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La femme dans la littérature africaine
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ARDIN
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MessagePosté le: Mer 30 Nov 2005 03:22    Sujet du message: Répondre en citant

Le Corps de la femme dans la societe traditionnelle

1) La mystique du mariage et le mythe de la maternite
1.a. La mystique du mariage

Dans la societe traditionnelle, le premier objectif d’une femme est de se marier, de fonder une famille en vue d’assurer une lignee. C’est ce geste crucial qui fait d’elle une “vraie femme”, c’est a dire qui l’integre ipso facto dans le clan du mari tout en l’honorant dans son clan d’origine dont elle ne cesse jamais d’etre member. Ce qui prevaut ici c’est la reproduction, la genealogie etant le socle par excellence de cette societe. “tu sais qu’une pauvre ca compte a peine pour deux sous a moins qu’elle ne soit mere” repliqua Antonia la soeur du deporte Wendelin(Perpetue et l’habitude du malheur, Page 90. La femme qui est consideree comme le neant a cause des maternities anarchiques. “C’est frappant comme les gens de chez nous manquent de Coeur a l’egard de leurs filles” s’exclame le brigadier Norbert, Page 301) Dans ce cas, le marriage de Martin tente de repondre a l’exigence d’une filiation. Maria veut un petit-fils a tout prix. D’obedience traditionnelle, seul le garcon est le gage de cette descendance. En d’autres termes, il est judicieux de sacrifier la femme au profit de l’homme. En outré, le mariage dans ces conditions est arrange ou force et par consequent ne tient pas compte de la volonte de la fille puisqu’il ya une necessite pour le clan d’accroitre une descendance, le destin de la fille etant entre les mains de la famille. Aussi, Maria, Zambo et le guerisseur Nkomedzo deciderent ils du sort de Perpetue qui dut abandoner l’ecole malgre elle pour etre livree a un tyran. Le mariage est alors la supreme consecration, c’est le lieu du bonheur et de plenitude surtout lorsque le mari a les moyens fructueux. C’est dans cet ordre d’idees que Maria la mere de l’heroine demontre le sacre du mariage en ces termes: Ma fille, la providence te favorise: voici donc venu pour toi le grand jour. Tu auras pour toi l’epoux reve: un homme jeune comme souhaite toute jeune fille, beau et bientot riche, exercant a son age des functions auxquelles on ne parvient que des dizaines d’annees plus tard. Pas question que tu laisses passer une pareille chance(Perpetue et l’habitude du malheur Page 102) La fille, a l’image de sa mere est completement aliene et assimilee a son mari. Ce qui est logiquement le destin d’une femme. Aussi doit-elle se montrer docile au risqué d’etre desavouee et d’humilier toute sa famille. Le statut de la femme sera d’autant plus rehausse que le mari aura un rang social eleve, la dot etant souvent fixee en fonction des ressources de ce dernier. Son devoir essentiel sera la sacro-sainte procreation alliee aux activites domestiques qu’elle doit effectuer dans le silence, le devouement et la bonne humeur. Si l’adresse, l’effacement et l’extreme courtoisie restent les vertus les plus prisees, la disponibilite vis-à-vis de son mari, entendons par-la, le fait d’assumer a rude epreuve ses caprices, donne du relief et affine les caracteristiques de l’epoque ideale. Cet atout est fortement apprecie par Jean-Dupont lorsqu’il martele qu’ “une epouse n’est jamais fatiguee quand son homme la reclame”(Page 124).

2) Le mythe de la maternite

La femme enceinte a droit a tous les honneurs. Traitee comme une reine dans son empire, elle est l'objet de plusieurs sollicitudes car elle est en passe de remplir son contrat, son devoir joyeux, c'est a dire d'assumer son role de reproductrice. L'on observe clairement qu'il ya un lien pseudo-logique entre la grossesse(fait logique) et les taches menageres(fait culturel). En ce sens, la consecration de Perpetue etait specifiquement liee au rapport Maternite-menage. Cette image obsedante de la sublimation de l'enfant peut etre interpretee comme celle de l'aureole mise autour de l'eternel feminin. Le narrateur nous apprend a ce sujet qu' "avec sa grossesse publiee, Perpetue acquit une position plus elevee en dignite comme si elle eut beneficie d'une initiation(...) on s'ecartait devant elle, on respectait son repos; on receuillait ses avis avec deference"(Page 153).

Les rapports hommes-femmes retrouvent une certaine embellie au point qu'Edouard qui a toujours accorde peu d'interet a son epouse, celle-ci ne s'accoutrant qu'en petite villageoise de l'arriere-pays, lui offrit solennellement des cadeaux. En clair, la future mere etait aux petits soins, consideree et meme confondue a en croire le narrateur, a une "divinite". Tout se passe comme si la femme beneficiait des primes du futur bebe, la maternite etant sa vraie oeuvre d'art.

Cette bienheureuse attention apportee a la future maman est une strategie politique car les coutumes patriarcales ne la reconnaissent en tant qu' "enrichisseuse" de la descendance et non en tant que genre autonome. Definie sous l'angle de la procreation, Anna-Maria lui apprend qu' "elle ne peut pas imaginer combien les ges adorent porter un petit bebe" et en joignant l'acte a la parole, elle lui arrachait le bebe en lui affabulant de tous les superlatifs, revelant que c'est le plus beau bebe de la terre qu'on ait jamais vu depuis la creation, c'est un petit Jesus(Page 173)(Ces metaphores hyperboliques liees a la sacralite, si elles devoilent l'amour excessif pour la progeniture, cachent le mepris pour celle par qui elle est octroyee).

Mais cette admiration quasi ephemere ne cache guere l'irresponsabilite de l'homme face a un certain nombre d'epreuves que la femme doit traverser car il s'agit des metamorphoses qui ne sont pas sans consequences, a l'instar d'un corps fane du a une veritable agression physique avant l'ultime etape de la delivrance.

3) Le corps piege: la grossesse, une agression physique

La description physique de la femme enceinte est peu elogieuse. Outre les metaphores, pour le moins, curieuses, sa sante n'en est pas moins ebranlee. Les maternites modifient le corps feminin, surtout l'apparence physique.
La proeminence des seins et du ventre identifie aux outres atteint les sommets du ridicule dans la deformation allant parfois jusqu'a a la mutilation feminine.

Si les enfants ont un pouvoir ensorcelant, et l'amour qu'on leur porte quasi obsessionnel, les hommes dans l'oeuvre de Mongo Beti se montrent indifferents vis-a-vis de la femme en tant que valeur intrinseque. Pourtant, chaque femme merite une attention accrue pour cet acte sacerdotal puisqu'elle n'est plus en plein possession de ses moyens physiques et physiologiques. Voici comment le narrateur decrit la premiere grossesse de Perpetue qui avait atteint un stade critique: La future mere se deplacait au prix d'efforts infinis et, en raison de sa morphologie longiligne, onduleuse et bombee, l'abdomen avait pris une proeminence si accusee que Perpetue en venait parfois a le soutenir de ses deux mains(Page 168).

Avec tous les efforts consentis, cet etat de la mere doucereuse est exacerbe, l'instinct maternel ayant tendance a etre mis en exergue par la societe patriarcale. En ce sens. elle est l'otage des structures traditionnelles et politiques extremement violentes et coercitives qui l'exploitent socialement. Le prive devient alors public. L'inferiorite qui commenca sous les jupes de sa mere par le privilege accorde au garcon se prolongera dans les structures sociales sexistes qui denient a la femme tout pouvoir d'exister par elle-meme.
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ARDIN
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MessagePosté le: Mer 30 Nov 2005 06:08    Sujet du message: Répondre en citant

Structures phallocratiques et le traumatisme feminin

II-1 La violence conjugale/violence socio-culturelle
1-1 La violence des coutumes profanees: la surenchere de la dot

Sur le plan socioculturel, la mere est la garante des structures androcentriques. La question de la dot imposee par le clan pose la femme comme un objet d'echange, comme une chose. Cette coutume ayant connu des distorsions liees a l'introduction de l'argent a fait l'objet d'une recuperation en faveur des patriarches. Elle entraina la violence et le traumatisme feminin a telle enseigne que Edouard qui acheta Perpetue si cher(Cent mille francs) se prenait pour son maitre.
Elle etait sa propriete et avait droit de vie et de mort sur elle. Meme etant enceinte, elle fut frequemment battue et sequestree sans etat d'ame. A cela, il faut ajouter les humiliations quotidiennes. Condamnee au mutisme, elle recut une raclee memorable de la part de son mari tyrannique et fougueux lorsqu'elle osa obtemperer face aux escapades de ce bourreau: regarde un peu ta femme; mais regarde donc. Tu as peut-etre tue un fils(Page 152).
Les objurations severes des voisins restaient vaines devant cet homme aux habitudes execrables.

Dans ce cas, le mariage cesse d'etre un havre de paix pour se transformer en un pugilat, en un vrai bagne. Et c'est a juste titre qu' Anna-Maria s'exclame: quel etrange animal qu'un mari!(Page 250). Les rapports de force etant inegaux, le mariage deviendra un lieu asphyxiant, et l'homme, une force alienante.

Face a cette situation qui s'annonce aussi tragique qu'insolite, la victime est apaisee par Anna-Maria qui ressemble a bien des egards a sa conseillere conjugale et a sa protectrice: je connais quelqu'un qui ne te trahira jamais, ma Perpetue c'est ce petit-la(...) Ce doit etre une fois desormais ton plus grand souci(Page 175) Les gros privileges masculins justifies par leur liberte extensible laissent pantoise la jeune fille qui s'interroge naivement sur l'utilite de sa presence aupres de son mari, la societe autorisant ce dernier a convoler a d'autres noces.
Tandis que l'infidelite feminine est proscrite. En l'occurence, lorsque Perpetue revint du conge de maternite, elle fut stupefaite que son mari se soit permis d'installer sans scrupule une maitresse dans leur foyer conjugal. Terrorisee, elle ne se remettra jamais de ce choc. Elle trouva dans ce geste agressif nourri de son exces de zele, un profond mepris.

Mais elle acquerait egalement une certaine maturite face aux obstacles de la vie et au destin de la femme, le mariage et le mari etant l'epicentre de ce theatre macabre de la fourberie et du cynisme. La jeune femme decouvrait pour ainsi dire le vrai visage de la vie, le monde des humains avec ses couardises, ses intrigues, en clair, la vraie jungle ou les plus forts mangent les plus faibles. C'est cet abus de pouvoir d'un couple dont les rapports sont ceux de dominants a domines qu'on retrouve dans cette conversation apparemment anodine et innocente mais riche d'enseignements:
"S'il avait bien voulu garder la Sophie, il aurait fait des pieds et des mains pour te prendre ton argent a toi.

Mon argent? c'est insense, je ne lui aurais pas donne.

Ecoute bien, Perpete, ma petite fille. Avec ton homme, tu as le choix entre les deux solutions que voici: ou bien tu te soumets a lui en toute chose et tout va bien; ou alors tu te rebiffes, et s'il le veut,
il t'empoisonne l'existence, il en fait un veritable enfer, avant l'autre. Retiens bien cela: ton mari peut te faire vivre en enfer tout de suite(...)

Et reste-t-il quelque chose que je puisse refuser a mon homme?"
(Page 202-203)

Au demeurant, l'homme en implantant sa semence dans le ventre de la femme marque sa suprematie. Il apparait des lors comme le malheur et la fatalite, une force incommensurable dont la femme ne peut se derober. Elle est doublement piegee par la coutume et par la societe. Le mari est, par extension, le patriarche et par la-meme s'identifie a une veritable citadelle imprenable. Ce roi tout-puissant entend asseoir son hegemonie sur ses sujets et l'exercer sur quiconque tente de la contester. C'est la raison pour laquelle il cree deliberemment un etat de dependance en se montrant de plus en plus cupide et avare.
Aussi Perpetue qui aspire a la liberte se plie-t-elle aux exigences de la societe sans pour autant rompre. L'ancienne ecoliere utilise subtilement l'ironie comme une arme pour esquiver la fougue de son mari. Attitude qu'un esprit peu avise pourrait assimiler a une apparente niaiserie. En habile tacticienne, elle dit ceci: Tu es le maitre, tu es l'homme: tu fais ce que tu veux. La vie donne tous les droits aux hommes. Si j'avais ete un homme, j'en aurais sans doute fait autant, moi aussi.(Page 190)

La violence conjugale est donc legitimee par la societe. C'est ce qui explique la resignation de facade de la jeune mere qui prefere la ruse pour affronter son mari.

Largement calquees sur un mode coercitif, les lois masculines sont reproduites dans l'etat independant. Celles-ci ne laissent aucune chance aux femmes en marginalisant meme dans les lieux symboliques ou elles donnent la vie, mettent au monde. Les structures socio-administratives defaillantes et sexistes sont donc la transposition d'un systeme traditionnel travesti, archaique et d'emblee misogyne.

2. La violence des forces publiques/violence sociale.

Le denuement des Maternites est une expression du malaise social tout en laissant entrevoir un drame politique. L'indifference vis-a-vis de la situation de la femme enceinte suivie du manque de traitement depasseront largement la crise sociale pour avoir des implications politiques. Car elles devoilent l'impuissance de l'etat postcolonial, prouvant une fois de plus que la femme est piegee.

La femme enceinte vit un calvaire dans la mesure ou l'hopital est un lieu traumatisant et cauchemardesque. Il declenche chez la parturiente une depression nerveuse et un decouragement manifeste.
La maternite sociale est une vaste catastrophe, les femmes comme categories sociales vulnerables sont mal loties. Le centre hospitalier grouillant de monde brille par la mediocrite des conditions de travail avec un personnel corrompu et la qualite d'acceuil quasi nulle. La mauvaise gestion caracterisee de ces lieux qui penalisent d'abord les femmes se remarque aisement par l'absence de logistique, les medicaments etant systematiquement revendus par des fonctionnaires vereux qui ne font que peu de cas a la sante feminine et partant, a celle de tous les demunis.

Les locaux officiels delabres, "une jungle infestee d'animaux anarchiques"(Page 260). associes aux brutalites conjugales provoquent chez la femme enceinte un profond desarroi a l'idee qu'il faut y aller pour une visite medicale. C'est une penitence, un vrai parcours de combattant. L'attente y est longue, penible et inutile. Les forces publiques sont donc responsables de la mort des enfants du pays a l'image de Perpetue parce qu'elles se montrent irresponsables et inertes. L'etat postcolonial est incontestablement le principal bourreau de son peuple. Cet exemple pathetique laisse parler les faits: les femmes endimanchees, dont plusieurs poussaient des ventres bedonnants ne voyaient d'autre issue que d'escalader le mur de l'hopital avec un escabeau et un parasol apres une attente interminable dans un soleil d'aplomb.

