Grioo.com   Grioo Pour Elle     Village   TV   Musique Forums   Agenda   Blogs  



grioo.com
Espace de discussion
 
RSS  FAQFAQ   RechercherRechercher   Liste des MembresListe des Membres   Groupes d'utilisateursGroupes d'utilisateurs   S'enregistrerS'enregistrer
 ProfilProfil   Se connecter pour vérifier ses messages privésSe connecter pour vérifier ses messages privés   ConnexionConnexion 

Actualité de la pensée de CESAIRE

 
Poster un nouveau sujet   Répondre au sujet       grioo.com Index du Forum -> Littérature Négro-africaine
Voir le sujet précédent :: Voir le sujet suivant  
Auteur Message
Chabine
Super Posteur


Inscrit le: 02 Mar 2005
Messages: 3040

MessagePosté le: Lun 24 Oct 2005 05:06    Sujet du message: Actualité de la pensée de CESAIRE Répondre en citant

Sur la lancée du topic sur FANON, je vous propose de réfléchir à l'actualité de la pensée d'Aimé CESAIRE.

Pour commencer : Le DISCOURS sur le COLONIALISME

Introduction :

"Une civilisation qui s'avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente.

Une civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte.

Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde."


ça vous fait penser à quoi, dans l'actualité ?
_________________
"Le colonialisme et ses dérivés ne constituent pas à vrai dire les ennemis actuels de l'Afrique. À brève échéance ce continent sera libéré. Pour ma part plus je pénètre les cultures et les cercles politiques plus la certitude s'impose à moi que LE PLUS GRAND DANGER QUI MENACE L'AFRIQUE EST L'ABSENCE D'IDÉOLOGIE."
Cette Afrique à venir, Journal de bord de mission en Afrique occidentale, été 1960, Frantz Fanon, Pour la Révolution Africaine
2011, annee Frantz Fanon
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Chabine
Super Posteur


Inscrit le: 02 Mar 2005
Messages: 3040

MessagePosté le: Mar 25 Oct 2005 10:41    Sujet du message: Répondre en citant

http://www.afrikara.com/index.php?page=contenu&art=187

Discours sur le colonialisme de Aimé Césaire : littérature de libération sans concession
11/06/2003


Homme de lettres et inventeur de la négritude, Aimé Césaire signe une contribution indispensable à l’extension de la lutte de libération à tous les champs intellectuels et sociaux de l’existence citoyenne. Certes la parution date de 1955, mais les tentatives de restauration coloniale légitimées à grands renforts de campagnes médiatiques par les idéaux prétextés de liberté et de démocratie si ce n’est de libéralisation économique, réactualisent une piqûre de rappel césairienne. Irak, Côte d’Ivoire, Zimbabwé, troupes de l’ONU, bases militaires à Djibouti, en Arabie saoudite, etc. Colonisation rampante, férocité blanche nouveau format ?

Dans le contexte des luttes anti-coloniales des années 50, le poète martiniquais commet une œuvre pamphlétaire tout à la fois éclairée et incisive, du genre sans concession. Cette Europe indéfendable rature sa propre prétention à la civilisation car il y a loin de la colonisation à la civilisation. Un monde. Un antagonisme infranchissable, infini, …faire l’un c’est refuser l’autre !

La puissance de la charge de l’inventeur de la négritude réside dans la force de l’argumentation que le ton hérissé du texte n’écorne pas. La colonisation travaille d’abord à déciviliser le colonisateur, à l’abrutir littéralement…Car les horreurs de l’entreprise font régresser le colonisateur et le colonisé qui périclite sous le joug averse. C’est une gangrène qui s’installe chez le prédateur, un poison qui va le pousser à la récidive, à la dérive. C’est l’ensauvagement de l’Occident nu privé de sa jactance moralisante, civilisatrice.

L’humanisme occidental passé au crible de la plume de Césaire reprend ses caractères authentiques, pas nécessairement les meilleurs. Son parti contre Hitler est revu et corrigé et resurgit comme une protection des libertés blanches, de l’inviolabilité humaine à validité restrictive. Les Arabes d’Algérie, les Coolie d’Inde, les Nègres d’Afrique font l’objet d’autres considérations.

Quoi de surprenant à ce que Renan voit dans la race chinoise une race d’ouvriers par nature, dans la race nègre une race de travailleurs de la terre, dans la race européenne une race de maîtres et de soldats…Autant de races qui, selon l’écrivain et historien ex-ecclésiastique -Renan-, appellent la conquête étrangère. Discours d’autorité balayé par un autre discours, sur le colonialisme et plus précisément contre. Contre ses horreurs, le travail forcé, forcené, les violences militaires, la chosification des peuples, la force faite loi, les corvées, le viol, la pression, l’obligation.

Madagascar, Indochine, Algérie, Incas ou Aztèques aujourd’hui disparus, le verbe et la verve du poète réveillent les pulsions de libération, de justice, et la passion de la découverte de l’autre, l’autre civilisé quoique différemment. Les préjugés raciaux déversés par tonneaux par les autorités d’époque en prennent un coup d’obsolescence, mais la cause est inattaquable.
_________________
"Le colonialisme et ses dérivés ne constituent pas à vrai dire les ennemis actuels de l'Afrique. À brève échéance ce continent sera libéré. Pour ma part plus je pénètre les cultures et les cercles politiques plus la certitude s'impose à moi que LE PLUS GRAND DANGER QUI MENACE L'AFRIQUE EST L'ABSENCE D'IDÉOLOGIE."
Cette Afrique à venir, Journal de bord de mission en Afrique occidentale, été 1960, Frantz Fanon, Pour la Révolution Africaine
2011, annee Frantz Fanon
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Chabine
Super Posteur


Inscrit le: 02 Mar 2005
Messages: 3040

MessagePosté le: Mar 25 Oct 2005 10:48    Sujet du message: Répondre en citant

http://www.afrikara.com/index.php?page=contenu&art=704

Décryptage : Discours sur le colonialisme de Aimé Césaire, Discours pour la liberté
23/06/2005

Donc, camarade, te seront ennemis — de manière haute, lucide et conséquente — non seulement gouverneurs sadiques et préfets tortionnaires, non seulement colons flagellants et banquiers goulus, non seulement macrotteurs politiciens lèche-chèques et magistrats aux ordres, mais pareillement et au même titre, journalistes fielleux, académiciens goitreux endollardés de sottises, ethnographes métaphysiciens et dogonneux, théologiens farfelus et belges, intellectuels jaspineux, sortis tout puants de la cuisse de Nietzsche ou chutés calenders-fils-de-Roi d’on ne sait quelle Pléiade (…).

Aimé CÉSAIRE, Discours sur le colonialisme.


Dans son ouvrage consacré à Édouard Glissant, Romuald Fonkoua[1] constate que l’émergence des peuples d’anciennes colonies dans l’espace mondial a pour effet de transformer les idées anciennes et de modifier la perception et le discours sur le monde. Pour le cas français, arrêtons-nous aux mouvements nègres qui agissent en Métropole dans les années vingt. Philippe Dewitte en distingue deux : les assimilationnistes et les révolutionnaires. Ils procèdent d’une réaction contre la politique française qui s’est montrée avare à accorder des droits politiques aux peuples d’Outre-mer, malgré leur participation à l’effort de guerre. Les premiers sont souvent réformistes (p.ex. René Maran[2]) et, tout en préconisant la revalorisation de l’homme noir, ils sont favorables à l’assimilation totale à la culture française. Les seconds balancent entre le pannégrisme et l’anti-impérialisme en fonction de l’état de leur relation avec le parti communiste français (p.ex. Lamine Senghor). Ces mouvements finiront par s’essouffler et céder la place aux jeunes intellectuels afro-parisiens dont faisait partie le jeune Aimé Césaire. De ces premiers groupes de revendication, l’on peut conclure qu’ils introduisent une autre mesure du monde en luttant pour une identité politique de l’homme noir. Celle-ci passe par l’acquisition de droits politiques comme la citoyenneté française. De cette lutte naîtra, chez les jeunes intellectuels nègres, un autre devisement du monde sur le plan politique et surtout culturel. Ainsi, la question de l’identité politique nègre deviendra la question de l’identité culturelle nègre dans les livraisons de la Revue du monde noir des sœurs Nardal ensuite de ces épigones Légitime Défense puis L’Étudiant noir[3] et enfin Césaire et Senghor. Cette autre mesure du monde, tout en essayant de s’en différencier, va s’opposer au discours européen sur les peuples d’Outre-mer[4].



Au XIXe siècle, en effet, l’image véhiculée de l’Afrique est celle d’un continent disponible, donc à conquérir puis à civiliser car malsain, morbide et sauvage. Après la première guerre mondiale, on se focalise davantage sur le Nègre non plus sauvage mais enfant, naïf et rieur tel qu’il apparaît chez les auteurs dits « indigénophiles ». De plus, le contexte du primitivisme en vogue à Paris consacre l’image du Nègre sensible, humain et au tempérament artiste alors que les auteurs « indigénophobes » y voient des sortes d’animaux sauvages, paresseux singeant l’Européen. Le discours d’Aimé Césaire tentera essentiellement de se différencier de la vision européenne du monde d’Outre-mer. Partant, on peut s’interroger sur la manière dont cet auteur va inscrire ce devisement du monde dans sa production littéraire. Pour le cas qui nous occupe, nous nous aborderons son œuvre Discours sur le colonialisme sous l’angle de la liberté ou de sa quête.


Discours sur le colonialisme

L’assimilationnisme esthétique de la Revue du monde noir ne permettait pas l’expression de la Liberté en tant que cadre général de l’œuvre, puisque le courant assimilationniste considérait que les peuples d’Afrique n’avaient pas besoin de se libérer. Selon eux, la colonisation n’était pas en soi négative, seuls l’étaient les abus commis par certains colons au nom de la civilisation, comme la préface de René Maran l’affirmait. Le groupe Légitime Défense, à la suite de Price-Mars, en préconisant la focalisation de la littérature antillaise sur l’indigénisme, ne mettait pas en lumière ce thème, au profit du folklore des Antilles. Révélé au grand public par Breton après la guerre 1940-1945, Aimé Césaire, sans rejeter totalement l’apport de Légitime Défense, va adopter le thème de la liberté en l’étendant à l’ensemble des « damnés de la terre ». Le Discours sur le colonialisme, qui constitue une violente attaque contre le colonialisme, peut servir de clé d’entrée, comme d’ailleurs d’autres œuvres de l’écrivain martiniquais. Dans ce Discours, l’auteur pose qu’une civilisation en général est décadente, si elle ne peut résoudre ses problèmes de fonctionnement, atteinte si elle choisit de fermer les yeux sur les problèmes cruciaux et moribonde si elle ruse avec ses principes.


L’Europe : moralement et spirituellement indéfendable

La civilisation dite européenne ou occidentale, issue de deux siècles de régime bourgeois, est incapable de résoudre le problème du prolétariat et du colonialisme ; elle serait donc atteinte. C’est pourquoi, le Martiniquais la défère à « la barre de la raison et de la conscience ». De plus, elle trouve refuge dans une hypocrisie qu’elle trompe mal. L’Europe est moralement et spirituellement indéfendable. Ses juges sont les masses européennes et sur le plan mondial, des dizaines de millions d’hommes ont été faits esclaves. Les colonisés savent qu’ils ont sur les colonialistes un avantage : leurs « maîtres » provisoires mentent et sont donc faibles. Quel est ce mensonge ? Il porte sur la colonisation et la civilisation. Il y a, en la matière, une hypocrisie collective qui pose mal la question pour légitimer les odieuses solutions qu’on y apporte. Césaire propose d’y voir plus clair : en son principe qu’est-ce que la colonisation ? Il énumère d’abord ce qu’elle n’est point c’est-à-dire ni évangélisation, ni entreprise philanthropique, ni volonté de reculer les frontières de l’ignorance, de la maladie, de la tyrannie, ni élargissement de Dieu et ni enfin l’extension du droit. Admettons, continue-t-il, que le but poursuivi soit celui du pirate (assouvir l’appétence du profit toujours plus grand), un but soutenu par une civilisation qui se sent obligée d’étendre au monde entier « la concurrence de ses économies antagonistes. » Par exemple Cortez, Pizzare et Marco Polo adhèrent au fait qu’ils sont des « fourriers » d’un ordre supérieur au nom duquel ils pillent et tuent. Or le grand responsable est le pédantisme chrétien étant donné qu’il a posé deux équations malhonnêtes, dit Césaire, la première : christianisme = civilisation ; et la seconde : paganisme = sauvagerie. Par conséquent, le colonialisme et le racisme ont fait des Indiens, des Jaunes et des Nègres leurs victimes.


Le contact de civilisations différentes est bien meilleur au repli sur soi qui étiole la civilisation. Le point positif de l’Europe est d’avoir été un carrefour, un lieu géométrique de toutes les philosophies ainsi qu’un lieu d’accueil de tous les sentiments. Ce qui a fait d’elle un excellent redistributeur d’énergie. Mais la colonisation a-t-elle vraiment mis en contact les peuples ? Césaire répond par la négative car il y a une distance infinie entre la colonisation et la civilisation. Parce qu’il faudrait étudier comment la colonisation travaille à déciviliser le colonisateur, à l’abrutir, à le dégrader et à le réveiller aux instincts enfouis, à la convoitise, à la violence, à la haine raciale, au relativisme moral : chaque fois que, dans les colonies, le mal est fait et qu’en France on l’accepte, il s’agit d’une régression universelle et d’un « ensauvagement » du continent jusqu'au jour où l’on s’en étonne et s’en indigne.



Que ce nazisme-là, on l’a supporté avant de le subir, on l’a absous, on a fermé l’œil là-dessus, on l’a légitimé, parce que, jusque-là, il ne s’était appliqué qu’à des peuples non-européens ; que ce nazisme-là, on l’a cultivé, on en est responsable, et qu’il sourd, qu’il perce, qu’il goutte, avant de l’engloutir dans ses eaux rougies, de toutes les fissures de la civilisation occidentale et chrétienne.[5]


Ensuite, Césaire propose d’étudier les démarches d’Hitler et de l'hitlérisme et de révéler, au « très distingué humaniste chrétien bourgeois » du XXe siècle, comme il le nomme, que ce bourgeois porte en lui un Hitler qui s’ignore. Ce qu’il ne pardonne pas à Hitler ce n’est pas le crime en soi, mais son crime contre l’homme blanc et son humiliation[6]. Il reproche aussi au pseudo-humanisme sa conception étroite, parcellaire, partielle et partiale des droits de l’homme, « tout compte fait, sordidement raciste ». Césaire conclut là-dessus :


Et pourtant, par la bouche des Sarraut et des Barde, des Muller et des Renan, par la bouche de tous ceux qui jugeaient et jugent licite d’appliquer aux peuples extra-européens, et au bénéfice de nations plus fortes et mieux équipées, « une sorte d’expropriation pour cause d’utilité publique », c’était déjà Hitler qui parlait.[7]


Autrement dit, pour Césaire, nul ne colonise innocemment et impunément : une civilisation qui justifie la colonisation est malade et moralement atteinte ; ce qui lui permet de répondre à la question première sur la définition de la colonisation :


Colonisation : tête de pont dans une civilisation de la barbarie d’où, à n’importe quel moment, peut déboucher la négation pure et simple de la civilisation.[8]


Puis, Césaire excipe de quelques exemples issus d’événements historiques dont le but est d’illustrer l’idée que la colonisation déshumanise l’homme puisqu’elle est fondée sur le mépris de l’homme indigène et justifiée par ce mépris même.


Que le colonisateur qui pour se donner bonne conscience, s’habitue à voir dans l’autre, la bête, s’entraîne à le traiter en bête, tend objectivement à se transformer lui-même en bête. C’est cette action, ce choc en retour de la colonisation qu’il importait de signaler.[9]


Les destructions causées par la colonisation n’ont apporté ni la sécurité, ni même la culture et ni enfin le juridisme, mais ce face à face du colonisateur et du colonisé a entraîné l’usage de la force, la brutalité, la cruauté et le sadisme. Il n’y a donc eu aucun contact humain si ce n’est des rapports entre des dominateurs (colonisateurs) et des soumis (la population indigène). Il n’y a eu aucun progrès dans les colonies, on n’y a entendu que tempête et on n’y a vu que des sociétés vidées d’elles-mêmes, des cultures piétinées, des institutions minées… De là, Césaire pose l’équation que colonisation = chosification. Faut-il alors retourner au passé anté-européen ? Césaire répond encore par la négative. Seule la manière dont l’Afrique a été mise en contact avec l’Europe est discutable. Car le contact précité fut celui d’avec l’Europe des financiers sans scrupules et qui, en outre, s’est servie des traditions locales dans ce qu’elles avaient de plus pernicieuses en en prolongeant artificiellement la survie. Cette Europe-là est déloyale parce qu’elle essaierait de légitimer a posteriori l’action colonisatrice par les évidents progrès matériels réalisés sous le régime colonial.


Que l’équipement technique, la réorganisation administrative, « l’européanisation » en un mot de l’Afrique ou de l’Asie n’étaient — comme le prouve l’exemple japonais — aucunement liés à l’occupation européenne ; que l’européanisation des continents non européens pouvait se faire autrement que sous la botte de l’Europe ; que ce mouvement d’européanisation était en train ; qu’il a même été ralenti ; qu’en tous cas il a été faussé par la mainmise de l’Europe.[10]


Les pseudo-intellectuels, justificateurs de la colonisation

Si à l’heure actuelle, poursuit Césaire, la barbarie de l’Europe est loin dans le temps, bien que surpassée par la barbarie américaine, il faut se méfier des pseudo-intellectuels, des justificateurs de la colonisation (entre autres des théologiens farfelus tel le missionnaire belge le R.P. Tempels et sa philosophie bantoue vaseuse) des historiens ou des romanciers de la civilisation, des psychologues et sociologues avec leurs spéculations tendancieuses. Tout cela manifeste une tentative bourgeoise de ramener les problèmes les plus humains à des notions confortables et creuses comme l’idée du complexe de dépendance chez Mannoni, l’ontologie chez le R.P. Tempels et la tropicalité chez Gourou.


Car enfin il faut en prendre son pari et se dire une fois pour toutes que la bourgeoisie est condamnée à être chaque jour plus hargneuse, plus ouvertement féroce, plus dénuée de pudeur, plus sommairement barbare ; que c’est une loi implacable que toute classe décadente se voit transformée en réceptacle où affluer toutes les eaux sales de l’histoire ; que c’est une loi universelle que toute classe, avant de disparaître, doit préalablement se déshonorer complètement, omnilatéralement, et que c’est la tête enfouie sous le fumier que les sociétés moribondes poussent leur chant du cygne.[11]


Lorsque l’on conteste la supériorité occidentale, des voix s’élèvent comme celle de Caillois[12], avant la sienne, celle de Massis[13] pour reprocher à certains intellectuels tels que Michel Leiris, Lévi-Strauss et Mircea Eliade leur excès d’égalitarisme préconisé entre Blanc et Noir. Pour prendre deux exemples : selon Caillois, l’Occident serait seul à avoir inventé la science et seul à savoir penser. Ailleurs, ce serait le ténébreux royaume de la pensée primitive, incapable de logique. Or, propose Césaire en réfutation, les Assyriens ont découvert l’astronomie, les Perses l’algèbre et les Arabes la chimie. De plus, le rationalisme est apparu au sein de l’Islam au moment où la pensée occidentale avait des « allures prélogiques ». Pour Caillois, l’Occident est supérieur moralement. Objecte Césaire, ce sont eux qui ont torturé des Africains dans les cachots. Césaire arrive à la conclusion que Caillois établit une hiérarchie entre les civilisations dont la supérieure serait l’occidentale. Pour Césaire, cette pensée est significative de l’état d’esprit de milliers et de milliers d’homme d’Europe (la petite bourgeoisie occidentale), si loin de pouvoir assumer les exigences d’un humanisme vrai et de vivre cet humanisme vrai à la mesure du monde. La bourgeoisie a inventé les valeurs de l’homme, de l’humanisme et de la nation mais elle les a fourvoyées. La nation est bourgeoise, l’entreprise coloniale a fait le vide autour d’elle en massacrant et dénaturant des peuples. En conséquence écrit Césaire :


La vérité est que dans cette politique, la perte de l’Europe elle-même est inscrite, et que l’Europe, si elle n’y prend garde, périra du vide qu’elle a fait autour d’elle.[14]


L’Europe bourgeoise a sapé les civilisations, les patries et ruiné les nationalités et la racine de diversité. Le barbare moderne est américain par sa violence, sa démesure, son gaspillage et son mercantilisme qui, accompagné de ses financiers et de son industrie, vient remplacer les empires britannique et français, termine Césaire.


Un Discours pour la Liberté…


On l’aura compris, à travers la dénonciation du colonialisme comme chosification de l’homme, c’est la Liberté (ou sa quête) qui inspire la démarche d’Aimé Césaire. En effet, contrairement à la littérature doudouiste des Antilles qui ne représentait pas les dominés noirs antillais et à celle de Légitime Défense qui cantonnait la Liberté du dominé à l’Antillais, Césaire se saisit de la représentation du dominé noir en l’élargissant à l’ensemble des dominés de la terre, à la quête de leur dignité d’homme, c’est-à-dire de leur Liberté. Cette Liberté prend sens grâce au combat contre la colonisation. Ainsi, avec ce Discours, la quête de la Liberté devient un horizon de référence positive chez Césaire. C’est à partir de cette mesure qu’il tient discours sur le monde et nous invite à porter la réflexion plus loin, c’est-à-dire à rompre notre aliénation moderne par la conquête passionnée de la liberté.


--------------------------------------------------------------------------------

[1] Romuald Fonkoua, Essai sur une mesure du monde au XXe siècle : Édouard Glissant, Paris, Honoré Champion, 2002.

