Maryjane Super Posteur
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Posté le: Mar 06 Juin 2006 15:46 Sujet du message: |
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Si ce sont des infos sur sa bio que tu cherches :
http://www.interpc.fr/mapage/fe.hoarau/perso/histoire/gouverneur/images/010327lacaussade.jpg
Citation: | Le poète aux ambitions brisées
Auguste Lacaussade (1815-1897)
Chantre de la beauté des paysages réunionnais, Auguste Lacaussade n'a jamais connu la gloire. Encore aujourd'hui, sa mémoire reste bien piètrement honorée, si ce n'est par quelques écoles et un boulevard dionysien à son nom. Pour combien de personnes évoque-t-il encore quelque chose ?
"Auguste Lacaussade, qui sent profondément la nature tropicale, a mis sa muse tout entière au service et à la disposition de son pays bien-aimé." En une formule, le critique Sainte-Beuve, dans ses Nouveaux Lundis, a résumé l'apport du poète créole, son ami et secrétaire, à l'histoire littéraire de La Réunion.
DES CONDITIONS DE VIE CHAOTIQUES
C'est dans les premiers balbutiements du XIXe siècle, le 8 février 1815, que le "bâtard" signe son arrivée sur le grand échiquier de la vie. L'Auguste poupon est en effet issu de l'union libre entre une esclave affranchie, Fanny-Lucile Déjardin, et un avocat d'origine bordelaise, le colon Pierre-Augustin Cazenave de Lacaussade. À cette époque, sur l'île de Bourbon, il n'est pas "convenable à un Blanc d'épouser une mulâtresse". Ses origines colorées d'illégitimité empêchent Lacaussade, élève prometteur, d'intégrer le Collège Royal des Colonies fondé en 1818 par le colonel Maingard. L'orgueil blessé, brimé dans les légitimes aspirations de son esprit, l'enfant concevra plus tard une profonde amertume des affres liés à sa naissance. Il s'agit d'une des clés de son œuvre. "Je suis né, je mourrai parmi les révoltés", écrira-t-il.
Son père, atteint d'hémiplégie, perd la tête, mais ses frères aînés veillent et décident de l'envoyer, à l'âge de 10 ans, poursuivre son éducation à Nantes. Sur les bords de la Loire, il lie connaissance avec quelques-uns de ses futurs amis, dont un certain William Falconer, surgi tout droit des brumes écossaises. Révolté par la lâcheté des hommes, exaltant dans ses vers l'énergie et l'amour de la liberté, ce poète vint d'ailleurs finir sa vie à Bourbon. Ses études secondaires tout juste achevées, le jeune Auguste Lacaussade retourne au pays pour faire plaisir à sa mère. Mal à l'aise en raison des préjugés raciaux, horripilé par un avenir tout tracé de clerc de notaire, il met néanmoins à profit ce séjour de deux ans pour retrouver ses sensations d'enfant devant montagnes, forêts et cultures exotiques. Et son esprit, affiné, saisit davantage le charme des tropiques. Selon la tradition, un ancien ingénieur du nom de Gaudin l'initie alors à l'art poétique. Bridé par le contexte local, Lacaussade est conscient de devoir repartir vers la France s'il veut exprimer pleinement son talent et surtout combattre efficacement en faveur de l'abolition de l'esclavage. Le prétexte lui est fourni par de supposées études de médecine. "Sa mère n'ignorait cependant pas qu'il brûlait de fuir une société marâtre et de se jeter dans la mêlée littéraire", lit-on chez Raphaël Barquissau, son biographe. Là-bas, Lacaussade débute par des vers insérés dans la Revue de Paris, l'organe officiel des romantiques. Son existence est chaotique, le dénuement le guette. "Il a dû mener une vie très active, quand l'hiver ne le paralysait pas, et très modeste, soutenu par les envois de sa mère et d'un des frères", pense Barquissau. Des lueurs d'espoir apparaissent en 1839. Une année à marquer d'une pierre blanche. Auguste épouse Laure-Lucie Deniau, dont il aura une fille ainsi que deux autres enfants morts en bas âge, des deuils qui ne feront qu'attiser son pessimisme naturel. Surtout, il publie son premier recueil, intitulé Les Salaziennes et dédicacé à Victor Hugo, sa référence. Davantage sûr de lui, affirmé, ce passionné d'auteurs britanniques traduit brillamment Ossian en 1841. Ossian, "le barde écossais", alias James McPherson, dont les poèmes épiques rencontrent un immense succès en Grande-Bretagne. Plus tard, Lacaussade accrochera aussi Léopardi et Anacréon à son tableau de chasse.
