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LA TRAITE NEGRIERE A CALABAR

 
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OGOTEMMELI
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Inscrit le: 09 Sep 2004
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MessagePosté le: Mer 19 Mar 2008 06:26    Sujet du message: LA TRAITE NEGRIERE A CALABAR Répondre en citant

Le document principal que je voudrais exploiter dans ce topic consiste en l'ouvrage intitulé "Les Deux princes de Calabar". Il raconte l'histoire vraie de deux coupeurs de bois d'ébène africains dont les fils ont été enlevés par les Blancs et réduits eux-mêmes en esclavage, qui purent en réchapper pour renter en Afrique continuer leur business de marchand de captifs nègres. Toute une "odyssée" : de quoi faire un superbe téléfilm à diffuser partout en Afrique, notamment au Nigéria, dans le Delta du Niger...

Beaucoup autres aspects sont très intéressants dans l'ouvrage, notamment pour savoir comment se déroulait le yovodah dans ce Delta au XVIIIè siècle. Mais, comme d'habitude, l'auteur s'en tient à l'abondance des sources anglaises sur cette seule période pour construire tout son discours sur la "traite négrière" dans cette région d'Afrique. Or, en se fondant sur des sources portugaises, on peut approfondir la perspective, et remonter à la fin du XVè siècle pour commencer à suivre l'évolution de l'économie négrière transatlantique dans le Delta du Niger.

Et alors, on peut voir que des pratiques observées au XVIIIè siècle ont une filiation étroite avec celles attestées dès le XVè siècle. En effet, dans "Chronique de Guinée", De Zurara décrit comment les Portugais s'embusquaient aux abords de villages côtiers africains pour kidnapper leurs habitants leurs habitants la nuit et les réduire en esclaves.

C'est ce travail de coupeur de bois d'ébène qui sera progressivement, au fil de siècles, sous-traité à des petits groupes d'Africains recevant à cet effet les armes (y compris des canons) nécessaires pour aller chasser du Nègre à l'intérieur des terres, là où les Blancs pouvaient difficilement accéder avec leurs bateaux et que les pirogues africaines atteignaient sans peine. De plus, le climat de l'hinterland africain est resté très hostile à la santé des Blancs jusqu'au dix-neuvième siècle, les obligeant à composer avec des alliés locaux pour pouvoir continuer de satisfaire leurs besoins d'esclaves en croissance exponentielle au fil des siècles de la colonisation des Amériques...

Ce sont ces sous-traitants africains, dont certains ont prospéré jusqu'à recevoir de leurs partenaires européens des titres pompeux de "roi", "duc", etc. Ils règnaient réellement (pour ce qui est de Calabar) sur d'immenses "royaumes" de "1000 à 5000" habitants, au territoire grand comme un petit quartier de Liverpool (ou Bristol) de l'époque, d'où venaient la pluapart des capitaines de bateau avec lesquels ils traitaient : en fait, même pas des "roitelets africains", juste des coupeurs de bois d'ébène qui terrorisaient les populations africaines à l'entour, dont le rayon de terreur était d'autant plus grand qu'ils recevaient des armes en qualité et en quantité appropriées de leurs commanditaires européens...

L'autre intérêt de ce livre, c'est qu'il est préfacé par notre OPG national, le gourou français de l'hisoriographie eurocentriste de la traite négrière. Et encore une fois, OPG croit pouvoir tirer argument d'un texte dont l'examen attentif contredit nombre de positions théoriques qu'il prétend "acquises" par la "recherche" : que du pipeau!!!

- OPG nous a raconté que les armes à feu servaient aux Africains surtout pour la chasse, non pas celle au Nègre, mais au gibier. Et qu'ils en usaient peu dans leurs guerres. On verra qu'à Calabar, les battues aux Nègres emploient même des canons...

