Linguere Bon posteur

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Posté le: Jeu 30 Nov 2006 19:03 Sujet du message: |
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Le dernier discours de Papa Senghor le 31 Decembre 1980.
Citation: | “Sénégalaises, Sénégalais,
Une fois de plus, me voici devant vous, en ce soir du 3 décembre 1980, pour vous présenter mes vœux. Auparavant, je voudrais, comme président de la République du Sénégal, vous faire mes adieux.
Ce faisant, je commencerai par vous remercier, toutes et tous. En effet, depuis 1945, depuis 35 ans, à toutes les élections, vous m'avez fait confiance et, par-delà ma personne, à mon parti. Non seulement vous avez voté pour moi, mais, ce qui est le plus important, vous m'avez soutenu par vos conseils comme par vos critiques, singulièrement par vos efforts de discipline et de travail. Vous avez fait tout cela parce que vous vous sentez une Nation c'est-à-dire un commun vouloir de vie commune. Il s'y ajoute que, depuis un mois, vous avez été nombreux, de la majorité, mais aussi de l'opposition, à me dire vos regrets de me voir partir. De ces marques de confiance, je suis profondément touché.
J'ai dit “toutes et tous”. Je peux vous le dire, dans mes lectures du week-end, je n'oubliais jamais les journaux de l'opposition. Je tâchais, seulement, en les lisant, de faire la distinction entre le bon grain et l'ivraie, entre le grain de mil et le khakham, c'est-à-dire entre les arguments pertinents et ceux qui appartiennent à la politique politicienne.
Les raisons de ma démission
Avant de vous donner les raisons pour lesquelles j'ai donné ma démission, je voudrais répondre à une critique que l'on m'a faite ces dernières semaines, en me reprochant d'avoir livré la grande nouvelle de mon prochain départ à un “journaliste étranger”, et non pas au peuple sénégalais.
En vérité, ma volonté de ne pas être un “président à vie” était un secret de polichinelle, car, comme on le sait, j'ai refusé, entre autres, le dépôt d'une proposition de loi tendant à faire de moi un président à vie. Il y a mieux, dans une interview à l'hebdomadaire dakarois Afrique Nouvelle, en mai 1976, je disais : “Pendant les quelques années qui me restent à vivre, je voudrais confier mes rêves à d'autres mains. Dès mon élection, en 1960, mon principal problème a été de former une équipe pour me remplacer au plan politique.” C'était clair.
Il est vrai que le correspondant du Monde à Dakar a, dans le numéro du 21 octobre 1980, annoncé ma démission. Il y avait quelque six mois que je n'avais vu le correspondant en question. Mais j'avais, au début de l'année 1980, fait part de mes intentions au Premier ministre Abdou Diouf et, à la veille des vacances, j'en avais parlé aux ministres les plus intéressés. Comme vous le savez, quand j'ai l'intention d'annoncer une décision importante, je m'adresse, d'abord, au Premier ministre avec qui j'ai, toutes les semaines, une séance de travail, ensuite, suivant l'importance du problème, aux députés, aux membres du Conseil économique et social, aux partis, en commençant par le parti majoritaire, aux principales personnalités civiles et religieuses, enfin, dans les circonstances les plus graves, à la Nation par un message radiotélévisé. Je n'ai pas failli à cette méthode. C'est pourquoi je m'adresse à vous, ce soir.
Pour revenir au “journaliste étranger”, celui-ci, quelques jours après son indiscrétion, m'avait demandé une audience. M'efforçant d'être courtois, comme toujours, je lui ai fixé une audience, mais lointaine : pour le 28 novembre. Dès que celui-ci fut entré dans mon bureau, je lui précisai que c'était sur sa demande que je le recevais et que l'entretien que je lui accordais n'était pas une “interview”. Voilà les faits.
Un principe de droit nous dit : Nocet cui profuit, que je traduis :“Est coupable celui à qui cela a profité.” .Manifestement, les indiscrétions que voilà ont, d'abord, profité au journaliste du Monde et à son journal, mais aussi à une certaine opposition, qui a voulu en faire un argument contre le président de la République. Je ne trouve pas cela tragique, pas même dramatique. D'autant qu'encore une fois, j'ai suivi le processus habituel d'information à la Nation.
