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[M.O.P.]

Un livre pour plaider la cause des peuples de la forêt.
Roger A. Taakam

Il n'est pas aisé d'entreprendre la lecture d'un essai sur la " marginalisation des pygmées ", tant sa formulation défonce des portes ouvertes. Presque. Mais, on imagine difficilement deux éminents chercheurs se pencher sur le sujet juste pour entonner la ritournelle. En tout cas, Séverin Cécile Abéga et Patrice Bigombe Logo semblent bien s'entendre sur le sujet. Ils proposent de " mettre en lumière le racisme, la violence et les autres formes de discrimination dont sont victimes les peuples connus sous le vocable de pygmées ". Ils inaugurent, d'après eux, le thème de " l'inaccessibilité " dans les études consacrées aux pygmées. Tâche exaltante s'il en est, pour ces deux enseignants tous passionnés des peuples autochtones.

L'un est chercheur et enseignant avec, à son actif, plusieurs publications, donc un certain nombre sur les peuples de la forêt. L'autre est politiste, enseignant-chercheur, auteur de plusieurs travaux sur les populations pygmées d'Afrique centrale. Séverin Cécile Abéga et Patrice Bigombe ne pouvaient mieux faire converger leur pensées qu'en se consacrant à l'étude ethnographique des peuples de la forêt. De cette étroite collaboration est né un livre paru récemment chez Afrédit. " La marginalisation des pygmées d'Afrique centrale " est une sorte de manifeste des " violences " et " discriminations " faites aux pygmées. Aussi bien ceux du Cameroun que ceux de la République centrafricaine et du Congo, sans oublier les Batwa du Rwanda.

Le livre est bâti autour des contributions issues d'un atelier sous-régional consacré à " l'étude sur l'autopromotion des Pygmées d'Afrique centrale " organisé à Yaoundé en 2005. Des anecdotes croustillantes sur le quotidien des pygmées, puis des analyses contextuelles viennent redonner une dimension toute particulière à ce qu'on savait déjà de ces populations, dont on ne retient souvent qu'un seul cliché : celui des personnes de courte taille vivant de la chasse et de la cueillette. A ce titre, la contribution et Séverin Cécile Abega et de Patrice Bigombe Logo est un sévère pied de nez au mythe légendaire et non moins réduction du pygmée chasseur, primitif et marginal. Il constitue, à la fois un solide dossier de défense et un plaidoyer pour la reconnaissance des peuples de la forêt comme des êtres de droit et donc des citoyens à part entière.

" Nous montrons, écrit Séverin Cécile Abega, comment s'organise la ségrégation dont ils [les pygmées, ndlr] sont victimes, et comment on les prive du droit du sol pour faire d'eux des autochtone sans terre (…) Nous tentons ici de comprendre un autre mécanisme de cette mise à l'écart inhérent à la mise en œuvre des programmes de développement. Nous en discutons certains pour montrer comment le pygmée est mis de côté dans les initiatives dont il est pourtant le destinataire. Cela pourrait permettre, à terme, d'en faire enfin un être de chair et d'os, et même peut-être un acteur social ". Va pour la défense !

Quant aux pièces à verser au dossier, voici quelques faits constants : tous les villages bantous du district du Dja ont des foyers communautaires construits avec fonds issus des taxes versées pour l'exploitation forestière, mais dans les villages pygmées aucun foyer n'a été construit… L'accès à la terre tout comme à la citoyenneté et la gestion de la nationalité demeure problématique en milieu pygmée. " Certains ont déboursé jusqu'à 15.000 Fcfa pour une pièce officiellement établie à 6000 Fcfa ". Là ne sont que quelques exemples de la difficile intégration des pygmées aux communautés voisines dont les Fang et les Bantou avec qui la cohabitation n'a jamais été aisée.

Le livre montre a cet effet combien il est difficile de briser ces barrières et propose quelques pistes de réflexion sur la condition des pygmées, à savoir que " l'identité pygmée ne peut être mieux défendue que par les concernés, mais le reste de la communauté internationale doit accompagner ce processus condamnant avec fermeté tout abus à leur encontre ". Si cette sortie frise le ponce-pilatisme, elle a le mérite de consolider le débat autour de l'autonomisation des peuples autochtones, point de départ de leur affranchissement. Au demeurant, Séverin Cécile Abega et Patrice Bigombe Logo ne redisent qu'à leur manière ce qui avait déjà été proclamé par l'ensemble des participants à l'atelier de 2005 sur " l'autopromotion des pygmées d'Afrique centrale ", dont le livre en lui-même n'est qu'une sorte de bilan. Du coup, on se demande s'ils avaient vraiment besoin de se mettre à deux pour le faire…
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