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Victor Schœlcher : mythes et réalité...???

 
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GrandKrao
Bon posteur


Inscrit le: 17 Fév 2005
Messages: 889

MessagePosté le: Mer 04 Fév 2009 11:40    Sujet du message: Victor Schœlcher : mythes et réalité...??? Répondre en citant

Je viens de lire ce texte en plusieurs parties rassemblant entre autres des extraits de commentaires sur SCHOELER!
De ce monsieur je ne connaissais que la version il était anti esclavagiste pas plus!
Là je découvre un peu plus la complexité qui fait un homme !

lisez plutôt et complétez si vous pouvez!

Citation:


http://www.piankhy.com/modules/news/article.php?storyid=189

Le poète Aimé Césaire retiendra de lui qu’il « fut le plus efficace, le seul absolu, le seul conséquent des abolitionnistes » (1) tant il est vrai que les autres doctrines abolitionnistes de son époque semblaient n’être que de vulgaires palliatifs en comparaison à la radicalité de la sienne. Lorsque François Mitterrand prendra ses fonctions à la présidence de la République le 21 mai 1981, il fera escale au Panthéon afin de s'incliner sur les tombes de Jean Jaurès, de Jean Moulin et de Victor Schœlcher. Mais la grande majorité des Français ne sait presque rien de ce dernier au nom imprononçable et dont la réputation n'a, hélas, guère dépassé le cercle des initiés. Qui est-il vraiment ? Était-il un authentique abolitionniste ou un « vendeur de fausse monnaie » comme tant d'autres de ces prétendus abolitionnistes qui n'exigeaient pas l'abolition mais de simples réformes de l'esclavage ?

Victor Schœlcher naît en 1804, à Paris, dans une famille bourgeoise et commerçante d'origine alsacienne. À 25 ans, son père l'envoie aux Amériques avec un stock de modèles de porcelaine. Sa mission est de trouver une nouvelle clientèle afin de permettre l'accroissement de l'affaire familiale. C'est là, et plus précisément à Cuba et en Louisiane, totalement par hasard, qu'il découvre avec effarement et dégoût la servitude des Noirs et décide de lâcher le monde des affaires pour ne se consacrer désormais qu'à la seule lutte contre la bestialisation et l'exploitation des esclaves des colonies américaines.

En 1830, la Revue de Paris publie son article intitulé « Des Noirs ». Dans ce papier, il dénonce le système concentrationnaire de Louisiane et de Cuba dans lequel les maîtres tout-puissants bâtissent des fortunes en sur-exploitant des hommes, des femmes et des enfants qu'ils maintiennent dans l'ignorance la plus totale, torturant allégrement ces infortunés qu'ils font besogner jusqu'à 14 heures par jour. Pour la première fois de sa vie, le bourgeois dandy qu'est Schœlcher était confronté au racisme anti-noir dans toute son horreur. Il l'affrontera désormais sans relâche.

Mais de lui, l'idéologie dominante a toujours eu pour habitude de ne célébrer que l'image d'un bienfaiteur qui, au-delà de sa courageuse lutte contre les préjugés de race dont sont victimes les esclaves, embrassait d'abord et avant tout, et de la plus belle des manières, les idéaux républicains. D'autres verront carrément en lui un saint.

Pour illustrer cette mythification de l'homme, on ne saurait trouver meilleur exemple que celui d'un intervenant qui, lors des cérémonies de commémoration de la naissance de Schœlcher à Basse-Terre le 21 juillet 1935, nous donnera un aperçu de ce culte voué à l'abolitionniste. Me Jean-Louis décrira Schœlcher comme le « fondateur d'une religion nouvelle, qui prendra dans l'histoire le nom de Religion Schœlcherienne » (2)

« Oui Schœlcher, continue-t-il, prendra place entre Confucius et Jésus, ces deux fils de Dieu que par le dogme, le culte et la morale, il relie entre eux (...) Gloire au plus haut des cieux à Victor Schœlcher, le libérateur de la France et l'Émancipateur de la race noire ! Gloire au plus haut des cieux à la France, patrie de l'Apôtre du Vrai, du Beau et du Bien ! Gloire au plus haut des cieux aux membres de la race noire, et à tous ceux qui, sans distinction de race et de classe, ont dans le cœur le culte de Victor Schœlcher et professent, peut-être sans le savoir, la belle et pieuse religion du vrai, du Beau et du Bien ! Oui Victor Schœlcher nous le louons comme un Dieu ! Oui notre âme te glorifie comme son maître !» (3)


Victor Schoelcher



Schœlcher était un homme plein de contradictions, comme tous les hommes. Si ce dandy d'extrême gauche et autodidacte ne renâcla pas dans la dénonciation de la condition humaine des esclaves, il fut aussi, au lendemain de l'abolition de l'esclavage dans les colonies françaises en 1848, un ardent défenseur de la politique coloniale. Il sera, dans les dernières années de sa vie, le directeur politique d'un journal dont le nom ne laisse guère de doute quant à son orientation : « Le moniteur des colonies ». Ce périodique se voulait un « journal politique, organe des intérêts coloniaux et maritimes » et défendait expressément « l'aptitude de la France à coloniser ». Établi par Victor Schœlcher et Gaston Gerville-Réache en 1882, le programme de présentation de cette publication se présente comme voulant montrer « la grande valeur politique et commerciale [des] possessions d'outre-mer, montrer que leur extension et leur prospérité ne pourraient manquer de tourner au profit de la mère-patrie ».