En somme, ces methodes carcerales d'un autre age qui allient mediocrite et racket imposes par la societe masculine ebranlerent notre heroine dans sa chair mais aussi son psychisme "elle ne voulut plus entendre parler des hopitaux ni des des medecins et chercha des consolations dans le travail et la creation, en attendant la naissance de son enfant"(Page 163)

Si la calamite des services sociaux constitue une entorse a la sante publique et partant aux droits des femmes, elle est une consequence d'une mauvaise mise en place par Baba Toura puisqu'il ya impunite conforme a celle d'un etat delinquant. Autrement dit, l'effondrement des structures sociales est la metaphore de la gestion du politique. Elle reflete la personnalite du chef de l'etat impotent vis-a-vis des colons et impitoyables envers les siens. Partant de la, la question de la maternite depasse largement le cadre familial pour devenir un enjeu ideologique, le corps de la femme devenant, pour ainsi dire, un lieu de theatralisation politique.
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Diali
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MessagePosté le: Mer 30 Nov 2005 22:16    Sujet du message: Répondre en citant

Salut Ardin !

Je voulais savoir si toi-même tu avais lu ce livre de Mongo Béti "Perpétue et l'habitude du malheur" ? Rien que le titre est parlant...
L'analyse du Docteur Cecile Dolisane-Ebosse est terrible. Le message de Mongo Béti est-il bien celui-là ?
A travers les lignes que j'ai lues, le personnage de Perpétue semble représenter "la femme niée dans son humanité" : on lui offre son statut de femme seulement à partir du moment où elle va donner la vie mais c'est l'enfant qu'elle porte qui est sublimé et non elle véritablement en tant que femme qui le porte et, à son retour de couches, elle trouve une seconde femme installée dans la maison. Elle ne maîtrise en rien son destin qui lui est imposé d'abord par sa famille, puis par son mari.
Le Docteur Cecile Dolisane-Ebosse indique que c'est la situation de la femme dans la "société traditionnelle", cette notion est peut-être également à préciser.
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ARDIN
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MessagePosté le: Jeu 01 Déc 2005 12:06    Sujet du message: Répondre en citant

diali a écrit:
Salut Ardin !

Je voulais savoir si toi-même tu avais lu ce livre de Mongo Béti "Perpétue et l'habitude du malheur" ? Rien que le titre est parlant...
L'analyse du Docteur Cecile Dolisane-Ebosse est terrible. Le message de Mongo Béti est-il bien celui-là ?
A travers les lignes que j'ai lues, le personnage de Perpétue semble représenter "la femme niée dans son humanité" : on lui offre son statut de femme seulement à partir du moment où elle va donner la vie mais c'est l'enfant qu'elle porte qui est sublimé et non elle véritablement en tant que femme qui le porte et, à son retour de couches, elle trouve une seconde femme installée dans la maison. Elle ne maîtrise en rien son destin qui lui est imposé d'abord par sa famille, puis par son mari.

Oui diali, j’ai moi meme lu le livre, et je partage l’analyse du Docteur Cecile Dolisane-Ebosse, bien que je la trouve tres dure, mais c’est comprehensible, elle est elle meme une femme. Mais sa conclusion est plus mesuree, elle repondra a tes questions.(Le post suivra, il ya d’autres chapitres avant)
Quant a Mongo Beti, une fois que tu l’auras lu tu remarqueras qu’il n’a pas peint pas de cartes postales dans ses romans, il a decrit, en respectant la realite des faits concrets.
Citation:
Le Docteur Cecile Dolisane-Ebosse indique que c'est la situation de la femme dans la "société traditionnelle", cette notion est peut-être également à préciser.

Pour etre plus precis, je dirai societe postcoloniale, celle qui a herite de nombreuses distorsions introduites par la colonisation.
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Diali
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MessagePosté le: Jeu 01 Déc 2005 14:23    Sujet du message: Répondre en citant

ARDIN a écrit:

Quant a Mongo Beti, une fois que tu l’auras lu tu remarqueras qu’il n’a pas peint pas de cartes postales dans ses romans, il a decrit, en respectant la realite des faits concrets.


Dès que j'aurai fini les derniers livres achetés qui n'attendent plus que moi, je me mettrai à Mongo Béti, c'est sûr !
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MessagePosté le: Jeu 01 Déc 2005 20:36    Sujet du message: Répondre en citant

En attendant Mongo Béti, je propose qu'on retrouve les personnages féminins des Bouts de Bois de Dieu.

Quelques lignes sur trois personnages d'importance qui apparaissent plus effacées parce que leurs actions ont moins d'éclat que celles de Mame Sofi et de Ramatoulaye : Houdia M'Baye, Maïmouna l'aveugle et Dyenaba la marchande. Les deux premières ont le droit à un titre de chapitre. La vie de chacune est marquée à tout jamais par la grève, Houdia M'Baye y perdra même la vie après avoir perdu son mari, Maïmouna perdra l'un de ses jumeaux, etc. Aucune de ses femmes, malgré leur faiblesse apparente pour Maïmouna et Houdia M'Baye, ne resteront en marge du combat.

Maïmouna l'aveugle, Dyenaba la marchande, Houdia M'Baye la mère- veuve, trois femmes ordinaires, avec des parcours de vie difficile et pourtant, chacune dépasse ses propres malheurs pour se joindre à la cause commune. Ainsi, les épouses des grévistes se retrouvent chez Dyenaba qui n'a plus rien à vendre et qui passe ses journées à sucer sa pipe sans tabac : cette dernière écoute les plaintes et pousse à la résistance ; Maïmouna fera la marche jusqu'à Dakar ; Houdia M'Baye sera au premier rang du cortège des femmes amassées autour du commissariat où s'est rendue Ramatoulaye...

Je propose les extraits ci-dessous qui sont une partie des présentations des trois personnages. Cela permet à la fois de montrer le talent d'Ousmane Sembène dans la decription physique de ses personnages mais aussi de montrer la diversité de ces derniers. Dyenaba est imposante par son attitude : la façon de se tenir, son indolence, son autorité. Maïmouna, amie avec Dyenaba, est sublimée dans sa beauté féminine malgré la fragilité liée à son handicap. Houdia M'Baye, c'est la mère qui regarde avec peine ses enfants amaigris et repense avec nostalgie à l'ancien temps avec Badiane.

Plus je repense aux ouvrages d'Ousmane Sembène et plus je me dis qu'il a vraiment une sensibilité particulière par rapport aux femmes. Je ne connais que les grandes lignes de sa vie mais je suis certaine qu'il a une connaissance fine des femmes et pas seulement en tant que fils, frère, mari... Je suis certaine qu'il discute longuement avec elles, qu'il a dû avoir une mère belle et forte de caractère, une/des femme(s) aimable(s), des soeurs ou des amies proches très riches... On a l'impression qu'il ressent ce qu'elles peuvent ressentir. Certains passages sont parfois troublants (notamment dans Voltaïque, le recueil de nouvelles dont j'avais parlé plus haut) : on ne sait si c'est l'écriture d'un homme ou d'une femme tant on a l'impression qu'il a lui-même vécu certaines souffrances féminines...

Bon, je reprends ! Voici les extraits promis !

Dyenaba et Maïmouna

"Un peu à l'écart du marché, à l'angle du dépôt, Dyenaba avait installé son étal. Assise sur son petit banc, les jambes écartées, elle fumait une longue pipe de terre tout en surveillant la foule sous ses paupières plissées. A sa droite s'entassaient des piles de calebasses, devant elle, la grande calebasse-mère de bouillie, à sa gauche un bol où trempaient des cuillères dans une eau noirâtre où flottaient des bulles. Dieynaba ne vendait pas à la criée : placidement, elle attendait les clients tout en tirant sur sa pipe qui l'enveloppait d'un nuage de fumée. Quand un ouvrier se présentait, elle se levait - ou ne se levait pas - pour le servir ; l'homme se restaurait, Dyenaba biffait son nom sur son carnet et reprenait son attente.
La voisine de Dyenaba était Maïmouna, l'aveugle, et les deux femmes s'entendaient bien. Maïnouna était aveugle, mais non pas misérable, au contraire. Telle une déesse de la nuit, elle promenait son corps majestueux à la peau d'un noir sombre, sa tête altière, son regard vide qui semblait contempler par-dessus les gens, par-dela le monde. Pour le moment, elle était assise, les jambes croisées ; par l'entrebaillement de sa camisole de caraco toute rapiécée, elle allaitait un de ses jumeaux, l'autre au creux de ses cuisses, semblait ramer vers elle. Sauf qu'elle était aveugle, personne ne savait rien d'elle, mais on aimait sa voix. A longueur de journée, elle psalmodiait et souvent on s'arrêtait pour l'écouter. En ce moment, elle chantait la légende de "Goumba N'Diaye", la femme qui, avant de perdre la vue, s'était mesurée aux hommes. Et le chant de Maïmouna, déchirant, dominait le tapage."

Houdia M'Baye

Dans l'une des chambres, Houdia M'Baye, la mère d'Anta, nouait son pagne tandis que sur le lit de fer "Grève", son dernier-né, pédalait dans le vide des mains et des pieds. A part le lit qui servait aux enfants et que recouvrait une couverture faite d'autant de tissus que de couleurs, le mobilier était sommaire (...). Houdia M'Baye traversa la pièce, passa devant la tenture qui menait à la chambre de Ramatoulaye et s'installa sur la véranda. Ses grossesses successives l'avaient alourdie. N'avait-elle pas, à elle seule, mis au monde neuf Bouts-de-Bois-de-Dieu ? Et maintenant, elle était veuve : Badiane, son mari, avait été tué lors des toutes premières échauffourées de la grève. Ses autres femmes étaient rentrées dans leurs familles, mais elle qui pourtant aurait tant aimé retourner à son village, n'avait pu entreprendre le voyage à cause de l'imminence de l'accouchement. Ainsi était né "Badiane-le-petit" que Mame Sofi avait surnommé "Grève" et à qui ce surnom de circonstance était resté."
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Diali
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MessagePosté le: Jeu 01 Déc 2005 21:33    Sujet du message: Répondre en citant

N'Deye Touti n'a pas eu le droit à un titre de chapitre et pourtant, son personnage est particulièrement intéressant, emblématique de l'"aliéné". Il m'a fait penser à plusieurs reprises à la Nini d'Abdoulaye Sadji, bien que le contexte soit différent, bien que N'Deye Touti ne soit pas mulâtresse.

N'Deye Touti se distingue des autres femmes du roman par sa beauté, sa fraîcheur... :
"C'était une jolie fille d'à peine vingt ans. Avec sa peau lisse d'un noir presque bleuté, elle respirait force et santé. On remarquait surtout ses yeux ombragés de longs cils et ses lèvres pleines, bien ourlées ; la lèvre inférieure légèrement tombante était noircie à l'antimoine. Sa coiffure, qui avait dû demander une bonne journée de travail, était composée de deux tresses enroulées sur le sommet du crâne et dégageait bien son front bombé et ses beaux yeux. Elle portait une camisole d'une seule pièce, serrée à la taille et largement décolletée aux épaules ; la poitrine relevée par un soutien-gorge un peu trop ajusté, pointait sous l'étoffe".

Elle se distingue également des autres personnages par les hautes études qu'elle a poursuivies.

Mais l'intérêt de ce personnage ne réside pas dans sa beauté mais dans son mode de vie, dans sa quête de "la civilisation" liés aux hautes études qu'elle a suivies. Cela en fait un personnage particulier, coupé de sa réalité volontairement (le déni) et qui vit dans une succession de rêves.

En effet, N'Deye Touti vit dans des rêves, dans des fictions, dans des fantasmes, qui sont les livres, les films qui lui montrent une Europe sublimée. L'Europe, qu'elle connait mieux finalement que l'Afrique où elle vit, parce qu'elle lit des livres d'auteurs européens (elle n'a jamais lu de livre d'un écrivain africain parce qu'elle est sûre qu'il ne lui apportera rien !), parce qu'elle voit des films européens. Elle se crée sa vie rêvée à partir de ses lectures, en marge de ceux qu'elle cotoye et du monde qui l'entoure qu'elle rejette ("elle traversait l'existence quotidienne comme en rêve, un rêve où se trouvait le Prince Charmant de livres")... Ses lectures, les films qu'elle voit lui font mépriser les siens dont elle perçoit l'"absence de civilisation". Elle s'attache aux moeurs européennes : elle devient contre la polygamie qui exclut l'amour telle qu'elle le conçoit, elle se confectionne un soutien-gorge...

Le côté le plus sombre de ce personnage est cette attitude de déni qui se traduit par sa joie lorsque son quartier d'enfance est entièrement brûlé dans l'incendie, ce qui enlève toute trace physique de sa réalité, de ses origines pauvres...

Pourtant, la réalité ne peut jamais quitter un être. Même de façon inconsciente, les origines rattrapent. A travers l'extrait que je propose ci-dessous, on peut percevoir ce double mouvement dans le personnage : l'attirance vers ce réel qui est dénié, qui surpassera le rêve :
"N'Deye Touti détourna son regard et chercha un autre rêve. Des titres de livres, des noms défilèrent. Un instant, elle s'arrêta à celui de Bakayoko. Cet homme dur qui parfois semblait vivre dans un autre monde l'attirait, mais qui était-il ? Un ouvrier. La femme d'un ouvrier, d'un ouvrier qui n'était plus jeune ? A quoi bon être une élève de l'école normale ? Un avocat, un docteur peut-être et un amour, un amour qui l'entraînerait loin de ce cimetière vivant, loin du côté du quartier européen, là où il y a des villas entourées de jardins et non des cahutes de bois et de zinc enfermées dans leurs palissades ou leurs haies de bambous".

Elle subira deux humiliations, l'une de la part des Blancs qui la blesseront dans sa dignité de femme, l'autre de la part de Bakayoko pour lequel elle était prête à devenir seconde épouse (la seule deuxième épouse qu'aurait pu prendre Bakayoko aurait été Penda).

La fière, l'arrogante, la belle N'Deye Touti perdra de sa prestance pour devenir tout simplement une femme humble, éprouvée dans ses rêves, endolorie, mais qui s'est réconciliée avec sa réalité.


