. le Parquet reçut ceux-cy à bras ouverts !»29

C'est de cette manière que la production de sucre remplaça celle du tabac. En 1661, il y avait 71 moulins à sucre à la Guadeloupe, et un peu moins à la Martinique. En 1671, on comptait à la Martinique 111 moulins avec 6 582 ouvriers, et en 1675, il y avait 172 moulins.30 La présence juive prend fin avec la signature par Louis XIV du fameux «Code Noir», dont le premier paragraphe stipule :

«... Enjoignons à tous nos officiers de chasser hors de nos isles tous les Juifs qui y ont établi leur résidence, donc d'en sortir dans trois mois... à peine de confiscation de corps et de biens.»31

Les Juifs sont donc partis pour l'île de Curaçao, et l'activité sucrière est passée aux mains des Français.

Vers la fin du XVIIIe siècle, les Juifs ont concentré leurs efforts sur le commerce du sucre, et non sur sa production. Citons pour exemple l'île hollandaise de Saint-Eustache - dont la majorité des habitants étaient des Juifs et qui, en 1779, a exporté 12 millions de kilogrammes de sucre, bien qu'elle en ait produit seulement 300 000 kilos - le restant venant des autres pays d'Amérique.32 Les Juifs séfarades aiment les activités relatives au sucre. Aujourd'hui, les industries sucrières à Panama et au Salvador sont aux mains des Juifs séfarades. Au début du XXe siècle, les Juifs séfarades établis à Cuba étaient actifs dans le domaine du sucre. La compagnie française «Sucre et Denrées» appartient d'ailleurs à des Juifs séfarades, mais c'est une autre histoire. Toujours est-il qu'Israël importe son sucre.

Mordechaï Arbell

1 Edmond von Lippman, Historia do Asuçar (Rio de Janeiro, 1942), vol. II, p. 14.
2 Guillermo de Carli, O Asuçar na Formaçao Economica do Brazil, dans Anuario Açucarero (Rio de Janeiro, 1936), p. 7.
3 Leon Huhner le cite sous «Brazil», in Jewish Encyclopedia (New york, 1902), vol. III, p.359.
4 Gilberto Freyre, The Masters and the Slaves : Study in the Development of Brazilian Civilization (New York, 1946), p. XII.
5 Dr. Herbert J. Bloom, Study of Brazilian Jewish History, in : Publications of the American Jewish Historical Society, 33 (1934), p. 52 et 55.
6 Processo de Manuel de Moraes, in Revista do Instituto Historico y Geografico Brazileiro, 70 (1908), pp. 25-26.
7 Testamento Politico da Carta Escrita pelo Gonde D. Luis da Cunha, p. 54, cité dans : Arnold Wiznitzer's Jews in Colonial Brazil (New York, 1960), p. 151.
8 Lucas manuscript, vol. II Barbados Museum and Historical Society 14, 1-2, publié par M. Arbell : Portuguese Jews of Barbados, dans Nova Renasença, Spring/Automn 1998, p. 358.
9 N. Darnel Davis : Notes on the History of the Jews in Barbados. Publications of the American Jewish Historical Society, 18 (1909), p. 148.
10 Publié par Jan Jacob Hartsink : Beschryving van Quiana (Amsterdam, 1770), p. 940.
11 Werner Sambaot, The Jews and Modern Capitalism (Glencoe, Illinois, 1951), p. 35
12 R. P. Labat, Voyage de Chevalier des Marchais en Guinée et Cayenne (Amsterdam, 1725),p. 90.
13 Jean-Baptiste du Tertre, Histoire générale des Antilles habitées par les Français (Paris, 1967), vol. III, p. 34.
14 Noel Deer, History of Sugar (London, 1949), vol. I, pp. 237-238.
15 V. T. Harlow, Colonizing Expeditions to the West Indies and Guiana 1623-1667 (London, 1924), p. 241.
16 Hilary Beckels, A History of Barbados - English Colonization - 1625-1644 (Cambridge G. B. 1990); p. 21 et Lucas Manuscript, p. 410.
17 Wilfred Samuel, A Review of the Jewish Colonists in Barbados, dans Transactions of the Jewish Historical Society of England, 13 (1932-1935), pp. 401-404.
18 James Rodway, Guiana : British, Dutch and French (New york 1912), p. 60.
19 D. J. Meijer, Pioneers of Pauroma (Pomeroon), Paramaribo, 1954.
20 Box 30, Oppenheim Collection, dans les archives de l'American Jewish Historical Society.
21 Cornelius Goslinga, The Dutch in the Caribbean and on the Wild Coast, 1580-1680 (Assen, 1985), pp. 418-423.
22 Lieut. général Byam, Journal of Guyana from 1665-1667. British Museum, Sloan MS n°3.662. fol. 27.
23 Les accords de paix de Breda du 27 juillet 1667 et le traité de Westminster, du 9 février 1674.
24 Public Record Office in London, Calendar of State papers, Colonial Series America and the West Indies, art. 624, 11 July 1675.
25 Public Record Office - vol. 36 n°23, Calendar art. 818.
26 Historical Essay on the Colony of Surinam (Paramaribo 1786) p. 38, écrit par Moshe de Leon, Samuel de la Parra, David Cohen Nassy et autres.
27 Du Tertre, pp. 460-461.
28 Du Tertre, pp. 462-463.
29 Du Tertre, pp. 463-464.
30 Pierre Pruchon (ed.) Histoire des Antilles et de la Guyanne (Toulouse, 1982), pp. 93-94.
31 Louis XIV, «Code Noir, Edit du Roy servant de règlement touchant la police des isles de l'Amérique Françoise», Versailles 1685.
32 J. Hartog, History of St. Eustatius (Aruba 1976), p. 39.
_________________
"Le colonialisme et ses dérivés ne constituent pas à vrai dire les ennemis actuels de l'Afrique. À brève échéance ce continent sera libéré. Pour ma part plus je pénètre les cultures et les cercles politiques plus la certitude s'impose à moi que LE PLUS GRAND DANGER QUI MENACE L'AFRIQUE EST L'ABSENCE D'IDÉOLOGIE."
Cette Afrique à venir, Journal de bord de mission en Afrique occidentale, été 1960, Frantz Fanon, Pour la Révolution Africaine
2011, annee Frantz Fanon
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
dovdevan
Grioonaute


Inscrit le: 14 Avr 2006
Messages: 13

MessagePosté le: Lun 24 Avr 2006 14:12    Sujet du message: peuple parfait chabine ? Répondre en citant

qui a dit que le peuple juif était parfait ? es - ce que les noirs sont parfaits ? cependant moi non plus je n'ai aucune animosité non plus contre les noirs la question qui est posée n'est pas de savoir qui est parfait ou pas comme si tu te posais en juge !!! mais comme tu l'as si bien dit chabine pourquoi des peuples ont ils été persécutés plus que d'autres par les europééns ? l'histoire du peuple juif comme l'histoire des noirs doit etre raconter de facons universelle pour que chaque individu sur cette terre se sentent concernés c'est la que la mémoire des victimes entre en jeu !!!
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Chabine
Super Posteur


Inscrit le: 02 Mar 2005
Messages: 3040

MessagePosté le: Lun 24 Avr 2006 14:47    Sujet du message: Re: peuple parfait chabine ? Répondre en citant

dovdevan a écrit:
qui a dit que le peuple juif était parfait ? es - ce que les noirs sont parfaits ? cependant moi non plus je n'ai aucune animosité non plus contre les noirs la question qui est posée n'est pas de savoir qui est parfait ou pas comme si tu te posais en juge !!! mais comme tu l'as si bien dit chabine pourquoi des peuples ont ils été persécutés plus que d'autres par les europééns ? l'histoire du peuple juif comme l'histoire des noirs doit etre raconter de facons universelle pour que chaque individu sur cette terre se sentent concernés c'est la que la mémoire des victimes entre en jeu !!!


Si tu vivais en France, dovdevan, tu comprendrais mon point de vue. Il est devenu impossible ici d'émettre la plus légère critique voir le moindre doute à l'égard de tout ce qui s'apparente de près ou de loin à la communauté juive, sous peine d'être condamné pour antisémitisme (Edgar Morin a récemment payé pour le savoir). Je ne me pose en juge de rien du tout, il y a des éléments historiques qui doivent permettre à chacun de se faire leur opinion librement.