On pourrait, sans la moindre provocation, parler d'un « colonialisme éclairé » - qui reste bien entendu du colonialisme - tant le colonialisme de Schœlcher n'a rien de commun avec celui d'autres expansionnistes qui rappelaient par exemple que « les races supérieures ont le devoir de civiliser les races inférieures » (4)

Il n'y a aucun doute pour Schœlcher et Gerville-Réache que les droits politiques attribués aux Français de métropole doivent être exactement les mêmes pour tous les citoyens des vieilles colonies que sont la Martinique, La Guadeloupe, la Réunion et la Guyane : « Nous voulons l'égalité pour tous en France nous la voulons de même pour tous aux colonies ». Même s'il dénonce la malhonnêteté intellectuelle des arguments utilisés par les colonialistes qui arguent de la « mission civilisatrice » pour justifier la conquête par la guerre, Schœlcher soutient la colonisation par principe et célèbre le courage de ces hommes vaillants.

Nelly Schmidt auteur d'une bibliographie de Schœlcher rappelle à ce sujet :

« Qu'il suffise de rappeler par exemple qu'en 1853 Schœlcher assimila la prise de possession de la Nouvelle-Calédonie à un "vol à main armée" qui conduirait "au bagne dans tout pays civilisé" mais qu'il considérait que l'Europe, en "tournant ses regards vers l'Afrique", en "s'occupant d'y porter la civilisation" y ouvrait un marché où "les produits de l'industrie européenne [trouveraient] 200 millions de consommateurs" » (5)

Cependant, il était favorable à une politique d'assimilation culturelle totale vis-à-vis des habitants des colonies. Du moins certaines. Pour lui, c'est un préalable incontournable : la citoyenneté se légitime d'abord par le degré d'assimilation culturelle. Aussi, pour ce qui est des colonies dont la conquête est récente, comme l'Algérie, il est formellement opposé à toute citoyenneté attribuée aux autochtones, ne l'estimant juste que pour les Européens de souche. Il n'est donc pas « universellement universaliste » si l'on peut dire. De la complexité de l'homme...

Et cette complexité de l'homme va se nicher jusque dans sa dénonciation de l'esclavage. Peu de gens savent en effet qu'il réclama « l'émancipation immédiate » des esclaves mais, point essentiel de sa doctrine, « avec indemnité pour le maître, au prorata de ses valeurs, payable en deux termes » (6). La liberté pour les uns et les indemnités pour les autres. Ici les mots sont importants : une indemnité est une somme d'argent qui est réclamée par la victime supposée au titre d'une compensation due à un préjudice subi. En l'occurrence, aux yeux de Schœlcher, le vrai préjudice n'est pas subi par les esclaves condamnés à la servitude héréditaire mais par les colons esclavagistes.

Ses idéaux colonialistes chevillés au corps se révèlent au détour de plusieurs passages sans que, pour autant, cela ne remette en cause l'authenticité de son combat abolitionniste. Schœlcher reconnaît l'infériorité intellectuelle des esclaves tout en la relativisant par le biais d'une contextualisation qui, une fois encore, laisse transparaître tous ses idéaux colonialistes :

« Il en est [des esclaves] qui ne paraissent guère moins bornés que les conscrits auxquels on est obligé de mettre du foin dans un soulier et de la paille dans l'autre pour leur faire distinguer le pied gauche du pied droit, ou bien encore que les paysans alsaciens, pour la tranquillité desquels on a été obligé de faire bénir solennellement le chemin de fer de Strasbourg, parce qu'ils croyaient les locomotives animées du feu de l'enfer. Nous accordons enfin que la masse des nègres, tels qu'ils sont aujourd'hui, montrent une intelligence au dessous de celle de la masse des blancs, mais nous sommes convaincus qu'une éducation égale les remettrait vite de niveau » (7)

Sur ce point, il se distingue des vrais racistes de son époque (Cool par une subtilité qui a son importance : pour lui, si certains peuples africains n'ont pas encore touché la civilisation cela n'est dû qu'à des circonstances totalement indépendantes de leurs aptitudes intellectuelles et de leur « race ». Cela relèverait plus sûrement d'opportunités qui ne se seraient pas présentées à eux. Il convient d'ailleurs que « le cerveau de l'homme noir ou blanc étant un, l'homme sauvage blanc ou noir, est partout semblable, de même que l'homme civilisé partout se ressemble » (9)

Mais que l'on ne s'y trompe pas : inutile ici de lui faire un procès en sorcellerie. Schœlcher ne défend pas l'idée farfelue selon laquelle les Blancs sont intrinsèquement supérieurs aux Noirs. Il embrasse plutôt une approche plus nuancée qui est que les peuples extra-européens doivent se frotter à la civilisation des peuples avancés pour en bénéficier au même titre que ses concitoyens. Pour ce faire, il est donc important pour les autres « races » de s'élever à leur niveau. C'est une vision colonialiste et arrogante, pour sûr. Mais on ne peut guère la qualifier de raciste dans le sens où elle ne décrète pas l'infériorité de l'essence africaine et ne développe aucune thèse du « déterminisme biologique » qui lierait l' « inaptitude intellectuelle » des Africains à leur « race ».