[2] Né à Fort-de-France en 1887, Maran et issu d’une famille de fonctionnaires coloniaux originaire de la Guyane. Il devient fonctionnaire colonial en Afrique Équatoriale française (AEF) et se lie d’amitié avec le puissant gouverneur général de cette fédération, Félix Éboué. Il deviendra également militant assimilationniste de la cause nègre en France au côté de Kojo Tovalou. Par ailleurs écrivain, son œuvre la plus connue est Batouala. Véritable roman nègre, (prix Goncourt 1921) pour la polémique que sa préface à déclencher dans les années vingt : il y dénonçait les violences perpétrés par les colons français dans les colonies, en précisant que leur comportement était en contradiction avec la « mission civilisatrice ». Dès lors, ce n’était pas la colonisation qu’il rejetait, mais la violence et le réflexe coloriste des colons. La suite de sa production littéraire sera des œuvres de commande pour vivre selon Senghor : Un homme pareil aux autres (1e édition 1925 sous le titre de Journal sans date), Djouma, chien de brousse (1926), etc..

[3] Légitime Défense : Primauté de la politique sur le culturel ; Repousse les valeurs de l’Occident et valorise les Antilles ; D’obédience communiste ; Opte pour le surréalisme contre le psittacisme de la littérature antillaise

L’Étudiant noir : Primauté du culturel sur la politique qui n’en est qu’un aspect ; Repousse les valeurs de l’Occident et valorise l’Afrique ; Prend des distances à l’égard du communisme tout en affichant son adhésion, à gauche ; Le surréalisme est un moyen de retrouver la « parole négro-africaine ».



[4] Cette introduction est en partie reprise de l’article de Buata Malela, « Le rebelle ou la quête de la liberté chez Aimé Césaire », Revue Frontenac Review, 16-17, Kingston (Ontario), Queen’s University, 2003, p.125-148.

[5] Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, Paris, Présence africaine, 1955, p.12.

[6] Lire aussi Rosa Amelia Plumelle-Uribe, La férocité blanche. Des nos-blancs aux non-aryens : génocides occultés de 1492 à nos jours, préface de Louis Sala-Molins, Paris, Albin Michel, 2001.

[7] Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, op. cit., p.15.

[8] Ibid., p.16.

[9] Ibid., p.18.

[10] Ibid., p.23.

[11] Ibid., p.43.

[12] Ancien élève de l’E.N.S., Roger Caillois (1913-1978) est considéré comme essayiste, sociologue, poète et critique littéraire. Il provient d’une petite famille bourgeoise reimoise. Un moment proche des surréalistes, il rompt avec le mouvement en 1934. Il a fondé le Collège de sociologie avec George Bataille tout en collaborant aux activités de l’extrême gauche antifasciste. Il fondera la revue Lettres françaises (1941) et succédera à Raymond Aron à la rédaction de La France Libre. Fondateur de Diogène, une revue internationale et pluridisciplinaire financée par l’UNESCO, il a fait connaître en France la littérature latino-américaine.

[13] Henri Massis (1886-1970) est considéré comme essayiste, critique littéraire et historien de la littérature. Il a fait des études de philosophie et fréquentait Anatole et Maurice Barrès tout en se rapprochant de Maurras. Il devient l’un des rédacteurs du Manifeste des intellectuels français pour la défense de l’Occident et la paix en Europe (1935) qui soutenait la politique d’expansion mussolinienne. Après la défaite de 1940, il se rallie à Pétain. Il a collaboré à la revue catholique traditionnelle Itinéraire. Il sera élu à l’Académie française en 1960 jusqu’à sa mort. Jean-Yves Camus et René Monzat confirment son appartenance à la droite nationale française dans leur ouvrage Les droites nationales et radicales en France, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1992, p.46, 197 et 320.

[14] Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, op. cit., p.55-56.



Références bibliographiques



Césaire A., Discours sur le colonialisme, Paris, Présence africaine, 1955.

Dewitte P., Les mouvements nègres en France. 1919-1939, préface de Juliette Bessis, Paris, L’Harmattan, 1985.

Duplessis Y., Le surréalisme, Paris, P.U.F., 2000 (« Que sais-je », 432).

Fonkoua R., Essai sur une mesure du monde au XXe siècle : Édouard Glissant, Paris, Honoré Champion, 2002.

Kesteloot L., Les écrivains noirs de langue française : naissance d’une littérature, Bruxelles, Institut de Sociologie de l’U.L.B, 1965.

Kesteloot L., Anthologie négro-africaine. Panorama critique des prosateurs, poètes et dramaturges noirs du XXe siècle, Verviers, Marabout Université, 1967.

Kesteloot L., et Kotchy B., Aimé Césaire. L’homme et l’œuvre, Paris, Présence Africaine, 1973.

Kesteloot L., Histoire de la littérature négro-africaine, Paris, Karthala/AUF, 2001.

Malela B., « Comme le lamantin va boire à la source. Le mythe de l’Afrique unitaire chez L.S. Senghor », Latitudes Noires, 1, Paris, Homnisphères, 2003, p.185-199.

Malela B., « Le rebelle ou la quête de la liberté chez Aimé Césaire », Revue Frontenac Review, 16-17, Kingston (Ontario), Queen’s University, 2003, p.125-148.

Maran R., Batouala. Véritable roman nègre, Paris, Albin Michel, 1921./ édition de l’imprimerie nationale de Monaco, 1938.

Michel J.-C., Les écrivains noirs et le surréalisme, Sherbrooke, Naaman, 1982.

Moura J.M., L’Europe littéraire et l’ailleurs, Paris, P.U.F., 1998.

Ngal G., Aimé Césaire, un homme à la recherche d’une patrie, Paris, Présence Africaine, 1996.

Ngandu Nkashama P., Littératures africaines. De 1930 à nos jours, Paris, Silex, 1984.

Proteau L., « Entre poétique et politique. Aimé Césaire et la "négritude" », Sociétés Contemporaines, 44, Paris, 2001, p.15-39.

Saïd E.W., Culture and Impérialism, New York, Alfred A. Knopf, 1993 (traduit de l’anglais par Paul Chemla, Paris, Fayard/ Le Monde diplomatique, 2000).

Songolo A., Aimé Césaire : une poétique de la découverte, Paris, L’Harmattan, 1985.

Steins M., « Nabi nègre », in Césaire 70, sous la direction de NGAL et STEINS, Paris, Silex, 1984, p.228-272.

Tropiques 1941-1945. Collection complète, Paris, Jean Michel Place, 1978.

_________________
"Le colonialisme et ses dérivés ne constituent pas à vrai dire les ennemis actuels de l'Afrique. À brève échéance ce continent sera libéré. Pour ma part plus je pénètre les cultures et les cercles politiques plus la certitude s'impose à moi que LE PLUS GRAND DANGER QUI MENACE L'AFRIQUE EST L'ABSENCE D'IDÉOLOGIE."
Cette Afrique à venir, Journal de bord de mission en Afrique occidentale, été 1960, Frantz Fanon, Pour la Révolution Africaine
2011, annee Frantz Fanon
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Chabine
Super Posteur


Inscrit le: 02 Mar 2005
Messages: 3040

MessagePosté le: Mar 25 Oct 2005 10:49    Sujet du message: Répondre en citant

http://www.afrikara.com/index.php?page=contenu&art=606

Cinquantenaire du Discours sur le Colonialisme de Césaire : Plaidoyer intemporel …contre la Domination et les Racismes
23/06/2005


Mme Christiane Taubira, députée de Guyane et auteure emblématique de loi criminalisant en France l’esclavage et la traite négrière transatlantique disait* de Discours sur le colonialisme que c’est un texte en cristal évoquant son caractère limpide, précieux mais aussi dur, sans concession. De fait, le Discours de Césaire qui fête son Cinquantenaire [1955-2005] à l’initiative d’Afrikara n’a pas d’âge et risque de ne pas s’en trouver tant que sous des formes diverses, complexes et inventives, les desseins de l’humain n’auront abdiqué cette abominable tentation de soumettre l’Autre. Le caractère universel de cette œuvre s’invite à l’actualité française, africaine, caribéenne, mondiale en cette année 2005 avec une puissance logicielle renversante, dévastatrice des écumes et antiennes qui lénifient les profondes déchirures laissées par les prédations des Puissants. Les idéologies de déni de l’Altérité, la prétention à La seule et unique Civilisation, la science au secours du viol continental organisé prennent avec la verve décapante de Césaire une piteuse allure.


Aimé Césaire, écrivain, penseur, politique et poète martiniquais qui forgea le concept de négritude dans les années 30, réagissant à la contribution de l’élite lettrée européenne à l’œuvre matérielle et idéologique de colonisation, commis en 1950 le texte originel de Discours sur le colonialisme. Il fut d’abord publié par l'édition Réclame -et non pas dans la revue Présence africaine comme nous l'avions annonçé par erreur- puis réédité par Présence Africaine en 1955. Le caractère pamphlétaire et «faucheurs de grosses têtes» de cet écrit sanguin, bref, concis et circonscrit lui fit endurer d’amères critiques qui riment depuis avec la consécration négative obligée de chaque grand oeuvre. Il était impossible qu’un ouvrage d’une telle épaisseur intellectuelle, corrosif, monté contre la colonisation à cette époque bénie, soit accueilli avec enthousiasme dans une société sous l’emprise ancienne d’une démence coloniale rémanente. Pourtant l’œuvre a vaincu le mur du temps, de l’oubli et se trouve avantageusement redécouverte, revisitée.


Le Discours porte charge d’accusation contre la colonisation comme projet d’anéantissement de l’Autre, des cultures et sociétés extra-européennes. Il démontre l’incompatibilité inconciliable entre Civilisation et Colonisation, c'est-à-dire entre Colonisation synonyme de Torture et Civilisation synonymique de Liberté ! Et si il y a loin de la Colonisation à la Civilisation, il y a pire encore. La Colonisation travaille d’abord à dé-civiliser le colonisateur déchu de ses lettres et de sa science, réduit à un vulgaire sauvage, barbare, aliéné à sa puissance. C’est l’Ensauvagement de l’Europe, sa fin à l’universel en somme.


L’actualité française renvoie assez directement à la question coloniale en cette année 2005 où diverses initiatives en sens opposés se saisissent du fait colonial ; soit pour le questionner au regard de son legs dans les répartitions des places sociales et de l’équité mémorielle entre les enfants de la république, soit pour tenter de restaurer par la loi le lustre défraîchi du fantasme de la civilisation apportée. Ainsi a-t-on enregistré estomaqué comme dans une pure fiction, la réalité encore plus ahurissante d’une représentation parlementaire française légiférant à l’unisson sur le rôle positif de la colonisation et son enseignement obligatoire aux générations futures ! Stupeur, l’Empire contre-attaque.


Plus généralement les médias classiques, souvent mélanodermes de part la structure de leur capital et de leurs rédactions découvrent en 2005 un Malaise noir, objectivé par des discriminations, des exclusions, des asymétries de visibilités, une mémoire nationale au moins insuffisante et à relents révisionnistes. Là comme ailleurs la question coloniale se trouve à l’épicentre de la reconstruction identitaire républicaine.


Le 60ème anniversaire de la libération des camps de concentration nazis exemplifie lui aussi les horreurs de la colonisation, les affres de cette prétention de supériorité qui vite germe en délire exterminationniste, eugénique.

Césaire décrypte l’abomination nazie comme la continuation maximisée des mêmes traitements, violences, catégorisations, tortures, esclavisations que l’Europe unanime avait fait endurer aux Nègres, aux Algériens, aux Indiens, aux Autres. Si cette Europe civilisée ne s’était injectée le venin de la hiérarchie des races vis-à-vis des peuples extra-européens, elle n’aurait pas disposé de l’appareil idéologique et technique que les nazis ont prolongé contre les Juifs.

Les Européens reprochent-ils à Hitler en définitive d’avoir appliqué à leur variété ethnique de Blancs ce l’on avait coutume d’appliquer avec zèle aux Non-Blancs ; ce qui ne gênait personne lorsque les victimes étaient noires ou arabes, ces horribles erreurs de la proto humanité.


La lecture de Césaire balaie aussi tous les terrains d’occupation, de colonisation, de génocides d’actualité, Irak, Afghanistan, Tchétchénie, Palestine, Côte D’Ivoire, Rwanda, ainsi que les projets plus ou moins voilés de restauration d’un ordre colonial habillé de raison moderne [tentative de coup d’état par des privés britanniques en Guinée équatoriale]. Le monde croule sous les coups de boutoirs des propagandes de guerres voire de colonisations préventives, animées par le retour à la croyance dans «le choc des civilisations» de Huntington. Toutes ces rives doctrinaires nauséeuses et dérives idéologiques de domination trouvent dans l’éclairage public césairien une contrepartie cinglante de justesse, de sévérité et d’empathie universelle.


Le Discours sur le colonialisme de l’inventeur de la négritude, ce brûlot sacré de la littérature anticolonialiste ne ternit pas et pour cause. Son propos n’a rien d’autre en point de mire que la liberté humaine, débarrassée de tout ancrage ethnique, dépouillée de ses considérations de hiérarchies de races, de sexes, de religion, de sectes, de maçonneries, de classes et de castes, de relativité à l’altérité.

Déconstruction acerbe des légitimations fournies par l’armée des intellectuels commis au colonialisme et corrompus à sa chair et à ses agréments, cette œuvre explique autant qu’elle prédit l’avenir obscur du projet d’anéantissement, de chosification de l’Autre, du Faible à son propre projet.


Les lectures et relectures de cette pièce de choix parmi celles qui, intactes, usent le temps, ne feront pas trop de bien dans un suffocant univers phagocyté par l’information spectacle et la diversion médiatique systémique. La dissimulation et les milles persuasions inconscientes, clandestines qui transforment tout un chacun en agent pathogène vecteur de lambeaux auto reconstituants de domination trouveront toujours dans le Discours un antivirus libérateur.
_________________
"Le colonialisme et ses dérivés ne constituent pas à vrai dire les ennemis actuels de l'Afrique. À brève échéance ce continent sera libéré. Pour ma part plus je pénètre les cultures et les cercles politiques plus la certitude s'impose à moi que LE PLUS GRAND DANGER QUI MENACE L'AFRIQUE EST L'ABSENCE D'IDÉOLOGIE."
Cette Afrique à venir, Journal de bord de mission en Afrique occidentale, été 1960, Frantz Fanon, Pour la Révolution Africaine
2011, annee Frantz Fanon
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
ARDIN
Super Posteur


Inscrit le: 22 Fév 2004
Messages: 1863
Localisation: UK

MessagePosté le: Mar 01 Nov 2005 19:15    Sujet du message: Répondre en citant

Il n’y a pas de plus grand ecrivain, "en francais", que Aime Cesaire, dans la seconde moitie du 20e Siecle.
Personne en effet, depuis 1945, n’a manifeste une inspiration et une ecriture d’une aussi neuve, singuliere et puissante beaute.
Des son premier essai poetique, il a confirme cette consecration prophetique dans un ensemble harmonieux de creations sans aucune fausse note.
Il a edifie une œuvre litteraire essentielle dans plusieurs genre. Le lyrisme en constitue l’ame et l’expression initiatrice et ultime.
Le Cahier d’un retour au Pays Natal fait entendre, une fois pour toutes, son cri de revolte au timbre eclatant:
La negraille aux senteurs d’oignon frit retrouve dans son sang repandu le gout amer de la liberte…
Et elle est debout la negraille
Inattendument debout. Et libre!


Dans les armes miraculeuses sortie en 1946, il impose le ton et son style avec une poesie qui a la durete et le rayonnement de la pierre precieuse, souvent enigmatique mais jamais confuse, hautaine et austere dans une densite sans aucune emphase. Les receuils precieux de Soleil cou coupe en 1948 et de Corps perdu (1949) sont repris dans Cadastre (1961). La meme protestation s’y dit. Ainsi dans Mot:
En lasso ou me prendre, en corde ou me pendre…
Vibre…. Le mot Negre sorti tout arme du hurlement d’une fleur veneneuse.


Il s’est aussi adonne, brillamment, a la litterature dramatique de Roger Blin, disciple d’Artaud et ami de Genet, des textes fondateurs pour un grand theatre noir.
Deux tragedies historiques: La tragedie du roi Christophe et Une saison au Congo reprennent le meme theme, sous des cieux, des epoques, des formes d’une extreme diversite. Il s’agit du titanesque effort, tente a cent cinquante ans de distance par un homme Noir, pour tenir en echec la fatalite de l’ecrasante servitude a secouer: «Je demande trop aux hommes, mais pas assez aux Negres» dit Christophe, «C’est d’une remontee jamais vue que je parle…Ils ont recu, plaque sur le corps, au visage, l’omniniant crachat»

Les riches effets sceniques du Roi Christophe et le sec reportage de la Saison au Congo traduisent la meme meticuleuse exactitude du temoignage historique, admirablement assume et epure par la parole poetique.

Tout aussi remarquables mais, helas, beaucoup moins connue, la troisieme veine de la creation, chez Cesaire, est celle des ecrits politiques. Aussi rares et essentiels que les œuvres lyriques et dramatiques, au-dela des circonstances qui les ont suscites, comme des monuments de l’esprit par la nettete de la pensee et la force de l’expression.
Le Discours sur le Colonialisme devoile de facon saisissante «l’ensauvagement de l’Europe», elle qui a «ente l’odieux racisme sur la vieille inegalite». Faisant voler en eclat l’edifice des faux-semblants, Cesaire impose une lumiere cruelle et definitive: «de la Colonisation a la Civilisation la distance est infinie comme l’hypocrisie»

La lettre a Maurice Thorez, qu’il publie en 1956, lorsqu’il quitte le Parti communiste francais, est de la meme souveraine clarte: «Ce n’est ni le marxisme ni le communisme que je renie» dit-il, «mais l’insupportable domination paternaliste, d’ou qu’elle vienne: l’habitude de disposer pour nous, l’habitude de penser pour nous».
Toute la reflexion politique de Cesaire s’enracine autour d’un seul probleme humain, mais il est vital, c’est celui de l’emancipation.

On ne s’etonne donc pas de le voir analyser, dans une chronique minutieusement documentee, les faits et gestes du «Premier des Noirs», Toussaint Louverture. La aussi, ce qui s’impose dans la methode et le style de Cesaire, c’est une secheresse eloquente. Les documents bruts, avec ce qu’ils ont de rebutant, sont inseres dans le texte en lieu et place des seductions faciles du recit anecdotiques.
L’ecrivain se reserve la mise en perspective intellectuelle de l’histoire. Il s’empare magistralement du pouvoir d’interpretation, pouvoir supreme de la parole dominante, par qui la revolution de Saint-Domingue a ete releguee au rang d’obscure peripetie exotique.
Il voit dans la rencontre entre «La revolution francaise et le probleme colonial» l’episode clef pour la comprehension des gigantesques enjeux qui se debattent, aujourd’hui plus que jamais, entre peuples dominateurs et peuples domines, et du cercle vicieux de la puissance, tiree de ceux memes qu’elle asservit. Au mileu du chaos d’une histoire convulsive, Cesaire voit dans la figure de Toussaint Louverture l’un des tres rares etres humains venus pour rompre le cercle, «pour prendre a la lettre la declaration des droits de l’homme», «pour la transformation du droit formel en droit reel». La rencontre entre le poete et le heros montre alors sa legendaire puissance: l’un donne corps aux rethoriques sans lui steriles, l’autre donne sens aux actes sans lui obscurs

L’ensemble, sans faille de l’œuvre de Cesaire est une protestation et un appel; une protestation contre la barbarie a visage civilise, un appel a une ineluctable renaissance de l’homme. De cette renaissance il est, dans le domaine des mots qui est le sien, le plus admirable et le plus etonnant des precurseurs.
«L’horizon se defait recule et s’elargit
et voici parmi les dechiquetements de nuages la fulgurance
d'un signe
Le negrier craque de toute part…

_________________
l'Hommage a Cheikh Anta Diop sur PER-ANKH
l'Hommage a Mongo Beti sur PER-ANKH
l'Hommage a Aime Cesaire sur PER-ANKH

LPC-U : CONSTRUIRE LE CONGO POUR L'UNITÉ DE L'AFRIQUE


Dernière édition par ARDIN le Mer 02 Nov 2005 07:17; édité 1 fois
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé Visiter le site web de l'utilisateur
Yedidia
Grioonaute 1


Inscrit le: 28 Juil 2004
Messages: 183

MessagePosté le: Mer 02 Nov 2005 01:29    Sujet du message: Répondre en citant

Nul n'a possédé sa folie comme Césaire l'a fait...

Il l'a littéralement laissé pour morte après l'avoir couché nue dans la solitude close de son seul unique.

_________________
" Vitam impendere vero "
... si possible!
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Chabine
Super Posteur


Inscrit le: 02 Mar 2005
Messages: 3040

MessagePosté le: Mer 15 Mar 2006 17:22    Sujet du message: Répondre en citant

TELERAMA a écrit:
“Nègre je resterai”


Aimé Césaire qui sut toujours entremêler devoir poétique et art politique demeure à 92 ans la voix de toutes les victimes du colonialisme, le chantre de la négritude et de sa terre tant aimée, la Martinique. Combat qu’il définit ainsi : liberté, égalité, identité. Rencontre à Fort-de-France.



Tous les jours, le même rituel. Le coup de Klaxon du chauffeur. La voiture qui entre dans la cour de l’ancien hôtel de ville de Fort-de-France, aujourd’hui écrin coquet du théâtre municipal. Et puis, la secrétaire d’Aimé Césaire, qui guide les pas hésitants du vieil homme, bras dessus, bras dessous, jusqu’à sa table de travail. A 92 ans, l’ancien maire et député de Fort-de-France a conservé son bureau, comme un ultime honneur. Dans ce refuge encombré de cadeaux et de souvenirs divers (des statuettes africaines, un maillot du footballeur Lilian Thuram accroché au mur dans un sous-verre…), Aimé Césaire accueille ses visiteurs sans rendez-vous et sans protocole. Comme un Saint Louis des tropiques tenant audience, il reçoit des célébrités de la planète qui ont fait parfois des milliers de kilomètres pour rencontrer l’un des derniers grands mythes de la littérature du XXe siècle. Il y a aussi – surtout – des anonymes, comme ce couple de métropolitains, venu tôt ce matin pour une dédicace. Et aussi des Martiniquais modestes, jeunes ou vieux admirateurs de « papa Césaire », qui attendent patiemment dans l’antichambre. « Ce sont des amis. Ils me parlent de leurs problèmes… dit en nous accueillant l’écrivain, des problèmes auxquels je n’ai moi-même pas de réponse ! »

L’écrivain arbore son éternel costume-cravate impeccable, à l’élégance surannée. Derrière ses grandes lunettes rondes et dorées, pointent, comme deux billes rondes, des yeux soucieux qui scrutent avec difficulté la silhouette du visiteur. Sous le cheveu ras et neigeux, la peau anthracite de son visage est tendue comme un cuir, et rajeunit le poète de dix ou quinze ans. Face à ses hôtes arrivant pétris d’admiration, les bras chargés de compliments, le malicieux vieillard a mis au point une technique assez efficace, l’esquive, qu’on dirait empruntée au compère lapin, le héros rusé des contes créoles… Le journaliste intrépide ou ingénu veut-il brasser une fois encore le siècle avec le grand homme, confronter son œuvre et sa vie à l’histoire de la Martinique, de la France, du monde ? « Monsieur, votre projet m’épouvante ! » lance-t-il chaque fois avec autant de malice que de courtoisie.

