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La situation en Côte d'Ivoire, analysée par Michel GALY

 
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Chabine
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Inscrit le: 02 Mar 2005
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MessagePosté le: Lun 13 Déc 2010 04:23    Sujet du message: La situation en Côte d'Ivoire, analysée par Michel GALY Répondre en citant

http://coupercoller.wordpress.com/2007/06/03/conversations-avec-michel-galy/

Conversations avec Michel Galy
3
06
2007


Michel Galy est un meilleur spécialiste français des conflits. Il a commencé sa carrière comme anthropologue, notamment en Côte d’Ivoire où il a vécu pendant une dizaine d’années et qu’il continue de visiter régulièrement. Son terrain de prédilection est l’Afrique de l’ouest, dont il a couvert les tribulations et les guerres de ces dix dernières années. A l’heure où s’ouvre le procès de Charles Taylor à La Haye, il m’a semblé opportun de resumer brièvement son parcours intellectuel au cours la crise ivoirienne. Au départ, je me suis appuyé principalement sur ses articles, notamment ceux qu’il a publié depuis septembre 2002. Cependant, comme mes lecteurs le savent désormais, je ne me contente pas des publications diverses et variées de mes témoins – livres, articles parus dans la presse écrite ou sur internet. Michel Galy n’échappe pas à la règle. En fait, il a été le premier chercheur que j’ai tenu à interviewer face à face lorsque j’ai commencé la préparation du tournage de mon documentaire en cours de réalisation (Couper, copier, coller: les médias et la crise ivoirienne). Ce qui suit est donc un résumé – rapide en regard de la production dense de Michel – de nos entretiens par mail commencés en janvier de cette année et de deux conversations qui se sont tenues au mois de mars à Paris, d’abord près du luxembourg puis dans le quartiers des Gobelins.

La lecture que Michel Galy fait de la crise ivoirienne s’inscrit dans une réflexion d’ensemble qui porte sur ce qu’il a appelé la “guerre nomade“: il considère en effet que les conflits qui ont déchiré la Sierra Léone, le Libéria, la Côte d’Ivoire et les violences sporadiques qui secouent régulièrement la Guinée (Konakry) possèdent beaucoup de traits communs. Il se fonde en particulier sur deux caractéristiques qu’on retrouve dans ces différentes guerres: les groupes armés irréguliers formés majoritairement de jeunes (enfants, adolescents, jeunes adultes), regroupés sur des bases ethniques, mais dont les attaches tribales se trouvent de part et d’autres des frontières nationales établies par les puissances coloniales. Séparés mais manipulés par des chefs de guerre dont les objectifs sont plus d’ordre économique (l’enrichissement) et non politique (par exemple l’amélioration des conditions de vie de leurs semblables), les populations sont prises dans un cycle de violence qui obéit aux mêmes logiques. Ces chefs de guerre lient des alliances avec des parrains régionaux gouvernant des Etats souvent pauvres, des multinationales étrangères (majoritairement occidentales, mais également asiatiques) et des Etats qui peuvent être membres du Conseil de Sécurité des Nations Unies. Ses analyses ont pris un relief particulier pendant la crise ivoirienne dans la mesure où le rôle de la France s’y est revélé déterminant, mais aussi parce que Michel a publié des articles en prise avec l’actualité. Ces analyses étaient connus d’un nombre très restreint de spécialistes, mais les idées qui les animent ont été reformulées dans des quotidiens nationaux, notamment après novembre 2004.

Parmi ces articles qui ont été publiés dans la presse française (notamment au Monde) et qui ont assuré sa notoriété, les plus lus et commentés ont été “Qui gouverne la Côte d’Ivoire ?” (décembre 2005) et “Que faisons-nous en Côte d’Ivoire ?” (2006). Le premier article traite de la question de la tutelle franco-onusienne et le second interroge le “bricolage” à laquelle s’est livrée la “communauté internationale” – notamment avec la création du GTI – pour légitimer sa présence et de l’action de la France dans la crise ivoirienne. Compte tenu des positions iconoclastes qui furent les siennes, et du fait que cela lui a valu quelques invitations à des émissions assez écoutées à la radio (sur France Culture) et des débats très suivis sur des chaînes de télévision comme France 5 (notamment, l’émission de critique des médias Arrêt sur Images), il attira l’attention des pro comme des anti-Gbagbo. Dans la mesure où ses déclarations publiques prenaient visiblement le contre-pied de la position des politiques comme de l’ensemble des journalistes français sur la crise, il a reçu des menaces – non sur sa vie, mais sur sa carrière. J’ai en effet omis de préciser que Michel Galy était alors enseignant dans la célèbre école française d’officiers militaires Saint-Cyr Coëtquidan. On lui a fait comprendre qu’il pourrait très bien perdre son poste de professeur en relations internationales. Sa réaction est à la fois à la mesure du personnage et de sa connaissance fine du fonctionnement des pouvoirs politico-médiatiques. Il a répondu à son interlocuteur d’un jour que “certains journalistes seraient certainement très heureux de partager cette informations avec leurs lecteurs ou leurs spectateurs”.

Lorsque je lui demandé quels étaient selon lui les erreurs principales de la France au cours de cette longue crise, il en a énumé quatre. Pour lui, la première erreur est de nature stratégique: le refus par l’Etat français d’appliquer les accords de défense. La seconde erreur est sociologique: l’isolement des soldats français à l’intérieur du 43ème BIMA, ainsi que l’enfermement généralisé des responsables politiques et militaires dans des certitudes (dépassées et sans lien avec la réalité sociale du pays) les ont rendu incapables de saisir les évolutions de la société ivoirienne, et en particulier l’émergence des jeunes sur la scène politico-militaire – tant au sein des Forces Nouvelles que des Jeune Patriotes. Cette erreur sociologique entraine la troisième erreur: l’erreur militaire. En effet, la méconnaissance des Jeunes Patriotes et l’incompréhension du mouvement de resistance patriotique qu’ils portent a conduit les soldats français dans des situations qui les ont dépassé. Les tentations putschistes de certains officiers et la paniques des soldats chargés de boucler le quartier de l’Hotel Ivoire ont abouti aux massacres que l’ont sait désormais. La dernière erreur est d’ordre médiatique: le soutien aveugle de la majorité des journalistes et des salles de rédaction à la position de leur pays ont provoqué un retournement immédiat de l’opinion nationale et internationale sitôt connues les images de Canal Plus. Le crime de guerre s’est doublé d’un mensonge d’Etat relayé par les journalistes, chargés en principe de dire ce qui est et non pas de servir de chambre d’écho à la propagande gouvernementale d’Alliot-Marie et de ses spin doctors.

En guise de conclusion, je lui ai demandé d’expliquer les réactions des militaires et des politiques qu’il a pu approcher face à ses analyses, et de dire dans quelle mesure les uns et les autres ont évolué. Sa réponse a été très éclairante: face à cette défaite, beaucoup de militaires qu’il fréquente ont cherché à comprendre et se sont laissés convaincre. Leur pragtisme fait qu’ils sont prêts à revoir leur cadre de pensée traditionnelle sur l’Afrique – notamment la lecture ethniciste du conflit – alors que les politiques sont restés en règle générale bornés et en retard sur le réel. Ces conversations ont donc permis de dégager une analyse globale qui est cohérente avec les autres témoignages que j’ai déjà publié ici. Le dernier article de Michel Galy – Politologie d’une rébellion: Une « gouvernance par la violence » au Nord de la Côte d’Ivoire ?- est éclairant sur sa méthode: il est le seul à analyser la manière dont les Rebelles ont en quelque sorte “gouverné” la portion du territoire sous leur contrôle: cette fameuse zone Nord qu’ils disaient vouloir libérer et développer, mais qui est désormais plus mal lôtie qu’elle ne l’était avant septembre 2002. Et qui est désormais à… reconstruire.

PS: “Il n’est point de mal pire que l’anarchie : elle ruine les villes, elle rend les demeures désertes, elle pousse, dans le combat, les troupes à la fuite; tandis que l’obéissance fait le salut de tous ceux qui sont disciplinés.” SOPHOCLE – Antigone (442 avt JC) – épisode III
_________________
"Le colonialisme et ses dérivés ne constituent pas à vrai dire les ennemis actuels de l'Afrique. À brève échéance ce continent sera libéré. Pour ma part plus je pénètre les cultures et les cercles politiques plus la certitude s'impose à moi que LE PLUS GRAND DANGER QUI MENACE L'AFRIQUE EST L'ABSENCE D'IDÉOLOGIE."
Cette Afrique à venir, Journal de bord de mission en Afrique occidentale, été 1960, Frantz Fanon, Pour la Révolution Africaine
2011, annee Frantz Fanon
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Chabine
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MessagePosté le: Lun 13 Déc 2010 04:36    Sujet du message: Répondre en citant

http://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2005-4-page-793.htm

Décembre 2005

Qui gouverne la Côte-d’Ivoire ?
Internalisation et internationalisation d’une crise politico-militaire


Michel Galy, politologue, est chercheur au Centre d’études sur les conflits (Paris) et au Centre de recherche des Écoles de Saint-Cyr Coëtquidan (CREC).

L’engagement, puis l’enlisement français en Côte-d’Ivoire, que l’on peut, mutatis mutandis, comparer à celui des États-Unis en Irak, semblent riches d’enseignements politologiques… La partie n’étant pas terminée, les choses risquant de se bousculer après les élections ratées d’octobre 2005, le danger est d’être bientôt démenti par des événements inattendus, des crises inédites dont semble receler l’arsenal baroque de la sage Côte-d’Ivoire d’autrefois. C’est l’occasion forcée de prendre du recul, de s’interroger sur les représentations du conflit des acteurs internes et externes de la crise – et sur leur influence dramatique dans les prises de décisions.