- OPG prétend que les "Rois africains" étaient les "maîtres du jeu". On verra qu'à Calabar, les capitaines de négriers européens se sont entendus pour dégommer militairement l'un des trafiquants africains au profit de celui qu'ils estimaient plus conforme à leur business : les blancs choisissaient explicitement leurs affidés, les soutenaient, voire lesdéfendaient contre toute concurrence jugée "déloyale" ; et pouvaient aussi les révoquer au profit du camps d'en face. Cet épisode est analogue à un autre raconté par Théodore Canot (au XIXè siècle) où il permet à un rival de massacrer la bande adverse de trafiquants du Rio Pongo. Pis, lorsque (à Calabar) les coupeurs de bois d'ébène réchignaient à vendre leurs butins humains au prix "conseillé" par les négriers européens, ceux-ci allaient jusqu'à prendre des mesures drastiues de rétorsion pour contraindre finalement les "maîtres du jeu" à faire là où on leur disait de faire, exactement comme on le leur disait...

- d'autres points précis du discours d'OPG sont fragilisés par les faits évoqués dans cet ouvrage, bien que l'auteur lui-même sen serve au crédit de l'historiographie dominante...
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OGOTEMMELI
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Messages: 1498

MessagePosté le: Mer 19 Mar 2008 06:36    Sujet du message: Répondre en citant

ISAAC PARKER A LA CHASSE AUX NEGRES DANS LE DELTA DU NIGER

Isaac Parker, marin à bord de l’un de ces navires, a laissé un témoignage direct des raids effectués à l’intérieur des terres. Il était parti de Liverpool en 1765 à bord du Latham, commandé par le capitaine George Colley. […] Quand le bateau fut chargé et prêt à appareiller pour les Amériques, Parker déserta et demanda sa protection à Dick Ebro. […] Parker vécut ainsi cinq mois chez Dick Ebro, passant son temps à pêcher, à chasser des perroquets et à nettoyer les nombreuses armes, des pistolets et des espingoles, que possédait le marchand.

Un jour, Dick Ebro lui demanda : « Parker, veux-tu venir faire la guerre avec moi ? ». Parker y consentit. Il vit les bateaux se remplir de munitions, de coutelas, de pistolets, de poudre et de balles. Il vit aussi que deux canons de « trois livres » étaient solidement fixés à des supports en bois sur chaque pirogue, l’un à la proue, l’autre à la poupe.

Les membres de l’équipage pagayaient durant le jour, remontant la rivière, mais lorsqu’un village était en vue les pirogues étaient camouflées derrière des buissons sur les rives jusqu’à la tombée de la nuit, les pirogues étant alors tirées sur le rivage. Ils laissaient deux ou trois hommes à [bord] sur chaque pirogue, puis donnaient l’assaut au village et capturaient tous ceux qu’ils y trouvaient.

Puis ils les menottaient et les emmenaient jusqu’aux pirogues. Ils faisaient la même chose plus loin, remontant la rivière jusqu’à ce qu’ils aient capturé 45 esclaves –des hommes, des femmes et des enfants. Ils rentraient ensuite à New Town, répartissaient les esclaves entre différentes maisons et prévenaient les capitaines des nombreux navires pour les informer qu’ils étaient en mesure de leur fournir des esclaves. Les marchands ne faisaient aucun effort pour ne pas séparer les membres des familles ; seuls les nourrissons restaient avec leurs mères.

Les capitaines envoyaient quelques hommes dans des canots pour faire la collecte des esclaves et les ramener à bord des navires. Deux semaines plus tard, Parker participa à une nouvelle expédition parfaitement similaire à la première.

[…] Les capitaines s’entendaient parfois pour faire baisser le prix des esclaves. […] Les Africains essayèrent de mettre fin à ces cabales en refusant de vendre au bas prix fixé par les capitaines. Ceux-ci réagirent en mettant en place des patrouilles afin d’empêcher les marchands de remonter la rivière pour capturer des esclaves et en gardant en otages les individus capturés jusqu’à ce que les marchands consentent à leur vendre des esclaves au plus bas prix. Les capitaines n’hésitaient pas non plus à recourir à la violence pour forcer les marchands à leur vendre des esclaves. Il existe des rapports de capitaines anglais faisant état de coups de canons tirés au-dessus ou à l’intérieur de villes du Vieux Calabar, en vue de contraindre les marchands à s’asseoir autour d’une table.