Perso, je n'ai d'animosité que contre les falsificateurs et manipulateurs de l'Histoire. Je rejoins pleinement ta conclusion Wink
_________________
"Le colonialisme et ses dérivés ne constituent pas à vrai dire les ennemis actuels de l'Afrique. À brève échéance ce continent sera libéré. Pour ma part plus je pénètre les cultures et les cercles politiques plus la certitude s'impose à moi que LE PLUS GRAND DANGER QUI MENACE L'AFRIQUE EST L'ABSENCE D'IDÉOLOGIE."
Cette Afrique à venir, Journal de bord de mission en Afrique occidentale, été 1960, Frantz Fanon, Pour la Révolution Africaine
2011, annee Frantz Fanon
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Chabine
Super Posteur


Inscrit le: 02 Mar 2005
Messages: 3040

MessagePosté le: Mer 26 Avr 2006 01:08    Sujet du message: Répondre en citant

http://nuevomundo.revues.org/document551.html

Nathan WACHTEL
La Foi du Souvenir Labyrinthes Marranes




Marranisme et modernité

La condition marrane témoigne exemplairement des drames, des angoisses, des ambiguïtés, mais aussi des mutations et des créations de l’Occident moderne. Dans une vaste perspective d’histoire comparée, l’on a pu mettre en parallèle deux séries de phénomènes sans lien dans l’espace et largement distants dans le temps : d’une part la trajectoire historique du judaïsme ibérique au cours des XVè et XVIè siècles, et d’autre part celle du judaïsme allemand (voire européen) au XIXè siècle et dans la première moitié du XXè1. En Espagne, l’intégration brillamment réussie dans la société globale des “ nouveaux chrétiens ” issus des communautés juives suscita le refus majoritaire des “ vieux chrétiens ”, qui réagirent par l’élaboration des statuts de “ pureté de sang ” excluant les descendants de conversos des charges et des carrières auxquelles le baptême leur avait théoriquement donné accès. Dans l’Allemagne contemporaine, le processus d’émancipation et d’assimilation des Juifs s’accompagna du développement corrélatif d’un antisémitisme à fondement racial, qui aboutit à la catastrophe finale que l’on sait. Malgré les différences évidentes entre les deux ordres de phénomènes, les analogies n’en sont pas moins manifestes, sous deux aspects notamment. Le caractère transmissible, biologique, du rejet dont sont victimes les Juifs convertis ou assimilés relève en effet, dans les deux cas quoique sous des formes diverses, d’un même irrationalisme prétendument justifié par une logique du sang. Et dans les deux cas également les uns et les autres ont apporté à la culture de leur temps des contributions extraordinairement riches et novatrices2.

Que de tels rapprochements à travers les siècles puissent faire sens conduit à inscrire les études sur le marranisme dans la problématique générale de l’émergence d’une certaine modernité en Occident, en différents champs, tant dans celui de l’histoire socio-économique que dans celui des croyances religieuses ou de l’histoire intellectuelle. - Modernité économique, en effet, non seulement parce que les marchands “ nouveaux chrétiens ” ont contribué à l’élaboration de nouvelles formes d’échanges, mais encore et surtout parce que les réseaux commerciaux qu’ils ont instaurés dans le contexte des grandes découvertes et de l’expansion européenne se déploient sur des distances jusqu’alors inconnues, à une échelle planétaire. De la péninsule Ibérique, à partir de Lisbonne et de Séville, leurs liens s’étendent jusqu’aux côtes africaines et au continent américain, d’où ils se prolongent, démesurément, jusqu’aux Philippines et à l’Asie. A Lisbonne, le réseau s’articule avec le grand axe portugais qui s’ouvre en direction des Indes orientales, par les côtes africaines encore et par Goa. De Séville comme de Lisbonne, l’articulation se fait également, souvent par l’intermédiaire de membres des mêmes familles “ nouvelles chrétiennes ”, avec Anvers, le principal port de redistribution, pendant la plus grande partie du XVIè siècle, pour les produits venant des régions lointaines à destination de l’Europe occidentale et centrale. Et la connexion continue à se faire quand Amsterdam prend le relais d’Anvers, par l’intermédiaire des mêmes “ nouveaux chrétiens ” redevenus juifs. De là les liens se déploient aussi vers Livourne ou Venise où ils débouchent sur les autres ramifications de la diaspora marrane en direction du Proche-Orient, par la côte dalmate, Salonique, et jusqu’à Constantinople. En bref, ces réseaux contribuent éminemment à la formation, qui remonte à cette première expansion européenne, du gigantesque processus que l’on appelle aujourd’hui mondialisation.

Quant à la modernité dans le champ de l’histoire religieuse et intellectuelle, elle résulte du fait que, pour certains du moins de ces “ nouveaux chrétiens ”, le clivage entre l’éducation chrétienne et l’héritage juif conduit, ou peut conduire, à une distanciation critique, à une remise en cause de l’une et de l’autre tradition. Au delà des schématismes réducteurs d’une histoire apologétique, il convient de restituer la religiosité marrane dans sa complexité et sa diversité, sur le large éventail qui se déploie entre deux pôles, celui des judaïsants fervents d’une part, et celui des chrétiens sincères d’aute part, en passant par toute une série de cas intermédiaires et de combinaisons syncrétiques. Car ce que le champ religieux des “ nouveaux chrétiens ” comporte de spécifique, c’est précisément cette tension vécue entre les deux religions, judaïsme et christianisme, avec les hésitations qui en résultent, les doutes, les oscillations, les allers et retours, parfois le détachement sceptique, mais aussi les interférences, les hybridations et les doubles sincérités. De ces complexités mouvantes émergent, en définitive, un sens inédit de la relativité des croyances (comme en témoigne Montaigne), ainsi que l’esprit critique qui pour la première fois dénie leur caractère sacré aux textes bibliques (comme ose le faire Spinoza, génie par excellence du marranisme). D’où s’ensuivent les idées, modernes en effet, de tolérance et de liberté des consciences3.

Dans ce contexte, quelques précisions de vocabulaire s’imposent. Ce n’est pas un hasard si les termes de “ marrane ” et de “ marranisme ”, malgré leurs connotations autrefois péjoratives, ont fini par être admis pour leur commodité d’usage : ils correspondent à une réalité objective, celle d’une certaine “ religiosité ”. Par ce dernier vocable, j’entends non pas une religion clairement définie par une doctrine théologique, mais un ensemble d’inquiétudes, de pratiques et de croyances qui s’incrivent dans une configuration composée d’éléments variables, voire contradictoires, et dont la diversité n’exclut pas une manière d’unité, un style générique permettant de l’identifier d’un terme propre, en l’occurrence celui de “ marrane ”4.


L’univers marrane paraît trop vaste, trop divers, et l’état de la recherche en ce domaine encore trop peu avancé pour que l’on puisse le traiter, comme il conviendrait, dans sa globalité. C’est pourquoi le présent ouvrage se limite à une enquête menée sur le volet américain de la diaspora marrane, en ce Nouveau Monde où les migrants européens mirent en oeuvre l’un des principaux creusets de notre modernité. Or, concernant ces migrants, une première observation pose problème : ceux que l’on peut distinguer, parmi eux, comme “ nouveaux chrétiens ” (judaïsants ou non) sont dans leur quasi totalité d’origine portugaise, non seulement au Brésil - ce qui n’a rien de surprenant -, mais encore dans les immenses territoires espagnols, du Mexique au Pérou, des Caraïbes au Rio de la Plata. Ils ont pu suivre des itinéraires complexes, passer par l’Espagne et s’embarquer à Séville, leurs généalogies signalent généralement une ascendance lusitanienne. Comment expliquer cette longue perpétuation du marranisme portugais, alors que le marranisme proprement espagnol semble avoir été plus précocement extirpé ?

A cette question, l’on connaît la fameuse réponse donnée par Spinoza, né précisément dans ce milieu des anciens conversos portugais devenus “ nouveaux juifs ” à Amsterdam, qui même après son excommunion lui restent très familiers :

“ Que la haine des nations soit très propre à assurer la conservation des Juifs, c’est d’ailleurs ce qu’a montré l’expérience. Quand un roi d’Espagne contraignit les Juifs à embrasser la religion de l’Etat ou à s’exiler, un très grand nombre devinrent catholiques romains et ayant part dès lors à tous les privilèges des Espagnols de race, jugés dignes des mêmes honneurs, ils se fondirent si bien avec les Espagnols que, peu de temps après, rien d’eux ne subsistait, non pas même le souvenir. Il en fut tout autrement de ceux que le roi de Portugal obligea à se convertir; exclus des charges honorifiques, ils continuèrent à vivre séparés ” 5.

Outre le caractère absolument novateur, et même subversif, de cette explication qui, pour la première fois, rejette toute intervention de la Providence dans le cours des événements humains, procédant ainsi à la sécularisation de l’histoire juive (donc de l’histoire tout court), ce que l’on retiendra ici, plus particulièrement, c’est un point de l’argumentation de Spinoza pertinemment relevé par Yosef H. Yerushalmi6 : les statuts de pureté de sang furent en effet élaborés d’abord en Espagne, puis adoptés au Portugal, et il ne semble pas que leur application ait sensiblement différé entre les deux pays (dans l’un comme dans l’autre il était toujours possible de falsifier les généalogies, de corrompre les officiers royaux, etc.). -Il est vrai que plusieurs décalages conjoncturels rendent compte d’importantes différences entre les deux cas. En Espagne, la période pendant laquelle la société globale reste largement ouverte aux “ nouveaux chrétiens ” s’avère plus ancienne et plus longue qu’au Portugal : les conversions massives y commencent dès la fin du XIVè siècle, après les massacres de Séville de 1391, puis continuent régulièrement pendant les décennies suivantes, jusqu’aux conversions encore plus massives (et l’expulsion) de 1492, tandis que la répression des pratiques judaïsantes chez les conversos est menée dès 1480 avec l’introduction des Tribunaux de l’Inquisition. Quant aux statuts de pureté de sang, les premiers n’apparaissent que ponctuellement au milieu du XVè siècle, et leur ample diffusion doit encore attendre jusqu ’aux années 1550 (avec l’action, notamment, de l’archevêque de Tolède, Juan Martinez Siliceo). Dans ce large contexte, l’on comprend les observations de Spinoza sur l’intégration réussie des “ nouveaux chrétiens ” dans la société d’accueil en Espagne, et sur la disparition relativement rapide du judaïsme dans ce pays. En ce qui concerne le cas portugais, l’on peut aussi admettre la validité de la théorie en quelque sorte pré-sartrienne selon laquelle c’est le regard d’autrui (“ la haine des nations ”) qui fait le Juif et le maintient dans sa judéité, à condition d’ajouter qu’une telle explication n’épuise pas toutes les dimensions du phénomène, et qu’elle serait très réductrice si elle revenait à le vider de tout contenu positif.