LA QUESTION RÉCURRENTE DE LA MISE SOUS TUTELLE
Les « événements », dit-on des massacres réciproques de novembre 2004 avec une gêne partagée : comme en mai 1968, les faits sont littéralement « inqualifiables »… Les morts des soldats français de Bouaké, les morts des civils ivoiriens d’Abidjan ont tétanisé les esprits – traumas refoulés en partie comme ceux des victimes malgaches de 1947. Si les cadavres ont été peu vus en Occident, sauf des spécialistes, ils ont été montrés à loisir à Abidjan. Au-delà des deux pays concernés, il est à craindre que l’opinion africaine retienne surtout l’image des blindés autour du symbolique « Hôtel Ivoire », et des tirs d’hélicoptères sur les ponts de la ville. Ne dit-on pas que Thabo Mbeki, l’actuel médiateur alors présent à Abidjan en a été personnellement très choqué ?
Pouvait-on faire autrement, dans l’enchaînement rapide des événements ? Toute analyse de la décision française (sujet polémique quant à son acteur principal, à son opportunité, à l’autonomie de l’appareil militaire local, à l’absence de réflexion sur les dangers encourus par les ressortissants, à sa légalité internationale…) doit être replacée dans le contexte du désastre annoncé de longue date : celui de l’expulsion de milliers de résidents français, clairement menacés par le « continuum de la violence » ivoirien, et dont on avait averti qu’ils ne pouvaient être évacués facilement[1]
Les questions de la présence – et du non-emploi – d’escadrons de gendarmes mobiles au 43e Bataillon d’infanterie de marine (BIMA), de l‘autonomie éventuelle de la colonne de blindés se dirigeant vers la présidence ivoirienne, de l’esquisse d’un coup d’État, ou de prises de décisions hâtives à Paris ne pourront être esquivées dans un futur débat, qui prendra en compte tous les acteurs ivoiriens (qui a donné l’ordre de bombardement à Bouaké ?) ou français (idem… pour Abidjan ?), les contradictions entre pôles de pouvoir (ministère des Affaires étrangères versus Défense ?), les intoxications médiatiques[2] réciproques, etc.
La question ne sera sans doute pas juridiquement posée – si ce n’est dans la perspective de violents règlements de compte entre les deux nations, où tous auraient à perdre[3] C’est en effet à un curieux « équilibre de la terreur judiciaire » que l’on assiste : des observateurs modérés, non spécialistes, notent que la France, dans le feu de l’action, a outrepassé les mandats des Nations unies, mais à l’inverse, des plaintes de ressortissants français face aux morts et exactions subies mettraient la classe gouvernementale ivoirienne sur la sellette.
Au-delà de l’événement, c’est bien la question de la mise sous tutelle qui semble se poser ouvertement, autant comme révélateur de situations que l’on n’ose nommer (néocolonialisme… ou pas !), que comme logique découlant des demandes des partisans du bloc rebelle et de l’opposition – et de manière générale des adversaires du régime actuel, africains ou occidentaux. Cette tutelle, qui reprendrait les « mandats » de la Société des Nations (SDN), rappelle décidément trop l’époque coloniale – en présence d’un gouvernement selon les uns « légal », selon d’autres « légitime » – pour qu’elle soit adoptée officiellement. Foin de nominalisme : 17 500 soldats onusiens en Sierra Leone, 15 000 au Liberia, plus ou moins 10 000 en Côte-d’Ivoire attendent donc des analystes un nom ; leurs missions sont à géométrie variable, leur départ indéterminé : reste leur présence massive. Signe des temps : on a connu des intellectuels français plus incisifs… Officiellement les choses sont claires : il ne s’agit pas de « néocolonialisme » et « la Côte-d’Ivoire est un pays ami ». Dont acte…
Sanctions, crédits et troupes viennent de l’extérieur, mais l’État ivoirien, bien implanté dans la capitale et dans le sud, fait de la résistance et maîtrise le champ politique local. De cette contradiction évidente, les analystes tirent des conclusions inverses : d’un côté les tenants du recours à la force et du retour à la belle époque coloniale sont favorables à un coup d’État plus ou moins furtif, mais reculent devant un bain de sang inévitable – du moins devant sa médiatisation. À l’opposé, les partisans de la légalité, voire de la légitimité du pouvoir actuel (cette dernière battue en brèche par l’impossibilité des élections d’octobre) regrettent la non-application des accords de défense et proposent le désarmement forcé de la rébellion, préalable aux élections et au retrait des forces françaises et onusiennes. Et c’est une solution tierce qui est favorisée par les institutions du « système mondial » : Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), Union africaine (UA), Organisation des Nations unies (ONU) ; une solution bâtarde à maints égards, favorisant le pourrissement de la situation et ce qu’on a pu appeler la « physique des appareils[4] » d’État en une dynamique involutive : propagation de la « guerre nomade » sur des territoires limitrophes, régression d’un régime et d’une société qui n’acceptent plus les contraintes extérieures.
Hors la Force Licorne et l’Opération des Nations unies en Côte-d’Ivoire (ONUCI) – qui ne sont pas rien – de quels moyens de contrainte disposent la communauté internationale, et singulièrement la France, pour faire pression sur le régime ivoirien ? Inversement, quelles sont les stratégies de temporisation, de déplacement ou d’inversion utilisées en face ?
Hors l’hypothèse d’une mise sous tutelle directe, l’introuvable « communauté internationale » agit par institutions, relais, missionnaires, médias en offensives plus ou moins coordonnées, médiations conflictuelles, manipulations des différents acteurs ou factions. Les représentants de l’État ivoirien, eux-mêmes loin de former un bloc unifié, tendent à passer à l’extérieur des alliances mouvantes, et sont plus encore tentés par un repli sur le national, un refus de l’extérieur, une focalisation sur un registre purement ivoirien – assimilant du même coup rébellion et opposition à un multiforme « parti de l’étranger », collaborationniste et par essence déstabilisateur.
La multiplication très africaine de médiations trop souvent autoproclamées, notamment de la part de rivaux régionaux (Sénégal, Nigeria) aura sans doute fait plus de mal que de bien. Cette diplomatie brouillonne et intéressée a montré par l’absurde l’inanité des fausses bonnes idées d’africanisation des forces de paix (voir les exactions du Groupe de contrôle de la CEDEAO (ECOMOG), sous hégémonie nigériane, au Liberia) ou de la diplomatie (voir les contradictions CEDEAO/UA, recoupant ou non les rivalités Afrique du Sud/Nigeria, anglophones/francophones, etc.) La contradiction, très près de se traduire en altercation et même en passe d’armes en novembre 2004 à Abidjan entre forces sud-africaines et françaises, a été suivie de joutes fort peu diplomatiques, et en augure peut-être d’autres.
Beaucoup de sanctions semblent faites pour être brandies comme arguments de pression, et non pour être employées : ainsi de mesures personnelles qui décapiteraient, si elles étaient employées équitablement, toute la classe politique ivoirienne, laissant le système onusien sans interlocuteur. L’embargo sur les armes est, quant à lui, détourné de multiples façons par les deux camps, d’une part parce que les frontières terrestres sont largement incontrôlables – notamment celle avec le Burkina au Nord, où passe l’essentiel des armes, voire des troupes pour le Mouvement patriotique de Côte-d’Ivoire (MPCI) ; de l’autre parce qu’à la faveur de la « guerre nomade », ce sont de véritables détachements de combattants libériens, sierra-léonais ou autres qui rejoignent ponctuellement l’un ou l’autre camp avec armes et bagages.
Les dernières décisions de l’ONU[5] sont conçues comme une « camisole politique », et pourtant il est aisé de prévoir les échappatoires que peut emprunter la société politique ivoirienne : tergiversations sur le choix d’un Premier ministre « acceptable par toutes les parties », formulation actuellement vide de sens ; opposition de la Constitution à toute tutelle ; mouvement massif de la rue et mise en danger croissante des étrangers, d’abord africains et ressortissants de pays jugés responsables de la tutelle (nigérians, sénégalais…), puis occidentaux et libanais, selon un « continuum de violence » désormais bien étudié[6] ; reprise d’hostilités internes contre les ressortissants de pays directement liés à la rébellion : Burkinabés et Maliens du Sahel qui, regagnant leur pays d’origine enflammeraient le reste de l’Afrique de l’Ouest et déstabiliseraient des régimes comme celui du président Blaise Compaoré ; appel, enfin, à l’Angola ou à l’Afrique du Sud, si les hostilités reprenaient, les forces occidentales venant à être débordées.

IDÉOLOGIE VERSUS MÉDIAS ?
La fuite en avant n’est pas seulement occidentale. À Abidjan, après le discours sur la « reconstruction », celui de la « deuxième indépendance » fait florès. On aurait tort pourtant de n’y voir qu’un discours réactif et une idéologie de fortune.
Ne considérer dans le coup d’État de septembre 2002 et ses suites que l’effet de l’ivoirité serait occulter la profonde évolution du débat politique, qui a glissé très vite de la question de la nationalité à celle de la Nation[7] C’est bien de l’émergence – du retour ? – d’un nationalisme et d’un anticolonialisme refoulés – à la diffusion panafricaine très large – qu’il s’agit. Un nationalisme aux penchants xénophobes, isolationnistes sans doute, affirmant une identité contre l’Autre, proche d’abord puis lointain, et dont on pouvait discerner les prodromes sous l‘houphouétisme triomphant. Un nationalisme très réactif à la présence armée internationale et aux immixtions extérieures. L’annonce, en septembre 2005, d’un redéploiement du dispositif des bases militaires françaises du « pré carré » francophone signifie, en clair, un départ du 43e BIMA de Port Bouët, aux portes d’Abidjan. Plus largement, il s’agit bien d’une accélération du désengagement français d’Afrique, au profit d’autres missions, et d’une multilatéralisation souhaitée, même si, pour l’heure, elle est peu fructueuse…
Le retrait d’une base permanente signe aussi la fin d’une importante présence de ressortissants français – on n’ose dire d’une néocolonie de peuplement (50 000 ressortissants il y a une décennie). L’exception française, un demi-siècle après les indépendances, pouvait ainsi se résumer : la France était la seule puissance occidentale à maintenir des bases militaires dans ses ex-colonies, avec des milliers de ressortissants assurant la base d’un tissu de petites et moyennes entreprises (PME), si importantes qu’elles distribuaient bon an mal an 50 % des salaires dans le milieu formel à Abidjan, accroissant ainsi sans le vouloir la rancœur des cadres nationaux, et des diplômés sans emploi déjà preneurs de l’ivoirisation des emplois, antichambre idéologique de l’ivoirité à venir.
Si la revendication d’une « deuxième indépendance » se nourrit de tels symboles – et il faudrait s’étendre sur les castes d’expatriés et leurs pratiques ostentatoires –, le cœur du problème est bien le « retour des grandes compagnies[8] internationales, qui contrôlent, bien au-delà de la Côte-d’Ivoire, des pans entiers de l’économie africaine, parfois de manière monopolistique. Si l’on sait que les monopoles de l’eau ou de l’électricité sont attribués, à Abidjan comme dans d’autres capitales, au groupe Bouygues, on ignore souvent que la très forte implantation de Bolloré dans l’import-export, via notamment le fret maritime, ne laisse que peu de place aux nationaux. Il faut toutefois reconnaître que ce sont des groupes canadiens et américains qui tirent profit de la situation, contrôlant les principales ressources agricoles, notamment le cacao.
Paradoxalement, la transformation rapide des appareils d’État en période de conflit se traduit davantage par une informalisation croissante de l’économie, une augmentation des flux parallèles de matières premières et par la corruption, que par la nationalisation d’entreprises ou d’activités fructueuses reprises aux étrangers. Ce « recours à l’informel » constitue aussi, dans certains secteurs, une véritable stratégie : qui contrôlera les armes qui ne passent pas par le port d’Abidjan, par exemple? Inversement la réorganisation très rapide des flux et des formes de commerce fait que la rébellion nordiste peut profiter de la production de diamants ou même de cacao, dont Burkina, Mali ou Ghana deviennent tout à coup exportateurs ; un profit qui contribue à l’achat d’armes, donc à la prolongation du conflit.
Contre le pouvoir d’État en place à Abidjan et sa forte emprise idéologique, pouvoirs extérieurs et opposition ont massivement recours aux campagnes médiatiques et à la désinformation active. À propos du rejet par les rebelles de la médiation Mbeki, le directeur de l’hebdomadaire Jeune Afrique a pu parler de « campagne de presse organisée »… C’est reconnaître les pratiques de l’Afrique sur Seine ou de la Françafrique – dont la Côte-d’Ivoire ne constitue qu’un exemple… Publi-reportages et « suppléments » à la gloire de tel chef d’État, reportages de complaisance sont, si l’on ose dire, monnaie courante. Plus sophistiqués, les procédés de prise de contrôle totale ou partielle de journaux spécialisés, ou l’alliance avec des journalistes faiseurs d’opinion se conjuguent avec des types de lobbying plus « occidentaux » : voyages d’études, billets d’avion, accès privilégié à l’information, etc.
Tous ces procédés ont été utilisés dans la crise ivoirienne, avec d’étranges particularités. S’il n’est pas étonnant que tel grand reporter ait mené, de notoriété publique, et suivant ses affinités, une campagne de presse active et continue[9] contre le gouvernement en place, le désintérêt de ce pouvoir pour la politique de communication, et la foi plus ou moins autonome des médias occidentaux en la « juste cause » des rebelles, sont plus surprenants.
Le bilan des forces médiatiques est terrible pour le pouvoir en place. Les organes de presse occidentaux ont trouvé bon accueil du côté des rebelles et de leurs relais occidentaux, tandis que les loyalistes leur battaient froid, voire les accusaient de manière récurrente de partialité pro-rebelle. D’après des entretiens récents à Abidjan, il y aurait là bien autre chose qu’une sorte de xénophobie médiatique – qui existe ponctuellement, notamment envers Radio France Internationale (RFI), l’Agence France Presse (AFP), tel journal parisien ou tel journaliste. Pour les proches de la Présidence, le combat des idées est avant tout politique – et interne. Échaudés par les hommes d’influence des grands cabinets de communication, qui écument en effet l’Afrique en se vantant imprudemment de « pouvoir vendre les présidents africains comme des savonnettes », les responsables gouvernementaux considèrent ces autoproclamés « grands communicants » au mieux comme des « faiseurs », au pire comme des escrocs. D’autant que nombre de campagnes peu probantes furent hier menées à grands frais en Côte-d’Ivoire. Qui a vu le président Henri Konan Bédié, autrement nommé l’« éléphant d’Afrique » dans un parallèle osé avec les « tigres » asiatiques, illustrer les murs d’Abidjan risque de rester durablement sceptique… Jusqu’aux événements de novembre 2004, le pouvoir, certain que ses adversaires finançaient journaux et faiseurs d’opinion à Paris, Bruxelles ou Washington, tendait à minimiser le rôle de l’opinion internationale dans les prises de décision.
Devant les campagnes réelles menées par certaines radios internationales ou des journalistes parisiens, un suivi intellectuel précis, mené par les universitaires ivoiriens, a vu le jour et démonte dans la presse d’Abidjan contre-vérités et désinformation de l’étranger, parfois de manière systématique et excessive, parfois de manière remarquable et informée. Dans la presse à sensation ivoirienne, au demeurant plus presse « de caniveau » que « média de la haine » (sauf en temps de crise), le pouvoir a encouragé des journaux militants soutenant son camp ; il s’est efforcé aussi à une plus habile propagande lors de missions en Occident. Mais sans résultat qui soit comparable à l’accueil unanime de la presse internationale, notamment française, aux « rebelles qui sourient », un accueil qui prend, devant les informations récentes sur les exactions multiples du « Soroland », des allures de « Timisoara tropical »…