Car tout en soutenant ce discours qui pourrait choquer plus d'un de nos contemporains, Schœlcher concédait que la civilisation a existé ailleurs, et plus particulièrement en Afrique.
Les 116 premières pages de « Abolition de l'esclavage. Examen critique du préjugé contre la couleur des Africains et des sang-mêlés » sont entièrement dédiées à cette thèse et marquent clairement ses prises de positions antiracistes :

« Les Noirs ne sont pas stupides parce qu'ils sont noirs, mais parce qu'ils sont esclaves. L'infériorité intellectuelle des hommes en servitude n'est pas chose nouvelle ; les comédies antiques sont pleines de traits contre l'imbécillité des esclaves (...) On parle de l'avilissement, de la stupidité des Noirs aux colonies ; mais n'est-ce pas le produit de l'esclavage, et l'esclavage n'a t-il pas ce résultat partout où il existe, sur quelque nature d'hommes qu'il pèse de son poids de plomb ? Les Blancs même d'Europe n'en éprouvent-ils pas les mêmes effets ? » (10)

Ces pages attestent de l'existence d'anciennes civilisations africaines et le but de l'auteur est clairement affiché : démontrer l'inconséquence des thèses des partisans racistes de l'esclavage qui soutiennent que le Noir est congénitalement stupide, vicieux, fainéant, pêcheur et désigné, par le Saint-Esprit, comme apte à la servitude éternelle en sa qualité de descendant de « Cham ». Y sont mentionnés les écrits de Volney, pour qui la race noire dont les Blancs font leurs esclaves « est celle-là même à laquelle nous devons nos arts, nos sciences et jusqu'à l'usage de la parole » (11) ; il cite Diodore de Sicile qui, lui, promet « que les Éthiopiens regardaient les Égyptiens comme une de leurs colonies » (12). Idem pour Hérodote qui affirme que ces mêmes Éthiopiens (13) sont à l'origine de la civilisation pharaonique. Deux ans plus tard, Schœlcher écrira : « N'a t-on pas vu les Égyptiens qui étaient encore nègres au temps où Hérodote écrivait leur histoire, finir par se fondre dans un moule intermédiaire entre le nègre et l'autochtone ? » (14)

Sur la base de cette réalité factuelle, Schœlcher tire une conclusion qui est que la civilisation est née en Afrique : « Fabre d'Olivet est de cet avis : "La race noire existait dans toute la pompe de l'état social ; elle couvrait l'Afrique entière de nations puissantes émanées d'elle ; elle connaissait la science de la politique et savait écrire". La race blanche était alors, selon cet auteur, "à l'état sauvage" » (15)

Les récits des explorateurs ayant visité l'Afrique sont aussi convoqués : Mungo-Park, Mollien, Clapperton ou Caillé sont appelés en tant que témoins. Ce dernier est cité abondamment à propos de Jenné au Mali :

« ''Le peuple qui habite les bords de la fameuse rivière d' Hioliba est industrieux ; il ne voyage pas mais il s'adonne aux travaux des champs ; et je fus étonné de trouver dans l'intérieur de l'Afrique l'agriculture à un tel degré d'avancement. Leurs champs sont aussi bien soignés que les nôtres, soit en sillons, soit à plat suivant que la position du sol le permet par rapport à l'inondation (...)
Le chef a établi des écoles publiques dans cette ville, où tous les enfants vont étudier gratis. Les hommes ont aussi des écoles, suivant les degrés de leurs connaissances. Les habitants de Jenné sont très industrieux et très intelligents. On trouve dans cette ville des tailleurs, des forgerons, des maçons, des cordonniers, des portefaix, des emballeurs et des pêcheurs .Elle expédie beaucoup de marchandises à Tombouctou. On y fait le commerce en gros (...) et dans tout le pays on se sert de la monnaie comme moyen d'échange''

Tous manifestent une égale surprise en présence de ce qu'ils rencontrent de bien. Ils étaient si persuadés au départ qu'ils allaient chez les sauvages, qu'aucun d'eux ne put s'empêcher de faire cette même remarque : on se sert de monnaie comme moyen d'échange » (16)

Il poursuit : « Ainsi en lisant Mungo-Park, Horneman, Clapperton, Denham, Mollien, Caillé, les frères Lander, Laird, Newton, Bruce, et nous aurions pu citer encore Astley, Stedman, Cowper-Rose, Barbot, avec d'autres s'il ne fallait s'arrêter ; on voit que des nègres ont chez eux des villes, du commerce, de l'agriculture, des coutumes, des écoles, des hôpitaux ; qu'ils travaillent le coton, le cuir, le bois, les métaux , la terre ; qu'ils ont des lois et font des fables. Est-il nécessaire de pousser le négrophilisme à l'extrême pour conclure de là que les Noirs sont bien des hommes, faits comme nous pour la liberté ? Qu'ils soient aussi policés que les Européens, personne n'est tenté de le soutenir ; mais qu'ils ne soient pas en Afrique fort loin de la barbarie, cela n'est plus soutenable. Colons et défenseurs de l'esclavage ! Vous avez nié l'industrie de peuples que vous ne connaissiez pas ! C'est au moins de la légèreté !...Cette industrie est peu avancée, nous en convenons ; mais, assurément, ce n'est pas parce que ces peuples ont la peau brune.

"Expliquez-nous alors, ainsi que le dit l'abbé Grégoire, pourquoi les hommes blancs ou cendrés d'autres contrées sont restées sauvages et même anthropophages. Vous ne contestez cependant pas leur égalité avec nous. Il est vrai que vous ne manqueriez pas de le faire si l'on voulait établir la traite chez eux !"
[...]
Nous ne disons pas que tous les Nègres sont des hommes de génie, comme Christophe ou Toussaint Louverture ; [...] mais nous disons qu'il est faux et extravagant d'en faire des idiots, et que c'est avoir soi-même très peu de cerveau que de bâtir sur leur angle facial, plus ou moins aigu, de petites théories physiologiques qui tendent à leur refuser à-peu-près toute intelligence. [...] » (17)



Citation:


http://www.piankhy.com/modules/news/article.php?storyid=192

Les détracteurs de Schœlcher, à commencer par le mulâtre martiniquais Bissette, lui rappelleront sans cesse que dans ce premier ouvrage de son œuvre anti-esclavagiste il ne demandait pas l'abolition de l'esclavage de manière radicale. Et effectivement, dans « De l'esclavage des Noirs et de la législation coloniale », Schœlcher considère le fouet comme étant indispensable au bon fonctionnement de tout travail forcé et n'en demandait que la limitation des abus. Pour lui, l'abolition immédiate était inconcevable puisque les esclaves étaient encore « vicieux et ignorants ». Mais ces états d'infériorité morale et intellectuelle n'étaient pas, selon lui, liés à leur nature réelle et insurmontable mais n'étaient que le fruit de la brutalité des colons et du système qu'ils régissaient.

