Posté le: Lun 25 Juil 2005 00:20 Sujet du message: Question sur Nations Nègres et Culture
J'ai commencé il y a qq temps à lire Nations Nègres et Culture, et je me suis arrêté dès la préface de l'édition 1954, ayant buté sur ceci (p.15)
Citation:
1. LES COSMOPOLITES-SCIENTISTES-MODERNISANTS -- Cette catégorie regroupe tous les Africains qui raisonnent de la manière suivante: fouiller dans les décombres du passé pour y retrouver une civilisation Africaine est une perte de temps devant l'urgence des problèmes de l'heure, et une attitude, pour le moins, périmée. Nous devons nous couper de tout de passé chaotique et barbare et rejoindre le monde moderne technique à la vitesse de l'électron. La planète va s'unifier: il faut se mettre à l'avant-garde du progrès. La science va bientôt résoudre tous ces grands problèmes et rendra caduques ces préoccupations locales et accessoires. On ne saurait avoir d'autres langues de culture que celles de l'Europe qui ont déjà fait leurs preuves: on entend, par là, qu'elles supportent la pensée scientifique moderne et qu'elles sont déjà universelles.
Ce groupe qui comprend des variantes est le plus intéressant à analyser parce qu'il contient les individus les plus atteints de l'aliénation culturelle.
Là je me suis arrêté et j'ai dit DIANTRE! Est-ce que c'est moi qui n'aurait pas assez de recul pour comprendre ce jeu de mots (qui m'a semblé être une amalgame) entre Science et Culture. Parce que à y regarder de près, on peut quand même faire les remarques suivantes:
1. Si on s'en tient à la portion de l'histoire qui détermine la situation de l'Afrique aujourd'hui, et dont, n'en déplaise à beaucoup, l'Egypte antique ne fait pas partie, la toute première victoire de la civilisation "blanche" sur la civlisation "noire" a d'abord été technologique. C'est eux qui sont arrivés chez nous (ils avaient maîtrisé la navigation marine), et ils étaient mieux armés. Aujourd'hui encore, leur domination culturelle puise sa source dans une domination technologique indiscutable. S'ils arrivent à nous dominer de la sorte, c'est parce qu'ils maîtrisent mieux les banques, la finance, l'automobile, l'aviation, la télévision, les télécoms, et j'en passe.
2. Contrairement à la culture qui est spécifique à une région, la science est universelle. Le principe scientifique s'applique exactement de la même manière quelque soit l'endroit du globe où on se trouve, et le fait qu'il ait d'abord été mis en évidence ou découvert à Bagnères de Bigorre ou à Tombouctou est d'une importance plus que négligeable. Alors comment comprendre ou expliquer que l'on traite de individus les plus atteints de l'aliénation culturelle des gens qui suggèrent que nous nous approprions cette science qui en fin de compte, n'appartient à personne. _________________ I long to accomplish great and noble tasks, but it is my chief duty to accomplish humble tasks as though they were great and noble.
The world is moved along, not only by the mighty shoves of its heroes, but also by the aggregate of the tiny pushes of each honest worker.
Posté le: Lun 25 Juil 2005 08:34 Sujet du message: Re: Question sur Nations Nègres et Culture
kamiche a écrit:
Là je me suis arrêté et j'ai dit DIANTRE! Est-ce que c'est moi qui n'aurait pas assez de recul pour comprendre ce jeu de mots (qui m'a semblé être une amalgame) entre Science et Culture. Parce que à y regarder de près, on peut quand même faire les remarques suivantes:
1. Si on s'en tient à la portion de l'histoire qui détermine la situation de l'Afrique aujourd'hui, et dont, n'en déplaise à beaucoup, l'Egypte antique ne fait pas partie, la toute première victoire de la civilisation "blanche" sur la civlisation "noire" a d'abord été technologique. C'est eux qui sont arrivés chez nous (ils avaient maîtrisé la navigation marine), et ils étaient mieux armés. Aujourd'hui encore, leur domination culturelle puise sa source dans une domination technologique indiscutable. S'ils arrivent à nous dominer de la sorte, c'est parce qu'ils maîtrisent mieux les banques, la finance, l'automobile, l'aviation, la télévision, les télécoms, et j'en passe.
