Je cherche aussi mon Blanc...
Etude anthropologique sur les rencontres par Internet dans un cybercafé de Yaoundé, Cameroun.
Monique Mfou’ou
L’intérêt pour ce sujet est né de l’expression : « je cherche aussi mon Blanc ». En effet, à mon départ du Cameroun il y a deux ans environ, la plupart des femmes s’exprimaient de cette façon pour décrire leur vie affective et sentimentale. De plus, j’avais remarqué que la clientèle des cybercafés était en majorité composée de femmes allant de 15 à 50 ans. J’ai ainsi découvert qu’Internet semblait être un moyen apprécié par les femmes pour la recherche d’un partenaire. J’ai voulu savoir les raisons qui les avaient conduites vers le net. Qui sont ces femmes qui préfèrent un partenaire virtuel –lointain- au partenaire visuel -physiquement proche- ? Ma motivation et ma curiosité se sont accrues lors du mariage d’une cousine avec un homme qu’elle avait justement rencontré sur Internet et qui depuis vit avec elle au Cameroun...
« J’avais remarqué que la clientèle des cybercafés était en majorité composée de femmes allant de 15 à 50 ans. J’ai ainsi découvert qu’Internet semblait être un moyen apprécié par les femmes pour la recherche d’un partenaire. J’ai voulu savoir les raisons qui les avaient conduites vers le net. Qui sont ces femmes qui préfèrent un partenaire virtuel –lointain- au partenaire visuel -physiquement proche- ? »
Contexte socio-politique
Le Cameroun est une nation composée d’environ deux cent vingt ethnies et presque d’autant de langues locales. Aussi les langues officielles fédératrices sont-elles celles des dernières puissances coloniales du pays : la France et l’Angleterre. Malgré sa variété linguistique et son relief souvent vanté par les manuels de géographie, le Cameroun est touché comme la majorité des pays de l’hémisphère sud par la crise économique. Depuis 1987, l’économie va de mal en pis avec des années durant lesquelles les tensions sociales ont frôlé le sommet. Par exemple en 1993 avec la première dévaluation du franc CFA ou encore les grèves du corps professoral qui ont pénalisé les ménages.
L’Etat camerounais est célèbre dans le milieu intellectuel local pour son absence et son inaction dans la lutte contre la pauvreté ainsi que pour sa présence incontournable par sa bureaucratie.
Face à la baisse des salaires, aux mois parfois longs sans salaire, à la hausse du chômage, à la difficulté de bénéficier des infrastructures normalement fournies par un Etat démocratique comme par exemple l’accès à un service sanitaire , les camerounais ont appris à ne compter que sur eux-mêmes.
Quand vous demandez à un camerounais comment il va ? Il vous répond presque toujours « je suis là ». Cette expression laconique qui m’a étonnée au début, m’est restée aujourd’hui car elle résume assez bien je pense la vie quotidienne au Cameroun. Rien ni personne ne semble bouger, avancer, changer, mais tout le monde essaie de survivre, d’être là pour le jour où enfin les choses évolueront et peut-être s’amélioreront.
L’une des actions entreprises par l’Etat camerounais ces dernières années est la privatisation de certaines entreprises publiques et leur rachat par des compagnies internationales. La compagnie nationale d’électricité -SONEL- devenue depuis deux ans AS-SONEL- a ainsi été rachetée par un groupe américain. Le résultat de cette vente a été ce que localement on appelle le délestage. Toutes les villes du pays subissent depuis plus de deux ans des coupures brusques et souvent prolongées de courant. En journée, en soirée parfois plus de trois fois par jour et plusieurs fois par semaine, ce sont des quartiers entiers qui vivent à la lueur des bougies ou des lampes tempêtes. L’une des conséquences est la limite imposée dans le temps et l’espace par l’obscurité aux populations, ainsi que l’insécurité. A cause des tensions économiques le Cameroun connaissait déjà des problèmes d’insécurité urbaine, mais celle-ci était plus ou moins importante selon les quartiers. Aujourd’hui, l’insécurité est partout parce l’obscurité souvent programmée par l’AS-SONEL des quartiers permet à des groupes de malfaiteurs de se déplacer sans crainte de maison en maison, de quartier à quartier. Les coupures de courant ont rendu difficile l’observation dans les cybercafés car en l’absence de connexion les internautes préféraient rentrer chez eux ou tout simplement ne venaient pas.
Au Cameroun il existe comme dans d’autres pays africains -Niger, Sénégal- une fête de l’Internet qui a lieu du 18 au 23 mars et durant laquelle se déroulent des initiations au maniement des Nouvelles Technologies, des dons de matériel informatique. Depuis environ sept ans, Internet semble faire partie du paysage camerounais, mais il est rarement présent au sein des ménages. En effet, le rapport annuel de la Banque Mondiale précise qu’en 2001, seul 45milliers de personnes utilisaient le net au Cameroun et le nombre d’ordinateurs individuels pour 1000 habitants était de 3,9.
Sachant que la population du Cameroun se compte en millions- 15 millions d’habitants-, il est évident que seul un nombre restreint de personnes bénéficie des services du web. Internet est accessible dans les principales villes du pays et la connexion est plus ou moins longue suivant les villes et les cybercafés.
Malgré les avatars de l’électricité, le coût élevé de l’accès à Internet, et le caractère récent du net au Cameroun, les cybercafés offrent une multitude de services aux internautes. Çà va de l’imprimante au scanner, du web phone au fax ; à l’exception de la Webcam, on retrouve les mêmes services proposés par les cybercafés en France.
Aperçu économique et présence des Nouvelles Technologies de communication
La pauvreté au Cameroun est croissante et l’heure est à la « débrouillardise » autant pour les hommes que pour les femmes. Quelque soit l’âge, qu’on soit étudiant, fonctionnaire, qu’on appartienne à une profession libérale ou qu’on soit sans emploi, chacun essaie d’acquérir de l’argent. La crise économique qui sévit officiellement depuis 1987 a mis fin à l’Etat providence et à ses diverses allocations et subventions. La solution privilégiée des femmes dans le besoin est d’utiliser le moyen le moins coûteux et le plus accessible pour s’en sortir : leur corps. Par conséquent, c’est de plus en plus jeunes qu’on les rencontre sur les trottoirs de Yaoundé, dans les bars, cabarets et boîtes de nuit. D’autre part, il devient fréquent que plusieurs partenaires interviennent au même moment dans la vie sexuelle et sentimentale d’une femme. Ils appartiennent parfois à une tranche d’âge au dessus de la sienne et de préférence sont d’une catégorie sociale et économique supérieure à la sienne. Ces femmes sont autant des étudiantes que des illettrées et analphabètes. Une autre solution face à la pauvreté est de quitter le pays, s’en aller pour l’occident, émigrer. Mais lorsqu’on veut le faire officiellement l’obtention du visa d’entrée dans un pays occidental est une véritable bataille.
Le réseau Internet est installé au Cameroun depuis environ sept ans -1996-. Se limitant au début à « RIOnet » un réseau de recherche africain initié par l’ORSTOM et il fut pendant une année géré par l’Ecole polytechnique de Yaoundé. Avec en 1997, la naissance du noeud camerounais -cm- et l’arrivée des providers sur le marché, le réseau Internet s’étend actuellement sur les trois grandes villes du pays : Yaoundé, capitale politique, Douala, capitale économique et Buéa, l’une des principales villes anglophones du pays.
Les lieux de navigation comme les cybercafés foisonnent dans divers quartiers et l’on en trouve ouvert à n’importe quelle heure. L’un des plus connu est ICCNET qui ouvre et installe des accès Internet dans des ménages et des entreprises est parmi les cybercafés où la connexion est la plus rapide et le service plus cher. La possibilité de naviguer sur le net n’est pas donnée à tout le monde car le coût de la navigation oscille entre 200francs CFA -environ 0,35 ?- pour 30 minutes et 1000 francs CFA -1,52 ?- pour une heure.