Dernière édition par Diali le Sam 03 Déc 2005 09:45; édité 1 fois
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MessagePosté le: Ven 02 Déc 2005 02:06    Sujet du message: Répondre en citant

3) Le corps feminin, lieu de violence politique

La violence exercee par la societe sur la vie de la femme se situe radicalement dans toutes les institutions. Elle est violee dans son intimate, abandonee par sa famille et meme par l’etat qui est cense proteger les siens. Cette terreur etatique se manifeste par la prostitution politique. L’etat sort de ses prerogatives essentielles, exploitent economiquement et sexuellement les femmes. Le president, un pervers de notoriete publique, ne sert pas de modele a son people.
Il participle outrageusement a la depravation des moeurs en pistant les petites filles de mauvaise vie: les “oxynn sapak” ou les filles a deux sous qu’on surnomme par la suite les “les bistouries”, parce qu’il les rejette systematiquement. Cette manie injurieuse et infantilisante appliqué aux categories fragiles releve certes de l’exhibitionnisme mais aussi de la volonte de puissance. L’extravagant arbore son autoritarisme excessif sur toute la population y compris la gent feminine mariee. Le palmares de sa derniere trouvaille est ahurissant:
“Elle avait commence sa carriere de courtisane a douze ans dans l’alcove de Baba Toure devore deja par une manie du tendron qui allait en s’aggravant. Baba Toura s’en servait une douzaine sur un canapé(…) et ne les reprenait jamais. A la suite du grand homme, ministres, hauts fonctionnaires et leurs clients se les transmettaient comme autant de ballons sur un stade. Voila a quoi on reduit nos filles reagit Anna-Maria(Page 153)

Si Baba Toure peut afficher sexuellement son pouvoir par son appetite immodere pour la “chair fraiche”, Edouard quant a lui, ne lesine pas sur les moyens pour advancer en grades et se hisser dans une hierarchie sociale elevee. Il ira jusqu’a offrir sa femme au commissaire divisionnaire pour obtenir un statut social envialble.

Le corps feminine, du reste, est manipule de maniere sordide a des fins politiques. Ce recale des concours administratifs cherche a asseoir sa domination sur sa femme, une figure libre, laborieuse et repute plus intelligente que lui. On peut deceler dans son outrecuidance, une soif de vengeance, une maniere diabolique de combler ses faiblesses resultant d’un egoisme bien masculine.

Quoi qu’il en soit, une chose est sure: son mari rancunier avait decide de l’humilier, de prendre sa revanche. Car apres tout, elle n’etait qu’une femme, une chose sexuellement echangeable. Aussi pense-t-il cyniquement qu’il faut savoir l’utiliser pour s’imposer faute de l’emanciper. Elle fut alors devergondee dans les plus hautes spheres du pouvoir, c’est-a-dire par un pouvoir mafieux aux methods occultes et lugubres. Finalement, elle est egalement victime d’un systeme pourri et corrompu jusqu’a la moelle:
“Comme tu retardes, ma pauvre Perpetue, declara Edouard avec un sourire d’une serenite desarmante. Comme tu retardes vraiment! Ce que je t’ai demande un peu sournoisement il est vrai, n’a rien de monstrueux. (…)Il n’est de femme, hormis les idiots, qui ne s’estime heureuse si, pour si peu, elle arrive a decrocher un poste pour son mari. Et cela se fait meme dans les spheres les plus elevees”(Page 211).

Coincee entre deux maris et depassee par les evenements, elle ceda par contrainte puisque le commissaire toucha a son point sensible: il orchestra un autre subterfuge qui consistait a lui promettre le rapprochement avec Essola, son frere deporte. Cette manigance fonctionna car c’etait la chose au monde qui comptait le plus pour elle. Avec un certain sadisme, le bourreau exploita sa credulite, son ignorance et ses malheurs. Mais cette piste n’est qu’une hypothese parmi tant d’autres. La raison pour laquelle elle accepta cette liaison sordide demeure une enigma.

Aux yeux du narrateur-enqueteur, tout concourait a la faire flechir vu sa position inconfortable. On pouvait aisement compter sur les pressions et les menaces incessantes de la part de son mari, les cadeaux excessifs de ce commissaire peu scrupuleux et l’espoir nourri de retrouver son frere. En tout etat de cause, elle aurait pu se laisser aller au realisme en pensant recolter les dividends de la soudaine ascension de son epoux mais il n’en etait rien puisque ce dernier se montra indigne et ingrate. Chef du parti unique de la section de Zombotown, il devenait de plus en plus horrible, intraitable et extravagant.

En definitive, le corps feminine en tant que propriete masculine vit l’enfer. La procreatrice parce que qu’elle donne la vie, est piegee par le fait qu’elle en est l’epicentre et que naturellement, elle reflete la tolerance, la douceur et la compassion. C’est dans cette strategie qu’elle est traquee par les forces phallocratiques, en l’occurrence, la mere traditionnelle, en realite le substitute du pere n’arretant pas de tanker sa fille pour enfin l’abandonner a son sort. Cet ostracisme parental sera renforce par les pouvoirs publics qui delaissent les hopitaux en se montrant irresponsables et en brimant les plus faibles. Dans la meme optique, l’etat perpetue les moeurs tyranniques en exercant la terreur dans le pays au point que la societe transforma la jeune femme en “une epave a la derive dans une eau stagnante”(Page 260). Solitaire et vivant cloitree, elle etait devenue une loque humaine menant une triste vie.
En fin de compte, toute la dictature est liguee contre la femme tetanisee par la violence des structures phallocentriques. Bernard Mouralis corrobore notre propos en constatant “qu’il ya une homologie entre le pouvoir d’Edouard sur Perpetue, le pouvoir d’Edouard sur le quartier, et, enfin le pouvoir du president sur la nation”
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MessagePosté le: Ven 02 Déc 2005 09:37    Sujet du message: Répondre en citant

Quelques lignes d'introduction sur le binôme Ad'jibid'ji et Niakoro-la-vieille (je développerai ultérieurement faute de temps).

Il s'agit d'un binôme très attachant. Niakoro est l'emblème du passé et de ses valeurs ; Ad'jibid'ji, elle, annonce un temps futur et un changement potentiel du rôle de la femme. Pourtant, il est donné à Niakoro la possibilité d'aborder des problématiques pertinentes et toujours d'actualité, notamment lorsqu'on lui demande de ne pas déranger sa petite-fille parce qu'elle fait ses devoirs, elle s'indigne : "on t'apprend le toubabou et on me demande de ne pas te déranger... je n'ai jamais entendu dire qu'un toubabou ait appris le bambara, ou une autre langue de ce pays".

Niakoro, la doyenne, est le premier personnage à apparaître dans le roman :
" Elle était très âgée, Niakoro. De chaque côté de son petit nez à l'arête droite, les paupières tombantes recouvriaent à moitié les yeux. Elle avait, souvenir d'une jeunesse coquette, les lèvres tatouées. Le contour de sa bouche se rétrécissait en un perpétuel mouvement de succion : au rythme de son souffle, ses joues se gonflaient et se dégonflaient. On aurait dit qu'elle les avalait. Sa tête ne paraissait plus reliée au tronc que par des filets de peau ; d'autres bandes molles pendaient sous le menton. Mais ce vieux visage avait gardé la sérénité de ceux qui arrivent au terme d'une vie de sagesse et de labeur. De sous le pagne usé et décoloré qui s'arrêtait à la mi-mollet sortaient les jambes torses, les pieds aux orteils écartés et recourbés."

Ad'jibid'ji est le premier personnage féminin si jeune que j'ai rencontré dans toute mes lectures africaines, à qui il est donné toute cette importance. Je développerai plus tard.
"Ad'jibid'ji devait avoir huit ou neuf ans, mais elle était grande pour son âge. Elle avait les mêmes traits, le même nez fin que sa mère Assitan car elles avaient dans leur ascendance des Peuhls et des Berbères. L'abondante chevelure de la fillette était partagée en quatre touffes entremêlées de quatre gris-gris d'un pouce d'épaisseur".

Je développerai ultérieurement le rôle de chacun de ces deux personnages mais je propose aujourd'hui un dernier petit extrait qui résume bien la nature des relations entre la vieille femme et sa petite-fille. Un décalage lié aux générations, certes, mais surtout un respect mutuel lié à l'âge et peut-être surtout à la précocité de la petite :
"Entre sa grand-mère et elle, il y avait deux générations, mais Ad'jibidji n'était ni irrespectueuse, ni effrontée. Au contraire, sa maturité, sa spontanéité, sa lucidité stupéfiaient tout le monde et d'abord Niakkoro elle-même".

Je n'aborderai pas non plus les femmes "anonymes" qui sont évoquées dans le livre, celles sans qui les actions de Ramatoulaye, de Mame Sofi et de Penda n'auraient pu réussir. A vous, lecteurs, de les découvrir ou de les redécouvrir !

Après le complément d'exposé sur la grand-mère et la petite-fille, j'évoquerai quelques problématiques traitées dans le livre (intégrées à la problématique générale de la colonisation) à savoir :
- l'introduction du fer en Afrique ;
- le rapport à la langue ;
- le parasitage des autorités africaines (politique et religieuse) ;
- les relations noirs/blancs (de façon générale : inégalité/mépris mais Ousmane Sembène ouvre sur d'autres types de relations plus marginales mais existantes),
etc.
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MessagePosté le: Lun 05 Déc 2005 09:53    Sujet du message: Répondre en citant

III AU DELA DU TRAUMATISME: LA MYSTIQUE REVOLUTIONNAIRE
1. Perpetue ou le symbole d'une revolution avortee.
Etant donne que les structures sus-evoquees incarnent la trahison et la destruction, notre auteur exhorte a une maternite politique, plus conquerante. Il s'agit d'accoucher les idees. L'assujettissement de Perpetue est le symbole de l'ecrasement de toute force progressiste capable d'emerger. Il s'agit de tuer dans l'oeuf toute velleite de revolte et de changement. Le peuple, l'Afrique et tous les opprimes sont alors incarnes par la femme. Celle-ci, symbolise la terre-mere violee et souillee. "Il ya des Perpetue un peu partout en Afrique et meme dans le monde"(Page 265). Notre martyr est le genie assassine de nombreuses forces vives et creatrices par la tyrannie de Baba Toura, pratiquant de la sorte, du cannibalisme politique. Finalement, ses malheurs sont presentes autant pour leur valeur de choc que pour leur pouvoir de metaphore.
En effet, la connivence tacite liant la violence conjugale et la violence politique resonne puissamment sur le plan ideologique. Elle en a appelle au militantisme et a la defense des droits de la personne humaine. Il est vrai qu'en structure de surface, Mongo Beti tire une sonnette d'alarme sur l'amelioration des structures sanitaires par la reforme des maternites et au respect de la femme mais en structure profonde l'auteur est en quete de la democratisation de tous les aspects de la societe. Cette maternite-alibi depasse le cadre du social pour prendre une forme plus large de la revendication d'un etat de droit.
La mort prematuree de Perpetue est de loin un temoignage de l'echec d''une revolution. Elle traduit une immaturite dans l'action ainsi qu'une certaine lachete. Meme si l'Afrique a besoin des forces progressistes pour lutter efficacement contre les forces alienantes, la petite Perpetue n'est encore qu'une jeune pousse. Cette disparition precoce degage un parfum d'inacheve tout en laissant un sentiment d'amertume et une profonde tristesse. Ici l'on est en phase avec son dynamisme sur une table d'accouchement. De maniere significative, elle n'a pas pu mettre au monde son unique enfant desire, concu librement avec Zeyang le rebelle; un enfant en or qui prefigure ses idees et ses aspirations. Ses voeux n'ayant pas ete exauces a cause de la deception d'une femme trahie par tout le monde, on a l'impression d'etre dans une impasse. Le pessimisme de l'oeuvre est manifeste, d'ou cette revolution avortee. L'heroine incarne avant tout une jeunesse avilie, traquee qui n'a guere les moyens de sa politique. Ce constat d'echec est avoue par Essola a travers cette phrase exclamative aux accents d'impuissance: "Et si encore nous avions gagne!"(Page 271).
Tout se passe comme si l'insucces etait le maitre-mot de cette societe desesperee et que la femme y est enchainee a vie: "que fut devenue Perpetue autrement? Pour le savoir, il suffisait d'ouvrir les yeux sur Zombotown, ce cimetiere de morts vivants de sexe feminin grouillant de fantomes eloquents de Perpetue(...) cette admirable femme n'eut survecu qu'au prix d'incarner l'avatar trivial de la femme profanee. Fallait il oublier Perpetue?(Page 265).
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MessagePosté le: Lun 05 Déc 2005 10:03    Sujet du message: Répondre en citant

2. L'action de Perpetue ou le symbole d'une revolution embryonnaire.
Perpetue brille par son intelligence, l'eveil d'esprit, l'education etant pour elle la chose a promouvoir. Ce qui nous laisse deviner que si les masses africaines veulent se liberer, l'instruction et le travail, c'est-a-dire la creation, demeurent les seules alternatives credibles et louables, etant entendu qu'un peuple qui ne sait pas lire ne saurait se soustraire des demons de l'obscurantisme et de l'ignorance.
Le savoir et les connaissances si precieux pour sa liberation grace a la distance critique, permettront a la femme d'etre utile a sa societe, je veux dire a l'Afrique en dehors de la sphere domestique en exercant une activite professionnelle comme la plus symbolique d'aide-soignante pour faire avancer sa societe. Selon Patricia Pia-Celerier "les femmes cessent de vivre leurs differences avec les homme dans la seule maternite. Elles prennent part au combat politique et ont un acces plus ouvert a l'education".
C'est dire que la brillante et studieuse jeune ecoliere aurait pu etre exploitee selon son talent et ses competences pour le progres de son pays au lieu de la reduire aux metiers les plus sordides et les plus mecaniques comme eplucher le manioc. De sa pregnance pour la science, decoulant les germes de la femme du futur.
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MessagePosté le: Lun 05 Déc 2005 10:08    Sujet du message: Répondre en citant

