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L'esclavage : un système économique abouti
27/06/2004
 

Découvrez l'économie de la traite des esclaves
 
Par Belinda Tshibwabwa Mwa Bay
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Esclaves employés à l'extraction des diamants, Minas Gerais, Brésil, 1812.  
Esclaves employés à l'extraction des diamants, Minas Gerais, Brésil, 1812.
 

Chap. I. "De l’esclavage des Nègres"

Contrairement à ce que l’histoire de la traite et de l’esclavage laisse à penser, le trafic négrier et l’asservissement des peuples noirs ont été des opportunités et des enjeux économiques avant de devenir des systèmes de pensée. Autrement dit, ce n’est pas le racisme qui a provoqué l’esclavage et la traite, mais c’est la mise en place d’un système économique lucratif, qui a entraîné la déshumanisation d’une catégorie d’hommes et leur réduction au rang d’objets. Les Africains sont devenus des " Nègres" parce que les Européens voulaient des esclaves, et ensuite ils sont devenus des esclaves parce qu’ils étaient des " Nègres ". L’exploitation d’hommes par d’autres hommes a nécessité, après coup, la construction d’un système de représentations qui permettait sa justification morale et formelle.

Afin qu’il existe des maîtres et des esclaves, il a fallu démontrer la supériorité et l’infériorité " naturelles " des uns et des autres, en leur conférant un cadre symbolique ( la race) et institutionnel (la traite négrière et l’esclavage) La " race noire " était un prétexte, une invention qui a servi à légitimer la traite, l’esclavage puis le colonialisme. Elle a été façonnée et définie au fil des siècles, à partir de théories et de justifications religieuses, philosophiques, scientistes, sociales, politiques, juridiques et économiques. Elle est devenue à ce point indissociable de la représentation biologique, morale et hiérarchique des individus, qu’elle a survécu aux institutions qui lui ont donné naissance, qu’elle a traversé les siècles et les générations, et reste vive dans notre inconscient collectif. La traite négrière puis l’esclavage, ont permis à la civilisation occidentale, celle de l’Europe et celle des Amériques, d’établir une corrélation, une causalité, mieux, une confusion, entre la couleur des Noirs et la condition servile. Elle a bâti ses intérêts et abrité sa conscience derrière un postulat simple, érigé en "loi naturelle ": Le Nègre ne peut être autre chose qu’un esclave, et un esclave ne peut être autre chose qu’un Nègre.

L’alibi théologique. 1550-1551. La controverse de Valladolid fait rage. Le moine dominicain Bartholomé de Las Casas plaide devant les représentants du Saint-siège la cause des Indiens, et dénonce les atrocités que leur infligent conquistadors et colons espagnols. Pour les gouvernants et les hommes d’église, l’enjeu de ce débat est moins de déterminer si les Indiens ont une âme ou non, mais bien d’assurer aux colons une main-d’œuvre pour leurs plantations et leurs mines.

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Africae nova descriptio. - W. & J. Blaeu, ca.1634-1664.  
Africae nova descriptio. - W. & J. Blaeu, ca.1634-1664.
 

Le moine dominicain propose alors de substituer l’asservissement des Indiens par l’esclavage des Nègres, qu’il juge inférieurs aux autochtones des Amériques, et dont il vante : « l’ incroyable robustesse ». Bartholomé de Las Casas est considéré par la plupart des historiens, comme celui qui a " signé " l’arrêt officiel de déportation massive des Africains vers le Nouveau monde, à une époque où ce phénomène était encore marginal. De fait, pour l’Eglise et la Papauté, la traite et l’esclavage des Nègres n’avaient au départ d’autre motivation que les profits économiques liés à la découverte et à l’exploitation du Nouveau monde.

