Posté le: Ven 23 Juin 2006 20:22 Sujet du message: Quel modèle pour la famille Antillaise ?
Celà fait longtemps que je souhaitais lancer ce sujet. Au fil des discussions lancées sur ce forum, j'ai appris pas mal de choses sur l'Afrique (à défaut de venir sur place, mais ça viendra un jour ). Parmi les discussions qui m'ont le plus apporté, celles concernant les questions de société, en particulier celles qui touchent à la place de la Femme par rapport à l'Homme, tels que ceux-ci :
Au fil du temps, j'ai réalisé à quel point il était vital pour nous, Antillais, de revenir à la source de nos cultures originelles africaines à tous les niveaux, et en particulier en ce qui concerne nos structures familiales et sociales. En effet, c'est un point qui me semble particulièrement fragile et défaillant dans nos sociétés déstructurées, et je vois mal comment nous pouvons envisager sereinement l'avenir sans nous pencher là-dessus. Autant la désaliénation spirituelle est nécessaire, autant la désaliénation mentale (haine de soi, complexe d'infériorité lié à la hiérarchie "raciale" du système esclavagiste, rejet de l'Afrique, etc...) est capitale, autant il est illusoire de penser y parvenir dans une société aux fondements fragiles. Pour y arriver, il me semble essentiel de connaître les structures familiales originelles qui prévalaient en Afrique pré-esclavagiste, de bien comprendre comment ces bases ont été disloquées par le système esclavagiste, comment celà se manifeste aujourd'hui, et dans quelle direction nous voulons aller.
Aussi, je remercie d'avance les Frères Grioonautes Africains pour leurs contributions concernant les structures familiales africaines
Pour lancer ce topic, une réflexion sur le statut de la femme antillaise
Du 16 octobre au 7 novembre (2004) se tenait à Créteil la 2ème édition du festival « Karayib ». Cette manifestation de rencontres, de découvertes et d’échanges autour des sociétés et cultures caribéennes permet à de nombreuses personnalités de se retrouver et de faire partager leurs expériences.
A cette occasion Viviane Romana, Docteur en psychologie, intervenait sur le rôle et la place de la femme dans les sociétés caribéennes.
Pouvez vous en quelques mots nous raconter votre parcours ?
Viviane Romana : Je suis psychologue - clinicienne, et aujourd’hui je travaille au centre Georges DEVEREUX où j’anime des consultations d’ethnopsychiatrie.
Ce centre universitaire reçoit des familles migrantes et leurs enfants, ainsi que des jeunes qu’on appelle des « primo – arrivants », venant pour la plupart des pays d’Afrique en guerre. De par mes origines guadeloupéennes, et grâce à mon travail avec Tobie Nathan (fondateur et créateur de l’ethnopsychiatrie en France), j’ai été amenée à recevoir des femmes Antillaises humiliées ou abandonnées par des hommes volages, convaincues que leur malheur avait été provoqué par l’action malveillante d’une rivale jalouse. J’en ai donc fait une thèse de doctorat.
Je suis également responsable de la formation au centre Devereux.
[...]
Quel regard portez vous sur la condition des femmes Antillaises aujourd’hui ?
Le regard que j’ai sur la femme antillaise aujourd’hui est essentiellement celui que j’ai porté sur la Guadeloupéenne et la Martiniquaise vivant en France. La femme antillaise, notamment celle qui vit en France, est une femme moderne car très active. Claude-Valentin MARIE, directeur du GIP (Groupe d’études de lutte contre les discriminations), précise qu’elles sont beaucoup plus actives que les métropolitaines vivant en île de France, avec un taux moyen d’activité de 78% contre 56% pour les Franciliennes. Elles travaillent doublement pour assurer la charge de leur famille qu’elles assument souvent seules. Il faut savoir que près d’un quart des mères antillaises élèvent leurs enfants seules, contre une Francilienne sur dix. Ce sont donc les femmes assumant une famille monoparentale qui sont les plus actives. C’est aussi le cas de celles qui vivent aux Antilles et en Guyane.
Les Antillaises sont donc des femmes actives et indépendantes, et de ce fait modernes. Mais, elles sont aussi terriblement seules. Une solitude qui, dans bien des cas, génère une grande souffrance. La majorité de celles qui me consultent, le font parce qu’elles ont été à maintes reprises abandonnées par un concubin ou engrossées par un amant de passage. La souffrance provoquée par les relations conflictuelles avec les hommes, l’instabilité affective des couples, la précarité du lien conjugal est le motif principal de consultation chez un gadèd zafè (guérisseur) ou chez un psychologue. Je porte bien sûr sur mes compatriotes, le regard d’une thérapeute informée de leurs maux. Je me suis rendue compte que ces maux révélaient avant tout les dysfonctionnements d’une organisation familiale née de l’esclavage. La famille antillaise repose sur un personnage : la mère dont la force garantit l’équilibre familial. Cette famille, qualifiée de matrifocale, est structurée autour de la mère ou de la grand-mère. Les hommes sont absents, car souvent de passage. Ils engrossent et ils partent, encore soumis malgré eux à l’article 12 du code Noir :
« Les enfants qui naîtront de mariages entre esclaves seront esclaves et appartiendront aux maîtres des femmes esclaves, et non à ceux de leur mari, si le mari et la femme ont des maîtres différents ».
Le concept de matrifocalité désigne un certain type d'organisation familiale qui prévaut dans la Caraïbe et dans les Amériques noires. Elle se définit notamment par la place centrale qu'occupe la mère au foyer et l’absence du père. Cette position centrale et déterminante de la mère supplée la défaillance paternelle. C'est donc l'absence du père qui contraint la femme à occuper cette position matrifocale. Dans ce dispositif familial, la mère est décrite comme un être exceptionnel, forçant l'admiration de tous par son courage et sa force à affronter une situation économique souvent précaire.
L'homme se distingue par son irresponsabilité, son machisme, son donjuanisme, et son alcoolisme.
Le caractère pathogène de la matrifocalité a fait l’objet d’une vive controverse dans la littérature anthropologique, sociologique et psychologique portant sur cette question. Des auteurs comme Simey, Frazier, Bastide, ont considéré cette organisation familiale bancale, déviante, pathologique. D’autres, notamment André, ont davantage insisté sur sa cohérence et sa ligne de force.
Bien que je sois d’accord avec André, je constate tout de même que la structure matrifocale dysfonctionne de plus en plus au contact du modèle patriarcal français, lui-même en pleine mutation. Je m’explique. Aujourd’hui, sur bien des points, les mères antillaises ressemblent à leurs aînées. Je suis toujours très impressionnée par la force qu’elles déploient quand elles ont à élever seule leurs enfants. Ce n’est pas seulement la « maman-courage » décrite dans la littérature. Sa force qu’elle puise souvent dans une très grande foi en Dieu, lui permet de surmonter les pires épreuves de la vie, et de ne pas sombrer dans une dépression handicapante.
C’est en quelque sorte, une force de survie et de résistance, probablement transmise par une arrière-grand-mère esclave. Quand, la mère antillaise assume pleinement la place centrale qui est la sienne, elle est alors ce « poteau mitan », à la force exceptionnelle qui n’a point besoin d’homme dans son lit et pour élever ses enfants. Elle s’en vante même !
Les femmes d’aujourd’hui, celles que j’ai entendues dans les groupes de paroles que j’anime au sein de l’association « Comité Marche du 23 Mai 1998 », tout en continuant à mépriser les hommes antillais tout autant que leurs mères et leurs aïeules, déploient une énergie considérable à ne plus être ces « poteaux mitan ». Elles admettent ne plus avoir la force de ces dernières pour occuper une telle place, et surtout rêvent à cette famille décrite dans les magazines féminins. Elles rêvent et croient en la concrétisation de ce rêve. Nos grands-mères ne rêvaient certainement pas ! Le problème : c’est l’homme. Avec quel homme concrétiser ce rêve ? L’homme antillais est toujours vécu comme un homme volage, instable, et irresponsable. Il est difficile de construire avec un homme qui, au fond, n’est pas un homme, en tout cas pas celui décrit dans ces magazines féminins : le produit d’une société patriacarle, détenant un pouvoir économique et politique qu’il consent de nos jours à partager avec la femme, un chef de famille conscient de ses responsabilités et qui consent à s’impliquer davantage dans l’éducation des enfants et dans les tâches ménagères. En définitive, cette femme antillaise qui se saisit pleinement du modèle conjugal, mais aussi familial largement médiatisé et soutenu par la psychologie, mobilise une énergie psychique considérable pour ne pas suivre les traces d’une mère ou d’une grand-mère « poteau mitan ».
Y parviennent-elles ?
Un quart, pas du tout : elles perpétuent la matrifocalité comme au premier temps. Et pour les autres, les femmes mariées, leur union, signe de « respectabilité », ne les a jamais éloignées de cette position matrifocale. La position matrifocale des femmes antillaises est toujours d’actualité, même si elles rêvent d’un tout autre modèle dans lequel les femmes et les hommes tendent vers une relation symétrique. Ce rêve va t-il suffire à renverser la matrifocalité ? Je constate tout de même que cette structuration familiale issue de l’esclavage, les a rendues étonnamment modernes !
Vous parliez d’un héritage issu de la période esclavagiste. Comment expliquez-vous ce pouvoir donné à la femme ?
Fritz Gracchus, enseignant a apporté une réponse que je trouve particulièrement intéressante, bien qu’elle ait déclenché un véritable tollé lors de la publication de sa thèse de troisième cycle : les lieux de la mère dans les sociétés afro-américaines (Editions Caribéennes et le Centre Antillais de Recherches et d’Etudes, 1980). Pour Gracchus, la société esclavagiste ne se limitait pas à un rapport de pouvoir entre un maître omnipotent et un esclave soumis. Le pouvoir du maître était renforcé par un réseau de pouvoir. Il déléguait du pouvoir à certains protagonistes qui faisaient fonctionner la « machine esclavagiste » : le gérant, l’économe, le contre-maître, et les femmes, entraînant alors entre les esclaves des rapports de pouvoir, et donc rivalités, haine, jalousie, division _ division venant renforcer le pouvoir du maître et interdisant des résistances individuelles et collectives. Les femmes, et tout particulièrement les domestiques, les nourrices, les maîtresses du maître, les mères, les soignantes (infirmières, accoucheuses) et les marchandes sont investies de pouvoir dans la société esclavagiste : pouvoir d’enfanter et d’éduquer ses enfants et ceux du maître (mère), pouvoir de capter le désir du maître et de le faire jouir (maîtresse). C’est donc le sexe de la femme esclave et sa fécondité qui lui ont donné ce pouvoir sur l’homme dans le système esclavagiste. Tous ces atouts lui ont valu les faveurs du maître. Les mères de cinq enfants devenaient « libres de savane », c’est-à-dire exemptées de tous travaux sur l’habitation, ou recevaient une gratification, sorte de prime augmentant progressivement avec le nombre d’enfants. GRACCHUS avance l’idée que la machine esclavagiste a fabriqué des hommes qui ne sont que des outils et des géniteurs, dépourvus de pouvoirs, et de fait, en position d’infériorité par rapport à leurs compagnes.
La famille s’est donc construite autour de la femme, les enfants se sont faits autour de la mère. Nous sommes les enfants d’une mère, pas vraiment les enfants d’un père.
Ces problèmes d’actualité ne doivent pas intéresser seulement des psychologues. Tout Caribéen, tout Antillais doit prendre conscience de cette situation. En France, la dépression est vulgarisée par des émissions et revues que tout un chacun peut lire. Nos souffrances et dysfonctionnements collectifs doivent devenir des sujets publics aux Antilles.
On voit donc ici un diagnostic pas très réjouissant sur le statut de la femme Antillaise, dont découlent des dysfonctionnements non négligeables dans la famille (difficultés économiques pour élever les enfants seule, lacunes liées à l'absence de modèle paternel pour les enfants) et dans la société (quelle place pour l'Homme Antillais ?) _________________ "Le colonialisme et ses dérivés ne constituent pas à vrai dire les ennemis actuels de l'Afrique. À brève échéance ce continent sera libéré. Pour ma part plus je pénètre les cultures et les cercles politiques plus la certitude s'impose à moi que LE PLUS GRAND DANGER QUI MENACE L'AFRIQUE EST L'ABSENCE D'IDÉOLOGIE."
Cette Afrique à venir, Journal de bord de mission en Afrique occidentale, été 1960, Frantz Fanon, Pour la Révolution Africaine
2011, annee Frantz Fanon
Posté le: Ven 23 Juin 2006 20:42 Sujet du message:
J'ai trouvé sur Volcréole un compte-rendu du colloque sur le rôle et la place de la femme dans les sociétés caribéennes, animé par la psychologue Viviane ROMANA (cf. article cité ci-dessus)
le fameux bonus : quelques réflexions perso, les petits plus du débat et certains des témoignages apportés:
tout d'abord, sur Viviane Romana, -qui s'est présentée en précisant qu'en tant que psy, elle avait une certaine vision des dysfonctionnements de la société antillaise- : j'ai beaucoup apprécié la manière dont elle a amené et mené le sujet, en particulier la manière subtile dont elle a mis en évidence les effets négatifs de cette matrifocalité.
première inquiétude quant à cette situation: l'importance de l'absence de père pour l'équilibre de l'enfant
cette structure matrifocale, est-elle une famille "normale"?
il faut préciser également ce qu'est la cellule familiale: en général c'est la mère, mais le rôle fondamental revient également à la grand-mère et parfois aux soeurs de la mère. (tout un univers de femmes propice à l'épanouissement ...)
et puis pour rebondir sur un point soulevé plus haut: NON cela ne concerne pas que les femmes "sans mari":les épouses souffrent souvent de la même solitude de ne pas avoir d'homme, d'homme capable de les aimer, d'homme stable, d'homme comme ...dans les magasines féminins (rires dans la salle, mais c'est tellement vrai... )
bref tout cela engendre de grandes difficultés dans les relations conjugales : l'homme antillais ne correspond pas à cet idéal patrifocal vanté par les magasines, or de nos jours c'est ce que la femme antillaise, souvent attend de lui...
la souffrance des hommes aussi a été évoquée: et oui, ce serait une grave erreur que de croire que seule la femme souffre, l'homme aussi souffre ; il lui est difficile d'être père, souvent il doit se battre pour conserver sa place auprès de la femme qui voudrait bien s'en passer. plus souvent que rarement il lui est difficile de créer une famille solide qui tienne la route malgré sa volonté d'y arriver car lui aussi est marqué profondément par la souffrance que sa propre mère a enduré.
il y a eu un témoignage simple et bref, et émouvant qui m'a boulversée: celui de cette jeune mère de famille , qui a grandie dans une famille composée de deux parents, mais qui était en conflit avec son père. aujourd'hui elle se rend compte que son père a tenu a être présent , à assumer son rôle, même si cela n'a pas été facile pour sa famille, et que si aujourd'hui elle est capable elle aussi d'avoir son petit foyer, son mari a ses côtés, quelque part c'est grâce à lui, son père.
il y a eu une intervention énergique, un coup de gueule, mais bien envoyé, de cette femme qui a précisé la souffrance qui était la notre, les séquelles de l'esclavage dans nos esprits, à nous descendants d'esclaves à qui on niait toute vie familiale, toute humanité tout court.
la difficulté qui en découle d'être un couple, une famille heureuse et en paix.
l'homme et la femme souvent s'affrontent et pas seulement moralement, le premier faisant jouer la force pour assouvir son besoin de dominer, lui à qui le système esclavagiste n'accordait qu'un rôle de géniteur...
il y a eu également une longue intervention (qui m'a donné froid dans le dos)d'une femme fière de son staut de femme potomitan malgré elle, (2 échecs, l'ont conduite à renoncer définitivement à l'homme..): elle élève seule sa fille avec laquelle elle entretient une relation fusionnelle et à laquelle elle impose de devoir "réussir" parce sa maman s'est sacrifiée... (on reviendra dans le débat sur les dégats causés par cette impression de "sacrifice" et la pression qu'elle engendre sur les enfants) ceci dit la maman est d'autant plus fière, qu'elle a atteint l'autonomie, qu'elle a réussi sans homme dans sa sie: aujourd'hui elle est propriétaire de son appartement...
il y a eu encore le témoignage de cette femme capverdienne qui montrait que le problème ne concerne pas que les Antilles.
deux hommes ont également pris la parole pour dénoncer ces femmes qui les repoussent, et venter la viabilité de "la vie à deux". (je résume, mais c'est c'était bien je crois l'idée générale)
en conclusion le docteur Romana a attiré l'attention sur les dangers que pouvait représenter l'introduction de force de l'homme dans une structure matrifocale, et ce uniquement pour se conformer au modèle patrifocal censé être la norme;
le système matrifocal a sa cohérence interne, il repose sur un équilibre toutefois précaire car la femme potomitan souvent a le sentiment de s'être sacrifiée pour tenir sa famille: lui montrer qu'elle a échoué, qu'elle défaille et vouloir lui imposer la présence d'un homme "salvateur" serait destructeur. la femme antillaise a la capacité d'élever ses enfants, en leur donnant une éducation avec une morale.
ce n'est pas à des problèmes individuels que nous sommes confrontés, mais bel et bien au dysfonctionnement de tout un système, celui qui tient aux spécificités des sociétés nées de l'esclavage
Merci à PHYLO de Volcreole, j'espère que cet emprunt ne l'aura pas dérangé
La question que je me pose face à cette analyse est : la femme antillaise n'aspire-t-elle aujourd'hui à avoir un compagnon de vie QUE pour se conformer au modèle véhiculé par les magazines (est-ce que tout le monde lit les magazines ? ) ou, plus naturellement, parce que, comme pas mal d'être humains, sans distinctions de sexe ni d'origine, elle aspire au partage et au bien-être affectif que procure une relation amoureuse équilibrée ? Est-ce faire preuve d'aliénation que de désirer une relation amoureuse équilibrée, de construire une cellule familiale s'appuyant sur les deux parents (que je sache, partout sur la planète, c'est à deux qu'on fait les enfants ! ) ou, au contraire, le propre de la famille africaine est les femmes d'un côté, les hommes de l'autre, et les enfants... euh... Est-ce que ça peut apporter quelque chose à nos sociétés de construire un projet familial impliquant les 2 parents, ou, au contraire, celà n'a-t-il aucun intérêt ?
