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La femme dans la littérature africaine
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Diali
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MessagePosté le: Sam 05 Nov 2005 08:38    Sujet du message: Répondre en citant

Abdoulaye Sadji est né en 1910 à Rufisque, région du Cap Vert au Sénégal. Il a fait une partie de ses études à St-Louis. Il était instituteur. Il est mort en 1961. Il a écrit "Nini" en 1954.

Son regard sur les mulâtresses, et notamment sur son personnage Nini, est permanent dans le livre. Il est continuellement présent, à la fois moqueur, irrité, peiné. Il analyse, tel un psychiatre, le cas de Nini, emblématique des vestiges d'une société : l'adoration du blanc qu'on "singe", le mépris du noir qu'on rejette, le déni de sa part noire, la déchirure entre les deux, les contradictions, le gâchis d'une vie.

Cette thématique du rejet de son propre sang noir a été traitée par d'autres auteurs. Notamment Myriam Warner Vieyra, originaire des Antilles et mariée au cinéaste sénégalais Paulin Vierya, racontera dans "le quimboiseur l'avait dit" qui porte sur l'assimilation et l'acculturation, le rejet d'une jeune fille noire par sa propre mère métisse (mariée à un noir plus foncé qu'elle), juste parce qu'elle est trop noire.

A travers l'analyse des personnages et le résumé du livre de Sadji, je travaillerai donc particulièrement sur cette problématique autour de laquelle a été composée "Nini", raison pour laquelle Fanon l'a cité en référence dans son essai "Peau noire, Masques blancs".
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Diali
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MessagePosté le: Mar 08 Nov 2005 20:51    Sujet du message: Répondre en citant

Je commence donc par brosser le personnage de Nini la mulâtresse, Virginie Maerle. Sa personnalité est surtout analysée à travers le noir et le blanc, le regard de Nini sur eux et les conséquences sur son caractère et le sens de sa vie (le livre aurait pu s'appeler "le noir et le blanc") !

Nini a tout juste 22 ans, elle est dactylo dans une boîte liée par contrat à l'administration "les entreprises fluviales", c'est dans ce lieu de travail qu'elle rencontrera son dernier ami français en date (puisqu'elle les collectionne depuis l'âge de 15 ans), Martineau.

Elle a le teint presque blanc, elle est blonde aux yeux bleus (je reviendrai sur son portrait physique avec des extraits du texte), elle se considère comme blanche, refuse de parler le wolof ("parle-moi français, je ne cause pas ta langue" répliquera-t-elle !), porte des décolletés en hiver parce qu'elle vient d'un "race nordique" et ne craint pas le petit vent d'hiver de St-Louis, elle se met de la poudre pour blanchir, elle perçoit comme un affront toute déclaration d'amour de la part d'un noir (un noir n'a pas à l'admirer et encore moins à la connaître), de façon général, tout ce qui vient d'un noir (offre de travail "je ne peux pas accepter de devoir ma situation à un noir").

Si Nini est une caricature de la blanche, puisqu'elle fait tout en excès ("elle singe la blanche" : elle parle énormément pour ne pas ressembler "à ces négresses timides dont la compagnie est ennuyeuse", elle ne cuisine pas, elle se vêtit comme une blanche...), elle est surtout un être malade : elle vit en dehors de son pays, dans l'obsession tant du noir qu'elle rejette que du blanc qu'elle idolâtre. Elle va jusqu'à mépriser tout négrophile malgré sa blancheur, qui se trompe forcément sur les noirs et dont l'intérêt envers ces derniers est forcément tronqué. Elle exècre la mixité : les blancs avec les blancs, les noirs avec les noirs, car elle oublie qu'elle est mulâtresse et pourtant, chaque conversation dévoile ses contradictions et surtout sa part noire qu'elle rejette.

C'est un être en souffrance que nous décrit Sadji parce que malgré sa beauté, Nini est toujours dans la demande. C'est un être condamné par la situation dont elle a héritée ("sa situation équivoque entre deux races qui l'ont engendrée et qui paraissent toutes deux la renier"), sa vie est une compétition malsaine avec les autres mulâtresses de st-Louis (même avec son "amie" Madou et, avec les deux femmes avec qui elle vit, grand-mère Hélène et tante Hortense, avec qui elle rivalise), elle vit tour à tour dans l'illusion et dans la désillusion.

Ses deux parentes ont, quant à elles, gardé quelques liens avec leur culture noire. Grand-mère Hélène fera appel à un marabout pour que Martineau se marie avec sa petite fille (Nini suivra les conseils du marabout à vrai dire). Tante Hortense dira à Nini qu'elle est une "denaturée, une ingrate, une perverse".

Avec Martineau, Nini perdra une nouvelle fois, mais elle trouvera finalement la force d'aller vers ce dont elle a toujours rêvé finalement à travers tous les hommes qu'elle a conquis : la France.

Sadji est à la fois ironique, triste, amer dans sa description du personnage mais il analyse toujours avec un regard critique bien argumenté.


Dernière édition par Diali le Mer 09 Nov 2005 08:25; édité 1 fois
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Diali
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MessagePosté le: Mar 08 Nov 2005 20:56    Sujet du message: Répondre en citant

"Il est vrai que Nini est "café au lait" presque blanche, un "café au lait" dans lequel le café a été nettement absorbé, assimilé par le lait. Un miracle de la nature a voulu qu'elle soit blonde avec des yeux bleus, signe évident de son appartenance à la race "supérieure" des nordiques. Elle aime à le dire à qui veut l'entendre : ses yeux et son nom de famille la placent quelque part sur la carte du monde, quelque part qui est plus près du pôle que de l'équateur.
Pourtant trois choses la rattachent malgré elle à ce sol d'Afrique qu'elle renie de toutes ses forces : d'abord son petit nez écrasé aux narines largement ouvertes ; ensuite, ses lèvres fortes et gourmandes ; enfin cette démarche féline qu'elle tâche de corriger dans un perpétuel raidissement."
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Mainty
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MessagePosté le: Jeu 10 Nov 2005 16:56    Sujet du message: Répondre en citant

intérressant ! bravo Diali Very Happy
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Diali
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MessagePosté le: Jeu 10 Nov 2005 19:57    Sujet du message: Répondre en citant

Mainty a écrit:
intérressant ! bravo Diali Very Happy


merci Mainty, c'est gentil Embarassed
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Diali
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MessagePosté le: Jeu 10 Nov 2005 20:32    Sujet du message: Répondre en citant

Avant de reprendre le portrait de Nini, notamment par quelques passages succulents pour la démonstration d'Abdoulaye Sadi, je propose un extrait du livre dans lequel l'auteur explique la situation des mulâtresses à St-Louis, leurs typologies en fonction de leur blancheur.

Ce passage est particulièrement intéressant car il pose le sujet, la problématique du livre. Il explique la cause du problème identitaire de Nini, son comportement et ses réactions contradictoires, ce décalage entre ce monde finalement recomposé de toutes pièces à partir des réminiscences du passé et le présent, monde réel que finalement Nini rejette, ce qui rend la situation encore plus pitoyable. Cette attitude de rejet est liée à l'éducation et aux attentes finalement de la famille qui est de maintenir ce système. La réussite pour la plupart des mulâtresses et leur famille, car on verra que certaines préfèreront le mode de vie africain, passe par le mariage avec un blanc.
On notera bien que Abdoulaye Sadji se concentre sur les mulâtresses et non les mulâtres.

Cet extrait est tiré du début du livre. Je mettrai en gras les termes qui me semblent importants et qui renvoient à des thématiques traitées sur grioo.

"Saint-Louis est la capitale des mulâtresses, leur univers fermé d'où elles entrevoient la belle et douce France. La belle et douce France, objets de soupirs énamourés, patrie perdue.
A Saint-Louis, l'élément mulâtre se distingue nettement de l'élément noir. On dirait les immigrants d'une race d'aristocrates déchus vivant dans un perpétuel effort pour en imposer à leur entourage, les nègres.
Entre mulâtres même il y a des cloisonnements étanches. Ils se distinguent entre eux non seulement par des titres de noblesse authentique ou fausse mais encore et surtout par la teinte de leur peau et par le nom de famille devenu célèbre grâce à l'aïeul blanc qui a été magistrat, officier ou grand négociant.
Mais la volonté de ségrégation la plus nette se remarque chez les mulâtresses qui se divisent en trois grandes classes.
Il y a les mulâtresses de première classe qui sont presque blanches et refusent d'être prises pour des métisses. Leur plus grand souci, leur raison d'être est de ressembler aux "Toubabbou-Getch" (blanc de France) (....).
Les mulâtresses de seconde classe sont plus basanées mais non moins prétentieuses que les premières. Elles sentent que celles-ci ont vis-à-vis d'elles un certain complexe de supériorité que ne justifie bien souvent qu'une légère nuance dans la couleur comparée de leur épiderme. Aussi nourrissent-elles à l'égard des mûlatresses de première classe un ressentiment très fort qui n'attend qu'une occasion pour se traduire en actes.
(...).
Les mulâtresses de troisième classe occupent le dernier échelon de cette hiérarchie. La position sociale de leurs parents et la teinte foncée de leur peau sont incompatibles avec la vie entièrement à l'européenne. Aussi vivent-elles entre les deux milieux et les deux conceptions qui marquent le clan blanc et le clan noir.
En marge de ces trois catégories, il faut placer certaines mulâtresses échappées du troupeau, qui ont fait piquer au noir leur lèvre inférieure, tout comme les négresses noires, tresser leurs cheveux à l'indigène, et qui mordent avec dignité, en pleine rue, l'habituel "sotiou", morceau de bois tendre qui rend les dents éclatantes de blancheur.
(...)
Le sort des mulâtresses de première et de seconde classe est digne d'attirer le psychiatre. Elles ont grandi dans l'idée qu'autrefois tous les noirs de Saint-Louis étaient leurs esclaves, que malgré la pseudo-abolition de l'esclavage et les efforts de la démocratie qui voudrait l'égalité des races et des classes, il est impossible qu'elles condescendent à considérer les noirs comme des égaux. Les vieilles grands-mères et les vieilles tantes qui représentent l'ordre ancien montent la garde. Conservatrices farouches en matière religieuse ou sociale, elles tiennent à conduire à bon port leurs petites filles, les Nini, les Madou et les Nénettes.
Aussi les mulâtresses de Saint-Louis ont-elles l'air de détonner dans un milieu où Blancs et Noirs authentiques vivent normalement, sans heurt et sans bruit, chacun dans le cadre qui répond à ses moeurs. (...)".
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Diali
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MessagePosté le: Jeu 10 Nov 2005 21:08    Sujet du message: Répondre en citant

Quelques "perles" de Nini :

- Nini et le wolof
"Nini écrit une note de cinq lignes qu'elle remet au planton. Mais avant de partir, Mamadou, pour créer un incident, demande des précisions en wolof :
- Faut-il attendre la réponse ?
- Ecoute Mamadou, s'emporte Nini, parle-moi français s'il te plaït, je ne cause pas ta langue.
L'autre part d'un grand fou rire (...).
- Ils sont insolents ces indigènes, dit Nini à ses deux camarades blancs qu'elle voudrait prendre à témoin.
Mais ils demeurent silencieux, la tête plongée sans leurs papiers."

- Nini et la déclaration amoureuse d'un noir
"Toi alors, dit Madou, tu as fait une conquête rare.
- Oui, il faut l'avouer : un nègre... C'est tout ce qui me manquait à mon "répertoire".
(...)
Ce nègre est un imbécile, un malappris qui a besoin d'une leçon. Et je la lui donnerai, cette leçon ; je lui ferai comprendre que les "peaux blanches" ne sont pas pour les "bougnouls"".

- Nini et les plages de France
"(...) plage de Nice où le monde entier envoie la pléiade de ses hommes riches et de ses bons vivants ; celles de Monte-Carlo où les multimillionnaires américains viennent dilapider des fortunes inouïes. Tantôt elles poétisent sur les tempêtes farouches des côtes de Bretagne ou sur le bleu idéal de la mer le long de la Côte d'Azur. Et cela finit toujours par des plaintes et des malédictions contre ce destin inexorable qui les cloue sur la terre d'Afrique, où l'on ne vit pas "sa vraie vie", où les plages sont si petites et si pauvres en distractions et en majesté".

- Nini et la mixité
"- Au fait, que pensez-vous de ces unions mixtes ?
- Je trouve qu'elles sont stupides, écoeurantes même.
- Vraiment ?
- Oui, stupides et écoeurantes ! Et je ne vous le cache pas : chaque fois qu'il m'a été donné de rencontrer un couple de Noir et de Blanche, mon sang n'a fait qu'un tour.
(...) Moi, je suis logique : les Blancs avec les Blanches, les nègres avec les négresses"

- Nini et les "enfants de maison"
"Je croyais que l'esclavage était aboli, même en Afrique, dit Perrin.
- Officiellement, c'est-à-dire sur le papier, peut-être.., dit Nini. En tous cas, nous avons toujours nos esclaves de case qui s'estiment heureux d'être sous notre protection. Pourquoi voulez-vous absoulement mettre par terre un système vieux comme le monde ? Pensez-vous arriver à faire de ces gens-là des gens comme nous, capable de s'élever à notre niveau de civilisation, débarassés de leur complexe d'infériorité à notre égard ? Je trouve, moi, que c'est une vaste utopie."

- Nini et sa cousine noire
"Mademoiselle Nini, je m'excuse mais j'aimerais avoir cent esclaves comme cette Fatou. Je pourrais alors passer pour le plus grand "habitant", le plus illustre des pachas d'Afrique.
- Cela ne tient qu'à vous, vous savez répond Nini. Des négresses comme cette Fatou il y en a tellement dans Saint-Louis. Vous n'aurez que l'embarras du choix".

- Nini et l'appui d'un noir
"- Un Africain ? s'écrie Nini au comble de l'indignation.
- Mais mademoiselle, ressaississez-vous. D'où vient votre étonnement ? Craignez-vous que quelque chose de fâcheux vous arrive à la suite d'une telle intervention ?
- Monsieur le Directeur, lance Nini au petit vieux apeuré, je ne peux pas accepter de devoir ma situation à un noir, serait-il le plus illustre de toute sa race. Je m'excuse, mais je vais immédiatement vous remettre ma démission."