JOURNALISTE ET MILITANT POUR L'ABOLITION DE L'ESCLAVAGE
Un ultime voyage à Bourbon, afin d'enterrer sa sœur, lui permet d'engranger des impressions durables, terreau d'œuvres définitives. Dix ans plus tard, en 1852, paraissent ses pièces majeures, rassemblées sous le titre Poèmes et paysages. Certaines, parmi les plus belles (Souvenirs d'enfance, Ma fille, Le Champborne, etc.), ont été simplement, et efficacement, retravaillées depuis Les Salaziennes. Lacaussade, dont-on évoque parfois l'éventuelle filiation maternelle avec Evariste de Parny, peut enfin se targuer d'appartenir au cercle fermé des poètes reconnus. "Pour lui, la poésie ne pouvait se borner à un puéril jeu de rythmes et de cadences. Sa mission était plus haute et son rôle d'être réparatrice, consolatrice, partout et toujours utile dans le sens du développement intellectuel et moral", relève-t-on dans la Revue des colonies françaises. Installé définitivement en France, Lacaussade, ardent républicain, entre gaillardement sur la scène politique au moment de la Révolution de 1848. Il rejoint le groupe d'abolitionnistes groupé autour de Schoelcher, parmi lesquels des hommes de l'envergure de Tocqueville, Ledru-Rollin ou Arago. Le gouvernement provisoire proclame le principe de libération des esclaves puis hésite et tente de retarder sa mise en application. Les jeunes créoles de Paris signent une pétition. La victoire est au bout. Lacaussade jubile. Les esclaves qu'il "aimait et dont il se sentait aimé", ces hommes sources d'inspiration de ses plus beaux vers "au sort d'animaux appartenant à d'autres hommes pour lesquels ils sont obligés de travailler à perpétuité", sont enfin libérés de leurs chaînes. La fin de la IIe République, renversée par le coup d'Etat de Louis-Napoléon Bonaparte en 1851, sonne le glas des ambitions politiques de Lacaussade. Parallèment, il s'était aussi lancé dans le journalisme. D'abord collaborateur à la Revue des Deux mondes et à la Revue Nouvelle, il fut nommé ensuite directeur d'un journal de Vannes, La Concorde, titre qui périclita rapidement, faute de moyens et de lecteurs. Il abandonne aussi cette activité, hors un bref passage à la tête de la Revue Contemporaine (1859), pour se consacrer corps et âme à la poésie.
UN VIEILLARD HARGNEUX ET TACITURNE
La Légion d'honneur, la pension votée en 1853 par le Conseil Colonial de La Réunion, récompensent son talent. Malgré tout, Lacaussade vit mal l'humiliation d'être toujours rélégué au second rang par le brio de Leconte de Lisle (voir ci-dessous). Les Épaves paraissent en 1861. Le ton est plus désenchanté. Un ressort se brise. Lacaussade ravale ses ambitions et mène, à partir de 1872, une vie monotone au poste de bibliothécaire du Sénat. "Dans les toutes dernières années de sa vie, son caractère naturellement bon s'aigrit et il devient inabordable", écrit Barquissau. "Le petit vieillard hargneux et taciturne n'a jamais accepté sa défaite", ajoutera même Marcel Gaultier, dans sa critique de l'ouvrage que lui consacre Barquissau. N'empêche qu'il reste, comme le dira si bien Claude Fruteau, "celui de tous nos écrivains reconnus qui aura manifesté le plus clairement la conscience d'une différence, faisant passer à travers ses évocations enchantées ou douloureuses l'âme même de notre pays. À ce titre, nous n'hésiterons pas à le reconnaître comme le véritable père de la Créolie".
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Gros plan : L'ombre envahissante de Leconte de Lisle
Issus de la même génération, Charles Leconte de Lisle et Auguste Lacaussade présentent des parcours aux troublantes similitudes. Une différence de taille cependant : le premier a connu la gloire et l'autre a vécu dans son antichambre. Au bal des nouveau-nés, Leconte de Lisle, de Saint-Paul, pousse ses premiers cris avec trois ans de retard sur le petit Lacaussade, venu au monde en 1815 du côté de Saint-André.
Leurs pères respectifs appartiennent au camp des colons. Simplement, Leconte de Lisle possède l'avantage de ne pas être un enfant naturel. À Bourbon, les portes s'ouvrent plus facilement devant lui que devant un petit mulâtre. Lorsque, à 10 ans, Lacaussade s'en va poursuivre ses études en métropole, à la pension Brieugue à Nantes, il ne se doute pas que son futur rival, 7 ans, va bientôt s'installer sur les mêmes bancs d'école.
Adultes, les deux hommes délaissent très vite leurs études pour mieux se lancer dans le tourbillon de la vie littéraire parisienne. Proches du courant romantique, ils apprennent à s'apprécier et doivent se débattre dans des soucis financiers comparables. En 1848, Ils signent de concert une pétition pour l'abolition de l'esclavage, ce qui vaudra d'ailleurs les foudres familiales à Leconte de Lisle.
Ce n'est qu'ensuite que leurs relations se dégradent. L'œuvre majeure de Lacaussade, Poèmes et Paysages, est eclipsée par l'éclat des Poèmes Barbares. Celui-ci en conçoit sûrement du ressentiment à l'égard de Leconte de Lisle, également couvert de compliments pour ses Poèmes Antiques et ses Poèmes Tragiques.