Enfin bref, vous avez compris, j'ai besoin de vos lumières africaines, là _________________ "Le colonialisme et ses dérivés ne constituent pas à vrai dire les ennemis actuels de l'Afrique. À brève échéance ce continent sera libéré. Pour ma part plus je pénètre les cultures et les cercles politiques plus la certitude s'impose à moi que LE PLUS GRAND DANGER QUI MENACE L'AFRIQUE EST L'ABSENCE D'IDÉOLOGIE."
Cette Afrique à venir, Journal de bord de mission en Afrique occidentale, été 1960, Frantz Fanon, Pour la Révolution Africaine
2011, annee Frantz Fanon
Il n’y a pas de structure humaine sans structure de parenté et dans la structure de parenté ce qui domine c’est la prohibition de l’inceste. La cellule familiale est basée sur l’alliance entre un homme et une femme appartenant à un lignage différent
Ce thème de la parenté a été particulièrement mal traité pour les Amériques noires. La véritable question qui se pose est de savoir pourquoi il y a si peu de mariages et tant d’enfants « illégitimes » ; pourquoi la mère a-t-elle une si grande importance ? comment est vécu l’absence du père. Ces questions sont présentes dans toute l’Amérique.
Les pays anglo-saxons pratiquent une politique de mariage à outrance pour « moraliser » la vie familiale. Les premières études concernant la nuptialité des Noirs ont été menées aux USA.
Les études sur la nuptialité des Noirs.
Les précurseurs : DuBois, Herskowitz et Frazier.
En 1909, DuBois publie la famille noire américaine. Il indique qu’il y a deux discours contradictoires sur la famille noire américaine : le premier est favorable à la nuptialité et considère que c’est une avancée de la civilisation ; l’autre fait du Noir un être sans morale mû exclusivement par ses pulsions sexuelles. DuBois s’efforce de montrer que la réalité se situe entre les deux discours.
Herskowitz montre qu’il existe une famille noire américaine, ; mais qu’elle emprunte beaucoup à l’Afrique. Il montre le lien qui existe entre le « mari visiteur » et l’Africain polygame des sociétés ouest-africaines. Il pense que cette attitude de l’homme noir des Amérique reproduit le modèle de polygynie qui a cours en Afrique. Bien que son explication soit exacte sur le fond, son explication reste discutable.
Pour Frazier, la désorganisation est due à la période de l’esclavage où les Noirs n’auraient pas pu fonder de famille. Or les études récentes ont montré, notamment sur les grandes exploitations que les esclaves avaient réussi à reproduire leur modèle familial. D’autre part, l’abolition de l’esclavage rien n’a changé et les migrations vers les villes industrielles du nord n’ont pas amélioré la situation.
Les thèses d’Herskowitz et de Frazier s’appuient sur les recherches historiques.
Travaux élargis à la Caraïbe anglophone.
A partir de 1950, les travaux concernant les Noirs américains sont élargis à la Caraïbe anglophone. Avec cet élargissement géographique, la question se modifie et devient plus fonctionnaliste. La question est envisagée dans ses relations avec la société globale. Le Noir d’Amérique vit au sein d’une société ; elle prendre en compte la situation sociale des Amériques noires.
Le discours moralisateur est interprété comme fonctionnel et montre l’interdépendance de la constitution des systèmes familiaux.
Essai de typologie : Simey et Clarcke.
En 1946, Simey propose une typologie de la famille noire américaine basée sur une approche sociale :
- famille chrétienne, patriarcale à mariage légal sur le plan juridique et religieux ;
- concubinage fidèle, famille patriarcale stable ;
- cohabitation consensuelle. Stabilité de la famille moins importante que précédemment ; le couple vit au moins trois ans ensemble ;
- famille désintégrée comprenant généralement une ou plusieurs femmes avec des enfants et des petits-enfants.
Edith Clarcke a publié en 1957 Ma mère qui m’a paterné. Elle travaille sur la Jamaïque et oppose la famille « coup complet » à la famille désintégrée. La famille désintégrée est reconnue par les Noirs jamaïcains comme constituant une famille véritable. Ces familles sont en fait intégrées dans le système social des Noirs américains.
Les auteurs s’accordent pour reconnaître que la diversité des sociétés étudiées ne correspond pas à une pluralité des organisations familiale, mais à une similitude ; ce type de famille constitue une unité anthropologique des Amériques noires. La constante qui se retrouve dans toutes ces familles et la place centrale de la mère dans l’organisation familiale. C’est la matrifocalité.
La théorie de la matrifocalité de Robert Smith
Robert Smith a inventé ce mot de matrifocalité pour rendre compte de la réalité familiale des Amérique noires. Ce mot :
- ne doit pas être confondu avec la matrilinéarité
- ne signifie pas matrilocalité (résidence chez la mère de l'épouse)
- n'indique pas qu'il s'agit d'une société matriarcale.
Nancy Solien a défini la famille matrifocale comme « un groupe de parenté co-résidentiel n’incluant pas la présence régulière d’un homme dans le rôle d’époux-père et à l’intérieur duquel les relations effectives et continues se font surtout entre parents consanguins ».
Smith a travaillé sur la famille noire du Guyana (ex-Guyane britannique) Il a effectué, en 1956, une étude analytique de la famille pour démontrer que le lien fondamental dans la famille est le lien filial. Meyer Fortès, professeur d’ethnologie sociale à Cambridge, considère la succession de générations comme la clef de voûte de la parenté : le lien parental est indispensable pour la reproduction de la société. Or dans les Amériques noires, il n’y a pas de conjoint mais des enfants. Levi-Strauss critique la théorie de Meyer Fortès sur la parenté et démontre que ce sont les liens d’alliance qui priment le fait social.
Smith démontre que la structure familiale se met progressivement en place et qu’elle correspond à un cycle de développement :
- Un ménage se forme quand un homme et une femme s'installent dans une maison ;
- L'un ou les deux parents peuvent avoir déjà eu des enfants ; ceux-ci peuvent rejoindre le nouveau couple.
- Dans les premiers temps de la cohabitation, la femme est occupée par la question de la procréation et l'élevage des jeunes enfants. Elle dépend pour sa vie matérielle de son compagnon. Les hommes ne participent ni à l'élevage ni à l'espace de la maison.
- Les enfants grandissent et participent peu à peu à la vie de la maisonnée.
- La femme est libérée de la dépendance du compagnon. Les enfants apportent de nouvelles sources de revenu et la femme devient le centre d'une coalition économique et de décision.
- La femme assume la position de chef de famille et l'homme s'éloigne de plus en plus de la maisonnée pour fonder un nouveau groupe. L'unité s'éteint à la mort de la femme.
Robert Smith s’appuie sur un fonctionnalisme économique. L’homme est en situation économique précaire ; il peut être facilement remplacé par la femme ou les enfants comme source de richesse. Il fait remarquer que lorsque les Noirs peuvent échapper à la misère, il y a disparition de la matrifocalité.
Mais lorsque l’on observe les populations asiatiques, notamment les Hindous et les Chinois qui sont arrivés au XIXème siècle, après les abolitions de l’esclavage, et dont les conditions de vie ne sont pas meilleures que celles des Noirs, les structures familiales ne sont pas semblables à celles des Noirs américains. D’autre part, dans les familles de la classe moyenne, le système matrifocal est reproduit en raison de l’infidélité sexuelle de l’homme.
Certains ont cherché à expliquer cette matrifocalité en s’appuyant sur la démographie : les ration entre hommes et femmes sont déséquilibrés en raison des migrations des hommes pour aller chercher du travail. Or, dans cette théorie, il y a confusion entre matrifocalité et absence physique de l’homme.
Une autre vision de la matrifocalité : Mikaël Smith
Mikaël Smith propose une autre théorie des structures familiales noires. Il reproche à Robert Smith de ne pas prendre au sérieux la relation homme/femme, point de départ de la structure familiale.
Il propose, dans la structure de la famille des Indes occidentales (1962), un système d’union caractéristique avec trois alternatives équivalentes entre elles :
- union extra-conjugale
- concubinage
- mariage
Ces trois types d’union sont reconnus comme valides par la famille américaine noire. La matrifocalité est relativisée ; elle est présentée comme la conséquence du veuvage ou de la relation extra-conjugale. Toutes les sociétés créoles institutionnalisent les unions extra-conjugales. La notion de « mari visiteur » implique qu’il y ait un lien durable et stable, comprenant une périodicité des relations entre deux personnes. Dans ce cadre, l’homme aide la femme matériellement et participe par ce biais à l’éducation des enfants.
Ce type d’union est caractéristique de celui pratiqué par les jeunes issus de milieux pauvres. Il y a bien union et elle est pratiquée et reconnue par l’ensemble de la société.
Dans les Amériques noires, l’homme est encouragé à entretenir plusieurs unions simultanés ; l’homme est très souvent marié et « mari-visiteur ». Là où Mikaël Smith commet une erreur dans son analyse c’est qu’il pense que cette distribution existe aussi chez les femmes. Or chez les femmes, il y a une grande surveillance sexuelle et un contrôle très strict pour les filles. Les relations passagères sont réprouvées et font l’objet d’une opprobre générale. La femme peut avoir plusieurs maris, mais successivement ; jamais en même temps. Il semble donc que la recherche en paternité, c’est à dire la connaissance de la filiation soit importante car autrement quel intérêt y aurait-il à ce qu’une femme n’ait pas plusieurs maris en même temps ? l’union est non seulement une alliance, mais aussi une recherche de filiation (réelle ou fictive).
D’autre part, le modèle de Mikaël Smith accorde une place trop importante au mariage qui devient le point central des relation et du mode d’union dans les Amériques noires. Son schéma est le suivant :
jeunes relations extra-conjugales
hommes concubinage
hommes âgés mariage
Le mariage ne procure aucun avantage direct par rapport au deux précédent si c n’est une reconnaissance sociale. Le mariage procure une forme de respectabilité. Un proverbe créole dit : « Le mariage c’est béni péché ». Cela signifie que les péchés dus à la vie menée hors mariage sont effacés, ne comptent pas, qu’ils ont été absouts par le sacrement du mariage. Le problème vient de ce que les Noirs américains sortent du mariage sans divorce, par séparation par consentement mutuel. Le mariage n’est pas considéré comme un lien indissociable entre époux ; il n’est pas non plus l’aboutissement d’une union.
Essai de définition de la matrifocalité.
Définir la matrifocalité est assez complexe et peut plus se définir parce ce qu’elle n’est pas que l’inverse.
Un type de composition familiale concrète regroupant une mère et ses enfants ; elle n'est pas la conséquence de l'absence de l'homme adulte dans la maisonnée.
Une matrilinéarité car le père reconnaît ses enfants et leur donne souvent son nom. On hérite du père à la mort de ce dernier, même s'il n'y a pas eu mariage. Dans l'entourage de foyer matrifocal, il y a toujours un homme présent, même si ce n'est pas le père. Ce peut être l'oncle maternel, le conjoint momentané de la mère, etc.
ce n'est pas un inventaire de personnes présentes dans la maisonnée. Ce nombre varie selon les époques et l'évolution de la maisonnée. Si la géométrie de la maisonnée varie avec le temps, les liens qui unissent ses membres restent toujours très forts.
La maisonnée est liée à la présence inamovible du pôle focal maternel, pôle qui peut être exercé directement par la mère ou par la mère de celle-ci donc la grand-mère (éventuellement par la sœur aînée). En tous cas, il s’agit d’une figure féminine. Toutes les compositions ne sont pas possibles :
Le mariage est fondé sur les échange ; il nécessite une ouverture de la cellule familiale. Seule l’ouverture de la maisonnée permet de favoriser les échanges
Le lien biologique mère/enfant ne conditionne pas socialement le lien mère/enfant ; l’élevage de l’enfant peut se faire par une autre mère que la mère biologique. Dans les Amériques noires, il faut être une mère focale pour exercer le rôle de mère. La famille est fondée sur une répartition des rôles
La femme ne dispose pas d’une autorité absolue sur la famille. L’autorité est celle de l’homme. L’autorité de la mère s’étend sur l’espace domestique.
La matrifocalité est une structure familiale originale. Elle est le principe même de la composition familiale noire américaine. Les relations de parenté sont structurées autour du lien mère/enfant. Ce qui compte ce sont ces liens mère/enfant et l’organisation des liens autour de ce couple mère/enfant. C’est à travers la mère que les enfants sont reliés socialement à leur réseau de parenté. Le lien avec le père est plus spécifiquement celui qui les lie au conjoint de leur mère. Tous les liens passent à travers la mère d’où l’importance de la parenté de la mère. Ego ne connaît de son réseau de parenté que ce que sa mère lui laisse entrevoir de ce réseau. Il n’y a pas de relation directe entre personne du réseau hors de la mère.
dans la famille créole, tous les enfants sont liés
aux autres membres de la famille à travers la mère
Ce système permet de créer constamment un double maternel possible. Si la personne qui détient le rôle focal disparaît, elle est toujours remplacées par quelqu’un qui est apte à détenir le rôle.
La grand mère joue un rôle particulièrement important. Dans les structures traditionnelles, il y a alternance de générations, parce que les grands parents ne possèdent pas un pouvoir direct sur l'éducation des enfants. Or ce schéma ne s'applique pas aux Amériques noires. Il n'existe pas de relation de complicité entre la grand-mère et ses petits enfants. La grand-mère élève souvent ses petits enfants et exerce sur eux le rôle de mère focale. Il ne peut y avoir en même temps des relations d'autorité et de complicité entre deux personnes. Le rôle de la grand-mère est lié au schéma matrifocal de la société.
L'adoption est une institution couramment pratiquée. Les enfants circulent entre les femmes ; cela est nécessaire pour que les femmes stériles puissent jouer leur rôle de mère focale. Cette situation d'adoption suppose le don de l'enfant donc qu'il y ait publicité de cet acte qui recevra en échange un contre-don sous une forme quelconque
Qu'en est-il de la « légitimité » des enfants. Certes aux yeux de la législation occidentale, les enfants nés hors mariage sont illégitimes. Mais ces enfants ne sont pas illégitimes si l'on se place en regard du système de parenté produit par la matrifocalité. Les enfants connaissent leur réseau de parenté dans lequel on veut qu'ils évoluent.