- Nini et son sens de la vie
"D'ailleurs je suis fiancée et mon fiancé, qui est actuellement en France, ne tardera pas à revenir à la colonie. Alors nous nous marierons et je serai tranquille, je n'aurai plus besoin de travailler".
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Cathy
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MessagePosté le: Ven 11 Nov 2005 10:54    Sujet du message: Répondre en citant

Hello Diali

Super boulot, veux tu que je te parle de la femme noire dans le romain Haïtien? Oui? aller je me lance pour le bonheur de partager.

La femme noire a connu une évolution longue et complexe dans le roman haïtien. Au départ on la retrouve toujours dans les mêmes personnages de prostituées, de servantes et de paysannes. Pour le littérateur haïtien, il était inconcevable de penser la beauté d'une femme noire. Puis, lentement, nous constatons une évolution. La Noire est femme, elle est belle, elle est forte, elle est le fruit de la terre, elle est nourriture. elle porte la nation. Elle est la nation.

L'auteur haïtien Jacques Roumain, dans son roman au succès planétaire "Gouverneurs de la Rosée" , fait d'Anaïs l'un des personnages centrale de son roman. C'est par le regard de Manuel que le lecteur découvre Anïs : "Elle avait une robe bleue rétrécie à la taille par un foulard. Les ailes nouées d'un mouchoir blanc qui lui serrait les cheveux, couvraient sa nuque. Portant sur sa tête un panier d'osier, elle marchait vite, ses hanches robustes se mouvant dans la mesure de sa longue foulée." En effet, nous constatons que la description d'Anaïs souligne surtout la dynamique de sa personne, quelques lignes plus loin, un peu plus de détails. Nous savons que Manuel est charmé : "il vit alors qu'elle avait de belles dents blanches, des yeux bien francs et la peau noire très fine. C'était une grande et forte négresse, et il lui sourit".

Pour Manuel, la beauté d'une femme se résume non pas seulement à son aspect physique mais également à celui de son âme. Par ces quelques lignes introductive, l'auteur annonce également la dimension d'Anaïs pour la suite du roman. Elle est décrite en mouvance, elle le sera tout au long du roman.

Un peu plus loin dans le roman, un viellard se souvint de son amour d'antant : " je songe à Sor Mélie. La diablesse aurait pu mettre le feu à un bénitier. Une peau noire sans reproche. Grâce à Dieu, des yeux avec des cils de soie et longs comme des roseaux le long d'un étang, des dents faites exprès pour la lumière du soleil et avec ça ronde de partout, bien grassette, comme je les aime. Tu la regardais et un goût de piment te montait à la bouche. Elle marchait avec un déhanchement à ras bord: c'était une danse pour la perdition de l'âme, ça le bouleversait véritablement jusqu'à la moelle..."

L'amour qui commence a naître dans le coeur de Manuel pour Anaïs est un amour sain, la dimension sexuelle n'est pas évoqué, pas encore. Si Sor Mélie fait monter le piment à la bouche de ceux qui la croise, Anaïs elle, est vu autrement, elle est une forte négresse bien planté, elle pourra porter les projets de Manuel, elle est suffisamment robuste pour sa mission.
_________________


"- A quoi est due la chute d'Adam et Eve ?
- C'était une erreur de Genèse."
(Boris Vian / 1920-1959)

http://alliance-haiti.com/
http://lacuisinedumonde.free.fr/
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MessagePosté le: Ven 11 Nov 2005 17:41    Sujet du message: Répondre en citant

cathy a écrit:
Hello Diali

Super boulot, veux tu que je te parle de la femme noire dans le romain Haïtien? Oui? aller je me lance pour le bonheur de partager.

La femme noire a connu une évolution longue et complexe dans le roman haïtien. Au départ on la retrouve toujours dans les mêmes personnages de prostituées, de servantes et de paysannes. Pour le littérateur haïtien, il était inconcevable de penser la beauté d'une femme noire. Puis, lentement, nous constatons une évolution. La Noire est femme, elle est belle, elle est forte, elle est le fruit de la terre, elle est nourriture. elle porte la nation. Elle est la nation.

L'auteur haïtien Jacques Roumain, dans son roman au succès planétaire "Gouverneurs de la Rosée" , fait d'Anaïs l'un des personnages centrale de son roman. C'est par le regard de Manuel que le lecteur découvre Anïs : "Elle avait une robe bleue rétrécie à la taille par un foulard. Les ailes nouées d'un mouchoir blanc qui lui serrait les cheveux, couvraient sa nuque. Portant sur sa tête un panier d'osier, elle marchait vite, ses hanches robustes se mouvant dans la mesure de sa longue foulée." En effet, nous constatons que la description d'Anaïs souligne surtout la dynamique de sa personne, quelques lignes plus loin, un peu plus de détails. Nous savons que Manuel est charmé : "il vit alors qu'elle avait de belles dents blanches, des yeux bien francs et la peau noire très fine. C'était une grande et forte négresse, et il lui sourit".

Pour Manuel, la beauté d'une femme se résume non pas seulement à son aspect physique mais également à celui de son âme. Par ces quelques lignes introductive, l'auteur annonce également la dimension d'Anaïs pour la suite du roman. Elle est décrite en mouvance, elle le sera tout au long du roman.

Un peu plus loin dans le roman, un viellard se souvint de son amour d'antant : " je songe à Sor Mélie. La diablesse aurait pu mettre le feu à un bénitier. Une peau noire sans reproche. Grâce à Dieu, des yeux avec des cils de soie et longs comme des roseaux le long d'un étang, des dents faites exprès pour la lumière du soleil et avec ça ronde de partout, bien grassette, comme je les aime. Tu la regardais et un goût de piment te montait à la bouche. Elle marchait avec un déhanchement à ras bord: c'était une danse pour la perdition de l'âme, ça le bouleversait véritablement jusqu'à la moelle..."

L'amour qui commence a naître dans le coeur de Manuel pour Anaïs est un amour sain, la dimension sexuelle n'est pas évoqué, pas encore. Si Sor Mélie fait monter le piment à la bouche de ceux qui la croise, Anaïs elle, est vu autrement, elle est une forte négresse bien planté, elle pourra porter les projets de Manuel, elle est suffisamment robuste pour sa mission.


Merci Cathy à la fois pour tes encouragements et ton exposé.
Je ne connais rien pour l'instant au roman haïtien Embarassed mais je vais rattraper mon retard, et ton commentaire donne un éclairage supplémentaire au sujet. Décidémment la beauté de la femme noire... !
On m'a conseillé "la récolte douce des larmes" d'Edwige Danticat, Haïtienne qui vit aux Etats-Unis. La connais-tu ? Qu'en penses-tu ?
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Diali
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MessagePosté le: Ven 11 Nov 2005 18:21    Sujet du message: Répondre en citant

Avant d'aborder le côté "sombre" du personnage de Nini, c'est-à-dire l'être en souffrance, voici encore quelques "perles" :

- Le cauchemar de Nini
"J'ai eu cette nuit un cauchemar... oh! c'était affreux.
(...)
Oui, un affreux cauchemar. Imaginez que je me trouvais dans une forêt noire, mais une forêt tout ce qu'il y a de plus vierge. Alors, tout à coup, des nègres ont surgi armés de grands couteaux. (...). Evidemment, ils voulaient m'égorger. Alors, j'ai eu peur, j'ai crié et je me suis réveillée. Ah ! c'était affreux."

- Nini et la mauvaise éducation des noirs
"Nini va répondre quand brusquement elle s'arrête et se retourne. Une négresse, en passant, vient de la bousculer. Nini la contemple avec mépris, avec haine et l'apostrophe :
- Dis donc, la "djiguène", tu ne peux pas faire attention !
Comme la femme continue son chemin sans s'émouvoir, Nini gromelle :
- Qu'elles sont bêtes ! Aucune éducation".

Autre passage :
"Vous avez vu comme ce Noir sait faire l'important et sur quel ton doctoral il s'est présenté ? Ils sont tous pareils ; dès qu'ils savent quelques bribes de français, ils deviennent insupportables.
- Voyons, mademoiselle, rectifie Lartineau, soyez juste. Il me semble que ce Noir est comme il faut.
- Ah ! comme il faut... Vous pouvez le dire. Ils n'ont que le vernis. Aucune éducation."

- Nini et le mariage avec un noir
"Dites-moi Mademoiselle Nini, si un Noir venait demander votre main, l'accepteriez-vous ?
Nini sursaute.
- Vous me faites une injure, monsieur Perrin, dit-elle. Moi, accepter un nègre ?
- Vous avez tort, dit simplement Perrin. Je connais des Noirs qui ont beaucoup de mérite, qui sont instruits, qui ont une bonne situation : des docteurs, des avocats, des officiers...
- Je ne dis pas non, mais fouillez-les et vous trouverez toujours en eux ce fond d'atavisme qui les empêche d'assimiler complètement les choses de la civilisation."

- Nini, les gris-gris et les médailles
"Ah! Non, c'est tordant ! disait-elle un jour à Perrin. Croire à des sachets, aussi remplis de poux (elle parlait des gris-gris), non cela dépasse l'imagination. Penser un instant qu'une saleté comme leur eau bénite peut changer les lois du destin ou retarder son accomplissement : c'est une folie.
- Que faites-vous des scapulaires et des médailles ? avait objecté ironiquement M. Perrin.
- Oh ! Les scapulaires, c'est autre chose ! C'est propre, et puis c'est béni par le bon Dieu, notre Seingeur Jésus-Christ. Vous n'allez pas comparer ces médailles qui portent l'image du Seigneur avec les nids de crasse et de poux que sont les gris-gris.
M. Perrin s'était tu, réjoui en son coeur léger."

- Nini et les réjouissances des noirs
"Ah, ces nègres ! Ils sont indescriptibles. De vrais gamins. Ils envahissent déjà les rues. Les avez-vous courir à droite et à gauche, parler haut et lever les bras au ciel ? Quelle guigne ! Cela témoigne chez eux d'un manque absolu d'éducation et de bon goût. Tout est favorable au déchaînement de leurs instincts de jouissance, tout répond à leur sensualité bestiale. N'avez-vous pas remarqué une chose ? Ils profitent de toutes les fêtes : la Tabaski et le Ramadan leur offrent l'occasion de se gaver de mil, de viande, et de se pavaner dans les rues. Et pendant les fêtes chrétiennes ou républicaines, ils emplissent les rues et places, organisent des tams-tams discordants et chantent à tue-tête..."
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Cathy
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MessagePosté le: Ven 11 Nov 2005 20:17    Sujet du message: Répondre en citant

"La récolte douce amer des larmes" d'Ewidge Danticat est un excellent roman. La romancière prend comme prétexte une histoire d'amour entre deux individus pour nous raconter le génocide haïtiens, perpétrer par les dominicains. Une partie sombre de l'histoire haïtiano-dominicain, inconnu du grand public et surtout des haïtiens eux même. La romancière a passé des années et des années dans les archives avant de nous offrire ce bijoux.

C'est par le roman "le cri de l'oiseau rouge" que j'ai connu cet auteur. "le cri de l'oiseau rouge racontre la rencontre entre la narratrice, élevé jusqu'à l'âge de 12 ans par sa grand-mère, et sa mère qu'elle va retrouvé à New-York. Les retrouivalles tant attendu se transforme en cauchemar pour les deux femmes qui ne se connaissent plus...qui ne se sont jamais connu. Une façon là aussi pour Edwidge Danticat de rappeller les douleurs de l'exil.

Un petit résumé de "la récolte douce amer des larmes"
Citation:
Le récit
Amabelle Désir, jeune Haïtienne, travaille chez la señora Valencia, une Dominicaine d'origine espagnole, épouse de Pico Duarte, officier du dictateur dominicain Rafael Trujillo. Les deux jeunes filles, malgré leur différence de couleur, de classe, ont été élevées ensemble. Mais, la vie les a séparées. Amabelle vit sa vie de domestique sous la paillasse où le soir elle accueille son amant Sébastien, jeune coupeur de canne haïtien. Quant à la señora, elle choisit sa vie silencieuse d'épouse.
Un matin d'août 1937, Valencia met au monde un couple de jumeaux, telles les deux parties de l'île. Dans ce même temps éclate la chasse aux Haïtiens qui culmine sur le massacre de vingt mille d'entre eux.

Dans cette histoire de sang, de guerre où la violence marque l'évolution du récit, la narratrice semble chercher la lumière. Quête bouleversante qui fait du sang une chanson d'amour. Là où la romancière réussit est que l'histoire au sens événementiel du terme est moins forte que la relation établie entre les personnages. En marge du sang et de la guerre, il y a leur pulsion à survivre, leur intime colère; et l'alternance toujours possible entre tendresse et malheur...

Le roman La récolte douce des larmes évoque une histoire chère aux Haïtiens. En effet, le fait historique du massacre des Haïtiens sur la frontière haïtiano-dominicaine est un thème récurrent chez les écrivains haïtiens. Déjà, Jacques Stephen Alexis, dans Compère Général Soleil (Gallimard, 1953), René Philoctète, dans Le peuple des terres mêlées (Deschamps, 1989) ont traité ce thème



[quote="diali"]
cathy a écrit:
Hello Diali

Super boulot, veux tu que je te parle de la femme noire dans le romain Haïtien? Oui? aller je me lance pour le bonheur de partager.

La femme noire a connu une évolution longue et complexe dans le roman haïtien. Au départ on la retrouve toujours dans les mêmes personnages de prostituées, de servantes et de paysannes. Pour le littérateur haïtien, il était inconcevable de penser la beauté d'une femme noire. Puis, lentement, nous constatons une évolution. La Noire est femme, elle est belle, elle est forte, elle est le fruit de la terre, elle est nourriture. elle porte la nation. Elle est la nation.

L'auteur haïtien Jacques Roumain, dans son roman au succès planétaire "Gouverneurs de la Rosée" , fait d'Anaïs l'un des personnages centrale de son roman. C'est par le regard de Manuel que le lecteur découvre Anïs : "Elle avait une robe bleue rétrécie à la taille par un foulard. Les ailes nouées d'un mouchoir blanc qui lui serrait les cheveux, couvraient sa nuque. Portant sur sa tête un panier d'osier, elle marchait vite, ses hanches robustes se mouvant dans la mesure de sa longue foulée." En effet, nous constatons que la description d'Anaïs souligne surtout la dynamique de sa personne, quelques lignes plus loin, un peu plus de détails. Nous savons que Manuel est charmé : "il vit alors qu'elle avait de belles dents blanches, des yeux bien francs et la peau noire très fine. C'était une grande et forte négresse, et il lui sourit".

