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Rahmatou Keïta aime à se définir comme "l’essence du sahel". Originaire du Niger, elle est en effet à la fois peuhl, sonrhay, et mandingue.
Journaliste de formation, elle a travaillé à la télévision pendant une décennie, de 1989 à 2000, à une époque où les minorités "visibles" étaient invisibles à la télévision. Ses plus grands souvenirs restent l’époque où elle officiait dans "l’assiette anglaise" l’émission de Bernard Rapp : "c’était quelqu’un d’ouvert, il m’a embauchée parce qu’il aimait les reportages que je faisais sur la 3. J’ai beaucoup appris à ses côtés et notre équipe a remporté deux sept d’or".
Un regret tout de même : lorsque l’émission prend fin, tous ses collègues sont recasés, sauf elle.
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L'année dernière, la direction du festival de Cannes m'a dit que c'était bien la première fois qu'un film en sélection officielle à Cannes n'avait pas de distributeur en France! |
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Rahmatou Keïta |
Passionnée d’écriture et de cinéma, elle avait commencé parallèlement à son métier de journaliste à écrire et faire des documentaires. Le livre "SDF" (sans domicile fixe) paraît chez Lattes en 93. Elle réalise une série de documentaires intitulée "femmes d’Afrique", puis un court-métrage intitulé "le nerf de la douleur", dans lequel elle s’intéresse à un médicament contre le paludisme qui a mauvaise réputation, le quinimax. |
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"Lorsqu’on est atteint de Paludisme chez nous, il arrive qu’on prenne des piqûres de Quinimax. Comme on disait toujours que ce produit était toxique, j’ai voulu savoir si c’était le produit en lui-même qui causait des paralysies ou si ce sont les infirmiers qui l’administraient mal. Je me suis rendue compte lors de mon enquête que le produit était effectivement toxique, mais que certains infirmiers l’administraient mal en piquant sur le nerf sciatique, ce qui causait des paralysies". En 2001, elle est sollicitée pour filmer "Les États généraux de la psychanalyse", un congrès de psychanalystes réunis à la Sorbonne, puis se lance dans un projet qui lui tient à cœur, retrouver les cinéastes de son enfance :
"Lorsque j’étais petite au Niger, j’entendais les noms de cinéastes à la radio qui gagnaient des prix dans des festivals et, plus tard, je me suis demandée ce qu’ils étaient devenus. J’ai donc voulu aller à leur rencontre, raconter leur histoire, leur destin. "Al'lèèssi" veut dire 'destin' en sonhray, ma première langue. J’ai voulu leur rendre hommage, corriger une injustice et raconter leur histoire à travers la carrière de la seule femme qui était à leurs côtés, l’actrice Zalika Souley,".
Sorti en 2004, "Al’lèèssi" retrace la carrière de ces cinéastes nigériens qui sont en fait les véritables pionniers, oubliés, du cinéma africain. "Al’lèèssi" va se tailler une superbe carrière artistique, être plusieurs fois primé et rencontrer un grand succès dans les plus grands festivals de la planète : sélections officielles aux Festival de Cannes (2005), festival de Berlin, festival du film de Los Angeles, Viennes... |
Pas distribué en France |
Paradoxalement, le documentaire, qui a déjà trouvé un distributeur aux Etats-Unis, n’en n’a pas encore trouvé en France : "Vous savez, la France est un pays très compliqué. La raison ? Il faut la demander aux télés qui achètent ou aux distributeurs qui distribuent" dit Rahmatou Keïta en souriant avant de poursuivre :
"Aucun producteur n’a voulu produire le film en France parce que mon histoire ne les intéressait pas, ce que je peux accepter. D’ailleurs au Niger aussi, je n’ai eu, à l’époque, aucun soutien, car nos histoires ne nous intéressent pas non plus...Ce que j’ai plus de mal à accepter ! Mais je pensais qu’une fois qu’on s’était battu pour faire aboutir un projet qu’on avait porté en soi jusqu’au bout, et qu’il a l’accueil inespéré qu’il a (et continue d’avoir), C’est bien parce qu’il vaut quelque chose. Je pensais qu’à la suite de ces succès, les distributeurs se bousculeraient aux portes...C’est effectivement ce qui s’est passé pour l’Amérique, mais ce n’est pas encore le cas, en ce qui concerne la France...
L’année dernière, j’étais invitée au festival de Cannes, et la direction du festival m’a demandé : alors ton film, ça va ? J’ai répondu qu’il était partout...dans les festivals. Mais qu’il n’était pas distribué en France. Ils m’ont répondu que c’était bien la première fois qu’ils entendaient qu’un film en sélection officielle à Cannes n’avait pas de distributeur en France !" |
Un observateur avisé ne manquerait pas de se demander si le racisme ou au moins un certain paternalisme n’expliquent pas l’ignorance assourdissante vis-à-vis de ce film, mais Rahmatou Keïta souligne plutôt les difficultés du système :
"c’est vrai que certains m’ont dit que ç’aurait été ‘plus facile’ si j’avais été dans le cliché et parlé de thématiques que l’Occident associe à l’Afrique, comme le Sida ou la guerre, mais il y a aussi le fait que la distribution coûte très cher en France. Distribuer le film uniquement dans des salles d’art et d’essai reviendrait entre 30 000 et 50 000 euros". dit-elle, avant d’ajouter : "J’ai un distributeur aux Etats-Unis, j’arriverai bien à en trouver un en France où je vis..."
Rahmatou Keïta remarque aussi un petit paradoxe : son film n’étant pas un film français puisqu'aucun producteur français n’a voulu le co-produire à l’origine, il ne peut donc pas bénéficier de l’aide du CNC pour la distribution, mais dans plusieurs festivals, il a été présenté comme un film "franco-nigérien" : le consulat de France à Los Angeles s’est par exemple dit fier d’avoir un film 'français' en compétition lors du festival du film de Los Angeles! L’Appel aux distributeurs et aux financiers est lancé... |
"Quand j'étais petite, à Niamey, le cinéma était magique.
À Lakuruusu, dans mon quartier, la Reine de Saba et Cléopâtre, qui, pour nous, étaient définitivement africaines, avaient subitement pris des traits de femmes Blanches, à travers ceux de Gina Lollobrigida et de Liz Taylor. À voir les affiches des films, on avait tout faux. Certains soirs, on frisait l'émeute parce que Ramsès II, alias Yull Brynner ressuscitait dans Les 7 Samouraï ou Charlton Heston qu'on avait vu la veille, en Moïse, était devenu El Cid...
Il faut dire qu'à cette époque, le cinéma était une affaire de Blancs. Et ces Blancs-là avaient quelque chose de divin.
L'image avait une telle force que, pas une seconde, nous ne mettions en doute ce que nous voyions sur l'écran. Jusqu'au jour où apparurent nos acteurs à nous. Les hommes n'étaient pas de ces héros hollywoodiens auxquels nous étions habitués. Les femmes n'étaient ni des vamps, ni des stars. Ils étaient normaux. Ils avaient un teint normal. Un physique normal… des êtres humains, en somme. Ça a été un choc pour tout le monde." Rahmatou Keïta
Documentaire : "Al'lèèssi... une actrice africaine", de Rahmatou Keïta, le jeudi 8 mai à 20h30, à la cinémathèque française, 51, rue de Bercy, 75012 Paris .
Niger - 35mm - 1H10 – VOSTF.
Projection suivie d’une rencontre avec la réalisatrice
www.cinematheque.fr
Voir la bande annonce |
Bande annonce de Al'lèèssi |
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