C’est seulement par la suite que le discours théologique va prendre forme, pour " bénir " et légitimer le commerce et la servitude des Nègres. Il va essentiellement s’appuyer sur le récit biblique de la malédiction de la descendance de Cham, père de Canaan, fils de Noé, qui vit la nudité de son père, et pour ce, fut condamné à être : « pour ses frères, le dernier des esclaves ». Le "noircissement ", au propre comme au figuré, de la descendance de Cham dans le langage ecclésiastique, avait commencé dès l’époque gréco-romaine. Les exégèses bibliques, par une logique " impénétrable ", déplacèrent Canaan de la Palestine pour situer la lignée de Cham au-delà de l’Egypte, dans une région dont la caractère lointain et totalement inconnu, enflammait l’imagination et suscitait terreurs et délires de toutes sortes. Les Européens débarquèrent donc sur les côtes africaines, précédés par ces fantasmes, que l’Eglise romaine apostolique, Anglicane, puis l’ensemble des mouvements protestants, achevèrent d’ériger en vérité. Vérité qu’ils prêchèrent inlassablement, en justifiant l’esclavage par la malédiction, et en accomplissant cette malédiction (c’est-à-dire la volonté de Dieu) par l’esclavage. La malédiction de Cham devint donc l’argument fondamental de tous les esclavagistes.

La désinvolture philosophique. Que penser du silence et de l’insouciance quasi-générale des grands penseurs du " siècle des lumières ", chantres d’un nouvel humanisme "universel ", face à la question et à la pratique de l’esclavage ? Que pour eux aussi, la raison économique primait sur le principe d’humanité, et que surtout, ce principe ne s’appliquait pas aux Nègres. L’ambiguïté du discours des philosophes français pourrait se résumer ainsi: L’esclavage est un mal nécessaire. C’est une institution barbare, mais elle est juste pour certains hommes.

Montesquieu, dans L’esprit des lois, est certainement celui qui illustre le mieux ce double langage. Il décrète que l’esclavage est inadmissible dans les sociétés européennes :« Inutilité de l’esclavage parmi nous » ; mais qu’il est justifié pour d’autres sociétés : « Il faut borner la servitude naturelle à certains pays particuliers de la terre », « Il y a des pays où la chaleur énerve le corps et affaiblit si fort le courage que les hommes ne sont portés à un devoir pénible que par la crainte du châtiment : l’esclavage y choque donc moins la raison ».

Armoiries de la Compagnie des Indes Occidentales, 1664  
Armoiries de la Compagnie des Indes Occidentales, 1664
 

Le philosophe fonde l'esclavage sur la raison économique : « le sucre coûterait très cher si on ne faisait pas travailler des esclaves dans les plantations ». Et dans le souci de mettre en accord le droit avec la raison économique, il énumère les conditions dans lesquelles il est permis au maître d'ôter la vie à l'esclave. Ultime argument : « ces individus sont noirs, des pieds à la tête, et ils ont le nez tellement écrasé qu'il est presque impossible de les plaindre ».

La preuve scientifique. La science a longtemps hésité avant de retirer les Nègres de la catégorie des bêtes, pour les replacer dans celle des hommes, mais avec toutefois, fort nuances et restrictions. Dès sa genèse, le concept de " races humaines " s’est construit autour de la notion de hiérarchie. Il est apparu à la fin du 17ième siècle, mais c’est au 18ième siècle que le premier grand " classement " et les principaux schémas sur lesquels s’appuieront toutes les théories raciales, seront élaborés par le médecin et botaniste suédois Charles Linné, qui publie en 1735, un Systema Naturae qui aura un immense retentissement. L’humanité y est subdivisée en 4 grands groupes différenciés, appelés " type ", établis selon des critères où se mêlent inextricablement, caractères physiques et moraux, us et coutumes.

L’Africain y est décrit comme : « Noir, indolent, de mœurs dissolues ; cheveux noirs crépues ; peau huileuse ; nez simien ; lèvres grosses ; femmes ont le repli de la pudeur, des mamelles pendantes ; vagabond, paresseux, négligent ; s’enduit de graisse ; est régi par l’arbitraire. » Par contre l’homme de race blanche est : « Blanc, sanguin, ardent, cheveux blonds, abondants ; yeux bleus ; léger, fin, ingénieux ; porte des vêtements étroits ; est régi par les lois. » Ces théories racialistes s’inscrivent dans un contexte d’exploration, de conquête et de colonisation du monde par la civilisation occidentale. Elles ont pour ambitions de trouver une cause " naturelle " à la supériorité des Blancs, donc une cause tout aussi naturelle à l’infériorité des autres peuples. Les traités sur la hiérarchie des races, parmi lesquels se trouve le célèbre Essai sur l’inégalité des races humaines du comte Joseph-Arthur de Gobineau, vont se multiplier comme des petits pains au 18ième et 19ième siècle, apportant de l’eau au moulin intarissable des défenseurs de la traite et de l’esclavage.