Toute la question des jugements est de savoir où l’on se place. L’illégitimité est une question de jugement. Pour comprendre la société des Amériques noires, il convient de se placer dans le cadre de la société concernée.
Bibliographie complémentaire
Bastide R. : Les Amériques noires (chapitre 2)
Goutman : La famille noire dans l’esclavage et la liberté.
André J. L’inceste focal dans la famille noire antillaise (PUF 1987)
Smith M. : La structure de la famille dans les Indes occidentales (1962) _________________ "Le colonialisme et ses dérivés ne constituent pas à vrai dire les ennemis actuels de l'Afrique. À brève échéance ce continent sera libéré. Pour ma part plus je pénètre les cultures et les cercles politiques plus la certitude s'impose à moi que LE PLUS GRAND DANGER QUI MENACE L'AFRIQUE EST L'ABSENCE D'IDÉOLOGIE."
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2011, annee Frantz Fanon
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Posté le: Ven 23 Juin 2006 21:16 Sujet du message:
Citation:
Pour y arriver, il me semble essentiel de connaître les structures familiales originelles qui prévalaient en Afrique pré-esclavagiste
Avant l'arrivée destructrice du colon, contrairement aux société indo-européenne, le système matriarcat prévalait dans les sociétés africaines et constituaient même la base de toute l'organisation sociale en afrique (héritage de l'Egype nègre) Dans certaine tribu comme par exemple chez les Kamdang, le pouvoir de la femme va plus loin puisque le système de filiation est matrilinéaire et strictement unilatéral!
Je pense qu'il faudra se pencher sur une analyse de la période de l'esclavage pour comprendre le traitement réservé actuellement aux femmes dans nos sociétés créoles. En effet, durant l'esclavage, la femme était traîtée comme l'homme, sans distinction de sexe. Les tâches dévolues à l'homme, l'était également à la femme. L'homme ou la femme "marié" ne pouvait assurer la longévité d'un foyer que selon le bon vouloir du maître; car ce foyer pouvait à tout moment être disloquer par la vente de l'un ou de l'autre; Difficile dans ces conditions d'avoir de la "considération" pour la femme noire. Quel regard les hommes noirs posaient -ils sur les femmes noires? Voyaient -ils en elles des femmes dans le sens intransèque du terme? Objet de fécondité? Faudra creuser.
Bref, je te conseille vivement la lecture de "Femmes, Races et Classes" d'Angela Davis,beaucoup de choses te paraîtront plus clair.
En ce qui concerne le rôle de la femme dans les sociétés africaines précoloniale Cheikh Anta Diop nous a laissé pas mal d'études à ce sujet, je te conseille la lecture de "Nation Nègres et Cultures" il en parle aux pages suivantes : 214, 220, 216, 218, _________________
"- A quoi est due la chute d'Adam et Eve ?
- C'était une erreur de Genèse."
(Boris Vian / 1920-1959)
Malgre tous les echanges qu'on peut avoir sur ce forum, sur ce sujet, rien ne vaut la lecture de ces deux livres de Cheikh Anta Diop: Civilisation ou Barbarie et L'Unite Culturelle de l'Afrique Noire.
Posté le: Sam 24 Juin 2006 01:43 Sujet du message: Re: Quel modèle pour la famille Antillaise ?
Cathy a écrit:
Je pense qu'il faudra se pencher sur une analyse de la période de l'esclavage pour comprendre le traitement réservé actuellement aux femmes dans nos sociétés créoles. En effet, durant l'esclavage, la femme était traîtée comme l'homme, sans distinction de sexe. Les tâches dévolues à l'homme, l'était également à la femme. L'homme ou la femme "marié" ne pouvait assurer la longévité d'un foyer que selon le bon vouloir du maître; car ce foyer pouvait à tout moment être disloquer par la vente de l'un ou de l'autre; Difficile dans ces conditions d'avoir de la "considération" pour la femme noire. Quel regard les hommes noirs posaient -ils sur les femmes noires? Voyaient -ils en elles des femmes dans le sens intransèque du terme? Objet de fécondité? Faudra creuser.
Hum... apparemment, le traitement ne fut pas si indifférencié que ça, entre les hommes et les femmes, justement A creuser, comme tu dis, on commence à avoir du bon matos pour ça
En tous cas, merci à tous pour vos contributions ! Celà m'aide beaucoup pour mes recherches actuelles.
Donc je récapitule, en classant par chapitres, et en complétant la bibliographie :
Structures familiales Africaines (anciennes et contemporaines)
- Afrique Noire Précoloniale, Cheikh Anta Diop, Présence Africaine
- Unité Culturelle de l'Afrique Noire, Cheikh Anta Diop, Présence Africaine
- Le Soudan Occidental au temps des grands empires, Djibril Tamsir Niane, Présence Africaine
- L'Afrique Centrale Précoloniale, Théophile Obenga, Présence Africaine
(merci à Soundjata Keita pour ces références )
- Civilisation ou Barbarie, Cheikh Anta Diop
- Nations Nègres et Culture, Cheikh Anta Diop
Le système esclavagiste
- Les femmes et la libération du système esclavagiste à la Martinique, 1848-1852, Gilbert Pago (Ibis Rouge, 1998)
- Les femmes dans la traite et l’esclavage, Les Cahiers des Anneaux de la Mémoire 5
- The Slave Community: Plantation Life in the Antebellum South, John W. Blassingame (Oxford University Press, novembre 1979)
La famille antillaise contemporaine
- L'inceste focal dans la famille Noire antillaise, Jacques Andrté (PUF, 1987)
- Les lieux de la mère dans les sociétés afroaméricaines, Fritz Gracchus (Editions Caribéennes, 1980)
- Sé couto sèl / Le Couteau seul – Condition Féminine aux Antilles, vol. I & II, ALIBAR F. / LEMBEYE-BOY P. (Editions Caribéennes, 1981/82)
- Les femmes antillaises, Claudie Beauvue-Fougeyrollas (Paris, 1979)
Je ne sais pas où classer "Femmes, Races et Classes" d'Angela Davis, cathy, mais je note soigneusement la référence !
Une remarque cependant: On ne peut traiter le probleme de la condition de la Femme Africaine comme un fait social, il est avant tout culturel.
Ce serait mieux de le transferer ainsi dans la rubrique appropriee afin que les participants a ce topic aient a l'esprit ce caractere particulier.
OK, chef, suggestion adoptée !
PS : je suis en train d'écouter un débat ahurissant sur KMT (TV locale martiniquaise) où l'extravagant Roland Laouchez considère que les mères martiniquaises ne savent plus élever leurs enfants et qu'il faut les payer pour qu'elles restent à la maison, ce qui en plus créerait de l'emploi... Il me semblait que la priorité dans ce pays était, avant toutes choses, de ramener les pères à la maison... Notre débat est d'actualité, c'est le cas de le dire... _________________ "Le colonialisme et ses dérivés ne constituent pas à vrai dire les ennemis actuels de l'Afrique. À brève échéance ce continent sera libéré. Pour ma part plus je pénètre les cultures et les cercles politiques plus la certitude s'impose à moi que LE PLUS GRAND DANGER QUI MENACE L'AFRIQUE EST L'ABSENCE D'IDÉOLOGIE."
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Posté le: Sam 24 Juin 2006 01:55 Sujet du message:
Sujet interessant.
En particulier le commentaire de Volcreol. En effet je suis en plein dedans.
En effet le cote femme-courage a un aspect positif qui est l'esprit d'initiative et d'independance. Mais en meme temps il y a un cote destructeur surtt quand on essaye de faire passer cette matrifocalite a sa fille en ses termes: l'homme n'est que de passage, tu n'as pas besoin de lui pour reussir. J'ai remarque ds ma belle famille que la tres grde majorite des femmes st soit divorcees soit mere celibataires. idem pour l'entourage proche. Du coup cela peut donner une ambiance malsaine si on est pas attentif. En effet certaines ont tendance a "intoxique" celles qui st ds les cples qui tiennent la route. Dieu merci ma femme n'a pas cede et a meme du coupe les ponts avec certaines.
je ne generalise pas, loin dela, mais ce que dit la psy me conforte ds l'idee que c'est finalement assez courant aux antilles.
qt a moi je suis rentre en choc frontal avec ma belle-mere. Apres anlayse je crois que cela correspond a ce que dit Volcreol. Elle a vu en moi un miroir qui a reflete les insuffisances et les echecs de son modele tres matrifocal. En effet notre couple fonctionnait (et fonctionne tjrs) plutot bien, sa fille heureuse ds ce modele-la de couple "normal", et de plus je suis africain. Ce qui a ete une circonstance aggravante. Je ne donnerai pas details bien que je trouve cette episode de notre vie tres enrichissante pour ns et pour les autres aussi. A la fin, apres qd meme une depression tres serieuse de ma femme, les choses st rentrees ds l'ordre. la maladie a servi a raprocher plus que eloigner.
Mais j'en sors avec qd meme 2 interrogations ou constats:
1/ comment expliquer que certaines mere-courage qui ont des garcons leur pardonnent tt ce qu'elle rejete chez le geniteur ?
je vois des cas ou la mere annonce fierement que son fils fait courrir les filles, en changent qd il veut, etc...et pire meme qd il ne fout rien, c'est maman qui paye les fringues et tuti quanti...
Et voila la mere-courage qui contribue a perpetue, par l'education, le cote volage et superficiel de l'homme.
Je ne generalise pas, mais je vois cela tres souvent.
d'ou vient dc ce paradoxe ?
2/ nous avons besoin de consulter tres vite des psy ou tierse personne qui connaissent bien les specificites de la societe antillaise qd il y a des frictions mere-fille (surtt) ds une famille. On le fait souvent tard.
j'ai vu d'autres cas similaire au mien qui se sont mal termines. Pourtt une des origines du pb est justement cette education matrifocale de la mere que la fille peut tres bien ne pas epousee par la suite.
Posté le: Sam 24 Juin 2006 02:29 Sujet du message:
Merci pour ton témoignage, hormheb Edifiant et très riche, j'espère pouvoir y revenir avec quelques éléments de réponse... et après une bonne nuit de sommeil
J'ai hâte de lire ta contribution sur l'Afrique, ta conception du couple et de la famille selon cette perspective, confrontée à ton vécu côté antillais, m'intéresse au plus haut point dans ce débat.
Bonne nuit à tous _________________ "Le colonialisme et ses dérivés ne constituent pas à vrai dire les ennemis actuels de l'Afrique. À brève échéance ce continent sera libéré. Pour ma part plus je pénètre les cultures et les cercles politiques plus la certitude s'impose à moi que LE PLUS GRAND DANGER QUI MENACE L'AFRIQUE EST L'ABSENCE D'IDÉOLOGIE."
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Posté le: Sam 24 Juin 2006 19:15 Sujet du message:
Tout comme Lekunfry je ne suis pas compétente pour traiter du modèle familiale antillais, mais je pense que pour les africains il est tout aussi vital
Citation:
de revenir à la source de nos cultures originelles africaines à tous les niveaux, et en particulier en ce qui concerne nos structures familiales et sociales.
car les dérives décrites ici existent aussi en Afrique.
Beaucoup de jeunes filles décrivent l'homme africain comme quelqu'un de volage,instable, irresponsable et...alcoolo, en un mot "ce sont des pauvres types", des pères démissionnaires.Cela ne présage rien de bon pour nos sociétés quand cela sort de la bouche de filles de huit ans !
Si l'esclavage a eu des effets néfastes sur les structures familiales aux Antilles, en Afrique la colonisation a créé une sacrée pagaille.
Quel était le statut de l'homme à cette époque ?Un boy, un larbin, soumis à la corvée et obligé de ramper devant le blanc.
Quel crédit peut on accorder à un homme qui se laisse insulter, humilier, fouetter devant sa femme et ses enfants par un autre homme, voir par une femme, aussi blancs soit-ils ? Ce n'est pas si lointain, mes grand-parents ont assisté à ce genre de scène.
En tant qu'homme comment puis-je ensuite faire bonne figure devant les miens, obligé de ravaler ma honte, de la noyer dans l'alcool ou de manifester ma virilité en battant femme et enfants ( la violence étant souvent la réponse des faibles).
Le colon fatigué de voir des femmes venir se plaindre sans arrêt de ce que le mari dilapidait en boisson tout l'argent du ménage prit la décision "géniale" de remettre le"salaire" à la femme.
Voici donc messieur "chefs de famille" tributaires de leurs femmes pour avoir un peu d'argent de poche.
Double soumission, au blanc et à madame !
Les femmes décrites alors comme combattantes, courageuses, plus dignes de confiance...
Il faut rajouter à cela l'hospitalité africaine qui consiste à ne pas laisser l'étranger dormir seul ( en fait un droit de cuissage que le colon a imposé) et donc à lui offrir "gracieusement" sa femme ou sa fille.
La famille peut-elle se construire sereinement sur la base de tels rapports ?
D'ailleurs les "nouveaux blancs" d'Afrique que sont nos chefs d'état et ministres ont repris à leur compte ce droit de cuissage qu'ils pratique allègrement sur les femmes et filles de leurs collaborateurs, leur reniant ainsi le droit d'être des hommes.
L'esclavage, la colonisation ont en quelque sorte castré nos hommes, les rabaissant ainsi à nos yeux.
Le papillonnage sexuel, l'étalage d'or, de grosses voitures, de billets de banque pour accrocher les filles, est ce pour eux une façon de réccupérer ce qu'on leur a confisqué ?
Bon je ne vais pas m'étaler car il y'a beaucoup à en dire, c'était juste pour signaler que ce travail de réflection est nécessaire aussi en Afrique. _________________ "Mais mon sang ne veut plus jouer les plaies du Christ
Chaque soir il couve sur son livre de bord
Le feu qui montera à l'assaut des tyrans. "
René Depestre
Posté le: Sam 24 Juin 2006 23:28 Sujet du message:
lekunfry a écrit:
est ce que le processus que tu souhaite sur le model de la familel est possiblme dans le cadre du rapport à l'afrique qu'ont aujourd'hui les antillais?
Je ne peux répondre qu'en mon propre nom : je considère avoir soldé le contentieux historique autant qu'exogène entre l'Afrique et les Antilles, et j'accorde beaucoup d'importance à la compréhension de nos racines culturelles. Autant pour mieux comprendre notre fonctionnement présent que pour mieux nous projeter dans l'avenir. Donc la démarche que je propose vaut pour les Antillais qui sont dans la même disposition que moi. Ceux qui ne sont pas convaincus pourront l'être plus tard, y'a toujours moyen de prendre le train en marche, mais il ne va pas ralentir pour autant (en tous cas, pas le mien )
Sachant qu'il ne s'agit pas non plus de rêver d'un jardin d'Eden africain proche de l'île aux enfants. Puisque l'Afrique aussi a son histoire, faite également d'agressions et d'aliénations en tout genre, et que la lutte au plan culturel y est très d'actualité comme nous l'indique Agnassa.
Il s'agit de mieux nous connaître, au sens Socratique du terme. C'est comme pour les complexes liés à la couleur de peau : on pourra râler 107 ans contre les aliénés avides de blanchiment, si nous ne faisons pas l'effort de comprendre le processus mental d'aliénation qui a conduit les nôtres à ce mode de fonctionnement, on ne peut pas aller très loin Pour comprendre ce complexe, il nous faut lire Peau Noire Masques Blancs (Fanon), et Peau Noire, Cheveu crépu (Juliette Smeralda). Au minimum. Après, on peut parler de façon plus constructive.
Pour la famille, qui structure la société, en définitive, j'en ai marre de dire ou d'entendre : "les antillais sont ceci, les pères, tous des irresponsables, ah ! qu'elles sont admirables, nos fanm potomitan !" alors que nos sociétés coulent à pic sous nos yeux. Je suis persuadée que nos comportements collectifs relèvent d'une part d'un certain atavisme, d'autre part, des constructions sociales dont on sait qu'elles se sont faites contre nous. Il est temps de chercher à comprendre, si on veut changer quoi que ce soit, y'en a marre de radoter pour rien, à la fin
Intéressant ce que tu soulignes, Agnassa, visiblement, les colons ont déstructuré vos sociétés de la même façon que chez nous : et en montant les hommes contre les femmes, utilisées comme relais du pouvoir colonial On a détruit la relation de complémentarité et de soutien réciproque entre les deux, pour mieux faciliter la soumission.