Dans les petits cybercafés de quartier, la connexion est moins chère qu’à ICCNET, on paye généralement 250 francs CFA pour trente minutes et 500 francs -0,76 ?- pour une heure. Mais le temps de connexion peut prendre de longues minutes et quand on sait que le coût d’une navigation dans les cybercafés est calculé à partir du temps effectué sur l’ordinateur non à partir du moment de la connexion, on comprend que les internautes recherchent les cybercafés où celle-ci est rapide quitte à payer plus cher car le rapport durée de la navigation et coût de la navigation est plus intéressant. Sachant que le salaire minimum national mensuel est d’environ 26000 francs CFA - environ 40 ?-, il faut penser qu’Internet suscite un intérêt certain. En effet, bon nombre de personnes deviennent cybersurfeuses ou internautes et les sites les plus visités semblent être les sites de rencontres, les forums de discussions et les sites universitaires. On peut trouver des amis sur le net, draguer ou simplement dialoguer avec des inconnus à l’autre bout de la terre ou dans la même salle.
Au Cameroun l’heure est aussi à la mondialisation et dans la rue celle-ci se fait voir par la présence de plus en plus élevée de couples constitués en majorité de camerounaises et d’étrangers. L’absence de statistiques locales dans le domaine matrimonial et la difficulté d’obtenir les documents existant sur la nuptialité, le nombre de mariage célébrés dans les mairies ne permettent pas de vérifier ce que l’observation de la rue montre. Le dernier recensement de la population du Cameroun date de 1987, aussi les indicateurs ne font-ils pas état d’Internet. Néanmoins, grâce à aux Organisations Internationales, il est possible d’avoir pour l’année 1994 le pourcentage de la population féminine au sein de la population totale : 50,7% -Nations Unies- et leur taux d’alphabétisation pour l’année 2000 :64 contre 79 pour les hommes -UNICEF-. L’on ne saurait parler de population en Afrique et aborder le sujet des statistiques en fonction des sexes sans parler du VIH/SIDA. Le taux de prévalence chez les adultes en fin 2001 était de 11,8 et aucune strate sociale de la population n’est épargnée (Eboko, 2000). Mais les moyens de prévenir ou de stabiliser la progression de la pandémie sont inefficaces parce que inadaptés au contexte socio-politique.
Etudier comment d’autres camerounaises vivent la modernité
Concernant les motivations qui m’ont conduite à ce travail de recherche, la première motivation vient du fait que l’étude porte sur les femmes, les femmes de mon pays d’origine. Le rêve pour un jeune venu étudier à l’étranger est souvent de rentrer un jour travailler dans son pays et lorsque ce jeune est de surcroît une étudiante en ethnologie, c’est aussi d’essayer par son travail de comprendre et faire comprendre les problèmes de son temps.
De plus, les travaux sur la femme noire et africaine qui essaie d’évoluer dans son temps avec les techniques de son temps ne sont pas légion. Internet en Afrique est souvent plus analysé sous le prisme économique et des avantages que cela représente pour le développement. Sans être vouloir être une pionnière, j’ai vu en cette étude une possibilité de répondre à l’une des questions fondamentales de ma vie : Comment vivre dans mon pays sans complexe, les avantages et les inconvénients de mon éducation occidentale tout en ayant conscience de ce que je dois à la tradition ? J’avoue que j’en suis encore à l’éternelle question de la définition de la culture ; surtout de la mienne et en étudiant comment d’autres camerounaises vivaient la modernité, j’espérais trouver des pistes de réponse.
L’étude peut s’inscrire dans plusieurs cadres : celui de l’anthropologie des genres à travers l’exploration de la nuptialité et du mariage ainsi que le regard porté sur les femmes, de l’anthropologie des techniques à travers l’utilisation Internet, de l’anthropologie économique avec l’impact de la mondialisation sur les micro-stratégies de survie.
Toi, mon mari et moi ta femme !
Le mariage, fait universel, anthropologues et sociologues l’ont suffisamment écrit a longtemps été une affaire de familles. La circulation des femmes, la nécessité de faire des alliances, la protection du patrimoine familial ainsi que la volonté de reproduction des groupes ont été et restent encore au cour de l’union de deux personnes. Au Cameroun par exemple, JF. Vincent (2001) montre très bien qu’à l’époque précoloniale déjà, les femmes et parfois le futur conjoint n’avaient pas leur mot à dire. Cela se passait de chef de famille à chef de famille avec le versement d’une dot ou compensation matrimoniale à la famille de la fille. Aujourd’hui encore les dots sont de mises et donnent parfois lieu à de véritables escroqueries à cause notamment de l’introduction du numéraire. Pour se marier aujourd’hui dans une ville africaine le versement de la dot dépend des familles et de la situation ou du comportement de la fille à marier. En effet, selon qu’elle est mère célibataire, analphabète, jeune ou moins jeune, divorcée ou que ce soit une jeune à la réputation plus ou moins bonne, de famille plus ou moins aisée, les exigences de la dot seront plus ou moins fortes. De plus, compte tenu des abus dans la composition de la dot, des rivalités au sein des familles, le déroulement et le contenu de la dot connaissent des modifications. Une fois mariée la fille, va vivre chez son mari et s’attelle à entretenir son foyer. L’image de la « bonne épouse » est forte dans les mentalités en Afrique subsaharienne.
Au Cameroun, on retrouve bien l’image contradictoire de la femme dont parle Denise Paulme : un mélange de peur et de mépris ainsi que d’amour et de désir. Dans les sociétés africaines selon l’auteur, « la femme rêvée sera bonne ménagère, l’épouse domestiquée qui veille au bien-être de son partenaire la nuit comme le jour, dans l’acte sexuel comme en s’activant dans son jardin (.) ; alors que la mauvaise femme, dont la sexualité n’a pu être domptée, ne songe qu’à se gaver et poursuit son plaisir dans les rapports intimes jusqu’à l’épuisement de l’autre. »(Paulme, 1976, P.313). La femme serait par conséquent un être avide que seul l’homme peut contrôler. Ainsi, la femme idéalisée est l’épouse mère active au foyer, accomplissant l’acte sexuel, mais surtout la femme qui reste. Femme qui reste auprès de son mari ainsi qu’au sein son lignage, même après la mort de celui-ci. Les cas de lévirat sont abondants dans les études ethnographiques et la littérature africaine montre que généralement c’est l’homme qui part et toujours pour des raisons approuvées et même nécessaires au groupe : la guerre, la chasse, la transhumance etc.. Par conséquent, la femme ne sort souvent de son groupe que pour un autre groupe choisit par sa famille. Or, Internet permet et rend même nécessaire le départ de la femme de sa société non vers un groupe interne au pays, à la nation, mais vers un pays lointain, où il est difficile que les deux familles restent en contact. Dans l’Afrique traditionnelle l’accord des aînés pour se marier et les exigences liées au groupe régissent le choix du conjoint. Mais même dans les sociétés occidentales où avec la célébration des mariages d’amour dès les années 1950-1960 on assiste progressivement à une mutation qui a abouti depuis les années 1970 à une désaffection du mariage, le choix du conjoint continue d’obéir à la règle générale de l’homogamie (De singly, 2002 et Segalen, 2000).
Comme le précise si bien M. Segalen « on épouse son semblable » (ibid., P.119). Cette proximité peut être géographique ou dans la parenté. Même si le choix du conjoint n’attend plus les occasions de rencontres organisées par la famille à l’exemple des bals, l’on continue de rechercher une équivalence sociale ou culturelle. De ce fait, le mariage mixte définit par de Singly comme un mariage de hasard c’est-à-dire « en fonction des stocks disponibles » ou par Coquery-vidrovitch comme un mariage temporaire avec des esclaves n’intervenait qu’en cas de crise démographique ou lorsque la survie du groupe était menacée. L’étranger ne devenait alors épousable qu’une fois que le mariage servait les intérêts de la société, et plus tard, au fil du temps ce nouvel arrivant pourrait parvenir à s’intégrer à la société d’accueil en devenant « un fils » de la famille. Les anthropologues montrent bien que dans toutes les sociétés, il a existé ou il existe des institutions pour entourer le couple.
Comment Internet se positionne-t-il par rapport à elles ? Internet s’intègrerait-t-il petit à petit au paysage institutionnel lié à la formation du couple ou alors devrait-on le placer en dehors de ces institutions ?