Nous suivrons en effet l’analyse de Yosef H. Yerushalmi pour rappeler les caractères distinctifs du marranisme portugais, qui lui confèrent d’ exceptionnelles capacités de persistance dans le temps7. La différence essentielle par rapport au cas espagnol réside dans la dimension véritablement collective, au Portugal, de la conversion : en 1497, c’est l’ensemble de la communauté juive qui, de force, reçoit le baptême et se trouve tout d’un coup composée de “ nouveaux chrétiens ”. Suivant des modalités distinctes, les vagues de conversion avaient commencé, en Espagne, au moins un siècle plus tôt, puis elles s’étaient échelonnées au fil des massacres en laissant à chaque fois subsister une communauté juive diminuée, qui subit ainsi “ un lent processus d’érosion ” 8, jusqu’à l’expulsion finale. De la fin du XIVè siècle à la fin du XVè, coexistaient donc en Espagne des conversos de plus en plus nombreux et des Juifs qui restaient fidèles à leur foi, les relations entre les uns et les autres, souvent parents ou alliés, combinant dans un noeud complexe attirance et répulsion. Au contraire, dans le cas portugais, ce face à face n’a jamais existé, et comme c’est la communauté juive tout entière qui, dans le même temps, subit la conversion, ses réseaux de solidarité et de sociabilité (avec ses notables, ses rabbins, ses savants) n’ont pas été soudainement démantelés : il leur suffit simplement de devenir clandestins. Dans les années qui suivirent la conversion forcée, les autorités portugaises firent d’ailleurs preuve d’une relative tolérance quant à la perpétuation discrète de pratiques juives, jusqu’aux premières vagues de répression menées par l’Inquisition (qui ne fut introduite qu’ en 1536-1540). La persistance de ces pratiques s’explique d’autant plus qu’une bonne partie des Juifs portugais, en 1497, n’étaient autres que ces Juifs espagnols qui, en 1492, venaient de se montrer les plus ardents dans leur foi et avaient cherché refuge dans le pays voisin. La quarantaine d’années (1497-1540) pendant lesquelles, au Portugal, ne se trouvent en présence, dans un climat relativement apaisé, que les “ vieux chrétiens ” d’une part et les “ nouveaux chrétiens ” récemment convertis d’autre part, s’avèrent ainsi d’une importance cruciale pour la “ cristallisation ” d’un crypto-judaïsme spécifique, plus solidement constitué qu’en Espagne.

Par une sorte d’ironie de l’histoire, l’Union dynastique entre l’Espagne et le Portugal, prononcée en 1580 par Philippe II, accéléra les migrations des “ nouveaux chrétiens ” à l’intérieur tout d’abord de la péninsule Ibérique : c’est ainsi que de nombreux descendants des Juifs exilés au Portugal en 1492 effectuent un retour au pays de leurs ancêtres. Ils y sont encouragés par la différence, à nouveau, des conjonctures : depuis 1540, l’Inquisition portugaise mène contre les hérétiques judaïsants une action répressive encore plus sévère que ne l’avait été celle de l’Inquisition espagnole à la fin du XVè siècle et au début du XVIè. Cette dernière, de son côté, avait été suffisamment efficace pour aboutir, pratiquement, à la disparition du marranisme espagnol, qui ne survivait plus que dans quelques cas résiduels. Aussi bien les poursuites de l’Inquisition espagnole contre les judaïsants, depuis le milieu du XVIè siècle, s’étaient-elles considérablement atténuées : véritable chassé-croisé entre les deux pays, de sorte que l’Espagne pouvait alors apparaître, aux yeux des “ nouveaux chrétiens ” portugais, comme une terre de relatif refuge. Mais l’afflux de ces migrants détermine, logiquement, une revitalisation du crypto-judaïsme en Espagne, qui entraîne à son tour la réactivation des poursuites inquisitoriales contre les conversos à l’extrême fin du XVIè siècle et dans le courant du XVIIè : au cours des autodafés célébrés par les différents Tribunaux espagnols pendant cette période, ce sont presque toujours des “ nouveaux chrétiens ” portugais, ou d’origine portugaise, qui sont condamnés9.


Au-delà de la péninsule Ibérique, les migrations des “ nouveaux chrétiens ” portugais (ou de leurs parents redevenus juifs) ont apporté une contribution majeure aux transformations économiques et à l’expansion européenne dans le monde au début de l’ère moderne. Pour comprendre l’étendue de leurs réseaux, il convient de ne pas se limiter (comme y incite la date symbolique de 1492) à la seule mise en relation de l’expulsion des Juifs d’Espagne et de la découverte de l’Amérique. Les itinéraires suivis signalent en eux-mêmes (et renforcent) les changements en cours. Rappelons en effet que les Juifs qui s’enfuirent d’Espagne en 1492 émigrèrent non seulement au Portugal, mais aussi dans d’autres pays européens (Sud-Ouest de la France, Italie, etc.) et, surtout, dans diverses régions de l’Empire ottoman. Or, si nous considérons le contexte général de l’époque, ce sont précisément dans ces deux aires, lusitanienne d’un côté et ottomane de l’autre, que se produisent les bouleversements qui déterminent alors une mutation du système commercial traditionnel10. D’une part, les explorations et conquêtes portugaises au XVè siècle sur les côtes africaines (bien avant la découverte de l’Amérique), puis en Inde et en Insulinde dans la première moitié du XVIè, instaurent de nouveaux itinéraires maritimes à longue distance, où les “ nouveaux chrétiens ” occupent rapidement des positions importantes. D’autre part, et en même temps, l’expansion turque vers les Balkans et la politique ottomane ébranlent les établissements jusqu’alors dominants des marchands vénitiens, florentins, ou gênois, qui perdent le contrôle du trafic (des épices, des soieries) avec le Proche-Orient : les émigrés juifs installés sur la côte dalmate, à Salonique ou à Constantinople peuvent ainsi les remplacer dans le rôle d’intermédiaires entre la Méditerranée orientale et l’Occident11. C’est donc par une double brèche que la diaspora marrane a pu en quelque sorte s’introduire et créer une situation inédite en reliant les unes aux autres les conditions nouvelles que leur offrait la conjoncture politique et économique.

Il convient en effet de considérer dans leur ensemble les réseaux de solidarités (familiales, commerciales) que tissent, à travers continents et océans, tant les “ nouveaux chrétiens ” de Lisbonne, de Séville ou d’Anvers que les “ nouveaux Juifs ” de Livourne, de Venise, de Salonique, ou plus tard d’Amsterdam, même si nous ne sommes pas encore en mesure de reconstituer, dans le détail, les modalités d’articulation entre les divers sous-réseaux, régionaux, inter-régionaux, et trans-continentaux. La nouvelle configuration du commerce à longue distance exigeait des connaissances et une expérience dont les anciennes élites marchandes étaient dépourvues, au moment même où les “ nouveaux chrétiens ”, émancipés des interdits qui les avaient marginalisés en tant que juifs, pouvaient enfin accéder à toutes les charges et fonctions : la maîtrise des nouvelles techniques de crédit et de production leur permit de s’engager sur les voies que les grandes découvertes et les entreprises coloniales ouvraient largement devant eux. -Soit, à titre d’illustration, l’exemple de la production et de la commercialisation d’un article inédit en Occident: le sucre de canne. La culture de la plante est en effet introduite, tout d’abord, dans l’île de Madère, qui dès la fin du XVè siècle (avec 150 moulins) domine le marché européen du sucre. Un premier transfert a lieu, en 1493, vers l’île de São Tome au large du Golfe de Guinée, qui devient à son tour, au milieu du XVIè siècle, le principal producteur de sucre (importé à Lisbonne en quantités croissantes, dans les décennies 1550-1560, puis transporté à Anvers). Et l’ on sait à quel succès spectaculaire devait conduire un nouveau transfert, à partir des années 1540, de São Tome au Brésil, qui connaît alors son premier essor économique. La culture de la canne et la fabrication du sucre exigent une technologie complexe, des capitaux abondants et des réseaux commerciaux étendus : aussi bien, à toutes les étapes successives de cet itinéraire de la canne à sucre, les “ nouveaux chrétiens ” ont-ils joué un rôle prépondérant (tels Diogo Fernandes qui arrive au Brésil après avoir exercé ses activités à Madère, ou Felipe de Nis venu de São Tome) 12. Et ce sont d’autres techniques encore et de nouveaux circuits qui s’instaurent quand il s‘agit, dans les territoires de l’Amérique hispanique, des métaux précieux de Nouvelle Espagne ou du Pérou.