3. Perpetue ou la revolte silencieuse.
Elle se manifeste a travers son introversion, le repliement sur soi qui est en quelque sorte une revolte sournoise, une facon de se marginaliser. Dans ce refus de communiquer, elle pensait etre une incomprise. Ainsi, "elle n'etait plus qu'une boule"(Page 208), une simple enveloppe charnelle. Cette femme fut scandalisee au plus profond d'elle au point de choisir la solitude. On peut dire qu'elle se lassait peu a peu de cette vie morose, laide qui n'est en realite, qu'une non-vie pour se livrer a "une mysterieuse contemplation". N'etant plus que l'ombre d'elle meme, elle avait peu a peu un besoin de transcendance. C'est ce qui fait d'elle un personnage mysterieux. Sur ce, on en arrive a la dimension metaphysique de l'oeuvre en se demandant si notre heroine n'est pas un mythe.
Symbolisant la jeunesse, elle est le reflet de la purification et l'avenir, la mort prend ici un autre sens: elle est ascese, un signe de liberation face a un monde cruel. La jeune fille fait preuve d'une grandeur d'ame et est presentee comme une sainte.
En voulant rester pudique, l'exclusion volontaire denote le refus implicite de se compromettre et c'est cette quete de transcendance qui explique qu'elle se soit laissee mourir. Pour cela, son frere appronfondit la reflexion en s'interrogeant sur son mutisme, l'hypothese plausible etant qu'elle aurait pu fuir mais probablement, elle ne voyait plus l'utilite de la vie. "Perpetue mourut-elle vraiment d'un accident de grossesse? En realite, elle ne se nourissait plus guere elle se preparait plus a la mort qu'a accoucher"(Page 263).
On peut, en fait, considerer la mort de Perpetue comme une fuite en avant, un suicide politique car n'etant pas en mesure de se confronter au systeme repressif de son mari ou de Baba Toura comme l'insinue Antonia a propos d'Essola, elle a prefere s'eteindre, la mort devenant alors un moyen d'atteindre une certaine plenitude, d'acceder a la liberte. "Comment arracher un etre a la mort sans son consentement? Perpetue tenait-elle vraiment a vivre?".
Elle qui etait sequestree et generalement battue par son mari meme dans les moments les plus critiques de la grossesse est percue comme un ange. On pourrait alors dissocier la Perpetue superficielle: souillee et profanee et celle qui a prefere s'en aller en gardant son ame intacte.
Contrairement a ce que pensent de nombreux critiques de ce personnage, Perpetue n'a jamais ete reellement soumise. Elle n'etait pas sans parole mais a ete reduite au silence par l'ecrasant pouvoir indescriptible qu'est la fatalite identique aux hommes, ces animaux etranges. L'initiative personnelle qu'elle prit d'assumer librement sa sexualite a ses risques et perils est une preuve d'audace puisqu'elle la prend en son ame et conscience. C'est a dire qu'elle se montre hautement transgressive, brise le tabou de l'infidelite feminine. Meme etant mariee son corps lui appartient et elle en fait ce qu'elle veut malgre quelques maladresses. Par exemple, ses tournees mouvementees en galante compagnie si elles trahissaient un certain libertinage, prouvent qu'elle a su s'eclater avant de s'engouffrer dans une forme de claustrophobie. En d'autres termes, elle a su s'epanouir ne fut ce que sommairement. Lorsqu'elle trouva un amant attentionne, c'etait pour elle la decouverte d'un amour ne de deux coeurs qui s'apprecient mutuellement. Elle a pris des risques non pour s'arracher d'un mari anime d'une cruaute insoupconnee, mais pour s'evader et satisfaire ses propres fantasmes. Pour la premiere fois son corps lui appartenait de maniere ponctuelle certes, mais ce fut une secrete delectation hautement significative. Tout heureuse et plus que jamais determinee a defier son mari, voici ce qu'elle confie a Anna-Maria: "Je sais que je suis la propriete d'un homme qui m'a payee cher, il y a quatre ans. Je ne devais rien entreprendre sans son autorisation. Mais pour la premiere fois j'ai envie de n'en faire qu'a ma tete.
Jusqu'ici j'ai fait ce qu'on me demandait de faire.
Eh bien! Je saurai pour une fois a quoi ressemble la saveur des choses qu'on accomplit de sa propre volonte.(...) en meme temps je sens le peril roder mais en meme temps je sens autre chose
(Page 238)
Avec ce nid d'amour, elle baignait dans une vaste euphorie. Cette liaison lui redonnait gout a la vie, elle devenait ravissaante et rayonnante de beaute, affichant la bonne humeur. Meme s'il est precoce de parler d'une veritable liberation sexuelle car la repression est encore aveugle, on y decele une certaine indocilite, une timide subversion quoique anarchique et moins murie.
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MessagePosté le: Lun 05 Déc 2005 10:13    Sujet du message: Répondre en citant

4. Perpetue ou la quete d'un mythe revolutionnaire: Ruben
La pregnance de la mystique revolutionnaire est ressentie a travers un langage novateur sur la mere conventionnelle: la berceuse qui endort et la devoreuse qui etouffe. La maternite doit etre positive, c'est-a-dire avoir des implications politiques. Tu n'es que ma mere, mais Ruben etait, lui, un homme juste.(Page 294) En vengeant la droiture et l'intelligence, Mongo Beti indique a la jeunesse la voie a suivre: celle du militantisme laquelle voie exige l'audace de rompre avec le statu quo et l'esprit de sacrifice.
L'Afrique ne saurait se liberer, acceder au progres sans combattre les fleaux qui la minent tels que le paternalisme, l'infantilisme, le sentimentalisme ainsi que toutes les coutumes et idees anachroniques qui entravent l'epanouissement de l'individu. L'assistant, l'autre visage de la maternite ramollit la femme et mataphoriquement l'Afrique. Celle-ci requiert une certaine intransigeance, de la fermete et la rigueur pour rompre avec le cordon ombilical et le colonialisme.
Ces premices de combat donnent plus d'espoir et atteignent une certaine apotheose avec les generations futures.
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MessagePosté le: Lun 05 Déc 2005 10:16    Sujet du message: Répondre en citant

4.1 Les premices d'un engagement politique
Les idees de Perpetue etant progressistes, vu l'amour qu'elle portait a Essola son frere deporte, un rubeniste et sa liaison avec un footballeur rebelle, opposant farouche a son mari, elle avait amorce une guerre contre les forces conservatrices telles la mere, le mari et les gens de Baba Toura.
Leurs opinions etaient diametralement opposees et toujours conflictuelles a l'image des antagonismes entre "Aines" et "Cadets" sociaux bien elabores dans Anthropo-logiques de G. Balandier comme la recherche d'une mobilite par les opprimes, la societe etant un processus. On se trouve dans une mouvance dialectique ou deux cammps s'affrontent.
Vivant une penitence a cause de ses idees, la disparition de Perpetue, c'est l'aneantissement des combattants de la liberte donc la mort partielle de la revolution. La vengeance loin d'etre neutre est intentionnelle, elle devient ainsi une sorte de releve, de continuum pour faire vivre la flamme revolutionnaire au-dela de la mort. Cette forme de triomphe quelque peu lache et violente signifie que le chemin du combattant de la liberte, truffe d'embuches, impose un certain courage et beaucoup d'abnegation. A premiere vue, elle n'augure guere des perspectives nouvelles puisque privee de son leader, tout ce que Perpetue a entrepris etait voue a l'echec. Mais en structure profonde, elle prone l'action. Il ya donc implicitement un espoir mais au prix de beaucoup de travail et de dures privations.
Derriere Perpetue. personnage ideologique et emblematique, il ya Essola, un militant derriere lequel se cache Ruben, le mythe revolutionnaire. Car que dirions-nous encore derriere un grand homme se cache une grande femme. On n'est donc pas etonne que la mere de Perpetue s'en indigne en ces termes: " - Pourquoi ce Baba Toura a-t-il tout gache?"(...)
- Tu n'as jamais vraiment ecoute ce que disait Wendelin, maman; c'etait la le drame de vous deux.
Rappelles-toi bien: Wendelin disait que tout allait changer, non pas par n'importe lequel de nosfreres, mais avec un seul des notres, qu'il appelait Ruben.
Eh bien Ruben est un homme bon, pour ainsi dire le
Jesus-Christ des Noirs(...) Nous avons notre Jesus- Christ maintenant.
- Voila que tu parles comme Wendelin, maintenant.(Page 229)
Dans ce tissage inextricable entre les infortunes des maternites et la quete des libertes democratiques, il est clair qu'il s'agit d'une forte revendication politique sous le couvert d'une revendication explicitement feministe. D'ailleurs, Mongo Beti revele a Eloise Briere qu'il est "feministe politique", il se sert donc des femmes comme une allegorie. Le sujet "femme" de par les lois rythmo-biologiques qui le caracterisent, applique aux mutations sociales est par essence une metaphore de changement. Dotee d'un pouvoir naturel, elle est symboliquement la mere de la creation, le porte-parole d'une situation complexe, d'une nation naissante. Cela etant, c'est a elle que revient la tache d'edifier cette nation.
Notre heroine a des responsabilites plus grandes qui depassent le cadre des maternitees traditionnelles, elle porte haut le flambeau d'une revolution puisqu'elle entonne l'hymne a la resistance. Dans cette entreprise novatrice de restitution indirecte de son role mythique de pionniere, sa parole redevient alors sacree et eternelle. La jeune femme incarne Ruben la floraison, la vie, en un mot, la mystique revolutionnaire. Les recommendations que donne Wendelin a propos des generations a venir sont revelatrices de cette determination: "Quelle veneration desormais les meres attendront-elles de leurs fils, les peres de leurs filles, les maitres de leurs valets(...)? Vous avez tue Ruben ou bien vous vous etes accomodes de son meurtre pour continuer a vendre vos filles sans pour autant avoir a repondre des souffrances infligees a ces esclaves par la cruaute de leurs maris".(Page 294-295)
En dernier ressort, ce parricide commis par Wendelin en tuant son frere qui a une connotation ideologique est l'eradication des maux qui accablent l'Afrique, une conjonction du mal. Il a un pouvoir cathartique, une valeur d'exorcisme, mieux "une incantation rituelle".
C'est le principe gidien se Si le grain ne meurt pour mieux regermer.
Le traumatisme se voit enterre pour faire naitre l'espoir, car il ya une reelle evolution dans la pensee betienne. Selon notre infatigable combattant, la violence appelle la violence, notamment dans ces premiers ecrits meme si vers la fin de ses jours son ton est devint plus modere. Des lors, l'ecriture participe au traitement du profond malaise psychologique et moral. Elle a une fonction therapeutique en tant qu'elle permet d'harmoniser une situation chaotique mais aussi de reveler les souvenirs enfouis, de mettre en exergue les angoisses de Perpetue et de toutes les autres opprimes. A vrai dire, elle explique le monde dans sa totalite; voila qui permet a l'auteur de trouver un echo a ses propres traumatismes.
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MessagePosté le: Lun 05 Déc 2005 10:19    Sujet du message: Répondre en citant

CONCLUSION


Au bout de cette analyse, sur le plan diachronique, nous retenons trois sortes de maternite: d'abord une maternite biologique confondue avec la sociale, ensuite, une maternite politique et enfin une maternite symbolique plus ideologique. Partant de la, nous pouvons dire que l'ambiance routiniere de la societe traditionnelle, si elle contribue a consolider le socle familial favorise une maternite avilissante et traumatisante. Elle prive la femme de toutes les libertes en la figeant en temoin passif de son propre destin tout en accordant tous les privileges au sexe masculin qui prolonge cette domination dans les institutions politiques jacobines. Ainsi la maternite acquiert-elle une dimension politique et ideologique. Beti demystifie cette maternite alienante en s'en prenant avec une rare virulence aux moeurs coutumieres: La dot et la mariage force. En cela, Perpetue restera un symbole, un alibi des forces revolutionnaires montantes, un modele.
Sur le plan moral, elle est irreprochable. Sur le plan physique, elle est tres belle et n'a nullement ete fanee par ces mauvaises maternites honteuses et contraignantes contrairement aux filles de l'arriere-pays. Son esprit etant dissocie de son corps meurtri, ses lumieres et son energie debordante eclaireront la societe future. De par sa situation tragique, Mongo Beti appelle a plus de consideration pour la femme qu'il pressent etre un atout pour l'emancipation de l'Afrique. Cette derniere detient le secret de la creation, de l'initiative. Or le milieu joue un role determinant dans l'epanouissement de l'individu, il faut donc l'assainir par la resistance, d'ou cette vengeance d'Essola afin que triomphent les idees de la justice sur les forces du mal. Cette victoire du progres sur la stagnation n'est-elle pas voilee pour un futur prometteur?
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Diali
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MessagePosté le: Lun 05 Déc 2005 19:35    Sujet du message: Répondre en citant

ARDIN a écrit:

"Il ya des Perpetue un peu partout en Afrique et meme dans le monde"(Page 265)


Salut Ardin,

Merci pour tous ces posts que j'ai lus attentivement.
C'est une analyse très profonde que tu nous as proposée, vraiment très riche et qui me donne encore plus envie de découvrir le livre.

Je donne à vif mes impressions. Les réflexions que tu as présentées sont très denses donc il se peut que j'aie un peu simplifier le raisonnement ! Désolée d'avance !

Perpétue est la Femme, elle est l'Afrique, mais elle peut être aussi le Monde. Femme-symbole... Grande figure allégorique apparemment chez Mongo Béti.

Si le combat de Perpétue a échoué, pas assez mûr, comme peut-être celui de l'Afrique, l'espoir est là car on sait ce qu'il y a à combattre. Mongo Béti semble avoir montré le chemin dans son livre.

Je suis sûre que chaque femme, aujourd'hui même, quelque soit sa situation (même celles qui semblent les plus fortes dans les situations les plus enviables) se retrouve face à certains questionnements posés par l'analyse. En tous les cas, personnellement je me suis retrouvée dans beaucoup des problématiques traitées même si je n'ai pas eu à les vivre directement. Même si certaines sociétés "semblent" (et j'insiste sur le "semblent") plus favorables à la femme que d'autres de nos jours, même si les situations ne se conjuguent pas de la même façon, je crois de plus en plus en une identité purement féminine qui ressent où qu'elle soit, de façon presque innée, les questionnements soulevés par l'analyse parce liés à cette expérience commune à toutes les femmes depuis des siècles. Cette Femme doit d'abord et avant tout croire en sa force et en son pouvoir pour se désaliéner.

Ce que fait poindre l'analyse aussi, c'est le rôle-clé de la femme, après sa propre émancipation, dans l'émancipation de l'Afrique. C'est un très beau message en tous cas car ce dernier dépasse le clivage qui est souvent fait dans les sociétés traditionnelles, à savoir borner le monde de la femme à celui de l'intérieur, alors que celui de l'homme est par opposition ouvert sur l'extérieur.
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MessagePosté le: Lun 05 Déc 2005 19:55    Sujet du message: Répondre en citant

diali a écrit:
Quelques lignes d'introduction sur le binôme Ad'jibid'ji et Niakoro-la-vieille (je développerai ultérieurement faute de temps).