Celà confirme ma conviction profonde : on pourra conscientiser (intellectuellement) tant qu'on voudra, tant qu'on n'aura pas ressoudé hommes et femmes derrière un idéal, un projet de société commun, on n'ira nulle part, trop de divisions. La 1ère base d'une société qui fonctionne, jusqu'à nouvel ordre, c'est la famille. A nous de savoir quel modèle nous voulons, ou si on trouve que tout va bien comme c'est là, et ben on touche à rien...
Sinon, hormreb, j'ai trouvé quelques réponses à tes interrogations, mais je n'ai pas le bouquin sous la main, je te recopie l'extrait dès que possible _________________ "Le colonialisme et ses dérivés ne constituent pas à vrai dire les ennemis actuels de l'Afrique. À brève échéance ce continent sera libéré. Pour ma part plus je pénètre les cultures et les cercles politiques plus la certitude s'impose à moi que LE PLUS GRAND DANGER QUI MENACE L'AFRIQUE EST L'ABSENCE D'IDÉOLOGIE."
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Dernière édition par Chabine le Sam 24 Juin 2006 23:45; édité 2 fois
Je reproduis l'article ci-dessous (je l'ai trouvé sur le net, mais il n'y est plus disponible ) :
Une construction coloniale de la sexualité. A propos du multipartenariat hétérosexuel caraïbéen
Michel GIRAUD
Centre de Recherche sur les Pouvoirs Locaux dans la Caraïbe (CNRS/ Université des Antilles et de la Guyane) - 1999
L'épidémie de sida est d'une particulière gravité dans les départements français d'Amérique, avec une incidence cumulée des cas recensés qui est proportionnellement une fois et demie en Martinique, deux fois et demie en Guadeloupe et six fois en Guyane plus forte que dans la France entière. Dans ces départements, elle a également — quant à sa diffusion — des caractéristiques nettement spécifiques. En effet — à l'inverse de ce qui se passe en France métropolitaine et, plus largement, en Europe et en Amérique du Nord, où ce sont les conduites homosexuelles ou bisexuelles et les pratiques toxicomaniaques qui jouent le principal rôle dans cette diffusion — la transmission du VIH dans les pays antillais et guyanais se produit, le plus souvent, à l'occasion de rapports hétérosexuels (pour près des deux tiers des cas aux Antilles et plus de trois quarts des cas en Guyane, contre un sixième, par exemple, dans l'Hexagone).
Pour expliquer à la fois l'ampleur et les particularités de l'épidémie de sida aux Antilles et en Guyane, il est le plus souvent fait référence à un fort multipartenariat hétérosexuel masculin dans ces pays. Cette association n'est vraisemblablement pas sans fondement, comme l'indique l'étroit parallélisme que l'enquête Analyse des Comportements Sexuels aux Antilles et en Guyane (ACSAG) permet d'établir entre les données comportementales et celles de l'épidémiologie de l'infection à VIH dans les départements d'Amérique. En effet, l'importance relative du multipartenariat hétérosexuel, telle que la mesure cette enquête, croît entre ces départements strictement selon le même ordre que l'incidence de cette infection. Ainsi, c'est en Guyane, où l'épidémie de sida est la plus sévère, que la part du multipartenariat hétérosexuel est proportionnellement la plus forte alors que c'est en Martinique, où cette épidémie est relativement la moins développée, que la proportion des multipartenaires est la plus basse, la Guadeloupe se situant — sur les deux plans examinés — entre ces deux extrêmes.
Cependant, la catégorie, en fait épidémiologique, de multipartenariat — dont l'utilisation ne s'est récemment répandue que pour rendre compte du développement du sida et, plus largement des maladies sexuellement transmissibles — reçoit, aux Antilles et en Guyane, tout son contenu concret de significations d'une construction sociale particulière qui lui a de beaucoup préexisté. Cette construction, accouchée par unehistoire coloniale qui a été fortement marquée de l'empreinte de l'esclavage, a fabriqué une prétendue sexualité des Noirs, pour ne pas dire une sexualité "noire". Stigmatisant déjà, avant l'ère du sida, des conduites jugées socialement dangereuses — mais par d'autres voies, notamment au travers de vues sur ce que l'on appelle la matrifocalité antillaise — elle empêche de prendre une connaissance adéquate des comportements sexuels ainsi désignés, de leurs enjeux et, corrélativement, des mécanismes de diffusion de ladite épidémie ainsi que des moyens de la combattre. C'est à démêler l'enchevêtrement des déterminations et des fonctions d'une telle construction par ce qui est donc un indispensable détour du côté de l'histoire sociale des Antilles et de la Guyane que nous voulons ici nous essayer, avec l'espoir que ce faisant nous pourrons contribuer à désamorcer certains effets de celle-ci.
I. Le fait, le dit, le construit
1) Le multipartenariat en quantité...
Un des résultats les plus attendus de l'enquête ACSAG a été la confirmation de l'existence d'un fort multipartenariat hétérosexuel masculin dans les pays antillais et guyanais. En effet, ce résultat vient conforter, concernant les rapports de genre et la sexualité dans les sociétés de la Caraïbe, bien des éléments de l'opinion commune et des analyses savantes disponibles, l'une et les autres étant sur ce point largement accordées. Avec — tous âges confondus (de 18 à 69 ans) — 30 % en Martinique, 38 % en Guadeloupe et 43 % en Guyane des hommes non vierges qui ont déclaré avoir eu des rapports sexuels avec deux femmes ou plus durant l'année précédant l'enquête (soit, selon le département, de deux à trois fois plus que ce qui a été observé pour la population masculine de la France métropolitaine), c'est l'idée d'un multipartenariat systématique des hommes antillais et guyanais qui semble gagner en matérialité. Une idée qui est partagée aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur des sociétés considérées. Ou, pour le dire dans les termes d'un analyste de la famille et de la sexualité “noires antillaises”, le philosophe et psychanalyste Jacques André, l'idée que
“... l'homme n'est pas libre de ne pas avoir de maîtresse. Une obligation sociale dont le groupe des amis, ...., est le porte-parole - et de façon plus implicite, sur le mode du "compréhensif", la mère. Que l'homme déroge à cette obligation, qu'il affiche une fidélité trop voyante, il encourt le risque de la dérision (...), voire de l'insulte : makomè !” (ANDRÉ, 1987 : 301).
Les données de l'enquête ACSAG semblent également s'accorder avec l'opinion — elle aussi répandue aux Antilles et en Guyane et dans la littérature concernant ces sociétés — que le comportement masculin qui vient d'être évoqué aurait, dans ces pays, très rarement son équivalent féminin. Ces données manifestent, en effet, un écart considérable entre les déclarations des hommes et des femmes pour ce qui est du multipartenariat. Avec 8 % dans chacune des deux îles antillaises et 13 % en Guyane des femmes qui disent avoir eu des rapports sexuels avec deux hommes ou plus durant l'année précédant l'enquête, cet écart place le multipartenariat hétérosexuel féminin déclaré à un niveau quatre à cinq fois inférieur à celui de son équivalent masculin. Ainsi serait confirmée le point de vue selon lequel il existe dans les sociétés caraïbéennes, en matière de sexualité, un double standard de comportement selon le sexe des individus. Une dualité qui est souvent soulignée dans les publications relatives à ces sociétés et dont, là encore, l'analyste précédemment cité propose une formulation exemplaire :
“... hommes et femmes sont soumis à deux régimes de leur vie sexuelle nettement distincts. Aux uns la pluralité, aux autres la fidélité. La femme mariée, la concubine (...) n'ont pas de liaison extra-résidentielle, sauf à courir le risque de la honte et de l'opprobre - là où, à l'inverse, l'homme construit l'essentiel de sa réputation.” (ANDRÉ, 1987 : 32).
Le décalage que nous avons constaté entre les conduites déclarées des individus de chacun des deux sexes est un phénomène que connaissent bien les responsables d'enquêtes quantitatives sur les comportements sexuels, il est, par exemple, également attesté en France par les résultats des enquêtes métropolitaines. Comme ces responsables savent parfaitement que ce décalage constitue le plus souvent une impossibilité matérielle au plan statistique. Pour rendre compte du "fait polémique" que représente la contradiction évoquée entre ce qui est effectivement déclaré et ce qui est matériellement possible, c'est aux mêmes types de raisons que celles auxquelles ils se sont rendus que nous nous rendons à notre tour. En particulier, nous faisons également nôtre l'hypothèse que les hommes surestiment le nombre de leurs "conquêtes" ou, au moins, n'en omettent aucune, pas même les plus éphémères, dans la mesure où l'image du séducteur les flatterait. Et que les femmes sous-estiment — en ce qui les concerne — ce nombre, parce que les normes sociales les conduisent plus difficilement que les hommes à prendre en compte l'existence de partenaires sexuels dont elles n'ont pas été amoureuses et avec lesquels elles n'ont eu qu'une liaison passagère.
L'ampleur de l'écart ici discuté entre les déclarations des hommes et celles des femmes enregistrées par l'enquête ACSAG, relativement à ce qu'il est dans les résultats de bien d'autres investigations de même nature, tiendrait ainsi à ce que l'image sociale qui constitue en attribut très valorisé de la virilité la capacité de séduire le plus grand nombre possible de femmes tout en n'accordant pas la réciproque à celles-ci serait particulièrement prégnante dans les sociétés antillaises et guyanaise. C'est dire que s'il y a lieu de mettre en doute qu'au plan des comportements sexuels effectifs, il puisse exister aux Antilles et en Guyane — en ce qui concerne le nombre de partenaires — un écart entre les sexes aussi important que l'indique les déclarations des intéressés, cela ne conduit nullement à nier que les conduites sexuelles des hommes et des femmes sont soumises dans ces pays à des systèmes de valeurs et de normes fondamentalement doubles quant à ce qu'ils exigent de chaque sexe. Bien au contraire, c'est une telle dualité qui seule permet de comprendre les écarts constatés entre ce que les personnes disent de ce qu'elles font et ce que l'enquête amène à penser qu'elles font effectivement (puisque tendanciellement elles ne disent ce qu'elles font que pour autant qu'elles font ce qu'elles sont socialement autorisées à faire et à dire).
2) ... et en qualité
La convergence des données de l'enquête ACSAG avec les représentations courantes des comportements sexuels aux Antilles et en Guyane ne s'arrête pas à la seule reconnaissance de l'importance — en quantité — du multipartenariat hétérosexuel masculin dans ces pays mais se prolonge dans l'observation que ce multipartenariat présente — en qualité — tout un ensemble de traits spécifiques qui font de lui une réalité sui generis. Au point qu'on pourrait y voir la manifestation centrale d'une culture sexuelle particulière, celle qui serait propre à la plupart des sociétés de l'Amérique des plantations, forgées dans les fers de l'esclavage américain.
Des traits sur lesquels les données de l'enquête ACSAG semblent venir conforter les vues habituelles de ce qui ferait la spécificité du multipartenariat hétérosexuel masculin dans les sociétés antillaises et guyanaise, il en est trois principaux qui doivent être retenus : la longévité de ce multipartenariat chez les individus concernés, le fait qu'il soit bien moins lié que dans d'autres pays à la situation matrimoniale légale ou de fait des personnes et qu'ainsi il puisse concerner un nombre important d'hommes vivant en couple et même mariés et, enfin, la fréquente simultanéité des relations qui le constituent.
Ainsi, en premier lieu, les résultats de l'enquête ACSAG confirment que le multipartenariat hétérosexuel masculin n'est pas aux Antilles et en Guyane, comme c'est le cas en France métropolitaine, l'apanage de jeunes qui sont en phase d'expérimentation initiale de la sexualité, mais davantage un comportement qui persiste fortement au fil des ans. Il est encore le fait, selon le département, de 20 % à 30 % des hommes de 45 à 69 ans (contre moins de 10 % dans l'Hexagone ) et, aux Antilles, de 18 % des sexagénaires. De plus, à la différence de ce qui a été observé en Métropole, c'est dans la période de la pleine maturité sexuelle — et non chez les plus jeunes (18-24 ans) — qu'il connaît son apogée : les deux tiers environ des hommes de la tranche d'âge de 25 à 34 ans en Guyane, la moitié en Guadeloupe et un peu plus de 40 % en Martinique (mais le quart en Métropole) déclarent, en effet, être multipartenaires.
En deuxième lieu, et en corrélât de cette première spécificité, le multipartenariat en question apparaît comme étant nettement moins susceptible aux Antilles et en Guyane que dans d'autres sociétés d'être empêché par la situation de vie en couple dans laquelle se trouvent nombre des individus qu'il peut concerner. Puisque — parmi les hommes vivant en couple — ce sont 25 % en Guadeloupe et 21 % en Martinique, pour les mariés comme pour les non-mariés, 15 % pour les mariés et 37 % pour les non-mariés en Guyane (contre près de 7 % pour les mariés et un peu plus de 13 % pour les non-mariés en Métropole) qui disent avoir eu au moins deux partenaires dans les douze derniers mois.
Enfin, aux Antilles, le multipartenariat hétérosexuel masculin correspond dans la majorité des cas à la situation d'individus engagés dans au moins deux relations amoureuses se déroulant en parallèle et est donc, pour un homme multipartenaire sur deux, simultané ; et ce à toutes les tranches d'âge à partir de 25 ans. Alors qu'en France métropolitaine, étant plutôt l'apanage des plus jeunes, il est, trois fois sur quatre, successif et ne monte en puissance que progressivement avec l'âge (de 14 % chez les 25-34 ans à 36 % chez les 45 ans et plus).
Il est cependant un trait que l'enquête ACSAG révèle comme très caractéristique de ce que serait le multipartenariat hétérosexuel masculin aux Antilles et qui pourtant s'accorde mal aux représentations les plus répandues de ce multipartenariat : la très forte fréquence de relations multipartenariales qui durent depuis plusieurs années et qui, pour cette raison, peuvent être dites "stables".
Ce n'est pas que le trait en question n'ait pas été du tout retenu par l'opinion commune comme constituant une tradition antillaise ; il l'a été, notamment sous la figure de la "maîtresse entretenue". Une figure qui apparente le multipartenariat antillais à une forme de "polygamie simultanée", impliquant des relations sexuelles et affectives relativement durables un peu à la manière du phénomène que l'on désigne en Afrique sous le vocable de "second bureau". Mais il semble bien qu'aujourd'hui cette figure ait été largement recouverte dans l'opinion par l'image d'un homme multipartenaire "coureur frénétique de jupons", dont la vie sexuelle serait caractérisée par une grande instabilité de ses relations amoureuses (une instabilité que l'on désigne souvent aux Antilles françaises sous le terme de "vagabondage"). Quoi qu'il en soit, c'est 56% en Martinique et 42% en Guadeloupe (mais 17 % seulement en Guyane), contre 30 % dans l'Hexagone, des hommes multipartenaires qui déclarent que toutes leurs partenaires de l'année ayant précédé l'enquête sont des femmes avec qui ils avaient déjà des rapports sexuels avant les douze derniers mois. Des partenaires que, pour cela, nous disons "anciennes", le reste du total des multipartenaires se répartissant inégalement entre ceux dont toutes les partenaires sont "nouvelles" - c'est-à-dire connues depuis moins d'un an - et ceux qui cumulent des partenaires "nouvelles" et des partenaires "anciennes".
3. La construction sociale de la sexualité aux Antilles et en Guyane, ses effets et les nécessités de sa déconstruction
Seule la forte emprise de la construction particulière de la sexualité qui a été mentionnée peut expliquer l'accord — qui sinon pourrait surprendre — entre l'opinion commune et les analyses savantes pour ce qui touche aux traits dominants des comportements sexuels dans les sociétés antillaises et guyanaise. Cet accord tiendrait ainsi à ce que et cette opinion et ces analyses — tout comme les déclarations recueillies lors de l'enquête ACSAG — se constitueraient sous l'influence de cette même construction. C'est pourquoi on ne saurait considérer que les déclarations des individus sur leurs comportements sexuels, et pas davantage le fait qu'elles soient convergentes avec les analyses savantes par ailleurs consacrées à ces comportements, puissent être nécessairement indicateurs de la vérité objective de ceux-ci.