LES ALLIANCES DU RÉGIME IVOIRIEN ET DE LA RÉBELLION
Ce n’est un secret pour personne en Afrique de l’Ouest que le régime de Dakar a vu avec une « joie mauvaise » la Côte-d’Ivoire s’enfoncer dans la crise, tandis que le Nigeria, qui veut rester la puissance hégémonique de la CEDEAO, est par principe opposé à la médiation de l’Afrique du Sud. Le principe des ligues et des alliances en damier mis en évidence dans la guerre du Liberia[10] tend à s’étendre à l’Afrique de l’Ouest et, plus largement, à tout le continent.
Sur le modèle congolais, se pose très clairement au régime d’Abidjan la question du choix d’alliés militaires susceptibles d’envoyer des troupes qui se substitueraient à celles de la France ou de l’ONUCI en cas de reprise d’un conflit ouvert, de réarmement massif des rebelles et d’implication – aujourd’hui peu probable – des armées du Burkina et de ses alliés.
Dans cette hypothèse, les intervenants pourraient être les mêmes que ceux de la guerre des Grands Lacs : les armées de l’Angola et de l’Afrique du Sud, aguerries de longue date, aident ouvertement Abidjan… Plus éloignées de toute justification anticolonialiste, des alliances plus ponctuelles et fluctuantes sont passées parfois à contre-emploi : ainsi avec le régime à bout de souffle du « président général-dictateur » Lansana Conté de Guinée-Conakry (utile pour prendre à revers le MPCI[11] ou celui de feu Étienne Gnassingbé Eyadéma ; de même, avec l’ex-régime militaire de Mauritanie. Quant à Tripoli, qui a pourtant appuyé toutes les tentatives de déstabilisation menées par le Burkina Faso en Afrique de l’Ouest, elle adresse sporadiquement des signaux positifs au gouvernement ivoirien.
De son passé marxiste et de ses combats pour la démocratisation du régime houphouétiste, au sein de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte-d’Ivoire (FESCI), du Syndicat national de la recherche et de l’enseignement supérieur (Synares), puis du Front populaire ivoirien (FPI), Laurent Gbagbo a gardé de nombreuses sympathies dans des mouvements estudiantins ou critiques qui en font volontiers, après Patrice Lumumba, Thomas Sankara ou Nelson Mandela, un symbole de la « nouvelle Afrique ». Peut-être faut-il analyser ces sympathies en termes de catégories d’âge plus que d’organisations : victoire tactique et défaite stratégique selon beaucoup d’observateurs, les massacres de novembre 2004 ont fait perdre à la France beaucoup de sympathies dans la jeunesse africaine, particulièrement dans des pays récemment démocratisés, ou auprès de leaders ayant mené de dures luttes politiques, comme Thabo Mbeki.
Le MPCI est-il, quant à lui, « un tigre de papier » ? Les opinions sur la consistance politique et la force militaire de la rébellion nordiste sont très partagées. Rien ne destinait Guillaume Soro, leader estudiantin visant le pouvoir à Abidjan, à devenir le quasi-président d’un État fantôme à Bouaké, seconde ville de Côte-d’Ivoire ; mais rien ne préparait non plus les acteurs du coup d’État de septembre 2002, planifié à l’échelle du pays, à se replier sur la zone nord, après la résistance inattendue de la gendarmerie d’Agban, au cœur d’Abidjan. Qui étaient-ils, qui les appuyait, que voulaient-ils ? À ces questions, pas de réponse simple – des hypothèses provisoires, et une certitude : certainement pas un mouvement armé de l’ombre, le MPCI, surgissant soudain au grand jour.
Les témoignages convergent sur un coup d’État à plusieurs composantes, aidé et appuyé par le Burkina Faso (comme lors de ses actions de déstabilisation successives du Liberia ou de la Sierra Leone), et qui n’a dû qu’à son échec à Abidjan de se cantonner à la zone nord. L’opposition branche politique/branche militaire se double de la rivalité de factions organisées autour d’Ibrahim Coulibaly, ex-garde du corps d’Alhassane Ouattara, ou de Guillaume Soro, factions qui correspondent peu ou prou au profond clivage nordiste entre ethnies Sénoufo et Malinké.
La décision de Paris en septembre 2002 de ne pas appliquer les accords de défense, sous l’argument que la crise était ivoiro-ivoirienne, a permis à ce groupe très composite de s’enraciner ethniquement, bien que l’occupation d’une bonne partie du pays Baoulé et de sa capitale Bouaké soient potentiellement dangereuse pour la rébellion : une sorte d’épuration ethnique larvée de la ville, et le ralliement du père de l’ivoirité, Henri Konan Bédié, à l’opposition menée par le Rassemblement des républicains de Côte-d’Ivoire (RDR) ont permis de limiter le risque. Bien que l’on n’y voie pas encore bien clair sur les milieux d’affaires (occidentaux, libanais?) qui ont sponsorisé le coup, l’hypothèse la plus intéressante est sans doute celle de l’apprenti sorcier : en dépit d’un appui initial, voire même d’une création ex nihilo, la rébellion se serait par la suite autonomisée ; si le « G7 » regroupe toutes ces composantes, les perspectives de désarmement, de réunification et même d’élections les opposent clairement.
D’entretiens menés à Monrovia et à Freetown, comme avec des interlocuteurs sahéliens, il ressort une sympathie potentielle bien plus large autour de la rébellion que ses appuis politiques ou diplomatiques : implicite ou explicite, l’idéologie mandingue – stigmatisant les sudistes, « ceux de la forêt », comme des « bushi » (comprendre busmen, en d’autres termes : « sauvages »…) et regrettant l’Empire du même nom – n’a rien à envier, inversée, à celle de l’ivoirité – même si elle est moins médiatisée en Occident… La « guerre dans un seul pays » est donc une illusion. Agences des Nations unies, ex-colonisateurs, Organisations non gouvernementales (ONG) ou « projets » s’épuisent à suivre son nomadisme instrumentalisé par les acteurs locaux : la frontière permet aux guérillas de se ressourcer dans les camps du Haut-commissariat aux réfugiés (HCR) et de mener le combat à partir de focos, foyers d’insurrection limitrophes.

L’AFRICANISATION DES COMBATS, OU LE POINT DE VUE DES SOCIÉTÉS
Une fois de plus, une expérience africaine offre un démenti à la fois théorique et pratique aux tenants d’une sécurité conçue comme répression des populations locales, des gouvernements jugés dangereux, ou des factions armées par des forces armées occidentales surarmées et des supplétifs onusiens, ou nationaux. Comment expliquer que les sociétés africaines soient de moins en moins manipulables, et que la résolution des conflits aille d’échec en échec, malgré le caractère fortement asymétrique des forces engagées ? Les études occidentales – menées le plus souvent auprès des responsables militaires occidentaux dans leurs lieux de pouvoir, ou par des « politologues embarqués » sur place –, pèchent en général par une profonde méconnaissance des dynamiques africaines, en particulier des plus récentes. Pour caricaturer, mieux vaut connaître la « Sorbonne » d’Abidjan[12] que celle de Paris, le quartier général des nationalistes locaux que celui de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), les pratiques des nomades du Liberia que celles des guérilleros marxistes d’antan. Militaires et chercheurs, dans le cas ivoirien comme pour d’autres conflits africains, se sont souvent trompés d’époque ou de sociétés.
Plus jeunes, plus instruits ou plus mobilisés, les jeunes ivoiriens ont transformé dans une certaine mesure le régime représentatif en régime populiste. Faut-il parler de la rue africaine, sur le douteux modèle de la « rue arabe » ? À l’inverse des dictatures ou régimes autoritaires arabes, les diverses formes de mobilisation africaines participent à la fois d’une démocratisation accrue de régimes désormais multipartites, de l’explosion des médias dans les années 1990, et de l’émergence d’un « imaginaire de la longue distance[13] » fantasmant les libertés occidentales.
Devant les pressions politiques et la sophistication des appareils militaires étrangers, tout se passe comme si les sociétés africaines réactivaient spontanément des registres d’action précoloniaux, ou ancrés dans une vivace ethnicité, quitte à régresser massivement et à convertir les enjeux internes en termes de sacrifices et de violence massive. Dans d’autres pays, on connaît le recours systématique à la violence pour recruter des catégories exclues à l’ordinaire des conflits (les femmes ou les enfants) ; le traitement terrifiant du corps de l’ennemi (dépeçage, sur le modèle de la chasse) et de celui du guerrier (usage des crânes, des talismans et usage du registre de la sorcellerie) ; l’informalisation de la vente de bois, ou de diamants pour acquérir des armes, avec un travail forcé qui ressemble fort à un nouvel esclavage. Toutes ces tendances se dessinent déjà à Abidjan comme en zone rebelle ; ainsi l’usage des jeunes et des femmes comme boucliers humains ou l’utilisation de parures et rituels réinterprétés dans les émeutes urbaines. Le pari autochtone est aussi celui, inverse, de la disproportion de la souffrance, du faible au fort : combien de morts l’opinion publique française et internationale peut-elle supporter pour que l’ordre règne à Abidjan ?
Bien plus que d’on ne sait quelles machiavéliques manipulations de théoriciens fantômes du gouvernement ivoirien, qui s’inspireraient tantôt de l’Algérie, et tantôt du Rwanda, les formes de mobilisation et d’usage des médias s’inspirent d’une sorte d’« extension du domaine de la lutte » ethnique ou sociale. Olivier Roy remarquait le caractère inadéquat des cadres mentaux des services antiterroristes formés à la guerre froide, qui voyaient dans Al-Qaida une structure de type marxiste-léniniste, centralisée et hiérarchiquement organisée ; on peut remarquer le même type de dangereuse projection sur la mouvance nationaliste – et rebelle – de Côte-d’Ivoire. Une partie des événements de novembre 2004 à Abidjan, s’explique sans doute par une appréciation erronée de la nature du régime ivoirien par les médias, appareils et services, et aussi une certaine recherche. Réduire par exemple L’Ivoire à un statut d’hôtel international, c’est non seulement oublier le signifiant et sa force, mais ignorer qu’il fut à tel point central pour les régimes successifs que le « gouverneur » Guy Nairay y résidait à l’année en période houphouétiste. De même, méconnaître rumeurs et mobilité dans Abidjan, ou dresser de fallacieux organigrammes de groupuscules patriotes assimilés à une « armée de l’ombre », à réduire comme telle, mène au désastre que l’on sait : la présence de deux millions de personnes dans les rues d’Abidjan pour soutenir le président ivoirien dans l’après Marcoussis aurait pourtant dû suggérer quelque réflexion sur les différents cercles nationalistes.

MOUVANCE DU POLITIQUE
Depuis le début des années 1990, les forces occidentales et onusiennes se sont lancées dans une série d’opérations de paix tous azimuts, notamment en Afrique subsaharienne. La « société globale » se faisait fort d’écraser militairement les factions en conflit – ce qui se réalisa sans trop de peine, vu l’asymétrie des forces –, mais aussi de reconstruire à son idée les sociétés locales – ce qui échoua régulièrement. La Côte-d’Ivoire offre un exemple parmi d’autres de la formidable capacité des sociétés africaines à s’échapper des cadres prévus, à les réinterpréter jusqu’à piéger les intervenants extérieurs.
Depuis la mystérieuse insurrection de septembre 2002, les événements montrent la grande plasticité des institutions politiques au sud du Sahara, et donc la grande difficulté à les contrôler de l’extérieur, par des moyens militaires ou diplomatiques. Cette transformation rapide des institutions, des alliances extérieures, du rôle des médias ou de la jeunesse dans la vie politique restera-elle limitée à une seule nation ? Ou, comme la poussée démographique, le regain de nationalisme et le délitement de l’influence occidentale le laissent supposer, préfigure-t-elle un nouveau cours des choses à l’échelle du continent – où imprévisibilité et complexité laisseraient désarmés observateurs et acteurs extérieurs ?
De l’imbroglio ivoirien où s’est piégée l’ex-puissance coloniale, une vérité fragmentaire se fait jour : on ne gouverne plus – par prétoriens, diplomates ou relais locaux – un pays africain comme dans le demi-siècle précédent : des forces politiques autochtones se sont affirmées contradictoirement, sans que l’on sache qui, des rébellions périphériques ou de l’étatisme néonationaliste, l’emportera. Mais le recentrage du champ politique se fera dans le cadre du continent lui-même, à travers l’émergence de grands acteurs de référence comme l’Afrique du Sud, l’Angola, le Nigeria. À partir de ces éléments, on peut craindre, suivant le modèle des pays touchés par les guerres nomades, et sur fond de massacres, de travail forcé, de prédations aggravées, que l’horizon qui s’impose soit celui d’une involution régressive.
Du gouvernement national tenté par l’impossible repli sur un débat politico-militaire purement ivoirien, du système de gouvernement mondial séduit par un fantasme de transparence et de toute puissance sur les sociétés locales, lequel l’emportera ? S’agit-il d’un jeu à somme nulle, où les interventions occidentales, à coup de demi-mesures, ne peuvent que détruire le peu d’autonomie et de légitimité étatiques que l’on est supposé, à terme, restaurer ? Toute tentative de gouvernance autoritaire, oublieuse des complexes gouvernementalités locales, est condamnée à l’échec.