Pont arrière du bateau négrier anglais "le wildfire", 1860  
Pont arrière du bateau négrier anglais "le wildfire", 1860
 

La raison politique. La traite et l’esclavage se sont imposés et ont perduré pour des raisons économiques. Ils étaient étroitement liés à la course pour la colonisation du Nouveau monde, que se livraient entre-elles les nations européennes. Le commerce négrier a toujours été réglementé par les gouvernants, car il était un monopole royal. Les gouvernements européens faisaient sous-traiter ce commerce par des entreprises de transport et commerce maritimes, privés pour la plupart, dont la célèbre Compagnie française des Indes occidentales, la Compagnie du Sénégal et la Compagnie de Guinée, qui décrocha pour la France en 1701, l’exclusivité de l’Asiento espagnol. L’Asiento était un " contrat d’utilité publique ", une licence accordée par les Rois d’Espagne, qui fixait la déportation aux Amériques, d’un nombre déterminé de Nègres pendant un certain nombre d’années.

L’Asiento Gaverrod, accordé à un financier flamand, marque le début de la sous-traitance à grande échelle, car le roi Charles Quint passe commande de 4 000 Nègres pour ses colonies. Les contrats et leurs comptabilités portaient sur du bois d’ébène, des pièces d’Inde ou plus ouvertement, des Têtes de nègres. Les gouvernements européens, soucieux de faciliter le troc négrier, consentaient à ces compagnies des abattements allant jusqu’à 50% sur les taxes, si les marchandises avaient pour origine le commerce d’esclaves. Ce qui ne constituait en rien une perte, car le trafic négrier était tellement rentable, à court et à long terme, que tous les protagonistes de ce commerce, dont une majorité d’actionnaires de la noblesse, de la grande et de la petite bourgeoisie européenne, étaient assurés d’avoir leur part du gâteau.

La logique économique à l’œuvre durant près de 4 siècles (le dernier bateau négrier est arrivé à Cuba en 1873), a arraché des dizaines de millions de personnes, dont au moins un quart ont péri au cours de la persécution et la réclusion de la traversée maritime. En réalité nous ne connaîtrons certainement jamais l’étendue du massacre. Mais pour les Africains qui y ont survécu, la traversée de Kalunga ( le grand océan), n’a été que la première étape de leur descente aux enfers.

Gravure publicitaire d’une compagnie de tabac, Virginie, Sud des Etats unis,18ième siècle.  
Gravure publicitaire d’une compagnie de tabac, Virginie, Sud des Etats unis,18ième siècle.
 

Chap. II. L’esclavage : Un système capitaliste abouti

Le produit. Dès sa capture, l’esclave devenait une marchandise dont le " conditionnement " avait une répercussion non négligeable sur le prix de vente. Tous les 3 à 4 jours, les Africains entassés au fond des bateaux négriers étaient remontés sur le pont par petits groupes, afin de détendre leurs membres ankylosés à cause de leur disposition, allongée, accroupie ou assise pour un meilleur gain de places, dans l’obscurité et l’étroitesse des cales. On les obligeait alors à danser, au rythme du fouet, pour raffermir leurs muscles. Ils recevaient 2 fois par jour un bol de soupe de fève et une ration d’eau. Les soins médicaux étaient abondants, et il y avait toujours un médecin à bord, qui avec des recettes de grand-mère, était chargé d’enrayer les épidémies de dysenterie qui sévissaient à bord des vaisseaux négriers.

Les esclaves trop malades étaient jetés par-dessus bord avec ceux déjà morts, à la fois parce qu’ils étaient " invendables " et parce qu’ils risquaient de contaminer les autres captifs. En 1781, le capitaine du bateau négrier anglais le Zong, qui ramenait des captifs d’Afrique de l’Ouest vers la Jamaïque, jeta à la mer 131 esclaves malades et affaiblis par une épidémie, en seulement 3 jours. Le médecin des bateaux négriers avait également pour rôle de masquer les brutalités des hommes d’équipage sur la " marchandise ". Un mélange d’huile de palme et de cendre noire servait à dissimuler les plaies causées par les coups de fouet et les entraves en fer, que les esclaves portaient quasiment en permanence aux chevilles, aux poignets et souvent autour du coup. Connaissant les exigences des Colons, et afin de s’assurer les meilleurs bénéfices, les armateurs veillaient à débarquer aux Amériques la marchandise la plus " présentable " possible.