Cette construction est, précisément, tout entière articulée autour du principe d'un double standard de comportement sexuel selon le sexe des individus. Elle est socialement si puissante que les analyses les plus attentives s'y laissent prendre, en tenant pour acquis ce qui est construit. Ainsi, alors même que certaines de ces analyses refusent les jugements de valeur qui connotent l'affirmation de l'existence de ce double standard de comportement dans les sociétés caraïbéennes, elles ne vont jamais jusqu'à mettre en question la prétention de cette affirmation à être de portée générale, pour ne pas dire universelle, dans ces sociétés. Par exemple, au stéréotype de l'"irresponsabilité " masculine qu'implique habituellement l'idée d'une double morale sexuelle, les auteurs des travaux sur la famille antillaise menés, depuis une trentaine d'années, à la lumière des apports de la psychanalyse (voir GRACCHUS, 1980 et ANDRÉ, 1987) préfèrent substituer ce qu'ils présentent comme le fait d'une “évacuation des pères” des dispositifs familiaux par des mères qui en occuperaient le point focal. Mais ils n'envisagent pas pour autant que la double morale en question puisse ne pas être aussi générale qu'il est prétendu. En témoignent, parmi bien d'autres exemples, les deux citations que nous avons précédemment faites de l'ouvrage de Jacques André L'inceste focal. Il faut, cependant, remarquer qu'il est des exceptions notables à cette tendance, certains travaux soulignant qu'il existe bien des indications selon lesquelles le comportement que l'on dit typiquement masculin n'est pas nécessairement celui de tous les hommes (sans que, pour autant, ceux qui n'y souscrivent pas soient fatalement montrés du doigt par leurs pairs) et qu'il peut être aussi celui d'un nombre non négligeable de femmes .
Un des mérites de l'enquête ACSAG, comme de n'importe quelle enquête quantitative en population générale sur les comportements sexuels, est de permettre de mettre clairement en évidence le caractère d'extrapolations abusives de la plupart des idées généralisantes sur ces comportements. Et, de fait, les analyses savantes ici considérées se fondent sur un matériau empirique limité en quantité, quand elles ne se réduisent pas à l'examen de quelques cas cliniques ou pouvant être traités comme tels ; par exemple, le travail cité de Jacques André s'appuie sur l'étude des dossiers et des audiences de justice de criminels jugés en cour d'assises en Guadeloupe durant les années 1970 et d'entretiens avec ces derniers. Rappeler ces limites n'est pas pour dénier un intérêt à l'approche biographique en général, ni en particulier au travail dont il vient d'être question. Mais pour souligner ce qu'ont de problématique les généralisations que l'on peut tirer d'un tel matériau ; comme si — pour faire image — on était contraint d'analyser la passion amoureuse à partir du seul crime passionnel ! Sur le point précis qui ici nous intéresse, les données de l'enquête ACSAG révèlent effectivement que le pourcentage d'hommes se déclarant être actuellement multipartenaires, pour important qu'il soit en quantité, indique nettement qu'un tel comportement est le fait d'une minorité et que, aussi discutable que puisse être la précision d'une telle mesure, il est exclu que la conduite en question puisse être universelle, voire même seulement générale, pour un seul sexe comme pour les deux.
Il y a donc — au plan de l'analyse scientifique des comportements sexuels aux Antilles et en Guyane, et plus particulièrement du multipartenariat — nécessité de démonter le corps des principes et des schèmes d'interprétation qui résulte d'une construction sociale de la sexualité par le prisme de laquelle ces comportements sont non seulement vécus et pensés mais aussi agis. Ce corps représente, en effet, un obstacle épistémologique redoutable, parce que, d'une part, il n'est point d'accès au réel que nous examinons ici qui, pour commencer, ne passe pas par ce système de représentations (les comportements sexuels n'étant jamais directement observés mais toujours saisis dans les constructions sociales qui en sont faites) et que, d'autre part, cette construction a le pouvoir de faire advenir à l'existence ce qu'elle décrit ou prescrit. Et un obstacle d'autant plus puissant, dans le cas des sociétés qui ici nous intéressent, que pour profondément enracinée dans les habitus des individus de ces sociétés que soit la construction en question, elle n'en trouve pas moins l'essentiel de ses origines dans le regard du maître esclavagiste, dont l'ombre portée sur les sociétés en question reste aujourd'hui encore forte. Parce que la relation, historiquement coloniale, qui unit celles-ci à la Métropole française continue de les placer dans une dépendance organique multiforme, et en particulier symbolique, vis-à-vis du lieu d'où ce regard a été initialement porté.
Dès lors qu'il s'agit de "déconstruire" le corps des principes et des schèmes d'interprétation à travers lequel la sexualité est construite aux Antilles et en Guyane, la mise en évidence de la stabilité déjà évoquée d'un grand nombre de relations multipartenariales en Guadeloupe et, surtout, en Martinique revêt une importance particulière. Car, constituant le seul point de désaccord majeur entre les données de notre enquête et les représentations dominantes du multipartenariat hétérosexuel antillais, cette stabilité est l'entrée privilégiée pour apercevoir "là où le bât blesse" dans le système interprétatif — de nature principalement historique — qui découle, dans les analyses savantes, de la construction en question. Partant, il nous faut tenter de comprendre sous quelles contraintes, puis avec quelles implications, cette dernière — du fait des fonctions qu'elle remplit dans la reproduction des sociétés antillaises — se saisit des dynamiques historiques de ces sociétés, et en quoi ces contraintes conduisent à une insuffisante prise en compte de l'importance de la stabilité des relations multipartenariales aux Antilles et de ses enjeux.
II. La marque de l'esclavage
C'est donc avec une certaine légitimité que les interprétations les plus courantes des particularités de la sexualité aux Antilles se tournent vers l'histoire propre de ces sociétés, en faisant remonter l'origine des systèmes de valeurs et de normes, de représentations et d'attitudes qui conditionnent les rapports de genres et les comportements sexuels dans ces pays aux contraintes de l'esclavage et aux conditions de sa dissolution. Il semble bien ainsi, concernant l'ensemble des sociétés antillaises (et, au-delà, celles de toute l'Amérique des plantations, y compris le Brésil ou le sud des Etats-Unis), que — comme l'a écrit Edouard Glissant pour la seule Martinique — “on ne peut réfléchir sur l'attitude sexuelle générale des Martiniquais, ni même déterminer s'il y en a une de spécifique, que si on se réfère à un point zéro, qui est bien celui de la vie sexuelle à la première époque de la formation du peuple martiniquais” (GLISSANT, 1981 : 294). A condition, cependant, que les stratégies et les mécanismes effectifs qui, à travers divers vecteurs, ont assuré un tel déterminisme historique, et en particulier la pérennité de ces systèmes, par l'intériorisation qui, de génération en génération, en a été faite jusqu'aux individus actuels soient véritablement précisés. Car, en l'absence de telles précisions — une absence qui en général obère les interprétations historiques de la sexualité antillaise —, ces interprétations donnent l'impression de ne pouvoir sortir du "point zéro" dont parle Glissant et, par conséquent, de rater l'explication du présent par le passé qu'elles recherchent.
La majorité des nombreuses études qui ont été consacrées aux organisations familiales dans les communautés "noires" des Amériques s'accordent ainsi à souligner que la grande instabilité des relations sexuelles qui serait caractéristique de ces communautés serait la lointaine conséquence de ce que le mariage entre esclaves était interdit ou au moins découragé par la plupart des maîtres, dont le consentement était absolument requis pour toute union entre esclaves.
L'attitude négative des maîtres à l'égard du mariage de leurs esclaves aurait ainsi constitué, selon un sociologue jamaïcain auteur d'une célèbre étude de l'organisation familiale dans son pays, “un encouragement direct à la licence [promiscuity], qui a suffit à établir un modèle culturel qui continue d'exister jusqu'à présent” (HENRIQUES, 1953 : 27) . C'est qu'elle contribuait à rejeter les hommes esclaves à la marge de leurs unités domestiques et à les déposséder de toute autorité conjugale et paternelle. Une marginalisation et une dépossession dont Edith Clarke précise, de manière exemplaire, ce qu'elles étaient :
"L'unité domestique de base dans le système de plantation était formée de la mère et de ses enfants, la responsabilité de leur entretien incombant au maître. La place du père dans la famille n'était jamais assurée. Il n'avait pas d'autorité socialement reconnue sur celle-ci et pouvait, à n'importe quel moment, être arraché d'elle. Son rôle pouvait, tout aussi bien, s'achever avec la procréation... En général, il n'était pas pour la mère et les enfants une source de protection ou d'entretien... C'est dans ce contexte de faiblesse de la fonction paternelle dans le système familial que les rôles de la mère et de la mère de la mère ont pris une grande importance.” (CLARKE, 1966 : 19).
En conséquence, l'empêchement esclavagiste du mariage aurait conduit — si l'on en croit les études évoquées — à la fréquente matrifocalité des familles, au "vagabondage" sexuel d'un grand nombre d'hommes et à l'irresponsabilité dont ils feraient preuve à l'endroit de leurs partenaires et de leurs enfants (en se complaisant dans le rôle de celui que les analyses savantes désignent comme étant un "concubin extra-résidentiel" ou un "visiting father"). Toutes attitudes que l'on connaîtrait encore aujourd'hui dans les sociétés des Amériques noires.
Au motif de la licence sexuelle dont il vient d'être question, il faut ajouter, selon certains auteurs, celui qui serait venu des propres habitudes de comportement des maîtres eux-mêmes. La plupart de ces auteurs s'accordent, en effet, à penser que les colons étaient portés à une vie sexuelle multiple et à procréer beaucoup d'enfants illégitimes, donc à faire preuve d'un grand relâchement des mœurs au regard de la morale chrétienne traditionnelle. David Lowenthal, un géographe de la Caraïbe, soulignant dans une synthèse qu'il a consacrée aux sociétés anglophones de l'archipel la généralité de telles conduites, précise :
“De même, l'Europe chrétienne acceptait autrefois la coexistence des unions légitimes et des unions informelles, temporaires et parfois multiples. Le droit coutumier espagnol prenait en considération, en matière d'héritage, les enfants issus d'un concubinage ou d'unions circonstancielles, et une telle reconnaissance était étendue aux enfants naturels des prêtres et des hommes mariés. Des dispositions de ce type étaient également fréquentes en France et en Grande-Bretagne. Mais, aux Antilles, elles, et le "double standard" qui les sous-tend, ont duré plus longtemps qu'en Europe. Leur universalité et leur durabilité proviennent, dans une grande mesure, de l'importance de l'exploitation sexuelle dont les Bancs se sont rendus coupables et, quand le mariage était pratiquement interdit aux esclaves, des systèmes coutumiers d'unions entre ces derniers. ” (LOWENTHAL, 1972 : 108).
Ces habitudes et ces normes auraient servi, nous dit-on, de modèle aux autres couches de la société née de l'esclavage, en faisant du multipartenariat et de la pluripaternité des conduites masculines socialement très valorisées. Parce que ce sont là des signes où une certaine puissance ou réussite sociale s'exprimerait à travers la puissance et la réussite sexuelles masculines, la virilité mesurée au nombre de femmes conquises, et éventuellement entretenues, ainsi qu'au nombre d'enfants qu'on "leur fait" et dont tout aussi éventuellement on s'occupe.
Mais une telle proposition prête le flanc à une critique majeure. Le maître était trop au-dessus de l'esclave, d'une essence posée comme trop différente de celle de ce dernier, situé par rapport à lui dans une position par trop exceptionnelle et, de plus, la source d'un ordre trop oppressif pour que —silhouette inaccessible, selon une expression de Jacques André — il ait été “le lieu d'énonciation d'une loi symbolique intériorisable” (ANDRÉ, 1987 : 254-255). Pour qu'il ait été une figure à laquelle les esclaves mâles, dans leur ensemble, aient pu s'identifier et que ses comportements sexuels aient pu être valorisés par eux comme un modèle.
Les hommes esclaves ayant été plongés sans rémission dans une situation où régulièrement tout leur échappait — y compris femmes et enfants, puisque les unes et les autres appartenaient, comme eux-mêmes, à leurs maîtres —, il ne s'agissait donc pas pour eux d'imiter ces derniers, d'être comme les maîtres, et en particulier d'être des pères. Car — Fritz Gracchus l'a bien mis en évidence dans sa thèse — la place des pères était déjà occupée par les maîtres (ce sont ceux-ci, comme nous l'a rappelé plus haut Edith Clarke, qui pourvoyaient aux besoins des femmes et des enfants esclaves, quand ils n'étaient pas les géniteurs de ces derniers !) ; les esclaves mâles n'avaient, quant à eux, rien à transmettre, même pas un nom. Non, il s'agissait pour les hommes esclaves de devenir purement et simplement les maîtres d'eux-mêmes. Et, pour ce faire, en attendant d'avoir la possibilité d'une improbable libération générale, de s'opposer à ceux qui leur déniaient toute humanité, toute personnalité, notamment en prenant à ces oppresseurs le plus précieux de leurs biens : les femmes.
Selon certains travaux, cette volonté de s'opposer à la loi des maîtres aurait été propice à ce que la "possession" physique des femmes soit à l'instar de la manière dont ces derniers les avaient prises auparavant, c'est-à-dire fréquemment par la force, et qu'“ainsi le vol de la puissance du maître soit conjoint au viol de la femme, viol latent mais permanent” (GLISSANT, 1981 : 295). Dans cette perspective, Glissant souligne la dimension de plaisir “dérobé” et, en conséquence, le caractère fortement agressif de la sexualité masculine antillaise. Et, de fait, la manière dont celle-ci s'exprime dans la langue créole trahit une telle violence : dans cette langue, lorsqu'un homme pénètre une femme, il dit qu'il la "coupe", la "cloue", l'"arrache ", la "bat", l'"écrase", etc. . C'est cette signification et cette valeur d'opposition au pouvoir du maître (celui d'hier comme celui d'aujourd'hui, qui en définitive — sous des changements historiques de défroques — serait resté fondamentalement le même) que les attitudes et les comportements des hommes des sociétés caraïbéennes postesclavagistes continueraient de véhiculer jusqu'à maintenant. Une signification et une valeur qui, d'ailleurs, feraient du machisme —configuration sous laquelle ces attitudes et ces comportement sont habituellement subsumés — “un symbole central du combat contre l'imaginaire colonial et raciste de l'homme colonisé faible et impuissant” (MURRAY, 1996 : 252), ainsi que le note un anthropologue américain ayant tout récemment effectué une enquête sur l'homosexualité en Martinique .
Si l'on suit le raisonnement que nous venons de présenter, qui est principalement le fait d'analystes eux-mêmes antillais (comme c'est le cas d'Edouard Glissant ou de Fritz Gracchus), les comportements qui sont attribués en propre aux hommes caraïbéens actuels ne s'inscrivent donc pas tant dans le droit fil de la logique de la domination esclavagiste qu'ils ne sont l'expression continuée d'une réaction contre celle-ci et ses avatars. Cependant force est de contester que si réaction il y a, celle-ci répète — à son corps défendant — le pire des comportements des maîtres (le mépris pour la femme et le peu de considération pour les bâtards qu'on lui fait) et surenchérit ainsi sur les stéréotypes qui stigmatisent l'animalité ou l'irresponsabilité des nègres. Et que, partant, elle aboutit, en définitive, à reconduire la minoration sociale qu'ils ont pour fonction de légitimer. En conséquence, le raisonnement dont il est ici question, pour indubitablement inspiré qu'il est du souci de redonner aux hommes des sociétés nées de l'esclavage l'initiative de leur histoire, n'en débouche pas moins paradoxalement sur une vision dépréciative des conduites de ceux-ci. Parce qu'il est construit à travers les catégories mêmes du système dominant de représentations contre lequel il s'insurge.