Il dédia cependant son troisième livre « Des colonies françaises : Abolition immédiate de l'esclavage » aux colons, afin de les remercier de l'avoir hébergé durant ses séjours en Martinique et en Guadeloupe. Les premiers mots de l'ouvrage sont :

« A mes hôtes des Colonies Françaises,
Vous connaissiez mes principes et quoique vous regardiez comme vos ennemis tous ceux qui les professent, partout vous m'avez ouvert vos portes. Vous avez tendu la main au voyageur abolitionniste, et il a longtemps vécu sous votre toit comme on vit chez un ami. (...) J'aime vos esclaves parce qu'ils souffrent. Je vous aime parce que vous avez été bons et généreux pour moi (...) »

Mais on voit, ne serait-ce que par le titre de ce troisième ouvrage qui exige l'abolition immédiate, que sa pensée avait encore évolué depuis les années 30, moment où il ne réclamait que de simples réformes.


Dans sa critique abolitionniste, Schœlcher chercha aussi à étayer sa cause par l'argumentaire de la non-fonctionnalité et de la non-rentabilité de l'esclavage : les planteurs n'avaient rien compris au progrès des systèmes de mécanisation des moyens de production qui commençait pourtant à envahir les pays qui s'industrialisaient en ce 19ème siècle. Ces colons, imbus d'eux-mêmes et psychorigides à souhait, continuaient à utiliser une main-d'œuvre humaine au mépris de toute logique alors que cette approche était tout bonnement contre-productive. Ils prenaient ainsi du retard face à leurs concurrents directs qui eux cherchaient constamment à optimaliser leur productivité. Il serait, par conséquent, beaucoup plus rentable de délivrer les esclaves et d'investir dans des machines, toujours selon lui.

Il ridiculise sans cesse la perception dépréciative des racistes en dévoilant les préjugés qu'ils ont sur les Noirs et en questionnant leur conscience : auraient-ils intériorisé aussi commodément cette infériorité si l'on disait des Gaulois qu'ils étaient des êtres inférieurs aux Romains ?

« Combien de siècle les Gaulois, nos farouches aïeux, n'ont-ils pas vécu en hordes sauvages qui se déchiraient entre elles, avant de se policer aux frottements des beaux arts et du génie expirant de leurs vainqueurs ! Cette France, cette grande France, notre gloire et notre amour (...). ''Que dirions-nous, s'écrie Frossard à ce propos, si nous retrouvions des ouvrages d'Athènes ou de Rome dans lesquels l'auteur se serait efforcer de prouver que nous sommes susceptibles d'intelligence et de perfectibilité, par opposition au sophisme de quelques raisonneurs, qui auraient prétendu qu'étant sans art et sans culture, les habitants des Gaules étaient un intermédiaire entre l'homme et la brute'' » (3)

La dérision est une arme que l'abolitionniste utilisa assez bien. Aux colons, il demande de considérer les Noirs tout simplement comme des humains à part entière ou alors, à l'opposé, de les envisager comme des animaux domestiques. Mais dans ce cas, il faudrait à ces colons un peu de raison et traiter ces Noirs comme des bêtes en en consommant la viande comme ils le feraient pour n'importe quel autre animal dont on fait l'élevage :

« Si les Nègres font partie de l'espèce humaine, ils ne nous appartiennent plus, ils sont nos égaux. Si les Nègres font partie de l'espèce brute nous avons droit de les exploiter, de les utiliser à notre profit, comme les rennes, les bœufs et les chameaux ; nous avons même aussi le droit, c'est une conséquence forcée, de les manger comme des poulets et des chevreuils : il n'y a pas ici de juste milieu » (4)

Sur la liberté et le prix à payer pour l'obtenir, Schœlcher a une opinion tranchée et inéquivoque. De son avis, « la liberté individuelle est antérieure à toutes les lois humaines ; elle fait corps avec nous, et aucune puissance imaginable ne peut consacrer la violation de ce principe naturel - L'homme a le droit de reprendre par la force ce qui lui a été enlevé par la force (...) » (5). L'homme n'appartient donc à personne et a le droit de recourir à la force pour se défendre contre des ennemis qui lui dénient le droit à sa souveraineté sur lui-même. « L'homme esclave revient à la liberté, comme la vapeur comprimée à l'espace, en brisant tout ce qui s'oppose à sa force expansive. Les oppresseurs ne sont-ils point coupables de la moitié des forfaits qu'il peut alors commettre ? On ne lui laisse d'autres armes que la flamme et le poignard ; peut-il avoir d'autres pensées que la violence ?» (6)



Citation:


http://www.piankhy.com/modules/news/article.php?storyid=193

Dans cet univers, le lobby des colons est une véritable mafia dévouée à son seul et unique service. C'est un État dans l'État. Ou, si vous préférez, c'est Cosa Nostra avant la lettre. Quelques soient les échelons sociaux auxquels on se trouve confronté, les membres de cette « entente » y sont en force et en nombre : force de l'ordre, juges, maires, jurés etc. Le népotisme est l'une des règles de ce système dans lequel les bénéficiaires promouvront à leur tour leurs rejetons, leurs frères, leurs cousins par alliance bref, toute une engeance ultra-conservatrice élevée au grain de la haine du Noir et du despotisme socio-racial le plus arriéré.