Les “ nouveaux chrétiens ” portugais étaient déjà nombreux dans les colonies espagnoles d’Amérique quand l’union des deux Royaumes, en 1580, accéléra effectivement les flux de migrants, malgré les prohibitions vainement répétées 13. Le Brésil leur offrait une sorte de base à partir de laquelle deux itinéraires conduisaient dans les territoires hispaniques : le premier, par le nord, suivait la côte vénézuelienne et menait aux Caraïbes puis au Mexique; le deuxième, par le sud, passait par le Rio de la Plata, puis, soit par le Paraguay, soit par Tucuman, Salta et Jujuy, permettait d’atteindre le Charcas et le Pérou, c’est à dire, notamment, le légendaire Potosi et ses fameuses mines d’argent. L’itinéraire du nord était plus rapide, peut-être plus fréquenté, d’où l’installation à Carthagène, en 1610, du troisième Tribunal de l’Inquisition sur le continent américain; (les deux premiers avaient été créés l’un à Lima en 1569, et l’autre à Mexico en 1570). Mais sur l’itinéraire méridional, malgré de nombreuses revendications, le projet de création d’un autre Tribunal à Buenos Aires se heurta constamment à l’opposition de celui de Lima, qui conserva sa juridiction sur une aire immense, aux confins difficilement contrôlables. Le Rio de la Plata devint ainsi l’un des lieux privilégiés de l’immigration des conversos portugais, comme le décrivent, par exemple, en 1602, ces observations extraites de la correspondance entre le Roi et l’Audience de Charcas :

“ De nombreux Portugais sont entrés par le Rio de la Plata; ce sont des gens peu sûrs en la matière de notre Sainte Foi catholique, et dans la plupart des ports dans les Indes, il y en a de cette espèce [...]; dans certains ports, ils ont fait entrer nos ennemis, et ils font commerce avec eux ” 14

La défiance qu’inspirent ces immigrés revêt donc plusieurs aspects, étroitement mêlés, à la fois religieux, politiques et économiques. Quelques années plus tard, en 1619, les avertissements sont encore plus explicites : “ Nous tenons pour certain que doivent arriver de nombreux fuyards, des Juifs d’Espagne et du Brésil [...]; il faut remédier à la facilité avec laquelle les Juifs entrent en ce port et en sortent; mais on n’y peut rien, car comme il sont tous portugais, ils s’aident et se cachent les uns les autres ” 15.

Une évaluation quantitative de ces migrations se heurte cependant aux problèmes que posent les insuffisances de nos sources. Un certain nombre de recensements traitent en effet de migrants portugais en général, sans que l’on puisse toujours distinguer entre “ vieux chrétiens ” et “ nouveaux chrétiens ”. C’est donc en tenant compte de cette imprécision que l’on peut évoquer quelques données, approximatives et partielles, relatives à certaines villes ou régions de l’Amérique espagnole. -Ainsi, vers 1620, Buenos Aires n’était encore qu’un petit bourg, en fait, de 252 vecinos espagnols, auxquels s’ajoutaient 50 étrangers, dont 46 Portugais. Une vingtaine d’années plus tard, en 1643, une liste établie à la suite d’un édit ordonnant le désarmement des Portugais dénombre 370 personnes, pour une population totale que l’on peut estimer alors à environ 1 500 habitants (soit un taux, énorme, de 25 % pour la population d’origine portugaise) 16. Dans l’arrière-pays de Buenos Aires, la vaste région du Tucuman qui assure la liaison avec Potosi compte, au début du XVIIè siècle, quelque 700 hommes adultes (parmi lesquels 325 vecinos au sens strict), et 109 Portugais qui représentent donc plus de 15 % de la population 17. Ce sont des pourcentages analogues que l’on retrouve dans la Ville Impériale de Potosi, où résident 6 000 Espagnols (et qui avec une population totale d’environ 130000 habitants figure alors parmi les plus peuplées du monde) 18. Quant à la Nouvelle Espagne, l’on y observe également une plus forte concentration de Portugais dans les centres miniers, tels que Pachuca ou Zacatecas, où les taux atteignent 15%, ainsi que dans le port de Vera Cruz et les grandes villes telles que Guadalajara et Mexico 19.

Les procès des années 1640 à Mexico procurent un échantillon d’environ 250 personnes, qui relèvent toutes, en principe, de la catégorie des “ nouveaux chrétiens ” judaïsants 20. Les inventaires dressés à la suite des confiscations de leurs biens fournissent des informations sur leurs occupations professionnelles et leur niveau de fortune. Dans leur immense majorité (83 %), ils sont engagés dans des occupations commerciales, à tous les degrés de l’échelle sociale, depuis la position exceptionnelle d’un Simon Vaez Sevilla, l’un des plus riches hommes d’affaires de Nouvelle Espagne, jusqu’au niveau très modeste des colporteurs ou des marchands sur les étals des marchés. Leurs autres activités, généralement urbaines, sont surtout artisanales, plus rarement celles de comptables, médecins, voire maître d’armes. Les conditions de fortune de ce groupe marrane, estimées sur la base des séquestres, présentent une grande diversité, d’une minorité de pauvres (soit plus de 20 %) à une strate moyenne aisée (près de 45 %) et une élite très riche (près de 15 %), tandis qu’ à l’intérieur de la société coloniale mexicaine ces “ nouveaux chrétiens ” paraissent se situer, globalement, à un niveau économique relativement élevé21. Ce que confirme, très remarquablement, leur degré d’instruction : tous les hommes interrogés par les Inquisiteurs savent lire et écrire; quant aux femmes, 68 % savent lire, et 50 % écrire. Autre indice : 20 % des membres du groupe ont reçu une instruction supérieure (dans un collège, une université, ou un monastère), et l’on relève sans surprise une corrélation entre le niveau de fortune et le niveau d’instruction22.

Les activités essentiellement commerciales de ces “ nouveaux chrétiens ” s’inscrivent dans des réseaux hiérarchisés, de parenté, de clientèle et de crédit, qui relient les plus riches marchands établis à Mexico jusqu’aux plus petits boutiquiers des régions périphériques. Le réseau le plus étendu, celui que dirige Simon Vaez Sevilla, à la fois transatlantique et transpacifique, met en relation trois continents : il assure la redistribution en Nouvelle Espagne de divers produits européens (tissus et vêtements de luxe ou plus grossiers, outils de fer, papier, cire, vin, huile, mercure, etc.), mais aussi esclaves embarqués sur les côtes africaines, et enfin articles “ de Chine ” venant des Philippines (et réexportés également au Pérou et en Europe); parmi les produits mexicains exportés en retour figurent principalement la cochenille, l’indigo, et bien évidemment l’argent. Or cet immense réseau fonctionne sur une base solidement familiale. A Séville, tout d’abord, les partenaires privilégiés de Simon Vaez ne sont autres que ses frères ou cousins, originaires comme lui de Casteloblanco. Ceux-ci sont en relations d’affaires avec d’importants négociants, tels que les frères Alonso et Gaspar Passarino, eux-mêmes partenaires de Duarte Fernandez et de Jorge de Paz, qui apparaissent parmi les principaux créditeurs de la Couronne (tous Portugais “ nouveaux chrétiens ”) pendant le gouvernement d’Olivares. On sait en effet que celui-ci conduisit son ambitieuse politique en ayant recours à l’appui financier de ce petit groupe de puissants hommes d’affaires, auxquels il accordait faveurs et protection, et dont le rôle prépondérant, à Madrid, atteignit son apogée dans la décennie des années 1630 23. Ces grands banquiers effectuaient eux aussi leurs multiples opérations sur la base de vastes réseaux familiaux, ou de rapports de clientèle, de sorte que les réseaux portugais sur le continent américain se situent en somme dans leur prolongement.

Les affaires des Portugais “ nouveaux chrétiens ” comportent un négoce fondamental dans la constitution des empires coloniaux modernes, à savoir le trafic des esclaves africains. Or celui-ci est pratiquement contrôlé, à la fin du XVIè siècle et dans la première moitié du XVIIè, par les réseaux de la diaspora marrane. Il convient de rappeler, en effet, que pendant toute la durée de l’Union dynastique, de 1580 à 1640, tous les bénéficiaires d’ asientos (contrats accordés par la Couronne pour le droit exclusif du transport d’un certain nombre d’esclaves noirs d’Afrique au Nouveau Monde) furent des hommes d’affaires portugais, généralement “ nouveaux chrétiens ”. Les côtes occidentales africaines étaient divisées en secteurs (ou “ contrats ”), pour lesquels la Couronne confiait la levée des impôts, pendant une durée déterminée et en échange d’une somme globale, à des particuliers (ou à des compagnies de particuliers). Ces fermiers contractants établissaient à leur tour des accords, dits avenças, avec des trafiquants d’esclaves, pour la plupart portugais également, qui les exportaient à partir de leur secteur24. - Ce n’est pas tout. Sur ce trafic se greffe une composante essentielle de l’histoire non seulement économique, mais aussi sociale de l’ Amérique ibérique, avec l’exercice de la contrebande. Il n’était pas difficile en effet, pour les trafiquants munis d’avenças, de charger leurs navires d’esclaves et de marchandises en quantités très supérieures à celles que leur permettaient les dites licences, et de les écouler illicitement sur le continent américain, où l’on retrouve les réseaux des “ nouveaux chrétiens ”. La contrebande qui suivait les voies régulières était largement pratiquée, avec la complicité des officiers royaux, dans les deux ports autorisés à la traite régulière : à Vera Cruz (d’où les esclaves sont redistribués au Mexique et dans les Caraïbes), et surtout à Carthagène (pour leur redistribution soit vers les Caraïbes et le Mexique également, soit vers le Pérou). Quant à la contrebande en quelque sorte sauvage, en dehors des itinéraires réguliers, elle se concentre principalement, au long du XVIIè siècle, dans le Rio de la Plata 25.

