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La femme dans la littérature africaine
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Diali
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MessagePosté le: Mer 05 Oct 2005 09:46    Sujet du message: Répondre en citant

BMW a écrit:
diali a écrit:
Je te trouve un peu sévère quand tu dis qu'il parle de l'Afrique de manière "anecdotique" avec "les péripéties d'un petit vieux". En effet, c'est bien le fil conducteur du livre, mais le sel c'est tout ce qu'il y a autour, c'est-à-dire les autres petites scènes de la vie quotidienne, certains dialogues, non ?

Quand tu dis que c'est enfantin comme littérature, pourquoi pas. C'est un peu comme les contes en fait. Mais on en tire toujours beaucoup de choses des contes. Enfin, moi, je trouve !

Sinon, j'en profite Laughing , peux-tu me conseiller des ouvrages de Soyinka et de Ngugi Wa Thiongo ? Merci d'avance !


C'est vrai que je suis un peu sévère.
Mais bon, je n'aime pas trop les livres qui donne une image cliché de l'Afrique.
Et le Mandat fait partie de ces livres.

Chez Soyinka, je te recommande fortement "La mort et l'ecuyer du Roi", c'est une pièce de théâtre et c'est transcendental.
Et aussi sa première oeuvre romanesque, "Les interprètes". C'est assez compliexe comme livre mais je préfère ce type de litterature.

Chez Ngugi, je te conseillerais "Pétales de Sang".
Il a aussi d'autres bouquins, mais je n'ai pas aussi réussi à les lire, car ils sont en rupture de stock.

Comme tjrs...



Je viens de terminer "la mort et l'écuyer du roi", en effet c'est une pièce de théâtre magnifique. Le thème principal est le respect de la tradition, le passage entre la vie et la mort. La place de la femme est très importante pour moi dans cette pièce parce que même si les personnages principaux sont des hommes, les femmes sont très présentes et sont montrées dans leur force, leur beauté, leur intelligence, etc à des moments-clés de la pièce.
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Diali
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MessagePosté le: Mer 05 Oct 2005 20:18    Sujet du message: Répondre en citant

Je reviens à "Rue Felix-Faure" de Ken Bugul avant de reparler de la pièce de Soyinka.
(Sinon, j'ai enfin le lien pour les arbres généalogiques pour le livre d'Aminata Sow Fall mais je dois juste revoir un peu la présentation des arbres et je mettrai enfin le lien ! Laughing )

Pour "rue Felix-Faure", je propose aujourd'hui deux extraits.

Le premier extrait est pris au tout début du livre. Finalement, tout est dit dans cet extrait, ou presque. On y découvre l'un des personnages féminins principaux, Drianké. Il est fait allusion au cadavre retrouvé. Le monologue de Drianké résume à lui seul le sujet et le dénouement du livre.

"Drianké, tout le monde la connaissait dans la rue Félix-Faure. Elle appartenait à la rue Felix-Faure (...). Drianké faisait partie à vie des fondations de la rue Felix-Faure, avait décrété tacitement les habitants de la rue Felix-Faure quand elle était arrivée ici, il y a quelques années, en boitant.
(...)
On n'entendait qu'un blues psalmodié à l'intérieur de la maisonnette. Un blues aussi lancinant que la musique du violon qui suintait du salon de coiffure fermé, Chez Tonio. Le silence entre Drianké et Muezzin durait et Muezzin s'était demandé s'il n'avait pas rêvé.
Finalement il n'y avait pas eu de mort. Il n'y avait qu'un corps découpé en gros morceaux ! Finalement, rien ne s'était passé. Il n'y avait que quatre lampes-tempête lacées aux quatre points cardinaux !
Muezzin était dépassé.
"Chacun finira un jour sa course folle !" avait dit Drianké.
(...)
En monologuant toujours, Drianké s'était levée.
"Dans cette vie, tout s'achète, tout se vend, tout se paie.
Même la plus petite pensée, même la plus petite action.
Il n'y a pas un autre monde, il n'y a pas une autre vie.
Tout se passe ici et nulle part ailleurs.
Chacun récolte ce qu'il a semé et Dieu n'y est pour rien.
Dieu ne donne pas des prix à ceux qui se croient méritants. Chacun se donne son prix. Dieu a fini avec nous depuis la Création, depuis le reflet. Dieu a quitté l'Eden avec ses images, Adam, Eve et Satan. Nous sommes tous dans la même barque, désormais et pour toujours. Et dans cette barque nous nous sommes confondus. Chacun peut être Dieu ou Satan, Adam ou Eve, comme il veut".
Drianké s'était levée, avait pris la canne posée à côté d'elle, et, en s'appuyant dessus, sans boiter, elle s'était dirigée vers le portail."

Je propose ce second extrait pour plusieurs raisons.
D'bord, il montre comment Ken Bugul traite d'une diversité importante de sujets à travers le sujet principal qu'elle a choisi de traiter.
Dans "Riwan ou le chemin de sable" dont j'ai parlé plus haut, plusieurs réflexions se greffaient également au sujet central.
Ensuite, j'ai choisi aussi cet extrait pour des raisons strictement perso : ma connaissance de la ville de Dakar (je lis chaque quartier et j'en revois chaque rue dans ma tête et quelle nostalgie !) et en tant qu'urbaniste également, parce qu'il suffit de lire à travers la ville pour en connaitre son histoire et son fonctionnement et je trouve que ce passage (que je n'ai pas repris dans son intégralité) en témoigne fortement.