Panorama en noire et blanc
C.Coquery-vidrovitch (1994, P. souligne les stéréotypes liés à la femme africaine ; celle-ci serait à la fois perçue comme une « terre mère féconde et généreuse » et comme « une jeune beauté paresseuse et débauchée ». Cette africaine sensuelle, libérée dans ses mours a été longuement évoquée dans la littérature coloniale et aujourd’hui encore la femme noire reste teintée d’érotisme et d’exotisme. Pourtant, l’ethnographie montre le contraire de ces idées reçues. JF.Vincent (Le Lournal des Africanistes, 2003, P129) par exemple souligne le désintérêt des femmes beti pour la sexualité. La notion de plaisir en est exclue et la sexualité est vécue comme une obligation, une corvée et surtout une « soumission à l’homme ». Cette sexualité peu exigeante prend souvent fin à l’initiative de la femme ao moment de la ménopause.
A.Langhaney (Filmographie, ARTE, 2004) évoque cette « fascination du corps sauvage » et la lie à l’histoire des zoos humains avec l’Exposition Universelle. En effet, avec l’exposition dans des parcs d’indigènes venus de tous les continents, l’homme de la métropole découvre le « sauvage ». Autant que les modes de vie « primitifs » qui sont reconstitués dans ces zoos, le corps des femmes attirent le regard. Cette femme souvent noire qui s’expose : les seins, les cuisses etc.. sans pudeur, peut dégoutter, attiser la convoitise et le mépris, mais surtout elle participe indirectement et involontairement d’un fantasme masculin dans les sociétés occidentales encore marquées par la pudibonderie et dans laquelle la bienséance veut que les femmes se couvrent. Concernant les relations entre colon et femme indigène, une nouvelle de Louis-Charles Royer reprise par Ruscio (1996) est éloquente. Un noble français venu travailler dans les colonies d’Afrique de l’ouest tombe éperdument amoureux d’une jeune peule. L’amour entre Robert de Coussan et Mouk est oscille entre passion et honte mais est surtout teinté d’un incommensurable désir. Cette ardente passion deviendra meurtrière et causera la perte du couple par l’assassinat de Mouk par son amant décidé à la garder envers et contre la société et même envers et contre elle-même. Ce récit même s’il est romanesque, donne une idée des avis dans les sociétés marquées par la colonisation, sur l’amour ou simplement la relation entre un colon et une indigène. Cette relation serait perçue négativement dans les deux sociétés, la dominante et la dominée et çà ne saurait être qu’une relation temporaire. L’image actuelle que se font les Noirs sur les Blancs est principalement fille de la colonisation. Selon JF Vincent (2001) le colonisateur était considéré comme source et être de puissance. Il est en effet, celui qui détient le politique, l’administratif et le religieux et il fera même une incursion dans le culturel, la famille.
L’histoire coloniale est remplie de ses moussos qui ont pour rôle selon F.Simons repris par C.Coquery-vidrovitch (1994-P191) de « distraire, soigner, dissiper l’ennui et empêcher l’européen de se livrer à l’alcoolisme et aux dépravations sexuelles malheureusement si fréquentes en pays chauds ». La mousso, cette indigène prise par les militaires, les administrateurs coloniaux résidant sur place plusieurs années, semble être dans la littérature coloniale l’un des symboles de l’érotisme et de l’exotisme en Afrique noire. Encore aujourd’hui les noirs dans le langage font peu souvent la différenciation entre les français, les allemands etc. Sauf si c’est pour les regrouper sous les termes d’occidentaux ou d’européens (ce qui serait plus approprié aujourd’hui). Quand on voyage pour la France on dit en ewondo « je vais au pays des blancs ». Dans l’esprit les différences sont bien présentes mais le langage est réducteur et cela des deux côtés. Ne parle-t-on-pas des africains pour désigner les noirs d’Afrique alors que chacun sait qu’il existe des pays donc des nationalités différentes sur le continent. Et si l’on ne dit plus Noirs devenu trop risqué aujourd’hui l’on dit black. L’histoire a son empreinte sur les mots et l’image de chaque peuple.
Sans s’attarder sur la psychologie tourmentée du noir antillais que décrit Fanon, il semble qu’il faudrait revenir sur l’univers fantasmatique de la Noire pour le Blanc. Bastide et Fanon bien que partant de groupes et de milieux différents (l’Amérique Latine pour l’un et les Antilles pour l’autre) se retrouvent assez sur l’imaginaire lié à la couleur de peau. En effet, pour chacun d’eux la miscégénation même dans le mariage peut cacher un ensemble de préjugés tels que celui décrit par Bastide (2000, P79) sur les « vénus noires et les apollons noirs ». D’un côté, la femme noire préfère le Blanc pour échapper aux problèmes de son groupe et de ce fait devient une « proie facile pour l’homme blanc » et de l’autre l’homme noir veut venger les femmes de son groupe en violant la blanche et celle-ci devient par conséquent un objet de convoitise. Plaisir et convoitise seraient donc les maîtres mots de la miscégénation. Il faudrait apporter tout de même une précision à l’analyse de Bastide car la miscégénation analysée en Amérique latine est fille de l’esclavage avec la prégnance des rapports maître blanc/ esclave noire dans une société basée sur la force et dans laquelle les plus faibles veulent améliorer leur sort et celui de leurs enfants. La miscégénation par le blanchiment de peau qu’elle apporte serait donc perçue comme une promesse de meilleures conditions de vie pour ses descendants. De son côté, la situation de la femme noire en Afrique serait plutôt marquée par la colonisation et les changements parfois violents que celle-ci a causée dans son mode de vie, sa façon d’appréhender le monde et les hommes. A la différence de l’antillaise noire qui verrait dans l’homme blanc un moyen de se libérer et de s’élever (Fanon, 1952), la femme noire d’Afrique choisirait l’homme blanc pour des raisons économiques. L’histoire d’Agatha Moudio (F.Bebey, 1988) si connue dans le littoral camerounais, révèle bien le dilemme que vivent les jeunes filles africaines des temps modernes. Agatha se cherche une identité, elle questionne son groupe, défi la pudeur en s’affichant avec des blancs et pense la réciprocité et l’amour dans le couple. Néanmoins, cet amour elle veut le vivre avec un homme noir. Jugée par sa société comme une femme de mauvaise vie, maudite et honnie, Agatha se marginalise. Elle réussira pendant un moment à vivre son histoire avec son amoureux noir, mais finira par mettre au monde un enfant métis, confirmant malgré elle aux yeux de tous, les critiques émises contre elle. Selon, G.Etonde-Ekoto (Barbier, 1985, P.354) , Agatha Moudio met en exergue « le problème de l’identité sociale de la femme dans les sociétés modernes éclatées. » ; Cela semble aussi dressé un portrait des africaines actuelles à la croisée des chemins, perdues et souvent laissées seules dans leur volonté de l’occidental -homme et culture- et leur désir de la société d’origine.
Nombres d’auteurs dont JF Vincent insiste sur la disparition des sociétés secrètes féminines en Afrique et décrivent le désarroi dans lequel se sont trouvées les femmes de certains groupes ethniques pour lesquels ces rites et sociétés secrètes servaient de soupape de sécurité à la société toute entière. Par exemple, dans la société Beti, le rite du Mevungu par exemple avait pour rôle de montrer la force et la puissance de la femme, vantée dans sa féminité et son rôle de pourvoyeuse de vie. Au quotidien discrètes, les femmes trouvaient dans ces sociétés secrètes et leurs différents rites un moyen de prendre parole face aux hommes, de célébrer leurs statuts de mères, d’épouses, d’amantes.
De plus, c’était un moment d’initiation pour les jeunes filles ainsi qu’un espace de résolution des différents problèmes liés ou non à la féminité. Au-delà du rite, le mevungu était donc un moment d’expression et de célébration pour la partie socialement dominée de la société. De ce fait, le rituel était une soupape de sécurité pour toute la société. Le problème vient du fait qu’en combattant les structures sociales des populations, la colonisation a du même coup favorisé la disparition de certains rites nécessaires à l’identité et à la reconnaissance du statut social d’un individu. Cela a entraîné une perte des repères car rien n’a remplacé ces rites et il a fallu et il faut encore essayer de combler le vide qu’ils ont laissé.
