M.O.P. Super Posteur
Inscrit le: 11 Mar 2004 Messages: 3224
|
Posté le: Mar 05 Avr 2005 09:07 Sujet du message: vaut mieux réussir chez soi,que de fanfaronner à l'exterieur |
|
|
http://www.quotidienmutations.net/cgi-bin/alpha/j/25/2.cgi?category=all&id=1112653407
Commentaire & Série : Claude Assira : Le Cameroun est une ambition légitime A choisir entre les deux, il vaut mieux réussir chez soi plutôt que de fanfaronner à l’extérieur : retourner au pays devient donc une quête philosophique et identitaire.
Serge Alain Godong,à Paris
Claude Assira
Le Cameroun est une ambition légitime
A choisir entre les deux, il vaut mieux réussir chez soi plutôt que de fanfaronner à l’extérieur : retourner au pays devient donc une quête philosophique et identitaire.
A la soudaine découverte de ce que sa vie ne pourrait pas continuer à se dérouler comme ça, indéfiniment, sous les cieux paisibles et rassurant d’un Occident accompli et rassasié, Claude Assira fut empli d’un vaste sentiment de mansuétude et de stupeur. Son imaginaire lui semblait en effet désormais fugace, ses rêves proches des chemins de traverse. Car, confie-t-il, «avant, comme beaucoup, je pensais qu’il suffisait de vivre ici en France pour être heureux toute sa vie ; mais aujourd’hui, je me rends bien compte de ce que les choses ne sont pas aussi simples que je le pensais au départ. Parce que l’alchimie est plus complexe que ça et qu’entre vivre dans ce pays et vivre au pays, les données ne sont pas les mêmes et le plaisir fort différent, l’avantage net revenant aujourd’hui, à mes yeux, à vivre au Cameroun».
Confidence, fort troublante, de la part d’un trentenaire qui en cumule pourtant quelques uns des paramètres les plus vibrants d’une success-story parfaitement insérée dans la géométrie des réussites sociales les plus enviables de sa génération. Localisation au 14ème arrondissement de Paris, écriteau annonçant sobrement au pied d’un immeuble, «Cabinet d’avocat : Claude Assira». L’ascenseur qui conduit à ce quatrième étage a le confort d’une boîte d’allumette et l’hôte qui y accueille est hissé sur le sourire de ceux qui ont quelque réputation à préserver. L’atmosphère des lieux est austère et blafarde, peint avec une couleur blanche sans ostentation. Il n’y circule luxe tapageur, ni incommodité manifeste : l’espace de travail parfait pour un personnage qui voit défiler, sur des bouts de feuilles blanches, les angoisses, les fragilités et les atrocités d’un monde à défendre, d’une humanité à consoler, de quelques blessures à panser.
16 m_ donc d’un espace dont l’occupant se révèle être de ces hommes vers qui il est difficile de se rendre sans décliner l’étendue de ses a priori. Il y a toujours au moins une chose que l’on sait en avance sur son compte, de plus ou moins exacte, de plus ou moins farfelue. L’essentiel d’une vie, déclinée comme une opération comptable à partie double, dans laquelle chacun croit pouvoir lire l’actif et le passif. Claude Assira rit presque de tout cela en affirmant que l’essentiel est à ce qu’il est et non à ce qu’il ne se démènera jamais à défendre comme image. La vie, croit-il, est une question de choix et nul ne peut parvenir à la réalisation de son destin sans exercer la plus vigilante des tyrannies sur le cours des événements que lui impose le hasard.
Devoir
Dans un monde en perpétuel mouvement, il existe toujours d’immenses dangers à ce que les facultés de sélection de chacun soient prises dans le vertige des apparences, de la vacuité et de la velléité et que les options défendues en arrivent à s’effondrer dans le néant, le vide. Le chaos et la mort sont des rencontres tout à fait raisonnables et le regard que l’on porte sur soi-même peut quelque fois être travesti par tous ces souvenirs primitifs qui aliènent la mémoire à la hauteur de ses peurs et de ses ambitions les plus absurdes. Au gré de tout cela, Claude Assira affirme être devenu avocat autant par aspiration que par devoir. Devoir, pour écouter le son profond de son cœur lui demander de se consacrer entièrement à une passion qu’il sentait dictatoriale et violente sur sa personne ; aspiration pour être sûr de tenir, de cette façon, une part de l’héritage que son illustre père avait dessiné par le passé comme l’un de ces hérauts qui disent et protègent la Loi.