"La rue Felix-Faure était située dans un quartier en plein centre de cette grande ville presque entourée par l'océan. Le quartier était appelé le Plateau. Il était le quartier des occupants, le quartier des collaborateurs. Il devint le quartiers des bourgeois, le quartier des gens qui avaient les moyens, le quartier des gens qui avaient de l'influence, le quartier du cèdre et du sabre. Il était le quartier des gens qui avaient des ascendances et des descendances reconnues, le quartier des gens nommés d'office, citoyens. Le quartier était un quartier résidentiel. Il y avait de grands immeubles. Il y avait des bâtiments administratifs, le palais du gouverneur, devenu depuis le Palais, avec ses multiples anexes. Il y avait aussi des immeubles avec des appartements chics pour ceux qui avaient les moyens et pour les étrangers venus de loin et qui en général, à l'époque, avaient toujours les moyens. Il y avait des boutiques haute couture pour ceux qui y habitaient. Il y avait des pâtisseries salons de thé pour ceux qui avaient le temps et les moyens. Ce quartier n'était pas pour le petit peuple, qui n'avait ni le temps, ni les moyens. Ce n'était pas le quartier de ceux qui avaient été nommés d'office "indigènes". C'était le quartier des occupants, des nantis et des citoyens. les citoyens étaient le plus souvent nantis. Car les citoyens avaient de l'instruction, de la formation et tous les privilèges rattachés, ainsi que toutes les opportuités et toutes les compromissions. Le peuple était logé plus loin, à la Médina. Entre le Plateau et la Médina, il y avait un quartier intermédiaire (...). Quand le peuple avait commencé à recevoir de l'instruction et de la formation (...), d'autres quartiers furent créés par une grande société immobilière datant de la période d'occupation. les premies lots de logements portèrent pompeusement les noms de Baobab et de Liberté. Baobab I, Baobab II, Liberté I, Liberté II (...). D'autres lots de logements avaient commencé à porter des noms locaux, avec le déclin de l'occupation et l'avènement des années de libération. Dieuppeul I, Dieuppeul II, Dieuppeul III, Dieuppeul IV. Sacré-Coeur I, II, III. (...). La ville s'étalait et n'arrêtait pas de s'étaler, comme une pandémie. Les années de sécheresse propulsèrent des millions de personnes vers la ville et c'était des quartiers périphériques gigantesques avec des noms de plus en plus exotiques qui avaient vu le jour. Diamegeune, Guédiawaye, Yeumbeul !(...)
La rue Félix-Faure était en face des Iles du Cap-Vert !
Les femmes cap-verdiennes cousaient au son du violon.
Les hommes cap-verdiens coiffaient au son du violon.
(...)
Les Cap-Verdiens étaient appelés "Pourtouguès" ou "Pourtou Ngagna". leur teint ressemblait à du caramel, à du miel pur, à la couleur de leurs gâteaux. Les îles du Cap-Vert n'étaient pas loin. C'était juste en face du continent. Mais le pays était terriblement sec. Et quand la nostalgie prenait les sens, les hommes jouaient du violon et de la guitare de temps en temps. Et les femmes fredonnaient.(...)"

Ce passage est un peu à l'image du livre : réaliste et poètique à la fois.
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Diali
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MessagePosté le: Sam 08 Oct 2005 09:52    Sujet du message: Répondre en citant

Avant de revenir au premier grand personnage féminin du livre qui est Drianké, je propose de passer à Mun, le second grand personnage féminin du livre. C'est elle qui, en travaillant chez Drianké, trouvera le fameux tapuscrit "vengeance" que "Djib le cinéaste" perdra. Ce tapuscrit reprend en fait l'histoire racontée par "la jeune femme de teint clair aux cheveux courts et qui avait du chien dans sa beauté", 3e grand personnage féminin du livre, et permet au lecteur de rassembler les morceaux du puzzle de l'énigme.

A travers la description de Mun, on a cependant également celle de Drianké. En effet, les deux femmes sont liées par leur histoire douloureuse commune (sans le savoir), elles se ressemblent parce qu'elles sont des êtres en souffrance, touchées dans leur chair, à cause du même être.

Tous les personnages féminins du livre (ainsi que deux personnages masculins, Muezzin et Tonio, par l'intermédiaire de leur fille et/ou femme) sont liés par le moqadem. Ce sont ces liens non perceptibles de premier abord, qui rendent l'énigme plus forte. Ce qui avait été décrit quelques pages avant prend son sens dans les pages suivantes.

Pour terminer sur cet ouvrage, je propose juste de mettre encore quelques extraits qui caractérisent les personnages féminins, puis je mettrai une interview de Ken Bugul que j'ai lue hier sur le site proposé par Guidilou. Cette interview est intéressante à la fois pour ce livre et pour "Riwan ou le chemin de sable" dont j'ai parlé plus haut.

J'espère n'avoir pas trop dévoilé l'énigme du livre mais avoir donné envie de le lire !

Je repasserai ensuite à la pièce de théâtre de Soyinka dont j'ai dit quelques mots plus haut.

"Ce fut par un de ces matins comme celui-ci, où le corps du grand lépreux fut découvert, qu'était arrivée, il y a un an, rue Felix-faure, chez Drianké, une jeune fille qui cherchait du travail.(...). La jeune fille, bien potelée, de teint clair, était solidement bâtie. Ses cheveux courts donnaient l'impression qu'ils avaient été récemment coupés. (...). Quand Drianké, la femme de petite taille, l'avait regardé ce matin-là, elle n'avait rien dit tout de suite. (...). Quelque part, elles se ressemblaient un peu. Elles avaient presque le même teint, un teint fin, clair, mais un teint résistant. Elles semblaient avoir un air de famille.(...).
Mun ne dormait que d'un oeil et observait souvent Drianké par la porte ouverte. Mun aussi se réveillait très tôt. Drianké ne savait pas que Mun ne dormait pas.
Drianké ne savait pas que Mun ne pouvait pas dormir.
Et tous les matins Mun observait Drianké à son insu. Drianké lui rappelait sa mère (...). Mais Drianké, en réalité sifflait le blues depuis que la masse d'ombre passait les nuits chez elle. Et à chaque fois la lueur étrange brillait dans ses yeux. (...). C'était les rares fois aussi où Mun prenait du repit dans la fièvre intérieure qui la brûlait. Mun aurait aimé chanter le blues pour se dégager de cette chose qui était enfermée dans sa poitrine. Cette chose était une haine violente. Une haine née un jour devant sa mère. (...). C'était au cours de ce voyage qu'elle avait vu dans quel état se trouvait sa mère. Elle avait décidé de tout arrêter et d'aller à la recherche de l'homme qui avait mis sa mère dans cet état-là. (...). Mun ne pouvait pas supporter de voir sa mère sombrer ainsi vers la mort.
Sa mère disait seulement :
"C'est lui.
- Qui ? interrogeait Mun.
- L'homme de grande taille, au teint noir, au gros ventre avec la cicatrice.
Le moqadem".
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Diali
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MessagePosté le: Sam 08 Oct 2005 21:34    Sujet du message: Répondre en citant

Le 3e personnage féminin important n'a pas de prénom (à moins qu'il m'ait échappé à un moment !). Ce qui est important, ce n'est pas son nom, c'est sa souffrance. Ce personnage ne fait que passer dans le livre mais il a un rôle-clé en étant la première victime du Moqadem à avoir eu à reconnaître ce dernier. La femme est l'amie du cinéaste Djib, celui qui a écrit le tapuscrit trouvé par Mun. C'est elle qui le lui aura inspiré. Elle garde son mystère jusqu'au bout puisqu'elle "disparaîtra" après l'épisode de la rencontre avec son ancien bourreau.