C'est très interessant, ce que tu dis à propos de la paire Adjibiji/Niakoro (pour laquelle j'ai un faible), de Penda et de Ndeye Touti.
En fait Sembène Ousmane a mis tant de choses dans ce livres que je me demande bien comment tu fais pour t'en sortir dans tes analyses. J'aime bien les lire dans tous les cas.

Selon moi, la psychologie de Penda est totalement differente de celle de Ndeye Touti, leurs trajectoires sont perpendiculaires mais leurs deux profils sont tout autant caractéristiques de la femme africaine d'aujourd'hui.
De même il me semblle que ce que veut faire passer Sembène Ousmane avec les conversations Adjibidji-Niakoro est particulièrement profond; il me semble qu'il cherche à traiter le problème de la transmission des valeurs, de la culture entre des générations entre les quelles il y a bien sur une enorme affection et un très grand respect, mais qui déjà ne parlent plus vraiment le même langage.

Bon, je laisse d'abord Ardin finir dans sa très interessante lancée sur Mongo Béti.
Je reviens plus tard.
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MessagePosté le: Mar 06 Déc 2005 08:41    Sujet du message: Répondre en citant

BMW a écrit:

C'est très interessant, ce que tu dis à propos de la paire Adjibiji/Niakoro (pour laquelle j'ai un faible), de Penda et de Ndeye Touti.
En fait Sembène Ousmane a mis tant de choses dans ce livres que je me demande bien comment tu fais pour t'en sortir dans tes analyses. J'aime bien les lire dans tous les cas.


Merci beaucoup pour le compliment BMW !
En effet, Sembène Ousmane a mis énormément de choses dans ce livre, c'est pour ça que je suis depuis un moment dessus Laughing !
Chaque livre dont j'ai parlé ici est lu deux fois. Une première fois, juste pour le plaisir : me laisser emporter par les personnages, l'action, le style de l'auteur. A partir de cette première lecture, je sais de quoi je veux parler ! Alors, j'en refais une seconde, qui est plus laborieuse, pour retrouver les extraits pour illustrer mes propos...
Le problème est que je dois être sûre d'avoir une petite heure tranquille pour les retranscrire sur grioo donc autant je peux couper mes moments de prise de notes, autant, il est plus rare de trouver ce temps pour les retranscrire !
Je ne cache que parfois, au lieu de bosser sur mes opérations d'urbanisme, j'aurais plus envie de reparler du fameux binôme Niakoro et sa petite-fille dont j'ai encore tant de choses à dire ou aborder les thèmes que j'ai proposés plus haut, liés à la colonisation, pour faire passer le message de S. Ousmane !
Quand j'ai aimé un livre, ou qu'un livre m'a "parlé", je suis capable d'en parler des heures sur le moment, avec les extraits à l'appui pour ne pas trop extrapoler !
voilà !
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MessagePosté le: Mar 06 Déc 2005 09:51    Sujet du message: Répondre en citant

diali a écrit:
BMW a écrit:

C'est très interessant, ce que tu dis à propos de la paire Adjibiji/Niakoro (pour laquelle j'ai un faible), de Penda et de Ndeye Touti.
En fait Sembène Ousmane a mis tant de choses dans ce livres que je me demande bien comment tu fais pour t'en sortir dans tes analyses. J'aime bien les lire dans tous les cas.


Merci beaucoup pour le compliment BMW !
En effet, Sembène Ousmane a mis énormément de choses dans ce livre, c'est pour ça que je suis depuis un moment dessus Laughing !
Chaque livre dont j'ai parlé ici est lu deux fois. Une première fois, juste pour le plaisir : me laisser emporter par les personnages, l'action, le style de l'auteur. A partir de cette première lecture, je sais de quoi je veux parler ! Alors, j'en refais une seconde, qui est plus laborieuse, pour retrouver les extraits pour illustrer mes propos...
Le problème est que je dois être sûre d'avoir une petite heure tranquille pour les retranscrire sur grioo donc autant je peux couper mes moments de prise de notes, autant, il est plus rare de trouver ce temps pour les retranscrire !
Je ne cache que parfois, au lieu de bosser sur mes opérations d'urbanisme, j'aurais plus envie de reparler du fameux binôme Niakoro et sa petite-fille dont j'ai encore tant de choses à dire ou aborder les thèmes que j'ai proposés plus haut, liés à la colonisation, pour faire passer le message de S. Ousmane !
Quand j'ai aimé un livre, ou qu'un livre m'a "parlé", je suis capable d'en parler des heures sur le moment, avec les extraits à l'appui pour ne pas trop extrapoler !
voilà !

Merci diali!
Tu es entrain de me redonner gout pour le roman, Chapeau! car Tu as reussi sur un terrain ou BMW a echoue.
Suivant donc sa recommendation, je vais pour la circonstance, non pas offrir un livre a une personne, mais plutot a moi meme, un roman de Sembene Ousmane. C’est avec “Les bouts de bois de Dieu” que j’ai decouvert cet auteur et pris le gout immodere, insatiable, pour la lecture.

PS: Je reviendrai plus tard sur Mongo Beti.
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MessagePosté le: Mer 07 Déc 2005 20:39    Sujet du message: Répondre en citant

Citation:

Merci diali!
Tu es entrain de me redonner gout pour le roman, Chapeau! car Tu as reussi sur un terrain ou BMW a echoue.
Suivant donc sa recommendation, je vais pour la circonstance, non pas offrir un livre a une personne, mais plutot a moi meme, un roman de Sembene Ousmane. C’est avec “Les bouts de bois de Dieu” que j’ai decouvert cet auteur et pris le gout immodere, insatiable, pour la lecture.

PS: Je reviendrai plus tard sur Mongo Beti.


Merci et bonne idée pour ton propre cadeau ! Very Happy
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MessagePosté le: Mer 07 Déc 2005 21:53    Sujet du message: Répondre en citant

Je reprends donc le binôme Niakoro-Ad'jibid'ji, qui représentent deux mondes, un premier monde dont la mort semble annoncée, un second naissant où les choses se passent selon un "nouvel ordre".

Niakoro évoque avec nostalgie le temps passé, où l'on se préoccupait davantage des aînés, où personne n'entreprenait rien sans le conseil de ces derniers, où chaque rôle était précis, où la sagesse était forcément liée à la vieillesse, où le respect était lié à l'expérience de la vie, etc.
Son rôle de femme est celui d'embellir le monde intérieur, le monde des femmes. C'est pourquoi, elle ne comprend pas pourquoi Ad'jibdiji participe à l'"assemblée des hommes", pourquoi elle apprend le toubabou... A Ad'jibdi'ji : "A quoi sert le toubabou pour une femme ? Une bonne mère n'en a que faire...".
Niakoro est perdue dans ce "nouveau" monde où elle ne se retrouve pas par rapport aux autres femmes. Il lui semble qu'elle n'a plus l'attention qu'elle mérite au sein de la concession. Elle se sent seule. Elle continue de décorer les ustensiles, tradition se perdant petit à petit, ne supportant pas d'être inactive.
"Mais que représentait Niakoro-la-vieille pour ces femmes occupées de la seule heure présente ? A Peine le souvenir d'un passé révolu qui s'effaçait lentement".
On ne lui demande pas son avis sur cette grève alors qu'elle y est opposée. Elle assiste impuissante à l'introduction d'éléments (les machines, la langue et les coutumes des toubabou) qu'elle ne contrôle pas et qui lui font perdre quelque peu la place que lui conférait l'âge, presque d'office, dans cet ancien ordre.
En témoigne cet échange avec son cousin Fa Keita :
"Hi Allah, dit Niakoro-la-vieille, ne crois-tu pas que tous ces enfants se trompent ? Comment toi, un homme d'âge, peux-tu écouter les paroles de ces nouveaux-nés ?
- Niakoro, répondit le vieux, nous aussi les anciens nous devons apprendre et savoir que les connaissances actuelles ne sont pas innées en nous. Non, le savoir n'est pas une chose innée. Depuis des mois, j'apprends cela. Avec regret, crois-moi.
- Vaï ! des mensonges ! Tout ce que sait un enfant, une grande personne le sait mieux que lui.
- Tu ne travailles pas, toi. Tu ne sais pas qu'il y a de nouvelles machines. Moi non plus, je ne les connais pas. Mais demain, demain, Niakoro, que sais-tu de demain ? Si tout à l'heure, à la maison du syndicat, j'avais dit tes paroles que tu viens de dire, on m'aurait sorti !
- Et tes cheveux blancs, à quoi te servent-ils alors ?
- Ne confonds plus respect et savoir (...)."

Cependant, Ousmane Sembène a conféré à Niakoro un rôle important en dehors même de sa représentation "d'ancêtre" car il lui fait poser des questions profondes qui font repenser à quelques problématiques retranscrites dans l'Aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kane : que perd-on quand on prend ?
- la langue : "je n'ai jamais entendu dire qu'un toubabou ait appris le bambara ou une autre langue de ce pays. Mais vous autres, les déracinés, vous ne pensez qu'à ça. A croire que notre langue est tombée en décadence !"
- le jugement d'un grèviste ayant repris le travail selon un livre de toubabou la condition humaine lui est impensable...

Surtout, sa complicité avec sa petite-fille révèle d'autres facettes du personnage. Ces deux femmes sont très proches au-delà de leur différence de caractère, des incompréhensions liées à leur âge. Niakoro et Ad'jibid'ji partagent disputes et énigmes et les derniers mots d'Ad'jibidji seront la réponse de cette dernière à l'énigme de la défunte grand-mère.
Ci-dessous un extrait choisi démontrant cette fameuse complicité entre les deux femmes :
"Grand-mère, pourquoi dit-on en bambara M'bé sira ming, "je bois du tabac" ? Ming veut dire absorber tandis qu'en oulofou "avaler de l'eau" se dit nane et "aspirer la fumée" touhe. Il y a donc deux mots, comme en français. Pourquoi nous, les bambaras, nous n'avons pas aussi deux mots ? "
La grand-mère finira pas répondre par une autre énigme !
"Eh bien, puisque tu es une soungountou je-sais-tout, dis-moi qui est-ce qui lave l'eau ?".


D'où vient la précocité d'Ad'jibidji ?
Elle ne vient pas de sa mère, Assitan, femme aimable et docile, qui ne pose pas de questions, accepte son destin, son rôle "traditionnel"...
Vient-elle de l'école ? Peut-être...
Ce qui sûr, c'est que cette précocité est favorisée par Bakayoko, son "petit père" (le petit frère de son père défunt qui a épousé Assitan après le décès), qui l'amène à l'"assemblée des hommes" où elle est surnommée la Soungoutou "la jeune fille du syndicat", qui lui confie la gestion du prêt de ses livres en son absence, qui lui a appris quasi secrètement le oulof (langue parlée par lui et la grand-mère, Ad'jibidji étant elle-même une bambara), avec qui elle correspond... Leur complicité est forte et connue de tous.

Pourquoi avoir introduit un personnage si jeune ? De sexe féminin ?
Son intérêt est-il justifié par sa précocité ?
Tiémoko, l'une des fortes têtes des grévistes dit d'Ad'jibid'ji "il y a plus de choses dans la tête de cette enfant que dans toute cette assemblée".
D'autres enfants sont décrits dans le livre mais essentiellement dans leurs actions quotidiennes (les enfants de la concession, les apprentis qui sont plus âgés) mais leur impact est moindre.
Ad'jibid'ji symbolise-t-elle la relève féminine, la nouvelle femme ? Est-ce son jeune âge qui lui permet de s'"ingérer" dans les affaires des hommes sans grand mal ?
Quoiqu'il en soit, pour moi, le personnage d'Ad'jibidji, et le message d'Ousmane Sembène, ne peut se comprendre, s'analyser sans le personnage de sa grand-mère : Ad'jibidji entre dans ce nouveau monde avec les valeurs du monde de sa grand-mère ; Niakoro en part avec les prémices de celles du nouveau monde et surtout ses questionnements.
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GUIDILOU
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MessagePosté le: Jeu 08 Déc 2005 12:31    Sujet du message: Répondre en citant

Excellent travail Diali .Je voudrais te recommander un auteur qui n' a pas bonne presse sur Grioo(le forum) : Calixthe Beyala .J' ai lu hier deux de ses romans :" Femme nue, femme noire", et " La petite fille du réverbère " .Elle a une écriture féerique , une imagination débordante . J'ai beaucoup apprécié le caractère autobiographique de "La petite fille du réverbère" . Les personnages féminins sont bien campés , ont une épaisseur .
Je sais bien que son attitude dans les médias la dessert auprès du public africain. C'est la raison pour laquelle je l' ai découverte si tard .

http://www.arts.uwa.edu.au/AFLIT/BeyalaCalixthe.html

http://calixthe.beyala.free.fr/

http://www.grioo.com/info5746.html
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"Le savoir non digéré par la pensée est vain et la pensée non étayée par le savoir est dangereuse. "(Confucius)

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Diali
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MessagePosté le: Jeu 08 Déc 2005 13:16    Sujet du message: Répondre en citant

GUIDILOU a écrit:
Excellent travail Diali .Je voudrais te recommander un auteur qui n' a pas bonne presse sur Grioo(le forum) : Calixthe Beyala .J' ai lu hier deux de ses romans :" Femme nue, femme noire", et " La petite fille du réverbère " .Elle a une écriture féerique , une imagination débordante . J'ai beaucoup apprécié le caractère autobiographique de "La petite fille du réverbère" . Les personnages féminins sont bien campés , ont une épaisseur .
Je sais bien que son attitude dans les médias la dessert auprès du public africain. C'est la raison pour laquelle je l' ai découverte si tard .

http://www.arts.uwa.edu.au/AFLIT/BeyalaCalixthe.html

http://calixthe.beyala.free.fr/

http://www.grioo.com/info5746.html


GUIDILOU, merci.
Peux-tu nous mettre quelques extraits de ces livres dont tu parles, par exemple de ces personnages féminins pour rester dans la grille de lecture de ce post ?
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ARDIN
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MessagePosté le: Ven 09 Déc 2005 11:46    Sujet du message: Répondre en citant

diali a écrit:
ARDIN a écrit:

"Il ya des Perpetue un peu partout en Afrique et meme dans le monde"(Page 265)


Salut Ardin,

Merci pour tous ces posts que j'ai lus attentivement.
C'est une analyse très profonde que tu nous as proposée, vraiment très riche et qui me donne encore plus envie de découvrir le livre.

Je donne à vif mes impressions. Les réflexions que tu as présentées sont très denses donc il se peut que j'aie un peu simplifier le raisonnement ! Désolée d'avance !

Perpétue est la Femme, elle est l'Afrique, mais elle peut être aussi le Monde. Femme-symbole... Grande figure allégorique apparemment chez Mongo Béti.