NOTES
[ 1] Cf. par exemple « De la guerre nomade », Cultures et conflits, décembre 2004 (écrit antérieur aux événements d’Abidjan).
[ 2] D. Schneiderman, « En Côte-d’Ivoire, le journalisme en uniforme », Libération, 12 novembre 2004 ; « Journalisme de guerre : retour sur la “crise ivoirienne” de novembre 2004 », Acrimed, 29 août 2005.
[ 3] Voir notamment le jugement sévère de B. Pouligny : « Les dérives de l’opération Licorne en Côte-d’Ivoire », Libération, 7 décembre 2004.
[ 4] M. Galy, « La physique des appareils », in Actes du colloque de Milan (à paraître en novembre 2005) sur les avatars de l’État en Afrique, concernant le jeu et l’instrumentalisation des divers appareils d’État ivoiriens, comme réponse souple aux événements politiques.
[ 5] Résolution 1 633 du Conseil de sécurité des Nations unies, 21 octobre 2005.
[ 6] M. Galy, « La violence, juste avant la guerre », Afrique contemporaine, printemps 2004 ; a contrario, pour la thèse d’une irruption soudaine de la violence, cf. C. Vidal, « La brutalisation du champ politique ivoirien », Revue africaine de Sociologie, vol. 7, n° 2, 2003.
[ 7] Pour une étude détaillée de ces glissements sémantiques et idéologiques, cf. C Sandlar, « Les “titrologues” de l’ivoirité », Outre terre, n° 11, juin 2005.
[ 8] Selon les thèses d’A. Mbembé, « Afrique des comptoirs ou Afrique du développement ? », Le Monde diplomatique, janvier 1992.
[ 9] Voir la retentissante lettre de démission du Monde du journaliste camerounais Th. Kouamouo, détaillant les trucages et censures de l’information (Africultures, 5 octobre 2002).
[ 10] M. Galy, « Les espaces de la guerre en Afrique de l’Ouest », Hérodote, novembre 2003.
[ 11] Ch. Leloup, « Lansana Conté et Laurent Gbagbo unis contre les Forces nouvelles ? », Outre terre, n° 11, mai 2005.
[ 12] Le « Plateau », quartier central d’Abidjan, une sorte de Hyde Park avec prise de parole plus ou moins encadrée comme dans les autres lieux urbains par les leaders proches da la mouvance nationaliste. Cf. A. Bahi, « La “Sorbonne” d’Abidjan : rêve de démocratie ou naissance d’un espace public ? », Revue africaine de sociologie, vol. 7, n° 1, 2003.
[ 13] Selon l’expression du politologue Achille Mbembe, « Essai sur le politique en tant que forme de la dépense », Cahiers d’études africaines, n° 173-174, 2004.

RÉSUMÉ
La crise ivoirienne est riche d’enseignements généraux, sur l’impossible mise en tutelle des sociétés par des institutions internationales, aux stratégies d’ailleurs souvent contradictoires ; sur la fabrication des représentations instrumentalisées au travers des systèmes médiatiques ; sur la dynamique des alliances extérieures des factions opposées ; sur le retour, face à un processus vu comme une recolonisation, à des registres d’action et de lutte précoloniaux, à forte composante ethnique.
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"Le colonialisme et ses dérivés ne constituent pas à vrai dire les ennemis actuels de l'Afrique. À brève échéance ce continent sera libéré. Pour ma part plus je pénètre les cultures et les cercles politiques plus la certitude s'impose à moi que LE PLUS GRAND DANGER QUI MENACE L'AFRIQUE EST L'ABSENCE D'IDÉOLOGIE."
Cette Afrique à venir, Journal de bord de mission en Afrique occidentale, été 1960, Frantz Fanon, Pour la Révolution Africaine
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MessagePosté le: Lun 13 Déc 2010 04:44    Sujet du message: Répondre en citant

http://www.abidjantalk.com/forum/selection.php?page=eleven

26 janvier 2006

Michel Galy - Que faisons nous en Côte d’Ivoire?


Beaucoup plus que l'opération "Licorne", l'ensemble de la tutelle franco-onusienne semble poser problème, comme le montrent bien les récents événements d'Abidjan — et les morts de Guiglo. Inédite sur le plan du droit international, la situation appelle pourtant d'intéressants parallèles historiques, mais aussi régionaux. Et les dires ne correspondent pas toujours aux faits... Partie pour "faire la paix" — et bon gré mal gré le bonheur de tous les Ivoiriens —, l'intervention de la France et de la communauté internationale a certes dans un premier temps limité la violence, même si elle n'a pas bouté la rébellion vers ses bases burkinabées, comme les accords de défense auraient pu y inviter. Mais, aujourd'hui, à la fois amplifiée et enlisée, la même intervention se prend dans un vertige interventionniste de gouvernance autoritaire et d'autoritarisme international qui ne laisse rien augurer de bon, et qui risque au contraire de mener à une violence croissante, cette fois d'origine exogène.

Pour les historiens, le processus en rappelle d'autres ! S'agit-il d'une "mise sous tutelle" rampante, ou d'un "territoire sous mandat" ? Si les mots ne sont pas employés, les réalités y ressemblent et ne sont guère encourageantes, à l'aune du Kosovo, par exemple. Pour des juristes internationaux, les Nations unies ont créé un monstre, notamment dans les contradictions non résolues entre un "Etat souverain" conservant toute sa validité à la Constitution ivoirienne (avec la "primauté de la résolution 1633 du Conseil de sécurité" prévoyant la prolongation du mandat du président ivoirien pour un an), et sa dépossession pratique autour d'un premier ministre arrivé dans les fourgons des décideurs internationaux. Mais surtout, les institutions internationales, en inventant un organe que l'on n'ose dire "ad hoc", le déjà fameux GTI ou groupe de travail international, ont réussi, premier exploit, à mettre le feu aux poudres. Cette commission formée de tous les pouvoirs interventionnistes onusiens, africains et français est censée se réunir périodiquement à Abidjan, comme un anachronique "conseil des gouverneurs" pour superviser et bientôt remplacer l'édifice étatique ivoirien, qui, bien sûr, fait de la résistance. Pour les africanistes favorables à la résolution autoritaire des conflits, un gouvernement fantoche en Sierra Leone, un autre sous tutelle au Liberia entraîneraient le même processus en Côte d'Ivoire ! Moyennant la coûteuse et interminable présence de 10 000 à 15 000 militaires par pays, renforcés par une armada d'ONG qui prospèrent sur les marges onusiennes.

Tout cela dans une grande irréflexion politique et dans d'inquiétantes improvisations. Car, à part diaboliser un régime et un président victimes d'un coup d'Etat téléguidé, en septembre 2002, où est la solution à long terme ? Nombre de militaires français n'ont qu'une envie : quitter le guêpier ivoirien. Encore faut-il, selon eux, le faire "dans l'honneur", et non dans des conditions dramatiques et sous l'épée de Damoclès d'accusations ultérieures — comme au Rwanda. Les massacres réciproques de novembre 2004, à Bouaké comme à Abidjan, ont été traumatisants pour les deux camps, et ne peuvent être politiquement réédités — ce qui a récemment favorisé un transfert inédit de la violence sur des forces onusiennes déjà à demi dépassées. La solution à la "Recamp" (Renforcement des capacités africaines de maintien de la paix) semble échouer, comme la vietnamisation de triste mémoire. On ne le dira jamais assez : des violences plus grandes sont toujours possibles, dans une politique du pire que l'on voudrait croire inenvisageable. En dehors des boucs émissaires occidentaux, les millions de Sahéliens vivant au sud sont hélas, dans un scénario — catastrophe —, des cibles toutes prêtes.

Les solutions politiques proposées ont l'inconvénient majeur de se trouver en porte-à-faux avec l'opinion nationaliste sudiste, violemment antirebelle et attachée aux symboles de l'Etat ivoirien : armée, présidence, Assemblée, etc. Toute tentative de réédition de la Conférence de Kléber, toute solution militaire ou personnelle (sanctions ad hominem ou "solution à la haïtienne" de destitution du président), ne fera qu'échauffer les esprits ou faire exploser la capitale. S'il n'y pas une science exacte des "violences extrêmes" ni une thermodynamique des pressions, on est prêt à parier qu'une aggravation de la violence symbolique verticale, issue du "système de gouvernance mondial", pourrait se traduire par la multiplication de violences horizontales, entre groupes et ethnies, rendant la Côte d'Ivoire définitivement ingouvernable.

Michel Galy enseigne à l'Institut d'études politiques de Paris.
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MessagePosté le: Lun 13 Déc 2010 05:04    Sujet du message: Répondre en citant

http://www.cairn.info/revue-cultures-et-conflits-2007-1-page-137.htm

Printemps 2007

Politologie d’une rébellion. Une « gouvernance par la violence » au Nord de la Côte d’Ivoire ?

Michel Galy est politologue, chercheur au Centre d’Etudes sur les Conflits (Paris).

Amnesty international, qu’on ne peut suspecter d’excessive sympathie envers le camp gouvernemental [1] décrit ainsi le massacre des gendarmes de Bouaké et de leurs familles, selon des témoignages recoupés :

« A Bouaké, le 6 octobre 2002, une soixantaine de gendarmes accompagnés d’une cinquantaine de leurs enfants et de quelques autres civils ont été arrêtés dans leur caserne par des éléments armés du Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI) qui avaient pris le contrôle de la deuxième ville du pays depuis le 19 septembre 2002. Ces personnes ont été conduites à la prison du camp militaire du 3e bataillon d’infanterie. Ce même soir, des éléments armés du MPCI sont entrés à plusieurs reprises dans la prison et ont tiré en rafales, tuant et blessant des dizaines de détenus. Les survivants sont restés deux jours avec les blessés et les cadavres en décomposition sans recevoir de nourriture. Certains ont été contraints de transporter les cadavres et de les enterrer dans des fosses collectives et une dizaine d’entre eux ont très vraisemblablement été tués sur les lieux mêmes du charnier après qu’ils eurent enterré leurs camarades ».
Pas d’images de ces violences extrêmes, un peu à l’instar de Kigali : bien que les situations soient très différentes, la médiatisation saisit parfois, a posteriori, l’inverse du réel…
En revanche, l’opinion publique internationale se souvient de l’épisode télévisuel montrant, aux accords de Linas Marcoussis, le « leader des Forces nouvelles », Guillaume Soro, ex-activiste étudiant pressenti par le gouvernement français, en 2002, comme… « ministre de la Défense » à Abidjan ! Quelle scène alors retenir pour symboliser une rébellion pour laquelle les médias occidentaux ont longtemps eu les yeux de Chimène, ces « rebelles qui sourient [2], défenseurs des opprimés ?
L’analyse d’une telle rébellion semble d’autant plus une mission impossible que les observateurs sont le plus souvent des acteurs impliqués, ne serait-ce qu’à cause des liens étroits qu’entretiennent historiquement les pays concernés – au-delà des affinités en réseaux politiques ou intellectuels, où se sont constituées des élites transnationales franco-africaines.
Pourtant, après le reflux d’un temps des illusions médiatiques sur les « sympathiques » rebelles nordistes, les campagnes de mise sous tutelle du camp gouvernemental par les institutions internationales et les massacres de novembre 2004 constituent bien des éléments majeurs dans le champ politologique africaniste et dans celui des relations internationales. Quelles sont donc les différentes phases de la connaissance de la rébellion ivoirienne et de ses perceptions médiatiques et politiques, aussi bien à Abidjan qu’à l’étranger ? Chacun comprend bien d’ailleurs que les réponses ne peuvent qu’être provisoires : les commanditaires, les financements, les alliances de la rébellion ne sont en effet connus que partiellement.