Pour déjouer ce piège affectueux, il est temps d’avouer une botte secrète : notre compagnon de voyage, Daniel Maximin, nous sert de guide ce matin-là. Ami et confident d’Aimé Césaire, Daniel Maximin est non seulement un connaisseur hors pair de l’œuvre de son maître, mais poète et romancier lui-même : il vient de publier Les Fruits du cyclone (éd. du Seuil), une « géopoétique » de la Caraïbe, réflexion érudite sur l’identité antillaise. Né en Guadeloupe, il y a cinquante-neuf ans, Daniel Maximin a d’ailleurs trouvé l’une des plus justes définitions des Antilles françaises, filles de quatre cents ans d’esclavage et de colonisation : « tellement de blessures, en si peu de géographie ».

« Très bonne formule. Je la retiens ! » goûte Aimé Césaire, qui exècre « l’exotisme » de carte postale dont sa Martinique, entre plages et cocotiers, est si souvent parée. « Exotisme ? c’est le mot français. Mais pour moi, mon pays n’est pas “exo”, “en dehors de”… C’est l’intérieur que je cherche ! » s’exclame le poète, qui, d’André Breton à André Malraux, a toujours pris soin de dessiller les yeux de ses visiteurs, leur faisant apercevoir « le grand phénomène humain » martiniquais, au-delà de l’exubérance végétale et de la « splendeur solaire » de son île : « La Martinique paraît belle, sereine, même joyeuse… mais il y a, au fond, une inquiétude, une douleur, que pour ma part je considère comme la nostalgie de quelque chose. J’ai voulu trouver la nature de cette nostalgie, et tout mon effort politique a été de prendre ça en compte. Autrement dit, j’ai toujours été hanté par l’idée d’une identité antillaise… Il y a une civilisation française autour de laquelle nous ne nous retrouvons pas pleinement. Elle n’a pas été faite pour nous. Liberté ? Oui. Egalité ? A peu près. Fraternité ? Difficile à réaliser. Mais il y a un mot qui est oublié : le mot identité. »

« Un nègre de la campagne », dit affectueusement Daniel Maximin pour définir son vieil ami. Les racines d’Aimé Césaire, né à Basse-Pointe, dans le nord de l’île, plongent effectivement dans la verte campagne des petites gens, des sans-grade. Une mère couturière, un père petit fonctionnaire. Dans cette famille modeste, où l’éducation a toujours été considérée comme une valeur sacrée, c’est « maman Nini », la grand-mère d’Aimé, une maîtresse femme, qui lui apprend à lire.

Quand la famille Césaire s’installe à Fort-de-France, Aimé a une dizaine d’années. Plus tard, au lycée Victor-Schœlcher, où il accumule les prix de français, de latin et d’anglais, il se sent déjà à l’étroit dans cette société coloniale corsetée, seul et mal à l’aise dans cette petite France où les maîtres blancs et mulâtres sont racistes et arrogants : « Un monde de petits-bourgeois qui m’a beaucoup irrité, se souvient encore aujourd’hui l’écrivain. Un monde qui n’avait en réalité qu’une idée : l’européanisation. Ce qu’ils appellent l’assimilation... »

Sa révolte, il va la baptiser « négritude ». Ce néologisme, inventé dès les années 30, dans la revue L’Etudiant noir, est en fait une création collective élaborée avec ses deux compagnons d’études, le Sénégalais Léopold Sédar Senghor et le Guyanais Léon Gontran Damas. La négritude, qui a été souvent mal comprise, n’a jamais été une idéologie. Pas même une célébration d’un mythique retour aux sources africaines. Ce n’est pas l’Afrique que cherchait Césaire Rolling Eyes : il a attendu 1961 pour en fouler le sol et il y est retourné peu souvent. Non, la négritude de Césaire n’est rien d’autre qu’une plongée en lui-même. Une exploration de sa peau noire, de son « moi profond » et de la culture de ses ancêtres.

Cette quête ne s’est pas faite sans douleur, comme en témoigne l’extraordinaire Cahier d’un retour au pays natal (éd. Présence africaine), ce monument de 65 pages. L’œuvre fondatrice du poète. Aimé Césaire a une vingtaine d’années quand il écrit ce sublime cri de révolte, poème lyrique contre les « larbins de l’ordre et les hannetons de l’espérance ». Le jeune boursier, l’enfant des colonies projeté dans le Paris des lettres, au lycée Louis-le-Grand puis à l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm, hurle sa soif de justice et de dignité : « Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir. » Mais, chez le jeune et impétueux Césaire, jamais de haine envers les « Blancs ». Seulement un refus obstiné de l’assimilation, ce venin qui dissout la personnalité : « J’ai senti très vite que je n’étais pas un Européen, que je n’étais pas non plus un Français, mais que j’étais un nègre. C’est tout. Ce n’est pas plus compliqué que ça » (1).

Nègre né dans une « calebasse », dans une Martinique-confetti, au milieu de l’océan : l’histoire et la géographie lui ont vite fait comprendre qu’il allait grandir du côté des vaincus. « Nous ramassions des injures pour en faire des diamants », disait magnifiquement René Ménil, le cofondateur avec Césaire de la revue culturelle Tropiques. Une publication iconoclaste qui brillait dans la nuit noire des années 40, dans la Martinique de l’amiral Robert, le « Pétain des Antilles ».

Comment s’étonner qu’au sortir de la guerre le poète réponde alors à l’appel de la politique ? Quand ses amis communistes le sollicitent pour briguer la mairie de Fort-de-France, Aimé Césaire se souvient de ses racines populaires : « J’avais une dette. […] J’ai donné mon nom un peu comme l’intellectuel qui aujourd’hui signe une pétition pour le peuple kurde » (2). Elu « par hasard », le professeur de français hérite d’une ville sans égouts, entourée de bidonvilles sans eau potable et sans électricité. Ce qu’il ne savait pas, c’est qu’il restera… cinquante-six ans maire de cette ville et quarante-sept ans député, jusqu’en 1993. Cela a donné forme, pour le meilleur et pour le pire, au « césairisme » : un mélange de gestion sociale, de distribution de prébendes Shocked et d’emplois municipaux. Mais de cette trajectoire singulière, on n’oubliera pas non plus la rupture prophétique, dès 1956, avec le Parti communiste français, dans lequel il ne se reconnaît plus. L’homme n’est pas prêt à changer sa peau noire contre un masque blanc. « Nègre fondamental » il restera.

Statufié de son vivant, Césaire ? Certes, il l’est. Et l’universitaire Françoise Vergès a bien raison de prôner « une lecture ni nostalgique ni idolâtre » de son œuvre (3). Dans les années 90, les enfants terribles de Césaire, Patrick Chamoiseau et surtout Raphaël Confiant, avec son essai au vitriol Aimé Césaire, une traversée paradoxale du siècle (éd. Stock, 1993), se sont crus obligés de tuer le père, peut-être pour mieux exister sous l’ombre tutélaire. Leur attaque en règle de la négritude – remplacée par le concept de « créolité » et de métissage – était, il est vrai, loin d’être stérile. Césaire, qui ne veut pas entretenir la polémique, a peut-être deviné là, en creux, le plus bel hommage. Celui d’être toujours vivant pour les jeunes générations, alors qu’il n’a pas publié depuis de très longues années : « J’écris très peu, je suis très fatigué. J’ai, en plus, la difficulté de lire », nous confie à regret le poète, qui soutient difficilement une longue conversation. Césaire, Fanon, Glissant, Chamoiseau, Confiant… Incroyable marmite de talents que cette petite Martinique de 400 000 habitants ! Cool

Aimé Césaire traverse ainsi le crépuscule de sa vie tel un monstre sacré, entré de son vivant dans la grande histoire. Dégagé des responsabilités, il sait aussi redescendre dans l’arène quand il le faut, pour remettre les pendules à l’heure. Et avec quelle force ! En décembre dernier, avec un calme olympien, il a cloué le bec à Nicolas Sarkozy et aux tenants de la loi de février 2005 sur la « colonisation positive ». En refusant de recevoir le ministre de l’Intérieur, le poète a grandement aidé la fronde qui montait : le président de la République a dû finalement capituler et revenir, dans le dos du Parlement, sur cette loi qui prétendait dire comment enseigner l’histoire. Colonisation positive ? Lisez ce qu’écrivait Aimé Césaire en… 1955 dans son fameux Discours sur le colonialisme (éd. Présence africaine), malheureusement toujours d’actualité : « On me parle de progrès, de “réalisations”, de maladies guéries, de niveaux de vie élevés au-dessus d’eux-mêmes. Moi, je parle de sociétés vidées d’elles-mêmes, des cultures piétinées, d’institutions minées, de terres confisquées, de religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties, d’extraordinaires possibilités supprimées… » Et ceci, encore : « Il faudrait d’abord étudier comment la colonisation travaille à déciviliser le colonisateur, à l’abrutir, au sens propre du mot, à le dégrader […] et montrer que chaque fois qu’il y a au Vietnam une tête coupée et un œil crevé et qu’en France on accepte, un Malgache supplicié et qu’en France on accepte, il y a un acquis de la civilisation qui pèse de son poids mort, une régression universelle qui s’opère, une gangrène qui s’installe […], il y a le poison instillé dans les veines de l’Europe, et le progrès lent, mais sûr, de l’ensauvagement. »

Tribun ou poète, Aimé Césaire n’a jamais voulu choisir. Ses pamphlets sont parfois poétiques, ses poèmes souvent politiques. La cohérence, il faut la chercher dans le parcours de cet homme. Inébranlable dans ses convictions. Eruptif, comme les volcans qu’il aime tant. Explosif, comme la montagne Pelée de son île natale. Explosion, c’est d’ailleurs le mot qu’il a souvent employé pour dire poésie : « Le monde dans lequel nous vivons est un monde menteur. Mais il y a un être en nous qui est là, il faut le trouver, le chercher, et lui permettre de s’exprimer. C’est la poésie qui m’a permis ça. Je ne sais pas exactement ce que je pense, et d’un coup c’est le poème qui me le révèle. Elle est là, l’explosion… »

On l’imagine fort et indéracinable comme un banian, le chêne des Antilles. Aimé Césaire esquisse un sourire. Il se verrait plutôt aujourd’hui en « laminaire », cette algue ballottée sous l’eau mais, surtout, accrochée fidèlement à son rocher, « et que rien ne peut enlever ». Césaire, le laminaire ? Voilà qui tranche avec le « nègre de la campagne » qui a toujours tourné le dos à la mer, apeuré par la vague menaçante de l’Atlantique qui ravage la côte et noie les hommes.

« La complexité humaine… » soupire le maître, qui, maudissant ses maux de tête, met fin en douceur à l’entretien, en s’excusant. Dans le grand escalier tournant du théâtre, le laminaire disparaît, à pas lents, arc-bouté à la rambarde de l’escalier, repoussant la main de sa secrétaire venue lui prêter assistance.


Thierry Leclère
(envoyé spécial à Fort-de-France)

(1) Aimé Césaire, rencontre avec un nègre fondamental, de Patrice Louis, éd. Arléa, 2004.
(2) Le Nouvel Observateur, 1er février 2001.
(3) Nègre je suis, nègre je resterai,entretiens avec Françoise Vergès, éd. Albin Michel, 2005.

_________________
"Le colonialisme et ses dérivés ne constituent pas à vrai dire les ennemis actuels de l'Afrique. À brève échéance ce continent sera libéré. Pour ma part plus je pénètre les cultures et les cercles politiques plus la certitude s'impose à moi que LE PLUS GRAND DANGER QUI MENACE L'AFRIQUE EST L'ABSENCE D'IDÉOLOGIE."
Cette Afrique à venir, Journal de bord de mission en Afrique occidentale, été 1960, Frantz Fanon, Pour la Révolution Africaine
2011, annee Frantz Fanon
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
ARDIN
Super Posteur


Inscrit le: 22 Fév 2004
Messages: 1863
Localisation: UK

MessagePosté le: Mer 15 Mar 2006 19:40    Sujet du message: Répondre en citant

La faible connaissance des ecrits de Cesaire permet des raccourcis simplistes. Ainsi, sur le site www.grioo.com, Cesaire est associe a une position reactionnaire: "En leur temps, les intellectuels noirs tels Aime Cesaire, Leopold Sedar Senghor ou Alioune Diop avaient tente d'assurer la valorisation du Noir notamment en parlant de negritude. Mais cette philosophie pechait par son caractere reactionnaire et folkorique, en ce sens qu'elle a fini par ne devenir que ce que le colon souhaitait qu'elle devienne."
Or, si Cesaire denonce sans faillir les impasses du colonialisme puis de l'assimilation conservatrice, il ne cede pas a la complaisance qui ferait des colonises des etres purs, sans conflits et sans defauts. Il est faux de dire que la philosophie de Cesaire est reactionnaire, mais elle ne permet pas la fuite dans le fantasme d'un futur harmonieux.(Aime Cesaire: Negre je suis, negre je resterai; Entretiens avec Francoise Verges) Posface: page 106-107.

Voila ce que Francoise Verges nous reproche a nous les grioonautes. Alors Chabine, je pose la question: qui d'elle ou de nous a la faible connaissance des ecrits de Cesaire?. Qui a organise? comme l'aurait dit J.M. Kankan. Wink
_________________
l'Hommage a Cheikh Anta Diop sur PER-ANKH
l'Hommage a Mongo Beti sur PER-ANKH
l'Hommage a Aime Cesaire sur PER-ANKH

LPC-U : CONSTRUIRE LE CONGO POUR L'UNITÉ DE L'AFRIQUE
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé Visiter le site web de l'utilisateur
Chabine
Super Posteur


Inscrit le: 02 Mar 2005
Messages: 3040

MessagePosté le: Mer 15 Mar 2006 20:14    Sujet du message: Répondre en citant

ARDIN a écrit:
La faible connaissance des ecrits de Cesaire permet des raccourcis simplistes. Ainsi, sur le site www.grioo.com, Cesaire est associe a une position reactionnaire: "En leur temps, les intellectuels noirs tels Aime Cesaire, Leopold Sedar Senghor ou Alioune Diop avaient tente d'assurer la valorisation du Noir notamment en parlant de negritude. Mais cette philosophie pechait par son caractere reactionnaire et folkorique, en ce sens qu'elle a fini par ne devenir que ce que le colon souhaitait qu'elle devienne."
Or, si Cesaire denonce sans faillir les impasses du colonialisme puis de l'assimilation conservatrice, il ne cede pas a la complaisance qui ferait des colonises des etres purs, sans conflits et sans defauts. Il est faux de dire que la philosophie de Cesaire est reactionnaire, mais elle ne permet pas la fuite dans le fantasme d'un futur harmonieux.(Aime Cesaire: Negre je suis, negre je resterai; Entretiens avec Francoise Verges) Posface: page 106-107.

Voila ce que Francoise Verges nous reproche a nous les grioonautes. Alors Chabine, je pose la question: qui d'elle ou de nous a la faible connaissance des ecrits de Cesaire?. Qui a organise? comme l'aurait dit J.M. Kankan. Wink


Je dis que l'affreux et BARBARE, bien que vendu aux sionistes, site AFRRRRRRRRRRRICAIN www.grioo.com, dérange décidemment beaucoup de monde, on se demande bien pourquoi...

Je dis qu'il est surprenant que Françoise Vergès se serve de ce genre de procédés... on se demande bien pourquoi...

La seule chose que j'accorde à cette dame, c'est de sortir Césaire du ghetto de la Négritude dans lequel il ne s'était certainement pas installé lui-même... Pas plus que Grioo, du reste (Grioo n'était pas né, en 1939, quand il publie le Cahier du Retour au Pays Natal, dis-moi ? Rolling Eyes )

Et sinon, tu peux nous dire OU EXACTEMENT la dame a pioché sa citation, sur ce site ? Confused
_________________
"Le colonialisme et ses dérivés ne constituent pas à vrai dire les ennemis actuels de l'Afrique. À brève échéance ce continent sera libéré. Pour ma part plus je pénètre les cultures et les cercles politiques plus la certitude s'impose à moi que LE PLUS GRAND DANGER QUI MENACE L'AFRIQUE EST L'ABSENCE D'IDÉOLOGIE."
Cette Afrique à venir, Journal de bord de mission en Afrique occidentale, été 1960, Frantz Fanon, Pour la Révolution Africaine
2011, annee Frantz Fanon
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
ARDIN
Super Posteur


Inscrit le: 22 Fév 2004
Messages: 1863
Localisation: UK

MessagePosté le: Mer 15 Mar 2006 20:29    Sujet du message: Répondre en citant

Chabine a écrit:
ARDIN a écrit:
La faible connaissance des ecrits de Cesaire permet des raccourcis simplistes. Ainsi, sur le site www.grioo.com, Cesaire est associe a une position reactionnaire: "En leur temps, les intellectuels noirs tels Aime Cesaire, Leopold Sedar Senghor ou Alioune Diop avaient tente d'assurer la valorisation du Noir notamment en parlant de negritude. Mais cette philosophie pechait par son caractere reactionnaire et folkorique, en ce sens qu'elle a fini par ne devenir que ce que le colon souhaitait qu'elle devienne."
Or, si Cesaire denonce sans faillir les impasses du colonialisme puis de l'assimilation conservatrice, il ne cede pas a la complaisance qui ferait des colonises des etres purs, sans conflits et sans defauts. Il est faux de dire que la philosophie de Cesaire est reactionnaire, mais elle ne permet pas la fuite dans le fantasme d'un futur harmonieux.(Aime Cesaire: Negre je suis, negre je resterai; Entretiens avec Francoise Verges) Posface: page 106-107.

Voila ce que Francoise Verges nous reproche a nous les grioonautes. Alors Chabine, je pose la question: qui d'elle ou de nous a la faible connaissance des ecrits de Cesaire?. Qui a organise? comme l'aurait dit J.M. Kankan. Wink


Je dis que l'affreux et BARBARE, bien que vendu aux sionistes, site AFRRRRRRRRRRRICAIN www.grioo.com, dérange décidemment beaucoup de monde, on se demande bien pourquoi...

Je dis qu'il est surprenant que Françoise Vergès se serve de ce genre de procédés... on se demande bien pourquoi...

La seule chose que j'accorde à cette dame, c'est de sortir Césaire du ghetto de la Négritude dans lequel il ne s'était certainement pas installé lui-même... Pas plus que Grioo, du reste (Grioo n'était pas né, en 1939, quand il publie le Cahier du Retour au Pays Natal, dis-moi ? Rolling Eyes )

Et sinon, tu peux nous dire OU EXACTEMENT la dame a pioché sa citation, sur ce site ? Confused

J'en ai pas encore fini avec mes recherches qui sont rendues difficiles par le numero 37 qui marque la citation sans une note referentielle. Peut etre qu'une autre personne ayant le livre pourra jeter un coup d'oeil et nous donner cette reference. C'est aux pages 106-107.
_________________
l'Hommage a Cheikh Anta Diop sur PER-ANKH
l'Hommage a Mongo Beti sur PER-ANKH
l'Hommage a Aime Cesaire sur PER-ANKH

LPC-U : CONSTRUIRE LE CONGO POUR L'UNITÉ DE L'AFRIQUE
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé Visiter le site web de l'utilisateur
Nkossi
Bon posteur


Inscrit le: 31 Mar 2005
Messages: 722

MessagePosté le: Ven 17 Mar 2006 21:33    Sujet du message: Répondre en citant

ARDIN a écrit:
J'en ai pas encore fini avec mes recherches qui sont rendues difficiles par le numero 37 qui marque la citation sans une note referentielle. Peut etre qu'une autre personne ayant le livre pourra jeter un coup d'oeil et nous donner cette reference. C'est aux pages 106-107.

Alors, la note référentielle renvoie à Etienne TAYO : " Les défis des intellectuels de la diaspora" 14 septembre 2005 Wink C'est ce que tu cherches ?
_________________
La véritable désaliénation du Noir implique une prise de conscience abrupte des réalités économiques et sociales. F. Fanon
L'ignorance est un danger que tout homme doit éviter. S. NKOUA

Visitez le blog de Théo http://kouamouo.ivoire-blog.com/
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Nkossi
Bon posteur


Inscrit le: 31 Mar 2005
Messages: 722

MessagePosté le: Ven 17 Mar 2006 21:34    Sujet du message: Répondre en citant

Oups, Etienne de TAYO... Wink
_________________
La véritable désaliénation du Noir implique une prise de conscience abrupte des réalités économiques et sociales. F. Fanon
L'ignorance est un danger que tout homme doit éviter. S. NKOUA

Visitez le blog de Théo http://kouamouo.ivoire-blog.com/
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
ARDIN
Super Posteur


Inscrit le: 22 Fév 2004
Messages: 1863
Localisation: UK

MessagePosté le: Sam 18 Mar 2006 03:29    Sujet du message: Répondre en citant

Nkossi a écrit:
ARDIN a écrit:
J'en ai pas encore fini avec mes recherches qui sont rendues difficiles par le numero 37 qui marque la citation sans une note referentielle. Peut etre qu'une autre personne ayant le livre pourra jeter un coup d'oeil et nous donner cette reference. C'est aux pages 106-107.

Alors, la note référentielle renvoie à Etienne TAYO : " Les défis des intellectuels de la diaspora" 14 septembre 2005 Wink C'est ce que tu cherches ?