Je propose ces extraits de passage pour la présenter :
"Le grand jeune homme, le cinéaste Djib, et la jeune femme de teint clair aux cheveux courts et qui avait du chien dans sa beauté vivaient ensemble depuis quelques temps. Six mois peut-être. Ils n'étaient pas des amoureux classiques.(...). Ils s'étaient rencontrés dans un bar-restaurant où la jeune femme de teint clair aux cheveux courts était venue plusieurs fois. (...). Elle y avait été invitée une fois par un grand responsable politique local, lié à sa famille, et depuis ce jour-là, elle y retournait suvent. La jeune femme était venue s'évader dans cette ville pour se fuir elle-même, pour échapper au souvenir d'un épisode douloureux de sa vie.(...). Le grand jeune homme, le cinéaste Djib, occupait une chambre dans un hôtel depuis plusieurs mois. Il travaillait sur un texte qu'il voulait adapter au cinéma. (...). Une nuit, il était rentré à l'hôtel avecla jeune femme de teint clair. Ils avaient fait l'amour. Après l'amour, Djib lui avait demandé de lui raconter une histoire, n'importe quelle histoire. (...). La jeune femme de teint clair aux cheveux courts, racontait comment cette jeune femme qui lui ressemblait comme deux gouttes d'eau avait rencontré cet homme un jour."

Et pour finir, deux derniers extraits du livre faisant ressortir la souffrance de Mun et de Drianké, souffrance donc liée à ce passé qu'elles essayent en vain d'oublier.

"Mun était là, silencieuse, regardant Drianké dans les yeux sans sourciller. Mun regardait Drianké avec une telle fixité que celle-ci en avait légèrement trésailli. Mun continuait à regarder Drianké, pourtant, à y prêter attention, ce n'était pas Drianké qu'elle regardait, mais au-delà de Drianké. Elle voyait sa mère là-bas, assise au fond de la cour de leur maison, quand la chaleur la brûlait. Sa mère sortait de la chambre, entièrement recouverte de voiles. Elle marchait doucement vers le fond de la cour où un vieux fauteuil en rotin l'attendait et là, elle s'installait pour longtemps. Elle pouvait rester là jusqu'à la tombée de la nuit.
Drianké n'osait plus rien dire à Mun, tant le regard qu'elle avait n'était pas un regard qui laissait poser des questions. Drianké était inquiète. Ce regard était un regard de haine, un regard violent, un regard dont elle ne voudrait pas connaître l'origine et la cause ou la raison. Et dans ce regard brillait une lueur étrange.(...)."

"Drianké avait été cette belle jeune fille née dans le grand Nord où les sables chauds étaient emportés dans des tourbillons de vents. Elle était très belle. Elle avait fait la connaisance d'un homme qui venait de loin. Il se disait moqadem (...). Cet homme qui se disait moqadem l'avait méprisée, humiliée et avait d'elle une loque en très peu de temps. (...). Et Drianké n'avait pas pu rester dans sa ville natale. Elle était ainsi partie à la capitale et avait trouvé cette petite maisonnette rue Felix-Faure. Avec le blues toujours entre les dents, elle avait essayé de supporter ses souffrances et de se relever. (...). Drianké s'était remariée avec un homme avec qui elle fit des enfants. Un homme qui la comprenait, un homme qui l'avait secourue dans sa grande déception, mais la blessure ouverte était toujours là, chaude, palpitante, sanguinolente, et elle boitait."


Dernière édition par Diali le Dim 09 Oct 2005 07:32; édité 1 fois
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MessagePosté le: Sam 08 Oct 2005 21:41    Sujet du message: Répondre en citant

Pour terminer sur "rue Felix-Faure", voilà un entretien de Ken Bugul de la revue Amina (copié sur le site proposé par Guidilou dans ce post)


A un moment où la montée des extrémismes devient de plus en plus préoccupante, Ken Bugul Mbaye, auteure sénégalaise connue pour ses prises de position subversives, sort un sixième roman décalé et dérangeant, "Rue Félix-Faure", où elle s'attaque à la manipulation et à l'exploitation des femmes par les moquadems, gourous et autres nouveaux dieux des temps modernes. Entre intrigue policière et débat philosophique, le livre nous promène dans le quotidien d'une rue de Dakar célèbre pour son activité ininterrompue. Un livre adorable, écrit dans un style cinématographique qui raconte, au son du violon, du blues et des éclats de rire des filles aux dos nus, l'histoire d'un moquadem qui appâtait, exploitait, manipulait et humiliait les femmes au nom de Dieu.


--------------------------------------------------------------------------------

Vous avez dédié votre livre à Cesaria Evora, entre autres. Le personnage de Drianké s'inspire-t-il de la vie de la diva aux pieds nus ?

Dans ma démarche créatrice, j'associe toujours à la thématique qui me tient à cœur, une musique, une couleur, un lieu et un temps. La musique de ce livre, je l'entendais à "Rue Félix-Faure", une rue de Dakar habitée par des immigrés cap-verdiens qui ont quitté leur île desséchée depuis un siècle. En allant faire faire mes robes chez les couturières de cette rue, j'entendais donc beaucoup de violon, de morna et de guitare. Cela m'a fait penser à Cesaria Evora. Mais le personnage de Drianké, que j'ai romancé, s'inspire de la diva sénégalaise Aminta Fall, paix à son âme ! J'ai dédié en fait le livre à Cesaria Evora, Aminta Fall et Djibril Diop Mambetty. La première pour l'ambiance cap-verdienne, la seconde pour le personnage de Drianké. Je précise qu'Aminta Fall n'a pas été abusée par un gourou comme Drianké. Et, enfin, à Djibril Diop Mambetty parce que c'est lui qui m'a fait connaître la rue Félix-Faure. Même en étant sénégalaise, ce n'est que dans les années 80 que j'ai connu la rue Félix-Faure. Avec Djibril, on rentrait dans des courettes, dans des maisons-bars clandestins qu'on retrouve un peu partout en Afrique. C'est pour lui rendre hommage que j'ai écrit le livre sous la forme d'un scénario de film dont la fin se trouve dans un manuscrit ramassé un matin dans une courette de la rue Félix-Faure.

Est-ce que ce livre a puisé dans votre vécu de 28e épouse de Sérigne ?