Les colons font pression sur les religieux métropolitains fraîchement arrivés dans les colonies car ils redoutent l'enseignement trop émancipateur qu'ils pourraient octroyer aux esclaves. Les gouverneurs sont à leurs bottes. Les fonctionnaires de métropole qui n'embrassent pas l'esclavagisme le plus rétrograde subissent d'énormes pressions de toute part jusqu'à ce qu'ils abandonnent le terrain et soient mutés ailleurs. En Martinique, un fonctionnaire du nom de Bortel s'est ainsi vu obligé de quitter l'île uniquement parce qu'il avait reçu des Nègres à sa table. Le lobby colonial n'ayant pas supporté ce « traître à sa race » pactisant avec les « damnés », il fallait par conséquent le châtier afin qu'idées saugrenues de la sorte n'aillent pas germer dans l'esprit d'autres Blancs. Ils sont nombreux ceux des fonctionnaires que l'on expulse juste pour avoir eu un soupçon de sympathie pour les Nègres.




Même les religieux ont leurs esclaves aux colonies. À la Martinique, les Dominicains sont en possession de cinq cent esclaves dans leur sucrerie et ces derniers sont aussi maltraités que les esclaves appartenant aux colons.

Autant dire qu'avec cette atmosphère pestilentielle qui court, les esclaves n'ont aucune chance de voir un « procès » (quand il y en a rarement un) tourner à leur avantage. Les journaux des colonies invectivent avec la plus grande des violences et font de véritables procès en sorcellerie à toute personne relatant l'iniquité de la « justice » coloniale. Schœlcher était certes leur bête noire mais nous ne parlons même plus là des abolitionnistes de sa trempe - peu nombreux contrairement à ce qui se dit - mais du seul fait de considérer que justice n'a pas été rendue dans les règles requises par la morale. Schœlcher tempête :



« Quoi ! Il s'est trouvé à la Guadeloupe, un commissaire de police pour fouetter une femme enceinte, jusqu'à lui déchirer le corps, jusqu'à lui faire perdre sur place des torrents de sang ; un avocat, maître de la femme, pour autoriser le supplice, et des magistrats pour absoudre ces coupables dont le crime est flagrant ; et en présence de ce fait acquitté, qui suffirait seul à caractériser un état social, [le journal ] l'Avenir de la Pointe-À-Pitre n'a de cri de vengeance que contre ceux qui le signalent ! » (1)

Schœlcher va surtout déclencher la colère des colons à son encontre car, en plus de mentionner des faits flagrants d'impunité, il cite surtout les noms des criminels qui voient leur patronyme étalé en place publique.

En Guyane, la même règle d'impunité existe alors. En 1843, l'affaire du régisseur Fourier est symptomatique de ce système de prévarication généralisée subsistant au sein des autorités coloniales. L'affaire Fourier ? C'est l'histoire d'un « sérial-tabasseur » qui se plaît à rosser ses esclaves au moindre prétexte et qui finit par en laisser quelques uns sur le carreau. L'acte d'accusation à lui seul donne le tournis. Il est reproché à Fourier d'avoir exercé des actes de barbarie :

« 1° Sur le nègre Henri, dit Gros-Bibi, arrêté en marronnage, en lui faisant cracher au visage et frapper aux deux joues avec un soulier ferré, par tout l'atelier de l'habitation la Marianne (...) en le faisant enchaîner pendant un mois, malade, à une chaîne du poids de vingt-cinq kilogrammes, et dans cet état ne lui fournissant qu' une nourriture insuffisante ; en le soumettant à un travail au-dessus de ses forces et à une fustigation quotidienne de vingt-cinq coups de fouet pendant une semaine au moins, et en outre, en le frappant lui-même à coup de bâton ;
Faits qui, perpétrés volontairement et avec préméditation, ont occasionné, le 18 septembre 1841, la mort de Henri, dit Gros-Bibi, sans intention de la donner.



2° Sur le nègre Abadia, en brisant sur sa tête et son corps une pagaie avec laquelle il lui portait volontairement et avec préméditation des coups qui ont occasionné audit (sic) Abadia une maladie et une incapacité de travail de plus de vingt jours.
(...)


4° Sur le nègre Antoine dit **** (note de Piankhy : le surnom est illisible) au moment où il avait des menottes, en lui portant, volontairement et avec préméditation trois coup d'un sabre arraché violemment au commandeur.


5° Sur le nègre Césaire, atteint de la maladie dont il est mort, en le frappant lui-même, volontairement et avec préméditation, et lui portant, en outre, plusieurs coups de pied quelques instants avant sa mort (... ) » (2)


Les chefs d'accusation sont au nombre de huit en tout et comme il l'a été noté par tout œil aiguisé, nous comptons deux morts « indirectes ». Mais est-il vraiment nécessaire de préciser que le nommé Fourier a tout bonnement été acquitté ?

Que risque-t-on réellement quand on tue un ou une esclave lorsque l'on est blanc dans les colonies françaises des Caraïbes au temps de l'esclavage ? Quasiment rien ou presque, même si le Code Noir brandit virtuellement la menace de la justice.