Sénégalaises, Sénégalais,
Je vous dois, cependant, des explications sur la démission que j'ai remise, ce matin, au premier président de la Cour suprême. Les raisons en sont de deux ordres. Très précisément, il y a une raison de principe et une raison de fait.
Tout d'abord, une raison de principe. Encore une fois, j'ai toujours été contre la présidence à vie, j'ai toujours été pour l'alternance au pouvoir, qu'il s'agit de l'alternance des partis, exprimée par des élections libres, ou de l'alternance au sein du même parti par la montée des jeunes.
Or donc, dès août 1946, moins d'un an après mon élection comme député du Sénégal à l'Assemblée constituante française, dans une interview à l'hebdomadaire Gavroche, je précisais notre objectif politique, qui était de mener le Sénégal à l'indépendance. Ce qui fut fait en 1960. Après mon élection, cette année-là, comme premier président de la République du Sénégal, je pris la décision, en 1961, de me retirer à la fin de mon mandat, pour retourner à mon enseignement et à mes recherches. Au demeurant, pendant les 15 ans que j'ai, comme député, représenté le Sénégal au Parlement français, je continuais d'enseigner. Mais, vous vous rappelez la tentative de coup d'Etat qui eut lieu le 17 décembre 1962. Il fallut, alors, faire instituer le régime présidentiel et tout recommencer en repartant à zéro.
S'agissant de la raison de fait, il y a que je viens d'avoir 74 ans. Encore que, pour mon âge, je ne me porte pas trop mal, je ne peux plus travailler, sauf le mois de vacances, 10 heures par jour en moyenne, y compris le samedi et le dimanche. Il faut quitter le poste en passant le flambeau à la génération suivante.
En 1970, après avoir consulté les principaux responsables de mon parti, je nommai M. Abdou Diouf Premier ministre, fonction qu'il remplit, depuis dix ans, avec la haute conscience et la compétence que l'on sait. Celui-ci a cet avantage, sur moi, qu'il est un spécialiste du Droit et des Finances. En effet, en son temps, il est entré et sorti premier au concours de l'Ecole nationale de la France d'Outre-mer. Il a acquis, ensuite, une expérience solide comme administrateur, gouverneur de région, secrétaire général du ministère de la Défense, directeur de cabinet du ministre des Affaires étrangères, directeur de cabinet, puis secrétaire général de la présidence de la République, enfin ministre du Plan et de l'Industrie.
Il se trouve, précisément, que les principaux problèmes avec lesquels, aujourd'hui, le Sénégal comme les autres pays du monde sont confrontés, et d'abord les pays en développement, sont des problèmes économiques et financiers. Et M. Abdou Diouf est, précisément, orfèvre en la matière, comme le prouvent le Plan de Stabilisation économique et financier à court terme qu'il a mis sur pied au début de 1979, mais, surtout, le Plan de redressement économique et financier à moyen terme qu'il a lancé il y a, environ, un an et qui se prolongera jusqu'en 1984. Retenez cette dernière date et vous verrez, tout à l'heure, pourquoi.
Je le sais, on reconnaît, à mon successeur, toutes les qualités, et d'abord la compétence, l'honnêteté et la modestie - je ne dis pas l'humilité - : cette modestie que nous possédons si rarement, nous autres intellectuels africains. J'ajoute qu'il a un caractère plus ferme qu'on ne le croit. Vous vous en apercevrez bientôt.
Une certaine opposition, non seulement conteste l'article 35 de la Constitution, qui prévoit qu'en cas de décès ou de démission, le président de la République sera remplacé par le Premier ministre, mais encore elle le fait, dit-elle, au nom d'un principe démocratique. La Démocratie, comme l'indique son étymologie grecque, c'est le “pouvoir du peuple”, c'est-à-dire la souveraineté nationale venant du peuple et s'exerçant par le peuple. Or, le texte de notre Constitution, dans un référendum organisé en 1963, a été approuvé par le peuple sénégalais. Et cette Constitution prévoyait la procédure de révision, qui a été employée pour l'amendement qui est devenu l'article 35. S'opposer à l'application de cet article, c'est donc s'opposer à la souveraineté du peuple sénégalais. Encore une fois, nous autres intellectuels, la première vertu que nous devons acquérir, c'est l'obéissance à la volonté librement exprimée par notre peuple ; c'est la modestie.