Et si Lacaussade se voit récompensé à deux reprises par le prix Bordin de l'Académie Française, Leconte de Lisle obtiendra l'immense honneur de siéger à la vénérable institution une fois Victor Hugo décédé. Une désignation voulue par Hugo lui-même et probablement ressentie comme un camouflet supplémentaire par Lacaussade, lequel avait dédié ses Salaziennes à l'architecte des Misérables.
Nonobstant leurs petites querelles, les poètes ennemis doivent cohabiter longtemps dans l'enceinte du Sénat. ils y sont nommés bibliothécaires en 1872 et logent même un seul étage l'un au-dessus de l'autre. Leurs relations se détériorent à ce point que Lacaussade ira jusqu'à qualifier son compatriote de "loustic pontifiant et bouffon solennel". Leconte de Lisle s'envole au paradis des poètes en 1894, trois ans avant Lacaussade. Leurs dépouilles reposent tout près au cimetière Montparnasse. À La Réunion, Leconte de Lisle, encore une fois, a droit à des honneurs bien plus larges et rapides.
La mémoire de l'auteur des Épaves devra, elle, patienter jusqu'en 1921. En avril de cette année-là, un boulevard à son nom est inauguré à Saint-Denis. Raphaël Barquissau parlera de "tardif mais magnifique dédommagement à l'injuste oubli dont Lacaussade a souffert pendant si longtemps."
Philippe Romain
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Une poétique de l'eau et du feu, de la révolte et de l'exil
Dès Les Salaziennes, recueil de jeunesse, Lacaussade aborde les grands thèmes familiers aux poètes romantiques : la nature, le rêve, la liberté, la révolte, etc. Toute son œuvre constitue un hymne à la nature tropicale. Rejeté par la société coloniale, n'obtenant qu'un succès d'estime sur le plan littéraire, il se retourne avec émotion vers la Grande Consolatrice.
Sont glorifiés entre autres le pic de Salaze, le piton des Neiges "Semblable au dieu de la tempête, d'écume et de vapeurs il couronne sa tête", ou la cascade Sainte-Suzanne et "Sa poussière d'écume en blanches mousselines". L'écriture de Lacaussade est simple, sans audace rythmique, même si le style s'affine un peu dans les recueils suivants. Sa poésie exalte les éléments, en particulier l'eau et le feu aux fonctions purificatrices : "Le soleil qui descend sous la vague profonde/A rougi l'occident que sa lumière inonde/Le ciel étend sur moi son pavillon d'azur/La vague en réfléchit l'éclat profond et pur/Et la nuit, déroulant ses ombres et ses voiles/Et posant sur mon front sa couronne d'étoiles/Répand à mes côtés ses feux mystérieux..." (Dix-neuvième salazienne). Presque toujours les descriptions sont faites de mémoire et sa sensibilité exacerbée prend toute sa mesure dans Poèmes et Paysages. Ce sont ses propres émotions qu'il recherche dans les paysages de Bourbon et qu'il exprime à travers ses poèmes.
Surtout, Lacaussade est le premier à introduire la thématique du marronnage dans la poésie réunionnaise. Le symbole de l'esclave lui offre la possibilité de présenter sa propre condition d'homme au cœur révolté. La nostalgie du pays natal, aimé et perdu, le harcèle tout autant : "Mais tel qu'un exilé, sur ces plages lointaines/Quand si loin de moi sol ton chant vint jusqu'à moi/Triste je l'écoutais et regardant mes chaînes/Je me pris aussitôt à pleurer avec toi" (Quatorzième Salazienne).
Dans Les Épaves, les poèmes de Lacaussade deviennent terriblement sombres. Se sentant méprisé, il plie sous le poids de la solitude morale et considère son existence manquée. Le Vin illustre ses idées noires : "Quand j'ai bu ta liqueur aux vertus souveraines/Beau Lyæus, je vois le chagrin s'endormir/À quoi bon les soucis, les labeurs et les peines ?/ Pourquoi tenter la mort aux routes incertaines ?/Que je le veuille ou non, il me faudra mourir !/Buvons donc, oublions la mort inévitable !/... Après Les Épaves, pendant une trentaine d'années jusqu'à son trépas, Lacaussade ne produira plus aucune ode digne de ce nom.
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Sources
. Archives départementales de la Réunion :
Les Salaziennes, Auguste Lacaussade,1839
Poèmes et paysages, Auguste Lacaussade,1852
Les Épaves, Auguste Lacaussade,1861
. Le poète Lacaussade et l'exotisme tropical, Raphaël Barquissau, Publication du comité Leconte de Lisle et Lacaussade, 1952.
. De l'élégie à la créolie, Jean-François Sam-Long, éditions UDIR,1989.
. L'art de dire, Jean-Claude Fruteau, À la découverte de la Réunion, volume 10, Editions Favory, 1982.
. Revue des colonies françaises. |
_________________ Les Toiles de Maryjane
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