Dans l’environnement urbain camerounais par exemple, l’on détermine trois catégories de femmes : les prostituées dont le commerce du sexe est l’activité principale, les jeunes femmes qui entretiennent le multipartenariat et associe prostitution ponctuelle et relation affective stable et enfin les filles qui recherchent le partenaire qui plaira à leur famille et avec lequel elle mèneront une vie conjugale -rêvée- stable (Eboko, in Courade G, 2000) . Compte tenu des mutations subvenues dans leur environnement social, économique et culturel quelles sont les exigences des « africaines » contemporaines ? Que demandent les femmes camerounaises ? Internet pourrait être une piste pour déterminer la nature des attentes féminines africaines et camerounaises en particulier. Autrement dit, Internet, cette nouvelle manière de chercher et choisir un conjoint serait un moyen pour les femmes camerounaises de mettre en lumière les contradictions, les insuffisances et les non dit de la société.
Le marché de la solitude en Europe : Internet et les nouveaux moyens de rencontres
La solitude est au cour de nombreux débats dans les pays européens, de nombreuses émissions télévisées retracent la vie de ces personnes seules dans les grandes villes. Les raisons données à ce célibat sont souvent la priorité faite durant de nombreuses années au travail, à réussir une carrière professionnelle, le divorce, le veuvage, la vieillesse etc. Il existe selon l’INSEE environ 10 millions de célibataires en France et pour les entrepreneurs cela correspond à une véritable demande de partenaires. En effet, avec l’émergence en occident du « mariage romantique », le couple a été progressivement pris en charge par l’Etat et particulièrement le domaine économique. Le marché de la solitude comme je l’appelle représente ainsi tous les moyens mis en ouvre par des entreprises ou des prestataires de services pour apporter une offre de partenaires aux célibataires.
On retrouve par conséquent nombre de méthodes de rencontres allant des traditionnelles agences matrimoniales, des petites annonces, plus récemment le speed dating, à l’organisation d’une soirée de courses consacrée aux célibataires dans un supermarché parisien, des salles de sport pour célibataires et bien sûr Internet. Ce dernier diviserai les avis en deux pôles (Raux, in socio-anthropologie, 2002) : le pôle positif plutôt optimiste de Pierre Lévy par exemple pour qui Internet est la possibilité donnée à l’homme de dépasser le corps et d’accéder à la noosphère c’est-à-dire le monde des idées ; le pôle négatif de Paul Virilio prévoit pour sa part qu’Internet aboutira à la disparition du corps, du lien social pour laisser place à des zombies qui n’auront de vie que virtuelle et sur le virtuel. Au-delà de ces deux extrêmes, il est important de s’interroger sur le rapport entre Internet entendu comme communication virtuelle et le lien social c’est-à-dire une communication dans laquelle le corps à sa place.
A ce propos, les travaux de D. Le Breton ( Bastidiana, 1999, PP.201- 211.) explorent le lien entre sexualité et communication virtuelle. Pour lui, les sites de dragues et de rencontres virtuelles, les dialogues et les jeux de rôles sur la toile vont au-delà du corps en substituant le texte au sexe. Le cybersexe pose ainsi la question du rapport à l’autre devenu sur le net un leurre. L’autre n’existerait pas sur le net et l’altérité serait créée, fantasmée et façonnée par l’internaute au moyen de la souris. La sexualité serait ainsi illimitée et sans risque. Mais on pourrait se demander si l’autre ne serait pas aussi multiple et multiplier grâce au net ? Internet ouvre de vastes perspectives quant au choix de l’autre, qu’il soit défini comme partenaire virtuel ou correspondant et rend le rêve possible.
E. Raux (ibid., P13-31) dans son ethnographie d’un cybercafé parisien montre que le chat est apprécié par les adultescents en période de transition dans le but de faire des rencontres à court terme. Il s’agit pour eux d’un jeu dont Internet est l’outil. Même si Internet est un outil pour les cybersurfeuses d’ICCNET, c’est aussi et avant tout un moyen de trouver un mari. Il ne s’agit pas simplement de faire des rencontres mais d’en faire « une », celle du futur époux. Pourtant, on retrouve certaines ressemblances entre ce que décrit E.Raux et ce qui se passe à ICCNET. Ses ressemblances doivent être dues à la spécificité de l’outil utilisé. En effet, comme illustre l’expression de Peter Steiner (Wilson et Peterson, 2002, P10) « On the Internet, nobody knows you’re a dog » (Figure1), le net permet d’avoir de multiples identités et pour les internautes, il semble multiplier les chances d’atteindre leur but. L’absence de corps autorise le port de masques de ruses, l’altérité est filtrée. On peut changer de pseudonyme et avoir plusieurs annonces, on peut changer de sexe, d’âge ou embellir sa situation professionnelle. D’une certaine façon on se protège de l’autre loin de la réalité des corps. Les surfeuses peuvent ainsi avoir plusieurs correspondants et répondre sans difficultés aux caractéristiques désirées par chacun. L’absence de corps désinhibe comme l’écrit si bien A. Faith car au moins au début d’une correspondance le corps est relayé au second plan. C’est-à-dire qu’on peut lui donner les formes et l’apparence qu’on estime la plus attirante. En cela le net peut être traître car il entretient le fantasme et l’idéalisation de l’autre ; et la rencontre physique peut se révéler décevante : le correspondant peut être marié ou la photo peu représentative de la personne réelle.
Le couple dans la société camerounaise rurale et urbaine
Il s’agit de décrire et d’analyser l’état du marché matrimonial dans la société camerounaise actuelle. Se pourrait-il qu’il s’y trouve une explication à la volonté des femmes d’ « aller voir ailleurs » ? Existe-t-il une crise sur le marché matrimonial camerounais dont les femmes sont peut-être plus conscientes, dont elles ressentent plus les effets ? Internet pour ceux qui analysent et scrutent la société serait-il la manifestation ou le signe d’un malaise dans les rapports de genre et de la société ? Cette partie s’inspirera notamment des travaux sur le genre pour décrire la progression de tensions au sein des sociétés africaines. Les études sur le genre portent sur les rapports socialement construits entre les sexes dans les sociétés et dans l’histoire. Selon T. Locoh. (1996, Avant propos), l’information sur les femmes doit être nécessairement une information sur les hommes et par extension sur la société tout entière. Dans les sociétés d’Afrique Noire, le premier signe avant coureur d’un changement dans les rapports de genres serait l’urbanisation des sociétés africaines au siècle. En effet, E. Boserup et C. Coquerico- Vidrovitch montrent qu’avec les premières urbanisations et malgré les obstacles faits à l’accès de la ville aux femmes, la demande des hommes venus travailler en ville de prestations « féminines » est forte. Très vite conscientes des nouvelles possibilités que pourrait leur offrir la ville, délaissées dans les campagnes, les femmes prennent le chemin urbain. Elles fournissent aux ouvriers citadins des repas, s’occupent de leur lessive en échange d’une rémunération. Les prestations qu’elles accomplissaient auprès d’un mari elles les fournissent en tant que « commerçantes ».
Le deuxième signe semble être la crise économique avec la fin de l’Etat providence. F. Eboko (ibid., P238) décrit bien le désarroi dans lequel les Etats et les populations se sont trouvés à partir de 1987 avec l’écroulement de l’Etat sorcier et nourricier. En effet, jusqu’ici l’Etat était au centre de tout, il régulait la sexualité, décidait de l’émancipation des femmes et veillait à l’intégration sociale et à la promotion individuelle. Aujourd’hui encore le discours étatique donne à la sexualité une « vocation matrimoniale et reproductive » et n’est pas en accord avec les projets de vie et les actions des individus. En effet, les brèches du système ont donné lieu à une mutation des échelles de valeurs ; profit, sexualité de crise sont devenus les maîtres mots d’un environnement dans lequel les micro-stratégies de survie se développent. Dans un contexte où la domination masculine est délégitimée par l’école et le droit, relativisée par le changement des modes de vie et la crise économique ainsi que par les transformations de l’espace politique et du marché du travail, la femme est encore considérée comme mineure surtout si elle est célibataire. Toutefois, comme le souligne Sindjoun « la domination masculine n’occulte pas les pratiques féminines » P.9 et celles-ci ne se réduisent ni à l’acceptation ni au consentement.
Femme libre ou femme indépendante ?