C’est un autre grand chapitre de l’histoire coloniale de l’Amérique ibérique que celui du détournement de l’argent extrait de Potosi, acheminé clandestinement par voie de terre jusqu’à Buenos Aires, d’où il est exporté en direction du Brésil et surtout de l’Europe 26. Les échanges transatlantiques s’articulent dans le Rio de la Plata aux marchés régionaux intermédiaires (du Tucuman et du Paraguay), les importations en contrepartie de l’argent se composant principalement d’objets manufacturés européens et de nombreuses troupes d’esclaves. Les réseaux portugais jouent ici encore un rôle essentiel, et le relais du Brésil offre, en outre, des profits considérables 27. - Aussi est-il d’intérêt plus qu’anecdotique de rappeler que l’un des pionniers de l’ouverture de cet itinéraire de Potosi à Buenos Aires, puis au Brésil et en Europe, n’était autre que le premier évêque de Tucuman, Francisco de Victoria, d’origine “ nouvelle chrétienne ”, dont les activités commerciales, illicites en plus d’un sens, sont restées fameuses28; et qu’un frère de Francisco de Victoria, Diego Perez de Acosta, après avoir été marchand pendant une vingtaine d’années à Potosi, au Cuzco, et en d’autres régions du Pérou, fut brûlé en effigie lors de l’autodafé de 1605 à Lima. Sans doute avait-il pu échapper à l’arrestation grâce à la protection de son frère : l’on retrouve sa trace, plus tard, à Séville, puis à Venise; et il termine sa vie à Safed, en Palestine 29.

Après l’indépendance recouvrée par le Portugal, en 1640, et la fin de l’union dynastique, la contrebande qui passe par Buenos Aires est désormais dominée par les Hollandais, mais le réseau portugais se maintient à un niveau qui reste important, comme le montre le mouvement des navires entrés dans ce port, dans la deuxième moitié du XVIIè siècle, en dehors du système des licences 30, et comme le confirme paradoxalement la fondation du côté brésilien, en 1682, de la Colonie du Sacramento afin de détourner une partie du trafic de Buenos Aires 31. Quant à la contrebande hollandaise, elle bénéficie à partir de la même époque d’un autre point d’ancrage, l’île de Curaçao (l’“ Amsterdam ” caraïbe), d’où rayonne un vaste réseau qui s’étend aux côtes voisines de la Nouvelle Grenade et du Vénézuela, ainsi qu’à l’ensemble des Caraïbes 32. Or ce n’est pas un hasard non plus si la fortune de Curaçao est étroitement liée, à l’origine, au trafic des esclaves : précisément à l’asiento conclu en 1662 avec un groupe d’hommes d’affaires gênois, qui ne purent à leur tour que passer des accords avec la Compagnie des Indes occidentales pour la fourniture et le transport des Noirs d’Afrique. On sait qu’une prospère communauté juive se développa à Curaçao, tout au long du XVIIIè siècle, composée notamment de facteurs des marchands séfarades d’Amsterdam : quant à leurs correspondants en terre ferme, principalement à Coro, en face de l’île, ou à Maracaïbo, c’étaient encore souvent des marchands “ nouveaux chrétiens ” (et qui dans la colonie espagnole ne pouvaient que le rester) 33.


Dispersion quasi planétaire, solidarités transcontinentales et transocéaniques : ces immenses réseaux qui relient des “ nouveaux chrétiens ” de Lisbonne, d’Anvers ou de Mexico, et des Juifs de Livourne, d’Amsterdam ou de Constantinople présentent un caractère remarquable, et neuf en cette aube de la modernité, celui précisément d’unir des dizaines de milliers de personnes qui ne professent pas officiellement la même foi religieuse, et cependant partagent le sentiment d’appartenir à une même collectivité, désignée lapidairement par un mot : la Nação 34. Le terme de “ nation ” était employé notamment, au cours des siècles précédents, pour distinguer selon leur origine les colonies marchandes installées dans tel grand port ou telle place de commerce (soit par exemple, à Bruges ou à Florence, les nations gênoise, anglaise, allemande, etc.). Or, quand l’expression “ nation portugaise ” apparaît à Anvers, en 1511, lors de l’octroi de leurs droits et privilèges aux marchands de cette mouvance, il se trouve que ceux-ci sont pour la plupart “ nouveaux chrétiens ”, et souvent judaïsants. Plus tard, à Venise, Ferrare ou Amsterdam sont tolérées des institutions religieuses fondées, au grand jour (même si discrétion est exigée), par des Juifs de la “ nation portugaise et espagnole ”. Plus tard encore, dans la deuxième moitié du XVIè siècle, quand de nombreux conversos refluèrent du Portugal vers l’Espagne, ils furent désignés comme des “ Portugais de la nation hébreu ” ou, simplement, comme des “ Portugais de la nation ” 35. Pour se désigner eux-mêmes, les “ gens de la Nation ” employaient des expressions où les deux termes étaient pour ainsi dire interchangeables : “naçam portugueza ou hespanhola, hebreas ”, ou “ naçam hebrea, Portuguezes ou Hespanhoes ”36. Le terme de Nação tout court, la “ Nation ” par excellence, finit ainsi par superposer, sur un mode sous-entendu et ambigu, à la fois le sens de “ juif ” et celui de “ portugais ”. Ce que confirmera explicitement, à la mi-XVIIè siècle, l’observation du Père Antonio Vieira : “ dans le langage populaire, pour la plupart des nations européennes, ‘Portugais’ se confond avec ‘Juif ’ ” 37.

La “ Nation ” désigne, dès lors, une entité à la fois nouvelle et paradoxale, qui par définition n’est pas incluse dans un territoire, puisqu’aussi bien ses membres se dispersent de toutes parts, sur tous les continents. Bien plus : si l’on considère l’ensemble de la diaspora marrane, la “ Nation ” se réfère dans sa plus large extension tant aux Juifs déclarés dans les pays où ils peuvent professer librement leur religion qu’aux “ nouveaux chrétiens ” (judaïsants ou non) qui vivent en terres d’intolérance 38. Le tableau est d’autant plus complexe que la diaspora en question connaît une constante mobilité : tandis que des “ nouveaux chrétiens ” fuient les poursuites inquisitoriales pour affirmer leur foi juive à Amsterdam ou Venise, des Juifs précédemment “ nouveaux chrétiens ” peuvent être amenés, par la gestion de leurs affaires, à revenir en Espagne, au Portugal ou dans les colonies ibériques, et à reprendre le masque chrétien. D’ailleurs, même à Amsterdam, les Juifs séfarades persévèrent en quelque sorte dans une personnalité double, signalée par les deux noms qu’ils portent : car outre leur nom hébreu employé dans le cadre de la communauté juive, ils continuent à user de leur nom portugais ou espagnol pour toutes leurs opérations commerciales, signant de ce seul nom lettres de change, pouvoirs, reconnaissance de dettes, etc.39. Ainsi, comme l’observe Yosef Kaplan, “ l’identité religieuse et la solidarité ethnique ne coïncidaient pas nécessairement ” 40. Une telle distinction est parfaitement illustrée par Menasseh ben Israël lorsqu’il évoque la figure d’Antonio de Montesinos, auteur du fameux récit de la découverte des tribus perdues d’Israël, quelque part dans les Andes de Nouvelle Grenade; il présente celui-ci, en effet, comme “ juif de religion et portugais de nation ” 41.

Mais l’on savait bien, en même temps, que tous les Portugais n’étaient pas de religion juive, et que tous les Juifs n’appartenaient pas à la “ nation ” portugaise. Quelles étaient donc les composantes du sentiment d’identité propre aux “ gens de la Nation ”? Il semble bien qu’eux-mêmes aient en somme intériorisé l’idéologie ibérique de la pureté de sang (en inversant ses termes, et en faisant de leur ascendance juive une raison d’orgueil), de sorte que la dimension ethnique finit par l’emporter sur la dimension proprement religieuse. C’est ce dont témoigne spectaculairement l’une des institutions de la communauté juive d’Amsterdam, la Santa Companhia de dotar orfans e donzelas pobres : les statuts de cette confrérie, rédigés en 1615, stipulaient en effet sa vocation à aider les jeunes filles pauvres de la nation portugaise ou espagnole “ qui résidaient entre Saint-Jean-de-Luz et Danzig [...], en France, dans les Flandres, en Angleterre, et en Allemagne ” 42. En revanche, la confrérie n’était pas destinée aux jeunes filles juives ashkénazes clairement exclues de son champ d’action. Quant aux jeunes filles séfarades qui pouvaient bénéficier de ses oeuvres, elles vivaient extérieurement en chrétiennes, mais n’en étaient pas moins admises de plain pied comme membres de la “ Nation ”, et, bien plus, considérées comme dignes de la perpétuer puisqu’il s’agissait de les pourvoir d’une dot afin qu’elles puissent se marier au sein de la communauté juive. Ainsi, plutôt qu’à l’observance littérale des règles de la Halakhah (ensemble des lois religieuses juives), prééminence était accordée à la vérité cachée, à la fidélité secrète. En dépit des critères du judaïsme normatif des rabbins, les “ gens de la Nation ” manifestaient donc une “ affinité ethnique et sociale avec les crypto-juifs, et même avec les nouveaux-chrétiens dont l’identité juive avait été pratiquement effacée ” 43 .