Merci, il ne me reste plus qu'a fouiller dans les archives de grioo pour retrouver l'article.
_________________
l'Hommage a Cheikh Anta Diop sur PER-ANKH
l'Hommage a Mongo Beti sur PER-ANKH
l'Hommage a Aime Cesaire sur PER-ANKH

LPC-U : CONSTRUIRE LE CONGO POUR L'UNITÉ DE L'AFRIQUE
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé Visiter le site web de l'utilisateur
ARDIN
Super Posteur


Inscrit le: 22 Fév 2004
Messages: 1863
Localisation: UK

MessagePosté le: Dim 19 Mar 2006 01:03    Sujet du message: Répondre en citant

Chabine a écrit:
Et sinon, tu peux nous dire OU EXACTEMENT la dame a pioché sa citation, sur ce site ? Confused

J'ai retrouve l'article: c'est ici

L'esclavage est en train de devenir un thème extrêmement fédérateur dans lequel les noirs de France se reconnaissent..." soutient le Magazine "Le Monde 2" dans une grande enquête joliment intitulée "La question noire posée à la France".

En effet, vu de Paris et plus que jamais, le processus de "dépollution mentale" de la race noire en générale et des peuples africains en particulier est engagé. Décidés à faire triompher le devoir de mémoires, les intellectuels, les membres de la société civile et de tous les autres corps de métier dans la diaspora semblent désormais tenir le bon bout. Sous la conduite des intellectuels de renom tels Théophile Obenga, Achille Mbembé, Elikia Mbokolo, Fatou Sow ou Henri Hogbe Nlend - lancés sur la trace de l'Egyptologue Cheick Anta Diop et du Révérend Père Angelbert Mveng, tous deux de regrettées mémoires - un travail de glorification du passé de l'Afrique est en train d'être fait. L'Afrique perçue ici comme, non seulement le berceau de l'humanité mais terre d'émergence de plusieurs inventions qui ont changé le cours de l'humanité et qui semblent aujourd'hui vouloir laisser l'Afrique du 21e siècle sur le bord du chemin et la réduire à la mendicité. La société civile de la diaspora africaine est tenue par une multitude d'associations dont le collectif Devoirs de Mémoires de Jean Claude Tchicaya ou le Collectif Egalité et Combat de l'écrivaine camerounaise Calixte Beyala. A coté de tout ce monde, l'électron libre, le franco-camerounais Dieudonné contribue, à sa manière, à l'animation et parfois à l'envenimement du débat.

Ce travail de mémoire est relayé aussi bien par l'édition (Menaibuc, Duboiris, Desnel) que tous les autres moyens qu'offrent les nouvelles technologies de l'information et de la communication. On peut citer les blog : Dignité de l'Afrique, Panafricanisons, Africa... les sites Internet : Menaibuc.com, africamaat.com, afriblog.com, Africultures.com, Africagora.com, Afrology.com... La production de la pensée panafricaine est une réalité. Elle est riche et foisonnante.

Cette production intellectuelle se trouve aux antipodes de ce qui se fait aujourd'hui sur le continent africain. Là-bas, les intellectuels qui n'ont pas pu se mettre à l'abri en choisissant l'exil – après l'affrontement avec les pouvoirs au cours des années 90 – et qui ont voulu le rester ont tout simplement été broyés par la médiocratie ambiante. Les plus malins se sont dédoublés pour s'aligner dans la politique du ventre et du bas ventre, mais auparavant, ils auraient subi une castration intellectuelle avant d'être jetés dans l'arène politique des systèmes où, parce qu'ils n'avaient jamais été préparés à ce jeu là se font broyer à grosse pelletée ou se font tuer à petit feu. Mais il reste qu'il faut tirer un coup de chapeau à un groupe de téméraires qui bien que démunis et très souvent harcelés continuent d'affronter les systèmes qui les oppriment. On peut citer pour ce qui est du Cameroun : Abel Eyinga, Sindjoun Pokam, Fabien Kangue Ewane, Fabien Eboussi Boulaga, Shanda Tomne; pour le Sénégal: Malick Ndiaye et Latif Coulibaly; pour le Gabon: Guy Rossatanga Rignault et Luc Ngowet; Pour le Burkina Faso: Joseph Ki Zerbo. Pour le Congo-Brazzaville: Dieudonné Tsokini…

Il ressort de ce panorama de la production intellectuelle africaine et afro-caribéenne que cinq siècles d'esclavage, de colonisation et 20 ans de plan d'ajustement structurel ont ruiné les nations africaines au point de les réduire à la mendicité internationale et ont ramené l'homme noir au rang de sous-homme.

Ce destin de l'Afrique est factice. Les Etats africains sont maintenus dans un état de précarité par ceux qui ne veulent pas voir démentis les écrits historiques qui font croire que l'Afrique est un continent merveilleux mais habité de grands enfants et que pour cela, sa charge sera à jamais supportée par les autres.

"Le fardeau de l'homme blanc"

Ce qui est intéressant de faire remarquer c'est que les intellectuels occidentaux avaient accompagné systématiquement la "mission civilisatrice" de l'homme blanc en direction des peuples indigènes d'Afrique – en réalité un processus de déshumanisation du noir successivement conduit par l'explorateur et le colonisateur et parfois appuyé par certains princes d'église. Cette mission avait au moins deux objectifs bien précis:

Polluer mentalement le noir en lui faisant comprendre qu'il n'a pas d'histoire ni de culture et que son histoire commence avec les explorations. Dans ce travail de lavage de cerveaux on retrouvait en première ligne des philosophes, des sociologues/ethnologues, des anthropologues. Le père Tempels par exemple avait affirmé que le noir avait une "mentalité prélogique", une façon polie de dire qu'il n'a pas l'intelligence. Cette sale besogne, qui a culminé avec la rédaction du "code noir" – un chef d'œuvre de la chosification du noir - a contribué à construire pendant cinq siècles dans le mental du peuple noir, ce qu'on a appelé plus tard "le complexe du nègre" qu'il traine aujourd'hui tel un boulet et qui bloque chez lui toute tentative d'affranchissement. Certains intellectuels occidentaux que les nôtres magnifiaient pourtant, lorsque nous faisions nos classes terminales avec l'initiation à la fameuse "philo", n'ont pas hésité à mêler leur voix à ce concert de refus de la culture à l'Africain, tel Jean Paul Sartre qui écrivait: "Les écrivains africains doivent arrêter d'écrire pour créer des sociétés où la littérature est possible" disait-il. En clair, pour lui, la littérature comme la démocratie aujourd'hui est un luxe pour l'Afrique.

Reviser l'histoire à l'avantage de l'occident par la dissimulation, pour manipuler les populations occidentales et obtenir leur adhésion dans la conduite de la "mission civilisatrice". Les portes flambeau de cet autre travail étaient des historiens. Il faut d'ailleurs dire qu'on rencontre aujourd'hui des courants néo-révisionnistes qui sont très actifs. Beaucoup pensent qu'Olivier Pétré-Grenouilleau, en s'intéressant à d'autres trafics d'esclaves que celui du triangle Europe-Afrique-Amériques, tente de fondre la traite négrière dont se plaignent les populations noires dans un phénomène partagé et réduire ainsi sa portée. Un révisionnisme subtil qui bien qu'ayant été plusieurs fois primé en France n'a pas échappé aux veilleurs de la cause noire qui ont tenu à la dénoncer avec la dernière énergie.

Aujourd'hui, un autre front a été ouvert et vise à opposer les noirs descendants des esclaves et ceux d'origine africaine qui sont en fait une même famille qui avait été séparée par le drame qu'on connaît. Il consiste à dire aux premiers que les seconds, de par leurs ancêtres, sont responsables de la traite négrière. Un peu sous la forme de "si ce n'est toi, c'est donc ton frère... C'est donc quelqu'un des tiens", comme nous avait appris les fables de la fontaines. On leur fait comprendre que si les africains de l'époque ne l'avaient pas cautionné, le commerce des esclaves n'aurait jamais eu lieu. Les plus manipulateurs font comprendre que d'ailleurs, les roitelets d'Afrique de l'époque pratiquaient déjà le commerce des esclaves. Un silence assoudissant est par contre fait sur les tentatives de résistance des populations noires qui ont été stoppées net par la suprématie technologique des envahisseurs, particulièrement dans le domaine des armes à feu. C'est un peu comme si demain on racontait aux Irakiens que leur peuple n'avait pas résisté à l'envahisseur américain.

Ce qui est dramatique, c'est que ce discours révisionniste par rapport à la responsabilité des noirs dans la traite négrière dont l'un des ouvrages écrit par Olivier Pétré Grenouilleau vient d'être primé en France prend comme une bonne mayonnaise et fait rage dans les relations interpersonnelles entre les africains-africains et les africains-antillais-guadeloupéens-réunionnais-haïtiens et autres. Et c'est un ami à moi qui en a fait la triste expérience: "J'avais ma copine antillaise. Nous nous entendions très bien. Un jour, alors que nous étions à table chez elle, mon téléphone a sonné et c'est ma mère qui me "bipait" (appeler juste pour être rappelé) du pays. Elle était en compagnie de ma grand mère et d'une tante. Je les ai appelé aussitôt avec le téléphone de ma copine et à l'aide d'une carte à code. J'étais très content de les écouter. Pendant que nous bavardions, j'ai constaté que la mine de ma copine changeait. Elle avait de la peine à manger et avait des traits plus tirés. Lorsque j'ai fini, elle m'a regardé et m'a dit: tu es content de parler avec tes parents en Afrique. Qu'avez-vous fait de nos ancêtres? Franchement face à cette question je n'ai pas eu de réponse. J'ai contaté qu'elle était vraiment touchée. Jusqu'à la fin du repas, nous ne nous sommes plus dit mot ni même regardé. Depuis ce jour là, nos relations ont commencé à se distendre jusqu'à s'éteindre complètement. Aujourd'hui, j'ai une double peine: celle d'avoir perdu une copine que j'aimais bien et celle de porter sur la conscience la responsabilité d'un crime que je n'ai pas commis, ni moi, ni même un de mes proches d'ailleurs" rapporte mon ami.

Cette anecdote vient poser de façon dramatique et concrète le calvaire supplémentaire que vivent les noirs descendants d'esclaves qui comme l'a montré la réaction de la jeune fille souffrent du manque de base arrière. C'est vrai que j'ai toujours eu le cœur serré lorsque je rencontre "ces africains sans Afrique". Aujourd'hui je mesure la profondeur du drame qu'ils doivent endurer au quotidien et qu'ils ont d'ailleurs enduré depuis des générations. Mais il faut dire tout de suite que la division artificielle que les révisionnistes tentent de construire entre les noirs est l'ultime diversion dans un combat dont ils voient venir la perte. Il s'agit d'un piège gros comme la tour Eiffel où ne peuvent tomber que ceux qui veulent tomber.

Aujourd'hui, tous les noirs, d'Afrique, des îles ou des amériques sont embarqués dans le même navire un peu comme celui qui cinq siècles en arrière transportait nos ancêtres. Nous sommes parqués dans les mêmes cages au fond des cales du bâteau. Nous sommes assis sur les mêmes planchers humides, les mêmes chaînes devenues aujourd'hui invisibles – sans pour autant perdre de leur cruauté - continuent d'entourer les cous de ceux d'entre nous qui ne veulent pas s'affranchir. Il est question non plus de mener un quelconque combat pour se libérer, puisque nous le sommes déjà, mais de s'autodéterminer, d'exister et d'être tout simplement. Toute autre guerre, de surcroit fratricide, n'est que dispersion d'énergie.

En leur temps, les intellectuels noirs tels Aimé Cesaire, Léopold Sedar Senghor ou Alioune Diop avaient tenté d'assurer la valorisation du noir notamment en parlant de négritude. Mais cette philosophie péchait par son caractère réactionnaire et folkorique en ce sens qu'elle a fini par ne devenir que ce que le colon souhaitait qu'elle devienne. Il ne s'agit pas de se déterminer comme ils ont tenté de le faire par rapport aux griefs et aux dénégations que les occidentaux nous portent et même de cautionner certains clichés du genre "l'émotion est nègre" comme l'avait affirmé Léopold Sédar Senghor, il s'agit d'exister indépendamment de l'existence ou de la non-existence de la race blanche. C'est ce que les asiatiques font et les résultats sont là.

Une responsabilité historique

La perception qu'a l'africain moyen de l'intellectuel est des plus mitigée. Pour beaucoup, il s'agit d'un rêveur qui crache sur la nourriture et préfère s'envoler vers les nuages: "Au lieu de manger sa part tranquillement, il embête le monde avec sa morale. C'est çà qu'on mange?", entend t-on souvent dire. L'intellectuel est parfois l'objet de raillerie jusque dans sa propre famille: "Vous vous imaginez quand c'est votre propre femme qui commence à dire que vous êtes fou. Et que parfois elle le dit devant les enfants! Tout çà parce qu'elle a été instrumentalisée par les gens du pouvoir qui lui font comprendre qu'un homme qui refuse la nourriture pour des idées n'est pas normal. Ce discours passe d'autant plus que vos difficultés financières sont réelles. Et votre épouse qui vous harcèle croit vous ramener sur le bon chemin. On vous amène ainsi à perdre l'autorité et sur votre femme et sur vos enfants", raconte un intellectuel.

Mais qu'on se le dise, cette perception érronée de l'intellectuel n'est pas consubstantielle à l'Africain. Cela participe des avatars de la colonisation. Après avoir dit que le noir n'était pas doté d'intelligence, on a fini par lui concéder une petite parcelle d'intelligence. Juste de quoi exécuter des ordres dictés par le colon. Au-delà, il devanait dangeureux et la parade consistait à le déclarer fou: Lorsque Mgr Albert Ndongmo, un évêque camerounais des années d'indépendance et brillant intellectuel avait été mis aux arrêts par le régime Ahidjo pour tentative de coup d'etat, le Vatican aurait proposé qu'il soit déclaré fou et transféré dans un hôpital psychiatrique en Europe. Effectivement une grâce présidentielle lui avait été accordée et il avait été exilé d'abord en Italie et ensuite au Canada où il mourut en 1992. Ici, la pirouette de la folie avait servi à sauver la vie d'un homme mais confime l'image qu'on a semé de l'intellectuel dans la tête des Africains.

L'intellectuel africain de la diaspora doit dépasser ce handicap et amener les masses populaires d'Afrique à prendre conscience de la profondeur du mal. On peut déjà se féliciter d'une prise de conscience très avancée aujourd'hui dans beaucoup de pays africains et surtout de l'existence d'une opinion publique active et influente qu'on rencontre principalement dans les grandes villes. Il s'agit de s'appuyer sur ces relais. Pour y parvenir, il doit se faire comprendre d'eux. Il doit autant que faire se peut, parler un language qui leur est accessible. Il doit prendre sa responsabilité en tant que guide éclairé et rescapé face aux masses "polluées" mentalement et déshumanisées. Dès lors deux défis qui sont autant d'objectifs s'imposent à lui:

Dépolluer d'abord le noir en lui rappelant constamment son passé glorieux à travers la technologie de l'Egypte ancienne – pas celle de Hosni Moubarak – ses réalisations et surtout son antériorité sur la civilisation occidentale. Chaque africain doit avoir au bout des doigts quelques réalisations de la civilisation egyptienne: "Au cours d'un colloque en Allemagne, un jeune chercheur Allemand s'est approché d'un groupe de chercheur africains et leur a demandé de lui dire ce que l'Afrique a déjà inventé. Evidemment, ils n'ont rien cité et l'objectif du jeune Allemenand était atteint: faire dire aux chercheurs africains eux-même que l'Afrique n'a rien inventé", rapporte un chercheur sénégalais. Il faut leur rappeler ensuite que c'est par le travail qu'ils se libereront. Comme le soutient l'écrivain Congolais Gaspard Lonsi Koko : "il faut travailler et s'enrichir car le vrai pouvoir est économique. On ne prête qu'aux riches". Il faut les amener à avoir constamment une attitude qui préserve leur dignité et les détourne ainsi de la mendicité car: "la main qui demande et reçoit est toujours en dessous de celle qui donne". Il faut donner une perception réelle et généreuse de l'intellectuel;

Conduire un contre révisionnisme actif afin d'amener les nations occidentales à accomplir le devoir de mémoire qui leur permettra de se réconcilier avec leur passé et surtout avouer à leurs peuples les mensonges séculaires. Nous sommes convaincus qu'en dehors de quelques groupuscules d'extrême-droite qui sont d'ailleurs repoussés dans leur derniers retrachements, malgré les apparences, les populations occidentales dans leur immense majorité, qui ont atteint un dégré respectable d'humanisme et de générosité ne sauraient cautionner ce qui a été fait et ce qui continue d'être fait à des êtres humains comme elles.

Des objectifs dont l'atteinte recommande l'engagement, la détermination, l'enthousiasme mais surtout de la méthode. Nous nous devons de préciser que la haine ne trouve nullement sa place dans cette démarche qui doit être empreinte de l'humanisme propre à l'Afrique profonde et d'ailleurs à tous les peuples en dépit des agissments des dirigeants parfois belliqueux et paranoïaques. La haine a ceci de malheureux qu'elle chasse le bon sens, déforme nos pensées et finalement peut conduire à la destruction de l'autre en passant par une auto-destruction.

Autant nous devons nous réjouir du foisonnement de la production intellectuelle sur la place parisienne, autant nous devons revenir sur terre pour comprendre que cette production ne portera réellement ses fruits que si elle est portée à ses destinataires finaux que sont les masses populaires africaines.

Or, comme l'avaient compris les économistes à la suite de la loi de l'offre de Jean Baptiste Say et ses insuffisances, aujourd'hui, nous devons nous résoudre à comprendre qu'il est peut-être plus facile de produire la pensée que de réussir sa diffusion effective auprès de ceux pour qui elle est produite. Et pour ce qui nous interesse ici, il s'agit des masses populaires africaines dont il faut débarrasser d'un complexe avilissant et destructeur. Or, il convient de remarquer qu'en dépit de sa pertinence, de son intensité et de sa densité, le travail de mémoire des intellectuels africains atteint encore un cercle très réduit d'internautes et lecteurs d'ouvrages. D'où sans doute la nécessité pour les intellectuels producteurs de la pensée d'utiliser des relais plus populaires ou d'adopter des postures nouvelles en vue d'atteindre les objectifs ainsi fixés.

Le défi majeur de l'intellectuel africain de la diaspora est contenu dans ces deux questions:
En l'étape actuelle de son combat pour l'acquisition de sa dignité et de celle de ses peuples, quelle posture l'intellectuel noir en général et l'intellectuel africain en particulier doit adopter pour à la fois se faire comprendre des masses africaines – qui sont plus instruites aujourd'hui qu'en 1960 par exemple – et les populations occidentales à qui on avait caché tant de choses?
Comment produire un discours cohérent qui pourra à la fois atteindre les masses africaines et les populations occidentales sans paraître trop hermétique pour les premiers et peut-être trop trivial pour les seconds ou bien sans trop mettre d'eau dans leur vin d'intellectuel et peut-être se déconsidérer aux yeux de leurs collègues?

Autrement dit, soit en fonction des circonstances, les intéllectuels africains de la diaspora décident de descendre dans la caverne pour y conduire l'éducation des masses dans le but de les en sortir soit ils choisissent de rester dans leur position en produisant des discours certes pertinents mais trop hermétiques et par conséquent inaccessibles aux masses africaines et l'objectif de dépollution est compromise ou retardé.

Nécessaire Collaboration

Dans une tentative de diviser la poire en deux, nous pensons qu'une collaboration étroite plus que par le passé est nécessaire entre les intellectuels en tant que producteurs de la pensée et les journalistes qui remplissent honorablement le rôle de vulgarisateurs de cette pensée.
C'est justement l'un des objectifs que se fixe le réseau de journaliste pour l'intégration en Afrique "Afrique Intègre".

Lorsque j'ai publié en juillet dernier un coup de gueule intitulé "Pour la dignité de l'Afrique, laissez-nous crever" à la suite du sommet de G8 de Gleneagles, une maison d'édition parisienne - regroupant plusieurs intellectuels - qui fait un précieux travail sur la recherche de la dignité de l'Afrique, m'a contacté pour solliciter mon accord en vue de la publication de cette réflexion dans une revue qu'elle publie. Accord que j'ai donné. Mais quelque jours après le directeur de la maison d'édition m'a fait un mail en disant qu'il souhaite que je retouche ma réflexion afin de la rendre publiable. J'ai tout de suite compris que mon texte qui a pourtant eu un succès certain auprès des internautes ne remplissait pas tout le shéma méthodologique des écrits intellectuels.
A savoir, un problème, une problématique, des hypothèses, des résultats et surtout la fameuse bibliographie.
J'ai alors engagé un débat avec le directeur dans lequel je lui ai fait comprendre que je suis d'abord et avant tout un journaliste et d'après ma formation, je dois écrire simple pour me faire comprendre du plus grand nombre. Comme j'aime bien à le dire, je suis consultant en simplification des affaires compliquées.
En fait, le journaliste est un vulgarisateur de la pensée et à ce titre, au lieu de s'opposer à lui, il complète l'action de l'intellectuel – producteur de la pensée – et de tout autre spécialiste.

Loin de moi l'idée en rapportant cette anecdote de prêter le flanc à une polémique entre les intellectuels et les journalistes dont l'action conjuguée sera d'un bénéfice inestimable pour l'Afrique.

C'est toute la presse africaine et panafricaine qui doit être mobilisée dans ce travail de relais. Ainsi, à coté des "chiens écrasés", "des trains en retard", du sport dans lequel on veut confiner la race noire, le journaliste africain d'aujourd'hui doit se donner une mission de "dépollution" des masses populaires africaines. C'est ambitieux, c'est peut-être même prétentieux mais l'audace en vaut la peine. C'est un travail de longue haleine qui prendra certainement plusieurs génération comme d'ailleurs la traite négrière et la colonisation qui ont traversé plus de 30 générations. Ce travail engage aussi la responsabilité des éditeurs de journaux africains et des dirigeants africains qui doivent comprendre que leur destin à eux aussi en dépend.