Là, je suis à peu près encore OK avec toi. Par contre, quand tu parles de portion de l'histoire, je suppose que ça commence au XV è siècle pour finir au XX ème siècle ?
kamiche a écrit:
2. Contrairement à la culture qui est spécifique à une région, la science est universelle. Le principe scientifique s'applique exactement de la même manière quelque soit l'endroit du globe où on se trouve, et le fait qu'il ait d'abord été mis en évidence ou découvert à Bagnères de Bigorre ou à Tombouctou est d'une importance plus que négligeable. Alors comment comprendre ou expliquer que l'on traite de individus les plus atteints de l'aliénation culturelle des gens qui suggèrent que nous nous approprions cette science qui en fin de compte, n'appartient à personne.
Kamiche, ton questionnement est légitime, peut-être, mais quand tu fais un petit tour du parcours de CAD, tu verras qu'il mettait la science au centre du processus de reconstruction de l'Afrique noire, clairement.
Pour CAD, se restituer son histoire et sa culture ne nous épargne pas, et n'est pas un frein pour l'évolution technologique. Il est clairement possible de former un corps de science culturellement centré sur l'Afrique, en phase, avec les réalités locales et internationales en même temps.
Avec la question que tu te poses, on peut faire un paralelle suivant, en enlevant le mot "science". C'est un peu comme les gens qui disent :
- "On fait quoi avec le passé ? Pourquoi toujours pleurer que les blancs ont fait ci, ont fait ça ? Essayons d'avancer, les enfants meurent de faim en Afrique!"
Et toi de t'insurger qu'on les traite d'aliénés soit disant parce que ce sont des gens qui veulent "avancer" en résolvant les problèmes "concrets" de l'Afrique.
Ceux que CAD traitaient d'aliénés n'étaient ni ceux qui n'aimaient pas l'Afrique (ce que tu n'as pas dit), ni ceux qui n'avaient pas de semblant de solutions, mais réellement ceux qui, sous prétexte de trouver des solutions rapides, pensaient (et pensent) qu'on pouvait (et qu'on peut) se passer de notre patrimoine historique et culturel pour construire une Afrique solide.
En conclusion, Il fallait pour CAD, remettre la science au coeur de la culture. Science sans culture, n'est que ruine de l'âme, pourrait-on être tenté de dire.
Bien à toi,
Tchoko _________________ « En me renversant, on n'a abattu à Saint-Domingue que le tronc de l'arbre de la liberté, mais il repoussera car ses racines sont profondes et nombreuses. » (Toussaint Louverture)
Posté le: Lun 25 Juil 2005 08:40 Sujet du message:
Re-salut,
J'en profite pour te poster un texte de CAD, sur les perspectives de la science en Afrique, pour qu'on ne fasse pas d'amalgame sur son positionnement. Je précise que CAD était un pûr scientifique, avant d'être autre chose, ce qui lui a donné une relative avance par rapport aux autres historiens de son époque, Blancs comme Noirs.
PS: en passant, puisque tu es en train de lire NNC, tu remarqueras dans le deuxième partie, où il parle du développement des langues Africaines, dont "la nécessité apparaît dès qu'on se soucie de faire acquérir à l'Africain moyen une mentalité moderne (seule garantie d'adaptation au monde technique) sans être obligé de passer par une expression étrangère (ce qui serait illusoire)". Il montre par la suite qu'on pourrait traduire (p 415) pas mal de concepts mathématiques (la plupart des mots couramment utilisés) en Wolof, puis fait la même chose avec un résumé de Paul Langevitz sur le principe de la relativité de Einstein, et accessoirement, traduit aussi un extrait d'Horace de Corneille, et la Marseillaise, l'hymne français. Il ne devrait à priori, pas y avoir de rupture entre science et culture.
Citation:
PERSPECTIVES DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE EN AFRIQUE
Cheikh Anta DIOP
Ce texte est celui de la conférence d'ouverture de la 9e biennale de l'Association scientifique ouest-africaine (West African Science Association: WASA) tenue à la Faculté des Sciences de l'Université de Dakar du 27 mars au Ier avril I974. Le texte de cet exposé, dont le but était de soumettre à la réflexion des participants quelques thèmes qui semblent devoir retenir l'attention des chercheurs et des scientifiques africains.