Randy J. Sparks, Les deux princes de Calabar – Une odyssée transatlantique à la fin du XVIIIè siècle, éd. Les Perséides, Paris, 2007, pp67-69
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sang froid
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MessagePosté le: Mer 19 Mar 2008 21:02    Sujet du message: Répondre en citant

Salut frère OGO.
Tes notes de lecture commentées sur le yovodah sont toujours de grande qualité. J'attends avec impatience que tu les compiles dans un ouvrage qui, j'en suis certain, devrait connaitre un grand succès.
Bon courage
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OGOTEMMELI
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Messages: 1498

MessagePosté le: Ven 21 Mar 2008 17:30    Sujet du message: Répondre en citant

sang froid a écrit:
Salut frère OGO.
Tes notes de lecture commentées sur le yovodah sont toujours de grande qualité. J'attends avec impatience que tu les compiles dans un ouvrage qui, j'en suis certain, devrait connaitre un grand succès.
Bon courage

Merci beaucoup pour ces encouragements, frère. Les affaires avancent vraiment à grand pas. On verra tout ça bientôt...
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OGOTEMMELI
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Messages: 1498

MessagePosté le: Sam 29 Mar 2008 18:42    Sujet du message: Répondre en citant

Citation:
Le document principal que je voudrais exploiter dans ce topic consiste en l'ouvrage intitulé "Les Deux princes de Calabar". Il raconte l'histoire vraie de deux coupeurs de bois d'ébène africains dont les fils ont été enlevés par les Blancs et réduits eux-mêmes en esclavage, qui purent en réchapper pour renter en Afrique continuer leur business de marchand de captifs nègres.

Cette histoire débute en 1767 : une flotte de 7 bateaux négriers anglais organise une embuscade dans le Vieux Calabar, en vue d'évincer un clan de négriers africains au profit du clan concurrent.

Le premier clan avait fondé un village nommé Old Town lorsqu'une autre famille de négriers partie de ce même village fonda la New Town. Au fil des années (ou peut-être des décennies) la concurrence exacerbée entre les deux clans pour contrôler l'économie négrière de Calabar décida leurs partenaires européens de trancher en faveur de New Town.

On peut comprendre que les plus anciens négriers africains, plus expérimentés dans leurs rapports avec les Européens, fussent progressivement trop "gourmand" en affaires. En effet, dans un premier temps, la concurrence entre les négriers européens, notamment celle des nombreuses expéditions illégales, face à un seul groupe d'interlocuteurs africains permettait à leurs partenaires africains d'obtenir toujours plus de marchandises en échange des captifs qu'ils procuraient.

Avec la multiplication des expéditions négrières, au milieu du XVIIIè siècle, les premiers groupes de sous-traitants africains de bois d'ébène, organisés en compagnies négrières familiales, commencèrent à s'étoffer. Il leur fallait de plus en plus de main d'oeuvre dans diverses spécialités, afin de rassembler les volumes de bois d'ébène dont la demande américaine "explosait". A son tour, une telle structure négrière de plus en plus hypertrophique exigeait toujours plus de marchandises (ou de "d'excédent brut d'exploitation"), afin de remunérer le nombreux personnel nécessaire à sa pérennisation. En un sens, la "gourmandise" des magnats de Old Town avait des causes structurales objectives, qui tenaient aux nécessités de ses conditions intrinsèques de reproduction sociale.

Pour prendre un exemple contemporain, aujourd'hui les exigences d'un Omar Bongo Ondimba (en matière de corruption, prévarication, voire même flatterie) ne sont pas du tout du même ordre que celles des débuts, il y a bientôt quarante ans, d'Albert Bernard Bongo : plus un potentat a de clients à entretenir, plus il lui faut de ressources économiques et symboliques à distribuer ; et donc à trouver. Or, plus est ancien son système clientéliste, plus ledit système secrète de clients à entretenir, exigeant autant de moyens économiques et symboliques à ces effets...