Condorcet (sous le pseudonyme de M. Schwarz, qui signifie « noir » en allemand) écrira à juste titre en 1788 : « Il n'y a pas eu, depuis plus d'un siècle, un seul exemple d'un supplice infligé à un colon pour avoir assassiné son esclave » (3). Quand on a connaissance de la nature expéditive et brutale de la justice qui a lieu en France en cette période, celle-là même qui a épouvanté Voltaire dans l'affaire Calas, on appréhende mieux la portée de cette assertion : la justice des colonies est une justice raciale, donc inéquitable. Elle se doit de conforter le colon blanc dans sa brutalité, son racisme mesquin fait d'ignorance et de bêtise et son sentiment de prééminence face aux esclaves et aux autres libres. Point. Là est sa seule raison d'être : maintenir la hiérarchie raciale afin que la France s'enrichisse sur le dos des esclaves.

Jugée le 3 novembre 1846, l'affaire Edmond Hurel est un autre exemple de cette justice raciale et raciste. Ce planteur et membre du puissant Conseil colonial fait appeler dans sa chambre, très tôt le matin du drame qui va se jouer, son esclave Euranie, mulâtresse âgée de 18 ans, pour des motifs qui, de l'avis de Victor Schœlcher, sont purement d'ordre sexuel : il voulait sexuellement abuser d'elle comme c'était de coutume chez les colons (4). N'ayant pas réussi à obtenir ce qu'il désirait, Hurel l'accuse soudainement de vol et, entrant dans une folle colère, lui concocte un passage à tabac en bonne et due forme, pourchassant la jeune femme dans toute l'habitation pour la corriger. La jeune Euranie décèdera sur le champ suite à une hémorragie interne.
Motif officiel de l'ire du très soupe au lait Hurel ? La jeune esclave aurait maraudé trois lapins, qui en fait ont disparu depuis des semaines. Il faut garder en mémoire que le Code Noir peut, en cas de vol, réclamer la peine de mort pour l'esclave (5). L'accusation est donc opportune. Chaque fois qu'un colon tue un de ses esclaves, il a la possibilité de mettre son forfait sur le compte d'un « constat de vol » imaginaire, histoire de se prémunir. Acquitté le sieur Hurel ? Non, pas cette fois ! La justice qui fait une distinction entre « Homme » et « homme noir » a enfin fait son « travail » puisqu'elle le condamnera... à 6 mois de prison et 300 francs d'amende. Sans compter qu'il a été reconnu que le planteur a visiblement essayé de suborner quelques témoins du meurtre. Six mois de prison pour avoir pris la vie d'une gamine de 18 ans qui se refusait à lui. C'est surtout ça l'esclavage ...

Continuons la visite du musée de la non-justice coloniale avec le cas de la petite Thomassine, 9 ans, qui, durant toute l'année 1841, fut victime de son maître, Laurent Chatenay, soixante-quatorze ans. Ce dernier finit - enfin - par être jugé pour l'avoir accroché par les jambes et les bras à quatre piquets plantés en terre afin de lui mettre une correction au fouet. Le procès-verbal expose le contenu du rapport médical :

« L'esclave Thomassine nous a fait reconnaître environ vingt-cinq cicatrices longitudinales situées à la partie postérieure et inférieure du dos, ayant diverses directions, lesquelles paraissent être le résultat de coups de fouet qu'elle aurait reçus à des périodes différentes et dont le dernier châtiment lui aurait été infligé depuis plus d'un mois.(... ) Toutes ces lésions peuvent faire supposer que le châtiment reçu par l'esclave Thomassine, a été sévère en raison de son âge, mais que, néanmoins il n'a pas été excessif » (6)

Il s'agit ici d'un fouet qui laboure le dos d'une enfant de 9 ans, pas d'un martinet. Mais le procès-verbal, répétons-le encore, fait une nette distinction entre « Homme » et « homme noir ». Le vieux Chatenay sera donc condamné à 200 francs d'amende par la justice. A l'inverse, des esclaves tués parce qu'ils ont porté la main sur leur maître existent en quantité (7)

Un autre casseur d'enfants est le dénommé Léo Mezire qui, le 9 novembre 1846, envoie Sainville, son esclave de 7 ans, acheter une bouteille de rhum. Manifestement, un conflit existe entre le vendeur de rhum et le dénommé Mezire. Du coup, les 15 centimes de monnaie que le jeune Sainville devait retourner à son maître seront retenus par le commerçant qui, en plus, réclame 20 centimes supplémentaires issus d'une ancienne dette. Léo Mezire s'acharnera donc ...sur son jeune esclave qui n'a pas ramené la somme exacte qu'il attendait : 15 coups de liane par un de ses sous-fifres, puis 15 autres par lui-même ; encore 15 coups le jour suivant puis 10 pour le surlendemain. Tout cela sur un enfant de 7 ans. Tout cela pour ne pas avoir fait en sorte que les ordres soient exécutés comme le maître l'eut ordonné : 8 jours de prison et 25 francs d'amendes pour le dénommé Mezire.

Que le propriétaire d'une sucrerie se rende compte que sa petite affaire ne fonctionne pas correctement et voilà qu'il accuse certains de ses esclaves d'empoisonner les bêtes et les autres nègres. C'est le cas de M. Brafin de Saint-Pierre qui, durant l'année 1838, perd en deux mois cinquante de ses esclaves :

« Ses soupçons tombent sur les esclaves Théophile, Camille, Zaïre et Marie-Josephe, trois femmes et un homme. Il les réunit, leur impose la responsabilité du mal, et leur annonce des châtiments sévères, s'il éprouve de nouvelles pertes. Les soupçons sur quoi sont-ils fondés ? Ne le demandez à aucun maître, ils n'en savent rien, et n'en peuvent rien savoir. Ils soupçonnent celui-là plutôt que tel autre, voila tout (...). Enfin le 5 et 7 juillet 1838, deux esclaves succombent encore à l'hôpital. Théophile précisément s'y trouvait malade, et sa concubine Zaïre communiquait avec lui. M. Brafin ne manque pas de leur attribuer un crime de plus. Il quitte Saint-Pierre où il habite, assemble l'atelier, rappelle les menaces faites aux quatre noirs désignés, et les condamne au fouet, ainsi qu'un autre esclave nommé Jean-Louis. L'exécution commence immédiatement ; à Zaïre, à Théophile, succède la femme Marie-Josephe ».