NOTES AFRICAINES n°144, IFAN, DAKAR, 1974
[...]
La recherche est le démiurge qui remodèle sans cesse la face du monde. L'histoire des techniques montre qu'à chaque découverte d'une nouvelle source d'énergie correspond un bond prodigieux de la civilisation matérielle. Du moulin à eau de l'antiquité, à la future fusée photonique de demain, la physionomie du monde est en perpétuelle transformation. Chaque nouvelle théorie modifie notre vision de l'Univers; la mécanique classique avec NEWTON et LAPLACE aux XVIII et XIXe siècles, la relativité générale au début du xxe siècle avec EINSTEIN et la mécanique quantique, en plein développement depuis les travaux de Louis DE BROGLIE, HEISENBERG et SCHRODINGER, nous ont présenté successivement un univers aussi aberrant pour le sens commun que fascinant pour l'intellect.
La recherche est donc la source de renouvellement du monde au sens le plus général et le plus profond. Elle pourvoit en techniques nouvelles le champ de la pratique quotidienne. Elle augmente l'emprise de l'homme sur la nature et fait de lui un agent actif de transformation du monde.
Au surplus la recherche assure une fonction formatrice de cadres hautement qualifiés. Les traditions intellectuelles qu'elle crée dans les familles qui la pratiquent de père en fils, dans les pays développés, ont parfois donné l'illusion d'une pseudo-hérédité d'aptitudes intellectuelles particulières. C'est donc se méprendre grossièrement sur son importance et sur son rôle que de la considérer comme un luxe ou que de la traiter en pauvre de l'Enseignement Supérieur dont elle est, du reste, inséparable.
Mais si la recherche est le moteur du progres, elle n'en traverse pas moins, aujourd'hui, une crise sur l'aspect moral de laquelle je voudrais insister, produit de la civilisation occidentale fondée sur les assises morales de l'individualisme, la recherche en porte la marque: le chercheur occidental est avant tout l'homme qui veut s'immortaliser par son œuvre, perpétuer le souvenir de son nom dans la mémoire collective de sa Nation, sinon de l'humanité, et, de ce fait, il signe son œuvre d'une encre indélébile. Son attitude est à l'opposé de celle de l'artiste égyptien de l'antiquité à qui il était souvent formellement interdit de signer son œuvre: je fais allusion au cas de l'architecte du fameux temple de Der-El Bahri, tombeau de la reine Hatshepsout I483 av. J.-C. s'il n'avait pas eu l'idée de graver en cachette, pour la postérité, dans une niche, sa " carte d'identité " et son portrait au visage si typiquement africain, cette merveille architecturale serait restée anonyme aujourd'hui comme tant d'œuvres égyptiennes. Cela est une conséquence directe de la vie communautaire africaine.
La crise morale de la recherche se manifeste cruellement dans toutes les branches de l'activité scientifique où le travail en équipe s'impose, en physique expérimentale en particulier; je n'en veux pour illustration que la réalisation d'une expérience pour la mise en évidence d'une nouvelle particule élémentaire: six mois de préparation autour d'un accélérateur de particules, trois minutes d'expérience en tout et pour tout, une trajectoire fugitive sur une émulsion nucléaire, repérée par ordinateur parmi une centaine de milliers de clichés, une équipe de théoriciens et d'expérimentateurs pour interpréter l'événement, une demi-page de rédaction dans une revue scientifique spécialisée, vingt à cinquante signatures; autrement dit, l'anonymat quasi total; l'individu est noyé dans le groupe.
[...]
N'oublions pas que le savoir est la seule force et la seule richesse ici bas, et que pour parodier tout en la généralisant une remarque célèbre du professeur LICHNEROWICZ, on peut dire que chaque pays a le poids des cerveaux de ses chercheurs et cadres scientifiques.
L'Afrique doit opter pour une politique de développement scientifique et intellectuel et y mettre le prix; sa vulnérabilité excessive des cinq derniers siècles est la conséquence d'une déficience technique.
Le développement intellectuel est le moyen le plus sûr de faire cesser le chantage, les brimades, les humiliations. L'Afrique peut redevenir un centre d'initiatives et de décisions scientifiques au lieu de croire qu'elle est condamnée à rester l'appendice, le champ d'expansion économique des pays développés.