Plus généralement, parmi tous ceux qui vivaient dispersés dans les pays où le judaïsme était interdit, selon quels critères convenait-il d’identifier les membres de la “ Nation ” ? Il suffisait, suivant les mêmes statuts de la Santa Companhia de dotar orfans e donzelas pobres, “ que soient véritablement établies leur croyance en l’unité du Seigneur du monde et leur connaissance de la vérité de sa très Sainte Loi, qu’il soient ou non circoncis, qu’ils vivent au sein du judaïsme ou en dehors ” 44 - Ce n’est donc pas la pratique quotidienne des préceptes de la religion juive qui est demandée, mais, explicitement, l’attachement à leur esprit, de sorte que la croyance paraît réduite, en l’occurrence, à l’abstraction d’un simple déisme. Mais celui-ci n’englobe pas tout monothéisme : il se définit par opposition au christianisme. Le rappel de “ l’unité du Seigneur du monde ” se réfère de toute évidence, pour le rejeter, au dogme de la Trinité, tandis que “ la vérité de sa très Sainte Loi ” signifie que, à l’inverse de ce que prétend l’Eglise, la loi de Moïse n’est pas caduque. Cependant, si l’appartenance à la “ Nation ” requiert la connaissance de cette vérité (et non pas nécessairement l’observance de tous les rites), se pose aussitôt la question de la transmission de cette connaissance dans le temps, d’une génération à la suivante : il s ‘agit dès lors de conserver et perpétuer une mémoire dans sa dimension collective, conformément à l’exigence si profondément enracinée dans la tradition juive, qui s’exprime dans le commandement : zakhor, souviens-toi. Le devoir de mémoire, associé au sentiment ibérique de la fierté du sang et de l’origine, suppose que soit entretenu le souvenir des ancêtres qui ont inculqué cette vérité, et des martyrs qui ont témoigné pour elle : il se fonde, en définitive, sur la conscience d’une histoire collective et d’une communauté de destin. Histoire emplie de drames, de persécutions, de violences : si l’identité des “ gens de la Nation ” se définit, en un sens, par réaction à la “ haine ” que lui portent les autres nations (selon la thèse de Spinoza), elle comporte en même temps une composante fondamentale, et positive, de fidélité aux ancêtres. Car les membres de la “ Nation ” partagent bien, au-delà de leur diversité, une foi commune : la foi du souvenir.


Mes travaux antérieurs sur le monde andin entendaient opérer un renversement des perspectives traditionnellement européo-centristes en tentant de restituer, à travers l’étude des sociétés indigènes, le point de vue des vaincus, voire (avec les Indiens Urus) celui des vaincus des vaincus. Sur la longue durée s’entremêlent continuités, ruptures, transformations et créations. A propos de certains phénomènes de résistance autochtone, où des fidélités et survivances païennes se dissimulaient sous un masque chrétien, j’avais été amené à évoquer, par analogie, une sorte de “ marranisme ” indien 45. Mais ce n’est pas pour combattre les idolâtries indigènes que les Tribunaux de l’Inquisition furent introduits sur le continent américain : les Indiens, en tant que néophytes, échappaient en principe à leur juridiction. Si ces Tribunaux avaient pour mission de poursuivre les hérésies en général, ils visaient tout particulièrement, par définition, celle des “ nouveaux chrétiens ” judaïsants, qui incarnent ainsi une autre Amérique souterraine, quoique paradoxale, puisqu’elle s’inscrit à l’intérieur des secteurs européens dominants. C’est cet envers des colonisateurs eux-mêmes qu’il s’agit maintenant d’explorer : soit opérer un autre renversement des perspectives, ou déplacement du regard, en tentant de saisir sous ses divers aspects la face cachée, clandestine, de la société créole. En ce sens, après La Vision des vaincus et Le Retour des ancêtres, ce livre sur La Foi du souvenir forme le dernier volet d’une trilogie dont le fil conducteur serait celui d’une “ histoire souterraine ” des Amériques, entre mémoire et oubli.

La question marrane, dans ses multiples dimensions (religieuse, intellectuelle, économique, sociale, politique), constitue un phénomène dont l’intelligence exige une étude autant que possible globale. Pour l’aborder, le présent ouvrage ne prétend proposer qu’une première esquisse, sous la forme d’une galerie de portraits. De fait, les milliers de procès conservés dans les archives inquisitoriales nous offrent comme autant de miroirs où se reflètent les vies d’hommes et de femmes dont il ne reste plus que ces traces inscrites devant les Tribunaux du Saint-Office. D’où des portraits, en effet, plutôt que des biographies à proprement parler, car cette documentation ne nous fournit, au total, que des informations partielles et fragmentaires. Mais en même temps, grâce à la richesse d’innombrables détails, elle nous immerge au coeur et dans le quotidien du monde marrane. Bien plus : le regard porté sur les personnages que nous allons côtoyer nous situe dans la perspective d’une histoire non seulement “ vue d’en bas ”, mais encore, littéralement, vécue dans le monde souterrain des prisons. Le miroir risque du coup d’être parfois déformant, mais si nous l’interrogeons avec la prudence requise, il peut s’avérer d’autant plus révélateur tant des êtres que des comportements et des mécanismes sociaux.

On se propose ainsi de composer le récit d’événements souvent dramatiques, de retracer des destins toujours singuliers, autrement dit de tenter de faire entendre l’écho de ce qui fut une unique fois dans le passé. Retour à une historiographie d’un autre âge ? C’est d’abord la nature de nos sources qui impose une réduction de l’échelle et une concentration de l’objectif dans le sens d’une enquête micro-historique : car les archives judiciaires dont nous disposons, principalement les procès inquisitoriaux, traitent par définition du local, de groupes et de personnes. Cependant, de tels documents permettent également de situer les individus dans leurs trajectoires, leurs stratégies, leurs rapports avec les autres au sein de la société globale : au-delà de l’idiosyncrasie de chacun d’entre eux, ils représentent bien plus qu’eux-mêmes, et, chacun à sa manière, expriment quelque chose du collectif dont ils ne peuvent s’abstraire. De l’un à l’autre apparaissent évidemment des différences, mais aussi des analogies et de nombreuses récurrences. C’est en définitive un portrait de groupe que l’on entreprend, réunissant une dizaine de personnages ainsi que les protagonistes qui leur sont proches, choisis non sans quelque arbitraire en fonction de leur complémentarité et de la qualité des sources, le tout sur une durée relativement longue, de la fin du XVIè siècle à la première moitié du XVIIIè : limites suffisamment larges pour tenter d’atteindre, au delà des cas individuels, des résultats de portée plus générale. L’épilogue enfin établira un lien entre le passé et le présent de l’extrême fin du XXè siècle pour rendre compte de phénomènes de résurgence qui se produisent jusqu’à nos jours.

Il s’agit donc non seulement de portraits, mais aussi d’itinéraires, de périples, de connexions, de réseaux multiples. Car ces destinées singulières se croisent, se mêlent, convergent et divergent, s’entrelacent, se conjoignent et se disjoignent dans un fourmillement d’interrelations complexes, écheveau embrouillé d’affinités et d’inimitiés, d’intérêts partagés ou opposés, de solidarités ou de trahisons. Ce sont ces labyrinthes marranes que l’on entreprend d’explorer. Les procès inquisitoriaux se prêtent, de fait, à de nombreux recoupements, tout particulièrement quand ils concernent les membres d’une même famille ou un groupe de judaïsants d’une même mouvance, souvent amenés, selon des modalités diverses (plus ou moins spontanées ou contraintes), à se dénoncer et s’accuser les uns les autres 46. Les correspondances entre aveux et dénonciations permettaient aux Inquisiteurs de corroborer les charges contre les inculpés, puis de prononcer leurs sentences. Cependant, s’il est vrai que l’historien procède, de même, par rapprochements, croisements et vérifications, et que l’établissement des données factuelles relève en un sens de l’enquête policière, la recherche savante s’élabore dans une perspective distincte et selon des critères bien différents de ceux des Inquisiteurs, puisqu’elle se donne pour tâche non pas de juger, mais, suivant une démarche à la fois analytique et compréhensive, d’étudier objectivement les pensées, les sentiments et les comportements conscients des acteurs, de mettre au jour les logiques sociales sous-jacentes, généralement inconscientes, et de les situer dans leur plus large contexte historique. Certes nos sources, malgré leur richesse, ne nous fournisssent jamais que des traces discontinues, qui n’éclairent que des moments, des segments de vie, tandis que de vastes zones restent dans l’ombre, et que nous saisissons malaisément ce que les scènes entrevues, voire les secrets dévoilés, représentaient pour les intéressés eux-mêmes. Soit autant de biographies morcelées qui nous imposent cette gageure : tenter de reconstituer une totalité en assemblant les pierres dispersées et très lacunaires du puzzle.