C'est probablement pour la même raison que ce raisonnement ne permet pas davantage de rendre compte adéquatement des résistances que bien des femmes de ces sociétés ont opposées à la domination masculine. Des femmes auxquelles il n'accorde pas d'autre place que celle de victimes des hommes noirs après avoir été celles des hommes blancs, quand il n'en fait pas des victimes consentantes qui, ayant su jouer les seconds contre domination, comme Arlette Gautier reproche à Fritz Gracchus de le penser (voir GAUTIER, 1981, II les premiers, ont pu parfois tirer bénéfice de leur : 343-348). Il faudra attendre les travaux d'historiennes, comme précisément celui que nous venons d'évoquer (voir GAUTIER, 1981, II : 349-415) ou le recueil de témoignages de femmes par des militantes féministes (voir, par exemple, ALIBAR et LEMBEYE-BOY, 1982) pour qu'émerge une image des femmes antillaises plus conforme aux rôles qui ont dû être et qui sont encore les leurs, quelles que soient, par ailleurs, les simplifications militantes que peuvent opérer certains de ces textes.
L'éveil des études féminines, voire féministes, aux Antilles a plus particulièrement permis que soit mise en question la simplification qui couramment proclame que l'unanimité ou, au moins, la très grande généralité des femmes antillaises adhère, sans trop de réserves, au standard de comportement prescrivant aux hommes des conduites sexuelles qu'il proscrit aux femmes (un standard dont il est même souvent dit que ces dernières contribueraient fortement à le reproduire à travers l'éducation de leurs enfants). Les données de l'enquête ACSAG viennent conforter une telle mise en question, puisque aux Antilles, cette enquête n'enregistre que deux femmes sur dix pour juger tout à fait ou plutôt acceptable qu'un homme marié ait des relations extra-conjugales (mais elles ne sont plus que 10 % à accorder aux femmes une latitude équivalente) . Ainsi, la reconnaissance par les femmes d'une tendance "naturelle" des hommes à l'infidélité conjugale est essentiellement critique, inspirée qu'elle est par une méfiance vis-à-vis de l'homme. Cependant, pour critique que soit cette reconnaissance, elle témoigne d'une sorte de résignation d'un grand nombre de femmes devant ce qu'elles perçoivent comme une fatalité, et pour elles comme un destin. Ainsi, beaucoup de femmes finiraient par accepter ce qu'elles pensent ne pas pouvoir changer.
Changement et continuité : respectabilité coloniale contre réputation anticoloniale
C'est l'anthropologue Peter Wilson — à partir d'une étude de terrain dans l'île de Providencia, dépendance de la Colombie située au large des côtes du Nicaragua — qui a mis le mieux en évidence, il y a une trentaine d'années, le principe fondamental du système de valeurs qui donne forme aux comportements sexuels dans les sociétés caraïbéennes et très probablement, au-delà, dans toutes les formations d'origine coloniale d'Amérique (voir WILSON, 1973). Il reconstitue ce principe régulateur des conduites masculines — qu'il dit être celui de réputation — en opposition avec un autre principe qui est la contrepartie féminine du premier, le principe de respectabilité. La réputation est un complexe de diverses aspirations ou "qualités" : la maîtrise de la parole et de la vantardise, du compliment (notamment en direction des femmes) et de l'élégance, du sexe, de la procréation et du combat, de l'alcool et du jeu, du chant, de la musique et de la danse, bref des diverses formes de l'amusement de soi et des autres. Toutes maîtrises que seule une grande expérience de la vie donne et qui sont à développer en compagnie et sous le regard des pairs. Parce que la régulation que permet le principe de réputation s'exerce fondamentalement à travers une compétition entre hommes pour le plus grand prestige social, qui est celle de l'"amitié" virile non exempte de rivalité, dont les joutes oratoires dans la population masculine de Providencia - comme dans celle de bien des pays de la région - sont une parfaite illustration.
L'opposition et en même temps la complémentarité des deux principes considérés renvoie, ainsi que nous l'avons suggéré à propos du machisme, à l'ambivalence des rapports qui unissent les deux pôles de la relation coloniale : résistance contre-coloniale, puis nationaliste, ou mimétisme colonial. Puisque si “le principe de respectabilité a sa source dans le pouvoir extérieur de la société colonisatrice et sa réalité dans l'intervention de cette puissance à l'intérieur du système social de la colonie” (WILSON, 1973 : 9), “le principe de réputation,... , est "indigène", surgit de la colonie, et est à la fois un authentique principe structurel et un contre-principe” (Id.).
Ce dernier principe serait né de l'impossibilité pour les hommes des sociétés considérées de satisfaire dans les domaines économique et politique, par la seule obtention de la respectabilité que confère la réussite dans ces domaines, le besoin fondamental de donner un sens à son existence. Parce que dans ces sociétés d'origine coloniale la réussite en question a toujours été mesurée à l'aune de modèles imposés de l'extérieur, donc impropres à procurer aux individus le sentiment d'accomplissement personnel et collectif qu'ils poursuivent, qui ne peut s'épanouir que dans un état d'autonomie. Et que les hommes ne peuvent davantage contenter ce besoin dans leur espace privé, leur famille, dans la mesure où cet espace étant le domaine réservé des femmes, tout accomplissement qui s'y réalise est attentatoire aux valeurs de la virilité. Dès lors, la satisfaction recherchée a supposé la constitution d'un système de valeurs et de prescriptions qui soit indépendant de la morale coloniale et n'a pu être obtenue que par la réalisation de ces valeurs et prescriptions dans le seul champ de l'espace public qui pouvait échapper à l'emprise des normes exogènes, celui constitué par les relations avec les pairs. C'est à cette double condition que répond le principe de réputation.
Inversement, le fait que l'espace privé de la famille — domaine dans lequel la moitié féminine de la population réalise le sens de son existence — soit fondamentalement préservé de l'impact des normes exogènes aurait permis aux femmes de souscrire, comme en prime, au principe de la respectabilité, si manifestement de nature coloniale, sans que le sentiment de leur accomplissement et de leur autonomie n'ait eu trop à souffrir d'une telle soumission à l'ordre dominant. Disons qu'il semble bien en effet — comme l'attestent certaines enquêtes dans la région caraïbe et dans bien d'autres lieux — que les femmes, probablement du fait de leur position sexuellement dominée, soient plus à même de concilier une forte proximité aux valeurs et aux normes de l'univers social et culturel particulier d'appartenance et l'acceptation de principes généraux empruntés à la modernité du monde que ce n'est le cas des hommes. Chez ces derniers les deux systèmes d'attitudes considérés tendent plus souvent à être exclusifs l'un de l'autre.
En définitive, l'impuissance déjà évoquée à reconstruire les dynamiques sociales qui auraient conduit, à travers l'histoire, à la reproduction de la structure des rapports de genres et des comportements sexuels propres au système esclavagiste fait surtout problème en ce qu'elle empêche de penser "la continuité dans le changement", c'est-à-dire la manière dont cette reproduction structurelle a pu s'opérer sous et à travers des changements historiques effectifs qui ont parfois profondément modifié le contenu des rapports et des comportements en question. Le principal de ces changements est l'émergence puis le renforcement, dans les sociétés postesclavagistes, d'une petite et moyenne bourgeoisie "de couleur" qui n'a pas cessé, en se distinguant farouchement des masses "noires", de tenter — sur fond du maintien de la dépendance coloniale ou de l'avènement d'une dépendance néo-coloniale de sa société — de fonder et de légitimer ses privilèges par une idéologie marquée du principe de respectabilité. Un principe qui est, comme nous l'avons déjà dit, enraciné dans le procès de colonisation et, en particulier, imprégné des valeurs du racisme colonial, celles-là mêmes qui conduisent à interpréter les comportements des "nègres", notamment en matière de sexualité, comme les marques d'une nature animale.
Le principe de respectabilité ne va ainsi donner toute sa mesure dans la régulation des mœurs de l'ensemble de la société coloniale qu'après l'abolition de l'esclavage et le retour de la République. Auparavant il n'avait concerné que les Grands Blancs, avec peut-être la petite minorité des Anciens libres qui avaient déjà entamé une ascension sociale. Et encore on peut en douter. En effet, nous avons vu que la licence sexuelle dont étaient coutumiers les planteurs esclavagistes bénéficiait d'une grande tolérance sociale. Quoi qu'il en soit, le fait que le principe de respectabilité n'ait véritablement imposé sa marque sur la société coloniale qu'après l'abolition de l'esclavage donne raison à tous ceux qui affirment qu'
“on ne peut... retenir l'existence d'un modèle caraïbe unique de la famille [et des rapports de genres, ajoutons-nous], issu d'un déterminisme historique lié à l'esclavage. La période postesclavagiste a sans doute été sous-estimée. Pour les Antilles françaises, la politique d'assimilation de la IIIème République mais surtout la départementalisation ont apporté leurs influences.” (CAZENAVE, 1997 : 6-7).
Ce principe place le mariage en bonne et due forme au centre du dispositif des bonnes mœurs, car c'est là la seule forme d'union — par opposition au concubinage et aux unions sans résidence commune, si répandus dans les couches populaires — qui serait susceptible de conférer la respectabilité sociale aux hommes et, surtout, aux femmes. Celle-ci suppose, bien sûr, la monogamie et la fidélité conjugale, dont l'obligation ne se limite pas, dans l'absolu, au seul mariage ; ainsi il a été noté qu'en Jamaïque “l'exclusivité sexuelle est le mode de comportement idéal, que ce soit dans le mariage ou dans le concubinage” (CLARKE, 1966 : 77).
La naissance exclusive d'enfants légitimes est aussi, requise. D'où le fait, attesté par de nombreux travaux d'anthropologie de la famille dans la Caraïbe (voir CLARKE, 1966 : 97-99 ; WILSON, 1973 : 128-9 ; BLAKE, 1961 : 95-96 ; KERR, 1951 : 11 et 62 ; GREENFIELD, 1966, : 109), que les grossesses d'adolescentes vivant encore chez leurs parents, grossesses que l'on dit précoces parce qu'avant tout elles risquent d'aboutir à la naissance d'enfants illégitimes, valent fréquemment aux jeunes filles enceintes de sévères punitions corporelles, quand ce n'est pas une mise à la porte — cependant souvent temporaire — du domicile parental. Bien sûr, il n'en va pas de même pour les jeunes pères, bien au contraire !
L'ensemble de ces obligations témoigne à l'évidence de la marque de la morale chrétienne traditionnelle. En ce sens, le déploiement du principe de respectabilité est l'aboutissement de l'effort entrepris, dès la période esclavagiste, par les églises catholique et protestantes pour lutter contre la licence sexuelle et promouvoir le mariage parmi leurs ouailles. Notamment à travers des campagnes visant à marier le maximum d'esclaves, comme celle entreprise en Martinique dès la fin du XVIIème siècle par le jésuite Mongin (sur ce point, voir PETITJEAN-ROGER, 1978 : 1129-1130 et GAUTIER, 1981, I : 121-122 et 135). Des campagnes qui s'adressaient tout particulièrement à ceux et à celles qui vivaient jusque là en concubinage, afin que — ainsi qu'on le dit encore dans plusieurs îles de la Caraïbe — soit "béni le péché", et qui, en leur temps, furent d'ailleurs vivement combattues, comme plus généralement l'instruction religieuse, par une majorité de maîtres. (CLARKE, 1966 : 80) .
La capacité prêtée au mariage de porter ceux qui s'y soumettent à un statut social supérieur à celui qui était le leur avant qu'ils ne se "mettent en règle" permet de comprendre que l'idéal du mariage s'impose bien au-delà des seules bourgeoisies, comme le montrent la plupart des études que nous citons dans cet article. Ne serait-ce que parce que ce sont les secteurs populaires qui ont le plus besoin de la promotion sociale que l'union matrimoniale est censée représenter. Ces secteurs accordent au mariage une telle valeur qu'ils fixent même à son accomplissement des conditions si exigeantes qu'elles ne peuvent être remplies — en ce qui concerne les groupes en question — que tard dans la vie (souvent après plusieurs décennies de cohabitation avec la même femme et la naissance de nombreux enfants), mais que dès qu'elles le sont le mariage ne tarde pas à suivre. Le plus souvent, le futur époux doit, en effet, avoir acquis au préalable de la terre pour y construire la maison du couple, doit pouvoir faire face aux frais des festivités du mariage (qui sont à la mesure de l'importance sociale de l'événement) et, surtout, subvenir aux besoins de celle qui va devenir son épouse sans qu'elle ait besoin de travailler hors du domicile conjugal.
Remarquons donc que si nombre d'hommes qui adhèrent à des exigences aussi élevées du mariage décident tout de même de se marier, cela non seulement prouve la valeur accordée à cette institution mais dément également que le refus des responsabilités que l'on prête globalement à tous les hommes caraïbéens soit aussi universel qu'on le dit. Ainsi, contrairement à ce qu'il est parfois prétendu, le caractère très tardif de bien des unions matrimoniales dans les sociétés négro-américaines n'indique pas une défiance vis-à-vis de l'institution du mariage mais, à l'inverse, une survalorisation de celle-ci. Et il est facile d'apercevoir qu'à "placer la barre si haut", les couches populaires de ces sociétés sont longtemps passées en dessous de cette barre et, ce faisant, ont contribué elles-mêmes, en assurant en quelque sorte parmi elles la raréfaction du mariage, à reproduire ce dernier comme le signe par excellence de l'excellence sociale, le signe d'une position sociale qui n'est pas la leur.
La très forte emprise du principe de respectabilité, et notamment de l'idéal du mariage chrétien, qu'ont suscitée les évolutions sociales ayant reproduit la relation de dépendance coloniale des formations caraïbéennes est donc venue contrer, avec une réelle efficacité, l'impact du principe de réputation qui s'était constitué en opposition à cette dépendance. Un second principe, dont nous avons supposé qu'il est à l'origine du fort multipartenariat hétérosexuel des hommes caraïbéens, et que la reconduction de la dépendance en question continue, cependant, de rendre fonctionnel. C'est dire que, conformément à la métaphore du verre à moitié vide ou à moitié plein, il est tout aussi vrai de prétendre qu'en fonction du principe de réputation, ce multipartenariat est particulièrement important que d'affirmer qu'à cause du principe de respectabilité, il est loin d'être universel et, même, général. Récuser la première affirmation reviendrait à supposer, contre toute évidence, que la domination matérielle mais aussi symbolique qu'ont subie et que subissent encore les peuples de la Caraïbe n'a — tel un rouleau compresseur — suscité, chez eux, aucune force de résistance susceptible de s'opposer durablement à la pression exercée sur les corps et les esprits des individus qui les composent. Mais, inversement, contester la seconde affirmation conduirait à soutenir, de manière tout aussi indéfendable, que la longue histoire coloniale des sociétés de la Caraïbe, qui se prolonge encore dans des formes renouvelées de dépendance, et l'imposition multiséculaire de systèmes de normes exogènes à ces sociétés qui l'a accompagnée n'ont laissé aucune trace dans les comportements et les pensées des Caraïbéens d'aujourd'hui.
Pour penser l'ambivalence des situations sociales que nous discutons ici, il faut donc considérer ensemble la domination coloniale ou néo-coloniale caractérisant ces situations et les stratégies de résistance qu'elle suscite. Et ce en posant nettement que les deux principes de réputation et celui de respectabilité à travers lesquels nous pensons cette dualité de forces contraires sont dans une relation, à strictement parler, dialectique. En effet, même si le premier principe est par excellence celui qui régit la conduite des hommes et plus particulièrement celle des hommes des milieux socialement défavorisés tandis que le second serait, en premier lieu, celui qui guide le comportement des femmes, notamment celles des couches socialement favorisées, de telles distinctions ne doivent pas être interprétées de façon mécanique. Car les conduites des individus des deux sexes et des différentes conditions sociales sont, en définitive, organisées par les rétroactions qui unissent ces deux principes : l'un régulant, contrôlant, le développement de l'autre, afin de maintenir ou de recréer une certaine égalité dans la compétition sociale entre les individus en lutte. Avec probablement une dominance du principe de respectabilité, précisément parce qu'il est lié au système social dominant. Par exemple, trop monter dans la hiérarchie machiste de la réputation en faisant étalage de ses conquêtes féminines, c'est pour un homme s'exposer à ce que lui soit rappelé que le principe de respectabilité rend la licence sexuelle et, encore plus, son ostentation condamnables. Et c'est ainsi, en perdant la face, prendre le risque de perdre son rang ou sa position, comme le suggère la belle métaphore qui sert de titre au livre de Wilson .