CONSTRUCTION DES RÉBELLIONS : DES PÉRIPHÉRIES INSURGÉES ?
Si les rebellions locales ont tout intérêt, pour asseoir leur légitimité, à se poser dans un contexte national et à nier les influences ou alliances extérieures, un comparatisme rapide découvre au contraire bon nombre de liens étonnants, au-delà des discours. Si des chercheurs comme Stephen Ellis et surtout Paul Ritchards [3] ont mis l’accent sur les catégories d’âge et l’ethnicité de rébellions socialement et politiquement dominées, nous avons mis en évidence [4] le caractère spatialement périphérique (dans une double acception : spatiale et sociale) de ces mouvements ; remarque d’ailleurs assez désespérante à terme, car à cause de la conquête de l’époque coloniale, procédant des côtes vers l’intérieur, ce caractère politique des périphéries dominées et délaissées semble évidemment structurel.
Des chercheurs comme Claude Raffestin [5] comparant les modes de construction de l’Etat, n’ont pas hésité à généraliser ce phénomène : quand l’Etat se montre plus fort et plus juste en son centre et au contraire plus distant – mais plus coercitif – dans des frontières floues ou disputées. Pour autant, un guérillero ne naît pas tout armé à chaque frontière, même en Afrique… Il y faut des circonstances particulières, une histoire propice, des financements, une organisation, etc. [6] Si ce n’est pas le lieu d’une théorie générale des guérillas périphériques, on a pourtant trop dit que, calquées sur des Etats patrimoniaux, celles-ci étaient sans idéologie comme sans éthique, poussées par une primaire soif de prédation, selon les thèses caricaturales et économicistes d’un Paul Collier [7] prêtant aux « War Lords » des mentalités uniquement entrepreneuriales et des mœurs seulement capitalistiques.
Le discours structurant des rébellions peut avoir une certaine consistance idéologique – bien que leurs pratiques en diffèrent sensiblement : discours anti-corruption et anti-crio [8] du RUF de Sierra Leone, revendications libératrices du NPLF [9] de Taylor contre la dictature Doe, revendications pro-RDR [10] ou illustrant des revendications nordistes contre l’ivoirité de la part MPCI en Côte d’Ivoire. Autant de registres évocateurs de revendications politiques, même s’ils heurtent l’épure marxiste des guérillas anciennes.
A travers ces idéologies mobilisatrices se dessinent d’ailleurs mieux les failles et les faillites des Etats concernés que les solutions à venir : fonction tribunitienne des guérillas devant la corruption du système électif, qui se heurtent aux structures sociales (que faire contre la démographie galopante et la subordination structurelle de la jeunesse ?). Elles ne proposent au mieux qu’une alternance de prédation : « à chacun son tour… de manger ! », selon une métaphore bien connue, depuis les travaux désormais classiques de Jean-François Bayart, et qui exprime bien une certaine logique autochtone du politique.

LE RDR A T-IL CRÉÉ UN MONSTRE ?
Telle est en effet la « thèse moyenne » du coup d’Etat, intermédiaire entre la « théorie du complot » ex nihilo (dont le maître, bien sûr, est encore caché) qui, universellement, satisfait à peu de frais les esprits simples, et celle du « reflet », qui verrait bien à tort les mouvements insurrectionnels comme le seul bras armé du RDR et de ses alliés. S’il faut la caricaturer à son tour en la dénommant, l’interprétation par « l’apprenti sorcier » comporte en effet l’avantage provisoire de rendre compte de l’autonomisation partielle de la rébellion et de son ancrage territorial, l’un expliquant partiellement l’autre sans toutefois en épuiser le sens.
Il faut donc partir méthodologiquement de ce « mystère des origines » qui n’est pas sans rappeler celui des sociétés secrètes, et dont le charme agit encore pour attirer de nouveaux combattants, aventuriers des temps modernes de toute la région, qui ont trouvé dans le nomadisme guerrier une situation durable… avant leur fin possible.
Les interprétations extrêmes et symétriques abondent : pour le camp présidentiel, il s’agit à la fois de putschistes militaires assoiffés de pur pouvoir, de « terroristes islamistes » – de type GSPC [11], de cinquième colonne burkinabé, ou d’un simple « montage » des services occidentaux en général, français en particulier… Parfaitement contradictoires, ces interprétations ont le mérite d’une fausse clarté et, pourtant, s’appuient tour à tour sur d’indéniables indices tirés de la chronologie du mouvement.
Par certains côtés, le MPCI est bien une rébellion post-moderne, sauf à ignorer que bien des mouvements politico-militaires jouent des effets d’images et de signifiants [12]. On discerne facilement des composantes assez mal hiérarchisées et en constante réorganisation. Au tout début, deux groupes de jeunes recrues ivoiriennes « déflatées », de leur nom de classe : « Zinzins et Blofoués [13]» avec des rescapés en exil au Burkina de putsch et d’épurations ivoiriennes successifs, et parmi eux des proches – civils ou militaires – du leader du RDR.
Au-delà, foisonnent des données plus hypothétiques : si le lien avec des mouvements estudiantins et « l’école de la Fesci [14] » est évident avec Guillaume Soro, si des militaires de l’armée officielle se sont ralliés (à mesure, pour certains, qu’ils étaient limogés à Abidjan), la présence au début de la rébellion de « mercenaires » libériens et/ou sierra léonais semble attestée et fait partie de ce « nomadisme » des guerriers ouest-africains.
A ce propos, les « guerriers urbains » d’Abidjan magnifiés par la cinéaste Eliane de la Tour [15] sont-ils représentatifs des milieux délinquants urbains qui auraient pu passer à la rébellion nordiste ? Si les cas avérés semblent minoritaires, il est en revanche certain que marginaux et jeunes exclus (qui forment en partie des unités d’« enfants soldats », surtout vers l’Ouest libérien), petits métiers, chômeurs des villes et des campagnes du Nord ont rapidement formé des troupes supplétives aux soldats d’une rébellion, au début inférieure à un millier d’hommes – et qui a trouvé à travers eux un certain enracinement ethnique. Plus hypothétique encore [16], la présence de contingents burkinabés, avec ou sans uniforme, même s’il est de notoriété publique que Ouagadougou sert de base arrière aux leaders rebelles qui y possédaient, grâce au président Compaoré, villas et 4x4, subsides et armes, ainsi que des facilités de voyage à l’étranger et d’entraînement militaire.
De ces contingents hétérogènes, sigles et médias ont trop vite fait une unité, à la fois guérilla et mouvement politique. L’« opération MPCI » a bien été, de l’avis de beaucoup, montée a posteriori, après l’échec du putsch et son cantonnement par la force Licorne au Nord de la Côte d’Ivoire. « Force du signifiant [17] » : à l’époque, ni le sigle ni a fortiori la fonction de son « Secrétaire général » n’avaient d’existence, ni de consistance : s’il ne s’agit pas de pure « vitrine » sémantique, ni d’intoxication de la presse internationale, l’opération a introduit des réalignements inédits, mais a favorisé un clivage inattendu militaires/civils, ces derniers dirigeant par le Verbe, source de constantes tensions. Des opérations secondaires, comme la duplication d’un MPIGO [18] ou du MJP [19] à l’Ouest de la Côte d’Ivoire [20], ont tenu le temps de délégations surréalistes à Marcoussis et ont été réduites par la force, de manière sanglante… par la direction rebelle elle-même !
Le pouvoir rebelle, en dehors du clivage factionnel I.B./Soro, est plus à concevoir comme une nébuleuse, faite d’agencements changeants de chefs de guerre et de leurs troupes [21], que comme un système de commandement hiérarchisé. Ici aussi, la labellisation des leaders locaux peut faire illusion, tels les « coms zone » (« commandant de zones », zones qui sont elles-mêmes divisées en « commandements opérationnels », puis en « postes » – organisation largement fictive…) ; mais la pratique semble celle de rivalités incessantes pour les rackets, régulées par les armes. Ainsi, une logique de fiefs se développe, comme une territorialisation de la violence, obligée par là même de passer des alliances avec les pouvoirs autochtones, comme Koné Zackaria, le chef de guerre de Vavoua. Un certain repli sur les fiefs se fait jour, depuis l’exécution du caporal-chef Bamba Kassoum, taxé de pro-I.B. et bien avant, celle du chef de guerre Adams, à Korhogo.
Cependant, le corps des « dozos », proche des kamajors sierra léonais, reste une force intermédiaire entre les anciens militaires ivoiriens, gardes du corps ou mercenaires, et la piétaille des milices villageoises ou urbaines, leurs troupes de base. A mi-chemin entre une tradition poro réinterprétée et une armée rebelle, les dozos ne sont aucunement l’apparition au grand jour des « chasseurs traditionnels villageois », comme le montre bien Marianne Ferme [22], dans le cas sierra léonais. Toutefois, leur attirail et leurs pratiques magico-religieuses, qui s’inspirent de l’univers poro, ne sont pas sans influence, militairement efficaces car socialement partagés.
Sur le savoureux site Internet de la « Compagnie guépard », autrement dit les dozos intégrés dans la rébellion à Bouaké, un journaliste sympathisant (et complaisant : ne sont-ils pas les « guerriers de la Lumière » ?) détaille leurs pouvoirs : transformation en animaux, invisibilité, invulnérabilité aux balles, et prescience pour les « chefs dozos », comme Bamba, Ibrahim Konaté, Chérif Ousmane ! On comprend que les combattants sudistes soient surclassés… Comme au Libéria, l’aspect emprunte à la fois à la « panoplie ethnique » du mysticisme des chasseurs : dreadlocks, kaolin, attirail de miroirs, colliers de cauris, amulettes et tuniques sont effectivement censés terrifier l’adversaire.
Bien que, globalement, un appareil de conquête se substitue à l’appareil d’Etat détruit et se surimpose aux communautés autochtones (en particulier en pays baoulé, où la rébellion est bien plus « étrangère » qu’au Nord sénoufo ou malinké), d’autres dispositifs s’observent sporadiquement. Au Nord, rien ne peut fonctionner au quotidien sans les pouvoirs autochtones, comme ceux des « tarfolo » sénoufo pour la terre, ou des « grandes familles » comme les Gbon Coulibaly à Korhogo. A plusieurs reprises, une articulation avec le « pouvoir coutumier » a évité à la rébellion d’être décimée : en particulier lors de « l’épuration ethnique » de Bouaké (exclusion des populations baoulé au profit des Dyoula) et lors des tentatives, en octobre 2004, pour reprendre la ville, lorsque des vendetta et des règlements de compte entre groupes ethniques prenaient de l’ampleur. Des négociations et des médiations ont empêché in extremis la situation de passer hors de contrôle de la rébellion, de même, lors de massacres réciproques entre partisans de I.B. et de Soro en décembre 2003.

PRATIQUES DE LA VIOLENCE
La violence militaire, criminelle ou politique, en zone rebelle, est mal connue et mal documentée, à tel point que certains observateurs, paraphrasant la formule connue en Occident, prétendent que les « observateurs des droits de l’Homme sont au Sud, les crimes de guerre au Nord ». En termes de gouvernance et de définition de la légitimité de la rébellion, de la cohérence de ses pratiques avec son idéologie, le sujet est pourtant crucial.
Le thème de la violence peut cependant se nuancer selon les temps et les lieux : dans sa dimension chronologique, les débuts sont marqués non seulement par la « violence de guerre » contre l’armée ivoirienne, et les autres « corps habillés », mais aussi par des massacres de fonctionnaires et de civils sudistes qui restent à préciser ; puis, par une « épuration ethnique » largement sous-évaluée, notamment de la part de la galaxie humanitaire qui collabore avec la rébellion en zone nord, en particulier dans la ville de Bouaké ; enfin, par un massacre ethnico-factionnel au sein de la rébellion, lors de l’épuration violente par les miliciens de Guillaume Soto – surtout sénoufo, des partisans d’Ibrahim Coulibaly – en grande partie malinké :