Arrow A toi d'apprecier Chabine, l'article en lui meme est tres confus, et je me demande comment Francoise Verges a t'elle pu extirper cette assertion de ce genre de fouillis!
_________________
l'Hommage a Cheikh Anta Diop sur PER-ANKH
l'Hommage a Mongo Beti sur PER-ANKH
l'Hommage a Aime Cesaire sur PER-ANKH

LPC-U : CONSTRUIRE LE CONGO POUR L'UNITÉ DE L'AFRIQUE
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé Visiter le site web de l'utilisateur
manocry
Grioonaute 1


Inscrit le: 15 Juin 2005
Messages: 108

MessagePosté le: Dim 19 Mar 2006 14:28    Sujet du message: Répondre en citant

Une rumeur court que Cesaire aurait refusé le prix nobel hier. Quelqu'un aurait-il plus d'info dessus ?
_________________
La vérité est comme une étincelle, quand elle jaillit au milieu des pailles, elle embrase tout.
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
ARDIN
Super Posteur


Inscrit le: 22 Fév 2004
Messages: 1863
Localisation: UK

MessagePosté le: Dim 19 Mar 2006 14:42    Sujet du message: Répondre en citant

manocry a écrit:
Une rumeur court que Cesaire aurait refusé le prix nobel hier. Quelqu'un aurait-il plus d'info dessus ?

J'en ai parle ici
Il aurait refuse la nomination au prix nobel de la paix.
_________________
l'Hommage a Cheikh Anta Diop sur PER-ANKH
l'Hommage a Mongo Beti sur PER-ANKH
l'Hommage a Aime Cesaire sur PER-ANKH

LPC-U : CONSTRUIRE LE CONGO POUR L'UNITÉ DE L'AFRIQUE
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé Visiter le site web de l'utilisateur
manocry
Grioonaute 1


Inscrit le: 15 Juin 2005
Messages: 108

MessagePosté le: Lun 20 Mar 2006 22:00    Sujet du message: Répondre en citant

Merci.
_________________
La vérité est comme une étincelle, quand elle jaillit au milieu des pailles, elle embrase tout.
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
henrychrystophe
Super Posteur


Inscrit le: 24 Avr 2005
Messages: 1144

MessagePosté le: Lun 03 Avr 2006 20:27    Sujet du message: Répondre en citant

Sortie récente en poche.
Les premiers effets éditoriaux du rachat du Seuil par les éditions de La Martinière commencent à se voir depuis janvier.
En ce qui concerne les poches réorganisation des collections, nouvelles jacquettes...




Aimé césaire
Cadastre, suivi de, Moi Laminaire

Editeur(s) : Le Seuil
Collection : POINT POESIE
Genre : POESIE
Date de Parution : 09/03/2006
Prix éditeur : 6,00 €
192 p.
ISBN : 2-0208-6388-X
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Chabine
Super Posteur


Inscrit le: 02 Mar 2005
Messages: 3040

MessagePosté le: Sam 12 Avr 2008 20:56    Sujet du message: Répondre en citant

L'actualité d'Aimé Césaire, c'est qu'il nous quitte Sad

http://www.grioo.com/avis,aime_cesaire_hospitalise_en_martinique_,13446.html

L'heure des hommages est imminente, mais elle n'est pas encore arrivée, officiellement. En attendant, lisons l'hommage du poète à son île, que je considère aussi comme son testament (c'est la lecture que je fais de ce poème, mais elle n'est pas forcément la seule qu'on puisse avoir) :

Calendrier lagunaire, d’Aimé Césaire


J’habite une blessure sacrée
j’habite des ancêtres imaginaires
j’habite un vouloir obscur
j’habite un long silence
j’habite une soif irrémédiable
j’habite un voyage de mille ans
j’habite une guerre de trois cent ans

j’habite un culte désaffecté
entre bulbe et caïeu j’habite l’espace inexploité
j’habite du basalte non une coulée
mais de la lave le mascaret
qui remonte la calleuse à toute allure
et brûle toutes les mosquées
je m’accommode de mon mieux de cet avatar
d’une version du paradis absurdement ratée
-c’est bien pire qu’un enfer-
j’habite de temps en temps une de mes plaies
chaque minute je change d’appartement
et toute paix m’effraie

tourbillon de feu
ascidie comme nulle autre pour poussières
de mondes égarés
ayant crachés volcan mes entrailles d’eau vive
je reste avec mes pains de mots et mes minerais secrets

j’habite donc une vaste pensée
mais le plus souvent je préfère me confiner
dans la plus petite de mes idées



ou bien j’habite une formule magique
les seuls premiers mots
tout le reste étant oublié
j’habite l’embâcle
j’habite la débâcle
j’habite le pan d’un grand désastre

j’habite souvent le pis le plus sec
du piton le plus efflanqué-la louve de ces nuages-
j’habite l’auréole des cétacées
j’habite un troupeau de chèvres tirant sur la tétine
de l’arganier le plus désolé
à vrai dire je ne sais plus mon adresse exacte
bathyale ou abyssale
j’habite le trou des poulpes
je me bats avec un poulpe pour un trou de poulpe

frères n’insistez pas
vrac de varech
m’accrochant en cuscute
ou me déployant en porona
c’est tout un
et que le flot roule
et que ventouse le soleil
et que flagelle le vent
ronde bosse de mon néant

la pression atmosphérique ou plutôt l’historique
agrandit démesurément mes maux
même si elle rend somptueux certains de mes mots.”

_________________
"Le colonialisme et ses dérivés ne constituent pas à vrai dire les ennemis actuels de l'Afrique. À brève échéance ce continent sera libéré. Pour ma part plus je pénètre les cultures et les cercles politiques plus la certitude s'impose à moi que LE PLUS GRAND DANGER QUI MENACE L'AFRIQUE EST L'ABSENCE D'IDÉOLOGIE."
Cette Afrique à venir, Journal de bord de mission en Afrique occidentale, été 1960, Frantz Fanon, Pour la Révolution Africaine
2011, annee Frantz Fanon
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Chabine
Super Posteur


Inscrit le: 02 Mar 2005
Messages: 3040

MessagePosté le: Mar 15 Avr 2008 20:47    Sujet du message: Répondre en citant

A l'heure actuelle, on ne sait pas ce qu'il en est, mais ce qui est sûr, c'est que la pensée de Césaire, elle, ne mourra jamais :

http://happy.joueb.com/news/110-aime-cesaire-discours-sur-le-colonialisme

Aimé Césaire — Discours sur le Colonialisme
1955


Voici, copiées de ma main, les deux premières parties du discours d’Aimé Césaire sur le colonialisme, qui en comprend six.
À lire l’œil ouvert, et si vous voulez résolument voir la vérité nue, alors n’hésitez pas à faire l’acquisition de ce petit livre au prix modeste, de ce discours qui fête cette année — mais où est la joie ? — son cinquantenaire.



AIMÉ CÉSAIRE
DISCOURS SUR LE COLONIALISME

(pp 7 à 23)
Éditions Présence Africaine, 1955


1



Une civilisation qui s’avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente.

Une civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte.

Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde.


Le fait est que la civilisation dite « européenne », la civilisation « occidentale », telle que l’ont façonnée deux siècles de régime bourgeois, est incapable de résoudre les deux problèmes majeurs auxquels son existence a donné naissance : le problème du prolétariat et le problème colonial ; que, déferrée à la barre de la « raison », comme à la barre de la « conscience », cette Europe-là est impuissante à se justifier ; et que, de plus en plus, elle se réfugie dans une hypocrisie d’autant plus odieuse qu’elle a de moins en moins chance de tromper.
L’Europe est indéfendable.
Il paraît que c’est la constatation que se confient tout bas les stratèges américains.
En soi cela n’est pas grave.
Le grave est que « l’Europe » est moralement, spirituellement indéfendable.
Et aujourd’hui il se trouve que ce ne sont pas seulement les masses européennes qui incriminent, mais que l’acte d’accusation est proféré sur le plan mondial par des dizaines et des dizaines de millions d’hommes qui, du fond de l’esclavage, s’érigent en juges.
On peut tuer en Indochine, torturer à Madagascar, emprisonner en Afrique, sévir aux Antilles. Les colonisés savent désormais qu’ils ont sur les colonialistes un avantage. Ils savent que leurs « maîtres » provisoires mentent.
Donc que leurs maîtres sont faibles.
Et puisque aujourd’hui il m’est demandé de parler de la colonisation et de la civilisation, allons droit au mensonge principal à partir duquel prolifèrent tous les autres.
Colonisation et civilisation ?
La malédiction la plus commune en cette matière est d’être la dupe de bonne foi d’une hypocrisie collective, habile à mal poser les problèmes pour mieux légitimer les odieuses solutions qu’on leur apporte.
Cela revient à dire que l’essentiel est ici de voir clair, de penser clair, entendre dangereusement, de répondre clair à l’innocente question initiale : qu’est-ce en son principe que la colonisation ? De convenir de ce qu’elle n’est point ; ni évangélisation, ni entreprise philanthropique, ni volonté de reculer les frontières de l’ignorance, de la maladie, de la tyrannie, ni élargissement de Dieu, ni extension du Droit ; d’admettre une fois pour toutes, sans volonté de broncher aux conséquences, que le geste décisif est ici de l’aventurier et du pirate, de l’épicier en grand et de l’armateur, du chercheur d’or et du marchand, de l’appétit et de la force, avec, derrière, l’ombre portée, maléfique, d’une forme de civilisation qui, à un moment de son histoire, se constate obligée, de façon interne, d’étendre à l’échelle mondiale la concurrence de ses économies antagonistes.
Poursuivant mon analyse, je trouve que l’hypocrisie est de date récente ; que ni Cortez découvrant Mexico du haut du grand téocalli, ni Pizarre devant Cuzco (encore moins Marco Polo devant Cambaluc), ne protestent d’être les fourriers d’un ordre supérieur ; qu’ils tuent ; qu’ils pillent ; qu’ils ont des casques, des lances, des cupidités ; que les baveurs sont venus plus tard ; que le grand responsable dans ce domaine est le pédantisme chrétien, pour avoir posé les équations malhonnêtes : christianisme = civilisation ; paganisme = sauvagerie, d’où ne pouvaient que s’ensuivre d’abominables conséquences colonialistes et racistes, dont les victimes devaient être les Indiens, les Jaunes, les Nègres.
Cela réglé, j’admets que mettre les civilisations différentes en contact les unes avec les autres est bien ; que marier des mondes différents est excellent ; qu’une civilisation, quel que soit son génie intime, à se replier sur elle-même, s’étiole ; que l’échange est ici l’oxygène, et que la grande chance de l’Europe est d’avoir été un carrefour, et que, d’avoir été le lieu géométrique de toutes les idées, le réceptacle de toutes les philosophies, le lieu d’accueil de tous les sentiments en a fait le meilleur redistributeur d’énergie.
Mais alors je pose la question suivante : la colonisation a-t-elle vraiment mis en contact ? Ou, si l’on préfère, de toutes les manières d’« établir contact », était-elle la meilleure ?
Je réponds non.
Et je dis que de la colonisation à la civilisation, la distance est infinie ; que, de toutes les expéditions coloniales accumulées, de tous les statuts coloniaux élaborés, de toutes les circulaires ministérielles expédiées, on ne saurait réussir une seule valeur humaine.



2



Il faudrait d’abord étudier comment la colonisation travaille à déciviliser le colonisateur, à l’abrutir au sens propre du mot, à le dégrader, à le réveiller aux instincts enfouis, à la convoitise, à la violence, à la haine raciale, au relativisme moral, et montrer que, chaque fois qu’il y a au Viêt-nam une tête coupée et un œil crevé et qu’en France on accepte, une fillette violée et qu’en France on accepte, un Malgache supplicié et qu’en France on accepte, il y a un acquis de la civilisation qui pèse de son poids mort, une régression universelle qui s’opère, une gangrène qui s’installe, un foyer d’infection qui s’étend et qu’au bout de tous ces traités violés, de tous ces mensonges propagés, de toutes ces expéditions punitives tolérées, de tous ces prisonniers ficelés et « interrogés », de tous ces patriotes torturés, au bout de cet orgueil racial encouragé, de cette jactance étalée, il y a le poison instillé dans les veines de l’Europe, et le progrès lent, mais sûr, de l’ensauvagement du continent.
Et alors, un beau jour, la bourgeoisie est réveillée par un formidable choc en retour : les gestapos s’affairent, les prisons s’emplissent, les tortionnaires inventent, raffinent, discutent autour des chevalets.
On s’étonne, on s’indigne. On dit : « Comme c’est curieux ! Mais, bah ! C’est le nazisme, ça passera ! » Et on attend, et on espère ; et on se tait à soi-même la vérité, que c’est une barbarie, mais la barbarie suprême, celle qui couronne, celle qui résume la quotidienneté des barbaries ; que c’est du nazisme, oui, mais qu’avant d’en être la victime, on en a été le complice ; que ce nazisme-là, on l’a supporté avant de le subir, on l’a absous, on a fermé l’œil là-dessus, on l’a légitimé, parce que, jusque-là, il ne s’était appliqué qu’à des peuples non européens ; que ce nazisme-là, on l’a cultivé, on en est responsable, et qu’il sourd, qu’il perce, qu’il goutte, avant de l’engloutir dans ses eaux rougies de toutes les fissures de la civilisation occidentale et chrétienne.
Oui, il vaudrait la peine d’étudier, cliniquement, dans le détail, les démarches d’Hitler et de l’hitlérisme et de révéler au très distingué, très humaniste, très chrétien bourgeois du XXe siècle qu’il porte en lui un Hitler qui s’ignore, qu’un Hitler l’habite, qu’Hitler est son démon, que s’il le vitupère c’est par manque de logique, et qu’au fond, ce qu’il ne pardonne pas à Hitler, ce n’est pas le crime en soi, le crime contre l’homme, ce n’est pas l’humiliation de l’homme en soi, c’est le crime contre l’homme blanc, c’est l’humiliation de l’homme blanc, et d’avoir appliqué à l’Europe des procédés colonialistes dont ne relevaient jusqu’ici que les Arabes d’Algérie, les coolies de l’Inde et les nègres d’Afrique.
J’ai beaucoup parlé d’Hitler. C’est qu’il le mérite : il permet de voir gros et de saisir que la société capitaliste, à son stade actuel, est incapable de fonder un droit des gens, comme elle s’avère impuissante à fonder une morale individuelle. Qu’on le veuille ou non : au bout du cul-de-sac Europe, je veux dire l’Europe d’Adenauer, de Schuman, Bidault et quelques autres, il y a Hitler. Au bout du capitalisme, désireux de se survivre, il y a Hitler. Au bout de l’humanisme formel et du renoncement philosophique, il y a Hitler.
Et, dès lors, une de ses phrases s’impose à moi :
« Nous aspirons, non pas à l’égalité, mais à la domination. Le pays de race étrangère devra redevenir un pays de serfs, de journaliers agricoles ou de travailleurs industriels. Il ne s’agit pas de supprimer les inégalités parmi les hommes, mais de les amplifier et d’en faire une loi. »


Cela sonne net, hautain, brutal, et nous installe en pleine sauvagerie hurlante. Mais descendons d’un degré.
Qui parle ? J’ai honte à le dire : c’est l’humaniste occidental, le philosophe « idéaliste ». Qu’il s’appelle Renan, c’est un hasard. Que ce soit tiré d’un livre intitulé : La Réforme intellectuelle et morale, qu’il ait été écrit en France, au lendemain d’une guerre que la France avait voulue du droit contre la force, cela en dit long sur les mœurs bourgeoises.
« La régénération des races inférieures ou abâtardies par les races supérieures est dans l’ordre providentiel de l’humanité. L’homme du peuple est presque toujours, chez nous, un noble déclassé, sa lourde main est bien mieux faite pour manier l’épée que l’outil servile. Plutôt que de travailler, il choisit de se battre, c’est-à-dire qu’il revient à son premier état. Regere imperio populos, voilà notre vocation. Versez cette dévorante activité sur des pays qui, comme la Chine, appellent la conquête étrangère. Des aventuriers qui troublent la société européenne, faites un ver sacrum, un essaim comme ceux des Francs, des Lombards, des Normands, chacun sera dans son rôle. La nature a fait une race d’ouvriers, c’est la race chinoise, d’une dextérité de main merveilleuse sans presque aucun sentiment d’honneur ; gouvernez-la avec justice, en prélevant d’elle, pour le bienfait d’un tel gouvernement, un ample douaire au profit de la race conquérante, elle sera satisfaite ; une race de travailleurs de la terre, c’est le nègre ; soyez bon pour lui et humain, et tout sera dans l’ordre ; une race de maîtres et de soldats, c’est la race européenne. Réduisez cette noble race à travailler dans l’ergastule comme des nègres et des Chinois, elle se révolte. Tout révolté est, chez nous, plus ou moins, un soldat qui a manqué sa vocation, un être fait pour la vie héroïque, et que vous appliquez à une besogne contraire à sa race, mauvais ouvrier, trop bon soldat. Or, la vie qui révolte nos travailleurs rendrait heureux un Chinois, un fellah, êtres qui ne sont nullement militaires. Que chacun fasse ce pour quoi il est fait, et tout ira bien. »


Hitler ? Rosenberg ? Non, Renan.
Mais descendons encore d’un degré. Et c’est le politicien verbeux. Qui proteste ? Personne, que je sache, lorsque M. Albert Sarraut, tenant discours aux élèves de l’École coloniale, leur enseigne qu’il serait puéril d’opposer aux entreprises européennes de colonisation « un prétendu droit d’occupation et je ne sais quel autre droit de farouche isolement qui pérenniserait en des mains incapables la vaine possession de richesses sans emploi. »
Et qui s’indigne d’entendre un certain R.P. Barde assurer que les biens de ce monde, « s’ils restaient indéfiniment répartis, comme ils le seraient sans la colonisation, ne répondraient ni aux desseins de Dieu, ni aux justes exigences de la collectivité humaine » ?
Attendu, comme l’affirme son confrère en christianisme, le R. P. Muller : « … que l’humanité ne doit pas, ne peut pas souffrir que l’incapacité, l’incurie, la paresse des peuples sauvages laissent indéfiniment sans emploi les richesses que Dieu leur a confiées avec mission de les faire servir au bien de tous ».
Personne.
Je veux dire : pas un écrivain patenté, pas un académicien, pas un prédicateur, pas un politicien, pas un croisé du droit et de la religion, pas un « défenseur de la personne humaine ».
Et pourtant, par la bouche des Sarraut et des Barde, des Muller et des Renan, par la bouche de tous ceux qui jugeaient et jugent licite d’appliquer aux peuples extra-européens, et au bénéfice de nations plus fortes et mieux équipées, « une sorte d’expropriation pour cause d’utilité publique », c’était déjà Hitler qui parlait.
Où veux-je en venir ? À cette idée : que nul ne colonise innocemment, que nul non plus ne colonise impunément ; qu’une nation qui colonise, qu’une civilisation qui justifie la colonisation — donc la force — est déjà une civilisation malade, une civilisation moralement atteinte, qui, irrésistiblement, de conséquence en conséquence, de reniement en reniement, appelle son Hitler, je veux dire son châtiment.
Colonisation : tête de pont dans une civilisation de la barbarie d’où, à n’importe quel moment, peut déboucher la négation pure et simple de la civilisation.
J’ai relevé dans l’histoire des expéditions coloniales quelques traits que j’ai cités ailleurs tout à loisir.
Cela n’a pas eu l’heur de plaire à tout le monde. Il paraît que c’est tirer de vieux squelettes du placard. Voire !
Était-il inutile de citer le colonel de Montagnac, un des conquérants de l’Algérie :
« Pour chasser les idées qui m’assiègent quelquefois, je fais couper des têtes, non pas des têtes d’artichauts, mais bien des têtes d’hommes. »


Convenait-il de refuser la parole au comte d’Herisson :
« Il est vrai que nous rapportons un plein baril d’oreilles récoltées, paire à paire, sur les prisonniers, amis ou ennemis. »


Fallait-il refuser à Saint-Arnaud le droit de faire sa profession de foi barbare :
« On ravage, on brûle, on pille, on détruit les maisons et les arbres. »


Fallait-il empêcher le maréchal Bugeaud de systématiser tout cela dans une théorie audacieuse et de se revendiquer des grands ancêtres :
« Il faut une grande invasion en Afrique qui ressemble à ce que faisaient les Francs, à ce que faisaient les Goths. »


Fallait-il rejeter dans les ténèbres de l’oubli le fait d’armes mémorable du commandant Gérard et se taire sur la prise d’Ambike, une ville qui, à vrai dire, n’avait jamais songé à se défendre :
« Les tirailleurs n’avaient ordre de tuer que les hommes, mais on ne les retint pas ; enivrés de l’odeur du sang, ils n’épargnèrent pas une femme, pas un enfant… À la fin de l’après-midi, sous l’action de la chaleur, un petit brouillard s’éleva : c’était le sang des cinq mille victimes, l’ombre de la ville, qui s’évaporait au soleil couchant. »


Oui ou non, ces faits sont-ils vrais ? Et les voluptés sadiques, les innombrables jouissances qui vous frisselisent la carcasse de Loti quand il tient au bout de sa lorgnette d’officier un bon massacre d’Annamites ? Vrai ou pas vrai 1 ? Et si ces faits sont vrais, comme il n’est au pouvoir de personne de le nier, dira-t-on, pour les minimiser, que ces cadavres ne prouvent rien ?
Pour ma part, si j’ai rappelé quelques détails de ces hideuses boucheries, ce n’est point par délectation morose, c’est parce que je pense que ces têtes d’hommes, ces récoltes d’oreilles, ces maisons brûlées, ces invasions gothiques, ce sang qui fume, ces villes qui s’évaporent au tranchant du glaive, on ne s’en débarrassera pas à si bon compte. Ils prouvent que la colonisation, je le répète, déshumanise l’homme même le plus civilisé ; que l’action coloniale, l’entreprise coloniale, la conquête coloniale, fondée sur le mépris de l’homme indigène et justifiée par ce mépris, tend inévitablement à modifier celui qui l’entreprend ; que le colonisateur, qui, pour se donner bonne conscience, s’habitue à voir dans l’autre la bête, s’entraîne à le traiter en bête, tend objectivement à se transformer lui-même en bête. C’est cette action, ce choc en retour de la colonisation qu’il importait de signaler.
Partialité ? Non. Il fut un temps où de ces mêmes faits on tirait vanité, et où, sûr du lendemain, on ne mâchait pas ses mots. Une dernière citation ; je l’emprunte à un certain Carl Sieger, auteur d’un Essai sur la Colonisation 2 :
« Les pays neufs sont un vaste champ ouvert aux activités individuelles, violentes, qui, dans les métropoles, se heurteraient à certains préjugés, à une conception sage et réglée de la vie, et qui, aux colonies, peuvent se développer plus librement et mieux affirmer, par suite, leur valeur. Ainsi, les colonies peuvent, à un certain point, servir de soupape de sûreté à la société moderne. Cette utilité serait-elle la seule, elle est immense. »