Pour Manuel, la beauté d'une femme se résume non pas seulement à son aspect physique mais également à celui de son âme. Par ces quelques lignes introductive, l'auteur annonce également la dimension d'Anaïs pour la suite du roman. Elle est décrite en mouvance, elle le sera tout au long du roman.

Un peu plus loin dans le roman, un viellard se souvint de son amour d'antant : " je songe à Sor Mélie. La diablesse aurait pu mettre le feu à un bénitier. Une peau noire sans reproche. Grâce à Dieu, des yeux avec des cils de soie et longs comme des roseaux le long d'un étang, des dents faites exprès pour la lumière du soleil et avec ça ronde de partout, bien grassette, comme je les aime. Tu la regardais et un goût de piment te montait à la bouche. Elle marchait avec un déhanchement à ras bord: c'était une danse pour la perdition de l'âme, ça le bouleversait véritablement jusqu'à la moelle..."

L'amour qui commence a naître dans le coeur de Manuel pour Anaïs est un amour sain, la dimension sexuelle n'est pas évoqué, pas encore. Si Sor Mélie fait monter le piment à la bouche de ceux qui la croise, Anaïs elle, est vu autrement, elle est une forte négresse bien planté, elle pourra porter les projets de Manuel, elle est suffisamment robuste pour sa mission.


Merci Cathy à la fois pour tes encouragements et ton exposé.
Je ne connais rien pour l'instant au roman haïtien Embarassed mais je vais rattraper mon retard, et ton commentaire donne un éclairage supplémentaire au sujet. Décidémment la beauté de la femme noire... !
On m'a conseillé "la récolte douce des larmes" d'Edwige Danticat, Haïtienne qui vit aux Etats-Unis. La connais-tu ? Qu'en penses-tu ?[/quote
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Soundjata Kéita
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MessagePosté le: Ven 11 Nov 2005 21:34    Sujet du message: Répondre en citant

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MessagePosté le: Ven 11 Nov 2005 21:41    Sujet du message: Répondre en citant

Soundjata Kéita a écrit:
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Hotep, Soundjata


Hotep Soundjata,

merci pour le lien. Excellent. A découvrir par toutes les kamits

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MessagePosté le: Sam 12 Nov 2005 10:49    Sujet du message: Répondre en citant

cathy a écrit:
"La récolte douce amer des larmes" d'Ewidge Danticat est un excellent roman. La romancière prend comme prétexte une histoire d'amour entre deux individus pour nous raconter le génocide haïtiens, perpétrer par les dominicains. Une partie sombre de l'histoire haïtiano-dominicain, inconnu du grand public et surtout des haïtiens eux même. La romancière a passé des années et des années dans les archives avant de nous offrire ce bijoux.

C'est par le roman "le cri de l'oiseau rouge" que j'ai connu cet auteur. "le cri de l'oiseau rouge racontre la rencontre entre la narratrice, élevé jusqu'à l'âge de 12 ans par sa grand-mère, et sa mère qu'elle va retrouvé à New-York. Les retrouivalles tant attendu se transforme en cauchemar pour les deux femmes qui ne se connaissent plus...qui ne se sont jamais connu. Une façon là aussi pour Edwidge Danticat de rappeller les douleurs de l'exil.



Salut Cathy !
Merci pour ces infos ! Tu m'as encore plus donné l'envie de lire "la récolte douce des larmes" que j'ai déjà chez moi !
Je pense que je ne tarderai pas à lire non plus le 2e titre que tu as indiqué (son premier roman "le cri de l'oiseau rouge") pour le sujet qui est magnifique et le cadre où il a lieu, New York, qui est une ville que j'aime particulièrement.
Je suis en train de lire "les bouts de bois de Dieu" qui est un régal dès les premières pages, toujours d'Ousmane Sembène, sur le conseil de BMW.
J'en parlerai ici avant de parler du "Ségou" de Maryse Condé et de "la récolte douce des larmes" d'Edwidge Danticat que je lirai ensuite.
Cela permettra d'élargir le champ géographique, si je puis dire, de ce sujet.

J'avais titré je crois au début mon post "littérature négro-africaine" mais c'est vrai que je me suis concentrée sur la littérature africaine et essentiellement sénégalaise donc le titre a été modifié car je n'avais pas mis encore de références "négro-africaines".
Mais tout en continuant de parler de ces oeuvres africaines que je découvre ou relis, je parlerai de ces auteurs de la "diaspora" comme le titrait Guidilou dans son post qui propose beaucoup de références intéressantes.

En tous les cas, je me réjouis qu'on puisse bientôt échanger sur ces ouvrages !
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MessagePosté le: Sam 12 Nov 2005 10:52    Sujet du message: Répondre en citant

Soundjata Kéita a écrit:
http://www.grioo.com/forum/viewtopic.php?t=4001


Hotep, Soundjata


merci !
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MessagePosté le: Sam 12 Nov 2005 11:25    Sujet du message: Répondre en citant

Pour reprendre Nini, Abdoulaye Sadji décrit et analyse également ce que j'ai appelé le "côté sombre" du personnage de Nini qui représente en fait l'ensemble des mulâtresses, du moins celles des première et deuxième classes dont j'ai parlé plus haut.

La mulâtresse, c'est aussi et surtout l'être en souffrance, l'être sacrifié, à l'identité hybride, qui a été éduqué hors de son cadre naturel, dans une société de paraître, dont le sens de la vie est inscrit dès la naissance et qui conduit à une vie de rivalités, jalousies, de désillusions, d'attente et surtout de mensonge.

Je propose plusieurs extraits du livre que j'ai accolés. J'en souligne pour l'instant les mots essentiels et j'en ferai un petit commentaire plus tard par manque de temps.

"Ainsi va l'existence des mulâtresses. Elles n'ont gardé de leur jeunesse et de leurs amours désordonnés que des silhouettes dotées par elles de vie et de mouvement, et qui semblent toujours avoir des désirs et des passions. Ces silhouettes réchauffent un peu leur coeur vieilli, au moment où, ayant vidé maintes coupes débordantes, elles sentent le désespoir les envahir. Leur vie n'est pas possible sans ces albums (photos) qui leur disent, contre toute logique : "Après tout vous fûtes belle et vous eûtes de nombreux amants très comme il faut : celui-ci fut prince chez lui et gentleman au Sé,égal ; cet autre savait aimer sans brutalité ; celui-là était ceci, l'autre cela..." (...).
Le grand rêve qui les hante est celui d'être épousées par un Blanc d'Europe. On pourrait dire que tous leurs efforts tendent vers ce but qui n'est presque jamais atteint. Leur besoin de gesticulation, leur amour de la parade ridicule, leurs attitudes calculées, théâtrales, écoeurantes, sont autant d'effets d'une même manie des grandeurs. Il leur faut un homme blanc, tout blanc, et rien que cela. Presque toutes attendent, leur vie durant, cette bonne fortune qui n'est rien moins que probable. Et c'est dans cette attente que la vieillesse les surprend et les accule au fond des sombres retraites où le rêve finalement se change en hautaine résignation. (...)
Pauvres vieilles "signaras". Pauvres filles sacrifiées. Pauvres familles offensées.
La pauvre Nini est devenue une chose souple et docile. (...). Pour la première fois elle devient une créature humaine débarrassée de tout artifice, humble et consentante. Elle perd les ressorts montés en elle par son milieu et sa situation équivoque entre deux races qui l'ont engendrée et qui paraissent toutes deux la renier.
Après tout la destinée qui a fait d'elle ce qu'elle est, n'a pas dépendu de sa volonté. Pauvre petite fille jetée à la sortie du couvent dans le tourbillon de la vie, elle a joué son jeu comme tout le monde. Si le sort ne l'a pas favorisée, ce n'est pas de sa faute. La faute incombe à la vie elle-même qui s'est montrée aveugle et indifférente à son regard... (...)
Brusquement et sans aucune cause explicable, Nini se trouve en proie à une grande nervosité. Son coeur s'alourdit ; elle se reproche son attitude de quémandeuse vis-à-vis de Martineau et de tous les Blancs. Elle se révolte en pensée contre la nature, contre la vie, contre les hommes, contre le bonheur et la joie, contre les Blancs et les Noirs... Son coeur s'emplit d'amertume. Pourquoi faut-il qu'elle soit éternellement celle qui convoite, quémande, supplie ? Est-elle donc une mendiante d'amour ? (...) Ainsi pourrait-elle échapper une fois pour toutes à l'ironie, à la méchanceté de ses congénères qui l'observent, sourient de sa déconvenue et osent venir lui poser des questions sur les secrets de son coeur. Le mensonge de son existence et de celle de toutes les mulâtresses, ses consoeurs, lui apparaît clairement, grossi par la déception que vient de lui infliger le départ brusque de l'amant. (...). Le destin les a toutes condamnées à cette vie sentimentale de bohème qui tantôt s'illumine d'une certitude ou d'un espoir, tantôt se trouve empoisonnée par leur condition d'hybrides n'appartenant à aucune société normale."
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MessagePosté le: Sam 12 Nov 2005 20:11    Sujet du message: Répondre en citant

Je vais terminer sur le personnage de Nini, puis je parlerai des trois autres personnages féminins du livre qui eux aussi apportent une lumière sur le sujet.

Je propose ensuite de finir l'analyse de cet ouvrage par le regard des blancs du livre, notamment Martineau et son collègue Perrin, sur les noirs et les métisses. Ce regard est particulièrement intéressant car il permet de mettre en valeur les contradictions et les excès de Nini notamment.
Le choix d'Abdoulaye Sadji a été de décrire des personnages Blancs relativement humains, notamment en comparaison de Nini, même s'il montre également leur maladresse à plusieurs reprises.
Il y a enfin un passage très intéressant sur "les oreilles rouges", les Blancs, que je reprendrai intégralement.
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MessagePosté le: Sam 12 Nov 2005 20:44    Sujet du message: Répondre en citant

Dans les différents extraits du livre que j'ai accolés dans un post plus haut sur les mulâtresses, Sadji explique le pourquoi du comportement hautain de ces dernières et notamment celui de Nini.
Ce sont des femmes qui ont été élevées en Afrique selon des moeurs européennes. Elles vivent donc dans une société "anormale". Elles méprisent les Africaines comme elles méprisent certaines Françaises qui n'ont pas autant de classe qu'elles.

Elles sont victimes d'un héritage difficile, conditionnées par un milieu malsain, qui leur laisse pour seul objectif le mariage avec un blanc ce qui les met dans une position d'attente et de quémandeuse malgré leurs atouts indéniables. Finalement, elles sont niées comme êtres et le plus pathétique, elles vivent selon les coutumes d'une époque qui n'existe plus.

Nini sort à quinze ans du couvent, tombe amoureuse pour la première fois d'un caporal qui l'abandonnera. Elle enchaînera ses histoires sans pouvoir de nouveau aimer mais toujours avec cet objectif de trouver un blanc qui l'enmènera en France. Ne supportant plus l'attente et les désillusions qui sont le lot de la plupart des mulâtresses, elle partira en France, seule.

Le personnage de Madou est tout aussi effroyable. Elle interdira à sa mère de se remarier avec un noir ! De couleur plus foncée que Nini, elle est cependant tout aussi hautaine que cette dernière. Complice dans les bons moments à partager avec Martineau et Perrin, elle est redoutable dans les mauvais moments (jalousie, mensonge...).
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MessagePosté le: Sam 12 Nov 2005 21:18    Sujet du message: Répondre en citant

Les personnages de grand-mère Hélène et de tante Hortense apportent un éclairage intéressant pour plusieurs raisons.

Les deux femmes sont représentatives de la génération qui a connu la grande "époque". Mais elles ont connu également la désillusion et ont davantange de recul par rapport aux Blancs même si elles souhaitent de tout coeur le mariage de leur Nini avec Martineau. Enfin, étonnament, elles sont plus réalistes, conscientes de la fin d'une époque, que la génération d'après. Leur expérience mais surtout la vieillesse et l'approche de la mort leur ont permis de tirer des leçons même si elles ont voulu reproduire le schéma en cherchant à marier Nini avec un Blanc.

Toutes les deux sont plus attachées à leur part noire : Grand-mère Hélène fera appel à un marabout pour favoriser le mariage de sa petite fille, et tante Hortense sollicitera l'aide de la famille noire tant pour la consoler du deuil de grand-mère Hélène que pour trouver un nouveau travail à Nini.

Je ne vais citer que deux passages du livre (parce que sinon je vais finir par copier tout le livre Laughing ) particulièrement émouvants : grand-mère Hélène à la veille de sa mort et tante Hortense avec ses conflits avec Nini.

Grand-mère Hélène refuse la présence du médecin blanc et ne veut plus prendre les médicaments prescrits par ce dernier : retour aux sources "vraies", rejet du Blanc qui a causé tant d'amertume. Sadji parlera de "lucidité" de grand-mère Hélène.

"- Je n'en veux pas, je n'en veux pas ! cria-t-elle. Toutes ces choses contiennent l'âme du démon qui veut m'emporter. Les "tourres" (esprits) de mes ancêtres me le disent clairement. Et je les vois en ce moment... Allez me chercher le marabout manding. Lui seul pourra me sauver. Je ne veux plus voir de Blanc dans cette maison. Allez vite me chercher le marabout manding... Il faut qu'on fasse pour moi les mêmes sacrifices que pour mon aïeule Diégane, princesse du Sine et génie de Sangomar... Sinon, je vais mourir.
(...).
Plus de Blanc ici, s'écrie-t-elle de nouveau, après un moment de prostation. Ils nous ont menti, violées, délaissées. Ils ont rendu jaloux et méchants nos parents noirs et nos génies tutélaires. Et maintenant ils veulent venir me soigner ?... Ah ! ah ! ah !
La vieille ricane comme si des forces invisibles ou en tout cas insoupçonnées lui avaient rendu toute sa vigueur et toute sa lucidité d'esprit".

Les extraits que j'ai choisis pour le personnage de tante Hortense sont tirés des dernières pages du livre. Ses réactions à deux moments-clés sont révélatrices de sa façon de pensée. Il s'agit d'abord du moment où Nini fait part de sa démission parce qu'elle doit son travail à un noir et ensuite, du moment où Nini annonce son départ.