Si le combat de Perpétue a échoué, pas assez mûr, comme peut-être celui de l'Afrique, l'espoir est là car on sait ce qu'il y a à combattre. Mongo Béti semble avoir montré le chemin dans son livre.
Je suis sûre que chaque femme, aujourd'hui même, quelque soit sa situation (même celles qui semblent les plus fortes dans les situations les plus enviables) se retrouve face à certains questionnements posés par l'analyse. En tous les cas, personnellement je me suis retrouvée dans beaucoup des problématiques traitées même si je n'ai pas eu à les vivre directement. Même si certaines sociétés "semblent" (et j'insiste sur le "semblent") plus favorables à la femme que d'autres de nos jours, même si les situations ne se conjuguent pas de la même façon, je crois de plus en plus en une identité purement féminine qui ressent où qu'elle soit, de façon presque innée, les questionnements soulevés par l'analyse parce liés à cette expérience commune à toutes les femmes depuis des siècles. Cette Femme doit d'abord et avant tout croire en sa force et en son pouvoir pour se désaliéner.

Ce que fait poindre l'analyse aussi, c'est le rôle-clé de la femme, après sa propre émancipation, dans l'émancipation de l'Afrique. C'est un très beau message en tous cas car ce dernier dépasse le clivage qui est souvent fait dans les sociétés traditionnelles, à savoir borner le monde de la femme à celui de l'intérieur, alors que celui de l'homme est par opposition ouvert sur l'extérieur.

Bonjour diali!
Je suis d'accord avec toi, sauf avec ce que j'ai mis en gras. Perpetue represente l'Afrique, dire qu'elle a echoue parce qu'elle n'etait pas mure, c'est tendancieux comme propos, si tu vois ce que je veux dire Wink Comme pour l'Afrique, aujourd'hui, on dit qu'elle n'est pas mure pour la democratie, pas mure pour ceci ou cela.....
L'ambition cachee est connue. Pour l'enchainer, il a fallu exploiter les distorsions des coutumes traditionnelles. Comme pour l'Afrique, pour l'asservir, il a fallu l'inferioriser. La maturite n'est ici qu'un pretexte...
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Diali
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MessagePosté le: Ven 09 Déc 2005 12:00    Sujet du message: Répondre en citant

Bonjour Ardin,

Pour te répondre, je reprends cet extrait que tu as posté.
Je me suis sûrement mal exprimé. Je vois qu'il me doit d'être plus explicite dans mes propos en général pour ne pas donner cette impression de glisser vers des choses auxquelles je n'ai jamais moi-même pensé !
En tous les cas, merci pour ta diplomatie !


ARDIN a écrit:
III AU DELA DU TRAUMATISME: LA MYSTIQUE REVOLUTIONNAIRE
1. Perpetue ou le symbole d'une revolution avortee.
Etant donne que les structures sus-evoquees incarnent la trahison et la destruction, notre auteur exhorte a une maternite politique, plus conquerante. Il s'agit d'accoucher les idees. L'assujettissement de Perpetue est le symbole de l'ecrasement de toute force progressiste capable d'emerger. Il s'agit de tuer dans l'oeuf toute velleite de revolte et de changement. Le peuple, l'Afrique et tous les opprimes sont alors incarnes par la femme. Celle-ci, symbolise la terre-mere violee et souillee. "Il ya des Perpetue un peu partout en Afrique et meme dans le monde"(Page 265). Notre martyr est le genie assassine de nombreuses forces vives et creatrices par la tyrannie de Baba Toura, pratiquant de la sorte, du cannibalisme politique. Finalement, ses malheurs sont presentes autant pour leur valeur de choc que pour leur pouvoir de metaphore.
En effet, la connivence tacite liant la violence conjugale et la violence politique resonne puissamment sur le plan ideologique. Elle en a appelle au militantisme et a la defense des droits de la personne humaine. Il est vrai qu'en structure de surface, Mongo Beti tire une sonnette d'alarme sur l'amelioration des structures sanitaires par la reforme des maternites et au respect de la femme mais en structure profonde l'auteur est en quete de la democratisation de tous les aspects de la societe. Cette maternite-alibi depasse le cadre du social pour prendre une forme plus large de la revendication d'un etat de droit.
La mort prematuree de Perpetue est de loin un temoignage de l'echec d''une revolution. Elle traduit une immaturite dans l'action ainsi qu'une certaine lachete. Meme si l'Afrique a besoin des forces progressistes pour lutter efficacement contre les forces alienantes, la petite Perpetue n'est encore qu'une jeune pousse. Cette disparition precoce degage un parfum d'inacheve tout en laissant un sentiment d'amertume et une profonde tristesse. Ici l'on est en phase avec son dynamisme sur une table d'accouchement.
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ARDIN
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MessagePosté le: Ven 09 Déc 2005 13:21    Sujet du message: Répondre en citant

diali a écrit:
Bonjour Ardin,

Pour te répondre, je reprends cet extrait que tu as posté.
Je me suis sûrement mal exprimé. Je vois qu'il me doit d'être plus explicite dans mes propos en général pour ne pas donner cette impression de glisser vers des choses auxquelles je n'ai jamais moi-même pensé !
En tous les cas, merci pour ta diplomatie !


ARDIN a écrit:
III AU DELA DU TRAUMATISME: LA MYSTIQUE REVOLUTIONNAIRE
1. Perpetue ou le symbole d'une revolution avortee.
Etant donne que les structures sus-evoquees incarnent la trahison et la destruction, notre auteur exhorte a une maternite politique, plus conquerante. Il s'agit d'accoucher les idees. L'assujettissement de Perpetue est le symbole de l'ecrasement de toute force progressiste capable d'emerger. Il s'agit de tuer dans l'oeuf toute velleite de revolte et de changement. Le peuple, l'Afrique et tous les opprimes sont alors incarnes par la femme. Celle-ci, symbolise la terre-mere violee et souillee. "Il ya des Perpetue un peu partout en Afrique et meme dans le monde"(Page 265). Notre martyr est le genie assassine de nombreuses forces vives et creatrices par la tyrannie de Baba Toura, pratiquant de la sorte, du cannibalisme politique. Finalement, ses malheurs sont presentes autant pour leur valeur de choc que pour leur pouvoir de metaphore.
En effet, la connivence tacite liant la violence conjugale et la violence politique resonne puissamment sur le plan ideologique. Elle en a appelle au militantisme et a la defense des droits de la personne humaine. Il est vrai qu'en structure de surface, Mongo Beti tire une sonnette d'alarme sur l'amelioration des structures sanitaires par la reforme des maternites et au respect de la femme mais en structure profonde l'auteur est en quete de la democratisation de tous les aspects de la societe. Cette maternite-alibi depasse le cadre du social pour prendre une forme plus large de la revendication d'un etat de droit.
La mort prematuree de Perpetue est de loin un temoignage de l'echec d''une revolution. Elle traduit une immaturite dans l'action ainsi qu'une certaine lachete. Meme si l'Afrique a besoin des forces progressistes pour lutter efficacement contre les forces alienantes, la petite Perpetue n'est encore qu'une jeune pousse. Cette disparition precoce degage un parfum d'inacheve tout en laissant un sentiment d'amertume et une profonde tristesse. Ici l'on est en phase avec son dynamisme sur une table d'accouchement.

Salut!

Il aurait fallu que je precise au depart que je me demarquais a ce niveau de l'analyse du Dr Cecile Dolisane-Ebosse. La divergence ne se situe qu'a ce niveau.
Bien a toi.
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MessagePosté le: Ven 09 Déc 2005 17:37    Sujet du message: Répondre en citant

ARDIN a écrit:
diali a écrit:
Bonjour Ardin,

Pour te répondre, je reprends cet extrait que tu as posté.
Je me suis sûrement mal exprimé. Je vois qu'il me doit d'être plus explicite dans mes propos en général pour ne pas donner cette impression de glisser vers des choses auxquelles je n'ai jamais moi-même pensé !
En tous les cas, merci pour ta diplomatie !


ARDIN a écrit:
III AU DELA DU TRAUMATISME: LA MYSTIQUE REVOLUTIONNAIRE
1. Perpetue ou le symbole d'une revolution avortee.
Etant donne que les structures sus-evoquees incarnent la trahison et la destruction, notre auteur exhorte a une maternite politique, plus conquerante. Il s'agit d'accoucher les idees. L'assujettissement de Perpetue est le symbole de l'ecrasement de toute force progressiste capable d'emerger. Il s'agit de tuer dans l'oeuf toute velleite de revolte et de changement. Le peuple, l'Afrique et tous les opprimes sont alors incarnes par la femme. Celle-ci, symbolise la terre-mere violee et souillee. "Il ya des Perpetue un peu partout en Afrique et meme dans le monde"(Page 265). Notre martyr est le genie assassine de nombreuses forces vives et creatrices par la tyrannie de Baba Toura, pratiquant de la sorte, du cannibalisme politique. Finalement, ses malheurs sont presentes autant pour leur valeur de choc que pour leur pouvoir de metaphore.
En effet, la connivence tacite liant la violence conjugale et la violence politique resonne puissamment sur le plan ideologique. Elle en a appelle au militantisme et a la defense des droits de la personne humaine. Il est vrai qu'en structure de surface, Mongo Beti tire une sonnette d'alarme sur l'amelioration des structures sanitaires par la reforme des maternites et au respect de la femme mais en structure profonde l'auteur est en quete de la democratisation de tous les aspects de la societe. Cette maternite-alibi depasse le cadre du social pour prendre une forme plus large de la revendication d'un etat de droit.
La mort prematuree de Perpetue est de loin un temoignage de l'echec d''une revolution. Elle traduit une immaturite dans l'action ainsi qu'une certaine lachete. Meme si l'Afrique a besoin des forces progressistes pour lutter efficacement contre les forces alienantes, la petite Perpetue n'est encore qu'une jeune pousse. Cette disparition precoce degage un parfum d'inacheve tout en laissant un sentiment d'amertume et une profonde tristesse. Ici l'on est en phase avec son dynamisme sur une table d'accouchement.

Salut!

Il aurait fallu que je precise au depart que je me demarquais a ce niveau de l'analyse du Dr Cecile Dolisane-Ebosse. La divergence ne se situe qu'a ce niveau.
Bien a toi.



Je m'étais "contentée" de reprendre les grands points de son analyse.
Il faut surtout voir si c'est vraiment le message qu'a voulu transmettre Mongo Béti dans son ouvrage. Je suppose que non...

Sinon, je pense terminer sur mon analyse des bouts de bois de Dieu ce week end.
Ensuite, j'attaque Ségou de Maryse Condé.
Je pense que la lecture des deux tomes me prendra un peu de temps Laughing (temps dont je ne dispose pas trop ces temps-ci en plus) donc si en attendant, d'autres veulent bien prendre le relai sur ce post, ce serait super !
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MessagePosté le: Sam 10 Déc 2005 19:50    Sujet du message: Répondre en citant

diali a écrit:

Après le complément d'exposé sur la grand-mère et la petite-fille, j'évoquerai quelques problématiques traitées dans le livre (intégrées à la problématique générale de la colonisation) à savoir :
- l'introduction du fer en Afrique ;
- le rapport à la langue ;
- le parasitage des autorités africaines (politique et religieuse) ;
- les relations noirs/blancs (de façon générale : inégalité/mépris mais Ousmane Sembène ouvre sur d'autres types de relations plus marginales mais existantes),
etc.



On y est !

Pour essayer de ne pas tout dire, je vais proposer surtout quelques petits extraits par thématique :

L'introduction du fer (chemin de fer) en Afrique

"Lorsque la fumée s'arrêta de flotter sur la savane, ils comprirent qu'un temps était révolu, le temps dont parlaient les anciens, le temps où l'Afrique était un potager. C'était la machine qui maintenant régnait sur leur pays. En arrêtant sa marche sur plus de quinze cents kilomètres, ils prirent conscience de leur force, mais aussi conscience de leur dépendance. En vérité, la machine était en train de faire d'eux des hommes nouveaux. Elle ne leur appartenait pas, c'était eux qui lui appartenaient. En s'arrêtant, elle leur donna cette leçon."

"Une fois par semaine seulement la "fumée de la savane" courait à travers la brousse, conduite par des Européens. Alors les grévistes tendaient leurs oreilles, tels des lièvres surpris par un bruit insolite. Pendant un instant, le passage de la locomotive apaisait le drame qui se jouait dans leur coeur, car leur communion avec la machine était profonde et forte, plus forte que les barrières qui les séparaient de leurs employeurs, plus forte que cet obstacle jusqu'alors infranchissable : la couleur de leur peau. "

Il y a plusieurs extraits dans le livre qui mettent en valeur ce rapport devenu presque charnel avec la machine, chose étrangère dont les cheminots se sont appropriés à part entière, dépassant le lien avec ceux qui l'ont apportée.

Le rapport à la langue

Ce sont surtout par les bouches de Niakoro-la-vieille et de Bakayoko que la problématique surgit, à savoir l'inégalité imposée par le pouvoir colonial entre la langue française et les langues africaines.
Niakoro s'interroge sur cet engouement des membres de sa communauté à apprendre le toubabou alors qu'aucun toubabou de sa connaissance n'a fait l'effort d'apprendre une langue africaine.
Bakayoko, lors des négociations patronales, osera retourner la situation imposée par ce pouvoir colonial, à savoir la langue française élevée en langue maîtresse et l'ignorance attribuée à celui qui ne sait pas la parler :
"... étant donné que votre ignorance d'au moins une de nos langues est un handicap pour vous, nous emploierons le français, c'est une question de politesse. Mais c'est une politesse qui n'aura qu'un temps."

Lors de la grande réunion à l'hippodrome de Dakar, alors que toutes les autorités s'adressèrent à la foule en français, il parlera en oulof.

La langue est symbolique. Son respect implique le respect du peuple qui la parle, de son histoire, de ses coutumes, de son intégrité.
Il y a un sujet sur la langue dans le forum, les bouts de bois de Dieu illustre parfaitement la problématique.

Le parasitage des autorités africaines (politique et religieuse)

Ousmane Sembène n'épargne aucune autorité, ni politique, ni religieuse.
Je pense même qu'il met le poids sur l'autorité religieuse parce qu'elle touche encore plus de personnes, parce que peut-être, elle ne devrait pas prendre parti dans ce conflit, ce n'est pas son rôle.