Sa licence en droit privé, acquise à l’université de Yaoundé en 1989 lui en avait déjà dressé le cheminement. Il ne tardera pas à partir du Cameroun quelques mois plus tard, et parvenir à obtenir une maîtrise en droit privé à l’université de Paris II, deux années plus tard. De là, le parcours classique des étudiants brillants, rigoureux et rangés, qui ennuient tout le monde avec ces résultats auxquels personne ne peut se permettre de formuler le moindre reproche : Dea en droit pénal et sciences criminelles en 1994, doctorat en droit pénal des affaires en 1997, certificat d’aptitude à la profession d’avocat la même année. On le retrouve donc travaillant comme collaborateur d’avocats entre 1998 et 2000, après que des expériences passées l’aient conduit à partager des aventures similaires dans un autre cabinet d’avocat parisien, mais aussi, longtemps avant cela, au Cameroun, au moment où il découvrait encore de ses pupilles peu averties, les réalités de cet univers bruissant mais volatile.
Le mouvement qui le porte d’ailleurs à l’époque en France se construit, affirme-t-il, sur une révolte ancrée dans sa hantise du lendemain : obsession de forger une carrière qui se donne les moyens de se développer de manière autonome, tout en construisant les éléments de sa richesse et de sa compétence. Rester au Cameroun, pensait-il, était prendre date avec la fragilité, l’incertitude et une certaine forme d’inachèvement spirituel et moral. Alors que venir étudier en France résonnait comme une démarche de cohérence, dans une recherche devenue charnelle de la densité et de la profondeur. C’était tenter de gagner le fond, tout en posant une main ferme sur la forme.
Trilogie
Quelques unes des personnes qui affirment avoir partagé ses chemins d’enfance racontent alors, à sa place, les tribulations souvent rocambolesques dans lesquelles le jeune homme de cette époque s’est souvent retrouvé, dans l’opiniâtre construction d’une trajectoire de self-made-man, pas du tout dépendante ni de sa patronymie, ni des privilèges qui auraient pu en découler. Faut-il le rappeler, son père, Assira Engouté Léonard, est alors un haut fonctionnaire de l’Administration camerounaise et survole différents départements ministériels au même poste de secrétaire général Les forces déchaînées de l’imagination ont alors ouvert la porte aux rêves et aux ambitions les plus tenaces, avant de laisser aller le destin sur des balises résolument nouvelles, hors des conservatismes du vieux monde et des songes lunatiques d’une vie réduite à l’obscurantisme sédentaire de la trilogie goulot-lolos-gogos.
Le temps a donc passé, sans pour autant donner l’impression à Claude Assira que sa vie en elle-même avait pris la locomotive qui conduit à une ère nouvelle. Certes, des satisfactions de toutes sortes ont, au cours de ces dix dernières années, contribué à laisser éclore les contradictions diverses ; certes, la quantité de mobilisations qu’il est susceptible de revendiquer aujourd’hui semble davantage gagner en importance, conduisant l’évocation de son narcissisme à se souvenir avec bonheur des vertus de la considération sociale, mais au bout du compte de toute cette surenchère, apparaît de plus en plus impérieuse la nécessité de repartir chez lui, de retourner aux sources. «Aller au pays, pour moi aujourd’hui, dit-il, n’est pas une affaire avec laquelle je voudrais nécessairement faire joli ; non, c’est plus fort que ça». Il s’agit, tout simplement, dit-il, de pouvoir «exister».
Ressentir autrement la légitimité et la fierté qui coulent froidement dans les veines, au moment où l’on se sent prendre corps dans les débats de son environnement, dans les décisions qui interpellent l’ensemble de la communauté, dans la participation aux entreprises de chacun et de tous. «Vivre et travailler en France, quoi qu’on en dise, c’est toujours se résoudre à s’en tenir à une certaine forme, implacable, d’anonymat ; quel que soit par ailleurs le niveau de son talent individuel et de la compétence que l’on peut réclamer : tout est fait en sorte que les avocats étrangers ne doivent se contenter que de portions congrues ; ce qui est, il faut le dire, à la longue, assez frustrant». Dans le cerveau de Claude Assira, rôdait depuis quelques années donc le projet – aujourd’hui réalisé – d’ouvrir sur place au Cameroun une représentation locale de l’activité qu’il mène à Paris.