En vérité, il est des tares qu’il n’est au pouvoir de personne de réparer et que l’on n’a jamais fini d’expier.
Mais parlons des colonisés.
Je vois bien ce que la colonisation a détruit : les admirables civilisations indiennes et que ni Deterding, ni Royal Dutch, ni Standard Oil ne me consoleront jamais des Aztèques et des Incas.
Je vois bien celles — condamnées à terme — dans lesquelles elle a introduit un principe de ruine : Océanie, Nigéria, Nyassaland. Je vois moins bien ce qu’elle a apporté.
Sécurité ? Culture ? Juridisme ? En attendant, je regarde et je vois, partout où il y a, face à face, colonisateurs et colonisés, la force, la brutalité, la cruauté, le sadisme, le heurt et, en parodie de la formation culturelle, la fabrication hâtive de quelques milliers de fonctionnaires subalternes, de boys, d’artisans, d’employés de commerce et d’interprètes nécessaires à la bonne marche des affaires.
J’ai parlé de contact.
Entre colonisateur et colonisé, il n’y a de place que pour la corvée, l’intimidation, la pression, la police, l’impôt, le vol, le viol, les cultures obligatoires, le mépris, la méfiance, la morgue, la suffisance, la muflerie, des élites décérébrées, des masses avilies.
Aucun contact humain, mais des rapports de domination et de soumission qui transforment l’homme colonisateur en pion, en adjudant, en garde-chiourme, en chicote et l’homme indigène en instrument de production.
À mon tour de poser une équation : colonisation = chosification.
J’entends la tempête. On me parle de progrès, de « réalisations », de maladies guéries, de niveaux de vie élevés au-dessus d’eux-mêmes.
Moi, je parle de sociétés vidées d’elles-mêmes, des cultures piétinées, d’institutions minées, de terres confisquées, de religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties, d’extraordinaires possibilités supprimées.
On me lance à la tête des faits, des statistiques, des kilométrages de routes, de canaux, de chemins de fer.
Moi, je parle de milliers d’hommes sacrifiés au Congo-Océan. Je parle de ceux qui, à l’heure où j’écris, sont en train de creuser à la main le port d’Abidjan. Je parle de millions d’hommes arrachés à leurs dieux, à leur terre, à leurs habitudes, à leur vie, à la vie, à la danse, à la sagesse.
Je parle de millions d’hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir, le larbinisme.
On m’en donne plein la vue de tonnage de coton ou de cacao exporté, d’hectares d’oliviers ou de vignes plantés.
Moi, je parle d’économies naturelles, d’économies harmonieuses et viables, d’économies à la mesure de l’homme indigène désorganisées, de cultures vivrières détruites, de sous-alimentation installée, de développement agricole orienté selon le seul bénéfice des métropoles, de rafles de produits, de rafles de matières premières.
On se targue d’abus supprimés.
Moi aussi, je parle d’abus, mais pour dire qu’aux anciens — très réels — on en a superposé d’autres — très détestables. On me parle de tyrans locaux mis à la raison ; mais je constate qu’en général ils font très bon ménage avec les nouveaux et que, de ceux-ci aux anciens et vice-versa, il s’est établi, au détriment des peuples, un circuit de bons services et de complicité.
On me parle de civilisation, je parle de prolétarisation et de mystification.
Pour ma part, je fais l’apologie systématique des civilisations para-européennes.
Chaque jour qui passe, chaque déni de justice, chaque matraquage policier, chaque réclamation ouvrière noyée dans le sang, chaque scandale étouffé, chaque expédition punitive, chaque car de C.R.S., chaque policier et chaque milicien nous fait sentir le prix de nos vieilles sociétés.
C’étaient des sociétés communautaires, jamais de tous pour quelques-uns.
C’étaient des sociétés pas seulement anté-capitalistes, comme on l’a dit, mais aussi anti-capitalistes.
C’étaient des sociétés démocratiques, toujours.
C’étaient des sociétés coopératives, des sociétés fraternelles.
Je fais l’apologie systématique des sociétés détruites par l’impérialisme.
Elles étaient le fait, elles n’avaient aucune prétention à être l’idée, elles n’étaient, malgré leurs défauts, ni haïssables, ni condamnables. Elles se contentaient d’être. Devant elles n’avaient de sens, ni le mot échec, ni le mot avatar. Elles réservaient, intact, l’espoir.
Au lieu que ce soient les seuls mots que l’on puisse, en toute honnêteté, appliquer aux entreprises européennes hors d’Europe. Ma seule consolation est que les colonisations passent, que les nations ne sommeillent qu’un temps et que les peuples demeurent.
Cela dit, il paraît que, dans certains milieux, l’on a feint de découvrir en moi un « ennemi de l’Europe » et un prophète du retour au passé anté-européen.
Pour ma part, je cherche vainement où j’ai pu tenir de pareils discours ; où l’on m’a vu sous-estimer l’importance de l’Europe dans l’histoire de la pensée humaine ; où l’on m’a entendu prêcher un quelconque retour ; où l’on m’a vu prétendre qu’il pouvait y avoir retour.
La vérité est que j’ai dit tout autre chose : savoir que le grand drame historique de l’Afrique a moins été sa mise en contact trop tardive avec le reste du monde, que la manière dont ce contact a été opéré ; que c’est au moment où l’Europe est tombée entre les mains des financiers et des capitaines d’industrie les plus dénués de scrupules que l’Europe s’est « propagée » ; que notre malchance a voulu que ce soit cette Europe-là que nous ayons rencontré sur notre route et que l’Europe est comptable devant la communauté humaine du plus haut tas de cadavres de l’histoire.
Par ailleurs, jugeant l’action colonisatrice, j’ai ajouté que l’Europe a fait fort bon ménage avec tous les féodaux indigènes qui acceptaient de servir ; ourdi avec eux une vicieuse complicité ; rendu leur tyrannie plus effective et plus efficace, et que son action n’a tendu a rien de moins qu’à artificiellement prolonger la survie des passés locaux dans ce qu’ils avaient de plus pernicieux.
J’ai dit — et c’est très différent — que l’Europe colonisatrice a enté l’abus moderne sur l’antique injustice ; l’odieux racisme sur la vieille inégalité.
Que si c’est un procès d’intention que l’on me fait, je maintiens que l’Europe colonisatrice est déloyale à légitimer a posteriori l’action colonisatrice par les évidents progrès matériels réalisés dans certains domaines sous le régime colonial, attendu que la mutation brusque est chose toujours possible, en histoire comme ailleurs ; que nul ne sait à quel stade de développement matériel eussent été ces mêmes pays sans l’intervention européenne ; que l’équipement technique, la réorganisation administrative, « l’européanisation », en un mot, de l’Afrique ou de l’Asie n’étaient — comme le prouve l’exemple japonais — aucunement liés à l’occupation européenne ; que l’européanisation des continents non européens pouvait se faire autrement que sous la botte de l’Europe ; que ce mouvement d’européanisation était en train ; qu’il a même été ralenti ; qu’en tout cas il a été faussé par la mainmise de l’Europe.
À preuve qu’à l’heure actuelle, ce sont les indigènes d’Afrique ou d’Asie qui réclament des écoles et que c’est l’Europe colonisatrice qui en refuse ; que c’est l’homme africain qui demande des ports et des routes, que c’est l’Europe colonisatrice qui, à ce sujet, lésine ; que c’est le colonisé qui veut aller de l’avant, que c’est le colonisateur qui retient en arrière.



[…]



--------------------------------------------------------------------------------


Notes
1 Il s’agit du récit de la prise de Thouan-An paru dans Le Figaro en septembre 1883 et cité dans le livre de N. Serban : Loti, sa vie, son œuvre.
« Alors la grande tuerie avait commencé. On avait fait des feux de salve-deux ! et c’était plaisir de voir ces gerbes de balles, si facilement dirigeables, s’abattre sur eux deux fois par minute, au commandement d’une manière méthodique et sûre… On en voyait d’absolument fous, qui se relevaient pris d’un vertige de courir… Ils faisaient en zigzag et tout de travers cette course de la mort, se retroussant jusqu’aux reins d’une manière comique… et puis on s’amusait à compter les morts… » etc.

2 Carl Sieger : Essai sur la Colonisation, Paris, 1907.

_________________
"Le colonialisme et ses dérivés ne constituent pas à vrai dire les ennemis actuels de l'Afrique. À brève échéance ce continent sera libéré. Pour ma part plus je pénètre les cultures et les cercles politiques plus la certitude s'impose à moi que LE PLUS GRAND DANGER QUI MENACE L'AFRIQUE EST L'ABSENCE D'IDÉOLOGIE."
Cette Afrique à venir, Journal de bord de mission en Afrique occidentale, été 1960, Frantz Fanon, Pour la Révolution Africaine
2011, annee Frantz Fanon
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Chabine
Super Posteur


Inscrit le: 02 Mar 2005
Messages: 3040

MessagePosté le: Mar 15 Avr 2008 21:23    Sujet du message: Répondre en citant

http://happy.joueb.com/news/111-aime-cesaire-l-avertissement

La sixième et dernière partie du Discours sur le Colonialisme est un avertissement qui trouve aujourd’hui sa pertinente vérité. Est-il déjà trop tard ?




AIMÉ CÉSAIRE
DISCOURS SUR LE COLONIALISME



(pp 55 à 59)



Éditions Présence Africaine, 1955


6



Des valeurs inventées jadis par la bourgeoisie et qu’elle lança à travers le monde, l’une est celle de l’homme et de l’humanisme — et nous avons vu ce qu’elle est devenue —, l’autre est celle de la nation.
C’est un fait : la nation est un phénomène bourgeois…
Mais précisément, si je détourne les yeux de l’homme pour regarder les nations, je constate qu’ici encore le péril est grand ; que l’entreprise coloniale est, au monde moderne, ce que l’impérialisme romain fut au monde antique : préparateur du Désastre et fourrier de la Catastrophe : Eh quoi ? les Indiens massacrés, le monde musulman vidé de lui-même, le monde chinois pendant un bon siècle souillé et dénaturé ; le monde nègre disqualifié ; d’immenses voix à tout jamais éteintes ; des foyers dispersés au vent ; tout ce bousillage, tout ce gaspillage, l’humanité réduite au monologue et vous croyez que tout cela ne se paie pas ? La vérité est que, dans cette politique, la perte de l’Europe elle-même est inscrite, et que l’Europe, si elle n’y prend garde, périra du vide qu’elle a fait autour d’elle.
On a cru n’abattre que des Indiens, ou des Hindous, ou des Océaniens, ou des Africains. On a en fait renversé, les uns après les autres, les remparts en deçà desquels la civilisation européenne pouvait se développer librement.
Je sais tout ce qu’il y a de fallacieux dans les parallèles historiques, dans celui que je vais esquisser notamment. Cependant, que l’on me permette ici de recopier une page de Quinet pour la part non négligeable de vérité qu’elle contient et qui mérite d’être méditée.
La voici :
« On demande pourquoi la barbarie a débouché d’un seul coup dans la civilisation antique. Je crois pouvoir le dire. Il est étonnant qu’une cause si simple ne frappe pas tous les yeux. Le système de la civilisation antique se composait d’un certain nombre de nationalités, de patries, qui, bien qu’elles semblassent ennemies, ou même qu’elles s’ignorassent, se protégeaient, se soutenaient, se gardaient l’une l’autre. Quand l’empire romain, en grandissant, entreprit de conquérir et de détruire ces corps de nations, les sophistes éblouis crurent voir, au bout de ce chemin, l’humanité triomphante dans Rome. On parla de l’unité de l’esprit humain ; ce ne fut qu’un rêve. Il se trouva que ces nationalités étaient autant de boulevards qui protégeaient Rome elle-même… Lors donc que Rome, dans cette prétendue marche triomphale vers la civilisation unique, eut détruit, l’une après l’autre, Carthage, l’Égypte, la Grèce, la Judée, la Perse, la Dacie, les Gaules, il arriva qu’elle avait dévoré elle-même les digues qui la protégeaient contre l’océan humain sous lequel elle devait périr. Le magnanime César, en écrasant les Gaules, ne fit qu’ouvrir la route aux Germains. Tant de sociétés, tant de langues éteintes, de cités, de droits, de foyers anéantis, firent le vide autour de Rome, et là où les barbares n’arrivaient pas, la barbarie naissait d’elle-même. Les Gaulois détruits se changeaient en Bagaudes. Ainsi la chute violente, l’extirpation progressive des cités particulières causa l’écroulement de la civilisation antique. Cet édifice social était soutenu par les nationalités comme par autant de colonnes différentes de marbre ou de porphyre.
« Quand on eut détruit, aux applaudissements des sages du temps, chacune de ces colonnes vivantes, l’édifice tomba par terre et les sages de nos jours cherchent encore comment ont pu se faire en un moment de si grandes ruines ! »


Et alors, je le demande : qu’a-t-elle fait d’autre, l’Europe bourgeoise ? Elle a sapé les civilisations, détruit les patries, ruiné les nationalités, extirpé « la racine de diversité ». Plus de digue. Plus de boulevard. L’heure est arrivée du Barbare. Du Barbare moderne. L’heure américaine. Violence, démesure, gaspillage, mercantilisme, bluff, grégarisme, la bêtise, la vulgarité, le désordre.
En 1913, Page écrivait à Wilson :
« L’avenir du monde est à nous. Qu’allons-nous faire lorsque bientôt la domination du monde va tomber entre nos mains ? »


Et en 1914 :
« Que ferons-nous de cette Angleterre et de cet Empire, prochainement, quand les forces économiques auront mis entre nos mains la direction de la race ? »


Cet Empire… Et les autres…
Et de fait, ne voyez-vous pas avec quelle ostentation ces messieurs viennent de déployer l’étendard de l’anti-colonialisme ?
« Aide aux pays déshérités », dit Truman. « Le temps du vieux colonialisme est passé. » C’est encore du Truman.
Entendez que la grande finance américaine juge l’heure venue de rafler toutes les colonies du monde. Alors, chers amis, de ce côté-ci, attention !
Je sais que beaucoup d’entre vous, dégoûtés de l’Europe, de la grande dégueulasserie dont vous n’avez pas choisi d’être les témoins, se tournent — oh ! en petit nombre — vers l’Amérique, et s’accoutument à voir en elle une possible libératrice.
« L’aubaine ! » pensent-ils.
« Les bulldozers ! Les investissements massifs de capitaux ! Les routes ! Les ports !
— Mais le racisme américain !
— Peuh ! le racisme européen aux colonies nous a aguerris ! »
Et nous voilà prêts à courir le grand risque yankee.
Alors, encore une fois, attention !
L’américaine, la seule domination dont on ne réchappe pas. Je veux dire dont on ne réchappe pas tout à fait indemne.
Et puisque vous parlez d’usines et d’industries, ne voyez-vous pas, hystérique, en plein cœur de nos forêts ou de nos brousses, crachant ses escarbilles, la formidable usine, mais à larbins, la prodigieuse mécanisation, mais de l’homme, le gigantesque viol de ce que notre humanité de spoliés a su encore préserver d’intime, d’intact, de non souillé, la machine, oui, jamais vue, la machine, mais à écraser, à broyer, à abrutir les peuples ?
En sorte que le danger est immense…
[…]
_________________
"Le colonialisme et ses dérivés ne constituent pas à vrai dire les ennemis actuels de l'Afrique. À brève échéance ce continent sera libéré. Pour ma part plus je pénètre les cultures et les cercles politiques plus la certitude s'impose à moi que LE PLUS GRAND DANGER QUI MENACE L'AFRIQUE EST L'ABSENCE D'IDÉOLOGIE."
Cette Afrique à venir, Journal de bord de mission en Afrique occidentale, été 1960, Frantz Fanon, Pour la Révolution Africaine
2011, annee Frantz Fanon
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Chabine
Super Posteur


Inscrit le: 02 Mar 2005
Messages: 3040

MessagePosté le: Mer 16 Avr 2008 00:24    Sujet du message: Répondre en citant

Un volet trop méconnu de l'oeuvre d'Aimé Césaire (en dehors du Discours sur le colonialisme) : ses écrits politiques.

Eh oui, malgré ses erreurs et quelques errements (valables principalement pour la Martinique, pas au-delà), Césaire aura au moins eu le grand mérite de s'être impliqué. La meilleure façon de ne pas se planter étant de ne rien tenter, qui sommes-nous pour le juger ? Confused

Pour la petite histoire, c'est parce que le Parti Communiste Martiniquais, minoritaire avant guerre, est venu le chercher en 1946 que Césaire est entré en politique (et, secrètement, en acceptant d'être candidat à la mairie de F-de-F, il ne se doutait pas qu'il signait pour plus de 40 ans de vie politique). Le vent porteur d'après-guerre a rendu le PC majoritaire en France et écrasant en martinique (il a remporté la diputation dans la foulée de la mairie, avec Bissol, autre député du PCM). Le PCM est resté une force politique incontournable jusqu'à la fin des années 50. C'est dire si Césaire jouait donc gros en démissionnant en 1956. Mais n'écoutant que ses convictions, il l'a fait. Remettant son mandat en jeu dans la foulée, il a été réélu triomphalement juste après, à la tête du nouveau parti qu'il a fondé pour ce faire.

Juste pour replacer le contexte, bonne lecture Wink

NB : Il s'agit d'un EXTRAIT

http://forums.club-corsica.com/corse_69901_69875.html

lettre de démission à MAURICE THOREZ L'HOMME FORT EN FRANCE EN 1956.
La Hongrie à cette époque pliait sous le joug de l'armée sovietique.Rare était des HOMMES COMME ALBERT CAMUS ET LUI CAPABLES DE DIRE NON A LA DICTATURE .

Lettre à Maurice Thorez
AIMÉ CÉSAIRE, Député de la Martinique à MAURICE THOREZ Secrétaire Général du Parti Communiste Français


MAURICE THOREZ,

Il me serait facile d'articuler tant à l'égal du Parti Communiste Français qu'à l'égard du Communisme International tel qu'il est patronné par l'Union Soviétique, une longue liste de griefs ou de désaccords.
La moisson a été particulièrement riche ces derniers temps et les révélations de Khrouchtchev sur Staline sont telles qu'elles ont plongé, ou du moins, je l'espère, tous ceux qui ont, à quelque degré que ce soit, participé à l'action communiste dans un abîme de stupeur, de douleur et de honte.

Oui, ces morts, ces torturés, ces suppliciés, ni les réhabilitations posthumes, ni les funérailles nationales, ni les discours officiels ne prévaudront contre eux. Ils ne sont pas de ceux dont on conjure le spectre par quelque phrase mécanique.

Désormais leur visage apparaît en filigrane dans la pâte même du système, comme l'obsession de notre échec et de notre humiliation.

Et bien entendu, ce n'est pas l'attitude du Parti Communiste Français, telle qu'elle a été définie en son XIVe Congrès, attitude qui semble avant tout avoir été dictée par le dérisoire souci des dirigeants de ne pas perdre la face, qui aura permis de dissiper le malaise et obtenu que cesse de s'ulcérer et de saigner au plus vif de nos consciences une blessure.
Les faits sont là, massifs.


Je cite pêle-mêle: les précisions données par Khrouchtchev sur les méthodes de Staline; la vraie nature des rapports entre le pouvoir de l'Etat et la classe ouvrière dans trop de démocraties populaires, rapports qui nous font croire à l'existence dans ces pays d'un véritable capitalisme d'Etat exploitant la classe ouvrière de manière pas très différente de la manière dont on en use avec la classe ouvrière dans les pays capitalistes; la conception généralement admise dans les partis communistes de type stalinien des relations entre états et partis frères, témoin le tombereau d'injures déversées pendant cinq ans sur la Yougoslavie coupable d'avoir affirmé sa volonté d'indépendance; le manque de signes positifs indiquant la volonté du Parti Communiste Russe et de l'Etat soviétique d'accorder leur indépendance aux autres partis communistes et aux autres états socialistes; ou alors le manque de hâte des partis non russes et singulièrement du Parti Communiste Français à s'emparer de cette offre et à affirmer leur indépendance à l'égard de la Russie; tout cela nous autorise à dire que - exception faite pour la Yougoslavie - dans de nombreux pays d'Europe, et au nom du Socialisme, des bureaucraties coupées du peuple, des bureaucraties usurpatrices et dont il est maintenant prouvé qu'il n'y a rien à attendre, ont réussi la piteuse merveille de transformer en cauchemar ce que l'humanité a pendant longtemps caressé comme un rêve: le Socialisme.

Quant au Parti Communiste Français, on n'a pas pu ne pas être frappé par sa répugnance à s'engager dans les voies de la déstalinisation ; sa mauvaise volonté à condamner Staline et les méthodes qui l'ont conduit au crime; son inaltérable satisfaction de soi; son refus de renoncer pour sa part et en ce qui le concerne aux méthodes antidémocratiques chères à Staline ; bref par tout cela qui nous autorise à parler d'un stalinisme français qui a la vie plus dure que Staline lui,même et qui, on peut le conjecturer, aurait produit en France les mêmes catastrophiques effets qu'en Russie, si le hasard avait permis qu'en France il s'installât au pouvoir.

Ici comment taire notre déception?

Il est très vrai de dire qu'au lendemain du rapport Khrouchtchev nous avons tressailli d'espérance.