En revanche, les nouveaux venus de New Town sur le marché local de la sous-traitance négrière étaient nécessairement obligés d'avoir de bien moindres prétentions que ceux d'Old Town, ne fût-ce que pour grignoter des parts de marché. Par la force des choses, ayant de moindres prétentions, les négriers de New Town étaient plus intéressants pour les les Européens. C'est pourquoi ceux-ci procureront les moyens militaires, en vue de dégommer le clan d'Old Town, lors d'un traquenard particulièrement sanglant où des centaines de protagonistes africains furent massacrés ; et d'autres embarqués pour la déportaion aux Amériques...

Là aussi pour prendre un exemple contemporain : lorsque Séyni Kountché du Niger commença à demander la révision des contrats de ce qui était AREVA de l'époque (à savoir, sauf erreur, la COGEMA), les Français fomentèrent un coup d'Etat pour le dégommer et le remplacer par un potentat africain plus "compréhensif", d'autant plus docile qu'il recevait en héritage une belle situation personnelle. Il n'est pas besoin de répéter de telles opérations tous les jours au Niger, il suffit de conforter militairement la situiation acquise, en vue de prévenir toute déconvenue. En revanche, le même type d'opération peut-être reconduit ailleurs (au Zaïre, Tchad, Centrafrique, Mali, Cameroun, Togo, Madagascar, etc.), au fil des décennies ; provoquant une situation structuralement analogue sur une aussi vaste échelle d'espace et de temps...

Par ailleurs, contrairement à ce qui est doctement affirmé, la question demeure posée de savoir si les deux "princes de Calabar" sont redevenus négriers à leur retour en Afrique "le 14 octobre 1774". En tout cas, une seule phrase sybilline le laisse entendre dans le texte, mais sans aucune preuve de ce qui est seulement supposé :

P143 : "Il semble bien que Little Ephraïm ait repris le commerce des esclaves dès son retour."
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sang froid
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MessagePosté le: Dim 22 Juin 2008 11:28    Sujet du message: Livres sur l'esclavage Répondre en citant

Juste pour signaler deux livres sur l'esclavage annoncés par "le Monde"

http://www.lemonde.fr/livres/article/2008/06/19/jean-frederic-schaub-et-william-snelgrave-ecrire-l-esclavage_1060185_3260.html#ens_id=1051165

Citation:
Oroonoko a tout du parfait gentleman : digne et élégant, galant et généreux, il parle le français et l'anglais, connaît son histoire romaine sur le bout des doigts et se tient même informé de l'actualité européenne. Bien entendu, sa beauté parfaite est le reflet de sa vertu. Il est noir, prince africain, et refuse la révélation chrétienne.

Ce héros d'outre-mer, ce paladin noir paré de toutes les qualités chevaleresques, la romancière britannique Aphra Behn l'a rencontré en la personne d'un étrange esclave, au Surinam. Du moins c'est ce qu'elle affirme dans un roman, Oroonoko, paru à Londres en 1688 et traduit en français dès l'année suivante. Aphra Behn est un personnage capital dans l'histoire littéraire britannique : pour Virginia Woolf, c'est avec elle que la création féminine quitta la sphère de l'intime pour atteindre une "audience", un public.

Exposons brièvement l'intrigue de son étrange roman : petit-fils d'un roi de la Côte-de-l'Or (l'actuel Ghana), Oroonoko tombe en disgrâce, car il dispute au souverain la belle Imoinda. Il est envoyé au combat, pendant que celle qu'il convoite est vendue à des négriers. Le jeune prince se couvre de gloire, mais il est enivré par des marins britanniques et emmené de force, comme esclave, de l'autre côté de l'océan. Au Surinam, il rencontre un bon maître, qui le traite comme le prince qu'il est, se lie à la bonne société et retrouve même Imoinda, avec qui il renoue. Celle-ci tombe bientôt enceinte : apprenant que leur enfant serait immanquablement voué à l'esclavage, Oroonoko prend les armes contre l'ordre colonial. Il égorge finalement sa femme pour qu'elle ne mette pas au monde l'enfant, avant d'être fait prisonnier et de périr, supplicié...