“ Danse des Nègres ” sur le pont d’un bateau négrier français, début du 19ième siècle.  
“ Danse des Nègres ” sur le pont d’un bateau négrier français, début du 19ième siècle.
 

De l’autre côté de l’Atlantique, les attendait un réseau commercial bien organisé. Les Négriers européens revendaient principalement leurs captifs à des " grossistes ", propriétaires de dépôts où les esclaves étaient brièvement nettoyés, nourris et acclimatés, avant d’être revendus à des particuliers, lors d’enchères publiques où privées. En 1803, un commerçant de Liverpool du nom de Thomas Leyland, propriétaire de 6 bateaux négriers, dont l’Entreprise, qui lui ramena des côtes africaines une cargaison de 392 esclaves, qui avaient survécu à la traversée, les revendit entre 25£ et 60£ la " tête ", et en obtint 6 428£, ce qui pour l’époque était une véritable fortune.

A Rio de janeiro, la rua de Valongo était le plus grand marché d’esclaves du pays. On y trouvait des magasins et surtout des Casas de leilões ( littéralement : maisons de braderie) destinés à l’exposition, à la vente et l’achat d’esclaves africains fraîchement déportés. Les " braderies " d’esclaves étaient annoncées au grand public par des affiches spéciales ou alors des petites annonces dans les journaux. Les marchands d’esclaves de petite envergure, recouraient généralement au porte à porte avec leur petit "lot" de captifs, qu’ils proposaient aux habitants de la ville. Mais il existait des systèmes de vente bien plus sauvages, comme les ventes " à la curée ", qu’un chirurgien britannique de la Jamaïque décrit en ces termes :



Esclaves malades et affaiblis jetés à la mer; gravure du 18è siècle  
Esclaves malades et affaiblis jetés à la mer; gravure du 18è siècle
 

« Au jour fixé, on a débarqué les nègres pour les emmener dans une grande cour appartenant aux consignataires du navire. A l’heure dite on a ouvert brusquement les portes de la cour, une quantité considérable d’acheteurs s’est précipitée à l’intérieur, avec une férocité de brutes. [… ] Certains prenaient immédiatement autant de nègres qu’ils pouvaient tenir de leurs mains. D’autres avaient noué des mouchoirs de couleur et entouraient de cette chaîne improvisée autant d’esclaves que possible. On peut difficilement décrire la confusion que produit cette méthode de vente »
Ces modes de commercialisation existaient dans toutes les colonies des Antilles et des Amériques. Si le phénomène de le traite a perduré presque aussi longtemps que celui de l’esclavage, c’est essentiellement en raison de la mortalité élevée des esclaves et leur très faible taux de natalité. L’alimentation constante du marché de l’esclave par des apports extérieurs, visait à compenser ces hécatombes. Au 18ième siècle, pour la seule île de Saint-Domingue, les administrateurs coloniaux évaluaient la mortalité annuelle des Noirs à 30 000. L’analyse d’un certain Fénelon, homme d’église et grand philosophe des Lumières, gouverneur de la Martinique en 1764, permet de comprendre le phénomène :

« Un de mes étonnement a toujours été que la population de cette espèce n’ait pas produit, depuis que les colonies sont fondées, non pas de quoi se passer absolument des envois de la côte d’Afrique, mais au moins de quoi former un fond, dont la reproduction continuelle n’exposerait pas à être toujours à la merci de ces envois. […] Mauvaise nourriture, excès de travail imposé même aux Négresses enceintes, maladie très fréquente des Négrillons et des Négrittes. On ne fait aucune attention même à leur « éducation animale » : on les voit en particulier exposés tout le jour dans les champs au soleil brûlant. »

Certains pays, comme le Brésil, considéraient au contraire que la traite était plus rentable que la reproduction " naturelle " des esclaves, qui exigeait d’attendre que l’esclave atteigne au moins 10 ans pour être vraiment exploitable. De plus, l’arrivée permanente de captifs africains permettait de maintenir le prix de l’esclave au plus bas. Ce qui faisait qu’il coûtait moins cher à acheter qu’à " élever "


Achat d’esclaves dans un barracone, marché d’esclaves, Havane, Cuba, 1837.  
Achat d’esclaves dans un barracone, marché d’esclaves, Havane, Cuba, 1837.
 