Le système des vases communicants qui existe donc entre les deux principes considérés tient, en définitive, à ce qu'il existe une forte solidarité entre la réputation des premiers et la respectabilité des secondes. En système machiste, la réputation des hommes dépend, d'une part, de ce qu'ils puissent se vanter de nombreuses conquêtes amoureuses et prouesses sexuelles, mais aussi, d'autre part, de leur capacité à exercer un strict contrôle sur la respectabilité des femmes de leur parenté. Or — double contrainte — leur vantardise ne pouvant s'exprimer qu'au détriment de la respectabilité de celles qu'ils déclarent avoir possédées, c'est, de proche en proche, la respectabilité de leurs compagnes ou de leurs sœurs, de leurs mères ou de leurs filles, de leurs nièces ou de leurs cousines, que les indiscrétions de leurs amis-rivaux viennent écorner. Le malheur des séducteurs, c'est d'avoir des parentes !
*
La prise en compte détaillée des dynamiques historiques des sociétés caraïbéennes postesclavagistes, notamment celle de l'émergence et de la consolidation du pouvoir social de bourgeoisies de couleur dans le cadre d'un système colonial maintenu (même s'il s'est renouvelé), permettrait donc certainement de mieux comprendre en quoi et comment l'emprise d'un système de normes où domine le souci de la respectabilité, qui est le corollaire de ce pouvoir, a contribué à endiguer — en une sorte de "liberté des mœurs" surveillée pour les hommes — la pratique du multipartenariat que bien des traits de la société esclavagiste avaient encouragée. Sans que, pour autant, elle ait pu interdire qu'une telle pratique perdure dans des proportions relativement importantes, principe de réputation oblige ! Il deviendrait alors possible de sortir définitivement des simplifications manichéennes et des généralisations abusives dont nous avons indiqué qu'elles empêchent une intelligence correcte des formes variées d'organisation familiale et de comportement sexuel que l'on peut observer dans les sociétés antillaises.
C'est à pareille compréhension que nous avons commencé à nous atteler dans une comparaison des cas de la Martinique et de la Guyane à partir des résultats de l'enquête ACSAG (voir GIRAUD, 1997). Dans cette comparaison, il a été mis en évidence que les couches intermédiaires de la société martiniquaise (fortes d'un poids économique que leurs homologues guyanaises n'ont jamais eu) ont - en fonction d'une histoire au cours de laquelle leur société à été beaucoup plus fortement structurée et hiérarchisée par l'institution de l'esclavage que celle de la Guyane - fait profondément leurs les normes, notamment en matière de relations sexuelles, du groupe dominant des Grands Blancs, héritier de la plantocratie esclavagiste. C'est, par exemple, à l'imitation des Grands Blancs que certains de leurs membres ont adopté la coutume de la maîtresse entretenue. Mais ils l'ont souvent fait avec la retenue que leur a inspirée le souci de préserver autant que possible la stabilité de leur union officielle avec une autre femme, un souci à la mesure de l'importance des enjeux matériels et symboliques de cette union. Ainsi, si leur maîtresse a souvent fait office pour eux de seconde épouse, avec qui ils ont eu des enfants, parfois reconnus, elle a été la plupart du temps une épouse de second ordre, avec laquelle ils se sont ingéniés à avoir une relation qui reste totalement étanche par rapport à leur union légitime, afin de ne pas trop contrarier cette dernière. Quand la politique d'assimilation menée aux Antilles par le pouvoir colonial a confié l'essentiel des fonctions politiques locales à la bourgeoisie de couleur et que le rôle de "pôle d'excellence" qui a été alors accordé à celle-ci a fait d'elle une élite-vitrine, les modèles de comportement ici considérés se sont diffusés plus avant en Martinique. En particulier dans les couches supérieures des travailleurs agricoles : les contremaîtres des plantations. Toutes ces particularités martiniquaises pourraient compter pour beaucoup dans le fait que le multipartenariat hétérosexuel est globalement moins fréquent et, surtout, beaucoup plus stable et, en conséquence, l'épidémie de sida moins sévère en Martinique qu'en Guyane. Une modération relative dans les "débordements" de la licence sexuelle qui serait le résultat d'une conciliation entre le goût pour une liberté que l'on ne voudrait pas voir brider par la morale des "Blancs" et la nécessité de préserver coûte que coûte une respectabilité socialement si profitable. Confirmant en cela que pour idéologique, c'est-à-dire pour trompeuse, que soit l'éthique de la respectabilité, elle doit — comme cela est vrai de toute idéologie — pour être efficace, c'est-à-dire pour pouvoir tromper, correspondre à une part de vérité. Autrement dit, si l'on peut la réduire à la formule "fais ce que je dis et pas ce que je fais", elle n'est susceptible d'atteindre ses fins que pour autant que je fasse un peu ce que je dis.
En guise de conclusion : fonctions et effets de la construction sociale d'une sexualité caraïbéenne
Le caractère partiel et de généralisation excessive de nombre des analyses qui interprètent les rapports de genres et les comportements sexuels dans les sociétés caraïbéennes contemporaines à la lumière de l'histoire de ces sociétés n'est pas socialement neutre. Il tient à ce que la plupart des travaux scientifiques portant sur l'organisation familiale dans ces sociétés ont emprunté et les termes des problèmes qu'ils considèrent et les catégories à travers lesquelles ces termes sont pensés à un contexte social qui était celui d'une politique de normalisation ou, comme l'a dit Fritz Gracchus (voir GRACCHUS, 1979), d'une stratégie sociale d'encadrement des familles menée par les pouvoirs publics.
Coloniale, cette politique de normalisation l'était, non seulement parce qu'elle poursuivait les objectifs économiques de "développement" et sociaux de "pacification" de la colonisation, mais encore davantage parce qu'elle était inspirée par la vision morale que les colons avaient l'habitude de prendre sur ce qu'ils jugeaient être la "licence des nègres" et par laquelle ils entendaient reproduire la supériorité sociale qu'ils avaient prise sur eux. Et ce dans une manière qui est bien celle de toute politique d'assimilation coloniale : prétendre rendre semblables à soi ceux qui ne le sont pas, au motif précisément qu'ils ne le sont pas mais qu'ils devraient l'être, pour — en même temps — constater que ces dissemblables sont décidément trop "différents" pour pouvoir être autre chose que des imitateurs, pour pouvoir donc être véritablement assimilés.
Les études de la famille et de la sexualité dans les sociétés caraïbéennes allaient être marquées pour longtemps d'être nées dans un tel contexte. Mais aussi, plus récemment, les politiques de prévention de l'épidémie de sida qui sévit dans la Caraïbe. En effet, c'est bien l'image sociale de la sexualité dans cette région du monde, telle qu'elle a souvent été construite à travers les catégories de multipartenariat et de machisme, qui a informé et informe encore pour l'essentiel les présentations journalistiques mais aussi certains commentaires épidémiologiques de l'infection à VIH dans ces sociétés. Et ce, au départ, à l'initiative des systèmes d'information du "premier monde", mais une initiative qui a été bien vite relayée dans les formations caraïbéennes elles-mêmes.
Les interprétations qui ont été ainsi données de l'épidémie de sida dans la Caraïbe ont été souvent malheureuses. Non pas que l'image sociale sur laquelle elles s'appuient ne comporte pas une part de vérité. Nous avons vu que ce n'est pas le cas. Mais parce qu'elles ont eu bien des effets pervers. Au nombre de ceux-ci, nous n'en retiendrons, pour finir que deux, qui touchent de près au propos de notre article. Le premier découle des jugements de valeur qui, inspirés de l'idéologie coloniale et du principe de respectabilité que celle-ci valorise, viennent souvent connoter négativement ce qui est dit être la fréquence du multipartenariat des hommes caraïbéens. Face à une telle stigmatisation, de larges secteurs des populations antillaises et guyanaises ont commencé par réagir avec défiance aux campagnes d'information et de prévention sur le sida qui leur étaient proposées, le plus souvent au début de l'épidémie - de l'extérieur de leur société, et qui parfois succombaient aux clichés de ladite stigmatisation. Le second effet réside dans la mauvaise appréciation des situations de risque de contamination par le VIH que peut induire la méconnaissance de certains aspects du multipartenariat hétérosexuel caraïbéen, en particulier l'importance du nombre de "multipartenaires stables", que suscite, comme nous l'avons établi, la construction sociale de la sexualité ici discutée. Que l'on considère que cette importance constitue une facteur positif quant à la prévention du Sida et, plus largement, des MST, si l'on admet que les possibilités d'exposition aux risques en question s'accroissent avec le turn over des partenaires sexuels ou qu'inversement l'on mette l'accent sur la dangerosité de ce facteur en faisant observer que la prise de précautions face à ces risques est inversement proportionnelle à l'ancienneté de la connaissance que l'on a de ses partenaires.
L'on voit donc que notre discussion sur la construction coloniale de la sexualité dans les pays de la Caraïbe doit être, bien au-delà des seuls cénacles d'intellectuels, au centre des débats qui président à la définition de diverses formes de l'action sociale, et même de l'action publique, dans ces pays, tant elles sont affectées par cette construction et par les intentions moralisatrices qui sous-tendent celle-ci
Références citées
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Cette Afrique à venir, Journal de bord de mission en Afrique occidentale, été 1960, Frantz Fanon, Pour la Révolution Africaine
2011, annee Frantz Fanon
Posté le: Dim 25 Juin 2006 19:48 Sujet du message:
[quote="Chabine"]
lekunfry a écrit:
Celà confirme ma conviction profonde : on pourra conscientiser (intellectuellement) tant qu'on voudra, tant qu'on n'aura pas ressoudé hommes et femmes derrière un idéal, un projet de société commun, on n'ira nulle part, trop de divisions. La 1ère base d'une société qui fonctionne, jusqu'à nouvel ordre, c'est la famille. A nous de savoir quel modèle nous voulons, ou si on trouve que tout va bien comme c'est là, et ben on touche à rien...
Sinon, hormreb, j'ai trouvé quelques réponses à tes interrogations, mais je n'ai pas le bouquin sous la main, je te recopie l'extrait dès que possible
Projet de societe commun. Je suis d'accord. Malheureusement ca ns amene a un processus revolutionnaire initie de ht en bas (de la classe dirigeante vers le peuple), qui ne semble pas etre a l'ordre du jour nulle part en Afrique et encore moins ds la diapora. En revanche ce qui est faisable facilement et immediatement c'est que la famille (un couple qui se forme) ait un projet commun. Jusqu'ici cela s'applique a tt le monde qque soit la culture. Dans le cas specifique d'un couple africain (au sens elargi - afrique/afrique ou afrique/diaspora) chaque membre du couple doit avoir un minimun de conscience historique qui doit les guider a definir un projet commun qui s'inscrit dans la renaissance africaine. Oui etre conscient que l'identite culturelle africaine est en lambeaux; que meme sa propre famille est victime d'alienation culturelle dc les traditions ou coutumes dt elle se reclame st souvent entaches de deformations dues a la colonisation et/ou esclavage; que le systeme educatif ds lequel nous baignons deculture et aliene; que les parents africains (au sens large) doivent par consequent proteger leurs enfts au travers d'un processus de desaprentissage (un-learn) a la maison qu'ils doivent controler de bout en bout, que le monde ds le quel nous vivons est une mosaique de communautes culturelles et le metissage culturel tant clame ci et la ne fonctionne que si toutes les cultures sont valorisees et tt le monde respecte les regles du jeu; etc...
Oui, armee de ts ces elements de conscientisation, le couple peut construire son projet commun de vie, definir les milestones (points de repere a atteindre et une fois atteint indiquent que on est ds la bonne voie vers le prochain point, ainsi de suite jusqu'a destination) et les moyens de les atteindre.
je crois que ceci est un element de reponse a la question de Chabine de savoir comment cela se passe en Afrique et surtt si on pouvait s'inspirer de la cellule familiale africaine pour renforcer celle de la diaspora.
Mais, Chabine, au fait c'est quoi le but ? c'est juste pour ta connaissance perso ou tu veux reellement passer a l'action ?
je crois en effet que c'est un sujet TRES SERIEUX et GRAVE, pour que ca se discute en details seulement ds un forum.
Ma petite experience de la vie aux Antilles et en Afrique et maintenant aux USA (ou j'ai bcp de contact avec la communaute ici - OH la catastrophe - ) m'amene a dire qu'il y a vraiment urgence pour le "parenting education" dans notre communaute.
En fait il s'agit d'apprendre aux parents a eduquer leurs enfants.
ca devient obligatoire ds la diaspora et aussi ...en Afrique ds certaines pays/regions. Ca va faire bondir sertains. Oui la ou le systeme educatif n'est pas originellement africain (cas de la tres grand majorite des pays), eh bien vous former des alienes qui plus tard ds leur vie de couple/famille vont tt melanger: occidentalisation et africanite. Et d'ailleurs tres souvent chacun prends tjrs ds chacune des cultures ce qui sert ces interets. les examples st nombreux et riches, mais un fois encore je prefere entre ds les details ds un cadre plus formel ou on definit les actions a suivre.
Rien que ds mon entourage je vois 3 cas qui ont ts finis en clini psy;
1/ une amie de la martinique, ingenieur et bonne vie tte tracee comme on dit la-bas, a le couple qui bat de l'aile depuis au moins 2 ans. Elle veut partir, mais la famille fait pression que non. Seul argument: il est europeen. Avec un antillais ce sera pire. Il ft supporter. et la patatras elle decouvre que le gars l'a trompait allegrement, et comme d'hab tt le monde savait sf elle. depression; retablissement - redepression puis clinique. moi qui la connait bien, et on a bcp parle, je sais c'est encore un conflit interieur/exterieu- du Frantz Fanon quoi. En effet elle decouvre que le model admire n'est finalement pas a la hauteur, il y a des contradictions, et on est pas soutenu par la famille.
2/ couple d'amis: africains dt les enfts st nes en France jamais alles en afrique.
grde Ecole de commerce achevee, sejour a l'etranger, mais rien de concret a la suite de tt ca et du stage.
Pire on decouvre que la petite (22 ans qd meme) a vecu une agressivite culturelle permanente a son boulot (profession bancaire), qu'elle a resiste mais a fini par craque surtt qd on lui a refuse le poste a la fin.
Clinique egalement en ce moment.
3/ une amie de ma femme - Martinique
ingenieure informaticienne, vit avec un Africain. meme profession.
pb de racisme a son boulot + conflit avec sa famille (la mere surtt - comme d'hab) du fait de son choix de vie.
Clinique en ce moment. Et le pauvre gars desespere a mourrir car pression de sa belle-famille qui le tient responsable.
Le pire est que les medecins quis st consultes st en general a des annees lumieres des origines du pb. Dc il y a des chances que certaines en sortent completement abruties et voire irrecuperable. Combien de cerveaux on perd comme-ca chaque annee ? ou sont nos medecins a ns. specialistes de ces questions-la ? nos psy ? mon experience perso a montre que un sejour en clinique et/ou les medicaments contre anxiete et pour la relaxation, ne remplacent pas une discussion franche avec ttes les parties. Et des que l'harmonie revient, la personne "guerie" tres vite et repart comme de rein n'etait.
Certains trouveront que je fais une disgression par rapport au theme.
mais je crois que tte ceci est lie a la famille finalement.
Voila pourquoi j'insiste sur ce fameux parenting education comme un moyen efficace de prevention aussi contre les pbs de cples et tt ce qui en decoule et que j'ai cite plus ht. Si ca exite deja en France ou aux antilles faites-le moi savoir.
Je nuancerais bcp l'intervention de Gnassa sur les liens entre la colonisation et la situation des familles en Afrique aujourd'hui.
De maniere plus generale c'est l'alienation culturelle. Malheureusement bcp d'africains pensent que parce qu'ils parlent encore leur langues ils st restent en contact avec leur culturelle originelle ou ils ne st pas alienes. Faux, archi-faux. En fait c'est la conscience historique (voir ce qu j'ai dit plus ht) qui aide prendre de la distance et dc de voir les degats causes par l'occupation etrangere prolongee en Afrique a nos cultures et traditions.