"Les imams, furieux de la résistance des ouvriers à leurs injonctions, se déchaînaient contre les délégués, les chargeant de tous les pêchés : l'athéisme, l'alcoolisme, la prostitution, la mortalité infantile ; ils prédisaient même que ces mécréants amèneraient la fin du monde...".

On se souvient bien aussi du discours infantilisant, moralisant, pro-autorité coloniale du Serigne N'Dakarou aux femmes regroupées près du commissariat où a été amenée Ramatoulaye.

Lors des discours du sérigne, du gouverneur, du député à l'hippodrome de Dakar, l'ironie d'Ousmane Sembène fuse :
- en parlant du Sérigne : "pour donner plus de poids à ses paroles, il termina en lisant les deux premiers versets du Coran d'une voix forte" ;
- en parlant du gouverneur : "il raconta comment il avait passé trente ans de sa vie à s'intéresser et à résoudre les problèmes coloniaux. Il se reprit vite et dit "problèmes africains" ;
- en parlant du député : "vous savez qu'à l'assemblée nationale, nous ne disposons pas de tellement de voix et qu'il nous faut donc manoeuvrer".

Les relations noirs/blancs

Elles sont un peu complexes.
Ousmane Sembène distingue deux niveaux :
- les relations "quotidiennes" entre habitants d'une même ville qui évolueront du fait de la grève.
Ces relations semblaient avant la grève "normales", du moins c'est ce que laisse présager la première ligne de l'extrait proposé ci-dessous.
"Ceux des deux races qui avaient entretenu de bonnes relations d'amitié évitaient de se rencontrer. Les femmes blanches n'allaient plus au marché sans se faire accompagner d'un policier : on vit même des femmes noires refuser de leur vendre leurs marchandises."
Par contre, on est en droit de s'interroger si elles étaient vraiment "normales" puisque les réactions démontrent une confusion entre le conflit social (dont en effet la revendication principale est l'alignement aux droits des cheminots blancs) et le conflit racial si je puis dire.
- les relations d'autorité :
pour ce point-là, il y a une relation de mépris, de paternalisme, qui est généralisée de la part des Blancs envers les Noirs.
Le personnage d'Isnard, contremaître est particulièrement "intéressant" pour cette problématique. Il est donc un personnage répugnant et, emblématique d'une façon de penser.
"Tu sais, je n'ai qu'une parole et je considère les Nègres comme les Blancs. De plus, je les aime.
Doudou avait enfin l'occasion de se venger :
- Bakayoko, le roulant, affirme que ceux qui nous disent : "J'aime les Noirs" sont des menteurs.
- Ah ! celui-là, il verra quand la grève sera finie !
Et Isnard ajouta, comme s'il était profondément vexé :
- Moi, je n'aime pas les Noirs ?
- Alors, explique-moi pourquoi tu les aimes. Un Noir, ce n'est pas un fruit ni un lit. Pourquoi dis-tu "Je les aime" ?"

Lorsque la grève aboutit et qu'Isnard doit se résoudre à partir :
"Mais. Bon Dieu ! Isnard éclata. Qu'est-ce qui se passe, qu'on laisse ces sauvages, ces enfants décider ? Ils ne savent même pas ce qui est bon pour eux."


Je pourrais évoquer d'autres personnages qui ont plus ou moins le même profil mais je pense qu'il y a plus intérêt à évoquer un autre type de Blanc représenté par le personnage de Leblanc, méprisé par les siens.
"Ils recevaient Leblanc parce qu'il était de leur race, mais ils n'avaient que mépris pour ce raté, cet ancien étudiant qui avait un beau jour débarqué en Afrique, "pour faire de l'éthnographie", avait vagabondé de-ci de-là en compagnie d'un Haïtien, puis un jour avait accepté un petit emploi à la Régie et depuis, n'avait plus quitté l'Afrique, partageant son temps entre son travail et la boisson. Peu nombreux étaient ceux qui savaient que la déchéance de Leblanc était moins le fait d'une ambition déçue que celui d'une attente découragée. C'est en vain qu'il avait tenté de nouer des relations amicales avec des Africains, son savoir les intimidait, sa timidité les tenait à distance. Cette hostilité ou plutôt cette absence de réponse à ses avances l'avait peu à peu découragé, l'alcool avait accentué son amertume et avait fini par faire de lui un être déchu dont les Noirs riaient et que les Blancs méprisaient."

"C'est vrai, je suis un râté, dit Leblanc. J'ai tout râté, même ma trahison. J'aime les Noirs mais ils me ferment leur porte au nez. Pourtant je leur ai envoyé vingt mille francs pour leur grève. Oui, messieurs, ce n'est pas la peine de me regarder avec vos yeux de maquereaux trop cuits, je l'ai fait : deux fois dix mille francs".

Le mot "aimer" dans la bouche d'un Isnard menteur, ou d'un Leblanc sincère, est-il aussi dangereux ? Le Blanc ne peut-il qu'avoir une attitude excessive envers le Noir du fait de la situation malsaine liée à l'histoire ?


Le regard dans le sens Noirs/Blancs est moins abordé, si ce n'est par la problématique générale de la grève dont la revendication principale est l'alignement des droits des cheminots noirs avec les cheminots blancs, la volonté de se faire respecter...
Ousmane Sembène traite surtout ce sens-là par son personnage féminin N'deye Touti (au départ en admiration et en complet déni face à ses propres origines), mais aussi de façon anecdotique avec certaines femmes de la concession qui traitent Penda de "toubabesse" parce qu'elle fait sécher ses dessous en plein air (donc, sans pudeur).


Sinon, je n'en ai pas encore fini avec ce roman Laughing : je ferai une grosse conclusion dans les prochains jours sur l'évolution du rôle de la femme liée à cette grève et sur l'une des armes utilisées par les femmes des grévistes, à savoir le chant.
En attendant, que ceux qui ont lu le livre n'hésitent pas à faire leurs propres commentaires, notamment s'ils n'ont pas perçu le roman de cette façon Wink .
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MessagePosté le: Jeu 15 Déc 2005 07:48    Sujet du message: Répondre en citant

Trois extraits du livre, cités par ordre "chronologique" et qui permettent de faire cette conclusion sur l'évolution du rôle de la femme liée à cette grève.

"Un matin, une femme se leva, elle serra fortement son pagne autour de sa taille et dit :
- Aujourd'hui, je vous apporterai à manger.
Et les hommes comprirent que ce temps, s'il enfantait d'autres hommes, enfantait aussi d'autres femmes".

La grève donne le pouvoir à la femme de remplir une des tâches dévolues à l'homme, ce qui lui offrira une partie de son nouveau "pouvoir". Du coup, la grève crée une "nouvelle sorte" de femmes.


"De la rue un chant montait. Les femmes que Dyenaba et Penda avaient formé en cortège, improvisaient un chant qu'elles dédiaient à leurs hommes.

Il fait jour et c'est un jour pour l'Histoire,
Une lueur vient de l'horizon.
Il n'y a plus de "Fumée de la savane",
De Dakar à Koulikoro.
C'est le Dix Octobre, journée décisive,
Nous l'avons juré sur le "Grouille Yaram" (place publique)
Nous, vos femmes, vous soutiendrons jusqu'au bout.
Pour surmonter les duretés de la lutte
Nous vendrons boubous et bijoux.
Vous avez allumé le flambeau de l'espoir,
Elle n'est plus loin, la victoire.
Il fait jour et c'est un jour pour l'Histoire,
Une lueur vient de l'horizon."


La femme n'est pas passive, elle participe à cette lutte initiée par l'homme. Elle prend les devants en étant prête au sacrifice personnel pour cette lutte "historique". Mais elle se place en soutien à son mari.

Lettre de Lahib à Bakayoko :
"Le retour des marcheuses a été bien accueilli, mais les hommes ont du mal à les dompter. Moi-même au début, elles venaient m'assaillir comme des lionnes, elles voulaient tout commander ! Enfin, tout est rentré dans l'ordre, les enfants ne sont pas revenus et tous les jours elles vont au lac. Mais à l'avenir il faudra compter avec elles".

La femme n'interviendra plus seulement en soutien, mais sera associée désormais aux initiatives. Le "avec" est particulièrement fort. La femme a gagné son pouvoir de décision avec l'homme.
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MessagePosté le: Ven 16 Déc 2005 09:13    Sujet du message: Répondre en citant

Je suis donc en train de lire Ségou de Maryse Condé. Je n'en suis qu'à un peu plus de la moitié du premier tome Les murailles de terre.
J'en conseille vivement la lecture à ceux qui comme moi, n'étaient jamais tombé dessus jusqu'à présent : c'est un livre très riche, qui happe par ses mots, ses personnages, ses histoires individuelles ancrées dans l'Histoire... bref, par son atmosphère envoûtante créée par un assemblage savant de tout ça.

J'en apprends énormément tant sur les différents royaumes africains, les relations entre les différents groupes... L'islamisation permet de souligner les différends entre ces groupes, notamment Peuhls et Bambaras.
La traite des esclaves est abordée dans toute sa complicité et toutes ses facettes.

Ce premier tome, que je n'ai donc pas fini, permet d'aborder l'Histoire à travers le destin d'une famille, celle de Dousika Traoré, mais surtout de certains de ses fils.

L'exposé que je ferai de cet ouvrage se fera comme d'habitude par la grille de lecture "femmes". Les personnages féminins ne sont pas en reste dans ce roman et apporteront un éclairage supplémentaire au sujet.
Mais comme d'habitude, je profiterai des sujets historiques traités dans l'ouvrage pour ouvrir la réflexion sur des sujets débattus par les grioonautes.

Je commençais à faire un arbre généalogique compte-tenu du nombre important de personnages mais je me suis aperçue que celui-ci était déjà dressé en fin du premier tome. Suivent des notes historiques et ethnographiques sur lesquelles Maryse Condé a basé sa fiction, avec l'aide d'amis chercheurs et historiens en sciences humaines qu'elle cite en préface : Amouzovi Akakpo, Adame Ba Konare, Ibrahima Baba Kake, Lilyan Kesteloot, Elikia M'Bokolo, Madina Ly Tall, Olabiyi Yai, Robert Pageard et Oliveira dos Santos.

La fiction démarre dans le Royaume de Ségou, sur le fleuve Joliba (Niger).
Du fait du périple des personnages, elle s'étend sur le Mali actuel, le Sénégal actuel, le Bénin actuel mais aussi le Brésil...

Je pense travailler aussi sur le contexte du livre car sa richesse m'a donné l'envie d'en savoir plus.

Pour commencer, quelques lignes sur son auteur dont la récente actualité "française" fait parler : Maryse Ségou.

Maryse Ségou est née en Guadeloupe. Elle a étudié à Paris, avant de partir vivre en Afrique, notamment au Mali, d'où elle a tiré Ségou, publié en 1985, qu'elle dédicace à son aïeule bambara. Elle a été en 1993 la première femme à recevoir le prix Putterbaugh décerné aux Etats-Unis à un écrivain de langue française. Elle enseigne la littérature caribéenne et française à l'université de Columbia de New York.
La plupart de ses ouvrages traitent de la mémoire hantée par l'esclavage et le colonialisme, et pour les descendants des exilés, sur une identité en quête d'elle-même (cf. La migration des coeurs, Desiderada, Célanire cou coupé).
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MessagePosté le: Ven 16 Déc 2005 09:25    Sujet du message: Répondre en citant

http://www.lehman.cuny.edu/ile.en.ile/paroles/conde.html

Un site sur lequel je me pencherai plus tard...
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MessagePosté le: Ven 23 Déc 2005 14:26    Sujet du message: Répondre en citant

diali a écrit:
Je suis donc en train de lire Ségou de Maryse Condé. Je n'en suis qu'à un peu plus de la moitié du premier tome Les murailles de terre.
J'en conseille vivement la lecture à ceux qui comme moi, n'étaient jamais tombé dessus jusqu'à présent : c'est un livre très riche, qui happe par ses mots, ses personnages, ses histoires individuelles ancrées dans l'Histoire... bref, par son atmosphère envoûtante créée par un assemblage savant de tout ça.

J'en apprends énormément tant sur les différents royaumes africains, les relations entre les différents groupes... L'islamisation permet de souligner les différends entre ces groupes, notamment Peuhls et Bambaras.
La traite des esclaves est abordée dans toute sa complicité et toutes ses facettes.


Ah la la.. Ségou...

Au delà de la prouesse et du travail Titanesque dans la reproduction des faits historiques, la construction psychologique des personnages, l'etendue sur le temps (60 ans) et dans l'espace (3 continents), c'est un livre immensément beau, infini.

Ce livre, quand je le lisais, parfois je tombais sur des passages d'une telle beauté que je le refermais, puis je relisais le même passage, encore et encore, hypnotisé.
Tiens, j'ai le livre sous la main je vais en reproduire un:

"Pour Siga, l'amour fut pareil aux premières pluies de l'hivernage. La saison sèche s'est étirée interminablement. La terre est craquelée ou poudreuse. L'herbe est rousse. Les arbres désséchés n'en peuvent plus. Et puis les nuages s'accumulent au dessus des champs. Bientôt ils crèvent. Les enfants nus courent au dehors pour recevoir les premières gouttes, espacées et brûlantes. Et puis tout pousse, le riz, le mil, les courges. Le poisson emplit les nasses. Les bergers abreuvent leurs troupeaux. Comment avait-il pu vivre sans Fatima?"

Vous pouvez vous farcir une centaine de livres sans tomber sur un passage pareil.
Il faut lire ce passage à haute voix pour en saisir l'essence, qui est la fusion entre le rythme et les images, la visualisation de ce qui est écrit pour comprendre l'intensité d'une émotion.
C'est ça, Maryse Condé.
Convertissez-vous.

Je suis bien curieux de lire ce que tu auras à dire sur ce livre, diali.
Et quand tu l'auras fini, tu pourras si tu le désires embrayer sur "Texaco" de Patrick Chamoiseau (Prix Goncourt en 1992) ou "Pétales de Sang" de Ngugi Wa Thiong'o (un de mes coups de coeur en 2005).
Si ce sont les caractères féminins qui t'intéressent tu auras du pain sur la planche.
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Nato
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MessagePosté le: Sam 24 Déc 2005 14:53    Sujet du message: la grande royale est l'unique Répondre en citant

diali a écrit:
La Grande Royale était la soeur aînée du chef des Diallobé. On racontait que, plus que son frère, c'est elle que le pays craignait. Si elle avait cessé ses infatigables randonnées à cheval, le souvenir de sa grande silhouette n'en continuait pas moins à maintenir dans l'obeissance des tribus du Nord, réputées pour leur morgue hautaine. Le chef des Diallobé était de nature paisible. Là où il préférait en appeler la compréhension, sa soeur tranchait par voie d'autorité.