Le prix d’un esclave était fixé selon 2 critères essentielles : Le sexe et l’âge. D’autres considérations, d’ordre esthétique et moral surtout, jouaient également un rôle selon la tâche à laquelle l’esclave était destiné (les " beaux " esclaves étaient préférés pour les services domestiques), la classe sociale des acheteurs ( les Mulâtres étaient surtout des esclaves "décoratifs", donc les meilleurs indicateurs de la position sociale) ou le cadre de la société coloniale (les femmes étaient proportionnellement plus nombreuses en milieu urbain). Les hommes étaient bien entendu plus " quotés " que les femmes, car c’était eux qu’on préférait pour les plantations, entreprises coloniales les plus rentables. A âge égal, un homme pouvait valoir le double du prix d’une femme. Entre 1863 et 1882, sur le marché de Rio de Janeiro, 70% des esclaves de sexe masculin atteignaient la valeur de 2 contos de réis contre seulement 30% d’esclaves de sexe féminin. La tranche d’âge la plus demandée était celle des 20-30 ans, puis celles des 15-20 ans. Les marchands d’esclaves trichaient très souvent sur l’âge de leurs " marchandises ", pour les rajeunir au maximum.

Mais les acheteurs se faisaient leur propre opinion en " examinant " minutieusement et physiquement les esclaves mis en vente. Sur les inventaires d’esclaves des Antilles anglaises ( Inventory of Blacks) ou les actes de vente et d’achat d’esclaves du Brésil ( Escrituras de compra e venda de escravos), les appréciations des acheteurs, tout particulièrement les planteurs, accompagnent souvent leurs estimations. Dans un inventaire de femmes esclaves d’une plantation anglaise du 18ième siècle, les 2 esclaves les plus chères Cooba et Kathy ( 100 £ chacune) sont décrites comme : « de bonnes Négresses de plantation, qui se reproduisent vite ». Les esclaves les moins " rentables" de l’inventaire (25£, 35£, et 40£), souffrent de « rhumatismes » ou de « déformations ».

Une page de petites annonces de vente et location d’esclaves,  Jornal do commercio, Rio de Janeiro, Brésil, seconde moitié du 19ième siècle.  
Une page de petites annonces de vente et location d’esclaves, Jornal do commercio, Rio de Janeiro, Brésil, seconde moitié du 19ième siècle.
 

Les consommateurs. Les plus gros acheteurs d’esclaves étaient bien entendu les planteurs, qui pouvaient posséder entre 100 et 300 esclaves travaillant sur des hectares de plantations. Mais l’esclavage était une pratique qui s’étendait à toutes les couches et les catégories sociales. Les prêtres, les religieuses, les artisans, les particuliers, les femmes, les enfants, tout homme blanc était en droit de posséder un esclave. Même les plus pauvres, se faisaient un devoir d’en acheter au moins un, qui était très souvent leur seul source de revenu. L’armée, la marine, les travaux publiques, les hôpitaux, les églises, etc., achetaient ou louaient également un grand nombre de captifs. Les esclaves étaient commercialisés sous tous les modes : vente, location. Ils servaient à régler toutes les formes de transactions de la vie courante. Ils pouvaient être l’objet d’un prêt, d’un acompte, d’un gage, d’un cadeau, d’une créance, d’une hypothèque, d’un héritage, d’une saisie judiciaire, etc. Ils constituaient l’investissement et la valeur économiques les plus sûrs de cette époque.

Les sociétés coloniales, qu’elles soient anglaises, françaises, espagnoles, portugaises ou hollandaises, ont été jusqu’au bout de la logique esclavagiste. Elles n’ont épargné à leurs captifs aucune forme d’exploitation, d’asservissement, quelque soit leur âge et leur genre. L’esclave servait à tout. Du service militaire à la prostitution, de l’allaitement des enfants blancs au ramassage des excréments, l’instrumentalisation de l’esclave a atteint des degrés de perversité et de complexité qui pourraient paraître surréalistes de nos jours.

Mais à l’époque, l’esclave était la réponse à tous les besoins, donc à tous les désirs et caprices humains. Les enfants en bas âge étaient achetés, sans leurs mères le plus souvent, pour servir de camarades de jeux, où plus précisément de jouets, aux enfants des familles blanches. Des enfants auxquels leurs parents achetaient de petits fouets spécialement conçus pour " s’entraîner " à châtier leurs futurs esclaves. La tradition patriarcale de la plupart des sociétés coloniales, voulaient que les femmes esclaves servent au dépucelage des jeunes garçons des familles de maîtres, et les petites négresses vierges de moins de douze ans étaient sensées guérir les hommes de la syphilis et leur "purger le sang".