Cet ensemble en outre évolue, change, le tableau se transforme ; s’il s’agit bien, en définitive, de remettre en scène des péripéties qui s’enchaînent dans une narration, celles-ci s’inscrivent dans diverses temporalités, à des rythmes variables : car les “ jeux d’échelles ” s’appliquent non seulement aux cadres spatiaux, mais encore aux emboitements de différentes durées 47. Suivant que l’on se situe dans la perspective la plus globale ou dans celle de la micro-analyse, le récit s’accélère ou ralentit, survolant les années et les décennies, ou s’attardant aux multiples moments de la journée. Il importe de réintroduire ces variations dans l’écoulement du temps en fonction de la configuration spatiale, tout en posant la problématique de la construction de l’identité dans ses rapports avec la mémoire collective. C’est pour mieux mettre en évidence les contrastes entre flux relativement lents et instants de plus grande intensité dramatique que je me suis permis, à certaines étapes de l’exposé, de transcrire les citations (plus particulièrement de dialogues) en style direct, sous forme “ théâtrale ” : recours non pas à un artifice rhétorique (les textes originaux sont, bien évidemment, reproduits littéralement dans les notes infra-paginales), mais à un simple procédé technique afin de donner à entendre, aux moments requis, les voix de nos témoins.

Ajoutons que nous sommes encore en présence de victimes, de vaincus : de ces destins saisis généralement dans une situation de crise (qui se prolonge souvent pendant des années), et de la seule traversée de ces documents d’archive se dégage une puissance d’émotion qu’il importe d’exprimer dans sa plénitude, sans pour autant verser dans une histoire larmoyante ou apologétique. Le problème est à la fois de méthode et d’éthique : peut-on garder la froideur du regard clinique à la lecture, entre autres, des dizaines de pages au long desquelles un greffier a scrupuleusement enregistré non seulement les aveux d’un prisonnier soumis à la torture, mais encore toutes ses plaintes, ses gémissements, ses supplications, et jusqu’à ses cris de douleur ? La victime est là, au milieu de ces folios jaunis, pantelante, et cependant le métier d’historien ne saurait se limiter à l’exercice de la seule sensibilité : il requiert que ces moments pathétiques soient mis en perspective sur ce qui peut leur donner sens. Partager à travers les siècles les angoisses, les douleurs, les espoirs des acteurs du phénomène marrane, mais aussi élucider leurs manières de croire, d’agir et de penser, ainsi que les jeux de ce que furent les potentialités de leur présent ; restituer autant que possible le vécu, l’affect et l’immédiat, tout en inscrivant l’événement dans les fluctuations de longue durée et dans le contexte des problèmes généraux de l’historiographie ; tenter de faire revivre, même par bribes infimes, ce qui une fois a été, et mettre en oeuvre les diverses analyses ou procédures susceptibles de fournir les éléments de compréhension de ce passé : c’est à cette double exigence que l’on voudrait répondre, celle d’une histoire intelligible et d’une mémoire vivante.