« “L’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire” (ONUCI) a découvert trois charniers au Nord de la Côte d’Ivoire, dans la région de Korhogo où se sont rendus par deux fois ses enquêteurs chargés des droits de l’Homme et de la police, du 1er au 12 juillet et du 22 au 26 juillet derniers. Avant même la publication de leur rapport, les spécialistes onusiens ont annoncé le 2 août qu’ils avaient pu établir la mise à mort, par balles, décapitation ou asphyxie, de quelque 99 personnes au moins. Les corps ensevelis dans trois sites seraient identifiés comme ceux de victimes des affrontements qui ont opposé dans la métropole nordiste des factions rivales de l’ancienne rébellion du Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI), les 20 et 21 juin dernier. La victoire était alors revenue à Guillaume Soro, l’actuel chef politique des Forces nouvelles [23] ».
Cela n’empêche pas une « violence ordinaire » contre la population autochtone, régulière et sanglante, encore plus mal connue, due en particulier à l’absence de forces de l’ordre de l’appareil militaire rebelle [24] et qui devrait conduire à reposer, comme au Congo, en Ouganda, au Libéria, au Sierra Leone, etc., la question de la criminalisation de ce pouvoir et des sanctions juridiques encourues.
A ce propos, une sorte de scène prototypique pour l’opinion ivoirienne pourrait être celle du massacre gratuit, par un groupe de rebelles, de jeunes filles baoulé exécutant dans un petit village près de Sakassou une danse rituelle d’exorcisme de la violence. Cet épisode mineur, qui a autant touché les imaginations que l’immolation des enfants de gendarmes sudistes de Bouaké, a bien sûr à voir avec la perte d’une certaine innocence du vivre ensemble, du temps des rituels remplacé par celui de la violence pure.
Enfin, ce que l’on a pu appeler la « libérianisation » de l’Ouest conduit à des formes de violence plus anomiques, en tout cas proches de celles observées lors du conflit du Libéria, à tel point que la rébellion elle-même s’est débarrassée de leaders comme le « pseudo Doe » et de groupes nomades enfreignant les pratiques de la rébellion de Bouaké, elle-même pourtant peu regardante sur les exactions contre les civils.
Ainsi on a pu parler d’« épuration ethnique sporadique » sur plusieurs points de la zone rebelle, en particulier dans les territoires proches du Libéria, contre les Guéré en particulier. Il est vrai que cette « libérianisation » du territoire ivoirien reste partagée, puisque les deux camps – loyaliste et rebelle – ont instrumentalisé à la fois des couples d’oppositions ethniques transfrontalières, depuis longtemps sous-jacents (Gyo/Dan vs Wê/Krahns) et des groupes nomades mercenaires, issus des conflits du Libéria et de la Sierra Leone, et en quelque sorte recomposés pour poursuivre leurs carrières guerrières. L’évolution sanglante de l’Ouest a tellement porté tort à l’ensemble de la rébellion, que le « pseudo Doe », leader éphémère de l’inconsistant MPIGO, a vraisemblablement été exécuté par les partisans de Guillaume Soro [25]
Dans la « capitale rebelle », Bouaké, il semble que les pratiques des groupes militaro-mafieux, de type « Camorra », « Cosa nostra » et autres « Ninja », qu’a connu Abidjan sous la dictature militaire du général Gueï, restent les mêmes. Cela n’étonne aucun analyste, tant il est connu qu’un groupe des « fondateurs » de la rébellion est justement issu de cette mouvance.
Selon une enquête de la Ligue des droits de l’Homme ivoirienne (LIDHO) de février 2003, « environ 80 % des violences sont perpétrées par les rebelles » : il faut bien dire que l’image qu’en donnent les médias français et une certaine recherche politologique ne l’a guère évoqué… Comme nous l’avons signalé, les enquêtes villageoises en particulier restent à faire dans la zone nord. Depuis plusieurs années, les ONG françaises de terrain, telles ACF, remarquent que la violence systématique contre les populations civiles de l’Ouest sont très sous-estimées. Il faut y voir la conjugaison d’incursions libériennes et de pratiques extrêmes, qui échappent en partie au (contre-)pouvoir de Bouaké, avec une criminalisation des forces en présence, aggravée par un système de représailles non seulement interethniques (inter-ivoirien), mais avec les immigrants nordistes au sens large (« dyoula » sahéliens) dans une compétition foncière aiguë.

IDÉOLOGIE MANDINGUE ET REVENDICATIONS ETHNICO-POLITIQUES
Si le sujet n’était pas tragique, il serait savoureux d’observer combien, une fois de plus, un certain engouement des médias occidentaux, de savantes manipulation et corruptions de l’opinion par les affidés de la rébellion, l’attente jamais démentie par les faits de militants tiers-mondistes de bonne foi d’une « Cause », enfin juste, de « libération des peuples », complexe d’actions et d’attentes qui ont joué dans la perception de la rébellion ivoirienne. Car, à la lumière des pratiques observées, ce petit « Timisoara exotique [26] » est-il bien différent – hors son échelle – des scandales cambodgiens, iraniens, chinois ou soviétiques dans lesquels beaucoup se sont successivement fourvoyés ?
Pour distinguer les strates de l’idéologie de la rébellion ivoirienne, on peut s’intéresser, au-delà des idées professées, aux idéo-logiques locales, replacées dans la longue durée braudélienne, mais aussi distinguer les représentations spécifiques des factions et groupes qui la composent.
Comme on l’a vu, rien ne destinait Guillaume Soro, leader étudiant en rupture de ban, proche du FPI puis du RDR [27], à régner en caudillo sur les savanes du Nord ivoirien. Son but, comme celui de tout jeune Turc local, et des cadets sociaux en général, était le pouvoir dans la capitale, monopolisé par une caste politique d’« Anciens » dont il ne pouvait être qu’un représentant commode, un pouvoir vicariant, comme diraient les socio-analystes. En revanche, la problématique de « discrimination » envers les Sahéliens au sens large, les Nordistes en particulier, est socialement juste, dans une certaine mesure, bien qu’elle s’accompagne d’une volonté d’« hégémonie dyoula » que les partisans locaux ou occidentaux de la rébellion se gardent bien de mettre en avant.
Car la « conquête du Sud » est en effet à replacer dans un trend de longue durée [28], de descente des peuples sahéliens vers les zones côtières, mêlant « migrations de guerre » et expansion économique. Et la difficile question de l’islam en Côte d’Ivoire [29] complique les choses – même si l’interprétation du conflit en termes de « guerre de religions » (si ce n’est en termes de conflits de « civilisation » pour les huntingtoniens téméraires) n’est pour le moment du moins qu’une interprétation excessive et très militante à l’étranger du pays. Inverse et symétrique de l’« ivoirité [30]», fondée théoriquement par le régime d’Henri Konan Bédié mais portée par un mouvement de fond à la fois xénophobe et nationaliste depuis l’ère houphouétiste, l’idéologie mandingue se réclame d’une domination sahélienne large, s’inspire d’une hégémonie politique de longue durée, légitime des pratiques contemporaines de discrimination à rebours qui ont conduit aux pires violences.
La « poudrière identitaire nordiste » est en effet à replacer tout d’abord dans un complexe culturel très large qui, à travers des sociétés forestières et sahéliennes, comprend des caractéristiques communes, à travers la « gouvernementalité poro » et une surimposition de pratiques islamiques bien plus récente. Bien que ces aires, comme celles de l’empire mandingue et de la mouvance de Samory Touré, ne se recoupent pas, la doxa mandingue les mêle dans une revendication de supériorité passée et de destinée manifeste à venir, tandis que le regrettable présent démontre l’inverse : délaissement étatique et discriminations multiples. Dans une certaine mesure, l’idéologie mandingue fait bien sûr partie de ces revendications inversées de peuples sous le joug, mais rejoue aussi en mineur le mouvement de la négritude et la mythification du glorieux passé « égyptien » fondé par Cheik Anta Diop.
Des composantes plus récentes s’appuient, comme on l’a évoqué, sur la « descente multiséculaire » de la « révolution dyoula » qui mêle commerce et foi, migration vers les plantations et les capitales côtières et sentiment diffus de supériorité sur les « sauvages et païens forestiers », rebaptisés récemment du nom-stigmate de « bushis », comme antonyme de « dyoulas ».
La pauvreté de la zone nord de la Côte d’Ivoire s’est effectivement combinée à une sujétion politique à l’ère houphouétiste, quand les Nordistes servaient de force d’appoint au PDCI-RDA – certains les ont d’ailleurs qualifiés de « bétail électoral » ! La concentration des plantations, où les manœuvres nordistes connaissaient une sorte de « travail forcé » collectif (sur un mode à la fois capitalistique, lignager et communautaire qu’il serait trop long ici d’analyser), s’est combinée avec le caractère privilégié par les différents régimes du développement de la zone sud, et ce, avec l’évidente complicité des « bailleurs de fond » raisonnant en termes pseudo-économicistes de « Côte d’Ivoire utile » et, sans le dire, partant de leurs rapports de proximité avec le pouvoir ivoirien pour semer de « cimetières de projets » le pays baoulé.
Les peuples du Nord, sénoufo, lobi, malinké, etc., étant en continuité avec le Mali et le Burkina Faso, portant les mêmes patronymes de chaque côté des frontières très poreuses, ont effectivement subi, dans le Sud et en particulier à Abidjan, des pratiques discriminatoires en termes de contrôle, racket, pièces d’identité, notamment, bien sûr aggravées depuis la guerre pour des motifs de sécurité.
Les peuples du Sud, le dos à la mer, effrayés par les 30 % de résidents non nationaux et par les quelques 50 % de Nordistes dans la capitale, parfois minoritaires comme dans l’Ouest sur leurs terres ancestrales, ont vu jusqu’à leur existence menacée, et ont redouté à leur tour d’être victimes d’une domination politique nordiste. Rappelons ici qu’un des principes non écrits de l’idéologie houphouétiste se fondait sur une répartition des fonctions politico-ethniques, où les Nordistes dominent jusqu’à aujourd’hui des pans entiers de l’économie, notamment le commerce Nord/Sud et les transports, tandis que les baoulés se sentaient responsables du pouvoir politique.
Cette situation de discrimination économique et de sujétion contemporaine a nourri l’idéologie mandingue d’apports marxisants, s’opposant à la domination des « peuples prolétaires », mais aussi des discours inspirés de revendications identitaires en termes de discriminations raciales et ethniques, reprenant une terminologie anti-apartheid, ou décalquant le vocabulaire de la communauté afro-américaine pour les droits civiques – exprimée ici, comme pour les natives libériens en lutte contre les congos de la capitale, par le refus d’une « citoyenneté de seconde zone ». Ce complexe de revendications idéologiques assez disparate, appuyé sur des accusations à vrai dire peu étayées de discrimination anti-musulmane, a pu contribuer à populariser l’idéologie mandingue et les revendications au-delà des frontières (d’où des sympathies diffuses que nous avons pu constater non seulement au Burkina Faso et au Mali, mais aussi au Libéria et en Sierra Leone), jusqu’à… l’extrême gauche européenne, dont les textes montrent une projection systématique du problème sur la situation des immigrés musulmans en Europe.
L’idéologie mandingue s’est cristallisée sur un « homme providentiel » (bien sûr Alhassane Dramane Ouattara), sorte de héros culturel, puis s’est davantage fragmentée sur le nom de plusieurs représentants et, enfin, a presque implosé après les affrontements fratricides de 2005, symptômes de réalités ethnico-régionales sous-jacentes, de fait très antagonistes.

UN PROTO-ETAT SAHÉLIEN ?
Dans les derniers temps (particulièrement en 2006), la rébellion s’est dotée d’embryons d’appareils d’Etat et d’attributs de souveraineté, qui font craindre à certains observateurs la partition de la Côte d’Ivoire et l’autonomisation d’une « République du Nord », vouée tôt ou tard à une réunification avec le Burkina.
Il est mal connu en revanche à l’extérieur du pays que le gouvernement légal d’Abidjan continue à soutenir à bout de bras certains secteurs techniques, à fonds perdus. Non seulement les fonctionnaires nordistes continuent à être salariés par Abidjan, mais eau et électricité sont fournis par les appareils techniques de l’Etat ivoirien à la zone rebelle, faveur d’autant plus appréciée qu’aucune facture n’est réglée.
Sous influence de médias ou de chercheurs sympathisants de la rébellion, un certain nombre de puissantes ONG occidentales se sont, depuis 2002, substituées à l’appareil d’Etat ivoirien détruit par la rébellion, à tel point que cette action fait actuellement débat dans la sphère humanitaire. C’est notamment le cas du secteur de la santé : tandis que les soins de santé primaire (infirmeries, centres de santé villageois,…) sont inexistants et qu’entre VIH, paludisme et maladies plus ordinaires, les villageois sont décimés, une ONG comme MSF salarie à Bouaké des dizaines d’expatriés et des centaines de « locaux », « alliés objectifs de la rébellion », intouchables et extrêmement populaires au Nord (et à l’abri des exactions et des brigandages, naturellement à minimiser par ces acteurs humanitaires). Cette ONG tient, à la limite, le rôle ambigu de « ministère de la Santé du MPCI » ! Les organisations internationales se prennent au piège de cette « aventure ambiguë » : ainsi l’Unesco a-t-elle financé le fonctionnement du système éducatif au Nord.
L’économie comprend deux secteurs tout à fait antagonistes et, à bien des égards, caricaturaux : l’« économie de prédation », à la fois individuelle et collective, comprend le trafic informel de toutes les matières premières – coton, bois, cacao, sucre, diamants –, transports au profit des dignitaires de la rébellion et de leurs alliés régionaux, comme le Burkina et peut-être le Sénégal. Outre le mystérieux financement initial, le « casse de la BCEAO » de Bouaké [31] (mais aussi à Korhogo et Man), en septembre 2003, a permis de rapides enrichissements personnels, bien que le changement rapide de monnaie ait entraîné certaines difficultés de blanchiment.
La rébellion semble prise dans un curieux dilemme : soit elle joue le jeu d’un gouvernement d’union nationale et participe de la vie politique ivoirienne, permettant le redéploiement de l’administration ; soit, pour répondre aux critiques de prédation et de non-administration manifeste du « Soroland », elle crée avec des appuis burkinabés sa propre administration. Mais, dans ce dernier cas, elle renforce l’issue autonomiste puis sécessionniste de la « République du Nord » (ou, plus couramment chez les rebelles, « Côte d’Ivoire Un ») ou de manière plus réaliste, irrédentiste, comme future province du « pays des hommes intègres », si l’on peut encore employer cette expression, datant de Thomas Sankara, pour le Burkina. Ce dernier cas, sans doute refusé par la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) et l’UA comme un dangereux précédent, serait en revanche un prétexte au camp loyaliste pour organiser des élections internationalement reconnues, cantonnées à la zone sud.
C’est ainsi que la rébellion a entrepris un processus multiforme d’étatisation : ouverture de banques (Caisse d’épargne populaire et de crédit en Côte d’Ivoire – CEPCCI), projets d’écoles de douane, gendarmerie, police, établissement d’une « radio télévision MPCI ». Plus récemment, une « centrale » (sic !) permet, de manière minoritaire, de collecter une sorte d’impôt, que certaines sources estiment détournées massivement au profit des seigneurs de guerre rebelles.
Dans les « sommets de l’Etat » rebelle, on assiste à un curieux mimétisme de représentation avec l’Etat officiel, inversement symétrique aux pratiques de prédation continue [32] : des chefs guerriers comme le fameux Wattao sont bombardés « chef d’état-major adjoint » (sic), tandis que le « président » Guillaume Soro installe un « cabinet civil », des écoles de gendarmerie, police, douane, etc.
Un des paradoxes de la situation dans la zone nord semble la fuite continue de la population, conséquence d’une destruction non seulement des appareils administratifs, mais de l’économie elle-même. Un rapport de l’ONUCI, en janvier 2004 (à une époque où les rebelles, ne touchant plus de solde, terrorisaient la population), explique :