"- Oui, c'est moi, finit-elle par dire, qui me suis dérangée pour te trouver un emploi par l'intermédiaire d'un de nos parents noirs... oui, noir, sache-le maintenant. Qu'est-ce que nous sommes à présent dans ce pays, nous mulâtres ? Nous ne formons qu'une infime minorité. Toutes les forces se trouvent entre les mains de ces gens-là. Et vous ne voulez pas en convenir, vous les filles de na nouvelle génération qui vous dites "modernes"... "

2e extrait :
"- Tout simplement je veux m'en aller d'ici, quitter l'Afrique (dit Nini)
- Ah ! je vois... aller en France donner la chasse à ton amant blanc ? ... Garce !
- Pas lui, puisqu'il est marié et qu'il s'en va en AEF avec sa femme. Et puis, ma tante, je t'en prie, pas de gros mots entre nous. Ce qui est fait est fait. Les injures ne peuvent désormais m'atteindre et paralyser mon élan. Au moment où je vais partir, il vaut mieux que nous nous quittions réconciliées.
- Me réconcilier avec qui ? Avec une enfant dénaturée, une ingrate, une pervertie comme toi ?
- Je suis peut-être tout cela par atavisme, dit Nini en se levant pour ne pas prolonger cette scène pénible."
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MessagePosté le: Dim 13 Nov 2005 14:11    Sujet du message: Répondre en citant

Je propose comme prévu un petit point sur le regard de Martineau et de Perrin, les amants français des deux mulâtresses Nini et Madou.

La plupart du temps, les deux amis semblent plus ouverts, plus tolérants que Nini et Madou (ils n'entrent pas dans la logique de mépris et d'exclusion de ces dernières, ils respectent leurs collègues noirs, ils semblent ne pas faire de différence entre les Noirs qui ont réussi et les Blancs, ils apprécient la beauté de Fatou, la cousine noire de Nini, ils critiquent le mépris avec lequel Nini traite les "enfants de maison", etc.).

Mais lorsqu'on analyse plus finement le texte, on comprend que la situation est plus complexe. Sadji dans ses commentaires n'est pas virulent envers les deux personnages. De façon adroite, il a choisi de montrer tant leurs maladresses que les limites de leur relation avec les mulâtresses.

En voici énumérés quelques exemples :
- il parle de la recherche d'un certain exotisme de la part des deux compères,
- lorsqu'ils doivent assumer leur relation avec les deux mulâtresses vis-à-vis de leurs compatriotes blancs, ils s'en défendent en pensant aux couples mixtes donc sont issues ces mulâtresses. Il a donc bien fallu que des Blancs soient avec des Noires, ce qui est "pire" que de sortir avec des mulâtresses. Perrin parle de "produit franco-nègre".
- souhait de Perrin que la peau de sa compagne ne fonce pas davantage à la plage,
- Martineau qui, face à l'envie de Perrin parce que Nini est plus blanche que Madou, déclare "la blancheur importe peu, une négresse c'est une négresse",
- la satisfaction de Perrin lorsque Nini critique les gris-gris et affirme la supériorité des médailles,
- l'abandon de Martineau malgré sa promesse de mariage,
- etc.

L'image du Blanc dans le livre n'est cependant pas complètement négative, puisqu'il y a des apparitions de personnages négrophiles, ou de fonctionnaires (notamment le dernier chef de Nini) qui traitent avec respect et de manière égalitaire, noirs, blancs, mulâtres... Cependant, par exemple, le chef de Nini est marié avec une Blanche.

Quelle conclusion faut-il en tirer ?
Qu'un Blanc sera forcément attiré par une Noire pour l'exotisme ?
Qu'une Noire sera forcément attirée par un Blanc pour le prestige et pour se blanchir davantage ?
Que le poids de l'histoire est tel qu'une relation saine entre Blanc et Noir est impossible ?

Le contexte historique du roman est particulier mais si on reprend l'essai de Frantz Fanon, il est emblématique d'une situation généralisée.

Je rappelle que, pour simplifier, Nini raconte la relation entre deux Blancs de France à St-Louis pour quelques temps, Martineau et Perrin avec les deux mulâtresses Nini et Madou, représentative d'une époque. Finalement, c'est le récit de Blancs qui pour x raisons ne venaient passer que quelques années en Afrique, essayaient de vivre le mieux possible leurs années expatriées en profitant des charmes des Noires/ Mulâtresses et, comment des Noires/ Mulâtresses, voulant être plus Blanches que les Blanches même ne voyaient leur salut que dans le mariage avec ces Blancs.

Sadji a analysé le pourquoi de cette situation qui renvoie à cette notion de complexe (supériorité/infériorité, ce qui revient au même quelque part), provoquant l'instauration de cette typologie de mulâtresses par le monde mulâtre lui-même qui cautionne un schéma d'organisation socio-économique en fonction de la couleur de la peau. Le Blanc a introduit ces notions d'inégalités liées à la couleur de la peau lors de l'esclavage et de la colonisation, qui ont été reprises avec excès par les mulâtresses elles-mêmes.

Rappelons que la société sénégalaise fonctionne également sur un autre héritage de système d'esclavage. Dans le livre, les deux Blancs se révoltent de la situation d'esclavage dans laquelle se trouvent encore Bakary notamment, et Fatou, situation que justifie Nini (j'ai repris ses arguments plus haut).
Une différenciation est à faire, difficile a priori pour le Blanc, entre l'esclavage "familier" qui se retrouve aujourd'hui sous la forme des castes au Sénégal par exemple, et l'esclavage qui oppose les Noirs victimes /les Blancs bourreaux. D'un côté, un esclavage lié aux fonctions, aux métiers ; de l'autre, un esclavage lié à la couleur de la peau.
Le livre d'Aminata Sow Fall, Le jujubier du Patriarche, évoquait cette situation, où les traditions sont maintenues, où les anciennes familles d'esclaves continuent de porter le nom de leurs anciens maîtres et à les servir, où les mariages entre anciens esclaves et anciens maîtres sont interdits... Nafissatou Dia Diouf évoquait elle-même la question dans son recueil de nouvelles, remettant en cause ces traditions dépassées...

Nini, Mulâtresse du Sénégal montre comment avec l'introduction du Blanc, a été créé, cautionné par le mulâtre, un double système "d'esclavage" physique puis mental (qui n'est pas le moindre).
A l'organisation de la société en fonction des castes, s'est ajoutée une organisation de la société en fonction de la couleur de la peau, introduite par le Blanc.
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Cathy
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MessagePosté le: Lun 14 Nov 2005 13:07    Sujet du message: Répondre en citant

"Ségou" de Maryse Condé est composé de deux tomes : "Les murailles de terre" publié en 1984 et "La terre en miettes" en 1985.

Ségou n'est pas seulement une lecture mais un voyage dans un Mali florissant, victorieux brandissant fièrement ces villes magnifiques de grandeur comme celle de Ségou. la famille Traoré noble bambara, te feras vivre , de génération en génération les grands bouleversements qui plongeront inexorablement ce magnifique pays dans les déchirements et les pires souffrances : Islamisation et surtout l'arrivée des envahisseurs porteurs du néant. Incompréhension, lutte, déchirements se trouveront au bout du chemin. Les ancêtres tant vénérés, grinceront les dents. la terre du Mali, hagarde, ne se relèvera plus de la perte de ces fils, sacrifiés aux nom de la cupidité.

Après cette lecture, tu n'auras qu'une envie, saisir ton balluchon et aller à la rencontre de Tombouctou la magnifique.




Citation:
Salut Cathy !
Merci pour ces infos ! Tu m'as encore plus donné l'envie de lire "la récolte douce des larmes" que j'ai déjà chez moi !
Je pense que je ne tarderai pas à lire non plus le 2e titre que tu as indiqué (son premier roman "le cri de l'oiseau rouge") pour le sujet qui est magnifique et le cadre où il a lieu, New York, qui est une ville que j'aime particulièrement.
Je suis en train de lire "les bouts de bois de Dieu" qui est un régal dès les premières pages, toujours d'Ousmane Sembène, sur le conseil de BMW.
J'en parlerai ici avant de parler du "Ségou" de Maryse Condé et de "la récolte douce des larmes" d'Edwidge Danticat que je lirai ensuite.
Cela permettra d'élargir le champ géographique, si je puis dire, de ce sujet.

J'avais titré je crois au début mon post "littérature négro-africaine" mais c'est vrai que je me suis concentrée sur la littérature africaine et essentiellement sénégalaise donc le titre a été modifié car je n'avais pas mis encore de références "négro-africaines".
Mais tout en continuant de parler de ces oeuvres africaines que je découvre ou relis, je parlerai de ces auteurs de la "diaspora" comme le titrait Guidilou dans son post qui propose beaucoup de références intéressantes.

En tous les cas, je me réjouis qu'on puisse bientôt échanger sur ces

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MessagePosté le: Jeu 17 Nov 2005 18:21    Sujet du message: Répondre en citant

cathy a écrit:
"Ségou" de Maryse Condé est composé de deux tomes : "Les murailles de terre" publié en 1984 et "La terre en miettes" en 1985.

Ségou n'est pas seulement une lecture mais un voyage dans un Mali florissant, victorieux brandissant fièrement ces villes magnifiques de grandeur comme celle de Ségou. la famille Traoré noble bambara, te feras vivre , de génération en génération les grands bouleversements qui plongeront inexorablement ce magnifique pays dans les déchirements et les pires souffrances : Islamisation et surtout l'arrivée des envahisseurs porteurs du néant. Incompréhension, lutte, déchirements se trouveront au bout du chemin. Les ancêtres tant vénérés, grinceront les dents. la terre du Mali, hagarde, ne se relèvera plus de la perte de ces fils, sacrifiés aux nom de la cupidité.

Après cette lecture, tu n'auras qu'une envie, saisir ton balluchon et aller à la rencontre de Tombouctou la magnifique.







Je suis pressée de lire Ségou aussi ! Pour l'instant je suis dans la grève des cheminots du "Dakar-Niger" des Bouts de bois de Dieu, qui me fait également voyager (Bamako, Thiès, Dakar), et dont je parlerai prochainement (comme d'habitude chez Sembène Ousmane, les personnages féminins sont nombreux, attachants et plein de caractère), après un dernier extrait de Nini !
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MessagePosté le: Jeu 17 Nov 2005 20:37    Sujet du message: Répondre en citant

Comme promis, un dernier extrait de Nini qui met en valeur la prose de Sadji. La colonisation poétisée. Face à face des "Oreilles rouges", blancs sorciers, et des hommes grands et forts, plus savants que les baobabs : une "science noire" impuissante...

"(...) Car les Blancs résistent fort bien à l'action des forces occultes, des Génies tutélaires de l'Afrique Noire. Et comme cette vérité intrigue souvent les vieux patriarches noirs quand, au milieu de leurs palabres surgit la question de savoir comment, malgré les eaux bénites qui affolent, les goupillons barbus qui immobilisent les mouvements de l'âme et du corps, les poudres qui dessèchent instantanément un être vivant - homme et arbre -, les Blancs arrivent quand même à occuper le pays et à y faire régner leur loi.
Quelle émotion intense avait fait naître la première apparition des "Oreilles rouges" sur les terres de la "science noire" où vivaient de hommes grands et forts, plus savants que les baobabs (arbres-fétiches), puisqu'ils pouvaient les anéantir d'un petit mouvement sec des doigts ! ...
Ces hommes s'étaient dressés, allongeant par-dessus les brousses ancestrales leurs grands corps maigres. Puis, dans un élan de confiance absolue en leurs forces occultes, ils avaient poussé un ricanement de mépris, craché entre leus dents et vidé leurs tabatières d'un seul coup.
Pourtant, malgré cette "science noire" aux terribles secrets, les "Oreilles rouges" ont fait reculer les brousses natales, élargi les sentiers et jeté sur les arbres des faisceaux de lumière qui font courir la pensée plus loin que l'oeil, aussi vite que l'éclair. Les "Oreilles rouges" se sont enfin immiscées dans les palabres les plus intimes. Et les Grands Fétiches consultés n'ont rien dit, n'y ont rien pu.
D'ailleurs si le Blanc est réfractaire aux effets de sorcellerie de toutes sortes, c'est que lui-même est un sorcier. Sa peau claire le rapproche de l'ange, son intelligence qui invente des merveilles que contemplent nos yeux incrédules tend à l'identifier aux génies les plus puissants, visibles ou invisibles. (...)"
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MessagePosté le: Jeu 17 Nov 2005 21:00    Sujet du message: Répondre en citant

Les bouts de bois de Dieu d'Ousmane Sembène est un hommage de l'auteur aux "banty man Yall", les cheminots. Le livre est dédié à ses frères de syndicat et à tous les syndicalistes et à leur compagnes dans ce vaste monde.

Avant la liste des personnages (relativement nombreux, d'autant plus que l'action se déroule à la fois à Bamako, à Thiès et à Dakar), il y a une sorte de préface-hommage :
"Les hommes et les femmes qui, du 10 octobre 1947 au 19 mars 1948, engagèrent cette lutte pour une vie meilleure ne doivent rien à personne ni à aucune "mission civilisatrice" ni à un notable, ni à un parlementaire. Leur exemple ne fut pas vain : depuis, l'Afrique progresse."

Je pense que je dépasserai à nouveau le cadre-même de ce post, à savoir les femmes, pour évoquer quelques thématiques-sujets du livre comme la colonisation, les enjeux de la grève...

Quoiqu'il en soit, comme je l'ai évoqué plus haut, Ousmane Sembène offre de nouveau une part belle aux femmes, à ses personnages féminins.
Je préfère attendre de finir le livre pour en parler davantage mais si certains l'ont lu, qu'ils ne se gênent pas !
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Chabine
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MessagePosté le: Sam 19 Nov 2005 15:50    Sujet du message: Répondre en citant

cathy a écrit:
Hello Diali

Super boulot, veux tu que je te parle de la femme noire dans le romain Haïtien? Oui? aller je me lance pour le bonheur de partager.


Salut Diali, salut à toutes !

Depuis le temps que je prêche le féminisme sur ce forum, j'aurais pu vous rejoindre avant, au lieu de laisser diali prêcher seule dans le désert... Embarassed

Enfin, vieux motard que jamais.

Je suppose que tu acceptes les digressions sur la Femme Noire dans le roman caribéen aussi, diali ? Je saute sur la perche que me tend cathy pour vous parler d'un auteur que j'ai adoré, découverte l'année dernière : car en plus, c'est une femme, MARIE CHAUVET (1917-1973).



Notice bibliographique sur le lien suivant (ne pas publier le texte ici car problème de copyright !) : http://www.lehman.cuny.edu/ile.en.ile/paroles/chauvet.html

Son oeuvre commence à peine à être redécouverte hors d'Haïti et des Etats-Unis (elle est morte à NY en 1973). J'ai dévoré "Amour, Colère et Folie", découvert l'année dernière au Salon du Livre de Martinique, dont l'invité d'honneur était Haïti.