Pas du tout. Cela n'a rien à voir. Les Sérignes n'ont rien de commun avec les gourous, les moquadems et autres prophètes des temps modernes. J'ai raconté dans mon troisième roman, "Riwan ou le chemin de sable", mon histoire d'épouse de Sérigne, qui s'inscrit dans ma quête identitaire entamée avec "Le baobab fou". En Islam, on ne peut pas épouser plus de quatre femmes. Et le Sérigne ne dérogeait pas à la règle. Mais il utilisait son autorité spirituelle et matérielle pour valoriser les femmes marginalisées par la société - les veuves, les femmes répudiées ou ayant une quelconque déformation physique - et les réinsérer dans la société en les donnant en mariage comme un père. L'homme qui épouse une "protégée" du Sérigne se dit que cela va lui porter bonheur. En ce qui me concerne, quand j'ai débarqué à Dakar, j'étais une femme marginalisée. A 35 ans, je n'avais pas d'enfants, je n'étais pas mariée, je n'avais pas de travail. J'ai raconté ma chute aux enfers dans "Cendres et braises". C'est pour me réhabiliter que je me suis mise sous l'autorité du Sérigne, mais j'habitais chez ma mère. Il m'a réconciliée avec moi-même et mon milieu. Aujourd'hui, les sérignes modernes sont plus individualistes et refusent de jouer leur rôle de réhabilitation et de réinsertion.

Le personnage du guide religieux tel qu'on le voit dans "Rue Félix-Faure" est fondamentalement opposé à celui que vous avez décrit dans "Riwan" ...

Le moquadem n'est ni sérigne, ni marabout ni imam. A la base, c'est un terme qui désigne le disciple à qui son maître délègue un pouvoir s'il juge son engagement personnel assez suffisant. "Rue Félix-Faure" dénonce des gens qui se sont proclamés responsables d'une voie spirituelle inconnue et qui animent des groupes de prières non pas dans des mosquées mais dans les maisons et des garages. C'est la clandestinité du phénomène qui m'inquiète. Car elle rend possible la manipulation et l'exploitation financière et sexuelle. Malheureusement, les victimes n'osent même en parler. On pense à tort que les sectes sont l'apanage du christianisme. De plus en plus aujourd'hui, on assiste à un phénomène semblable en islam. Cela prend généralement la forme d'un islamisme radical. Au Sénégal, avec l'arrivée d'"enseignants" venus de Koweït, d'Iran et de je ne sais où, on a vu des femmes se voiler, porter des gants, des chaussettes, ne plus saluer les hommes, ne plus consulter de gynécologues etc. Ce qui n'a rien à voir avec l'islam noir. L'Afrique, avec son lot de pauvreté, de maladies, de réfugiés, de guerres, de désespérés, devient un terrain propice au développement de ces sectes.

Peut-on dire que tous les chemins mènent à Rue Félix-Faure ?

Oui, c'est une rue spéciale. C'est la rue de la vie, des bars clandestins, des tripots où coulent à flots le vin Kiravi Valpierre, la bière Gazelle Comba. Dans cette rue se côtoient des jeunes femmes aux dos nus, des apprentis philosophes, une chanteuse de blues, des êtres furtifs à la poursuite du rêve dans "l'espérance doublée de patience".

C'est quoi "l'espérance doublée de patience" ?

C'est la devise des habitants de la rue Félix-Faure. C'est un peu revenir encore à Dieu. L'espérance c'est la base même de la spiritualité, de l'élévation vers Dieu. Doublée de patience parce que c'est elle qui permet de ne pas se décourager, Les habitants de la rue Félix-Faure n'ont rien mais ils rêvent, ils ont des projets. Ils ne s'angoissent pas de l'avenir. Ils ont l'espérance doublée de patience. Ce sont des bienheureux. C'est pour cela que je dis que Dieu habite Rue Félix-Faure.

Il y a comme un paradoxe dans les caractères féminins du livre. On les aime parce que même au plus profond de leur souffrance, de leur déchéance, elles ne cessent de rester dignes. En même temps, on est tenté de penser qu'elles sont faciles comme cibles.

Sans paradoxe, il n'y a pas d'histoire et donc pas de roman. Je me suis inspirée d'une histoire qui s'est passée au Cameroun. Une copine à moi, entre deux voyages, a commencé à fréquenter une nouvelle église au profit de laquelle, elle a vidé ses comptes et ceux de son mari. On l'a exploitée jusqu'aux os. Avec des viols collectifs soit disant pour la purifier. Les jeunes filles subissent le même sort pour "se guérir" de troubles sexuels. Moi-même, j'ai failli y succomber. Quelque part c'est ma fille qui m'a sauvé la vie. Elle m'a dit : "Maman, toi qui lis le Coran et la Bible, qu'est-ce que tu vas chercher avec ces gens-là ?" C'est juste pour dire que ce n'est pas seulement une question de pauvreté et de misère. Même les riches et les intellectuelles peuvent tomber dedans. Les hommes de Dieu sont toujours entourés de sollicitude. Un trafiquant de drogue habillé en prêtre passerait sans problèmes les douanes. On respecte tout ce qui a trait à Dieu. Les femmes particulièrement ont toujours soutenu les religions depuis Abraham, Moïse, Mahomet, etc...


Le moquadem transmet la lèpre à certaines de ses victimes. Pourquoi la lèpre plutôt que le sida par exemple ?


Le sida, tout le monde peut l'attraper par les rapports sexuels, la transfusion sanguine, une seringue... J'ai préféré parler de la lèpre par rapport à ce que cela représente. On pense à tort que c'est soit une punition soit une malédiction. Et puis je voulais que le personnage du Moquadem, ce séducteur arrogant et sans cœur devienne lépreux, qu'il soit obligé de se cacher. A la fin, ce n'est plus le moquadem mais la masse d'ombre. Je voulais qu'il soit coupé en morceau et que ses yeux racontent eux-même l'histoire de sa déchéance. Je voulais surtout qu'il y ait une réaction concrète, positive. Je ne veux pas qu'on soit toujours dans la victimisation. Montrer qu'on peut réagir à des situations difficiles. Que les femmes peuvent trouver la solution elles-mêmes sans passer par un "sauveur" quelconque.

Propos recueillis
par Gnimdéwa Atakpama.



--------------------------------------------------------------------------------
Gnimdéwa Atakpama. "Rue Félix-Faure de Ken Bugul" Amina 422 (Juin 2005), pp.86-87.
© AMINA 2005. Toute reproduction interdite sans l'autorisation des ayants droit.
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MessagePosté le: Dim 09 Oct 2005 07:57    Sujet du message: Répondre en citant

diali a écrit:
BMW a écrit:
diali a écrit:
Sinon, j'en profite Laughing , peux-tu me conseiller des ouvrages de Soyinka et de Ngugi Wa Thiongo ? Merci d'avance !