« La situation économique dans les zones tenues par la rébellion est sombre. La fermeture des entreprises et des banques, la quasi-disparition des services administratifs, la réduction draconienne des services sociaux, la perte de milliers d’emplois, partant, des moyens de subsistance, ont entraîné l’effondrement de l’économie informelle ».
En attendant qu’une esquisse de proto-Etat se développe, les populations pratiquent l’exode à grande échelle : les « réfugiés d’Abidjan » sont plus d’un million, sans compter ceux qui ont passé les frontières et se massent dans les « villages-frères » du côté gouvernemental. « Régner sur les cimetières » ou sur une zone exsangue ne motivant pas excessivement les rebelles, l’option de partage du pouvoir dans la capitale pourrait s’en trouver paradoxalement renforcée…

RÉBELLION DANS LA RÉBELLION ET JEUX D’ALLIANCES
La scission violente de la rébellion prouve à la fois son enracinement ethnique, la faiblesse de ses revendications idéologiques, mais aussi, paradoxalement, ses capacités de survie et d’adaptation, notamment pour avoir continué à résister au camp loyaliste.
Coup d’Etat manqué monté à la fois de l’intérieur, et instrumentalisé par un Etat limitrophe, devenu rébellion et pourtant participant de manière fluctuante au gouvernement national, fonctionnant en système avec les mouvements nomades ouest-africains et passant des alliances régionales, visant le pouvoir à Abidjan en coordination avec la branche civile de l’opposition, en même temps établissant les prémices d’un proto-Etat du Nord, le mouvement rebelle apparaît très composite et prend des formes en apparence très contradictoires.
Pourtant, une anthropo-sociologie de la rébellion montre au contraire son double enracinement ethnique, son rôle à la fois tribunicien par rapport aux inégalités de développement et son exercice continu d’une violence sanglante envers les civils et ses propres membres. De fait, rapporté aux formes des autres rebellions ouest-africaines (ou plus lointaines, comme les mouvements congolais), il semble aussi confirmer les thèses de Richards sur sa fonction de mouvements d’« entrepreneurs de la violence » – voie guerrière pour sortir les cadets sociaux de leur exclusion du social – et pour leurs leaders de leur sujétion, en tant que catégorie d’âge et intellectuels prolétarisés, au leadership politique représentatif. De même, leur situation périphérique explique à la fois son rôle de porte-parole des Nordistes ivoiriens exclus de la « Côte d’Ivoire utile » depuis le « temps colon », et ses accointances avec le régime burkinabé soucieux d’irrédentisme et de prédation économique, un peu à l’image du Rwanda envers les richesses congolaises. Puis les événements de 2004 dans la zone nord ont montré l’implosion du mouvement insurrectionnel, dès lors transformé au fond en deux « ethno-rébellions » correspondant aux groupes sénoufo, autour de Guillaume Soro, et malinké/dyoula (au sens restreint) se revendiquant d’Ibrahim Coulibaly, et, pour certains analystes militaires, son émiettement.
Loin d’être isolée et uniquement tournée vers Abidjan, la rébellion s’est tournée vers des alliances régionales et internationales mouvantes, participant de la « guerre nomade » ouest-africaine et du jeu des rivalités politiques classiques entre pays voisins, notamment de la zone CEDEAO. C’est dire au passage la « fausse bonne idée », qui ne se limite pas à l’Afrique de l’Ouest, ni au continent, de la logomachie onusienne alliée à de sympathiques utopies pan-africaines, de vouloir confier la « résolution des conflits » à des forces « régionales », à un « corps » ou « force d’intervention » de l’Union africaine. Ce raisonnement ubuesque feint d’ignorer les problèmes politico-militaires qui fâchent : voit-on sérieusement un contingent burkinabé faire la paix à Abidjan, tandis qu’un autre ferait la guerre à Bouaké ? Ou tire-t-on les conclusions des résistibles « interventions africaines », dont la dernière et catastrophique en date a lieu en ce moment au Darfour ?
Il est de notoriété publique que le leader du MPCI, Guillaume Soro, est l’heureux possesseur d’un passeport diplomatique sénégalais, qu’il possède des biens considérables dans sa base arrière de Ouagadougou et qu’il se déplace en France librement, pour faire la promotion médiatique de ses idées et de ses écrits. Ces exemples, caricaturaux mais bien réels, montrent bien le sens des alliances de la guérilla.
En effet, la « guerre nomade » amplifie de manière entropique des phénomènes d’instrumentalisation réciproque des oppositions civiles et armées, des mouvements de guérillas et des factions politiques, entre gouvernements africains antagonistes. Le cas le plus connu est certainement l’opposition d’école entre le président Houphouët Boigny de Côte d’Ivoire et Sékou Touré de Guinée, dont tous les « coups d’Etat » n’étaient pas imaginaires, même si la plupart n’étaient que des fictions propres à de sanglantes répressions.
Outre l’instrumentalisation par les deux camps des groupes armés libériens, à l’appui de la guérilla par le Burkina – et plus discrètement par le Mali et le Sénégal – le camp loyaliste peut se prévaloir de l’alliance avec l’Afrique du Sud, le Rwanda et l’Angola (et au-delà, de la Chine et de la Russie) – qui esquissent une redoutable « ligue anti- française » en relations internationales, reprochant à l’actuel régime en place à Paris des actions de déstabilisation néo-foccardiennes, mêlant pressions financières, diplomatiques, militaires et médiatiques savamment orchestrées, mais parfois globalement inefficaces.
Comment qualifier la « gouvernance rebelle » et son système politique ? De toute évidence, l’écart est extrême entre un discours généreux de « Robins des bois » égalitaristes ou de « Freedom fighters » nordistes, et les pratiques de violence discontinue. Contrairement au camp gouvernemental, on ne voit guère en zone rebelle de contre-pouvoirs, ni de système électif. Pire, aucun appareil d’Etat, technique en particulier, ne gère le quotidien : si ONG et système onusien se sont curieusement substitués aux administrations chassées de la zone sud, c’est qu’il est de notoriété publique que, par exemple, une terrible surmortalité sévit, tandis que la criminalité et les exactions explosent.
Une comparaison éclairante à qui a connu le Libéria en guerre [33] s’impose : comme le noyau dur de l’Etat libérien restait les blacks scorpios de Taylor, on assiste ici à un embryon d’Etat fonctionnant « à la violence », autorégulé par des phénomènes segmentaires de massacres factionnels et un pillage systématique qui n’hésite pas à recourir au travail forcé dans le secteur minier. Comme au Libéria, comme en Sierra Léone, le refus de l’Etat amène paradoxalement au revival de formes pré-étatiques, à une gouvernance ethniciste ou fondée sur la violence non ritualisée, mais en quelque sorte « expérimentale », dans le sens extrême du terme.
Dictature politico-militaire fortement appuyée de l’étranger, le « régime » de Bouaké se trouve très vulnérable devant des enquêtes à venir des ONG des droits de l’Homme et des tribunaux internationaux, qui, pour le moment, ont plus accès à la zone gouvernementale, si l’on admet qu’elles ne sont pas instrumentalisées. L’impunité sera, comme dans des post-conflits à la congolaise, un des enjeux de la fin de la rébellion.
Cependant, des éléments permettent à l’inverse de comprendre pourquoi la force des armes, l’exercice discontinu de la violence et la prédation érigée en système permettent une certaine gestion de la zone nord : l’appareil militaire se superpose en fait à un réseau puissant de communautés villageoises sénoufo et malinké, qui retrouvent de nouvelles fonctions d’autogestion, ou d’anciennes… car la situation rappelle l’éphémère « Empire nomade de l’Almamy Samory » dont se réclame implicitement le MPCI, tandis que les traditions locales se souviennent surtout de ses exactions.
Tout peut cependant arriver en Côte d’Ivoire, dont l’histoire récente montre bien les retournements d’alliances et de situations, en particulier une « internalisation » de la crise [34] (par opposition à l’externationalisation actuelle et les manipulations élyséennes des institutions internationales contre le régime d’Abidjan), pourrait aboutir à une paradoxale « paix des braves ». Des négociations ivoiro-ivoiriennes entre la rébellion et le pouvoir mettraient alors sur la touche les résolutions onusiennes, et la primature serait offerte à Guillaume Soro, renouvellant une voie très africaine des cadets revendiquant un pouvoir inaccessible par la force des armes.
A l’opposé, et comme depuis 2002, en cas d’échec du « dialogue direct » à condition de la neutralité des forces d’intervention au cas, peu probable, de leur aide à un « désarmement forcé », la reprise de la guerre paraîtrait envisageable, une réunification du territoire permettant au régime actuel d’Abidjan d’aller en confiance aux élections. Pari qui semble toutefois bien risqué, et l’enlisement actuel paradoxalement plus sûr pour les deux parties.
Mais la fin du soutien matériel ou armé du Burkina, voire, en cas de changement de régime à Paris, la réduction par la force d’une nébuleuse chaotique de chefs de guerre divisés et de troupes démoralisées, est aussi envisageable. Alors, plutôt qu’une « anatomie » faudrait-il entrevoir les « métamorphoses » d’une rébellion ? Ou son autopsie ? Et si la réintégration des rebelles et de leur zone dans la République ivoirienne passait par une amnistie généralisée, cela rendrait-il nécessaire l’oubli de leurs crimes, à défaut de pardon ?

