Rocs Bon posteur

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Posté le: Mar 28 Juin 2005 08:08 Sujet du message: Les Français d'Abidjan attendent des jours meilleurs |
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Dans la capitale ivoirienne, la «Sorbonne» est toujours là. Implantée dans le quartier des affaires du Plateau, cette espèce d'université en plein air est, depuis la guerre, l'un des lieux de rassemblement favori des «patriotes», les partisans du président Laurent Gbagbo. On y vient à l'heure du déjeuner pour écouter des étudiants commenter l'actualité à leur façon. Les «Jimmy Swaggart» ivoiriens déclinent en hurlant dans le micro leurs thèmes favoris: les étrangers, la guerre, les élections et bien sûr... les Français, que l'on ne voit plus beaucoup dans les rues d'Abidjan. Depuis le rapatriement massif de novembre dernier, la communauté française se fait toute petite.
Ce jour-là, c'est Richard Dacoury, père fondateur de ce lieu mythique, qui monte sur l'estrade de fortune. «Vous savez que le cacao ivoirien crée des milliers d'emplois en France. Il y a des centaines d'entreprises de transformation du cacao en France! C'est donc l'argent du cacao qui renfloue les caisses de l'Etat français», affirme l'orateur. Les chiffres se succèdent, le ton monte et la conclusion ne tarde pas: «Malgré ça, nous sommes très généreux. Nous sommes très hospitaliers. On est prêt à en donner un peu à la France. Mais s'ils veulent manger un peu, nous, on veut manger beaucoup!» Richard Dacoury s'adresse ensuite à un jeune enfant. «Petit, qui attaque aujourd'hui la Côte d'Ivoire?
– C'est la France», répond le gamin.
A la Sorbonne, il n'y a jamais de Français parmi les centaines d'auditeurs. Comme le souligne Dacoury en souriant: «C'est là qu'on attend les Blancs pour les manger avec une bonne petite sauce...» Les Blancs, de toutes façons, ne traînent plus trop dans les rues de cette mégalopole de cinq millions d'habitants. Tout ce qui abrite les intérêts français est soigneusement barricadé. Même les Galeries Peyrissac ont préféré murer les vitrines. Ce magasin, qui appartient à des Marocains, ressemble trop à «un magasin de Français»...
Onze mille Français sont encore immatriculés au consulat d'Abidjan. La plupart sont des binationaux. On estime en fait à 3000 le nombre de «franco-français» résidant encore en Côte d'Ivoire, dont 700 environ hors Abidjan. «La communauté est très difficile à quantifier. Beaucoup de personnes font des va-et-vient. Je pense qu'en juillet, on y verra un peu plus clair. Mais on s'attend à de nouveaux départs. Il y a trop d'incertitudes concernant les écoles», explique Catherine Rechenmann, la représentante des Français de l'étranger à Abidjan.
Les premiers à revenir à Abidjan après les évacuations de novembre dernier ont été les cadres des grands groupes. Si certains secteurs ont été laminés, la Côte d'Ivoire dite «utile» continue à fonctionner. Les autorités ivoiriennes affichent même cette année une croissance positive de près de 1,5 %. A la CFAO, un groupe qui assure la vente de véhicules et la distribution des médicaments de part et d'autre de la ligne de front, le tiers des expatriés évacués à l'automne est revenu. Même si le chiffre d'affaires a baissé de 35 % depuis les événements, il reste toujours une activité économique suffisante pour que le groupe y trouve son intérêt.
«Nous allons évidemment nous adapter à l'économie. Certes, on est en train de réduire la voilure, comme on dit, mais rien ne justifie aujourd'hui de quitter la Côte d'Ivoire», précise Claude Sartini. Le directeur général de la CFAO envisage de mettre tout le monde «à l'abri, dans les pays avoisinants» si les élections du 30 octobre ont réellement lieu. Mais il est confiant sur le long terme. «Les relations ont changé. Ce n'est plus l'Afrique d'autrefois. Mais c'est ce changement qu'il nous faut prendre en compte», explique-t-il.
La situation varie évidemment selon la taille des entreprises. Les grands perdants de la crise ivoirienne sont les PME. Martine Ducoulombiers dirige par exemple une société de production audiovisuelle à Abidjan. Elle travaille quatre fois moins que l'année dernière. Dans les sociétés ivoiriennes, les budgets publicité ont fait les frais de la guerre. Mais elle refuse toujours de quitter le navire. «Je fais le gros dos, j'essaie de tenir le plus longtemps possible. Pourquoi? Et bien tout simplement parce que j'aime ce pays. Cela fait 40 ans que j'y vis. Je ne peux pas imaginer qu'on ne puisse surmonter cette épreuve.
Peut-être que c'est irréaliste, surréaliste, mais c'est ce que je crois et c'est ce que j'espère», explique-t-elle.
Pour la chambre de commerce franco-ivoirienne, les entreprises françaises encore présentes en Côte d'Ivoire sont des investisseurs incontournables. Claude Rougeot, son secrétaire général, ne veut pas s'avouer vaincu: «Les chiffres sont frappants. La masse fiscale de la communauté française des affaires représente plus de 50 % de ce qui est collecté en Côte d'Ivoire, 35 à 40 % en terme de valeur ajoutée et 25 à 30 % en terme d'investissement.»
Reste que l'ambiance n'est plus la même. «C'est pas le Club Med tous les jours. La population a changé», souligne un père de famille d'une cinquantaine d'années qui a bien du mal à gérer l'éloignement avec sa femme et ses enfants, restés en France. Les boîtes de nuit de Treichville sont pleines de ces hommes célibataires, divorcés ou sans charges familiales. Mais la musique «patriote» et sa propagande ont remplacé les rythmes «collé-serré» de jadis: «Rendez-nous notre liberté. L'Afrique veut sa souveraineté.»
A la Sorbonne, le verbe est devenu une thérapie. Perché sur son estrade, Richard Dacoury continue son monologue. «Je me souviens de cette Française qui est partie en hurlant: «Jamais plus je ne remettrai les pieds en Côte d'Ivoire!» Vous savez, on l'a vue l'autre jour dans les rues d'Abidjan. Elle n'a sans doute pas beaucoup aimé le RMI! Alors à son retour, je lui ai dit: «Et bien, Madame, finalement, c'est l'enfer ou le paradis notre beau pays?»
http://www.lefigaro.fr/international/20050627.FIG0494.html?070631 |
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