Par un tour de force tenant de quelques tours de passe-passe, il lui est arrivé de survoler les restrictions en vigueur dans la législation nationale, pour réussir à ouvrir un cabinet d’avocat à Yaoundé, en vue de lui permettre de prendre progressivement pied dans un cœur d’activité qu’il sent situé dans l’axe même de son déploiement au cours des dix prochaines années. «Ce qui me semble important à ce jour, dit-il, c’est de parvenir à créer une vraie synergie entre ce que je fais en France et ce que je pourrais faire au Cameroun ; à mon avis, c’est là où se trouve mon avenir. La France est encore très importante pour le moment parce que c’est bien le pays où je suis installé et qui m’offre une qualité de structure et d’infrastructure inégalable, mais le Cameroun ne peut être négligé dans la mesure où c’est bien là où je sens mon avenir, en terme de véritable épanouissement et de qualité de vie à long terme».
Identité
Inutile donc de lui rappeler qu’une telle perspective paraît absolument terrifiante à ceux qui reprochent au pays de Paul Biya ce que le philosophe-historien Achille Mbembe appelait, il y a peu, son état «d’ensauvagement» : «C’est vrai, soutient-il, que toutes les nouvelles que je reçois du pays sont invariablement catastrophiques, quelles que soient les personnes qui me les donnent et quel que soit le domaine dont on parle. Tout le monde tend donc à me décourager quant à la qualité de ma démarche de retour ; mais ce qui me semble le plus à craindre est moins la difficulté que je pourrais rencontrer dans cette nouvelle aventure que le manque de résolution qui me guette, le découragement »
S’en suit un petit silence, avant d’enchaîner : « Je crois qu’il y a des difficultés partout et qu’il tient de nous de les surmonter. Je ne crois plus tout à fait être à un âge où on se laisse aplatir par le pessimisme ; au point où j’en suis, on prend des décisions et on avance. C’est ce que je tente de faire du mieux que je peux. J’ai décidé d’y retourner, ce que je vais faire parce que je crois en ce que je fais et que, par ce seul fait, j’irai jusqu’au bout des mes convictions». Claude Assira formule ainsi avec ferveur toute la force, invincible, grâce à laquelle il se transporte avec tant d’entrain sur les frontons du monde. Question de se donner à vivre comme un homme qui s’invente aux frontières du nomadisme, de l’aventure, de la découverte ; parce que, croit-il, le mouvement est signe de rencontre, de richesse, d’ouverture, d’expansion, de rencontre avec les ressorts inconnus de sa propre personne.
Et c’est précisément à la fascination que peut parfois susciter le reflet de sa plastique dans le miroir de l’autosatisfaction qu’il essaie aujourd’hui de trouver le bel équilibre entre les contours de son identité et celle que lui impose une humanité parfois belliqueuse, quelquefois chahuteuse, mais presque toujours envieuse de ce qu’il est ou même de ce qu’il n’est pas encore. A Cachan, banlieue parisienne où il a pris quelques gages avec l’avenir, les voix de ses deux enfants résonnent entre les murs comme une promesse de ce que la réalité n’est pas condamnée à l’imbécillité et au sordide. Ceux qui le connaissent et ne le connaissent pas lui reprochent son goût immodéré pour la distinction et les cooptations. Lui, affirme vouloir rester «naturel», sans fard, tout en affirmant comprendre que les gens émettent sur son compte des avis remplis d’amertume et de corrosion. Ce qui, pour un homme habitué à défendre, et à se défendre, ne peut que donner de la succulence aux réhabilitations et aux inventaires que l’on tire du chaos. Difficile de savoir, à ce jour, ce que pense son épouse de tout cela. Mais au moins peut-elle être sûre d’avoir choisi un destin que quelques unes lui envieraient. |
|