La femme libre ou indépendante attire les jugements moraux. Dans les sociétés traditionnelles, la femme libre était un défi aux règles de parenté fondées sur des échanges rituels réciproques (Coquery-vidrovitch, 1994) tandis que la femme du village était perçue comme sexuellement contrôlable, dure à la tâche et désintéressée. La femme libre a souvent renvoyée en Afrique à la prostituée tandis que la femme indépendante serait plutôt la célibataire citadine, la femme divorcée, celle qui refuse les contraintes du mariages, la veuve ou la femme rurale mariée sans compensation matrimoniale c’est-à-dire en dehors des lois coutumières. L’opinion négative sur la femme libre surtout la citadine célibataire est souvent expliquée par son attirance pour l’argent. Souvent commerçante dans le secteur informel, cette dernière accède à la ville et se regroupe en associations. Cette catégorisation de la femme exclue certaines d’entre elles du mariage. Avec l’apparition des villes et l’exode rural des hommes, il se crée un besoin urbain de recréer les avantages des foyers laissés derrière soi. Cette demande masculine est mis à profit par les femmes qui une fois en ville développent petits commerces, offrent des services mais aussi fournissent une réponse à la demande sexuelle. Cet exode rural féminin aura pour conséquences la montée de la prostitution ainsi que l’essor du commerce féminin. N. Moujoud (in Gradhiva, 2003) explore et décrit les contextes dans lesquels les femmes marocaines immigrent seules notamment vers la France. Ces femmes célibataires souvent traitées de prostituées par les autres catégories de migrants sont aussi jugées « responsables de l’érosion de la morale traditionnelle » P92 par les hommes de leur pays. Ces femmes âgées de 20 à 60 ans sont marginalisées à cause de l’autonomie qu’elles manifestent, elles se prennent en charge sans père ni mari. Souvent en situation irrégulière, elles exploitent parfois leurs corps pour avoir des revenus passant ainsi du statut de femme autonomes à celui de femme libre. Cette migration féminine marocaine a pour principale cause un contexte social et familial violent.
L’émigration serait une fuite. Dans l’exemple marocain c’est la fuite d’une société dans laquelle les rapports hommes-femmes sont inégaux et où elles subissent une marginalisation. De ce fait, l’émigration féminine serait directement liée à la nature des rapports de genre d’une société. Mais l’émigration des femmes paraît être souvent aussi une « stratégie de survie » (Coquery-vidrovitch, 1994, P140). A la différence de celle des hommes qui émigrent généralement pour des raisons économiques, elle obéirait bien plus à la recherche d’un nouveau statut suite aux contraintes subies dans le milieu social d’origine. Après avoir posé les questions qui vont jalonner et guider notre recherche, il convient d’y apporter une esquisse de réponses que l’analyse de nos données nous permettra par la suite de vérifier. La première hypothèse se base sur la personne même de la cybersurfeuse. C’est une femme qui aurait du mal à se positionner sur le marché matrimonial camerounais. Par conséquent, elle verrait dans les rencontres par Internet un moyen de mettre fin à son célibat. La seconde se base sur les relations et les échanges entre les différents acteurs des rencontres par Internet. Etant donné l’importance que cette recherche revêt pour elles, il s’élaborerait ainsi une dynamique de pouvoir entre les moniteurs et les surfeuses.
METHODOLOGIE
La méthode principale de mon travail a été l’entretien, entretien libre avec enregistrement si possible au magnétophone. J’ai fait des observations dans plusieurs cybercafés mais la plus grande partie s’est faite à ICCNET. Cela consistait en l’observation surtout des cybersurfeuses et du moniteur. Par ailleurs, j’ai pu recueillir des extraits de dialogues, mais pas de photos. J’ai eu au total sept entretiens dont cinq avec des surfeuses d’un cybercafé nommé ICCNET et deux avec des moniteurs : Martino, l’un des moniteurs du cybercafé où j’ai mené mon enquête -ICCNET- et Matt, moniteur dans son propre cybercafé. Le terrain s’est déroulé durant deux mois et demi, mais je n’allais pas tous les jours à ICCNET. D’une part, en raison des coupures de courant qui impliquaient l’impossibilité de se connecter. D’autre part, parce que je voulais me laisser une plus grande possibilité de rencontrer les surfeuses des autres cybercafés. De plus, Martino tenait à ce que je l’appelle avant de me rendre pour des entretiens car c’était souvent lui qui me mettait en contact avec les surfeuses. Je me rendais à ICCNET surtout le matin et j’y restais jusqu’à la fin de mes entretiens c’est-à-dire environ quatre heures car je réalisais un à deux entretiens dans la journée. J’arrivais en général autour de 8 heures 30 minutes-10 heures et Martino me présentait des surfeuses à qui je me présentais d’abord en groupe, puis avant chaque entretien individuel. Il faut dire qu’elles suivent l’emploi du temps de Martino. Par exemple je suis arrivée une fois sans prévenir et il était absent, le cybercafé était vide car toutes les surfeuses étaient parties. Une autre fois, il est arrivé en retard : au début les surfeuses l’ont attendu puis beaucoup ont commencé à s’en aller disant qu’il ne viendrait pas. En fait, à ma connaissance durant l’enquête aucune cliente de Martino n’a ouvert une session sur Internet en son absence et pourtant je me rendais souvent dans le cybercafé pour consulter moi-même ma messagerie. Je venais et restais dans le cybercafé en fonction des rendez-vous que me donnaient les surfeuses : ce qui veut dire que je n’avais aucun horaire de départ et il m’arrivait de quitter le cybercafé le matin, puis de revenir dans l’après-midi pour honorer un rendez-vous pris le matin. Si la fille était disponible et d’accord nous faisions un entretien le jour même ou l’on prenait rendez-vous. La plupart d’entre elles ont préféré l’entretien sur place dans un coin isolé de la Galerie Marchande alors que je préférais prendre rendez-vous ailleurs. Je faisais donc mes entretiens durant le laps de temps qu’elles avaient avant leur tour -environ 45minutes- ou à la fin de leur tour. Il m’est arrivé d’interrompre un entretien afin qu’une informatrice prenne son tour puis de reprendre l’entretien une fois la consultation de sa messagerie effectuée. Parfois aussi je préférais volontairement interrompre l’entretien si l’informatrice était crispée, mal à l’aise ou même hostile. Je prenais le temps de discuter à bâtons rompus et je remettais l’entretien à un autre jour si elle le voulait. Généralement, l’entretien reprenait dans une atmosphère plus détendue. Les entretiens en dehors d’ICCNET se sont déroulés au domicile de mes grands-parents. Terrain neutre pour la fille qui ne voulait pas que ses proches soient au courant de son activité sur le net, neutre aussi pour moi car n’étant pas le lieu où j’habitais. De plus, le quartier -Briqueterie- où est situé ce domicile est à moins de dix minutes en taxi du cybercafé et c’est un quartier populaire connu. Il m’est arrivé deux fois d’offrir un soda et même un sandwich à une informatrice à la fin de l’entretien. Cela je l’avoue me permettais aussi de revenir sur des points qui m’avaient semblé vagues durant l’entretien ou de recueillir des informations sur le moniteur, d’autres surfeuses.car hors magnétophone et à la fin d’un entretien certaines devenaient plus bavardes.