Chez Soyinka, je te recommande fortement "La mort et l'ecuyer du Roi", c'est une pièce de théâtre et c'est transcendental.
Et aussi sa première oeuvre romanesque, "Les interprètes". C'est assez compliexe comme livre mais je préfère ce type de litterature.

Chez Ngugi, je te conseillerais "Pétales de Sang".
Il a aussi d'autres bouquins, mais je n'ai pas aussi réussi à les lire, car ils sont en rupture de stock.

Comme tjrs...



Je viens de terminer "la mort et l'écuyer du roi", en effet c'est une pièce de théâtre magnifique. Le thème principal est le respect de la tradition, le passage entre la vie et la mort. La place de la femme est très importante pour moi dans cette pièce parce que même si les personnages principaux sont des hommes, les femmes sont très présentes et sont montrées dans leur force, leur beauté, leur intelligence, etc à des moments-clés de la pièce.


Voilà, j'en ai fini pour "rue Felix-Faure" de ken Bugul sauf si quelqu'un l'a lu depuis et souhaite en discuter ce qui me ravirait !

En attendant, je reprends donc ce post avec l'analyse des personnages féminins dans "la mort et l'écuyer du roi" de Wole Soyinka dont la lecture m'a été conseillée par BMW.
Est-ce que quelqu'un a lu cette pièce ?
Comme BMW, je vous conseille la lecture de la pièce. Je l'ai lue d'un trait tellement elle m'a emportée ! Je l'ai trouvé éditée par Hatier International.

Aujourd'hui, je vais juste mettre un petit résumé de la biographie de l'auteur et un extrait de la préface de la pièce écrite par celui-ci, qualifiée d'"avertissement".

Biographie succinte
W. Soyinka est né en 1934 en pays yoruba Il a commencé ses études dans son pays puis est parti en Grande-Bretagne. Il a passé deux ans au Royal Court Théâtre. De retour au Nigéria en 1960, il est emprisonné pour conspiration avec la rébellion. Après son exil au Ghana, il enseigne en Europe puis au Nigéria jusqu'en 1985. Il a été le premier lauréat africain du prix nobel de littérature(1986).

Avertissement de l'auteur

"Cette pièce a pour origine des évènements qui se déroulèrent à Oyo, ancienne cité Yoruba du Nigéria, en 1946. Cette année-là, les vies d'Elesin (Olori Elesin), de son fils et de l'administrateur régional des Colonies se sont étroitement mêlées ; les conséquences désastreuses de cette rencontre sont exposées dans la pièce. (...).
L'inconvénient de ce genre de thèmes est qu'à peine sont-ils employés dans une oeuvre qu'ils sont classés comme "conflits de cultures", étiquette préjudiciable qui, outre le fait qu'elle est souvent appliquée à mauvais escient, présuppose une égalité potentielle pour chaque situation donnée de la culture étrangère et de l'autochtone, sur le sol de cette dernière.(...). C'est à cause de ce genre de mentalité perverse, que je crois nécessaire de mettre en garde le producteur potentiel de cette pièce contre une tendance réductrice (...).
La confrontation dans la pièce est dans une large mesure métaphysique, contenue dans le véhicule humain qu'est Elesin et l'univers de Yoruba : le monde des vivants, des morts et de ceux qui sont à naître ; et dans le pasage qui relie tout : la transition.(...)".
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MessagePosté le: Lun 10 Oct 2005 17:19    Sujet du message: Répondre en citant

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(les deux arbres généalogiques faits pour "le jujubier du patriarche" d'Aminata Sow Fall)
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MessagePosté le: Jeu 13 Oct 2005 19:36    Sujet du message: Répondre en citant

Pour ne pas trop dévoiler l'intrigue, je propose ce petit résumé de "la mort et l'écuyer du roi" avant de commencer à parler des personnages féminins dans la pièce.

Je rappelle que l'intrigue est tirée d'un fait réel qui se déroula en 1946 au Nigéria, sous domination britanique.

La pièce raconte les dernières heures d'Elesin, l'écuyer du Roi, qui trente jours après la mort de ce dernier, doit être sacrifié ainsi que son cheval et son chien, pour guider le Roi au royaume des Morts. Il s'agit d'un rituel Yoruba qui permet d'assurer la continuité entre le monde des vivants et celui des morts. Cependant, l'administrateur régional, Simon Pilkings, tentera de s'opposer à ce rituel considéré comme barbare, de la même façon qu'il avait tenté de s'opposer à la tradition en envoyant Olunde, fils aîné d'Elesin, étudier la médecine en Angleterre. Mais c'était sans compter sur l'attachement des coutumes ancestrales et sans mesurer les conséquences désastreuses pour Elesin et ses proches...

Parmi les 12 personnages bien identifiés de la pièce, il y a trois femmes :
- Iyaloja "mère du marché" qui joue un rôle essentiel dans la pièce, elle est la garante des traditions et a un ascendant fort sur les femmes comme sur les hommes de sa communauté ;
- Jane Pilkings, la femme de l'administrateur régional, qui essaye de comprendre mais avec ses yeux d'Européenne et qui fait souvent preuve de la même indélicatesse que son mari malgré ses bonnes "intentions" (la scène du couple dansant le tango "déguisé" pour le bal avec des masques d'ancêtres du culte de la mort confisqués à des chefs de culte est particulièrement éloquente) ;
- la mariée, à savoir la femme qu'Elesin épousera juste avant le rituel, promise pourtant au fils d'Iyaloja, qui est présente juste sous forme d'"apparitions".

Presque toute la pièce est animée par des groupes de femmes, de jeunes filles et la première scène de la pièce se déroule sur un marché où les femmes s'activent.
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MessagePosté le: Sam 15 Oct 2005 21:02    Sujet du message: Répondre en citant

Je vais proposer quelques extraits de la pièce mettant en avant les personnages féminins et plus précisément ceux africains.

Cependant, il est à noter l'intérêt du personnage de Jane Pilkings dans la pièce, considérée comme plus compréhensive que son mari, notamment par Olunde, le fils aîné d'Elesin. Elle joue également le rôle de "médiateur" entre son mari et la communauté d'Elesin même si cela ne l'empêche pas d'être maladroite par ses questions et son attitude la plupart du temps. Mais, contrairement à son mari, elle essaye de comprendre, elle semble plus sensible.
L'intérêt de Jane dans la pièce réside pour moi surtout à ses échanges avec Olunde qui permettent au lecteur de découvrir le pourquoi et le comment des coutumes. On n'aurait pas pu avoir de telles explications s'il n'y avait pas eu ce personnage blanc mais seulement des évocations de ces coutumes puisque leur sens et leur contenu sont parfaitement connus par l'ensemble de la communauté d'Elesin.
En outre, le long dialogue qui s'établit entre Jane et Olunde est particulièrement intéressant pour la façon dont ce dernier reporte ce qu'il a vu en Angleterre. Certaines réflexions m'ont fait penser à "l'aventure ambiguë" de Cheikh Hamidou Kane. Je glisserai donc encore un peu du sujet de base pour reprendre cette partie du dialogue entre Jane et Olunde portant sur le regard posé par ce dernier sur l'occident.