Dc parler de la famille africaine souleve la question ? qu'elle famille ?
la famille originelle (au moins jusqu'a l'eopoque precoloniale) martiarcale ? je crois que qqu'un a donne des reperes bibliagraphiques la dessus.
on pourra y revenir plus tard.
Je relance un topic que j'avais égaré (je n'arrivais plus à le retrouver ) par un article très d'actualité sur la famille antillaise, qui, de plus en plus, nous pète à la gueule
La société devient folle
RECONSTRUISONS LA FAMILLE
Le tissu social se déchire et les relation entre les êtres humains se dégradent au fur et à mesure que la société s'enfonce dans ses contradictions .
L'égoïsme et l'individualisme forcenés cultivés par les tenants de l'idéologie dominante à travers leurs médias , la violence omniprésente générée par le mal-être , le stress , les toxicomanies qui gangrènent la société actuelle sont souvent à la base de cette dégradation . Mais l'un des facteurs permettant à ces forces négatives d'avoir prise sur le plus grand nombre , c'est le fait que la famille traditionnelle , premier noyau de l'organisation sociale , est de plus en plus déstructurée .
Quelques manifestations de cette réalité sont :
* La distension de plus en plus systématique des liens familiaux .
* La forte augmentation du pourcentage de séparations et de divorces entre couple , dans des conditions souvent violentes .
* Le nouveau type de contradictions qui divisent la famille et qui se règlent d eplus en plus devant les tribunaux .
* La coupure de plus en plus marquée entre les adultes et le jeunesse .
Un évènement scabreux a récemment bouleversé l'opinion publique martiniquaise : un jeune toxicomane a tué puis violé sa mère . Fait divers tragique , certes , mais qui , hélas , cristallise toute la folie agitant la société actuelle.
La famille traditionnelle martiniquaise
Les conditions dans laquelles s'est constitué notre Peuple de comprendre l'originalité de la famille Martiniquaise .
Les masses d'esclaves importés d' Afrique nous ont donné en héritage une vision élargie de la famille et surtout des conceptions profondément humanistes de son rôle .
Le système esclavagiste dont l'essence était de déshumaniser ses victimes , a chargé les consciences d'un profond traumatisme . ( Femmes ou enfants vendus à des maîtres différents , droit de cuissage , etc ...)
Pendant la période post-esclavagiste , la plus grande emprise de l'Eglise et ensuite les tentatives d'assimilation qui ont suivi la loi de départementalisation ont permis l'extension du modèle occidental de la famille . Le mariage a pris de plus en plus d'importance mais sans que pour autant , dans les consciences , la conception de la famille de type occidental ne supplante celle apparue au sein de notre peuple .
Car , tout au long de cette histoire tumultueuse , une forme originale de la famille s'est construite chez nous , expression d'une culture popre et riche de valeurs positives . C'est une famille élargie , où l'autorité des peuples est partagée . Tout adulte participe à l'éducation et à la transmission des valeurs en direction de tout enfant . Les " parrains " et les " marraines " sont en fait des pères et mères adjoints ou de substitution .
La répartition des responsabilités est conçues dans l'intérêt de l'ensemble du groupe famille et la personne humaine est le centre de toute organisation ( prise en considération des personnes âgées...).
Aussi loin que remonte l'histoire de l'humanité , les liens entre le père , la mère et les enfants se sont naturellement imposés . La codification de ces liens s'est largement diversifiée et a évolué en fonction des dogmes religieux élaborés par les différents groupes humains et en fonction des différents pouvoirs et des règles que ceux-ci ont imposé aux groupes .
Mais constatons que la cellule familiale de base a survécu des ères entières à toutes les formes d'organisation sociale . Pourquoi ? Parce que c'est le lieu privilégié où se transmet la tradition . Les valeurs admises par chaque société sont enseignées ou inculquées globalement à la population mais elles sont principalement transmises au sein de la famille . Il faut comprendre qu'une structure familiale donnée correspond non seulement à une culture spécifique mais aussi à une "intention " sociale .
La famille bourgeoise de type occidental correspond à des objectifs de contrôle du patrimoine . D'autre part , elle reproduit le schéma identitaire . L'autorité incarnée par un individu le père ( l'homme ) reflète l'organisation de la société . La forme que prend la famille , la place et la fonction réserves à chacun de ses membres sont appelés à se trouver en déphasage avec la société quand celle-ci s'est radicalement transformée ( en bien ou mal ).
La société entraîne l'éclatement de la famille
Ici , nous ne faisons que constater des faits , nous n'émettons pas de jugement de valeur .
- Le type de pouvoir économique actuel n'a plus besoin principalement de la structure familile pour atteindre ses objectifs .
Les maîtres de la société sont anonyme . Les livres de famille importent peu aux actionnaires . A l'autorité de l' Etat , à l'autorité des parents se substitue la puissance de contrôle directe sur les individus .
- C'est l'individu en tant que tel qui est ciblé . Sa fonction principale est de consommer ou s'il n'en a pas les moyens de servir d'outil de production à bas prix pour ceux qui peuvent consommer . D'ailleurs , l'individu est lui même marchandise ( Par exemple les droits de l'enfant sont dévoyés pour en faire des proies faciles ) .
- Les rélités sociales actuelles modifient la perception de la famille par ses membres . Du père responsable de porter le salire au foyer , on passe à une situation où tout le monde est plus ou moins assisté dans la maison par exemple .
- L'individualisme ambiant et la culture du profit , ont pour résultat que la recherche de la " rentabilité " s'installe même à travers les liens familiaux .
En ce qui concerne la " grande famille " martiniquaise , elle aussi se trouve bousculée dans ses fondements . Les réseaux de relation et les pratiques collectives qui la faisaient vivre se voient remplaçés par des circuits commerciaux dont le but exclusif est de capter une clientèle de plus en plus large .
Ainsi les tournées des parents d'une maison familiale à l'autre où l'on se partageaient la nourriture apportée et où l'on chantait Noël sont remplacés par des podiums sponsorisés et des compétitions entre groupe cantique . nTous les moments de la vie sont commandés par la grnade distribution . Chaque année est ajoutée une nouvelle fête : fête des mamies , fête des papys , Saint Valentin . Avec à chaque fois une constante il faut offrir des cadeaux ( donc consommer ) .
Les gestes formels , conventionnels , évacuent la nécessité de l'amour au quotidien , de la prise en compte concrète des besoins d'humanité , de solidarité et de vie collective .On copie le modèle occidental , même dans la façon d'aimer , où les simagrées remplacent la vraie tendresse . On croit prouver son amour à ses enfants en les bombardant de linge de marque et de hamburgers , quand il leur faut de la tendresse et quand on doit les guider dans l'apprentissage de la responsabilité .
Plus généralement les nouveaux comportements liés aux modifications de conditions de vie diminuent les possibilités de communication au sein de la famille . L'enfant rivé devant la télé , où l'anniversaire qui se fête plus en famille mais chez Mac DO , en sont des illustrations .
Certains présentent le travail féminin à l'extèrireur comme la principale cause de l'éclatement de la famille . C'est une idée erronée et profondément réactionnaire . L'accés des femmes au travail et aux loisirs , loin d'être un obstacle , est une condition de l'émancipation de l'ensemble de la société . A tous de se battre ensemble pour que la société mette à la disposition des familles des infrastructures ( crèche , espaces sportifs , cultuerls , etc ..) qui permettent de résoudre collectivement les problèmes de vie familiale . On à là l'exemple d'une intoxication idéologique . En effet sur tous les continents et de tous temps , la masse des femmes ont travaillé n'en pâtissant pas . Nos aïeules amarreuses de cannes qui allaient à la rivière ou au marché sont là pour en témoigner .
Contrairement à ce qui se dit ( syndrome de Lynch et culture de l'autodénigrement obligent ) les hommes martiniquais ont su portetr leur contribution à l'éducation à l'éducation familiale et n'étaient pas tous des " libertins " .
Reconstruire la famille
Loin d' être rétrograde , les valeurs propres à la famille martiniquaise traditionnele peuvent constituer un rempart contre la déraison sociale et il faut absolument les restaurer . Soit dit en passant , même si la civilisation occidentale a toujours superbement méprisé les apports des autres civilisations , elle aurait beaucoup à en apprendre . On note d'ailleurs avec intérêt que l'évolution actuelle de la l'évolution actuelle de la législation concernant les familles en France confirme l'avance des conceptions qui prévalaient chez nous ( par exemple quant au droit des concubins ou des enfants nés hors mariage ) . Nous devons consolider les fondamentaux :
* Restaurer le modèle ( identification ) car il est indispensable à la cocnstruction de la personnalité et de l'équilibre psychique .
* Favoriser les évolutions positives en particulier la démocratisation des relations : l'autorité imposée doit laisser place à des règles consciemment acceptées . Il faut convaincre par le dialogue . Ce qui ne met pas en cause le respect de l'autorité ou de la sanction , pour illustrer cela , celles-ci doivent être vécues comme la nécessité d'accepter le respect du code de la route et de sanctionner celui qui grille un feu rouge en état d'ivresse .
* Restaurer la famille ne signifie pas prôner le repli du groupe sur lui-même . Au contraire il s'agit de consolider un tremplin pour reconstituer un tissu social plus humain et plus solidaire . Il s'agit de se préparer à affronter collectivements les problèmes sociaux auxquelles nous sommes confrontés ( chômage , toxicomanie ,etc... ) pour y porter des réponses conséquentes .
Concrètement , il faut aujourd'hui
- Restaurer la confiance et , pour cela , savoir se remeyttre en cause et savoir renouer le dialogue .
- Réapprendre à résoudre collectivement les problèmes liés à la vie familiale ( travaux ménagers , garde d'enfants , échanges de service ) .
- Faire revivre les réseaux de relations et de solidarité .
- Agir sur le système dans l'action pour revendiquer des infrastructures au service de la famille , peser sur l'orientation de l'école et des médias .
- Repenser les relations avec les personnes âgées pour qu'elles portent mieux leur contribution à la connaissance du passé et à la transmision de nos valeurs culturelles positives .
- Impulser par le biais associatif une action solidaire en direction de nos aînés , des inactifs et des excluts .
Dans tous ces domaines existent déjà des initiatives , mais ce dont il s'agit , c'est de permettre à la famille martiniquaise de jouer le rôle qui doit être le sien dans la lutte contre les dérives qui affectent la société actuelle. _________________ "Le colonialisme et ses dérivés ne constituent pas à vrai dire les ennemis actuels de l'Afrique. À brève échéance ce continent sera libéré. Pour ma part plus je pénètre les cultures et les cercles politiques plus la certitude s'impose à moi que LE PLUS GRAND DANGER QUI MENACE L'AFRIQUE EST L'ABSENCE D'IDÉOLOGIE."
Cette Afrique à venir, Journal de bord de mission en Afrique occidentale, été 1960, Frantz Fanon, Pour la Révolution Africaine
2011, annee Frantz Fanon
Inscrit le: 22 Fév 2004 Messages: 1863 Localisation: UK
Posté le: Jeu 11 Jan 2007 00:58 Sujet du message:
Chabine a écrit:
Je relance un topic que j'avais égaré (je n'arrivais plus à le retrouver ) par un article très d'actualité sur la famille antillaise, qui, de plus en plus, nous pète à la gueule
Merci ARDIN, je contribuerai à ton topic quand j'en aurai le temps
Hormheb, je te dois une réponse depuis longtemps, je ne t'oublie pas
Je reviendrai argumenter avec plus de temps, mais en attendant, et pour avancer sur le sujet du topic, je me permets un emprunt au site Bondamanjak, suite à un débat sur la dérive des valeurs en Martinique. La discussion est partie d'une polémique concernant une chanson, avec des passages particulièrement grivois, d'un chanteur très populaire (Ralph Thamar, ancien lead vocal du groupe Malavoi), diffusée à des heures de grande écoute sur les ondes radio et TV. Y'a un vrai et énorme problème de dérive des valeurs ici, pour ne pas dire de décadence grave , et l'influence sur l'éducation des enfants, donc sur la famille, est loin d'être négligeable, comme le résume très lucidement cet internaute :
Le carnaval a toujours été le lieu de tous les excès, et les parents savent, en emmenant leurs enfants voir le carnaval ou y participer, qu'ils y verront aussi tous les tabous voler en éclats : place aux malpropres qui mangent du caca dans les baquets, aux hommes travestis en femmes enceintes, aux putes qui ont de la barbe au menton, aux adultes qui têtent les biberons... enfin tout ce que l'on condamne en temps normal.
Mais et c'est là toute la différence, ca se passe durant une période déterminée, dans des lieux déterminés, les rues, et il faut y aller pour le voir et le croire.
La télé et la radio changent la donne. Tous ceux qui étaient contre pour des raisons qui les regardent et qui ne participaient pas, voyaient les "alé koko manman ou" (traduction : "va b... ta mère") entrer dans leur salon par les retransmissions télé ou radio. Ils pouvaient toujours éteindre leur télé.
Maintenant, il faut aussi éteindre la radio si on ne veut pas entendre la chanson de Ralph.C'est la seule solution. Parceque les radios nous imposent, comme d'habitude leur choix, leur goût, font et défont les tubes. A nous de boucher nos oreilles, et celles de nos enfants.
C'est un peu ce débat que des femmes ont un jour posé, en allant bomber ces affiches de femmes nues vantant les mérites d'un store sensé protéger l'intimité. Leur discours était : que dire à nos enfants qui, sur le chemin de l'école se retrouvent face à un cul artificiellement gonflé, lorsque à la maison, on s'entoure d'une serviette en sortant de la salle de bain pour ne pas choquer.
On est dans une société qui ne nous permet même plus d'être choqués par ce qui va à l'encontre de l'éducation que nos parents nous ont donné. Il parait que c'est être rétrograde de nos jours que de vouloir donner à ses enfants une image respectueuse de la femme, de l'homme, de leur propre corps et de leur sexualité.
A ma fille, je dis : tu vois ça, c'est ce que le monde d'aujourd'hui va te proposer et vouloir t'imposer comme norme. Moi, ton père, je te dis qu'un autre monde est possible et qu'il te faut résister à ça. Les femmes dont parlent ces chansons existent dans certains milieux. Mais ta mère n'est pas comme ca, ta grand-mère non plus, ta grande soeur non plus, tes tantes non plus, et elles sont plus nombreuses encore aujourd'hui à ne pas de voir dans cette image. Moi, ton père, je te dis que tu mérites mieux, plus de respect, et que c'est à toi de choisir en final de compte, mais n'oublies pas que ce que tu choisiras, c'est ce que tu devras transmettre à tes enfants. Et toi, ma fille, que diras tu à ta fille ???
Je trouve les propos de ce Guibert très à propos (et j'espère qu'il ne se formalisera pas de cet emprunt s'il nous lit), mais je vous prie de croire qu'ils sont de plus en plus minoritaires ici Dire celà revient à passer pour un dangereux rétrograde, au nom de la "COOLITUDE" obligée, de la ***modernité*** et de l'ouverture illimitée que nous sommes censés afficher en permanence, en tant que personnes ***civilisées***... Sauf que la ***modernité*** en question nous est imposée de l'extérieur (radio/TV française) et/ou d'en-haut (***élites*** médiatiques et artistiques locales), et elle est clairement décadente, de nos jours, il faut appeler un chat un chat _________________ "Le colonialisme et ses dérivés ne constituent pas à vrai dire les ennemis actuels de l'Afrique. À brève échéance ce continent sera libéré. Pour ma part plus je pénètre les cultures et les cercles politiques plus la certitude s'impose à moi que LE PLUS GRAND DANGER QUI MENACE L'AFRIQUE EST L'ABSENCE D'IDÉOLOGIE."
Cette Afrique à venir, Journal de bord de mission en Afrique occidentale, été 1960, Frantz Fanon, Pour la Révolution Africaine
2011, annee Frantz Fanon
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Inscrit le: 25 Mai 2005 Messages: 3244 Localisation: Derrière toi
Posté le: Mer 23 Juil 2008 08:43 Sujet du message:
J'arrive pas à comprendre ce type d'attitude qui fait qu'un homme n'acceptant pas une rupture préfère soit mettre le feu à sa femme, soit refroidir ses gosses.
Et ça y va aux Antilles.
D'autres menacent (en larmes de croco de salon) de se percer dans la cuisine si tu les quittes (expérience vécue).
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