Notes de bas de page 1Yitzhak F. BAER faisait un tel rapprochement, en 1936, dans l’angoisse et le pressentiment de la catastrophe imminente, lorsqu’il rédigeait Galout; cf. la récente édition française, Galout. L’imaginaire de l’exil dans le judaïsme, Paris, 2000, p. 122 : “ Les marranes de ce temps-là ressemblent déjà, sous bien des aspects, aux Juifs de l’Europe occidentale à l’époque moderne ”. Ou encore, p. 124 : “ En Espagne et au Portugal, la question marrane a engendré une littérature antisémite identique, jusque dans le détail, à la littérature moderne sur le sujet ”. - Le même thème est largement développé par Yosef Hayim YERUSHALMI, dans sa Conférence : Assimilation and racial anti-semitism : the Iberian and the German models, New York, Leo Baek Memorial, lecture 26, 1982, repris dans le recueil Sefardica. Essais sur l’histoire des Juifs, des marranes et des nouveaux-chrétiens d’origine hispano-portugaise, Paris, 1998, pp. 255-292 : “ Assimilation et antisémitisme racial : le modèle ibérique et le modèle allemand ”. - L’on retrouve des thèmes voisins dans l’ouvrage récent de Jacques EHRENFREUND, Mémoire juive et nationalité allemande. Les juifs berlinois à la Belle Epoque, Paris, 2000, notamment pp. 103 et suiv., dans la section intitulée “ L’expulsion d’Espagne : un traumatisme judéo-allemand ”, où l’auteur développe l’observation selon laquelle “ le judaïsme espagnol joue un rôle de tout premier ordre dans les représentations collectives du passé des juifs allemands ”; de même, p. 105 : “ Le jeu de miroirs entre la situation des juifs espagnols et des juifs allemands est total. ”
2 Yosef Hayim YERUSHALMI, op. cit., cf. p. 287 : “ il s’agit de la contribution extraordinaire des nouveaux chrétiens et des nouveaux Allemands à leurs cultures d’accueil respectives ”.
3 Voir également le récent numéro de Pardès, “ Le Juif caché. Marranisme et modernité ”, n°29, 2000.
4 L’extension du concept de “ marranisme ” est donc beaucoup plus large que celui de crypto-judaïsme au sens strict.
5Baruch SPINOZA, Tractatus theologico-politicus, éd. Gallimard, “ Folio. Essais ”, Traité des autorités théologique et politique, p. 78.
6 Yosef Hayim YERUSHALMI, op. cit., pp. 175-206 : “ Propos de Spinoza sur la survivance du peuple juif ”.
7 cf. Yosef Hayim YERUSHALMI, De la Cour d’Espagne au ghetto italien. Isaac Cardoso et le marranisme au XVIIè siècle, Paris, 1987, pp. 3 - 20.
8 Ibid., p. 5.
9Ibid., p. 12.
10 Jonathan I. ISRAEL, “ The Sephardi Contribution to Economic Life and Colonization in Europe and the New World (16th - 18th centuries) ”, dans Moreshet Sepharad : The Sephardi Legacy, éd. par Haim BEINART, vol. II, pp. 367.
11Ibid. pp. 367-372.
12Ibid. pp. 372-374.
13Une première version des pages qui suivent, dans cette section (pp. 12-1Cool, a été publiée dans ma contribution à Para una historia de América, tome II : Los nudos (1), sous la direction de Marcello Carmagnani, Alicia Hernández Chávez et Ruggiero Romano, Mexico, 1999, pp. 13-54 : “ Una América subterránea : Redes y religiosidades marranas ”.
14 208 Cité par Antonio DOMINGUEZ ORTIZ, Los Judeoconversos en España y América, 1988, p. 135 : “ Muchos portugueses que han entrado por el Rio de la Plata, gente poca segura en las cosas de nuestra santa fe catolica, y que en los mas puertos de las Indias hay mucha gente desta calidad, y porque son cosas en que conviene mirar mucho para que no se siembre algun error y mala secta entre los indios que estan poco firmes e instruidos en las cosas de nuestra santa fe y dispuestos a qualquier novedad, os encargo atendais a esto y procuraeis se limpie la tierra desta gente, y a costa dellos mismos los hagais salir por el daño que hacen y inconvenientes que se han experimentado en algunos puertos donde han dado entrada a los enemigos y tienen tratos y contratos con ellos ”.
15 José Toribio MEDINA, El Tribunal del Santo Oficio de la Inquisición en las provincias de La Plata, [1899], Buenos Aires, 1945, p. 158, lettre du commissaire de l’Inquisition à Buenos Aires, Francisco de Tejo, au Tribunal de Lima (du 26 avril 1619) : “ Tenemos cierto que ha de venir mucha gente huida, judios de España y del Brazil [ ....] que cierto pide remedio la facilidad con que entran y salen judios en este puerto, sin que se pueda remediar, que como son todos portugueses, se encubren unos a otros ”.
16 Ricardo de LAFUENTE MACHAIN, Los Portugueses en Buenos Aires (siglo XVII), Madrid, 1931, p. 86.
17 Bernard LAVALLÉ, “ Les étrangers dans les régions de Tucuman et de Potosi (1607-1610) ”, Bulletin Hispanique, Bordeaux, janvier-juin 1975, pp. 126-127.
18Ibid. pp. 136-138.
19 Jonathan I. ISRAEL, “ The Portuguese in Seventeeth Century Mexico ”, dans Empires and Entrepots. The Dutch, the Spanish Monarchy and the Jews, 1585-1713, Londres, 1990, pp. 315-321.
20 Pour ce paragraphe et le suivant cf. Stanley HORDES, The Crypto-Jewish Community of New Spain, 1620-1649. A Collective Biography, Ph. D., Tulane University, Tulane, 1980.
21 Ibid. pp. 113-115, et le tableau LII, P. 207.
22Ibid., p. 112, et tableaux pp. 204-206.
23Cf. James C. BOYAJIAN, Portuguese Bankers at the Court of Spain, 1626-1650, New Brunswick, 1983; Antonio DOMINGUEZ ORTIZ, Politica y Hacienda de Felipe IV, Madrid, 1960; id., Los Judeoconversos en España y América, Madrid, 1988, pp. 65 et suiv.; Julio CARO BAROJA, Los judios en la España Moderna y Contemporánea, Madrid, 1986, t. II, pp. 45 et suiv., pp. 66 et suiv.; Mauricio EBBEN, “ Un triangulo imposible : la Corona española, el Santo Oficio y los banqueros portugueses, 1627-1655 ”, Hispanica, LIII/2, n° 184, 1993, pp. 541-556.
24 Cf. Frédéric MAURO, Le Portugal, le Brésil et l’Atlantique au XVIIè siècle (1570-1670), Paris, 1983, pp. 177-191; German PERALTA RIVERA, Los mecanismos del comercio negrero, Lima, 1990.
25 Cf. German PERALTA RIVERA, op. cit. pp. 265 et suiv.
26 Cf. Alice P. CANABRAVA, O Comercio portugués no Rio da Prata (1580-1640), São Paulo, 1944; Fernand BRAUDEL, “ De Potosi à Buenos Aires : une route clandestine de l’argent. Fin du XVIè, début du XVIIè siècle ”, dans A travers les Amériques latines, Cahiers des Annales, 1949, pp. 154-158; Charles R. BOXER, Salvador de Sa and the Struggle for Brazil and Angola, 1602-1686 , Londres, 1952, ch. III, “ The Road to Potosi ”, pp. 69-110; Enriqueta VILA VILAR, “ Los asientos portugueses y el contrabando de negros ”, Anuario de Estudios Americanos, Séville, 1973; Zacarias MOUTOUKIAS, Contrabando y control colonial en el siglo XVII, Buenos Aires, 1988, pp. 46 et suiv.
27Cf. les travaux de Carlos Sempat ASSADOURIAN, “ El trafico de esclavos en Cordoba, 1588-1650 ”, Cuadernos de Historia, XXXII, Cordoba, 1965; “ El trafico de esclavos en Cordoba. De Angola à Potosi. Siglos XVI-XVII ”, Cuadernos de Historia, Cordoba, XXXVI, 1966; “ Potosi y el crecimiento económico de Cordoba ”, dans Homenaje al Doctor Ceferino Garzon Maceda, Cordoba, 1973; “ Sobre un elemento de la economía colonial : producción y circulación de mercancias en el interior de un conjunto regional ”, EURE, Revista Latinoamericana de Estudios Urbanos Regionales, Santiago du Chili, 1973.
28 Alice P. CANABRAVA, op. cit., pp. 61-63; Charles R. BOXER, op. cit., p. 75; Jonathan I. ISRAEL, Empires and Entrepots. The Dutch, The Spanish Monarchy and the Jews, 1585-1713, Londres, 1990, p. 334.
29 Jose Toribio MEDINA, Historia del Tribunal de la Inquisición de Lima (1569-1820), Santiago du Chili, 1956, T. I, p. 311; Lucia GARCIA DE PROODIAN, Los Judíos en América. Sus actividades en los Virreinatos de Nueva Castilla y Nueva Granada, Siglo XVII, Madrid, 1966, pp. 267-268; Jonathan I. ISRAEL, op. cit., p. 334.
30 Zacarias MOUTOUKIAS, op. cit., p. 126.
31 Ibid., pp. 151 et suiv.
32 Jonathan I. Israel, op. cit., p. 438 : “ Regular contact between Curaçao and the neighbouring South America mainland began only or around 1657, setting in motion the shift which was to transform Curaçao into the Amsterdam of the Caribbean ”.
33 Sur Curaçao et la contrebande hollandaise dans les Caraïbes au XVIIIè siècle, cf. Celestino Andres ARAUZ MONFANTE, El contrabando holandes en el Caribe durante la primera mitad del siglo XVIII, Caracas, 1984, 2 vol.; Ramon AIZPURUA, Curaçao y la costa de Caracas. Introducción al estudio del contrabando de la provincia de Venezuela en tiempos de la compania guipuzcoana 1730-1780, Caracas, 1993.
34 cf. Miriam BODIAN, “ ’Men of the Nation’ : The Shaping of converso Identity in Early Modern Europe ”, Past and Present, Mai 1994, n° 143, pp. 48-76. Du même auteur, Hebrews of the Portuguese Nation. Conversos and Community in Early Modern Amsterdam, Bloomington, 1997, 220 p. Cf. également Yosef KAPLAN, Les Nouveaux-Juifs d’Amsterdam. Essais sur l’histoire sociale et intellectuelle du judaïsme séfarade au XVIIè siècle, Paris, 1999, pp. 33 et suiv.
35 Miriam BODIAN, “ ‘Men of the Nation’… ”, p. 59.
36 Cf. I. S. RÉVAH, “ Le premier règlement imprimé de la ‘Santa Companhia de dotar orfans e donzelas pobres’ ”, Boletin internacional de bibliografia luso- brasileira, 1963, IV, pp. 668 et 678.
37 Antonio VIEIRA, Obras escolhidas, Lisbonne, 1951-1954, t. IV, p. 182 : “ ”... vulgarmente entre as mais nações da Europa se equivoca português com judeu... ”; Cf. également Julio CARO BAROJA, Los Judios en la España Moderna y Contemporánea, Madrid, 1986, T. I, p. 361.
38 Yosef KAPLAN, Les Nouveaux-Juifs d’Amsterdam. Essais sur l’histoire sociale et intellectuelle du judaïsme séfarade au XVIIè siècle, Paris, 1999, pp. 34, 52 et suiv.
39 Cf. Jonathan I. ISRAEL, “ Spain and the Dutch Sephardim, 1609-1660 ”, Studia Rosenthaliana, 1978, XII, pp. 1-61, repris dans Empires and Entrepots. The Dutch, The Spanish Monarchy and the Jews (1585-1713), Londres, 1990, pp. 355-415, (Cf. plus particulièrement l’Appendice, pp. 410-415); Yosef KAPLAN, op. cit., pp. 29 et suiv., 54.
40 Ibid., p. 34.
41 Menasseh ben ISRAEL, Espérance d’Israël, [1650] , éd. par Henri Mechoulan et Gérard Nahon, Paris, 1979, p. 130.
42 I. S. RÉVAH, op. cit., p.. 653 : “ ... orfans e donzelas da mesma naçao Portuguesa e da Castelhana, das habitantes desde Jam de Lus ate Danzique por hua e outra parte, assim de França como de Flandes, Inglaterra e Alemania... ”.
43 Yosef KAPLAN, op. cit., p. 35. De même : “ ... elle [la Nação] incluait aussi les nouveaux-chrétiens d’origine juive qui vivaient sur les ‘terres d’idolâtrie’, qu’ils se considèrent ou non comme Juifs ”.
44 I.S. RÉVAH, op. cit., p. 674 : “ Admitir-se am por companheiros todos os auzentes, conforme estas schamot, com tanto que aja primeiro verdadeira informaçam e noticia que comfessam a Unidade do Senhor do Mundo e conhecem a Verdade de Sua Ley Santissima; e isto, ou sejam circumcizos ou nam, ou vivam en Judesmo ou fora delle. ” - Cité par Josef KAPLAN, op. cit., pp. 37-38. Cf. également Miriam BODIAN, op. cit. p. 72.
45 239 Cf. Le Retour des ancêtres. Les Indiens Urus de Bolivie (XXè-XVIè siècle). Essai d’histoire régressive, Paris, 1990, p. 526.
46 Je ne reprends pas ici la discussion sur la fiabilité des sources inquisitoriales. Depuis la fameuse polémique entre Israel Salvator Révah et Antonio José Saraiva, au début des années 1970, la cause est entendue : un minimum de familiarité avec ces archives (destinées, répétons le, à rester secrètes) convainc de leur pleine crédibilité, à condition bien évidemment de les soumettre, comme toute documentation, aux méthodes de la critique historique. On reviendra sur ces problèmes, dans le détail, au fil de l’analyse des textes.
47 Cf. Jacques REVEL dir., Jeux d’échelles. La micro-analyse à l’expérience, Paris, 1996.
_________________
"Le colonialisme et ses dérivés ne constituent pas à vrai dire les ennemis actuels de l'Afrique. À brève échéance ce continent sera libéré. Pour ma part plus je pénètre les cultures et les cercles politiques plus la certitude s'impose à moi que LE PLUS GRAND DANGER QUI MENACE L'AFRIQUE EST L'ABSENCE D'IDÉOLOGIE."
Cette Afrique à venir, Journal de bord de mission en Afrique occidentale, été 1960, Frantz Fanon, Pour la Révolution Africaine
2011, annee Frantz Fanon
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Montrer les messages depuis:   
Poster un nouveau sujet   Répondre au sujet       grioo.com Index du Forum -> Histoire Toutes les heures sont au format GMT + 1 Heure
Page 1 sur 1

 
Sauter vers:  
Vous ne pouvez pas poster de nouveaux sujets dans ce forum
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Vous ne pouvez pas éditer vos messages dans ce forum
Vous ne pouvez pas supprimer vos messages dans ce forum
Vous ne pouvez pas voter dans les sondages de ce forum



Powered by phpBB © 2001 phpBB Group