Culture de la canne à sucre, Antilles anglaises, 1840  
Culture de la canne à sucre, Antilles anglaises, 1840
 

Une page de petites annonces de vente et location d’esclaves, Jornal do commercio, Rio de Janeiro, Brésil, seconde moitié du 19ième siècle.
Quelques extraits de petites annonces prises au hasard dans les quotidiens paraissant dans la ville de Rio de Janeiro : le Jornal do Commercio et le Diario do Rio de Janeiro dans le seconde moitié du 19ième siècle
« On loue un esclave, parfait travailleur de plantation ; rue de la Miséricorde, n°86, 2ième étage »
« On loue une Noire bonne nourrice, très douce avec les enfants, elle sait faire tous les travaux domestiques, pour 25$ ; rue de lavradio, 186 »
« On vend dans une maison particulière, deux esclaves de très bon caractère, dont une mulâtresse qui sait bien laver, cuisiner et amidonner, elle sait faire les achats ainsi que tout les travaux domestiques. L’autre, Noire, sait laver, cuisiner et amidonner, elle a une fille de 9 à 10 ans très mignonne ; Campo de acclamação n°9A. »
« On loue une Négresse pour allaiter des bébés, elle a beaucoup de bon lait, elle a accouché il y a seulement trois semaines d’une première grossesse. »
« On vend une mulâtresse claire avec un enfant qui marche déjà ou sans lui. Elle sait tailler les vêtement des dames, amidonner, laver, faire des points et cuisiner. (Diario do Rio de Janeiro 27 janvier 1853)
« On vend, pour payer une dette, deux Noirs, bons travailleurs, un cordonnier et l’autre maçon, il rapporte chacun 1$600 de revenus journalier, on peut leur faire confiance, ils sont de bonne conduite et en bonne santé ; rue de lavradio n°6A »



« On vend une noire de 30 ans, robuste, elle sait laver, cuisiner et amidonner. On ne la vend pas cher parce qu’elle a un petit défaut ; on vend aussi une Noire Mina, bonne vendeuse ambulante ; rue de Carme n°53 »
« On cherche à louer pour la maison d’une famille, une esclave pour servir de nourrice, néanmoins on demande qu’elle vienne d’une maison compétente et avec les conditions suivantes : qu’elle soit très fidèle, sans vices, qu’elle ne sorte pas dans la rue et qu’elle soit châtiée lorsqu’elle le mérite. Celui à qui cela convient peut s’adresser à ce journal. »
« On vend une très jolie et saine petite négresse de 12 ans pour en faire ce que vous désirez ; rua do Sabão n.36. »


Récolte de coton, Mississipi, Sud des Etats unis, 1870.  
Récolte de coton, Mississipi, Sud des Etats unis, 1870.
 

Le capital. Les principales fortunes et profits économiques bâtis par les esclaves des îles et du continent américain sont essentiellement liés aux cultures du sucre, du café, du tabac et du coton. Mais il existait également des cultures et de produits régionaux et secondaires, comme celles de l’indigo, le rhum, l’eau-de-vie, les épices, le rocou, le cacao ( principalement aux Antilles), la patate douce, le manioc, etc. les esclaves étaient également exploités dans les mines d’or, de diamants, de fer, de charbon, etc.
Du 17ième au 19ième siècle, l’économie des Antilles anglaises était dominée par la culture du sucre. A la fin du 19ième siècle, la Barbade comptait près de 1 500 plantations, où près de 700 000 esclaves produisaient 80 000 tonnes de sucre par an, destinés au marché européen. L’Europe était en effet totalement dépendante des denrées coloniales à cette époque, et absorbait la quasi-totalité des productions des Amériques. La concurrence étant de mise entre les colonies anglaises, portugaises, espagnoles et françaises, les esclaves étaient contraints à sur-produire pour permettre à chacune de se tailler la meilleure part du marché. Lorsque celui-ci était saturé, au point que l’Europe faisait interdire certaines cultures aux colonies (notamment le sucre), les esclaves servaient à recycler l’économie vers d’autres types de profits.