NOTES
[ 1] . Amnesty international encadre un compte rendu partiel – gardé un temps sous silence – du massacre de Bouaké, par des rappels du « charnier de Yopougon », à Abidjan ; procédé que l’on peut juger curieux, même si les exactions s’exercent bien par système et par cycles de vendetta (voir le rapport AI : Côte d’ivoire, de Youpougon à Bouaké, une suite de crimes impunis, 27 février 2003). Inversement, il est bien évident que la politologie de la violence au Nord et l’analyse de la rébellion ne préjugent pas des formes de pouvoir et des violences extrajudiciaires au Sud. (Voir notre analyse qui replace ces violences dans leur généalogie : Galy M., « La violence, juste avant la guerre », Afrique contemporaine n°209, printemps 2004, pp. 117-140).
[ 2] . Expression qui fait florès même hors de l’Hexagone : voir par exemple « Ivory Coast, rebels with a smile », BBC Focus on Africa, janvier-mars 2003.
[ 3] . Richards P., . Richards P., Fighting for the Rain Forest, Oxford, James Currey, 1996 ; Ellis S., , Oxford, James Currey, 1996 ; Ellis S., The Mask of Anarchy: The Destruction of Liberia and the Religious Dimension of an African Civil War, Londres, Hurst, 1999., Londres, Hurst, 1999.
[ 4] . « Les espaces de la guerre », Hérodote, n°iii, 4e trimestre 2003, pp. 41-56.
[ 5] . Raffestin C., Pour une géographie du pouvoir, Paris, Litec, 1980.
[ 6] . Il y a certes une dynamique des rebellions qui n’est pas sans surprises contrastées : notamment ces guérillas « latentes », sur bien des frontières et des zones interstitielles, facilement manipulables ou réactivées, dont le plus célèbre exemple demeure l’épopée d’un Kabila végétant au temps de Che Guevara, jusqu’à son éphémère apogée aux sommets de l’Etat congolais. Voir l’ouvrage classique répertoriant ces divers mouvements : Clapham C., African Guerillas, Oxford, James Currey, 1998.
[ 7] . Collier P., . Collier P., Economic Causes of Civil Conflict and their Implications for Policy, Banque mondiale, 2000 ; Collier P., Hoeffler A., , Banque mondiale, 2000 ; Collier P., Hoeffler A., On the Incidence of Civil War in Africa, Banque mondiale, 2000., Banque mondiale, 2000.
[ 8] . Les crios forment la caste dominante de Freetown.
[ 9] . . National Patriotic Front of Liberia..
[ 10] . « Rassemblement des Républicains » de l’opposant Alhassane Ouattara.
[ 11] . Groupe salafiste pour la prédication et le combat.
[ 12] . Cette guerre connaît d’ailleurs des trouvailles linguistiques d’« agit-prop » militaro-politique qui laissent rêveur : à Marcoussis, les rebelles se sont dénommés « Forces nouvelles », les milices sudistes « Front de libération », les troupes françaises dénommées « impartiales » et leurs lieux de stationnement : « zones de confiance », et le comité de tutelle : « Groupe de travail international » ; contre les « collaborateurs », les « résistants » et les « patriotes » se disent soucieux de « refondation »… Le conflit est aussi sémantique et dans cette imagination terminologique débordante, bien des crises et des projections semblent se rejouer.
[ 13] . Environ 750 jeunes militaires promis à la démobilisation en décembre 2002, et base sociale restreinte des putschistes (eux-mêmes formés de strates successives de déserteurs de l’armée après des coups d’Etat manqués, ou chassés de force, après des émeutes sanglantes, en faveur d’un régime civil et pour la reconnaissance de l’élection de Laurent Gbagbo, en octobre 2002).
[ 14] . Voir l’article de Konaté Y., « Les enfants de la balle », in Vidal C. (dir), Côte d’Ivoire, l’année terrible, Paris, Karthala, 2002.
[ 15] . Notamment les films : Bronx barbes, 2000 ; Les Oiseaux du ciel, 2006 ; voir aussi : « Les ghettomen : étude des processus d’identification par l’illégalité à travers les gangs de rue à Abidjan et San Pedro », Actes de la recherche en sciences sociales, Paris, 1999, n°129, pp. 68-84
[ 16] . Question clef opposant les autorités ivoiriennes qui demandaient en septembre 2002 les applications des « accords de Défense » devant « l’agression extérieure », contre le ministère français de la Défense qui y voyait une affaire « ivoiro-ivoirienne ». Sur ce point, les récentes interventions au Tchad et en République centrafricaine ont plutôt confirmé que cette distinction était caduque, et les fameux accords, à géométrie variable…
[ 17] . Voir les toujours actuelles réflexions de Jacques Berque sur la puissance des « emblèmes onomastiques » dans la définition des groupes : « Qu’est ce qu’une tribu nord-africaine ? », in Hommage à Lucien Febvre, Armand Colin, Paris, 1953. Ce pouvoir de la nomination se retrouve dans les « noms de guerre » qui s’appuient sur des traditions autochtones mixées à la sous-culture des séries B occidentales ou du Kung-Fu.
[ 18] . Mouvement populaire ivoirien du grand Ouest.
[ 19] . Mouvement pour la justice et la paix.
[ 20] . « Mouvements fantômes », que des analystes férus de « renseignement militaire » essayaient en vain d’estimer dans leurs effectifs, équipement militaire et organigramme, alors qu’ils étaient dans un premier temps des émanations médiatiques du MPCI (mais avec des effets de sympathies ethnicistes auprès du peuple Dan proches de l’ex-président Gueï) et étaient devenus la dénomination de factions libériennes émigrées – comme chez leurs adversaires loyalistes d’ailleurs (voir les rapports de Global Witness sur ce point).
[ 21] . Rapports de pouvoir et de situations factionnelles, d’alliances politiques ou ethniques que les expressions toutes faites de « balkanisation » entre « seigneurs de la guerre » ne résument pas, fussent-ils rebaptisés « War Lords »…
[ 22] . Ferme M., « La figure du chasseur et les chasseurs-miliciens dans le conflit sierra-leonais », Politique africaine n°82, juin 2001. A contrario, voir par exemple le rapport du « collège interarmées » de l’Ecole militaire de Paris, dont le titre dit tout : « Lorsque la tradition menace la sécurité » (J. Remarck) qui précise que chez les « dozos ou donzons » de Côte d’Ivoire, en février 1999, « plus de 40 000 chasseurs ont été recensés » (ce qui est fort exagéré) ; constat plus inquiétant, « ils possèdent plus de 33 000 armes modernes », et, précise l’auteur « surtout des calibres 12, sans aucun permis de port d’armes » (!). On peut préférer les recherches savantes de l’anthropologue russe Vladimir Arseniev, qui connaît bien les dozos maliens : « Un groupe social particulier », Etudes maliennes n°3, Bamako, 1980.
[ 23] . Monique Mas, sur RFI, le 03 août 2004.
[ 24] . Y compris, à l’inverse pour un « maintien de l’ordre » très militaire : en 2003 par exemple, pillage et racket étaient parfois punis par des exécutions capitales sur la grand place de Bouaké.
[ 25] . D’origine baoulé, N’dri N’Guessan alias sergent Félix Doe, a été tué en avril 2003, quand la direction du MPCI a liquidé les miliciens libériens proches de Sam Bockarie ; sa « carrière » comprend aussi sa participation aux accords de Linas Marcoussis…
[ 26] . Voir en particulier la vision critique d’Acrimed sur la désinformation à Paris : Journalisme de guerre : retour sur la « crise ivoirienne » de novembre 2004, août 2005. Schneidermann D., « En Côte-d’Ivoire, le journalisme en uniforme », Libération, « Médiatiques », 12 novembre 2004.
[ 27] . Notamment colistier d’Henriette Diabaté, n°2 du RDR, aux législatives de 2002, à Port-Bouet. Notons qu’à l’inverse, un ancien du FPI, Louis Dacoury-Tabley, est d’autant plus mis en avant qu’il s’agit d’un ancien proche de Laurent Gbagbo.
[ 28] . Voir notre contribution au colloque d’Abidjan du « Centre de recherche sur l’Etat en Afrique », en juillet 2006, sur les « Migrations de guerre » (actes du colloque à paraître chez l’Harmattan en avril 2007) qui vise notamment à rompre avec une imagerie idéalisée des flux transfrontaliers.
[ 29] . Voir l’ouvrage récent de Miran M., Islam, histoire et modernité en Côte-d’Ivoire, Paris, Karthala, 2006, qui n’étudie pas toutefois la sociologie de l’islam en pays rebelle, le terrain étant bien sûr quasi impossible.
[ 30] . Voir l’analyse de C. Sandlar, « Les “titrologues” de l’ivoirité », Outre terre n°11, juin 2005, et l’ouvrage fondateur d’un philosophe ivoirien : Boa Thiémélé R. L., L’Ivoirité entre culture et politique, Paris, L’Harmattan, 2003.
[ 31] . De plus de 50 milliards de Fcfa, ce hold-up poussera la banque ouest-africaine à changer de billets, mais permettra à la rébellion d’assurer sa survie avec une application caricaturale des détournements par ses leaders vers des comptes à l’étranger.
[ 32] . Reconstruire les services de l’Etat est d’ailleurs incompatible avec des pratiques antérieures comme la destruction volontaire par les rebelles de l’état civil : de sorte que la délivrance de pièces d’identité et de cartes d’électeurs, débat brûlant et récurrent, s’avère aujourd’hui impossible.
[ 33] . Voir notre analyse générale : Galy M., « De la guerre nomade : sept approches du conflit autour de la Côte d’Ivoire », Cultures & Conflits, n°55, pp. 163-196, Paris, L’Harmattan, 2004.
[ 34] . Selon la distinction que nous avons proposée : Galy M., « Qui gouverne la Côte-d’Ivoire ? Internalisation et internationalisation d’une crise politico-militaire », Politique étrangère, n°4/2005, pp. 795-808.

RÉSUMÉ
A la suite de travaux sur la « guerre nomade » ouest africaine, on s’interroge ici sur la sociologie politique d’un mouvement rebelle, entre ethnicité et internationalisation. Quels écarts entre les pratiques de violence discontinue envers les civils et les discours anti-discriminations, entre épuration ethnique larvée et positions révolutionnaires ? L’étude des strates successives du mouvement rebelle, des clans et groupes qui le composent aboutit à un « diagramme de pouvoirs » qui va des communautés locales aux alliances avec les pays voisins et aux soutiens occidentaux. Mais un approfondissement de la genèse du mouvement montre en fait certains caractères « post-modernes » de telles rebellions, où la sympathie plus ou moins manipulée de médias étrangers aboutit, via un sigle au début largement artificiel (MPCI), à une véritable co-création d’un mouvement politico-militaire, dont militaires, politiques et humanitaires occidentaux se sont emparés sans recul critique – notamment en refusant de connaître l’« idéologie mandingue », symétrique de « l’ivoirité » et justifiant par avance une violence conquérante. C’est aussi l’occasion, en termes foucaldiens, de jauger la « gouvernance par la violence » de la zone rebelle, mais aussi sa gouvernementalité : en termes d’informalisation des trafics en tous genres, de résistance des communautés villageoises, de persistance des factions militaires sous-tendues par les clivages de l’ethnicité ; enfin d’analyser les dilemmes politiques du mouvement rebelle, entre création d’un proto-Etat peu viable (ou son rattachement au Burkina), et ralliement - moyennant compensations -au processus de réintégration nationale, de désarmement et de participation au processus électoral.

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"Le colonialisme et ses dérivés ne constituent pas à vrai dire les ennemis actuels de l'Afrique. À brève échéance ce continent sera libéré. Pour ma part plus je pénètre les cultures et les cercles politiques plus la certitude s'impose à moi que LE PLUS GRAND DANGER QUI MENACE L'AFRIQUE EST L'ABSENCE D'IDÉOLOGIE."
Cette Afrique à venir, Journal de bord de mission en Afrique occidentale, été 1960, Frantz Fanon, Pour la Révolution Africaine
2011, annee Frantz Fanon
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OGOTEMMELI
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MessagePosté le: Ven 17 Déc 2010 06:48    Sujet du message: Répondre en citant

Beaucoup de bavardage, plein d'huile avec un seul oeuf pour faire une énorme mayonnaise où se noierait une baleine : exactement le style ampoulé de la rhétorique africaniste françafricaine...
Pernicieuse et inféconde...Que d'attrappe-couillons!

J'ai rencontré ce monsieur Galy, et connais des intellectuels LMP qu'il fréquente depuis des lustres : un pseudo spin doctor du camp KLG. Je l'ai rencontré au Colloque international sur le cinquantenaire des indépendances tenu à Yakro dans la première semaine du mois d'août 2010...Ai appris par la même occasion qu'il avait été invité à tous les pré-colloques préparant cette grande messe de Yamoussoukro...

C'était dans l'un des quinze ateliers du colloque ; il intervenait pour vendre sa soupe préférée qu'il appelle "la deuxième indépendance" : pour ce monsieur, un africaniste françafricain, l'Afrique francophone aurait connu une première indépendance pilotée par les Houphouët, Senghor et consorts. Elle est désormais en train de construire le second étage de la fusée indépendance ; lequel consisterait essentiellement dans la consolidation des processus démocratiques ("la bonne gouvernance", quoi), et surtout dans le règlement des questions économiques à travers une (simple?) réforme des relations et autres "accords" avec Bwana...

Bien entendu, il y a eu un début de clash lorsque je lui ai opposé une toute autre lecture de l'histoire politique africaine des 50 dernières années, dans une perspective que j'ai eu l'outrecuidance de qualifier de PANAFRICANISTE :
1/ il n'y a JAMAIS eu de première indépendance en Afrique puisque Houphouët et consorts étaient contre cette indépendance ; préférant demeurer dans la "Communauté franco-africaine", ie sous tutelle coloniale dans une nouvelle configuration dite "néocoloniale"

2/ les véritables indépendantistes africains (Nyobé, Lumumba, bonganda, etc.) ont été nettoyés par Bwana et ses complices africains, dans une chasse aux Résistants panafricanistes qui a duré jusqu'à la fin des années 1980 (assassinat de Sankara)

3/ S'il n'y a JAMAIS eu de première indépendance, il ne saurait raisonnablement être question de seconde indépendance : en conséquence, la théorie de Galy est une énième fumisterie africaniste...

4/ Le clash a été carrément consommé quand j'ai évoqué Cheikh Anta Diop, notamment "Les fondements économiques et culturels d'un Etat fédéral d'Afrique noire", pour dire que de nombreux savants négro-africains avaient déjà largement adressé les problèmes du continent, et que ce cinquantenaire devait être l'occasion de révisiter leurs travaux et publications pour reprendre les processus panafricanistes là où Bwana et ses larbins l'avaient emprisonné...

Bref, je reviendrai sur les articles de Galy ci-avant, mais avais trouvé assez croustillant de signaler cette anecdote pas si hors sujet, comme on le verra...
_________________
http://www.afrocentricite.com/
Umoja Ni Nguvu !!!

Les Panafricanistes doivent s'unir, ou périr...
comme Um Nyobè,
comme Patrice Lumumba,
comme Walter Rodney,
comme Amilcar Cabral,
comme Thomas Sankara,
Et tant de leurs valeureux Ancêtres, souvent trop seuls au front...
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