"Amour, Colère et Folie" est une trilogie, 3 récits forts dans l'atmosphère étouffante d'une dictature Duvaliériste qui n'est jamais nommée explicitement... Une angoisse digne d'un univers Kafkaïen sous les tropiques vous étreint à chaque récit... S'y croisent pas mal de thèmatiques : dictature, dénonciation de l'impérialisme américain et de la terreur duvaliériste, dérision d'une certaine bourgeoisie mulâtre (je croyais que ça n'existait que chez moi, en Martinique !!!), ainsi que des thèmes plus universels : désir, jalousie, peur, mort, folie...

A noter que cette oeuvre, parue chez Gallimard en 1968, a été jugée tellement subversive que le propre mari de la romancière (dont elle a divorcé) en a racheté les droits et l'édition complète, et l'a interdit de circulation. Marie CHAUVET est morte à New York en 1973, malade et désabusée.

Note de la réédition du roman, en 2003 : "Voix de Femmes est un organisme qui milite en faveur des femmes martyrisées dans le monde. La réédition de ce triple roman, Amour, Colère et Folie, répond à un impératif : refuser le silence dont ont été victimes Marie Chauvet et son oeuvre."

Les personnages féminins sont centraux dans les 2 premiers récits, plus lointains bien que présents dans le 3è.

Analyse du personnage de Rose dans Colère :

http://www.colby.edu/french/fr128/rashort/colere.htm
Citation:
« Colère » est l’histoire d’une famille aisée d’Haïti qui risque de perdre sa terre à moins qu’elle ne fasse quelque chose. Dans l’extrait de « Colère » que nous lisons en cours de français 128, Rose, une fille de cette famille et d’une mulâtresse d’Haïti, se laisse violer par un « homme en uniforme » pour que sa famille puisse garder sa terre. Elle endure ce traitement depuis un mois.


Une analyse du récit Colère (extrait concernant la place de la femme dans le roman haïtien) :
http://homepage.mac.com/chemla/fic_doc/chauvet01.html
Citation:
Le roman de Marie Chauvet Colère, s'inscrit dans plusieurs contextes particuliers. Tout d'abord celui du lecteur : le roman appartient à un recueil, et occupe une position centrale dans celui-ci. Le livre intègre trois romans, ce qui est déjà bizarre, et le titre par lequel il est désigné compose une trilogie qu'il est possible de percevoir comme une gradation, ou plutôt une dé-gradation : Amour, Colère, Folie. La position centrale occupée par celui qui nous intéresse aujourd'hui témoigne ainsi d'un glissement en direction du pire.

Le deuxième contexte concerne plus spécifiquement l'espace littéraire haïtien. Comme le rappelle Anne Marty, le texte de Marie Chauvet est publié pendant une période de contestation de la dictature de Duvalier, et cette contestation revêt des formes spécifiques dans l'écriture féminine. La figure emblématique de la prostituée y prend un relief particulier : Les romans féminins de cette période de contestation n'entretiennent pas, contrairement à ceux des hommes, une image de la prostituée semblable à un fantasme dispensateur de jouissance pour le moi-narrateur. La représentation qui en est faite est toujours personnalisée ; même sujet, elle ne perd jamais sa caractéristique "d'aliénée", ce qui n'empêche pas les héroïnes-narratrices de s'identifier à elle par ce biais. "L'amour" avec la prostituée est conçu comme une dévalorisation de l'amour, ce qui permet aux héroïnes-narratrices de critiquer le comportement amoureux des hommes.(1)

Un troisième contexte me paraît tout aussi marquant, mais relativement peu traité en général par la critique universitaire. Dans le corpus du roman haïtien du vingtième siècle, le roman de Marie Chauvet témoigne d'un décrochage radical, dans la représentation romanesque de l'espace géographique et des relations entre les personnages. L'espace géographique, tout d'abord : les romans, de Canapé-Vert aux Affres d'un défi, dans leur ensemble, montrent un paysage qui peu à peu perd sa verdure, s'assèche et se stérilise dans la pulvérisation. Dans le même temps, les romans témoignent de la fermeture des espaces encore préservés. Relations entre les personnages, ensuite : alors que le roman racontait le retour d'un personnage au pays, comme Manuel, dans Gouverneurs de la rosée, ou bien son arrivée, comme Jean Luze dans Amour, avec Colère, ce n'est plus une insertion qui est tentée, mais bien un départ, une sortie brutale de l'espace haïtien, espace qui deviendra par la suite celui de la quête nostalgique, sur fond d'errance. Il me semble que le croisement entre ces trois contextes détermine enfin un changement déterminant du statut de la narration, comme l'a relevé Anne Marty dans sa thèse : Les héros haïtiens représentent plutôt des types que des individus, et l'idée d'un "je" original effleure à peine le personnage romanesque très marqué par le "nous", le regard des autres dont il est finalement prisonnier. Peut-être est-ce la raison pour laquelle l'analyse psychologique n'a pas la faveur des romanciers d'Haïti ? En revanche, leur personnage féminin serait plus apte à exprimer les nuances d'un destin et d'un comportement personnalisés. Il dispose d'une liberté morale plus grande, peut-être parce qu'il est crédité par le groupe social d'une valeur ayant force de loi : la femme-mère est l'origine et la fin de la vie. Pareil personnage constitue l'ultime recours du héros qui ne parvient pas à transcender ce qui s'oppose à sa maturation ni à dépasser le problème de sa rivalité avec ses congénères. (2) C'est à partir de l'ensemble de ces considérations qu'il me paraît intéressant d'approcher le roman de Marie Chauvet.

Le thème de l'enfermement dans l'île, sur une propriété qui est en passe d'être volée, est traité dans Colère avec une acuité particulière, puisque, sans cesse, la narration établit avec le destinataire un lien joué sur un double registre : d'abord, un registre réaliste, sur le plan de la description des êtres, des lieux et des situations. Les lieux sont nettement identifiés : les terres Normil sont situées à Turgeau. L'époque de leur acquisition est en relation avec l'histoire de la République (sous Lysius Salomon). Les préoccupations des personnages sont relativement typiques : le grand-père a l'esprit encombré par des pensées anti-mulâtres, donc dirigées contre sa belle-fille, et vitupère contre la dégénérescence de la "race" ; la mère est silencieuse, consentante, alcoolique ; le père, infidèle et médiocre, se révèle plutôt habile et madré en matière d'affaires ; les enfants prennent peu à peu conscience que leur vie tranquille repose sur une aliénation et une oppression sociales qui leur revient dessus avec brutalité etc. En revanche, la fille, Rose, loin de se révéler et de s'épanouir comme femme-mère, est enfermée dans l'espace d'une prostitution mortifère et assumée. Le féminin comme le masculin, c'est-à-dire ce qui dans le roman constitue les ensembles reconnus des attributs des femmes et des hommes, demeurent ainsi figés dans des représentations sociales stéréotypées.



Cet entretien avec l'éditeur Roger Tavernier permet de mieux découvrir la femme et l'écrivain :

http://www.liberation.fr/page.php?Article=296405

Citation:
Roger Tavernier: «La violence en Haïti n'a fait qu'accroître l'exaspération de Marie Vieux-Chauvet»
L'éditeur de la trilogie «Amour, colère et folie», de la romancière haïtienne, était l'invité, jeudi 12 mai du chat littéraire hebdomadaire de Libération.fr
LIBERATION.FR : vendredi 13 mai 2005 - 17:01

A lire: La révoltée d'Haïti, dans le cahier «Livres» de «Libération» du 5 mai.

pierrot: Comment vous êtes-vous décidé à faire découvrir en France les œuvres de Marie Vieux-Chauvet?
Roger Tavernier: C'est parce que je connais Haïti depuis longtemps et que j'ai découvert la littérature haïtienne qui est une des plus belles, des plus riches de la francophonie. J'avais entendu parler depuis longtemps de Marie Vieux-Chauvet, une amie libraire haïtienne m'a un jour envoyé le livre qui était paru chez Gallimard, en 1968: je l'ai lu, je l'ai trouvé formidable, et donc j'ai voulu le rééditer.

niel: Pourquoi en France la littérature haïtienne est-elle si méconnue?
Elle est peut-être méconnue du grand public, mais il y a quand même beaucoup de gens qui la connaissent et qui l'apprécient. Si elle est peu connue par un grand nombre c'est parce que ces auteurs haïtiens sont, soit morts, soit ils vivent au Canada, aux Etats-Unis ou en Haïti, et qu'il est plus difficile de faire la promotion à distance.

claris: Dans l'article de «Libération» consacré à Marie Vieux-Chauvet, il est indiqué que son œuvre est enseignée dans les universités canadiennes et américaines. Pourquoi n'est ce pas le cas dans les facultés françaises?
Justement, «Amour, Colère et Folie» a été édité mais jamais diffusé en France, avant aujourd'hui. Par contre aux Etats-Unis, ont circulé des photocopies. C'est aussi parce qu'il s'agissait d'une Noire, plus ou moins féministe, correspondant bien à la sensibilité de nombreux universitaires américains.

niel: Comment expliquez-vous qu'une dame de 52 ans, arrive d'un coup à écrire des romans d'une telle force et sur des sujets tabous?
D'abord elle avait écrit d'autres romans avant. Elle a publié son premier roman à 34 ans. Ces romans étaient moins forts, moins violents, et on peut imaginer que son écriture a mûri d'une part, et d'autre part la violence qui régnait en Haïti, à l'époque, n'a fait qu'accroître son exaspération.

Marg: Où peut-on acheter la trilogie? J'ai fait toutes les librairies du Quartier latin sans trouver les livres!
C'est une bonne question car il y a effectivement un problème de distribution. Et à partir d'aujourd'hui, on peut le commander dans toutes les librairies de France. Les libraires ne l'ont pas encore reçu aujourd'hui, ils l'auront dans une semaine, mais si on le commande, on leur fournira tout de suite.

hatien: Depuis la sortie de la Trilogie, quelles ont été les réactions en France comme ailleurs. Par exemple en Haïti?
C'est un peu tôt pour le dire. En Haïti, le livre est très attendu. Il y a des commandes qui sont déjà parties pour Haïti, où il va connaître indiscutablement un bon succès.

charly: Comment est perçue aujourd'hui Marie Vieux-Chauvet à Haïti? Y a-t-il eu des tentatives de réhabilitation?
Elle a toujours été perçue comme un grand écrivain. Et les lecteurs l'ont toujours aimée. Vis-à-vis des pouvoirs publics, il y a un projet de fondation Marie Vieux-Chauvet qui devrait voir le jour dans un ou deux ans. Les Duvallier ne sont plus là maintenant, même si ça reste un pays où la violence règne encore, ce n'est plus la dictature des Duvallier. Quand elle a publié en 68, «Amour, colère et folie», elle a dû quitter Haïti, menacée de mort par les Tonton-Macoutes, de François Duvallier, ce qui explique que la famille a demandé à l'époque que le livre ne soit pas mis en vente pour se protéger des menaces de Duvallier.

claris: Psychologiquement, comment expliquer qu'une fille de bonne famille d'Haïti se révolte par la littérature?
D'abord, elle n'est pas la première «fille» ou «fils» à se révolter. On n'est pas obligé d'adhérer aux opinions des parents. Et à l'époque en Haïti, il y a un tel régime sanguinaire que tout le monde était révolté. Y compris les gens de «bonne famille», mais ils ne pouvaient pas l'exprimer sous peine d'être exécutés arbitrairement.

dou: Quelles relations avait Marie Chauvet avec le milieu littéraire français?
Elle n'avait pas tellement de relation, elle a habité en Haïti, puis à New York, mais elle lisait beaucoup d'écrivains français, aussi bien contemporains que plus anciens. Par contre elle a eu une relation avec Simone de Beauvoir, qu'elle admirait beaucoup, et qu'elle est allée rencontrer à Paris. Il y avait visiblement une même sensibilité féminine et féministe entre Simone de Beauvoir et Marie Vieux-Chauvet.

hatien: Pensez-vous que l'incroyable et riche histoire de Marie Vieux-Chauvet peut être adaptée au cinéma?
Je ne sais pas, je ne crois pas... Non, parce qu'elle a une vie d'écrivain, un exil à New York. Par contre je verrais plus au cinéma ses romans, notamment «Amour et colère et folie». Et également «La danse sur le volcan», qui ferait un superbe film historique, puisque l'action se déroule durant la guerre d'indépendance haïtienne.

cho: De quel argument avez-vous usé pour convaincre ses héritiers d'une telle réédition?
D'abord eux-mêmes souhaitaient que le livre soit réédité. Moi aussi, et donc je me suis mis à leur recherche puisqu'ils habitaient en Haïti et aux Etats-Unis. Et lorsqu'on a pu se rejoindre, nous avons commencé à mettre en place le projet de réédition. Il a certainement fallu qu'ils soient convaincus que notre maison d'édition était une maison sérieuse, et ensuite ça s'est fait naturellement.

pierrot: Cette trilogie dont la question raciale est au centre, peut-elle nous éclairer pour affronter nos démons actuels en France sur ce sujet?
Oui, je pense. Parce qu'il y a, à l'époque, et toujours maintenant, en Haïti, une manipulation de la couleur de la peau à des fins politiques. Duvallier, qui était noir, s'appuyait sur les noirs par rapport aux mulâtres, qu'il a opprimés, selon le vieil adage «diviser pour régner». C'est quelque chose qu'on peut retrouver un peu partout dans le monde. A savoir qu'on profite des différences, qu'elles soient de couleurs ou autres, pour asseoir un pouvoir. Effectivement en Haïti, il y a des gens qui ont la peau plus foncée que d'autres, puisqu'il y a eu un brassage important, Marie Vieux-Chauvet était considérée comme mulâtre, puisque sa mère était d'origine portugaise. A l'époque les mulâtres étant mal vus par Duvallier, il avait une raison supplémentaire de s'acharner contre elle. Aujourd'hui, ça tend un peu à disparaître et petit à petit les Haïtiens se rendent compte qu'ils sont avant tout Haïtiens, quelle que soit la couleur de leur peau.