L'avenir du Sénégal
Mais quittons les marais où règnent les fièvres paludéennes et la politique politicienne pour, nous tenant au sommet de la colline, voir, prévoir notre destin.
Ensemble, depuis 1945, nous avons réalisé de grandes choses. D'abord, en 1946, ce fut la citoyenneté pour tous avec la loi Lamine Guèye ; en 1957, l'autonomie de notre pays ; enfin, en 1960, après ma mission auprès du général de Gaulle, notre indépendance par l'acquisition de la souveraineté internationale. Mais c'est là que commença la véritable bataille. Il s'est agi, en effet, à partir de 1960, de travailler à assurer notre croissance économique et sociale en même temps que notre développement culturel.
Je commencerai par celui-ci. Or donc, depuis l'indépendance -mais nous avions commencé bien avant - nous avons créé une nouvelle littérature, une nouvelle peinture, une nouvelle sculpture, une nouvelle tapisserie. Et nous sommes en train de créer une nouvelle musique, une nouvelle danse, une nouvelle architecture, voire une nouvelle philosophie. Tout cela en nous enracinant dans les vertus de la Négritude, mais en nous ouvrant, en même temps, aux vertus complémentaires des autres continents, races et nations.
En ce qui concerne la croissance économique et sociale, je voudrais vous rappeler quelques chiffres. En 1960, notre revenu annuel par tête d'habitant était de 160 dollars ; en 1979, il était de 463 dollars, ce qui signifie, en gros, le triplement de ce revenu. Nous étions, ainsi, parvenus aux frontières des “pays intermédiaires”. Ce qui est significatif, ici, c'est que ce triplement a été obtenu bien que, en 19 ans, nous eussions subi 9 années de sécheresse, où nous avions perdu pendant chacune de ces années, entre le tiers et les deux tiers de notre récolte.
Ce n'est pas tout. En 1962, le Sénégal comptait 53 663 salariés ; en 1977, il en comptait 176 990. C'est dire qu'en 14 ans, le nombre des emplois salariés avait plus que triplé. En 1960, les capitaux sénégalais représentaient, dans les entreprises, 5 % ; en 1979, ils représentent quelque 34 %. L'industrie, en 1960, représentait 18 % de la production intérieure brute ; en 1978, elle en représentait 28 %. Aujourd'hui encore, nous sommes le pays francophone d'Afrique noire le plus industrialisé - je ne dis pas le plus riche. Enfin, en 1960, pour parler d'infrastructures économiques, il y avait moins de 1 000 kilomètres de routes goudronnées ; aujourd'hui, en 1980, nous en comptons 3 444 kilomètres
De l'économique, nous passons au domaine social. Et d'abord, au problème des salaires et des prix.
Evidemment, l'idéal, c'est d'avoir des salaires élevés et des prix bas. Nous nous y sommes efforcés dans la mesure du possible. Après les augmentations de salaires du début de 1980, le Sénégal est en troisième position après la Côte d'Ivoire et le Gabon pour le salaire minimum interprofessionnel garanti, qui est, chez nous, au taux de 133 francs 80 centimes.
S'agissant des prix, comparé aux autres pas d'Afrique noire, le Sénégal offre les prix les plus bas pour les principales denrées de première nécessité comme pour les principaux produits industriels, qu'il s'agisse de riz, d'huile, d'essence, voire de logement. La raison fondamentale en est que nous avons délibérément, depuis l'indépendance, organisé une politique équilibrée de modération des prix et des salaires, que nous sommes le pays le plus industrialisé d'Afrique noire francophone, c'est-à-dire ayant la plus grande consommation de produits industriels locaux. Il s'y ajoute que, pour les produits importés, nous sommes le plus près des ports européens. Ce qui signifie que les prix de nos importations sont les moins grevés par le transport.
Après les prix et les salaires, les revendications essentielles des travailleurs concernent la santé et l'enseignement.