Les autres personnages féminins dont font partie les "groupes de femmes" ou les femmes ou jeunes filles "anonymes" symbolisent la femme dans toutes les étapes de sa vie : "la mère, auteur de l'existence", la jeune femme désirable, etc. ; mais aussi la femme dans toutes ses dimensions : la tradition, l'esprit, la beauté, l'autorité, la sagesse, etc.
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MessagePosté le: Sam 15 Oct 2005 21:24    Sujet du message: Répondre en citant

La pièce de Soyinka, qui comprend 5 actes, se caractérise entre autres par sa diversité de style et de ton.
En effet, on a à la fois des passages en vers, du style libre, de la véritable poésie, des chants, de la danse et, des moments de comédie dans une pièce dramatique.
J'ai choisi trois extraits : le premier extrait est un hymne à la beauté de la femme (poésie), le deuxième extrait met en valeur l'esprit de la femme (comédie), le troisième extrait montre la femme autoritaire, sage et doyenne des traditions (drame).
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MessagePosté le: Sam 15 Oct 2005 21:46    Sujet du message: Répondre en citant

Premier extrait.
Sur la place du marché. Elesin est entourée des femmes du marché dont Iyaloja. Il aperçoit celle qui deviendra sa dernière épouse.
" (...) Dites-moi qui était la déesse dont les lèvres m'ont laissé découvrir
Les galets d'ivoire qui jonchent le lit du fleuve Oya.
Iyaloja, qui est-elle ? Je l'ai vu entrer
Dans ton échoppe. Je connais bien toutes tes filles.
Non, pas même Ogun-de-la-ferme, travaillant
De l'aube au crépuscule sur son carré d'ignames
Pas même Ogun, avec la meilleure houe
Qu'il ait jamais forgée sur son enclume, n'aurait pu façonner
Cette chute de reins, même s'il avait eu
La terre la plus riche entre ses doigts.
Son pagne ne dissimulait pas
Des hanches dont les ondulations faisaient honte à la rivière
Qui serpente autour des collines d'Ilesi. Ses yeux
Etaient des coquilles d'oeufs fraîchement pondus
Luisant dans le noir.
Sa peau..."

Deuxième extrait.
Le sergent Amusa est missionné par Pilkings pour arrêter Elesin afin de l'empêcher de se donner la mort (rituel que j'ai évoqué plus haut). Il se retrouve face à face avec les femmes et les jeunes filles du marché qui l'empêchent d'avancer.
Les jeunes filles finissent par faire une parodie des colons mais aussi de la soumission d'Amusa envers Pilkings :
"Les jeunes filles - (à tour de rôle, avec un accent très britanique) Tiens donc, mais c'est Monsieur Amusa. Vous a-t-on invité ? (Jouant entre elles. Les femmes les plus âgées les encourageant par leurs gloussements).
- Votre carton d'invitation, je vous prie ?
(...)
- Et comment trouvez-vous cet endroit ?
- Les indigènes sont assez corrects.
- Amicaux ?
- Dociles.
- Vous ne les trouvez pas un tout petit peu agités ?
- Oh, un tout petit peu agités.
- On pourrait même dire, difficiles.
- Mais vous en venez bout, n'est-ce pas ?
- Oh ! Oui-i. Asurément. J'ai un tâcheron assez fidèle du nom d'Amusa.
- Il est loyal ?
- Tout à fait.
- Sacrifierait sa vie pour vous, en somme !
- Sans hésiter.
- J'en ai eu comme ça autrefois. j'avais une confiance totale en eux. Bien sûr, la plupart d'entre eux sont des menteurs.
- Je n'ai jamais vu un indigène dire la vérité.
- Est-ce que le temps est orageux par ici ?
- ll fait doux pour la saison.
- Mais les pluies peuvent encore arriver.
- Elles sont en retard cette année, n'est-ce pas ?
- Elles sont à l'heure africaine.
- Ah ! Ah ! Ah !
- Ah ! Ah ! Ah !
(...)"

Le troisième extrait, pour la prochaine fois !

(Sinon, le prochain livre dont je parlerai est le recueil de nouvelles de Nafissatou Dia Diouf- encore une Sénégalaise !- qui vient de paraître : "Retour d'un si long exil". Il est édité par NEAS.)
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MessagePosté le: Dim 16 Oct 2005 08:21    Sujet du message: Répondre en citant

Le troisième extrait est tiré du dernier acte. Iyaloja retrouve Elesin enfermé chez les Pilkings.

"Iyaloja - Comme le lézard se pavane avec audace devant le pigeon quand c'est à l'aigle lui-même qu'il nous avait promis de se confronter.
Elesin - Je ne te demande pas de me prendre en pitié, Iyaloja. Tu as un message pour moi, sinon, tu ne serais pas venue. Même s'il s'agit de la malédiction du monde, je t'écouterai.
Iyaloja - Tu t'es montré tellement audacieux envers le serviteur du roi blanc qui a pris ton parti contre la mort. Il faudra que je dise à tes frères les chefs, lorsque je rentrerai, comme tu t'es montré brave dans ton combat contre lui. En particulier, avec des mots.
Elesin - Je mérite bien ton mépris.
Iyaloja - (En colère tout à coup)Je t'avais prévenu, si tu dois laisser une semence derrière toi, assure-toi qu'elle ne sera pas souillée par la malédiction du monde. Qui es-tu pour créer une nouvelle vie alors que tu n'as pas osé ouvrir la porte vers une nouvelle existence ? Mais qui es-tu donc, pour te montrer si audacieux ? (La mariée éclate en sanglots et Iyaloja l'aperçoit. Son mépris augmente à vue d'oeil lorsqu'elle se retourne vers Elesin). Oh, toi, vaniteuse tige de bananier; comme tu te révèles creuse ! La vigueur est partie dans la tige mère, que se passera-t-il pour la nouvelle pousse ? Comment s'accordera-t-elle avec la terre qui la porte ? Qui es-tu pour que nous soyons maudits à cause de toi?"

Le choix des extraits n'a pas été évident dans le sens où je craignais de dévoiler le dénouement ou le détail des coutumes qui explique le dénouement de la pièce tout en ayant l'envie d'en proposer des particulièrement éloquents par rapport aux personnages féminins.