Après le passage du nègre Saint-Prix, un enfant de 15 ans, et celui du géreur, le maître trouve que les bourreaux ont la main ou trop légère ou trop maladroite.

« Brafin, lui-même s'empare du fouet et il frappe ; il frappe de sa propre main cette femme qui est restée nue pendant ces tristes épreuves, et qui ne se relève sanglante qu'après avoir passé sous le fouet de trois bourreaux deux blancs et un enfant nègre ! C'est encore lui, le maître, qui taille Jean-Louis (...) - A la suite de ces exécutions Brafin met un carcan (Cool à chaque condamné hommes ou femmes » (9)


De l'arbitraire ? Allons plus loin. Il manque une esclave dans le lot : c'est Camille qui vient tout juste d'accoucher et allaite son bébé né la veille. Brafin file vers sa case et la menace. Il fera tout de même preuve de mansuétude puisqu'il « lui attache un carcan au cou !! et se retire » (10)

En d'autres circonstances, les femmes enceintes devant subir le fouet pour des prétextes que l'on imagine dérisoires, profitaient de l'ingéniosité des colons qui creusaient un trou au sol pour accueillir les rondeurs ventrales dues à la grossesse afin que la Sainte justice du fouet soit rendue dans de « bonnes » conditions.

Par ailleurs qui s'en étonnera ? Les enfants des colons reproduisent à l'identique sur les enfants des esclaves noirs tout ce que leurs propres parents font aux parents de ceux qu'ils s'échinent à rosser, à humilier et à rabaisser plus bas que terre dès leur plus jeune âge. Quand ils n'ont pas à leur disposition des petits esclaves de leur âge, ils peuvent à l'occasion se rabattre sur des adultes qui ne manifestent tout simplement aucune riposte et se laissent corriger et avilir dans le silence et la honte. Les rejetons des colons assimilent ainsi dès le plus jeune âge tous les traits de l'arrogance raciale.

On ne le dit jamais assez : l'esclave vit dans un véritable camp de concentration de sa naissance à sa mort. Et cette malédiction est héréditaire : ses fils et ses filles reprendront l' « affaire familiale » sur plusieurs générations. Les esclaves sont « contrôlés dans leurs allées et venues, surveillés dans leur vie sexuelle et familiale, interdits de métiers, contraints à l'usage de certaines formes vestimentaires [ et ] victimes de mille et une discriminations (... ) » (11). Ils doivent un respect total envers les Blancs et le moindre écart est sanctionné : il faut cultiver l'infériorité, la honte, le « larbinisme », le mépris de soi, la peur pour que chacun reste à sa place et que la colonie continue à bâtir des fortunes et à produire ces denrées dont la métropole a tant besoin.

L'esclave est soumis à la terreur et aux caprices de ce maître, à la barbarie du semblant de loi qui le vise lui, non pas en tant que citoyen à part entière ou sujet du roi (pour la période pré-révolutionnaire ) mais en tant que membre d'une race-meuble (12) condamnée à la servitude héréditaire, à l'infériorisation de son essence, de son être. L'esclave ne devait pas être instruit. Il travaille, il prie (13) et il se fait fouetter. Les femmes, elles, sont à la disposition sexuelle des Blancs jamais repus de débauche. Ils ont tous les droits sur elles. Tous !

Les orphelinats n'acceptent de recueillir que les enfants blancs. Lors d'une visite, Schœlcher s'étonne de l'homogénéité raciale des orphelins de l'hospice de Saint-Pierre. La sœur lui rétorque le plus innocemment du monde que les enfants d'ascendance africaine peuvent toujours se faire domestiques au service des Blancs...contrairement aux Blancs qui, bien sûr, méritent un autre sort.

Les colons monnayent les enfants de leurs esclaves sans aucune gêne. « Ils [vendent] même aussi leurs propres enfants issus de leurs œuvres avec quelqu'une de leurs femmes esclaves » (14). Les enfants esclaves sont, par milliers, arrachés à leur famille pour être vendus. Une histoire de quelques cas seulement ? Certainement pas. Citant G.W Alexander et John Scoble, Schœlcher dénombre, entre 1825 et 1839, « 7698 enfants impubères, c'est-à-dire âgés de moins de douze ans révolus pour les filles, et de moins de quatorze ans pour les garçons, [qui] furent ainsi arrachés à l'amour de la famille dans la seule colonie de Guadeloupe » (15). Lorsque l'approvisionnement en esclaves se raréfie, les colons n'hésitent pas à faire de l'élevage de négrillons. Même si « cette pratique n'aura jamais, à ce qu'il semble, dans les colonies françaises l'importance qu'elle arrivera à atteindre en certains États d'Amérique du nord, en Virginie par exemple, où des maîtres organisent des élevages systématiques de "négrillons" et de "négrittes" pour l'exploitation » (16).

Quelques années avant l'abolition de 1848, et bien avant l' « État français » du maréchal Pétain et les lois d'apartheid aux U.S.A et en Afrique du Sud, d'exquis écriteaux annoncent la couleur discriminante dans les lieux publics comme à La Savane de Fort de France : « Entrée interdite aux nègres, aux gens de couleur et aux chiens ». Pauvres chiens...