Je me rends compte que je ne connais pas l’intimité réelle de la plupart de mes surfeuses et je n’ai eu avec beaucoup que des entretiens. J’avoue que j’ai eu du mal à établir un contact poussé et familier avec elles à l’exception de Lucie et dans une certaine mesure de Marion. Cela peut s’expliquer en partie à cause du fait qu’elles ne tenaient pas à ce que leurs proches sachent qu’elles fréquentent le cybercafé et en plus parce qu’elles sont assez méfiantes quand on leur parle d’enquête, d’entretien ou qu’on leur pose des questions ; vu les moqueries, le mépris ou les critiques que cette activité suscite au Cameroun. A ce propos je tiens à souligner qu’avant de rencontrer Martino, je n’ai pu parler de rencontres sur le net à aucune femme dans un cybercafé, aucune ne reconnaissait aller sur Internet pour faire des rencontres, même si elles disaient en avoir entendu parler. J’ai ainsi abordé au début de mon terrain plusieurs des femmes y compris à ICCNET, mais je n’ai jamais pu avoir un entretien ni même un rendez-vous. Pourtant certaines d’entre elles figurent parmi les surfeuses qui par la suite sont devenues mes informatrices. Néanmoins, cela m’a permis d’observer librement -vu qu’on ne me connaissait pas encore-. Je reconnais que les informateurs -Lucie et Martino- avec lesquels j’ai développé des relations plus familières sont précisément ceux dont l’entretien s’est déroulé au domicile de ma grand-mère, loin d’ICCNET. Il y a s’en doute là une leçon à tirer et malheureusement aucune autre n’a accepté de me rencontrer ailleurs que dans un espace proche du cybercafé ou au sein de la galerie marchande. J’ai choisi peut-être à tort de respecter les barrières qu’elles semblaient placer, vis à vis de leur vie familiale et de leur quotidien en dehors du cybercafé. Cela me donne sans doute moins d’informations et limite mon observation à un espace, mais cela montre aussi à mon avis, à quel point ces femmes sont sous tension et en recherche de quelque chose de précis. Elles ont conscience du regard extérieur plutôt critique et péjoratif porté sur leur manière d’essayer de « faire couple ».
Après une ethnographie du cybercafé ICCNET, je mettrai en évidence des extraits d’entretiens tout en retraçant la vie affective et sentimentale des surfeuses. J’analyserai et décrirai le processus de recherche d’un mari sur le net de l’annonce aux différents échanges, les attentes des surfeuses ainsi que les stratégies qu’elles élaborent pour que leur recherche aboutisse. Par la suite, la présentation des moniteurs me permettra de faire ressortir la nature des rapports que Martino et dans une moindre mesure Matt entretiennent avec les surfeuses. Cela permettra aussi de mettre en lumière la place du moniteur dans la recherche d’un mari sur Internet. L’interprétation me fera répondre aux questions soulevées dans la problématique tout en confirmant ou infirmant mes hypothèses. Je m’inspirerai des travaux de Georges Balandier -principalement de ses ouvrages Sociologie actuelle de l’Afrique Noire et Le détour pour interpréter les résultats de mon analyse. Ses travaux nous permettront notamment de saisir « les décalages existants entre les aspects officiels de la société et la pratique sociale ».
PREMIERE PARTIE : ETHNOGRAPHIE DU CYBERCAFE
Présentation du cybercafé ICCNET
En 1996, avec l’arrivée des Nouvelles Technologies de l’information et des communications, ICC (International Computer Center), une entreprise spécialisée dans la distribution du matériel et des consommables informatiques, devient ICCNET (International Computer Center Network). ICCNET veut associer ingénierie informatique et fourniture de services Internet au Cameroun ce qui sera à l’origine de l’ouverture en 2000 de la filiale ICCNET de Yaoundé sur le Boulevard du 20 mai. Pour le non initié ICCNET est l’un des cybercafés dans lequel la connexion est la plus chère, un cybercafé dans lequel l’on trouve la plupart des services informatiques, de télécommunications ainsi que des produits de l’Internet (imprimante, scanner, fax,Web phone etc..). Mais ICCNET est aussi l’un des quatre providers du cameroun. De nombreuses entreprises et des particuliers passent en effet, par lui pour se connecter au net.
Les cybercafés en milieu urbain camerounais tiennent autant de la cafétéria que de la cellule informatique d’une entreprise. Très souvent il existe deux espaces : l’un est destiné à la vente de boissons, de friandises et de sandwichs et l’autre est réservé à la connexion à Internet, au travail informatique. Les propriétaires des cybercafés sont souvent aussi les propriétaires des boutiques et des alimentations qui jouxtent l’espace de connexion. Mais l’usage le plus fréquent est d’offrir à la fois une connexion à Internet et une possibilité de téléphoner grâce à la présence d’une cabine téléphonique au sein même du cybercafé. ICCNET n’échappe pas à la règle et on trouve à l’intérieur du cybercafé, un espace où l’on peut boire, grignoter tout en regardant la télévision. Il faut dire que la proximité du Hilton lui donne une clientèle d’hommes d’affaires, de touristes, de chercheurs etc.. qui ont besoin de rester connecté au monde. De plus en cas d’affluence, cela permet de patienter en attendant qu’un ordinateur se libère. Par conséquent, on retrouve peu d’adolescents ou de jeunes de moins de dix huit ans au sein de la clientèle d’ICCNET.
Le cybercafé ouvre ses portes du lundi au samedi de 8 heures à 22 heures et le dimanche de 9 heures à 20 heures. C’est un duplex dont l’espace est en forme de U. En bas l’on a un bureau qui fait office de secrétariat et de service à la clientèle pour les abonnés (entreprises et particuliers) ICCNET, une cafétéria au milieu de la pièce et dans le fond une dizaine d’ordinateurs. En haut, se trouve un bureau d’accueil pour les internautes qui y viennent pour payer leur ticket de connexion ou pour récupérer les impressions lancées sur leurs ordinateurs, deux petites cabines téléphoniques, un espace réservé au fax et au scanner. Le cybercafé compte une vingtaine d’ordinateurs, en bas il y en a huit dont un est réservé à Martino pour l’assistance aux surfeuses et en haut environ le même nombre selon qu’un ordinateur est ou non en panne. La fréquentation du cybercafé change suivant les heures. En effet, jusqu’à onze les personnes les plus nombreuses dans le cybercafé sont les surfeuses, elles sont assises sur des bancs attendant chacune son tour. Entre onze et quatorze heures, ce sont des internautes venus consulter leur messagerie ou naviguer sur le net. Le soir à partir de 20h 30 minutes c’est au tour des étudiants d’investir le cybercafé, pour faire des recherches diverses. Il faut préciser que le soir, le coût de la navigation est moins élevé et la connexion plus rapide. D’autre part, l’agencement des ordinateurs en U autour de la pièce laisse peu de discrétion aux internautes. Il est facile de voir ce que les autres font sur leurs ordinateurs, quels sites ils visitent et parfois si la personne est assez près on peut lire ce qu’elle écrit. Je dois avouer un peu honteusement qu’au début c’est par ce biais que par je parvenais à savoir si une femme naviguait sur des sites de rencontres ou s’il y avait des sites de rencontres récurrents. Voir sans être vu m’a donné quelques pistes au début de mon terrain, même si une fois les présentations faites la surfeuse que je venais discrètement d’observée rejetait l’idée de chercher un mari sur le net.
Si nous allions à ICCNET
Lorsque je suis entrée à ICCNET pour la première fois ce qui m’a frappé c’est l’obscurité, non que ce ne soit éclairé, mais la galerie marchande du Hilton où le cybercafé se trouve n’est pas très lumineuse. Je suis venue là pour plusieurs raisons :
- La première est que c’est le premier cybercafé ouvert à Yaoundé, c’est donc l’un des plus anciens et il est situé en plein centre ville sur le Boulevard du 20 Mai. L’idée d’un travail de recherche sur les surfeuses me trottais déjà dans la tête bien avant que je vienne poursuivre mes études en France, mais quand je brossai dans mon imagination le tableau de mon terrain, j’envisageai plutôt d’effectuer mon terrain dans un autre cybercafé nommé « New Technology » qui a fermé ses portes quelques mois après mon départ du Cameroun en 2001. Ce cybercafé était le concurrent direct d’ICCNET en matière de prix et de volume de clientèle. De plus, j’y avais déjà noué des contacts pour faciliter mon accès aux cybersurfeuses. J’y allais fréquemment pour surfer et je commençais donc à connaître certains visages. Mais il a fallu partir et le cybercafé a fermé depuis. Je me suis donc naturellement tournée vers ICCNET pour mener mon enquête.