Avant de reprendre le dialogue entre Jane et Olunde pour les raisons que j'ai évoquées hier, je propose juste une tirade supplémentaire de Iyaloja liée au titre de la pièce, qui explique le sens de ce fameux passage entre la vie et la mort, entre la terre et le monde des ancêtres, sujet principal de la pièce.

"Iyaloja - C'est la mort de la guerre qui tue le téméraire,
C'est par la mort de l'eau que le nageur disparaît
C'est la mort du marché qui tue le négociant
Et la mort de l'indécision éloigne le oisif
L'usage du coutelas émousse son tranchant
Et ceux qui sont beaux connaissent la mort de la beauté.
Il faut un Elesin pour mourir par la mort de la mort...
Seul Elesin... meurt de l'inconnaissable mort de la mort
Avec grâce, avec grâce, l'Ecuyer regagne les écuries,
A la fin du jour, avec grâce..."
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MessagePosté le: Dim 16 Oct 2005 08:54    Sujet du message: Répondre en citant

Je rappelle que le thème que je vais aborder à présent, qui est hors sujet par rapport au topic, n'est pas non plus le thème central de la pièce comme l'avait indiqué Soyinka dans son "avertissement au lecteur". Mais je l'aborde parce qu'il est particulièrement bienvenu par rapport aux réflexions générales sur grioo.

Les propos d'Olunde dépassent la critique même de la colonisation, ils en expliquent notamment la cause mais se situent dans un débat beaucoup plus large : différences entre les peuples, besoin de hiérarchisation par les blancs, différences de valeurs, tradition et modernité, etc.

En ce qui concerne la colonisation, cette dernière fait l'objet dans la pièce de plusieurs critiques, la plus directe sortant de la bouche d'Elesin dans l'une de ses réponses à Pilkings : " Tu possèdes déjà mon honneur. Il est enfermé dans ce bureau où tu rangeras ton rapport sur les évènements de cette nuit. Même l'honneur de mon peuple, tu l'as déjà pris. Il est attaché avec ces papiers de dupe qui vous ont rendus maître de ce pays".

Voici un extrait de l'acte IV de la pièce. Olunde est rentré d'Angleterre le fameux soir du rituel. Il débat longuement avec Jane.

"(...). Jane- ... Alors, vous n'avez pas fait qu'étudier la médecine en Angleterre ?
Olunde - Voici encore une autre erreur que commettent les gens de votre peuple. Vous croyez que tout ce qui semble sensé nous l'avons appris de vous.
Jane - Pas si vite Olunde. Vous avez appris à argumenter, cela je le vois, mais je n'ai jamais dit que vous disiez des choses sensées. Quelque habileté que vous mettiez à la présenter, cela n'en reste pas moins une coutume barbare. C'est même pire, c'est féodal. Le roi meurt et un chef de clan doit être enterré avec lui. Comment pouvez-vous devenir partisan d'un système féodal ?
Olunde - (Agite la main vers l'arrière-plan. Le Prince repasse, exécutant un pas différent et tous les invités se courbent et font la révérence quand il passe). Et cela ? Même en plein milieu d'une guerre dévastatrice, regardez. Comment appeleriez-vous cela ?
Jane - Une thérapie dans le style britanique. Une façon de garder un esprit sain au milieu du chaos.
Olunde - D'autres appelleraient cela décadence. De toute façon, cela ne m'intéresse pas vraiment. Vous les races blanches, savez comment survivre. J'en ai la preuve. Selon les lois de la logique, et de la nature, cette guerre devrait se terminer par une annihilation mutuelle de toutes les races blanches, par la destruction à tout jamais de leur soi-disant civilisation et par un retour à un état primitif dont l'équivalent n'a jusqu'alors existé que dans votre imagination, lorsque vous pensez à nous. C'est ce que je croyais au début. Puis, j'ai compris peu à peu que votre plus grand art est celui de la survie. Mais ayez au moins l'humilité de laisser les autres survivre à leur manière.
Jane - Par un suicide rituel ?
Olunde - Est-ce pire qu'un suicide de masse ? Madame Pilikings, comment appelez-vous ce que leurs généraux demandent à ces jeunes gens au cours de cette guerre ? Bien sûr, vous avez aussi maîtrisé l'art d'appeler les choses par des noms qui ne les décrivent que vaguement.
Jane - Que vous dites ! Vous et votre façon diffuse et tortueuse de conduire une conversation.
Olunde - Madame Pilkings, quoi que nous fassions, nous n'insinuerons jamais qu'une chose est le contraire de ce qu'elle est réellement. Dans vos bulletins d'informations, des défaites meurtirères étaient en permanence décrites comme des victoires stratégiques.(...)
Jane - (Après une courte pause). Je peux peut-être vous comprendre maintenant. L'époque que nous avions choisie pour vous n'était pas celle qui nous montrait sous notre meilleur jour.
Olunde - N'allez pas croire que cela n'était dû qu'à la guerre. Avant même qu'elle n'ait commencé, j'ai eu tout mon temps pour étudier votre peuple. Je n'ai rien vu, en fait, qui vous donne le droit de juger les autres peuples et leurs coutumes. Rien du tout.
Jane - (Hésitant) - Etait-ce un problème racial ? Je sais qu'il y a une certaine discrimination.
Olunde - Ne simplifiez pas les choses à ce point, Madame Pilkings. A vous entendre, on dirait que je n'ai rien emporté avec moi lorsque je suis parti.
Jane - Oui... Peut-être, et pour dire la vérité, ce soir même, Simon et moi avons reconnu que nous n'avions jamais su vraiment ce que vous aviez emporté.
Olunde - Je ne le savais pas non plus. Mais je l'ai découvert là-bas. Je suis reconnissant envers votre pays pour cela. Et je ne l'abandonnerai jamais."
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MessagePosté le: Dim 16 Oct 2005 09:16    Sujet du message: Répondre en citant

Je change complètement de registre avec "Retour d'un si long exil".
Il s'agit d'un recueil de nouvelles édité cette année, d'une jeune Sénégalaise, Nafissatou Dia Diouf, née en 1973 à Dakar.

Avec les nouvelles, il y a parfois cette impression de passer un moment agréable puis d'oublier très vite le contenu parce qu'elles sont faciles à lire, courtes, etc. Mais la plupart des nouvelles de ce recueil sont intéressantes pour ce topic car elles abordent un certain nombre de thématiques liées à la Sénégalaise d'aujourd'hui. J'ai retrouvé dans tous les thèmes abordés et dans la façon de les traiter, les problématiques auxquelles sont confrontées les femmes sénégalaises entre 20 et 40 ans que j'ai cotoyées (et continue de cotoyer). Je demanderai l'avis de certaines amies pour vérifier que mon regard n'est pas trop orienté Laughing. Par ailleurs, je serai contente de discuter de ce livre si quelqu'un ici l'a lu.