Dans l'édit nommé « Code Noir », le marronnage était déjà très sévèrement puni : « le nègre, marron pendant un mois, aura les oreilles coupées et sera marqué d'une fleur de lys sur l'épaule gauche ; enfin, la troisième fois, il sera puni de mort ». (17)
Pour semer la peur chez les esclaves, la barbarie n'a donc point de limite. Un esclave de Martinique fut ainsi condamné le 20 octobre 1670 par le Conseil de Martinique à avoir la jambe coupée et, comble du cynisme, que celle-ci soit attachée à la potence de la place publique pour bien marquer l'esprit des autres esclaves. De quoi est accusé le malheureux ? Il avait tué ...un ânon (1Cool. Aucun colon n'a reçu la moindre gifle pour avoir tué un humain dont le seul tort était d'avoir la peau noire mais on amputait la jambe d'un nègre parce qu'il aurait causé la mort d'un âne...

Dans la réalité, une autre peine de mort est toute aussi effective : on lâche les chiens sur les traces des esclaves « déserteurs » et les malheureux capturés se font déchiqueter et dévorer par des chiens dressés spécialement pour la chasse aux nègres. Pour faire pression sur les esclaves en fuite, on n'hésite pas à passer à tabac et à torturer les enfants et autres proches de celui-ci et de le lui faire savoir afin qu'il fasse volte-face et retrouve cette raison qui le condamne à accepter sa propre déshumanisation. Le suicide existe. Il est même omniprésent et est souvent le dernier recours. À Basse-Terre, on a vu un esclave qui s'est fait « sauter la cervelle en mettant le feu à une cartouche placée dans sa bouche ». D'autres se pendent. Des cas d'esclaves qui tuent leur enfant qu'elles viennent de mettre au monde ou s'auto-avortent en plein milieu de leur grossesse pour ne pas donner naissance à un « réprouvé en puissance », sont avérés. Pendant ce génocide à petit feu, à Paris, les rombières et mégères pantouflardes de la bonne société adorent exhiber leurs négrillons importés des îles. Signe de richesse pour celles qui en possèdent, ces petits noirs remplacent avantageusement, pensent-elles, les petits singes qu'elles affectionnent au même point. Qui s'en soucie ? Le racisme anti-noir en France est et a toujours été un divertissement avant tout.

Malenfant (un propriétaire d'esclaves de Saint-Domingue qui, plus tard, s'opposera à l'expédition de Napoléon en vue de rétablir l'esclavage dans la colonie) raconte la barbarie quotidienne :

« (...) On a vu un Caradeu aîné, un Latoison-laboule, qui, de sang froid, faisaient jeter des nègres dans les fourneaux, dans des chaudières bouillantes, qui les faisaient enterrer vifs et debout, ayant seulement la tête dehors, et les laissaient périr de cette manière, heureux, quand, par pitié, leurs camarades abrégeaient leurs tourments en les assommant à coup de pierres » (19)

En 1768, l'écrivain Bossu note : « J'ai vu un habitant, nommé Chaperon, qui fit entrer un de ses Nègres dans un four chaud où cet infortuné expira ; et comme ses mâchoires s'étaient retirées, le barbare Chaperon dit "Je crois qu'il rit encore", et prit une fourche pour le fourgonner (...) » (20). Qu'un esclave rate un plat lors d'un dîner, et la maîtresse exige que l'on saisisse le malheureux et qu'on le jette dans le four brûlant. L'impunité vous dit-on !

Si le concubinage et la débauche horrifient les autorités, car elles y voient un abâtardissement de la race blanche, il n'en reste pas moins qu'elles ne condamnent pas les colons qui violent ou prennent pour maîtresses des Négresses et des Mulâtresses. En revanche, des femmes blanches qui prennent pour concubin un Noir - les inconscientes - c'est là une autre paire de manche. Une affaire d'honneur et de suprématie raciale ! Le 23 mars 1708, un esclave nommé Jeannot est traîné devant le siège royal de Petit-Goâve à Saint-Domingue afin d'y être jugé pour avoir vécu une histoire d'amour avec une Blanche dont il eut trois enfants. On poussa le malheureux nu et tiré par une corde au cou à déclarer que « méchamment il a eu l'audace et l'effronterie d'entretenir une femme blanche d'adultère ». Il devra demander pardon à Dieu, au Roi et à la justice pour avoir fauté puis aura le poing droit coupé. Il sera ensuite « mené et conduit dans la Place d'Armes où il sera pendu et étranglé jusqu' à ce que mort s'ensuive ». Les réquisitions font froid dans le dos ? Pas pour tout le monde. Le substitut trouve que la sentence est très légère compte tenu du déshonneur porté à la race blanche toute entière et propose d'alourdir les supplices. Jeannot aura droit à un extra : il aura les oreilles coupées et sera marqué au fer de la fleur de lys sur les joues, puis il subira des coups de verge et finira attaché trois dimanches de suite à la place publique de Goâve. C'est seulement après que l'on pourra lui donner la mort barbare prescrite plus haut. L'inconsciente, quant à elle, sera condamnée à passer trois années de sa vie dans un monastère et, si son mari légitime ne vient pas la chercher au bout de ces trois années, y passera le reste de sa vie après avoir été tondue et voilée (21).

Voilà ce que la loi Taubira aurait dû souligner et qualifier de « crime contre l'Humanité ». Au lieu de cela, elle a évoqué la « traite et l'esclavage atlantique », laissant le soin aux cyniques de nier le fait que, dans ce que l'on vient de lire, il ne s'agit plus du seul esclavage : nous sommes face à un système global d'oppression raciale et raciste. Mais les opposants à cette loi font fi de tout cela et nient la particularité de cet esclavage d'une violence raciste déshumanisante.
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