On attendait du Parti Communiste Français une autocritique probe; une désolidarisation d'avec le crime qui le disculpât ; pas un reniement, mais un nouveau et solennel départ; quelque chose comme le Parti Communiste fondé une seconde fois... Au lieu qu'au Havre, nous n'avons vu qu'entêtement dans l'erreur; persévérance dans le mensonge; absurde prétention de ne s'être jamais trompé; bref chez des pontifes plus que jamais pontifiant, une incapacité sénile à se déprendre de soi même pour se hausser au niveau de l'événement et toutes les ruses puériles d'un orgueil sacerdotal aux abois. Twisted Evil Laughing

Quoi ! Tous les partis communistes bougent. Italie. Pologne. Hongrie. Chine. Et le parti français, au milieu du tourbillon général, se contemple lui, même et se dit satisfait. Jamais je n'ai eu autant conscience d'un tel retard historique affligeant un grand peuple... Twisted Evil

Mais, quelque grave que soit ce grief - et à lui seul très suffisant car faillite d'un idéal et illustration pathétique de l'échec de toute une génération - je veux ajouter un certain nombre de considérations se rapportant à ma qualité d'homme de couleur.

Disons d'un mot: qu'à la lumière des événements (et réflexion faite sur les pratiques honteuses de l'antisémitisme qui ont eu cours et continuent encore semble-t-il à avoir cours dans des pays qui se réclament du socialisme), j'ai acquis la conviction que nos voies et celles du communisme tel qu'il est mis en pratique, ne se confondent pas purement et simplement; qu'elles ne peuvent pas se confondre purement et simplement.

Un fait à mes yeux capital est celui-ci : que nous, hommes de couleur, en ce moment précis de l'évolution historique, avons, dans notre conscience, pris possession de tout le champ de notre singularité et que nous sommes prêts à assumer sur tous les plans et dans tous les domaines les responsabilités qui découlent de cette prise de conscience.

Singularité de notre "situation dans le monde" qui ne se confond avec nulle autre.

Singularité de nos problèmes qui ne se ramènent à nul autre problème.

Singularité de notre histoire coupée de terribles avatars qui n'appartiennent qu'à elle.

Singularité de notre culture que nous voulons vivre de manière de plus en plus réelle
.

Qu'en résulte-t-il, sinon que nos voies vers l'avenir, je dis toutes nos voies, la voie politique comme la voie culturelle, ne sont pas toutes faites; qu'elles sont à découvrir, et que les soins de cette découverte ne regardent que nous ? C'est assez dire que nous sommes convaincus que nos questions, ou si l'on veut la question coloniale, ne peut pas être traitée comme une partie d'un ensemble plus important, une partie sur laquelle d'autres pourront transiger ou passer tel compromis qu'il leur semblera juste de passer eu égard à une situation générale qu'ils auront seuls à apprécier.

Ici il est clair que je fais allusion au vote du Parti Communiste Français sur l'Algérie, vote par lequel le parti accordait au gouvernement Guy Mollet Lacoste les pleins pouvoirs pour sa politique en Afrique du Nord - éventualité dont nous n'avons aucune garantie qu'elle ne puisse se renouveler. En tout cas, il est constant que notre lutte, la lutte des peuples coloniaux contre le colonialisme, la lutte des peuples de couleur contre le racisme est beaucoup plus complexe - que dis-je, d'une tout autre nature que la lutte de l'ouvrier français contre le capitalisme français et ne saurait en aucune manière, être considérée comme une partie, un fragment de cette lutte.

Je me suis souvent posé la question de savoir si dans des sociétés comme les nôtres, rurales comme elles sont, les sociétés de paysannerie, où la classe ouvrière est infime et où par contre, les classes moyennes ont une importance politique sans rapport avec leur importance numérique réelle, les conditions politiques et sociales permettaient dans le contexte actuel, une action efficace d'organisations communistes agissant isolément (à plus forte raison d'organisations communistes fédérées ou inféodées au parti communiste de la métropole) et si, au lieu de rejeter à priori et au nom d'une idéologie exclusive, des hommes pourtant honnêtes et foncièrement anticolonialistes, il n'y avait pas plutôt lieu de rechercher une forme d'organisation aussi large et souple que possible, une forme d'organisation susceptible de donner élan au plus grand nombre, plutôt qu'à caporaliser un petit nombre. Une forme d'organisation où les marxistes seraient non pas noyés, mais où ils joueraient leur rôle de levain, d'inspirateur, d'orienteur et non celui qu'à présent ils jouent objectivement, de diviseurs des forces populaires.

L'impasse où nous sommes aujourd'hui aux Antilles, malgré nos succès électoraux, me paraît trancher la question: j'opte pour le plus large contre le plus étroit ; pour le mouvement qui nous met au coude à coude avec les autres et contre celui qui nous laisse entre nous ; pour celui qui rassemble les énergies contre celui qui les divise en chapelles, en sectes, en églises ; pour celui qui libère l'énergie créatrice des masses contre celui qui la canalise et finalement la stérilise.

En Europe, l'unité des forces de gauche est à l'ordre du jour; les morceaux disjoints du mouvement progressiste tendent à se ressouder, et nul doute que ce mouvement d'unité deviendrait irrésistible si du côté des partis communistes staliniens, on se décidait à jeter par dessus bord tout l'impedimenta des préjugés, des habitudes et des méthodes hérités de Staline.

Nul doute que dans ce cas, toute raison, mieux, tout prétexte de bouder l'unité serait enlevé à ceux qui dans les autres partis de gauche ne veulent pas de l'unité, et que de ce fait les adversaires de l'unité se trouveraient isolés et réduits à l'impuissance.

Et alors, comment dans notre pays, où le plus souvent, la division est artificielle, venue du dehors, branchée qu'elle est sur les divisions européennes abusivement transplantées dans nos politiques locales, comment ne serions~nous pas décidés à sacrifier tout, je dis tout le secondaire, pour retrouver l'essentiel ; cette unité avec des frères, avec des camarades qui est le rempart de notre force et le gage de notre confiance en l'avenir.

D'ailleurs, ici, c'est la vie elle-même qui tranche. Voyez donc le grand souffle d'unité qui passe sur tous les pays noirs! Voyez comme, çà et là, se remaille le tissu rompu! C'est que l'expérience, une expérience durement acquise, nous a enseigné qu'il n'y a à notre disposition qu'une arme, une seule efficace, une seule non ébréchée: l'arme de l'unité, l'arme du rassemblement anticolonialiste de toutes les volontés, et que le temps de notre dispersion au gré du clivage des partis métropolitains est aussi le temps de notre faiblesse et de nos défaites.

Pour ma part, je crois que les peuples noirs sont riches d'énergie, de passion qu'il ne leur manque ni vigueur, ni imagination mais que ces forces ne peuvent que s'étioler dans des organisations qui ne leur sont pas propres, faites pour eux, faites par eux et adaptées à des fins qu'eux seuls peuvent déterminer.

Ce n'est pas volonté de se battre seul et dédain de toute alliance. C'est volonté de ne pas confondre alliance et subordination. Solidarité et démission. Or c'est là très exactement de quoi nous menacent quelques uns des défauts très apparents que nous constatons chez les membres du Parti Communiste Français: leur assimilationisme invétéré ; leur chauvinisme inconscient ; leur conviction passablement primaire - qu'ils partagent avec les bourgeois européens - de la supériorité omnilatérale de l'Occident ; leur croyance que l'évolution telle qu'elle s'est opérée en Europe est la seule possible ; la seule désirable ; qu'elle est celle par laquelle le monde entier devra passer ; pour tout dire, leur croyance rarement avouée, mais réelle, à la civilisation avec un grand C ; au progrès avec un grand P (témoin leur hostilité à ce qu'ils appellent avec dédain le "relativisme culturel", tous défauts qui bien entendu culminent dans la gent littéraire qui à propos de tout et de rien dogmatise au nom du parti).

Il faut dire en passant que les communistes français ont été à bonne école. Celle de Staline. Et Staline est bel et bien celui qui a ré introduit dans la pensée socialiste, la notion de peuples «avancés» et de peuples «attardés». Et s'il parle du devoir du peuple avancé (en l'espèce les Grands Russes) d'aider les peuples arriérés à rattraper leur retard, je ne sache pas que le paternalisme colonialiste proclame une autre prétention. Razz

Dans le cas de Staline et de ses sectateurs, ce n'est peut-être pas de paternalisme qu'il s'agit. Mais c'est à coup sûr de quelque chose qui lui ressemble à s'y méprendre.

Inventons le mot : c'est du «fraternalisme».

Car il s'agit bel et bien d'un frère, d'un grand frère qui, imbu de sa supériorité et sûr de son expérience, vous prend la main (d'une main hélas! parfois rude) pour vous conduire sur la route où il sait se trouver la Raison et le Progrès.

Or c'est très exactement ce dont nous ne voulons pas. Ce dont nous ne voulons plus.
Nous voulons que nos sociétés s'élèvent à un degré supérieur de développement, mais d' elles-mêmes, par croissance interne, par nécessité intérieure, par progrès organique, sans que rien d'extérieur vienne gauchir cette croissance, ou l'altérer ou la compromettre.
Dans ces conditions on comprend que nous ne puissions donner à personne délégation pour penser pour nous ; délégation pour chercher pour nous; que nous ne puissions désormais accepter que qui que ce soit, fût-ce le meilleur de nos amis, se porte fort pour nous. Si le but de toute politique progressiste est de rendre un jour leur liberté aux peuples colonisés, au moins faut-il que l'action quotidienne des partis progressistes n'entre pas en contradiction avec la fin recherchée et ne détruise pas tous les jours les bases mêmes, les bases organisationnelles comme les bases psychologiques de cette future liberté, lesquelles se ramènent à un seul postulat: le droit à l'initiative.

Je crois en avoir assez dit pour faire comprendre que ce n'est ni le marxisme ni le communisme que je renie, que c'est l'usage que certains ont fait du marxisme et du communisme que je réprouve. Que ce que je veux, c'est que marxisme et communisme soient mis au service des peuples noirs, et non les peuples noirs au service du marxisme et du communisme. Que la doctrine et le mouvement soient faits pour les hommes, non les hommes pour la doctrine ou pour le mouvement. Et bien entendu cela n'est pas valable pour les seuls communistes. Et si j'étais chrétien ou musulman, je dirais la même chose. Qu'aucune doctrine ne vaut que repensée par nous, que repensée pour nous, que convertie à nous. Cela a l'air d'aller de soi. Et pourtant dans les faits cela ne va pas de soi.

Et c'est ici une véritable révolution copernicienne qu'il faut imposer, tant est enracinée en Europe, et dans tous les partis, et dans tous les domaines, de l'extrême droite à l'extrême gauche, l'habitude de faire pour nous, l'habitude de disposer pour nous, l'habitude de penser pour nous, bref l'habitude de nous contester ce droit à l'initiative dont je parlais tout à l'heure et qui est, en définitive, le droit à la personnalité.

C'est sans doute là l'essentiel de l'affaire.

Il existe un communisme chinois. Sans très bien le connaître, j'ai à son égard un préjugé des plus favorables. Et j'attends de lui qu'il ne verse pas dans les monstrueuses erreurs qui ont défiguré le communisme européen. Mais il m'intéresserait aussi et plus encore, de voir éclore et s'épanouir la variété africaine du communisme. Il nous proposerait sans doute des variantes utiles, précieuses, originales et nos vieilles sagesses nuanceraient, j'en suis sûr, ou compléteraient bien des points de la doctrine.

Mais je dis qu'il n'y aura jamais de variante africaine, ou malgache, ou antillaise du communisme, parce que le communisme français trouve plus commode de nous imposer la sienne. Qu'il n'y aura jamais de communisme africain, malgache ou antillais, parce que le Parti Communiste Français pense ses devoirs envers les peuples coloniaux en termes de magistère à exercer, et que l'anticolonialisme même des communistes français porte encore les stigmates de ce colonialisme qu'il combat. Ou encore, ce qui revient au même, qu'il n'y aura pas de communisme propre à chacun des pays coloniaux qui dépendent de la France, tant que les bureaux de la rue Saint- Georges, les bureaux de la section coloniale du Parti Communiste Français, ce parfait pendant du Ministère de la rue Oudinot, persisteront à penser à nos pays comme à terres de missions ou pays sous mandat. Pour revenir à notre propos, l'époque que nous vivons est sous le signe d'un double échec: l'un évident, depuis longtemps, celui du capitalisme. Mais aussi l'autre, celui, effroyable, de ce que pendant trop longtemps nous avons pris pour du socialisme ce qui n'était que du stalinisme. Le résultat est qu'à l'heure actuelle le monde est dans l'impasse.

Cela ne peut signifier qu'une chose: non pas qu'il n'y a pas de route pour en sortir, mais que l'heure est venue d'abandonner toutes les vieilles routes. Celles qui ont mené à l'imposture, à la tyrannie, au crime.

C'est assez dire que pour notre part, nous ne voulons plus nous contenter d'assister à la politique des autres. Au piétinement des autres. Aux combinaisons des autres. Aux rafistolages de consciences ou a la casuistique des autres.

L'heure de nous mêmes a sonné.

Et ce que je viens de dire des nègres n'est pas valable que pour les nègres. Oui tout peut encore être sauvé, tout, même le pseudo socialisme installé çà et là en Europe par Staline, à condition que l'initiative soit rendue aux peuples qui jusqu'id n'ont fait que la subir ; à condition que le pouvoir descende et s'enracine dans le peuple, et je ne cache pas que la fermentation qui se produit à l'heure actuelle en Pologne, par exemple, me remplit de joie et d'espoir.

Ici que l'on me permette de penser plus particulièrement à mon malheureux pays: la Martinique.

J'y pense pour constater que le Parti Communiste Français est dans l'incapacité absolue de lui offrir une quelconque perspective qui soit autre chose qu'utopique; que le Parti Communiste Français ne s'est jamais soucié de lui en offrir; qu'il n'a jamais pensé à nous qu'en fonction d'une stratégie mondiale au demeurant déroutante.

J'y pense pour constater que le communisme a achevé de lui passer autour du cou le noeud coulant de l'assimilation Sad ; que le communisme a achevé de l'isoler dans le bassin caraïbe ; qu'il a achevé de le plonger dans une manière de ghetto insulaire; qu'il a achevé de le couper des autres pays antillais dont l'expérience pourrait lui être à la fois instructive et fructueuse (car ils ont les mêmes problèmes que nous et leur évolution démocratique est impétueuse) : que le communisme enfin, a achevé de nous couper de l'Afrique Noire dont l'évolution se dessine désormais à contre-sens de la nôtre. Et pourtant cette Afrique Noire, la mère de notre culture et de notre civilisation antillaise, c'est d'elle que j'attends la régénération des Antilles et pas de l'Europe qui ne peut que parfaire notre aliénation, mais de l'Afrique qui seule peut revitaliser, repersonnaliser les Antilles. Je sais bien. On nous offre en échange la solidarité avec le peuple français ; avec le prolétariat français, et à travers le communisme, avec les prolétariats mondiaux. Je ne nie pas ces réalités. Mais je ne veux pas ériger ces solidarités en métaphysique. Il n'y a pas d'alliés de droit divin. Il y a des alliés que nous impose le lieu, le moment et la nature des choses. Et si l'alliance avec le prolétariat français est exclusive, si elle tend à nous faire oublier ou contrarier d'autres alliances nécessaires et naturelles, légitimes et fécondantes, si le communisme saccage nos amitiés les plus vivifiantes, celle qui nous unit à l'Afrique, alors je dis que le communisme nous a rendu un bien mauvais service en nous faisant troquer la Fraternité vivante contre ce qui risque d'apparaître comme la plus froide des abstractions. Je préviens une objection. Provincialisme ? Non pas. Je ne m'enterre pas dans un particularisme étroit. Mais je ne veux pas non plus me perdre dans un universalisme décharné.

Il y a deux manières de se perdre : par ségrégation murée dans le particulier ou par dilution dans l' "universel".

Ma conception de l'universel est celle d'un universel riche de tout le particulier, riche de tous les particuliers, approfondissement et coexistence de tous les particuliers. Alors ? Alors il nous faudra avoir la patience de reprendre l'ouvrage, la force de refaire ce qui a été défait ; la force d'inventer au lieu de suivre ; la force « d'inventer » notre route et de la débarrasser des formes toutes faites, des formes pétrifiées qui l'obstruent. En bref, nous considérons désormais comme notre devoir de conjuguer nos efforts à ceux de tous les hommes épris de justice et de vérité pour bâtir des organisations susceptibles d'aider de manière probe et efficace les peuples noirs dans leur lutte pour aujourd'hui et pour demain : lutte pour la justice ; lutte pour la culture ; lutte pour la dignité et la liberté ; des organisations capables en un mot de les préparer dans tous les domaines à assumer de manière autonome les lourdes responsabilités que l'histoire en ce moment même fait peser si lourdement sur leurs épaules.

Dans ces conditions, je vous prie de recevoir ma démission de membre du Parti Communiste Français.

AIME CÉSAIRE.

Paris, le 24 octobre 1956
_________________
"Le colonialisme et ses dérivés ne constituent pas à vrai dire les ennemis actuels de l'Afrique. À brève échéance ce continent sera libéré. Pour ma part plus je pénètre les cultures et les cercles politiques plus la certitude s'impose à moi que LE PLUS GRAND DANGER QUI MENACE L'AFRIQUE EST L'ABSENCE D'IDÉOLOGIE."
Cette Afrique à venir, Journal de bord de mission en Afrique occidentale, été 1960, Frantz Fanon, Pour la Révolution Africaine
2011, annee Frantz Fanon
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Chabine
Super Posteur


Inscrit le: 02 Mar 2005
Messages: 3040

MessagePosté le: Lun 21 Avr 2008 23:35    Sujet du message: Répondre en citant

Toujours dans l'héritage méconnu de Césaire : ses discours politiques

Discours d’Aimé Césaire du 22 mai 1971
Place du 22 mai, Trénelle - Fort-de-France


Schoelcher Philanthrope français libérateur des noirs, j’imagine cette définition de quelque dictionnaire qui eut comblé d’aise gouvernement et préfet. Et en effet, cette phrase résume assez bien le Schoelcher du schoelchérisme officiel.

Car vous le savez depuis quelques temps et pour faire pièce aux partis de gauche qui avaient déterré Schœlcher du grenier poussiéreux où l’avaient relégué les principes de la 3è et 4è république, les officiels de la 5è république véritables imposteurs sont repartis à la conquête de Schoelcher et fêtent Schoelcher à leur manière c’est à dire sans le peuple bien sûr mais avec préfets, généraux et amiraux.

Eh bien ce Schœlcher ce n’est pas le nôtre et je dois à la vérité de dire qu’il n’a avec le vrai Schœlcher qu’un rapport très lointain.

Quant au vrai Schœlcher, si nous pouvions l’interroger aujourd’hui sur son vrai rôle dans l’histoire de l’abolition de l’esclavage, j’imagine bien sa réponse et que sans renier son action, sans taire les épisodes de son combat, il se fut bien gardé de passer sous silence le rôle de ces combattants de l’ombre et de la nuit que furent les nègres marrons et les insurgés nègres.

C’est Schoelcher lui même qui le note. Écoutons Schoelcher : « Il ne s’écoule jamais dix années sans que les noirs ne protestent par quelques violence contre l’état où on les maintient. Voyez à la Martinique seule et sans remonter plus haut que 1811.

En 1811 : révolte

En 1822 : révolte

En 1823 : révolte

En 1831 : révolte, la conjuration générale, elle éclate au cri de la liberté et la mort ! En trente ans quatre cinq insurrections de Nègres ! ».


Eh bien ces chiffres ne constituent pas une banale statistique de nature à satisfaire les esprits curieux d’histoire. Ils établissent au contraire un point capital à notre débat et illustre une vérité philosophique et sociologique fondamentale.

Cette vérité je pourrai en demander la formulation à Karl Marx ou à Lénine. Pour la circonstance j’aime mieux la demander à Victor Schoelcher. Écoutons donc Victor Schoelcher :

Depuis qu'il y a eu réunion d'hommes, les opprimés n'ont jamais rien obtenu des oppresseurs que par la force, et si chaque pas de la liberté est marqué de sang, c'est une nécessité qu'il faut reconnaître avec moi, mais dont on ne peut accuser que l'impuissance ou la méchanceté providentielle.

1848 n'a-t-elle pas constitué la divine surprise, la divine exception, à cette loi d'airain et de sang ? Et parler de 1848, n'est-ce pas précisément évoquer une époque particulièrement faste, où par un bonheur inouï, des hommes de conscience auraient, réveillant toute une Nation à la beauté des sentiments altruistes, obtenu d'elle l'abrogation d'un régime colonial inique.

Ce qui aurait dispensé notre peuple d'une action violente et épargné à la société martiniquaise un bain de sang ? Eh bien non ! Dans l'histoire coloniale il n’ y a place ni pour l'idylle ni pour la bucolique ni pour les nuits du 4 août, ni pour les vaines amourettes, et Schœlcher a raison de dire et de penser que, même dans le meilleur des cas, c'est encore et toujours la violence qui est l'accoucheuse de l'histoire. Et c'est pourquoi, malgré le décret du 4 Mars 1848, malgré le décret du 27 avril 1848, il fallait quand même qu'il y eut un 22 mai 1848.

On connaît Ces faits : En février 1848, une révolution éclate à Paris, qui renverse la monarchie de Louis-Philippe. Un gouvernement provisoire est formé dans lequel rentre Victor Schœlcher, et un des premiers actes du Gouvernement ainsi formé est de décider la constitution d'une commission ad hoc, pour préparer l'abolition de l'esclavage. Cela c'est le décret du 4 Mars 1848.La Commission se met au travail et le 27 avril, toujours à l'instigation de Schoelcher, obtient du Gouvernement qu'il publie un second décret: c'est le décret du 27 avril, lequel stipule en son article 1er:"l'esclavage sera entièrement aboli dans toutes les colonies et possessions françaises deux mois après la promulgation du présent décret dans chacune de d'elles". Alors me direz-vous, tout était joué. Eh bien non. tout n'était pas joué.

Encore deux mois à attendre. Que dis-je trois mois, peut-être quatre.Calculez bien : Ce temps que le décret arrive aux colonies et soit promulgué: il faut un mois; donc cela nous amène à la fin de mai ou à début juin. Deux mois après, cela nous amène au mois d'août.Et c'est bien ce que voulaient les planteurs. Ils s'en cachaient à peine : il y avait une récolte à enlever et il fallait obtenir de la main d'oeuvre servile un dernier service. Tel était le calcul. Schœlcher n'en fait pas mystère :« Tous les planteurs réunis à Paris, écrit-il, suppliaient la Commission de reculer au moins l'abolition définitive jusqu'au mois de juillet pour laisser, disaient-ils, à la récolte le temps de s'achever ».