Les péripéties du roman sont innombrables, comme les pistes interprétatives, souvent contradictoires, qu'elles ouvrent. Le mérite du brillant essai de Jean-Frédéric Schaub est de chercher à les explorer toutes, sans enfermer son objet d'étude dans des catégories trop restrictives.

Roman d'un opprimé (parce qu'esclave) écrit par une opprimée (parce que femme), texte sur l'esclavage ne posant pas une seconde la question de l'abolition, tableau métaphorique des déchirements de l'Angleterre à quelques mois de la "glorieuse révolution", Oroonoko doit être compris comme la trace d'un "héritage", celui des bouleversements et "ambivalences" nés des grandes découvertes, plus que comme un lointain ancêtre des Lumières. La révolte d'Oroonoko n'a rien à voir avec les lamentations du Nègre du Surinam que Voltaire mit en scène dans Candide. Même si sa peau est noire, ses traits sont européens et les colons eux-mêmes le considèrent comme un des leurs...

"Roman colonial de l'incertitude", Oronooko est un texte ambigu, insaisissable, et c'est la raison même de son intérêt pour l'historien. Le prince africain est victime de l'injustice, humilié et torturé. Pourtant, souligne Jean-Frédéric Schaub, "le monde de Aphra Behn était capable de bien des horreurs, mais il n'avait pas enfanté le système du racisme".

Un autre texte qui paraît simultanément, exhumé par hasard dans la bibliothèque de Tocqueville, vient à point nommé pour témoigner de l'évolution des esprits, un demi-siècle plus tard. Le Journal d'un négrier au XVIIIe siècle, publié dans une version présentée et annotée par Pierre Gilbert, est initialement paru en 1734, à Londres. Ce témoignage passionnant, oeuvre de William Snelgrave, un officier de marine à l'étonnant talent de conteur, est constitué de trois livres en apparence très disparates : le premier relate la destruction du royaume de Juda, sur les côtes d'Afrique, dans les années 1726-1730, alors que le dernier se rapporte à l'année 1719, où il fut aux prises avec les pirates. Quant au deuxième, le plus mince mais aussi le plus éclairant, il fournit la clé de tout le récit : en quelques pages, notre négrier entend détromper "un de ses amis qui s'était imaginé que ce commerce ne pouvait guère s'accorder avec les sentiments d'une conscience un peu droite ni avec ceux de l'humanité". Si ce texte est un témoignage précieux sur l'état d'esprit des artisans de la traite, et l'élaboration d'un discours raciste rationnel, il témoigne aussi du trouble croissant que ce trafic provoque dans l'opinion éclairée.

Tous les arguments censés justifier la traite sont exposés : en achetant les esclaves, les négriers les sauvent d'une mort certaine. Ils traitent bien les Africains, puisqu'ils les ont achetés fort cher, et de toute façon ceux-ci sont bien plus heureux aux Amériques qu'en Afrique. Les captifs sont renvoyés à leur nature de "sauvages". Les arguments sont en place, ils ne bougeront plus ; la bataille de l'abolition allait encore durer plus d'un siècle.


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OROONOKO PRINCE ET ESCLAVE. ROMAN COLONIAL DE L'INCERTITUDE de Jean-Frédéric Schaub. Seuil, "La librairie du XXIe siècle", 202 p., 20 €.
JOURNAL D'UN NÉGRIER AU XVIIIE SIÈCLE de William Snelgrave. Introduction et notes de Pierre Gilbert. Gallimard, "Témoins", 260 p., 19 €.

Signalons aussi Les Deux Princes de Calabar, une odyssée transatlantique à la fin du XVIIIe siècle, passionnant récit, par Wendy Sparks, du destin extraordinaire de deux princes africains (Les Perséides, 160 p., 16 €).


Jérôme Gautheret
Article paru dans l'édition du 20.06.08.
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