Amour, Colère et Folie, à dévorer absolumment !!! (avec un morceau de chocolat à côté, car c'est un peu dur Sad )
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"Le colonialisme et ses dérivés ne constituent pas à vrai dire les ennemis actuels de l'Afrique. À brève échéance ce continent sera libéré. Pour ma part plus je pénètre les cultures et les cercles politiques plus la certitude s'impose à moi que LE PLUS GRAND DANGER QUI MENACE L'AFRIQUE EST L'ABSENCE D'IDÉOLOGIE."
Cette Afrique à venir, Journal de bord de mission en Afrique occidentale, été 1960, Frantz Fanon, Pour la Révolution Africaine
2011, annee Frantz Fanon
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Cathy
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MessagePosté le: Sam 19 Nov 2005 16:21    Sujet du message: Répondre en citant

Merci Chabine pour cette présentation de Marie Chauvet, on oublie trop souvent que beaucoup de femmes, à défaut de ne pouvoir saisir les armes ont saisit la plume! Surtout dans un pays comme Haïti. Nous parlerons d'elles.

Je viens tout juste d' achever "A l'angle des rues parallèles" de Gary Victor, tu m'as mise l'eau à la bouche, je vais me précipiter sur "Amour, Colère et Folie" Peut-être pourrons-nous échanger nos points de vue par la suite? Je sens que plus qu'une lecture, ce sera une délectation, le chocolat sera un plus. Je sens que je vais atteindre un royaume là Mr. Green . Merci encore Chabine Very Happy .
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"- A quoi est due la chute d'Adam et Eve ?
- C'était une erreur de Genèse."
(Boris Vian / 1920-1959)

http://alliance-haiti.com/
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Chabine
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MessagePosté le: Sam 19 Nov 2005 16:31    Sujet du message: Répondre en citant

cathy a écrit:
Merci Chabine pour cette présentation de Marie Chauvet, on oublie trop souvent que beaucoup de femmes, à défaut de ne pouvoir saisir les armes ont saisit la plume! Surtout dans un pays comme Haïti. Nous parlerons d'elles.

Je viens tout juste d' achever "A l'angle des rues parallèles" de Gary Victor, tu m'as mise l'eau à la bouche, je vais me précipiter sur "Amour, Colère et Folie" Peut-être pourrons-nous échanger nos points de vue par la suite? Je sens que plus qu'une lecture, ce sera une délectation, le chocolat sera un plus. Je sens que je vais atteindre un royaume là Mr. Green . Merci encore Chabine Very Happy .


"Pitit ki pa grangou pa mandetete" ("Le petit qui n’a pas faim ne réclame pas le sein de sa mère" ) Proverbe haïtien

Yo sé di ou ni grangou, ma fi ??? Laughing Laughing Laughing (on dirait que tu as faim, ma chère ???)

Bon appétit, et surtout, n'oublie pas le chocolat Wink
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Cathy
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MessagePosté le: Lun 21 Nov 2005 00:33    Sujet du message: Répondre en citant

Chabine a écrit:
cathy a écrit:
Merci Chabine pour cette présentation de Marie Chauvet, on oublie trop souvent que beaucoup de femmes, à défaut de ne pouvoir saisir les armes ont saisit la plume! Surtout dans un pays comme Haïti. Nous parlerons d'elles.

Je viens tout juste d' achever "A l'angle des rues parallèles" de Gary Victor, tu m'as mise l'eau à la bouche, je vais me précipiter sur "Amour, Colère et Folie" Peut-être pourrons-nous échanger nos points de vue par la suite? Je sens que plus qu'une lecture, ce sera une délectation, le chocolat sera un plus. Je sens que je vais atteindre un royaume là Mr. Green . Merci encore Chabine Very Happy .


"Pitit ki pa grangou pa mandetete" ("Le petit qui n’a pas faim ne réclame pas le sein de sa mère" ) Proverbe haïtien

Yo sé di ou ni grangou, ma fi ??? Laughing Laughing Laughing (on dirait que tu as faim, ma chère ???)

Bon appétit, et surtout, n'oublie pas le chocolat Wink


Je viens tout juste de lire ton post Very Happy , Moin gin yon bon ti chocolat vanille bo koté moin. Energie spirituelle oblige.

Hotep Cathy
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kemet
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MessagePosté le: Lun 21 Nov 2005 04:41    Sujet du message: Répondre en citant

Diali, Chabine, Cathy, BMW, merci d'animer ces pages que je viens de decouvrir. Comme Chabine, je recommende en priorite la trilogie en un tome de Marie-Vieux Chauvet, Amour, Colere, Folie. Ce sont des portraits remarquables de femmes face a la violence, a la solitude, et a la desintegration de la societe.
Edwige Danticat: elle a publie un recueil denouvelles merveilleux: Krik Krak, c'est egalement une collection de portraits de femmes, haitiennes a New York mais a mainte reprise j'ai cru reconnaitre des femmes de ma famille dedans.
Diali, tu donnes trop les meilleurs morceaux de Nini, mulatresse du Senegal! C'est un livre qui a le merite d'etre tres drole, plein d'humour, aux depends des mulatresses bien sur. Par rapport a ton message sur la mixite de Saint-Louis, c'est vrai qu'il y a moins de metisses maintenant qu'a la "belle epoque" mais jamais ils n'ont ete majoritaires dans l'ile. La plupart des familles saint Louisiennes ne sont pas metissees du tout, par exemple Aminata Sow Fall est saint Louisienne. A propos d'Aminata Sow Fall, autant j'ai adore la Greve des battu (une greve des mendiants en Afrique, il faut quand meme y penser!) autant je n'ai pas aime le jujubier du patriarche. J'ai trouve le theme interessant mais le livre particulierement mal ecrit, avec des fautes de syntaxe criantes a tel point que c'etait a se demander s'il avait ete relu.
Enfin, BMW, malgre mes (fortes) reserves personnelles sur Calixthe Beyala, je reconnais que Les honneurs perdus est un chef d'oeuvre, en tout cas les deux ou trois cent premieres pages, parce qu'a la fin le roman s'essouffle. Je le recommande.
L'aventure ambigue est, il est vrai ecrit par un homme mais il a des personnages feminins inoubliables, notamment La grande royale. Pour moi c'est le plus beau livre africain que j'ai lu, suivi des deux romans de Mariama Ba.
Apres avoir commente les suggestions de tout le monde, je vais y aller des miennes:
- Maryse Conde: Heremakhonon (egalement publie sous le titre En attendant le bonheur): les tribulations sentimentales et militantes d'une antillaise dans la guinee de Sekou Toure, ca sent le roman autobiographique. Et Segou bien sur.
- Nafissatou Niang Diallo: De tilene au plateau, une enfance dakaroise : autobiographique sur la jeunesse d'une enfant de Dakar dans les annees quarante et cinquante.
- Jean Rhys: Wide Sargasso Sea: la folle du grenier (la premiere femme de M. Rochester) dans Jane Eyre (de Charlotte Bronte) etait une antillaise beke et c'etait a cause d'elle que les deux amoureux ne pouvaient se marier. Dans ce livre, Jean Rhys prend sa defense, nous raconte sa vie aux antilles avant d'arriver en Angleterre, et la rehabilite en montrant qu'en realite c'est elle la victime!
- je n'ai pas encore vu citer les romans de Toni Morisson. Pourtant tous ses livres sont des portraits de femme. Ceux que je prefere c'est Song of Solomon et Jazz. Beloved est le plus connu. Dans Paradise, il y a 9 portraits de femmes qui se sont reunies dans un couvent et chaque chapitre a pour titre le nom de la femme dont il raconte l'histoire (Ruby, Pallas, Divine, meme les noms sont extraordinaires). Dans Jazz le personage principal est un homme tourmente entre deux types de femme: celle qu'il a epousee et qui a maintenant la quarantaine ou cinquantaine et une jeune fille qui est une jeune fille de la ville et qu'il aimerait posseder pour s'approprier sa jeunesse. C'est aussi le roman de la migration des noirs du Sud vers Harlem et bien sur le roman de la naissance du Jazz bien sur, quand c'etait considere comme une musique du diable.Le dernier roman de Morisson (Love) est aussi sur l'amour que l'on peut avoir pour differents types de femmes. Bon, je m'arrete la![/b]
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Diali
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MessagePosté le: Lun 21 Nov 2005 10:31    Sujet du message: Répondre en citant

Chabine a écrit:
cathy a écrit:
Hello Diali

Super boulot, veux tu que je te parle de la femme noire dans le romain Haïtien? Oui? aller je me lance pour le bonheur de partager.


Salut Diali, salut à toutes !

Depuis le temps que je prêche le féminisme sur ce forum, j'aurais pu vous rejoindre avant, au lieu de laisser diali prêcher seule dans le désert... Embarassed

Enfin, vieux motard que jamais.

Je suppose que tu acceptes les digressions sur la Femme Noire dans le roman caribéen aussi, diali ? Je saute sur la perche que me tend cathy pour vous parler d'un auteur que j'ai adoré, découverte l'année dernière : car en plus, c'est une femme, MARIE CHAUVET (1917-1973).



Salut Chabine, merci beaucoup pour ton apport ! Ce n'est même pas de la disgression puisque c'est juste mon manque de connaissances qui a fait que jusqu'à présent, j'ai surtout parlé des auteurs sénégalais. Donc encore, merci beaucoup !
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Diali
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MessagePosté le: Lun 21 Nov 2005 10:49    Sujet du message: Répondre en citant

kemet a écrit:
Diali, Chabine, Cathy, BMW, merci d'animer ces pages que je viens de decouvrir. Comme Chabine, je recommende en priorite la trilogie en un tome de Marie-Vieux Chauvet, Amour, Colere, Folie. Ce sont des portraits remarquables de femmes face a la violence, a la solitude, et a la desintegration de la societe.
Edwige Danticat: elle a publie un recueil denouvelles merveilleux: Krik Krak, c'est egalement une collection de portraits de femmes, haitiennes a New York mais a mainte reprise j'ai cru reconnaitre des femmes de ma famille dedans.
Diali, tu donnes trop les meilleurs morceaux de Nini, mulatresse du Senegal! C'est un livre qui a le merite d'etre tres drole, plein d'humour, aux depends des mulatresses bien sur. Par rapport a ton message sur la mixite de Saint-Louis, c'est vrai qu'il y a moins de metisses maintenant qu'a la "belle epoque" mais jamais ils n'ont ete majoritaires dans l'ile. La plupart des familles saint Louisiennes ne sont pas metissees du tout, par exemple Aminata Sow Fall est saint Louisienne. A propos d'Aminata Sow Fall, autant j'ai adore la Greve des battu (une greve des mendiants en Afrique, il faut quand meme y penser!) autant je n'ai pas aime le jujubier du patriarche. J'ai trouve le theme interessant mais le livre particulierement mal ecrit, avec des fautes de syntaxe criantes a tel point que c'etait a se demander s'il avait ete relu.
Enfin, BMW, malgre mes (fortes) reserves personnelles sur Calixthe Beyala, je reconnais que Les honneurs perdus est un chef d'oeuvre, en tout cas les deux ou trois cent premieres pages, parce qu'a la fin le roman s'essouffle. Je le recommande.
L'aventure ambigue est, il est vrai ecrit par un homme mais il a des personnages feminins inoubliables, notamment La grande royale. Pour moi c'est le plus beau livre africain que j'ai lu, suivi des deux romans de Mariama Ba.
Apres avoir commente les suggestions de tout le monde, je vais y aller des miennes:
- Maryse Conde: Heremakhonon (egalement publie sous le titre En attendant le bonheur): les tribulations sentimentales et militantes d'une antillaise dans la guinee de Sekou Toure, ca sent le roman autobiographique. Et Segou bien sur.
- Nafissatou Niang Diallo: De tilene au plateau, une enfance dakaroise : autobiographique sur la jeunesse d'une enfant de Dakar dans les annees quarante et cinquante.
- Jean Rhys: Wide Sargasso Sea: la folle du grenier (la premiere femme de M. Rochester) dans Jane Eyre (de Charlotte Bronte) etait une antillaise beke et c'etait a cause d'elle que les deux amoureux ne pouvaient se marier. Dans ce livre, Jean Rhys prend sa defense, nous raconte sa vie aux antilles avant d'arriver en Angleterre, et la rehabilite en montrant qu'en realite c'est elle la victime!
- je n'ai pas encore vu citer les romans de Toni Morisson. Pourtant tous ses livres sont des portraits de femme. Ceux que je prefere c'est Song of Solomon et Jazz. Beloved est le plus connu. Dans Paradise, il y a 9 portraits de femmes qui se sont reunies dans un couvent et chaque chapitre a pour titre le nom de la femme dont il raconte l'histoire (Ruby, Pallas, Divine, meme les noms sont extraordinaires). Dans Jazz le personage principal est un homme tourmente entre deux types de femme: celle qu'il a epousee et qui a maintenant la quarantaine ou cinquantaine et une jeune fille qui est une jeune fille de la ville et qu'il aimerait posseder pour s'approprier sa jeunesse. C'est aussi le roman de la migration des noirs du Sud vers Harlem et bien sur le roman de la naissance du Jazz bien sur, quand c'etait considere comme une musique du diable.Le dernier roman de Morisson (Love) est aussi sur l'amour que l'on peut avoir pour differents types de femmes. Bon, je m'arrete la![/b]


Salut Kemet

Merci beaucoup pour ton exposé. Tu me donnes également de nouvelles pistes de lecture... qui s'ajoutent à celles des autres !

Je crois qu'il va me falloir encore quelques mois pour aborder tous ces livres ! Mais quelle joie car ce post ne finira jamais !

J'espère aussi diffuser autour de moi la richesse de cette littérature négro-africaine et mettre fin à certains clichés notamment. J'ai choisi comme grille de lecture, la FEMME. On voit bien à travers tous ces ouvrages, le poids de la femme que ce soit par ses questionnements, son caractère, sa force, sa beauté, sa souffrance, comme pilier indispensable à la famille mais aussi aux grands combats et j'y reviendrai bientôt avec les bouts de bois de Dieu... Femme-enfant, femme-amante, femme-mère, femme-ancêtre, femme-légende, femme-guerrière... Mais dans tous ces romans, beaucoup d'autres thèmes très riches sont abordés.

La richesse de la littérature négro-africaine mérite d'être bien plus connue, analysée, étudiée. Il me semble que c'est un moyen de participer à la conscience de la richesse de cette spiritualité africaine et donc à la renaissance de l'identité africaine.