En ce qui concerne la santé, nous avons commencé d'établir, en nous conformant aux recommandations de l'Oms, un système cohérent d'administration des soins primaires, avec, au demeurant, la participation des populations concernées. Ce qui est un facteur d'éducation. Ainsi les pharmacies, voire les maternités villageoises, ne se comptent-elles plus, sans parler des dispensaires des villages-centres et des hôpitaux des villes.
Mais c'est dans le domaine de l'enseignement que nous avons réalisé les meilleurs résultats en quantité mais, surtout, en qualité. De 1960 à 1980, le nombre des enfants scolarisés est passé de 107 789 à quelque 400 000. Celui des collégiens et lycéens est passé de 9 534 à 85 374. Et, en 1960, le nombre des étudiants de quelque 1 000 à plus de 13 000. C'est dire qu'en 20 ans, nous avons multiplié presque par quatre le nombre des élèves des enseignements préscolaires et élémentaires, par 8,5 celui des lycées et collégiens, et par 13 le nombre des étudiants.
Si l'on classe les chiffres que je viens de vous donner dans leur vérité historique, et surtout géographique, nous en comprendrons mieux la signification. En effet, nous sommes des pays soudano-sahéliens, et il se trouve que, depuis les indépendances africaines de 1960, les pays de cette zone ont eu un mauvais hivernage sur deux. C'est facile, on l'avouera, de faire des miracles quand on a huit mois de pluies par an au lieu de quatre, et vous savez que, cette année, nous n'avons eu que deux mois et demi de pluies. Mais à quelque chose malheur est bon. La dureté du climat dans les pays soudano-sahéliens nous a appris à nous organiser plus rigoureusement et à travailler plus sérieusement.
Bien sûr, tout n'a pas été parfait depuis 35 ans. Je reconnais que, souvent, mon parti et surtout moi-même, nous avons fait des erreurs, des chutes. Il reste qu'à chaque fois, nous avons fait notre autocritique, nous nous sommes relevés, et nous avons poursuivi notre marche en essayant d'être plus attentifs, plus méthodiques, plus organisés, d'un mot, en travaillant plus et mieux. Rien ne le prouve mieux que la lutte, persévérante que nous avons menée contre la corruption et la mauvaise gestion en général. C'est ainsi que l'Etat sénégalais possède 14 organes de contrôle administratif ou juridictionnel, dont 4 à la présidence de la République. Non seulement nous contrôlons, comme j'ai eu l'occasion de le prouver en m'appuyant sur des chiffres précis, mais encore nous sanctionnons. Qu'on nous donne la liste des Etats africains qui font mieux.
Je ne vous le cacherai pas, nous allons avoir quatre années difficiles, jusqu'en 1984. Alors, nous commencerons d'exploiter nos ressources, qui ne sont pas énormes, mais qui ne sont pas non plus négligeables. Depuis plus de dix ans, en effet, on a découvert, dans notre pays, du pétrole offshore, en mer, puis du fer. Nous allons commencer d'exploiter notre pétrole à partir de 1983, et notre fer à partir de 1985-1986. Nous pourrons, en même temps, exploiter nos autres ressources énergétiques qui, outre le pétrole, sont composées de tourbe, de lignite et d'uranium.
Comme vous le voyez, un avenir prometteur s'ouvre à notre pays si, encore une fois, nous savons être, non seulement plus unis sur l'essentiel, mais encore et surtout pour attentifs et réfléchis, plus méthodiques, plus organisés, plus travailleurs. Si nous savons, également, maintenir la démocratie, c'est-à-dire le pluralisme des partis dans le respect des Droits de l'homme et des libertés fondamentales. Si j'ai un message à vous faire aujourd'hui, c'est bien ce dernier, qui s'adresse à tous les citoyens et citoyennes du Sénégal.
Déwenati !
Il ne me reste plus qu'à vous adresser mes vœux en ce jour du 31 décembre. Je pense aux malades, aux infirmes, aux handicapés en général, aux vieillards et aux enfants. Je songe, plus particulièrement, à nos paysans, qui, malgré les aléas du climat, continuent de travailler durement, courageusement, et qui, parce que les vrais prolétaires, forcent ainsi notre admiration. |
_________________ The Humanitarian
My Love
Wade, une erreur dans l'histoire du Senegal!
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