D’autre part, je suis allée dans plusieurs autres cybercafés situés au sein même des quartiers donc un à moins de 100mètres de la maison dans laquelle je résidais. J’ y allais souvent mais la clientèle féminine y était bizarrement rare -du moins dans celui là- et lui aussi a fermé pour cause de dépôt de bilan. Le propriétaire, un jeune de 27 avec lequel j’ai eu un entretien essayait depuis plusieurs mois déjà de revendre l’affaire et le cybercafé ouvrait au gré du planning de son gérant. Ce qui explique sans doute l’absence des cybersurfeuses qui ont, je l’ai découvert par la suite, besoin de revenir souvent consulter leurs messages et surtout d’un moniteur disponible. La réputation du cybercafé et ensuite celle du moniteur sont des éléments pris en compte par les surfeuses avant de se lancer dans la recherche et de « s’engager » dans un cybercafé. En effet, très peu de mes informatrices partent surfer ailleurs et un samedi, j’ai assisté à leur arrivée à 7heures du matin pour attendre l’ouverture de la galerie marchande et l’arrivée de Martino environ 2heures plus tard.
Les surfeuses ont avec le cybercafé et surtout leur moniteur, la même relation que certaines ont avec leur coiffeur ou leur féticheur -sic !-. C’est-à-dire qu’une habitude est prise et celle-ci rassure et donne confiance. Elles pourraient aller ailleurs surtout qu’elles auraient de bonnes raisons pour cela car les files d’attente pour surfer avec Martino sont longues et chacune passe à son tour ; il n’ y a pas de délai d’attente établi, certaines, celles qui sont parmi les cinq premières, attendent environ 25 minutes et parfois plus avant de passer. Quand je leur ai demandé pour quelles raisons elles venaient au Hilton et si elles n’essayaient pas de surfer dans d’autres cybercafés, elles toutes répondu ce que Lucie, l’une d’elles résume assez bien : « au Hilton déjà parce que la connexion est très rapide et en plus de çà (court silence) Martino par exemple que tu as rencontré là-bas, il est comme un moniteur parce que quand tu arrives sur le net, parfois tu ne sais pas ouvrir ta boîte, tu ne sais pas manipuler l’ordinateur, il peut te montrer comment çà se passe. Et puis je me.il s’intéresse vraiment à nous, il prend vraiment soin de nous, par contre ailleurs tu arrives, il n y a pas de moniteur, tu te débrouilles toute seule, tes unités finissent, comme çà. ». Mais la présence de certaines au Hilton s’explique aussi par le fait qu’elles y ont été accompagnées par un proche généralement une amie ou une sour qui surfait elle-même au Hilton ou qui connaissait le milieu des surfeuses du Hilton.
D’autre part, dans les autres cybercafés, avec d’autres moniteurs certaines n’ont pas la même confiance qu’avec Martino. En effet, elles m’ont expliqué que dans certains cybercafés les moniteurs entretenaient une véritable concurrence entre les surfeuses. Ils revendent les adresses des correspondants les plus empressés et les plus « sérieux » aux plus offrantes sans aucune gêne. De ce fait, un correspondant pourrait recevoir des messages de plusieurs filles d’un cybercafé commun alors qu’au départ il n’aurait été en contact qu’avec une. Une sorte de course au correspondant s’élaborait alors, organisée par des moniteurs qui ne désiraient pas prendre le temps de chercher un correspondant différent pour chaque fille. Aux moniteurs consciencieux en effet, l’aide à la navigation, la consultation des différentes boîtes électroniques ainsi que la recherche d’éventuels correspondants sur divers sites, prennent un temps assez long par internaute. Seule Sarah l’une des surfeuses a émise une gène concernant les sites dans lesquels Martino publiait les annonces. En effet, elle a eu des messages d’un correspondant qui avait lu et eu accès à son annonce sur un site pornographique. Mais cela ne suffit pas selon elle pour mettre en doute la confiance qu’elle a en Martino d’une part parce ce que ce correspondant « est le seul qui m’a dit çà ». Et d’autre part parce que « Martino connaît et lui ne peut pas faire çà. Même quand tu parles avec lui, si tu as un terme de gromologie -mot grossier- là, il ne tolère pas çà. Il te demande que si tu n’es pas sérieuse, il refuse de correspondre avec toi »
DEUXIEME PARTIE : LES SURFEUSES
Parcours de vie
Avant de m’attarder sur les raisons pour lesquelles les femmes que j’ai rencontré sont allées sur Internet pour trouver un mari, il me semble nécessaire de décrire leurs itinéraires de vie. Je me baserai sur les entretiens, les observations qui m’ont donné une idée de leur parcours affectif et sentimental et familial. Chacune de mes informatrices a un parcours particulier mais j’ai préféré commencer par la seule femme mariée.
- Marion
Mon entretien avec Marion a été à la fois simple et difficile. Elle était telle stressée qu’elle m’a aussitôt raconté sa vie par le menu. Toutefois, dans son désespoir elle espérait par cette foule d’information attirer ma sympathie et plus tard -je l’ai découvert durant l’entretien- mon aide dans sa quête d’un correspondant car je venais de France. Marion a 43 ans et 3 enfants déjà grands. Elle est mariée, mais depuis plusieurs mois elle a quitté son foyer conjugal pour vivre à Yaoundé chez son frère. Mariée à 17 ans à un haut fonctionnaire de 46 ans, elle a reçu de son mari, une lettre de demande de divorce. Humiliée et déroutée, elle est venue en ville et y vit depuis 8 mois. C’est encouragée par une amie qu’elle surfe depuis une semaine pour des motifs qu’on devine bien quand on l’entend parler : « Quand tu restes comme çà, depuis que tu as des problèmes avec ton mari, tu restes à la maison, tu prétends faire quoi ! Et tu vas même vivre comment est ce que tu vas seulement vivre ici chez ton frère, tu vas faire comment, il faut chercher d’aller faire l’Internet, il y a les filles qui vont de temps en temps régulièrement qui ont leur chance pour aller se remarier il faut que toi aussi tu essaies d’aller faire çà. Elle m’a donc amené ici. » Marion est financièrement dépendante de ses proches et amis, elle n’a jamais travaillé de sa vie et depuis 26 ans de mariage, elle a toujours vécu au village de son mari. Elle semble effrayée par tout ce qui est nouveau et dit se méfier de la vie urbaine. Répétant qu’elle a grandi chez les sours et les missionnaires, elle pense que la vie urbaine est pleine de « tentations ».
- Mabelle
J’ai appelé cette informatrice Mabelle à cause de toutes les mimiques et les attentions qu’elle portait à son apparence et à l’impression qu’elle devait donner. C’est la seule je pense qui n’a jamais oublié le magnétophone durant l’entretien. Agée de 30, célibataire, Mabelle a un enfant de 7 ans. Le principal fait marquant de sa vie sentimentale est la relation qu’elle entretient avec le père de son enfant. A 38 ans, celui-ci gagne bien sa vie, il est célibataire et sans autre enfant. Pourtant, il s’est longtemps désolidarisé de l’éducation de son enfant. Lasse de faire le pied de grue pour qu’il prenne ses responsabilités vis-à-vis de l’enfant, sans revenu stable et ne parvenant pas à joindre les deux bouts, Mabelle a dû contre son gré, confier la garde de l’enfant au père. De ce passage de sa vie elle une vision plutôt dure sur les hommes camerounais « j’ai une fille qui a 7ans, je l’ai eu avec un homme camerounais. J’ai vu le comportement non seulement pas respectueux mais (court silence) franchement çà ne vaut pas la peine. L’infidélité, pas de respect, un peu d’argent. Même s’il gagne de l’argent parce que le père de mon enfant travaille dans une banque, il a 38 ans un jeune garçon. Mais le jour où il touche ses sous, il commence avec les problèmes on ne sait pas ce qu’il fait avec son argent, il dit qu’il faut lui demander mais quand tu lui demandes çà devient une autre affaire » C’est sur les conseils d’une amie qui a trouvé son mari par Internet qu’elle surfe depuis 8 mois.
- Joanne
Joanne fait partie des deux informatrices qui m’ont avoué être rôdées dans les entretiens concernant Internet notamment avec les journalistes. Pourtant durant l’entretien elle n’était pas à l’aise au début et il a fallu que je ruse -en répétant une question sous différentes formes par exemple- pour essayer d’avoir des informations précises. A chaque fois qu’elle prononçait le mot « blanc », elle baissait le ton, marquait une pause et regardait autour d’elle. A 25 ans, Joanne est célibataire et mère de deux enfants. Elle habite chez sa mère et dépend financièrement d’elle ainsi que de sa sour aînée. C’est sous la houlette de cette dernière que Joanne a commencé il y a deux ans et demi à surfer sur Internet à la recherche d’un mari. Son histoire est celle de beaucoup de camerounaises ; à 19 ans elle rencontre un homme qui lui promet mariage et vie à deux. Deux enfants plus tard, il n y avait toujours pas de noces et le futur marié se faisait de plus en plus distant, il a même fini par s’en aller complètement. « J’ai donc dit qu’il faut que j’essaie de chercher à l’extérieur si je peux avoir la chance, si dieu le veut ».