[...]
Je voudrais pour terminer rappeler que nous devons peut-être le salut du monde actuel à une équipe de chercheurs qui a su prendre ses responsabilités à un moment crucial de la dernière guerre. Il s'agit du groupe de savants émigrés aux U. S. A. qui, avec Albert EINSTEIN en tête, attirèrent l'attention du président ROOSEVELT sur l'importance de l'arme atomique. En effet, on sait aujourd'hui que HITLER ne bluffait pas. Le professeur Werner HEISENBERG a montré que si le a brûleur d'uranium " de l'équipe allemande n'avait pas divergé c'est parce que, forcée de travailler dans une grotte à cause des bombardements alliés, elle était obligée de réduire au minimum les dimensions de la pile et n'arrivait pas ainsi à atteindre la masse critique, surtout qu'à l'époque on n'utilisait que l'uranium naturel; les procédés d'enrichissement ne seront inventés qu'ultérieurement. L'Allemagne n'aurait pas fabriqué une bombe à uranium 235, mais la divergence d'un réacteur lui aurait ouvert la voie vers la bombe au plutonium 239.
Telles sont quelques-unes des questions qu'il m'a paru important de soulever dans la conjoncture actuelle afin que la 9e biennale puisse en tenir compte dans la définition d'un nouveau modèle de politique scientifique en Afrique de l'Ouest ".
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Posté le: Mar 26 Juil 2005 20:01 Sujet du message: Re: Question sur Nations Nègres et Culture
Salut Kamiche!
Je crois qu’il faut contextualiser ces propos. Diop parle d’alienation et de l’importance de l’histoire, en categorisant l’attitude des intellectuels africains qui pensent que les africains devraient faire table rase du passe et se lancer a fond dans le modernisme. Lui-meme n’est pas contre le modernisme ou le developpement, sauf qu’il demande aux africains de s’appuyer sur leur matrice culturelle et de puiser dans leur histoire comme tout peuple souverain. Ils ne comprennent pas l’enjeu que represente l’histoire d’un peuple.
Il dit d’ailleurs plus haut:
Citation:
L’usage de l’alienation culturelle comme arme de domination est vieux comme le monde; chaque fois qu’un peuple qu’un peuple en a conquis un autre, il l’a utilisee. Il est edifiant de souligner que ce sont les descendants des Gaulois contre qui Cesar s’etait servi de cette arme qui, aujourd’hui, l’emploient contre nous.
« A la valeur singuliere de nos troupes, les Gaulois opposaient des inventions de toute espece; car ils sont tres industrieux et tres adroits a imiter et a reproduire tout ce qu’on leur montre »
(Cesar, La Guerre des Gaules, Livre III, paragraphe 22.)
Devant cette attitude generalisee des conquerants, une reaction naturelle d’autodefense etait a prevoir au sein du peuple africain, reaction tendant , evidemment, a enrayer le mal quotidien que nous font ces armes culturelles redoutables au service de l’occupant. Il n’y avait pas deux manieres de s’y prendre: compte tenu de ce qui precede, ces theories sont, a priori, fausses, parcequ’elles ne cherchent pas a atteindre la verite. Si quelqu’une d’entre elles se souciait de le faire, une educatioin occidentale faussee depuis des generations la priverait de la force necessaire pour y parvenir.
Il devient donc indispensable que des africains se penchent sur leur propre histoire et leur civilisation et etudient celles-ci pour mieux se connaître: arriver ainsi, par la veritable connaissance de leur passe, a rendre perimees, grotesques et desormais inoffensives ces armes culturelles.
C’est comme ca que j’ai compris le propos Kamiche, et contraieremet aux bountys dont on parle incessament sur ce forum, et qui n’ont intellectuellement aucune influence sur les esprits, ces intellectuels, sont ceux dont il faut se mefier le plus.
PS: il ya eu ce sujet: www.grioo.com/forum/viewtopic.php?t=1468 je crois que dans son ensemble il repond mieux a ton interrogation.
Tu peux aussi jeter un coup d’œil sur la preface de "Civilisation ou Barbarie" que j'avais postee.
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