Pour ce qui est du Jujubier du patriarche, contrairement à toi, j'ai adoré cet ouvrage, relativement complexe du fait du foisonnement des personnages, des temporalités abordées... Il m'a fait voyager dans le temps et j'en ai apprécié la richesse de ses personnages féminins.
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MessagePosté le: Lun 21 Nov 2005 10:53    Sujet du message: Répondre en citant

cathy a écrit:
Je viens tout juste d' achever "A l'angle des rues parallèles" de Gary Victor, tu m'as mise l'eau à la bouche, je vais me précipiter sur "Amour, Colère et Folie" Peut-être pourrons-nous échanger nos points de vue par la suite? Je sens que plus qu'une lecture, ce sera une délectation, le chocolat sera un plus. Je sens que je vais atteindre un royaume là Mr. Green . Merci encore Chabine Very Happy .


Laughing
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MessagePosté le: Mar 22 Nov 2005 16:25    Sujet du message: Répondre en citant

Chose promise, chose dûe, je me lance sur les bouts de bois de Dieu d'Ousmane Sembène, d'abord brièvement avant d'en refaire une seconde lecture pour reprendre de façon plus précise les portraits des personnages féminins et faire ressortir les enjeux du livre.

Je conseille vraiment à toutes et à tous la lecture de ce roman tiré d'un fait réel, à savoir la grève des cheminots du Dakar-Niger qui se déroula du 10 octobre 1947 au 19 mars 1948. Pour résumer en quelques mots, cette grève de 1947-1948 fait suite à une grève de 1938. De ce fait, beaucoup d'enfants d'anciens grévistes se retrouvent parmi les grévistes de 1947-1948 et ont souffert de la mort de leurs aînés tués lors de cette première grève. La grève a pour but d'obtenir les mêmes droits que les ouvriers blancs, à savoir la retraite, les allocations familiales, l'alignement des salaires... auprès des employeurs de la compagnie ferroviaire, blancs colonisateurs.

C'est un roman très bien écrit (j'en profiterai pour en extraire un ou deux passages pour le démontrer !), bien organisé (entre les actions qui se déroulent sur les trois villes que j'ai déjà citées), avec des personnages divers dont les destins se croisent à travers cette grève et, qui traite d'enjeux qui ne sont pas dépassés à l'heure actuelle (malheureusement) mais s'ils peuvent se poser de façon un peu différente.

Dans le cadre de ce sujet sur la femme dans la littérature africaine, il offre la dimension de la "femme-guerrière" : du soutien quotidien à l'homme, elle devient moteur d'un combat qui est aussi le sien. Je regrette cependant que, malgré toute l'importance que Sembène Ousmane donne aux femmes dans la réussite de ce combat, il n'en ait pas suffisamment montrer la CONSCIENCE par la femme. En effet, les actions héroïques relatées viendraient plus des difficultés quotidiennes subies (cuisines aux foyers éteints) ou d'un caractère ou style de vie d'un personnage. Je reviendrai sur ce point en abordant les personnages de Ramatoulaye et de Penda notamment.

Quoiqu'il en soit, le fil conducteur du roman (pour ce qui concerne notre grille de lecture choisie, à savoir la femme) est le récit de femmes a priori ordinaires qui en s'adaptant à une réalité difficile, trouvent en elles des forces inattendues et deviennent héroïques. C'est le récit d'une évolution de leur rôle : de leur complémentarité avec l'homme, elles s'inscrivent quasiment à égalité dans le combat grâce à l'appui de certains personnages masculins (car l'action des femmes n'est pas bien perçue par certains hommes) comme Bakayoko. Ce rôle n'est donc pas encore NATUREL. Bon, en même temps, il faut se replacer dans le contexte historique...

On verra que les moyens utilisés par les femmes sont parfois les mêmes que ceux utilisés par les hommes mais que souvent, ils en diffèrent. On verra aussi que malgré tout, les femmes ne sont pas assises à la table des négociations. On verra que si on les laisse parler dans certaines assemblées, les femmes restent femmes de syndicalistes et ne sont pas à proprement parler des syndicalistes... Bref, c'est le début d'un changement... possible.

Se croisent des personnages féminins de tout âge, de Niakoro-la-vieille à la petite-fille précoce et prodige Ad'jibid'ji ; de tous milieux et de tous caractères, de Penda la femme de mauvaise vie à Maïmouna l'aveugle (qui rien ne les rassemble a priori et pourtant...), de la belle N'Deye Touti de l'école normale à Mame Sofi... ce qui en fait un livre très riche sur la femme africaine.
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MessagePosté le: Mar 22 Nov 2005 18:49    Sujet du message: Répondre en citant

Je me suis attachée à tous les personnages féminins, et à certains personnages masculins, et pour ne rien cacher à Bakayoko Laughing que j'admire particulièrement pour son engagement, mais aussi pour son courage, son esprit, sa pudeur, sa tenacité dans le combat, sa fidélité de coeur (à défaut de corps) et son respect envers Assitan, la femme de son grand-frère qu'il épousera à la mort de ce dernier conformément aux traditions sans prendre une seconde épouse et, pour sa relation complice avec la fille que son frère a eue avec Assitan, Ad'jibid'ji qui l'appelle donc "petit père".

Je vais commencer par parler du personnage de PENDA, présentée dans la liste des personnages du début du livre comme une "femme de mauvaise vie". Penda est l'emblème en fait de la femme-guerrière. Elle mourra au "combat", en première ligne, à l'arrivée à Dakar.

Penda est surtout présentée par l'auteur comme une femme indépendante, qui part vivre ses aventures avec les hommes et s'en revient à chaque rupture à la concession.
Sa relation avec les hommes est particulière et paradoxale : elle semble les mépriser mais elle en suscite le respect. Du coup, ses relations avec les femmes sont également particulières, certaines la traitant de "putain", d'autres ne jugeant pas son mode de vie (Dyenaba la marchande sa mère adoptive ; Maïmouna l'aveugle...). Penda subit donc les réfléxions de certaines femmes mais elle n'est pas rejetée par ses proches.

Elle semble mépriser les hommes ("Tous les hommes sont des chiens (...). Si tu pouvais voir leur figure après qu'ils se soient soulagés, tu te rendrais mieux compte" dit-elle à Maïmouna quand cette dernière ne veut pas lui dire qui est le père de ses jumeaux) et pourtant, c'est vers elle que se tourne Lahbib (deuxième secrétaire de la fédération des cheminots) pour faire la distribution des rations. De même, elle sera toujours soutenue par Bakayoko. Ce dernier prendra notamment sa défense envers une N'Deye Touti jalouse :
"C'est une putain.
- Qui te l'a dit ?
- Toutes les femmes de la concession le savent. Elles disent qu'il n'y avait que le chemin de fer qui ne lui était pas passé par-dessus. Je me demande comment ?...
N'Deye Touti n'acheva pas sa phrase et Bakayoko ne répondit pas tout de suite.
- Tu n'arrives peut-être pas à la cheville de Penda, dit-il enfin. Je sais ce qu'elle valait. C'était une vraie amie et elle a donné sa vie. Il y a plusieurs façons de se prostituer, tu sais. Il y a ceux qui le font sous la contrainte : Alioune, Deune, Idrissa, moi-même nous prostituons notre travail à des gens que nous ne respectons pas. Il y a aussi ceux qui se prostituent moralement, les Mabigué, les N'Gaye, les Daouda. Et toi-même ?".

Il est mis en avant son autorité, tant envers les hommes qu'envers les femmes. Penda est une femme droite, forte et courageuse. Il est à noter que malgré sa dureté, son caractère fort de meneuse, on la sent sensible, voire fragile (dialogues avec Maïmouna).

Penda, c'est la pionnière : c'est elle la première femme à s'exprimer en public lors d'une assemblée à Thiés, grâce à Bakayoko ("elles ont le droit de parler"), c'est elle qui sera à l'initiative de la marche des femmes sur Dakar suite aux échecs de la première négociation (pas d'allocations ni de retraite parce que leurs maris sont polygames...). Elle tiendra ce discours :
"Je parle au nom de toutes les femmes, mais je ne suis que leur porte-parole. Pour nous, cette grève, c'est la possiblité d'une vie meilleure. Hier nous riions ensemble, aujourd'hui nous pleurons avec nos enfants devant nos marmites où rien ne bouillonne. Nous nous devons garder la tête haute et ne pas céder. Et demain nous allons marcher jusqu'à N'Dakarou (...) entendre ce que les toubabs ont à dire, et ils verront si nous sommes des concubines ! Hommes, laissez vos épouses venir avec nous ! Seules resteront à la maison celles qui sont enceintes ou qui allaitent et les vieilles femmes".

Mais quelques pages avant ce discours, l'échange avec Maïmouna est décevant :
"- Tu n'aimes pas beaucoup les hommes et pourtant tu te bagarres pour LEUR grève...
Avant de s'endormir, Penda se posait parfois la même question :" Pourquoi me suis-je jetée dans cette affaire. Je n'ai rien à en retirer." Mais elle s'endormait avant d'en avoir trouvé la réponse."
Je trouve ce passage maladroit surtout lorsque quelques pages plus tard, on se retrouve face au discours de Penda que j'ai recopié et où transparaît la conscience de ce combat qui n'est pas que celui des hommes, mais celui des femmes aussi, pour une vie meilleure, où il est question d'atteinte à leur propre respect puisque les Blancs ont parlé de "concubines" et non d'"épouses". S'il s'agit en effet d'une grève initiée par les hommes, Penda a un rôle qui n'est pas celui d'une suiveuse d'où cet extrait qui me semble donc inapproprié par rapport au personnage.
Penda est une meneuse qui assurera jusqu'au bout son initiative dont elle est garante, faisant fi de certaines humiliations (ex. Awa : "moi, je reste, nous n'avons pas à obéir à Penda. D'abord, elle ne peut pas avoir d'enfants, c'est pourquoi tous les hommes lui courent après !"), avec la même tenacité que Bakayoko.
Autre interprétation possible : a-t-elle eu besoin de cette cause pour donner un sens à sa vie, sachant que c'est un homme qui a d'abord fait appel à elle avant qu'elle ne s'engage elle-même dans le combat ?

Le choix de Penda, "femme de mauvaise vie", pour représenter la femme peut-être la plus "consciente" (quoiqu'il faille mesurer cette remarque, par rapport à la "maladresse" que j'ai relevée) dans l'engagement, est-il un hasard ?
Est-ce que seule une femme qui n'a pas de rôle de mère nourricière peut avoir ce rôle moteur dans la lutte ? Est-ce que seule une femme qui semble vivre une vie d'homme peut jouer ce rôle parce qu'elle serait capable de se détacher davantage de son quotidien pour une cause plus large ?

Je parlerai des rôles respectifs d'autres femmes dans le combat mais je pense qu'ils se situent à un autre niveau que celui de Penda, malgré des actions plein d'éclats. Il s'agit d'actions plus individuelles, non préparées, pour faire face aux difficultés du moment. Cependant, ces actions sont également à louer car elles témoignent de la force et du courage de ces femmes et donc de leur participation indispensable à la réussite de la grève.
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MessagePosté le: Ven 25 Nov 2005 10:08    Sujet du message: Répondre en citant

Avant de revenir sur une description plus précise des personnages féminins des Bouts de bois de Dieu, je voudrais juste préciser d'une part, l'organisation du livre et d'autre part, faire une sorte de panorama des personnages féminins du roman.

Le roman se décompose en dix parties ayant pour titre le nom de la ville dans lequel l'action se déroule, à savoir soit Bamako, soit Thies, soit Dakar. A l'intérieur de ces parties, il y a des chapitres dont certains portent le nom de personnages féminins : Ad'jibid'ji, la petite fille, Maïmouna l'aveugle, Ramatoulaye, Mame Sofi et Penda.
Certains personnages féminins sont tous aussi intéressants même s'ils ne font pas l'objet d'un titre : Niakoro la vieille, la belle N'Deye Touti, la veuve et mère de famille Houdia M'Baye, etc.
Je ne manquerai pas de parler de ces personnages.

Avant d'entrer dans le détail, je propose donc ce petit panorama des autres personnages féminins.

J'ai commencé par Penda, pour les raisons que j'ai évoquées plus haut.
Dans l'ordre d'importance (si je puis dire) par rapport au combat, suivent Ramatoulaye l'aînée et Mame Sofi qui se détachent par rapport aux autres femmes : leurs actions sont héroïques même si je ne les place pas au même niveau que celles de Penda. En effet, même si ces deux femmes ont un rôle de meneuse, leurs actions sont avant tout liées aux privations quotidiennes et sont "spontanées". Plus que dans l'action, elles se situent en fait dans la réaction. Cela n'enlève pas leur mérite, mais cela les place à un autre niveau pour moi comme je l'ai écrit.

Ramatoulaye et Mma Sofi tirent leur force de la difficulté du quotidien, de leur rôle de femmes-nourricières qui n'a pas changé avec la grève si ce n'est qu'il est rendu bien plus difficile puisqu'elles n'ont plus l'aide financière des hommes. Elles doivent continuer de faire vivre la concession, de nourrir des enfants affamés, sans l'aide de leur mari. Ce sont elles qui subissent les humiliations au quotidien face au commerçant, ce sont sur leurs épaules que repose désormais tout le quotidien. C'est la débrouille au quotidien, assurer à tout prix un minimum de nourriture.
De ce fait, un évènement injuste provoque une colère immédiate d'où elles tirent leur force de guerrière. Leurs armes : l'habileté, les mots, la tenacité, mais aussi les bouteilles de sable, les marches...
L'une des valeurs-clés de la réussite de leur entreprise et de leur force est la solidarité féminine. Ces deux femmes mènent le combat parce que les autres sont solidaires et forment un bloc avec elles. Elles connaitront des moments de découragement mais cette nécessité de survie les rend fortes, de nouvelles femmes sont nées.

Maïmouna l'aveugle, Houdia M'Baye, Dyenaba la marchande, etc, ne sont pas en marge de ce combat. Certaines y perdront même la vie. Elles sont plus discrètes que Ramatoulaye ou Mame Sofi. J'en dirai quelques mots également.

Le binôme, si je puis dire, formé par Niakoro la vieille et Ad'jibid'ji, est riche à étudier du fait de l'écart de générations et de l'évolution perceptible du rôle de la femme entre la grand-mère et la petite fille.