- Clarisse
Avec Lucie, Clarisse a été l’une de mes informatrices les plus chaleureuses et au contact le facile. Avant de me présentée à elle pour un entretien, je l’avais rencontré à l’entrée du cybercafé et nous avions déjà parlé de choses et d’autres. Mais la raison de ce côté détendu est ailleurs -je l’ai découvert par la suite-. En effet, Clarisse est persuadée d’être sur le chemin tracé et voulu pour elle par Dieu. A 28 ans, célibataire et sans enfant, c’est sur la demande de son prêtre qu’elle a commencé à surfer. Celui-ci aurait fait un rêve prémonitoire où il lui aurait été révélé qu’une de ses paroissienne -décrite comme étant Clarisse- devrait aller chercher un correspondant sur le net. Suite à ce rêve, le prêtre lui a dit « ce n’est pas ton pays ici, tu es née pour aller vivre en Europe, ce n’est pas ici que tu dois évoluer ». C’est la raison pour laquelle depuis 2 mois qu’elle surfe. Elle ne se cache de personne et ne craint pas les critiques que cela pourrait provoquer car c’est « choisi par le Seigneur » !
- Lucie
Lucie est la seule informatrice qui a accepté de s’entretenir loin du cadre du Hilton. C’est avec elle que j’ai réalisé mon premier entretien et sans complexe elle a accepté de me fournir des extraits de messages de ses correspondants. Lucie a un niveau d’études Bac+2 et à 24 ans, elle est la plus diplômée de mes informatrices. Célibataire sans enfant, elle au net par sa sour qui a rencontré son mari sur la toile. Ayant vécue une déception sentimentale avec un camerounais, Lucie est persuadée de l’infidélité chronique de ceux qu’elle appelle ses « frères noirs ». Après deux ans de relation amoureuse, elle découvre en effet que son bien-aimé est marié -et même polygame- et père de deux enfants. « Je ne peux pas parler totalement de déception, mais je n’aime plus mes frères noirs. Je ne les aime plus parce qu’en fait ils sont ingrats. La majorité des hommes, enfin de mes frères noirs, quand celui là vient vers toi, tu vois il ne te donne pas un amour sincère. C’est pour un temps, il t’utilise après un moment il te laisse. Il te lâche. ». Depuis trois mois, Lucie essaie de rencontrer un homme sérieux, capable d’amour sincère à l’image du mari français de sa sour aînée.
- Denise
Denise m’a avoué à la fin de l’entretien qu’elle avait vaguement entendu d’autres surfeuses parler de moi et elle redoutait d’avoir à répondre à mes questions. Tendue au début, j’ai préféré pour avoir une sorte de causerie à bâtons rompus avec elle au lieu d’essayer de m’en référer à mon guide d’entretien. Nous avons bavardé sans magnétophone pendant 30 minutes et sur la promesse d’un éventuel autre entretien, je l’ai laissé prendre son tour auprès du moniteur. Le lendemain, je suis revenue la voir et elle a accepté d’être enregistrée. Une grande partie de son entretien est basée sur des notes.
Célibataire et mère d’un enfant de cinq ans, Denise décide de prendre sa vie sentimentale en main, le jour où une de ses amies rencontre un homme sur le net, l’épouse et va vivre en France sans plus jamais donner signe de vie. Au chômage, elle s’occupe seule de son enfant. Le père âgée de 30 ans, coureur de jupons et alcoolique notoire ne fait absolument rien pour l’aider financièrement. « J’ai pas de travail, j’ai rien, mais il faudrait que tu cours derrière un homme (hausse le ton) à chaque fois pour lui rappeler que l’argent de l’enfant. Je vais pas le faire chaque jour, j’ai trouvé mieux que lui il continue sa vie et moi la mienne ». Depuis un mois qu’elle surfe, elle estime que « les filles ont tellement eu le bonheur à travers le net. », qu’elle aussi devrait essayer de saisir cette chance.
- Sarah
Sarah est la plus jeune de mes informatrices et celle aussi dont l’entretien fut le plus difficile. Méfiante, fermée, elle ne s’est détendue que vers la fin du deuxième entretien que j’ai eu avec elle. Dernière née d’une famille de dix enfants dont huit filles, Sarah n’est pas mariée et n’a pas d’enfant. A 21 ans, elle vit chez ses parents tout en faisant un stage en hôtellerie. Son intérêt pour le net est né lors départ de sa soeur avec un français rencontré sur la toile. Sa vie sentimentale est marquée par une déception après une relation de deux ans. En effet, elle découvre que son bien-aimé lui est infidèle et n’en éprouve aucun remords.
Il faut ajouter à cela que la dite soeur sortait elle aussi d’une grave déception sentimentale avec un camerounais et n’a retrouvé le sourire que grâce à sa rencontre sur le virtuel avec celui qui deviendra son mari. Convainque que son bonheur est dans le mariage, Sarah surfe depuis un an. « On aime bien nos frères, mais ils nous déçoivent beaucoup, à chaque moment. Moi-même si c’est un noir, du moment que c’est quelqu’un avec qui je peux bien faire ma vie. S’il me parle du mariage, je suis prête. C’est le mariage qui m’intéresse ».
Internet et l’argent
Combien coûte un mari sur le net ? Quelles sommes les surfeuses sont-elles prêtent à débourser pour trouver un mari sur le net ? Il sera évoqué ici le montant des dépenses engendrées par la recherche d’un mari. En effet, celui-ci change selon les cybercafés. Souvent les surfeuses ne payent que la connexion à Internet, mais parfois le moniteur demande une rémunération en plus de la connexion comme c’est le cas à ICCNET. Lors du premier contact avec Martino, les surfeuses doivent ouvrir une boîte électronique et « créer le contact » -Martino- en mettant une ou plusieurs annonces sur le net. Cette première étape leur coûte en principe entre 5000 francs CFA -7 ?50- et 10000 francs CFA qu’elles remettent directement au moniteur. Une fois la boîte créée, les surfeuses doivent régulièrement venir consulter leur messagerie -en moyenne six jours sur sept-. Pour cette seconde étape, les surfeuses payent 500 francs CFA à Martino. J’ai demandé à Martino une explication sur la disparité des sommes dépensées par les surfeuses. En effet, à partir de leurs entretiens on se rend compte qu’elles ne payent pas toujours la même somme au départ et la fréquence des paiements n’est pas la même. En effet, celle-ci peut-être journalière, hebdomadaire, toutes les deux semaines ou mensuelle. Il l’explique par l’emploi de ce qu’il appelle ces « deux procédures
Posté le: Sam 16 Juil 2005 11:32 Sujet du message:
On est dans la merde, on a plus aucune fierté, ces femmes ne cherchent pas le bonheur, elles cherchent l'argent et une situation moins pire. _________________ https://www.amazon.fr/dp/2955284106
Inscrit le: 06 Juil 2005 Messages: 26 Localisation: Paris
Posté le: Sam 16 Juil 2005 22:57 Sujet du message: Domage qu'on arrive là !
c'est une tendance très limitée à certains pays. Il y a des pays comme le mali, le niger, le burkina, la guinée et dans une moindre le senegal qui sont pas très touchés par ce phénomène.
Les pays les plus touchés (francophones) sont la côte d'ivoire et le cameroun. Ces deux pays partagent des comportement de leurs internautes très très similaires.
En France, on peut observer le même phénomène! _________________ "Nous devons nous préoccuper de l'Avenir parce que c'est là que nous allons passer le reste de notre vie" Peter Drucker
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Posté le: Lun 18 Juil 2005 00:45 Sujet du message:
La France ce n'est pas l'Afrique,de nombreuses pratiques telles que celles là y sont répandues depuis longtemps;nous nous importons beaucoup de mauvaises choses!!! _________________ youngsoldier's back
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