En milieu urbain, c’était essentiellement un marché de services qui prédominait, donc des bénéfices à court termes pour les propriétaires d’esclaves. Ces derniers devaient exercer dans la rue toutes sortes de métiers et d’activités pécuniaires. Au Brésil par exemple, la plupart des esclaves urbains étaient des escravos de ganho, c’est-à-dire des " esclaves de gain ". Ils étaient chargés de rapporter chaque jour une somme d’argent fixée par leurs propriétaires, et ce par n’importe quel moyen. L’esclave devait la plupart du temps chercher par lui-même le moyen de réunir cette somme. C’était pourquoi les rues de ville de Rio de Janeiro étaient littéralement envahies d’esclaves, proposant toutes sortes de services et de marchandises. La majorité d’entre eux étaient des vendeurs ambulants de sucreries, d’aliments, de volaille, d’étoffes, d’eau, etc.

Esclaves vendeurs ambulants, dits " de gain ",  Rio de Janeiro, 1819-1820  
Esclaves vendeurs ambulants, dits " de gain ", Rio de Janeiro, 1819-1820
 

Les hommes étaient souvent des porteurs qui vidaient les cargaisons des bateaux, transportaient des meubles, voir des personnes. Les esclave de gains " nourrissaient " leurs propriétaires au quotidien, et les familles qui possédaient plusieurs de ces " sources de revenus" jouissaient d’une vie plus que confortable. Pour être plus " productifs ", beaucoup d’entre eux étaient loués à la journée ou au mois, pour des travaux domestiques, des travaux publics, de la maçonnerie, menuiserie, etc. L’esclave était une double source de revenus, pour ce qu’il pouvait rapporter à son propriétaire et pour ce qu’il valait en lui-même. Dans les pages économiques des journaux, les ventes et les locations d’esclaves représentaient jusqu’à 80% de " transactions économiques" de la ville de Rio de Janeiro au 19ième siècle. Entre 1870 et 1875, la ville a connu un record de 60 000 à 65 000 esclaves vendus ou loués annuellement, sur une population esclave estimée à moins de 49 000 individus. Et ce uniquement par le biais des petites annonces, puisque ces chiffres ne comprennent pas les autres réseaux commerciaux (ventes aux enchères, maisons de notaires, etc.) Ce qui laisse toutefois deviner l’ampleur des profits économiques et financiers.


L’esclave était donc le bien le plus lucratif de son temps, à la fois produit et moteur économique. La main-d’œuvre esclave était omniprésente dans tous les secteurs de l’activité économique et sociale, et a constitué le moteur de développement et la source de richesse de l’ensemble des sociétés coloniales. Le commerce triangulaire et l’esclavage ont également été l’un des principaux " tiroirs-caisse" de l’Europe durant près de 4 siècles. Avec une rentabilité estimée à 30%, la traite a directement contribué à l’essor de villes comme Bordeaux et surtout Nantes. Conjuguée à l’économie esclavagiste des Antilles anglaises, elle est à l’origine de la révolution industrielle de l’Angleterre au 19ième siècle. Ce ne sont que deux exemples parmi tant d’autres villes et pays, d’Europe et d’Amérique, bénéficiaires de l’exploitation d’êtres humains. Mais tous ont un point commun : Ils n’ont eu aucun mal à oublier les larmes, la sueur et le sang, que les Noirs ont dû verser pour leur prospérité.



Sources

-The Story of the Sea , Arthur Thomas Quiller-Couch ed., London, 1895-96.
-La France Maritime , Amédée Gréhan ed , Paris, 1837.
-John Mawe, Travels in the Interior of Brazil, London, 1812.
-Henry Chamberlain, Views and costumes of the city and neighborhood of Rio de Janeiro...during the years 1819 and 1820, London, 1822.

* Les statistiques ( ainsi que la photographie) sur le commerce des esclaves à Rio de Janeiro au 19ième siècle ont été établis par mes soins, à partir des journaux et des livres de ventes et d’achats d’esclaves, conservés à la Biblioteca nacional et aux Arquivo Nacional de la ville de Rio de Janeiro.

Bibliographie

-Jean MEYER, Esclaves et Négriers, Découvertes Gallimard, Paris, 1997.
-Susanne EVERETT, history of slavery, Chartwell Books inc., New Jersey, 3ième ed., 1999








       
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