"Mon frère n'est pas un prince, avait-elle coutume de dire. C'est un sage". Ou bien encore : "Le souverain ne doit jamais raisonner au grand jour, et le peuple ne doit pas voir son visage de nuit".

Elle avait pacifié le Nord par sa fermeté. Son prestige avait maintenu dans l'obéissance les tribus subjuguées par sa personnalité extraordinaire. C'est le Nord qui l'avait surnommée la Grande Royale.



C'est en fait l'un des seuls personnages africains féminin d'un roman dont j'en suis réellement fière et qui devrait servir d'exemple aux ecrivains Africains... si non en général, l'Africaine dans la plupart des romans est celle qui est victime parceque delaissée par un homme, en guerre perpetuelle avec ses co-épouses, ne pense qu'à tel homme...etc. Le comble est dans les films ivoiriens d'ailleurs je ne suis pas du tout. Laughing
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MessagePosté le: Dim 25 Déc 2005 14:44    Sujet du message: Répondre en citant

Maryse Condé a toujours donné des rôles très fort à ces personnages féminin, elles ne sont pas spectatrices mais actrices de leurs vies. Dans "Moi Tituba sorcière noire de Salem", c'est à une femme émancipée, qu'elle confit la lourde tâche de porter le roman; Avec Maryse Condé, j'ai découvert des portraits de femmes afro-antillaise avec ce même trait de caractère : Une force égale à celle des hommes.

J'aimerai avoir l'avis de Chabine sur cette écrivaine. J'ai le sentiment qu'elle n'est pas appréciée à sa juste valeurs aux Antilles; pourquoi?

Je sais que l'adaptation du roman raciste "le haut des hurlevents" peut être discuté, mais...
_________________


"- A quoi est due la chute d'Adam et Eve ?
- C'était une erreur de Genèse."
(Boris Vian / 1920-1959)

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MessagePosté le: Dim 25 Déc 2005 18:48    Sujet du message: Répondre en citant

BMW a écrit:

Ah la la.. Ségou...

Au delà de la prouesse et du travail Titanesque dans la reproduction des faits historiques, la construction psychologique des personnages, l'etendue sur le temps (60 ans) et dans l'espace (3 continents), c'est un livre immensément beau, infini.

Ce livre, quand je le lisais, parfois je tombais sur des passages d'une telle beauté que je le refermais, puis je relisais le même passage, encore et encore, hypnotisé.
Tiens, j'ai le livre sous la main je vais en reproduire un:

"Pour Siga, l'amour fut pareil aux premières pluies de l'hivernage. La saison sèche s'est étirée interminablement. La terre est craquelée ou poudreuse. L'herbe est rousse. Les arbres désséchés n'en peuvent plus. Et puis les nuages s'accumulent au dessus des champs. Bientôt ils crèvent. Les enfants nus courent au dehors pour recevoir les premières gouttes, espacées et brûlantes. Et puis tout pousse, le riz, le mil, les courges. Le poisson emplit les nasses. Les bergers abreuvent leurs troupeaux. Comment avait-il pu vivre sans Fatima?"

Vous pouvez vous farcir une centaine de livres sans tomber sur un passage pareil.
Il faut lire ce passage à haute voix pour en saisir l'essence, qui est la fusion entre le rythme et les images, la visualisation de ce qui est écrit pour comprendre l'intensité d'une émotion.
C'est ça, Maryse Condé.
Convertissez-vous.

Je suis bien curieux de lire ce que tu auras à dire sur ce livre, diali.
Et quand tu l'auras fini, tu pourras si tu le désires embrayer sur "Texaco" de Patrick Chamoiseau (Prix Goncourt en 1992) ou "Pétales de Sang" de Ngugi Wa Thiong'o (un de mes coups de coeur en 2005).
Si ce sont les caractères féminins qui t'intéressent tu auras du pain sur la planche.


Salut BMW,
si tu savais le nombre de livres qui m'attendent sagement sur mon bureau après Ségou !!!
J'ai commencé La Terre en miettes mais le temps que je relise les deux tomes, il faudra être un peu patient pour mes commentaires !
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MessagePosté le: Dim 25 Déc 2005 18:52    Sujet du message: Répondre en citant

diali a écrit:
BMW a écrit:

Ah la la.. Ségou...

Au delà de la prouesse et du travail Titanesque dans la reproduction des faits historiques, la construction psychologique des personnages, l'etendue sur le temps (60 ans) et dans l'espace (3 continents), c'est un livre immensément beau, infini.

Ce livre, quand je le lisais, parfois je tombais sur des passages d'une telle beauté que je le refermais, puis je relisais le même passage, encore et encore, hypnotisé.
Tiens, j'ai le livre sous la main je vais en reproduire un:

"Pour Siga, l'amour fut pareil aux premières pluies de l'hivernage. La saison sèche s'est étirée interminablement. La terre est craquelée ou poudreuse. L'herbe est rousse. Les arbres désséchés n'en peuvent plus. Et puis les nuages s'accumulent au dessus des champs. Bientôt ils crèvent. Les enfants nus courent au dehors pour recevoir les premières gouttes, espacées et brûlantes. Et puis tout pousse, le riz, le mil, les courges. Le poisson emplit les nasses. Les bergers abreuvent leurs troupeaux. Comment avait-il pu vivre sans Fatima?"

Vous pouvez vous farcir une centaine de livres sans tomber sur un passage pareil.
Il faut lire ce passage à haute voix pour en saisir l'essence, qui est la fusion entre le rythme et les images, la visualisation de ce qui est écrit pour comprendre l'intensité d'une émotion.
C'est ça, Maryse Condé.
Convertissez-vous.

Je suis bien curieux de lire ce que tu auras à dire sur ce livre, diali.
Et quand tu l'auras fini, tu pourras si tu le désires embrayer sur "Texaco" de Patrick Chamoiseau (Prix Goncourt en 1992) ou "Pétales de Sang" de Ngugi Wa Thiong'o (un de mes coups de coeur en 2005).
Si ce sont les caractères féminins qui t'intéressent tu auras du pain sur la planche.


Salut BMW,
si tu savais le nombre de livres qui m'attendent sagement sur mon bureau après Ségou !!!
J'ai commencé La Terre en miettes mais le temps que je relise les deux tomes, il faudra être un peu patient pour mes commentaires !

Prend tout ton temps, bien sûr. Cool
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MessagePosté le: Dim 25 Déc 2005 19:05    Sujet du message: Re: la grande royale est l'unique Répondre en citant

Nato a écrit:
diali a écrit:
La Grande Royale était la soeur aînée du chef des Diallobé. On racontait que, plus que son frère, c'est elle que le pays craignait. Si elle avait cessé ses infatigables randonnées à cheval, le souvenir de sa grande silhouette n'en continuait pas moins à maintenir dans l'obeissance des tribus du Nord, réputées pour leur morgue hautaine. Le chef des Diallobé était de nature paisible. Là où il préférait en appeler la compréhension, sa soeur tranchait par voie d'autorité.

"Mon frère n'est pas un prince, avait-elle coutume de dire. C'est un sage". Ou bien encore : "Le souverain ne doit jamais raisonner au grand jour, et le peuple ne doit pas voir son visage de nuit".

Elle avait pacifié le Nord par sa fermeté. Son prestige avait maintenu dans l'obéissance les tribus subjuguées par sa personnalité extraordinaire. C'est le Nord qui l'avait surnommée la Grande Royale.



C'est en fait l'un des seuls personnages africains féminin d'un roman dont j'en suis réellement fière et qui devrait servir d'exemple aux ecrivains Africains... si non en général, l'Africaine dans la plupart des romans est celle qui est victime parceque delaissée par un homme, en guerre perpetuelle avec ses co-épouses, ne pense qu'à tel homme...etc. Le comble est dans les films ivoiriens d'ailleurs je ne suis pas du tout. Laughing



Salut Nato,

C'est vrai que le personnage de la Grande Royale est particulièrement fort et tranche avec la plupart des personnages féminins qui ont pu être décrits ici.

Je suis d'accord aussi sur ta remarque générale mais je pense que, comme c'est souvent le cas, la situation est plus complexe qu'il n'en paraît et pour plusieurs raisons. J'en propose quelques-unes ci-dessous :
- certains auteurs, et notamment Ousmane Sembène, ont réussi à montrer dans leurs oeuvres comment se manifeste le pouvoir des femmes. En effet, l'homme est dominant en apparence mais finalement, c'est la femme qui gère la vie quotidienne, qui décide dans le foyer, qui maîtrise véritablement la situation, même si en effet sa condition première semble difficile.
- il faut dissocier la situation de la femme en fonction de sa situation familiale et de son rang.
- avec notre regard d'aujourd'hui, les personnages féminins semblent souvent trop faibles, trop soumis mais parce que finalement, leur pouvoir et leur force se situent à un autre niveau qui est peut-être moins valorisé aujourd'hui.
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Diali
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MessagePosté le: Jeu 12 Jan 2006 18:26    Sujet du message: Répondre en citant

juste quelques mots pour dire que je reprendrai ce petit travail-passion dans quelques temps, que ce sujet est très important pour moi mais que j'ai ressenti le besoin d'une petite pause...
mais la pause qui devait durer juste quelques petits jours devient plus grande que prévu !
pour les grands lecteurs, vous comprendrez ces phases que l'on traverse où l'on a l'impression que l'on peut juste vivre par les livres, par procuration en quelque sorte... Mais ces phases font place alors à ces autres phases où l'on ne veut se nourrir que par soi-même... et ainsi de suite !
voilà, j'ai juste eu besoin de retrouver un peu de ma vie avant de retourner me nourrir dans tous ces beaux livres !
mais promis, je reviens bientôt !
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Diali
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MessagePosté le: Sam 25 Fév 2006 07:14    Sujet du message: Répondre en citant

Je passe juste pour dire qu'en préparation d'un petit voyage que je m'apprête à faire dans le Nordeste au Brésil, à Olinda plus précisément, je me suis un peu lancée dans la littérature brésilienne, notamment avec Jorge Amado qui, dans ses romans, choisit des personnages noirs comme héros, pour évoquer/dénoncer leur situation socio-économique, leur histoire, etc., comme par exemple dans "Bahia de tous les saints". A bientôt ! Wink
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Linguere
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MessagePosté le: Mar 14 Mar 2006 21:42    Sujet du message: Répondre en citant

Soleil: Mardi 14 Mar 2006

Citation:
Rencontre des femmes écrivains à Gorée: Aminata Sow Fall donnée en exemple à la nouvelle génération

Ses consoeurs ainsi que les hommes de lettres ont rendu, samedi, un bel hommage à l’écrivain Aminata Sow Fall, pour son action dans le rayonnement de la littérature sénégalaise et africaine. C’était à l’occasion d’une rencontre, initiée à la Maison Mariama Ba de Gorée, dans le cadre du programme culturel du musée de la femme Henriette Bathily à Gorée.

« Aminata Sow Fall, aujourd’hui , c’est ton jour. Vous représentez toutes les femmes- écrivains sénégalaises présentes ou absentes ». Ces propos de la directrice fondatrice du Musée de la Femme Henriette Bathily, Annette Mbaye d’Erneville, démontrent la place qu’Aminata Sow Fall occupe dans la littérature féminine du Sénégal. Elle fait partie des premières femmes sénégalaises (ainsi qu’Annette Mbaye d’Erneville) à s’engager dans la littérature. Elle ne voulait pas devenir écrivain, mais elle a publié 8 romans. Le style et les thèmes de ses publications ont convaincu plus d’un. Elle est l’une des rares femmes dont les œuvres sont traduites en anglais et enseignées dans les établissements scolaires. Aminata Sow Fall a véhiculé depuis 1976, année de la publication de son premier livre « Le Revenant », une image vivante de la littérature sénégalaise. Cela lui a valu des distinctions et des décorations. Aminata Sow est Docteur Honoris Causa de Mount Holjoke College. Elle a reçu la décoration de Chevalier de l’Ordre du Mérite, Chevalier des Palmes Académiques, Chevalier de l’Ordre National du Lion pour ne citer que cela.

Après avoir lu et relu les œuvres d’Aminata Sow Fall, l’écrivain et éditeur Elie Charles Moreau est convaincu qu’Aminata Sow Fall a offert des livres de haute facture appréciés au-delà de nos frontières . Le directeur du Livre et de la Lecture, M. Samb, a décliné la place de la lecture et de la culture dans la construction d’une nouvelle image du continent noir. « Aminata Sow Fall mérite une profonde reconnaissance de la Nation. Elle a produit des livres de référence, alors même que la culture et l’éducation par le livre représentent aujourd’hui des voies pour la renaissance africaine », avance M. Samb.

Ouverture aux souffles du monde

La deuxième partie de cette journée de la femme écrivain a été marquée par la présentation du dernier livre d’Aminata, « Festins de la Détresse », par le professeur et critique littéraire Racine Senghor.

Ce dernier a d’abord tenu à souligner l’esprit d’ouverture qui est le propre des grands écrivains. « Aminata s’est enracinée dans nos valeurs traditionnelles et elle est aussi ouverte aux souffles du monde. Elle me rappelle Senghor, Hampaté Bâ, Cheikh Ahmidou Kane et tant d’autres écrivains. Elle a une parfaite connaissance de la civilisation de l’universel », note Racine Senghor. Il a parlé de l’ambiance de la cour familiale et a mis l’accent sur les personnages : le docteur Kantioli et Weurseuk qui ne cherchent qu’à tirer profit du malheur de leurs concitoyens. Si j’étais dans les secrets de Dieu, je dirais que ce Weurseuk-là ne se réveillera plus jamais. Aujourd’hui, il est devenu homme », lit-on à la page 122 du livre. Prenant la parole, Aminata Sow Fall a renvoyé la balle à la doyenne Annette Mbaye d’Erneville. Elle a remercié les femmes écrivains et le Musée de la Femme Henriette Bathily de Gorée qui a organisé cette journée. L’écrivain a donné des explications par rapport à son roman « le festin de la détresse » , indiquant que « la famille est primordiale chez moi. Je dois à ma famille une atmosphère de paix et sérénité où le sens du travail et du mérite fait partie du code d’honneur. Je rends grâce à Dieu. Je n’oublierai jamais ce que ma famille a fait pour moi », a souligné Aminata Sow Fall. Dans les conclusions de cette rencontre sur la culture , les hommes de lettres ont invité la nouvelle génération à s’inspirer d’Aminata Sow Fall.


Diali, t'as lu "Douceurs du Bercail" de Aminata S. Fall?
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