Attendre juillet Attendre Août ?Et puis qui sait ? Qui sait si à la faveur des événements, on ne pourra revenir sur la mesure d'émancipation prise dans un moment d'euphorie ou d'affolement général?il faut croire que ce n'était pas mal raisonné puisque dès Mai 1848, la République passe à la réaction et vous connaissez les terribles massacres d'ouvriers qui furent perpétrés par le Général Cavaignac et qui firent des journées de juin 1848 à Paris, une manière de répétition générale des massacres de la semaine sanglante qui marquèrent la fin de la Commune de Paris quelque 23 ans plus tard.

Et alors il est permis de se demander, dans de telles circonstances, et clans une telle ambiance de réaction forcenée, que fut devenue la loi d'émancipation.

Pour ma part, j'ai de bonnes raisons de croire qu'elle aurait été tenue pour lettre morte, sinon purement et simplement abrogée.

Voilà qui suffit à Légitimer l'entrée en scène de nos ancêtres, une scène sur laquelle ils n'avaient pas été invités, en mai 1848.

Spontanéité des masses ? non pas. mais sûr instinct révolutionnaire. Quoi qu'il en soit, dès le décret du 27 avril, une pluie de conseils s'abat sur Ces malheureux, esclaves. Ils avaient attendu deux siècles. Et tous ces conseils rendaient le même son, répétait jusqu'à satiété le même leitmotiv : if faut attendre, il faut patienter. Patientez, leur avait dit le Ministre Arago Patientez, leur répétait Perrinon en termes, il faut bien le dire, assez niais : « Aux noirs nous recommandons la confiance dans les blancs. A ceux-ci la confiance dans les noirs ; à toutes les classes, la confiance dans le gouvernement. Patience, espérance, union, ordre et travail, c'est ce que je vous recommande »

Husson, Directeur de l’Intérieur à la Martinique "Vous avez bien appris la bonne nouvelle qui vient d'arriver de 'France, Elle est bien vraie. La liberté va venir. Ce sont de bons maîtres qui l'ont demandée pour vous. Mais il faut que la république ait le temps de faire la loi de liberté. Ainsi rien n'est changé jusqu'à présent. Vous demeurez esclaves jusqu'à la promulgation de la loi " Mes amis ayez confiance et patience".

Mais les nègres de la Martinique en décidèrent autrement. Ils avaient attendu deux siècles. Ils jurèrent de ne pas attendre une seconde dé plus. (... ) Le 22 Mai 1848 à Saint-Pierre la population esclave se soulève. (...) Le Gouverneur ROSTOLAND cette fois ci comprend et ce fut l'arrêté du 23 Mai 1848..

Le 22 mai 1848 à Saint-Pierre la population esclave se soulève, occupe la ville, incendie l'habitation des Abbayes, livre de sanglants combats au cours desquels 35 personnes trouvent la mort... Le Gouverneur Rostoland cette fois ci comprend et ce fut l'arrêté du 23 mai 1848: article 1er : L'esclavage est aboli à partir de ce jour à la Martinique.

Eh bien, martiniquais et Martiniquaises, voilà l'événement que nous célébrons aujourd'hui et que commémore la statue émouvante de René corail : une liberté non pas octroyée mais arrachée de haute Lutte ;

Une émancipation non pas concédée mais conquise, et qui enseigne à tous et d'abord aux martiniquais eux-mêmes, que s'il est vrai que la Martinique est une poussière, il y a cependant des poussières habitées par des hommes, qui méritent pleinement le nom d'hommeset cette assurance voyez-vous, est de celles qui nous autorisent à regarder le présent avec plus de fermeté et de toiser l'avenir avec plus d'insolence.


Regarder le présent avec plus de fermeté et toiser l'avenir avec plus d'insolence. Et maintenant regardez la statue de René Corail: c'est une femme, une négresse, peut-être la Martinique, qui, soutenant son enfant blessé d'une main, peut-être son enfant mort, brandit de l'autre main une arme, elle ne pleure pas, elle bat.

Regardez et souvenez-vous des autres statues de la liberté que vous avez vues et qui commémorent le même événement. rappelez-vous la statue de Schoelcher qui est devant le Palais justice de Fort-de-France : c'est une jeune fille dont les chaînes viennent de tomber et qui envoie un baiser de reconnaissance à son libérateur Victor Schoelcher Lequel d'une main l'enveloppe d'un grand geste paternel plein de bonté et l'autre lui montre le chemin.

L'oeuvre est assez belle. -Mais retenez l'inspiration : C'est l'oeuvre d'un blanc. Et puis il y a une autre statue: C'est un bronze d'assez belle facture appartient à la mairie de Fort-de-France. Elle représente un nègre tordu de douleur dont la (France, en un geste violent, vient de rompre les fers dont elle brandit victorieusement les morceaux. Oeuvre déclamatoire peut-être, mais qui n'est pas sans puissance. Mais ici encore : retenez l'inspiration. C'est l'oeuvre d'un blanc et qui à sa manière est à la gloire du blanc libérateur.

Et puis maintenant comparez la statue de René Corail, artiste martiniquais. Ici le nègre n'est plus l'objet, il est le sujet. Il ne reçoit plus la liberté Il la prend et on nous le montre la prenant. Une grande négresse , larme à la main, maniant son arme, comme ses ancêtres la sagaie. Eh bien cela, c'est la vision martiniquaise de la libération des nègres Et seul un Nègre pouvait l'avoir. Et c'est parce que René-Corail la rendue, cette vision, avec fougue et éclat que je salue en lui" un grand artiste nègre et un grand sculpteur antillais.

Martiniquais et Martiniquaises,nous n'avons guère à la municipalité de Fort-de-France, l'habitude des inaugurations. Eut-il fallu en faire, il aurait fallu les multiplier et c'eut été vous prendre beaucoup de votre temps et de votre attention. C'est pourquoi je profite de l'inauguration de la statue de René-Corail pour porter à votre connaissance, deux décisions de votre Conseil ,Municipal; deux décisions qui comme la foi le veut, prendront effet dans une quinzaine de jours. La première est de donner à la place sur laquelle nous sommes aujourd'hui, le nom de place du 22 mai.

La dernière est - et je vous demande d'y faire attention - de donner à la rue qui aboutit à cette place, en venant de Trénelle, le nom de Gérard Nouvet, Ce jeune lycéen, martyr qui est tombé sous les balles ou sous la grenade de la police lors du voyage de Messmer. Quel rapport me direz-vous, avec le 22 'Mai 1848 ? Quel rapport avec Victor Schoelcher?Eh bien je le dis tout net:Gérard Nouvet prend désormais place dans le long martyrologue de notre peuple, à côté des -Martiniquais et des -Martiniquaises tombés au cours des siècles, victimes du colonialisme et du sadisme policier. Et comme pour le venger, il y a toute une jeunesse, il y a pour accuser les bourreaux aujourd'hui comme hier, la voix de Victor Schoelcher. Écoutons le une fois de plus:"Envers les masses comme envers les individus, la meilleure voie pour gagner les coeurs est la persuasion. De la blessure d'une baïonnette gouvernementale jaillit une source de vengeance. Monte et malédiction à ceux qui l'oublient. " (Puisse Terrade entendre !(Puisse Terrade comprendre!)


Martiniquais et Martiniquaises :

Nous voilà donc devant cette statue de la liberté martiniquaise. Voyez où elle est placée : aux confluents de trois rues au bout de la rue Jean-Jacques Rousseau au bout du Boulevard Patrice Lumumba au bout de fa rue Gérard Nouvet Trois rues, trois symboles :

- Jean-Jacques Rousseau : Pensée révolutionnaire

- Patrice Lumumba . L'action révolutionnaire anticolonialiste

- Gérard Nouvet : La jeunesse martyre, victime des exactions colonialistes


Et c'est vrai toutes ces voies :la pensée honnête, donc révolutionnaire; L'action courageuse;Le martyr innocent résument toute fraîche innocence d'un peuple.

Tout cela mène à un même paie la liberté. La liberté martiniquaise. C'est donc en cette place, en ce point de convergence qu'il convient plus que jamais de crier, en ce 22 Mai 1971, avec toute notre foi et toute notre certitude : vive la Martinique !
_________________
"Le colonialisme et ses dérivés ne constituent pas à vrai dire les ennemis actuels de l'Afrique. À brève échéance ce continent sera libéré. Pour ma part plus je pénètre les cultures et les cercles politiques plus la certitude s'impose à moi que LE PLUS GRAND DANGER QUI MENACE L'AFRIQUE EST L'ABSENCE D'IDÉOLOGIE."
Cette Afrique à venir, Journal de bord de mission en Afrique occidentale, été 1960, Frantz Fanon, Pour la Révolution Africaine
2011, annee Frantz Fanon
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Chabine
Super Posteur


Inscrit le: 02 Mar 2005
Messages: 3040

MessagePosté le: Ven 25 Avr 2008 02:54    Sujet du message: Répondre en citant

Césaire Aimé continue de vivre dans notre coeur Smile

L'Histoire a parfois de ces ruses... Jamais je n'aurais cru inclure ici un lien renvoyant vers... le site officiel de l'Assemblée Nationale Laughing

La page qu'il consacre à Aimé Césaire est géniale, y'a des vidéos, une biographie fournie avec pas mal de renvois, et surtout des extraits de discours et des vidéos (début des années 80) qui nous permettent de revivre l'épopée du poète en action Smile

http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/aime-cesaire/index.asp

Enjoy Wink
_________________
"Le colonialisme et ses dérivés ne constituent pas à vrai dire les ennemis actuels de l'Afrique. À brève échéance ce continent sera libéré. Pour ma part plus je pénètre les cultures et les cercles politiques plus la certitude s'impose à moi que LE PLUS GRAND DANGER QUI MENACE L'AFRIQUE EST L'ABSENCE D'IDÉOLOGIE."
Cette Afrique à venir, Journal de bord de mission en Afrique occidentale, été 1960, Frantz Fanon, Pour la Révolution Africaine
2011, annee Frantz Fanon
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Chabine
Super Posteur


Inscrit le: 02 Mar 2005
Messages: 3040

MessagePosté le: Sam 26 Avr 2008 02:09    Sujet du message: Répondre en citant

Excellent article d'Edwy Plenel (on voit que son enfance martiniquaise n'a pas été entamée par son long passage au Monde Smile ) qui souligne de façon très percutante l'actualité de la pensée de Césaire. Je l'ai vu hier exposer ce point de vue, dans l'émission littéraire de Guillaume Durand, il a été flamboyant, vraiment Shocked Comment il a fait ? Facile : il n'a pas cherché à interpréter Césaire, à le décrypter, à en donner les clefs ; il a juste ouvert le Discours et l'a lu. Voilà Wink

Césaire est immortel Smile

http://www.lesoir.be/forum/chroniques/en-dehors-l-actualite-de-la-2008-04-25-594211.shtml

Edwy Plenel Journaliste
L’actualité de la question coloniale
vendredi 25 avril 2008, 10:43


La France fut un empire colonial. Comme l’Espagne, comme la Grande-Bretagne, comme le Portugal, voire même, moins longtemps et à plus petite échelle, comme la Belgique. Cet héritage du passé ne la distingue pas. Mais son présent la différencie radicalement.

La République française est la seule des vieilles puissances coloniales, des très vieilles même puisque les Français furent du très sélectif quatuor de tête pour la conquête coloniale comme pour la traite négrière – avec les Portugais, rapidement déchus, les Espagnols, trop vite repus, et les Britanniques, durables rivaux –, la République française donc est aujourd’hui la seule puissance, membre du Conseil de sécurité, à se prévaloir de territoires éparpillés sur tous les océans, en guise de buttes témoins de son aventure impériale.

De la Nouvelle-Calédonie à la Martinique, en passant par la Guyane ou la Réunion, la France a donc des départements et territoires d’outre-mer où flotte le drapeau tricolore doublé du drapeau européen. C’est un état de fait qu’ici, je ne juge pas, me contentant de le constater. Confused

En revanche, il est permis d’observer les contradictions nourries par cette condition d’un pays qui se doit d’inventer un nouveau rapport au monde, un monde d’interdépendance et de globalisation, et qui est en même temps toujours encombré par d’anciens imaginaires qui l’ont si longtemps habité – la « très grande France », celle-là même qui lui permit de sauver la face en 1944-45, puisque la moitié des Forces françaises libres venaient des colonies, de gré ou de force, et qui, c’est peu dire, ne furent aucunement remerciées en retour : les massacres de Sétif, en Algérie (1945), ou de Madagascar (1947) en témoignent amplement.

La France se distingue donc, en Europe à coup sûr, mais bien au-delà, par la persistance de son histoire coloniale. C’est à la fois sa chance et son drame. Sa chance car ce monde de métissages, d’influences mêlées, de diversités et de complexités, dont elle a la charge, devrait l’aider à penser une nouvelle relation au monde qui ne soit pas domination. Son drame parce que, justement, elle s’avère incapable de saisir cette chance, persistant à croire, de François Mitterrand (venu de la droite pour incarner la gauche) à Nicolas Sarkozy (ouvert à la gauche pour sauver la droite), qu’elle est, par essence, la nation de l’universel et de l’humanisme, autrement dit d’une évidente grandeur.

Le décès du grand homme que fut le Martiniquais Aimé Césaire, à la fois immense poète et avisé politique, a illustré de façon évidente cette pathologique contradiction française. Des obsèques nationales furent décrétées, et le président de la République Nicolas Sarkozy ne pouvait faire moins que de s’y rendre, tant le rayonnement de la France dans le monde, notamment anglo-saxon, passe aujourd’hui par ces littératures caraïbes qu’incarnent Césaire, mais aussi Frantz Fanon, Edouard Glissant ou Patrick Chamoiseau, pour s’en tenir à la succession des générations et aux passages de témoin, étant entendu qu’à mes yeux, Glissant reste le plus ample, le plus classique, le plus atemporel.

Mais Nicolas Sarkozy, qui aime profiter des moments d’émotion pour discourir en tirant la mémoire, le souvenir, voire le mort à soi, fut interdit de parole par la famille d’Aimé Césaire. Twisted Evil Et cet événement n’a pas suffisamment été commenté. Accepté certes par la Martinique, mais privé de discours par son peuple. Présent, mais au même titre que d’autres, un parmi bien d’autres, et surtout muet. Jamais silence ne fut plus bavard : tout ce qu’incarne, par-delà sa personne, Nicolas Sarkozy est aux antipodes de ce que nous lègue la vie d’Aimé Césaire.

Du bilan positif de la colonisation plaidé par la droite qu’il représente au désastreux discours néocolonial qu’il prononça à Dakar, en passant par l’invention funeste d’un ministère de l’Identité nationale ayant en charge l’immigration, on voit mal ce qu’aurait pu dire ce président-là devant la dépouille de l’auteur, alors communiste, du célèbre Discours sur le colonialisme. On imagine encore moins quel éloge Sarkozy aurait pu faire en 2008 du poète de la négritude – en sa version caribéenne indissociable de la traite esclavagiste –, après avoir affirmé en 2007, au Sénégal, que « le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire », au point de rester prisonnier d’un « imaginaire où (…) il n’y a de place ni pour l’aventure humaine, ni pour l’idée de progrès ».

Voici donc le paradoxe quelque peu schizophrénique de la France d’aujourd’hui, entre métropole et outre-mer : l’actualité du message d’Aimé Césaire est le démenti vivant de la politique présidentielle qui a prétendu le célébrer.

Car Césaire, c’est d’abord la révolte de l’universel contre l’Occident qui le trahit. Contre une Europe qui se trahit elle-même. Contre une civilisation qui se fait barbarie. Contre une culture qui se déshonore. Souvenons-nous de ce passage inoubliable du Cahier d’un retour au pays natal, première œuvre, datée de 1939, dans la certitude lucide de l’avènement de la catastrophe :

« Au bout du petit matin, le vent de jadis qui s’élève, des fidélités trahies, du devoir incertain qui se dérobe et cet autre petit matin d’Europe…

Partir.

Comme il y a des hommes-hyènes et des hommes-panthères, je serais un homme-juif

un homme-cafre

un homme-hindou-de-Calcutta

un homme-de-Harlem-qui-ne-vote-pas

l’homme-famine, l’homme-insulte, l’homme-torture on pouvait à n’importe quel moment le saisir le rouer de coups le tuer – parfaitement le tuer – sans avoir de compte à rendre à personne sans avoir d’excuse à présenter à personne

un homme-juif

un homme-pogrom… »


Lire Césaire aujourd’hui, c’est donc prendre la mesure de l’extrême actualité du refus du colonialisme, comme une boussole pour nos temps troublés et incertains. Qu’est-ce qui était en jeu alors et qui l’est encore, sinon l’humanisme, l’universalisme et le souci du monde ?

L’humanisme, à l’évidence, dans le combat contre la torture, symbole ultime de l’ordinaire des traitements inhumains et dégradants ; l’universalisme dans l’affirmation que « la » civilisation ne saurait revendiquer des certificats de naissance, mais doit toujours conquérir des diplômes de présence, à l’examen des peuples et de leurs droits ; le souci du monde, enfin, dans la compréhension que l’injustice et l’inégalité là-bas compromettent et corrompent la justice et l’égalité ici, avec l’intelligence prophétique de l’internationalisation et de l’interdépendance des défis nationaux.

« L’humanisme vrai – l’humanisme à la mesure du monde » : tel est le programme que revendique le Césaire du Discours sur le colonialisme, en 1950. « Où veux-je en venir ? demande-t-il. À cette idée : que nul ne colonise innocemment, que nul non plus ne colonise impunément ; qu’une nation qui colonise, qu’une civilisation qui justifie la colonisation – donc la force – est déjà une civilisation malade, une civilisation moralement atteinte, qui, irrésistiblement, de conséquence en conséquence, de reniement en reniement, appelle son Hitler, je veux dire son châtiment. Colonisation : tête de pont dans une civilisation de la barbarie d’où, à n’importe quel moment, peut déboucher la négation pure et simple de la civilisation. »

Difficile d’affadir ce grand mort. Pour ceux que ces mots d’hier choqueraient aujourd’hui, qu’ils n’oublient pas que l’œuvre maîtresse d’Hannah Arendt, Les Origines du totalitarisme, ne dit pas autre chose en faisant de l’impérialisme, peu ou prou colonial, un maillon essentiel de la chaîne fatale.

Et si, loin de paraître dérisoires, ils n’ont rien perdu de leur force, c’est bien parce qu’ils résonnent dans notre présent, de l’Irak à l’Afghanistan en passant par le Proche-Orient, avec, au cœur de cette nouvelle croisade civilisatrice, cette banalisation et cette officialisation nord-américaines de la torture qui dit, d’emblée, la perdition de cette aventure.
_________________
"Le colonialisme et ses dérivés ne constituent pas à vrai dire les ennemis actuels de l'Afrique. À brève échéance ce continent sera libéré. Pour ma part plus je pénètre les cultures et les cercles politiques plus la certitude s'impose à moi que LE PLUS GRAND DANGER QUI MENACE L'AFRIQUE EST L'ABSENCE D'IDÉOLOGIE."
Cette Afrique à venir, Journal de bord de mission en Afrique occidentale, été 1960, Frantz Fanon, Pour la Révolution Africaine
2011, annee Frantz Fanon
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
hormheb
Grioonaute 1


Inscrit le: 31 Déc 2005
Messages: 190

MessagePosté le: Sam 26 Avr 2008 05:12    Sujet du message: Répondre en citant

Chabine a écrit:
Excellent article d'Edwy Plenel (on voit que son enfance martiniquaise n'a pas été entamée par son long passage au Monde Smile ) qui souligne de façon très percutante l'actualité de la pensée de Césaire. Je l'ai vu hier exposer ce point de vue, dans l'émission littéraire de Guillaume Durand, il a été flamboyant, vraiment Shocked Comment il a fait ? Facile : il n'a pas cherché à interpréter Césaire, à le décrypter, à en donner les clefs ; il a juste ouvert le Discours et l'a lu. Voilà Wink



L'emission n'est plus en ligne sur France2. Et nulle part sur daily ou youtube.
Aurais-tu enregistre ? ou qqu'un peut-il ns le mettre sur un site ?
Tres utile pour ns autres de la diaspora outre altantique.

Merci
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé Envoyer un e-mail
melbamoor
Grioonaute 1


Inscrit le: 15 Sep 2005
Messages: 113

MessagePosté le: Sam 26 Avr 2008 10:10    Sujet du message: Répondre en citant

hormheb a écrit:
Chabine a écrit:
Excellent article d'Edwy Plenel (on voit que son enfance martiniquaise n'a pas été entamée par son long passage au Monde Smile ) qui souligne de façon très percutante l'actualité de la pensée de Césaire. Je l'ai vu hier exposer ce point de vue, dans l'émission littéraire de Guillaume Durand, il a été flamboyant, vraiment Shocked Comment il a fait ? Facile : il n'a pas cherché à interpréter Césaire, à le décrypter, à en donner les clefs ; il a juste ouvert le Discours et l'a lu. Voilà Wink



L'emission n'est plus en ligne sur France2. Et nulle part sur daily ou youtube.
Aurais-tu enregistre ? ou qqu'un peut-il ns le mettre sur un site ?
Tres utile pour ns autres de la diaspora outre altantique.

Merci




Ben je n'y comprends plus rien ce sont les nègres d'outre atlantique qui informe des programmes des chaines Hexagonales , j'y perds mon bambara


Laughing Laughing
Revenir en haut de page
Voir le profil de l'utilisateur Envoyer un message privé
Montrer les messages depuis:   
Poster un nouveau sujet   Répondre au sujet       grioo.com Index du Forum -> Littérature Négro-africaine Toutes les heures sont au format GMT + 1 Heure
Page 1 sur 1

 
Sauter vers:  
Vous ne pouvez pas poster de nouveaux sujets dans ce forum
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Vous ne pouvez pas éditer vos messages dans ce forum
Vous ne pouvez pas supprimer vos messages dans ce forum
Vous ne pouvez pas voter dans les sondages de ce forum



Powered by phpBB © 2001 phpBB Group