Enfin, l'analyse du personnage de N'Deye Touti est toute aussi intéressante parce qu'elle représente l'"aliénée". Le destin de ce personnage est particulièrement douloureux : N'Deye subira deux humiliations symboliques ce qui remettra en cause sa vision première... Je n'en dis pas plus pour l'instant.
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ARDIN
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MessagePosté le: Lun 28 Nov 2005 00:53    Sujet du message: Répondre en citant

Salut diali!
Toujours sur le meme theme de la femme dans la litteraturee africaine, j'aimerai, si tu me le permets, venir parler la semaine prochaine, du personnage de "Perpetue", l'heroine d'une des oeuvres de Mongo Beti: Perpetue et l'habitude du malheur
Nous quitterons donc l'Afrique de l'Ouest pour l'Afrique Centrale ou je vous emmenerai, a travers la plume du Docteur Cecile Dolisane-Ebosse, specialiste des litteratures africaines et des etudes feminines post-coloniales, a la rencontre de l'heroine.
Je presente neanmoins l'objet de son etude ici qui s'intitule:
Le traumatisme de la maternite ou la metaphore de la servitude, avec pour themes:
1) Le corps feminin dans la societe traditionnelle
2) Structures phallocratiques et le traumatisme feminin
3) Au-dela du traumatisme: la mystique revolutionnaire
Voila pour la bande annonce, j'espere que ca va interesser de nombreuses grioonautes.
_________________
l'Hommage a Cheikh Anta Diop sur PER-ANKH
l'Hommage a Mongo Beti sur PER-ANKH
l'Hommage a Aime Cesaire sur PER-ANKH

LPC-U : CONSTRUIRE LE CONGO POUR L'UNITÉ DE L'AFRIQUE
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Diali
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MessagePosté le: Lun 28 Nov 2005 08:19    Sujet du message: Répondre en citant

ARDIN a écrit:
Salut diali!
Toujours sur le meme theme de la femme dans la litteraturee africaine, j'aimerai, si tu me le permets, venir parler la semaine prochaine, du personnage de "Perpetue", l'heroine d'une des oeuvres de Mongo Beti: Perpetue et l'habitude du malheur
Nous quitterons donc l'Afrique de l'Ouest pour l'Afrique Centrale ou je vous emmenerai, a travers la plume du Docteur Cecile Dolisane-Ebosse, specialiste des litteratures africaines et des etudes feminines post-coloniales, a la rencontre de l'heroine.
Je presente neanmoins l'objet de son etude ici qui s'intitule:
Le traumatisme de la maternite ou la metaphore de la servitude, avec pour themes:
1) Le corps feminin dans la societe traditionnelle
2) Structures phallocratiques et le traumatisme feminin
3) Au-dela du traumatisme: la mystique revolutionnaire
Voila pour la bande annonce, j'espere que ca va interesser de nombreuses grioonautes.


Super ! Bande-annonce très alléchante, merci d'avance !
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MessagePosté le: Lun 28 Nov 2005 20:47    Sujet du message: Répondre en citant

Les personnages de Ramatoulaye et de Mame Sofi sont emblématiques du passage de la femme "simple" à la "femme guerrière".

Ousmane s'interroge sur la cause de cette "force nouvelle" et y répond : cette dernière est tirée de leur expérience de femmes, du rôle qu'elles jouent jusqu'à présent dans la société. Elles lutteront donc pour remplir leur rôle de nourricière jusqu'au bout.

Leurs actions, que j'ai appelées plus haut "réactions", sont spontanées, pragmatiques, liées à l'acte commis par le bélier Vendredi qui a mangé le riz destiné au repas de la concession : provoquant la colère de Ramatoulaye, il donnera lieu à toute une série d'évènements qui s'enchaîneront en peu de temps. Mais ces "réactions" sont organisées, "encadrées" par les deux meneuses ce qui leur donne un rôle particulier dans cette lutte.
C'est en quoi, elles sont, à l'instar de Penda, devenues des guerrières, même si pour moi, la grosse différence est que Penda est une guerrière-née.

Ousmane Sembène montre comment ces deux personnages "ordinaires" finalement à bout, compte-tenu du poids des responsabilités accru en ce temps de grève, et épuisées par les privations, se dépassent, se transforment, se découvrent une "force nouvelle", pour pouvoir nourrir la concession. Elles n'hésitent plus à braver l'autorité. Chacune s'étonne de l'audace de l'autre, l'audace se trouvant renforcée par la solidarité féminine.

Ainsi, on se retrouve face à Ramatoulaye l'aînée qui défie un bélier imposteur : "Ou vous mangerez de la viande du bélier ou ce sera la mienne, mais ce soir personne ne couchera avec la faim", pleine de courage face à l'autorité : "Dis à ton chef que le mouton ne sortira pas d'ici. Vous me vouliez, moi, me voici...".
On a une Mame Sofi maline qui n'hésite pas à faire verser l'eau d'un porteur d'eau dans la jarre familiale, à faire boire les enfants, puis à négocier en dernier le crédit face à un porteur d'eau étranglé par la colère ! Une Mame Sofi qui après avoir critiqué Ramatoulaye pour les risques encourus, devient elle-même presque plus audacieuse puisqu'elle mènera le groupe des femmes vers la maison d'El Hadji Mabigué le propriétaire du bélier pour récupérer du mil, s'armera de bouteilles de sable pour lutter contre les policiers venus récupérer le bélier. C'est de Mame Sofi que viendra l'idée d'éloigner les hommes à cheval avec le feu ce qui provoquera malheureusement un incendie, c'est elle encore qui mènera le groupe de femmes (auquel se joindont toutes les femmes rencontrées dans la rue) vers le commissariat de Médina quand Ramatoulaye décide d'y aller...

Leur attitude de guerrières par la force des choses, sera critiquée par le Serigne N'Dakarou qui viendra en renfort au commissariat "voilà votre oeuvre, femmes ! Depuis quelques temps vous vous comportez comme des athées". Il rendra ces dernières responsables de la mort de Houdia M'Baye tuée par les lances d'incendie des pompiers pour écarter la foule rassemblée autour du commissariat (alors qu'il n'y avait pas eu d'eau pour éteindre l'incendie de la veille).

Voici quelques passages choisis pour montrer le cheminement de ces deux femmes devenues héroines.

Ramatoulaye

"Depuis le début de la grève, Ramatoulaye était devenue plus réservée, plus dure aussi peut-être. Ses responsabilités s'étaient accrues car la maison dont elle était l'aînée était grande : vingt Bouts de bois de Dieu. Il n'y avait plus de temps pour bavarder ou gémir.(...)"

"Quand on sait que la vie et le courage des autres dépendent de votre vie ou de votre courage, on n'a plus le droit d'avoir peur... Même si on a très peur ! Ah ! Nous vivons des instants cruels, nous sommes obligés de nous forger une dureté, de nous raidir. Plus ça va, plus les temps deviennent durs. Si Vendredi (le bélier) n'avait pas anéanti notre espoir de la journée, il serait encore vivant ! Et s'il m'avait encornée, vous auriez versé des larmes, vous auriez même oublié votre faim... pour la journée (...)."

"Chacun se demandait où Ramatoulaye avait bien pu puiser cette force nouvelle. L'officier de police voyant briller devant lui ces gros yeux blancs où flambait la colère, se sentant bravé, commençait, lui aussi, à s'échauffer. Les autres femmes étaient proches de la panique. Elles ne reconnaissaient plus leur compagne, habituées qu'elles étaient à la voir simple, sociable, douce avec les enfants. Jamais à la borne-fontaine elle ne prenait part aux discussions, jamais elle ne médisait comme les autres. D'où lui était donc venue cette force neuve, où était la source de cette force qui se déchaînait soudain ? Ce n'était pas la guerre, Ramatoulaye n'était pas un homme, n'avait pas été un soldat, elle n'avait pas connu les longues marches sac au dos au cours desquelles on amasse les rancoeurs. Ce n'était pas l'usine, Ramatoulaye n'avait jamais été soumise aux inhumaines cadences du travail ouvrier. Ce n'était pas dans de multiples étreintes d'hommes. Ramatoulaye n'était pas de celles qui dilapident leur tendresse. Où donc alors ? La réponse était simple comme elle l'était elle-même : dans les cuisines aux foyers éteints".

Mame Sofi

"Ramatoulaye, dit-elle, personne de cette maison n'ira au commissariat. J'ai entendu ce que vous venez de dire. J'ai entendu les paroles de N'Deye Touti et il est vrai qu'elle est seule parmi nous à pouvoir déchiffrer ce qu'écrivent les Blancs. Moi, je ne sais pas lire, mais je suis sûre qu'il n'est pas écrit dans la mère des livres de loi qu'on peut affamer, assoiffer et tuer des honnêtes gens. Et si tu crois que lorsque tu iras là-bas, on va te récompenser et te dire :"Tiens, voilà cent kilos de riz parce que vos hommes sont en grève", tu te trompes, et N'Deye Touti aussi, malgré tout son savoir. Mais nous avons des choses plus importantes à faire qu'à discuter. Voici ce que nous avons apporté de chez El Hadji Mabigué. Ce n'est que du mil mais ça aidera.
Les femmes qui l'accompagnaient posèrent à terre leurs calebasses. Mame Sofi commençait à organiser la distribution quand on entendit soudain une voix apeurée qui venait de la rue :
- Attention, attention, il y a des spahis qui arrivent !
- Eh bien, on va les recevoir comme on a reçu les alcatis ! s'écria Mame Sofi.
- Tu es folle ? Comment veux-tu te battre contre des hommes à cheval ? dit Bineta.
- Ne t'inquiètes pas, j'ai une idée. Tu sais que les chevaux ont peur du feu ? Comme nous n'avons plus d'allumettes, allez chercher de la braise dans vos foyers et apportez-la dans des casseroles ou des calebasses. Il faut aussi de la paille tressée.
En moins d'une minute, les femmes s'étaient égayées dans la cour et les maisons voisines. Ramatoulaye elle-même, oubliant ses hésitations, réapparut tout de suite, brandissant une poignée de brins de paille.
- Venez dans la rue, ordonna Mme Sofi, et rangez-vous de chaque côté. N'allumez pas la paille tout de suite, attendez que je vous le dise".
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MessagePosté le: Mar 29 Nov 2005 08:44    Sujet du message: Répondre en citant

Un autre extrait de Mame Sofi, particulièrement significatif, dont je me suis souvenue cette nuit Laughing .

"Tu verras qu'à la prochaine grève, les hommes nous consulteront. Avant ils étaient tout fiers de nous nourrir, maintenant c'est nous, les femmes qui les nourrissons ! Le nôtre - Mame Sofi disait "le nôtre" car elle partageait, avec Bineta, Deune, celui-là même qui, ce jour-là, était de garde au siège du syndicat - le nôtre, je lui ai dit l'autre soir : "Si tu reprends le travail avant les autres, je te coupe ce qui fait de toi un homme (...)"."

Je disais plus haut que les femmes devaient assurer une continuité de leur rôle de femme nourricière sans pour autant pouvoir bénéficier de l'argent du travail des hommes. Cette situation de fait leur donne un rôle supplémentaire. La conscience de ce nouveau rôle, habituellement dévolu à l'homme, semble annoncer un changement futur dans les relations homme/femme au sein du ménage.
Cet extrait est l'un des passages du livre qui montre que, malgré certains moments de découragement, les femmes ne font pas que suivre les hommes.
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ARDIN
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MessagePosté le: Mar 29 Nov 2005 21:10    Sujet du message: Répondre en citant

Salut!
Comme prevu, je presente l'introduction du sujet d'analyse du Dr Cecile Dolisane-Ebosse.


Le Traumatisme de la maternite ou la metaphore de la servitude.

La mystique du marriage dans la societe traditionnelle s’accompagne du mythe de la maternite dans la mesure ou etre femme est avant tout etre mere, la societe ne retenant majoritairement que son aptitude a procreer. Au-dela de toute polemique autour de l’eternel feminine, c’est la veneration de l’enfant et surtout du garcon comme l’avenir de l’homme que le negro-africain entend conserver.

Dans la societe rotative, la genitrice, assimilee a la culture, a la reproduction semble preeminente. Par le culte de la mere, on lui accorde toutes les faveurs, plus d’egard et une preference certaine.
Mais la penetration europeenne ebranla les coutumes en introduisant de nouvelles valeurs au point qu’il y eut une incompatibilite entre la maternite doucereuse, lenifiante et les exigencies de batir une nation qui requiert l’ensemble des forces vives, homes et femmes compris.
C’est ainsi qu’on constate que dans Perpetue et l’habitude du malheur, la maternite biologique couplee du mariage traditionnel sont des epreuves insoutenables. Elles s’apparentent a la servitude. Avec le vent de la modernite, le corps de la femme tend a se mouler dans la politique afin de forger une maternite plutot conquerante, la fecondite devant etre symbolique et revolutionnaire. C’est dire qu’elle doit se muer en idees susceptibles d’enfanter un leader, mieux un messie.

Les antagonismes entre les couples ne sont ils pas cette volonte de se soustraire du joug masculine conservateur et retrograde pour s’affirmer en tant qu’identite autonome ayant des responsabilites sociales et politiques ou une simple allegorie des conflits socio-politiques au lendemain des independences? En d’autres termes, les metamorphoses feminines qui placent naturellement la femme dans la mobilite, dans le camp du changement ne sont elles pas une metaphore de la revolution, de la liberation progressive de la societe tout entiere ou symboliquement l’apport feminine serait cardinal?

Notre but n’est pas d’incriminer le don naturel, le privilege que seule la femme possede de donner la vie, ce pouvoir de peupler le monde qui fait d’elle une enigma. Il s’agit pour nous de demanteler la manipulation et la strategie mises en place par la societe patriarcale pour paradoxalement l’affaiblir et la reduire par ce role. Notre analyse s’inscrit dans une logique processuelle, evolutive. Elle part alors de la femme neant pour se transformer en femme du pays, en plus clair, en femme du monde.

De ce fait, la demarche epistemologique adoptee est double: elle est d’abord socioculturelle parce que chaque societe possede ses valeurs referentielles, il est donc opportune de tenir compte du referent social pour analyser les ouvrages. Ensuite, il faudrait extrapoler le paradigme sociologique pour apprehender une hermeneutique plus ideologique, la vision symbolique des personages pris entre deux forces: progressistes et conservatrices. Cette derniere grille de lecture nous permet de projeter la morale de l’oeuvre vers le devenir.

Pour mener a bien cette etude, notre argumentaire s’effectue en trois temps forts: d’entrée de jeu, nous montrerons le corps feminine dans la societe traditionnelle, ses consequences tragiques, les pieges du marriage et de la dot. Ensuite, nous denoncerons la quete de la liberte, de la democratie par une nation naissante en proie a une revolution precoce et immature.
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