Quelques rares nouvelles de ce recueil n'ont pas forcément de lien avec la femme. Je ne les aborderai pas ici car elles ne présentent pas d'enjeux assez forts pour faire encore un hors sujet.

Je parlerai donc des nouvelles suivantes :
- "retour d'un si long exil" qui est le récit d'un retour au village d'origine ;
- "dérive en eaux troubles" qui est le récit de la maternité ;
- "à titre d'aile" qui est le récit de l'arrivée d'une niarel (seconde femme) plus jeune dans le foyer ;
- "mon cher, mon très cher ami" qui est la lettre d'une amoureuse à son amoureux casté ;
- "Sagar" qui est le récit d'une "stérilité" et de la polygamie ;
- "Mémoires d'un chauffeur de taxi" qui est le regard sur la société sénégalaise et la déviance des relations amoureuses.
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MessagePosté le: Mar 18 Oct 2005 07:21    Sujet du message: Répondre en citant

Je suis en train de finir "Voltaïque", de Sembène Ousmane, qui est également un recueil de nouvelles qui met en valeur des histoires de femmes, particulièrement pour celles que j'ai lues pour l'instant à savoir "la mère", "ses trois jours", "lettres de France"...
Je crois que ce recueil de nouvelles a été publié pour la première fois en 1962. On trouve un Sembène Ousmane déjà défenseur des droits de la femme (dénonciation de certaines conséquences de la polygamie ou de mariage "arrangé" sur la vie des femmes, etc).
C'est une chance de le lire également après le livre de Nafissatou Dia Diouf car je pourrai dresser un peu quelques éléments de commentaires comparatifs entre ces deux livres qui ont quelque part le même thème.
Quelqu'un a-t-il lu "Voltaïque" ?
Je reprendrai l'analyse de ces deux recueils de nouvelles en fin de semaine.

Le prochain livre dont je parlerai, c'est comme je l'ai évoqué dans le post de Chabine sur "Peau noire, masques blancs", à savoir "Nini, Mûlatresse du Sénégal" d'Abdoulaye Sadji dont Fanon faisait référence dans le chapitre 2 de son essai "la femme de couleur et le blanc".

Je pense qu'après je parlerai du livre "Les bouts de bois de Dieu" puis peut-être d'autres "classiques" de la littérature africaine récente avant de faire une place à une AUTEUR DE LA DIASPORA, à savoir Maryse Condé avec "Ségou
".
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MessagePosté le: Ven 21 Oct 2005 10:22    Sujet du message: Répondre en citant

Avant de reprendre quelques extraits choisis du livre de Nafissatou Dia Diouf dont j'ai fait le résumé plus haut en reprenant titre par titre la thématique principale de chaque nouvelle, je souhaite revenir sur le "Voltaïque" d'Ousmane Sembène.

En effet, je souhaite préciser que si dans ce recueil, la femme est mise en avant, il y a d'autres thématiques traitées que celles propres à la condition féminine.

Le thème général est la souffrance mais la souffrance tant de la femme que de l'homme africain. Sont donc évoquées en effet certaines souffrances propres à la femme notamment dans le cadre de la polygamie, ou le mariage arrangé, mais aussi la souffrance liée à "l'exode" (le décalage entre la vie rêvée en France par exemple, et la vie réelle vécue traité dans "lettres de France" mais aussi "la noire de..."), l'esclavage (traité dans "Voltaïque"), à la religion / ou détournement de la religion ("Souleymane"; "Mahmoud Fall" qui ne sont pas sans nous rappeler les attaques de Ken Bugul dans "rue Felix-Faure").

Je conseille à tous cet ouvrage d'Ousmane Sembène.
Dans le cadre de ce post, je me ciblerai sur la façon dont Sembène aborde la condition de la femme mais je tenais à souligner que cette thématique était traitée par ce dernier dans le cadre d'une problématique plus large.
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MessagePosté le: Ven 21 Oct 2005 10:38    Sujet du message: Répondre en citant

J'ai choisi de prendre des extraits des nouvelles suivantes de Nafissatou Dia Diouf :
- à tire-d'aile ;
- mon cher, mon très cher ami ;
- Sagar ;
- mémoires d'un chauffeur de taxi.

"A tire-d'aile" est le récit d'une femme qui voit parallèlement à l'arrivée, dans sa maison, de la fille d'un ami de son mari, de quatorze ans sa benjamine, Aïssa, le détachement progressif de son mari Malick.

" Aussitôt arrivée, et après avoir embrassé Aïssa, j'allai prendre un long bain, me parfumai puis m'allongeai dans un nouveau déshabillé sur le couvre-lit pour attendre Malick. Il était devant la télé avec un verre, regardant un de ces programmes débiles de milieu de semaine. Je décidai de l'attendre patiemment mais m'endormis au moins une heure. Comme il n'avait toujours pas regagné la chambre, j'allai le chercher. Lui aussi s'était endormi sur le canapé. Je le réveillai par une légère secousse, avec mon plus beau sourire. Il me dévisagea d'abord quelques secondes, comme s'il avait du mal à remettre mon visage. Puis il sourit brièvement et dit sur un ton qui se voulait naturel :
- Ne m'attends pas pour dormir.
- Pourquoi ? demandai-je incrédule.
Toute trace de sourire avait disparu de mon visage.
- Je dors ce soir dans la chambre d'Aïssa, dit-il sur un ton qui se voulait dégagé.
Devant ma perplexité, il continua :
- Je l'ai prise pour deuxième femme hier matin même, devant deux témoins et ses parents. Nous n'avons pas voulu faire de grande cérémonie par égard pour toi. Tu comprends, la petite avait besoin d'être encadrée et ...
Il ne put achever sa phrase, car la gifle que je lui assénai lui coupa la parole (...)."
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MessagePosté le: Ven 21 Oct 2005 11:09    Sujet du message: Répondre en citant

"Mon ami, mon très cher ami" est une lettre de Soukeyna à Momar dans laquelle Soukeyna exprime sa peine et sa détresse devant cet amour d'enfance impossible parce qu'il remettrait en cause l'honneur de sa famille, la ferait écarter du "yone" (le droit chemin dont un membre de clan ne doit jamais sortir).

"Je voulais tant te dire l'indicible, mais les mots s'étranglent dans ma gorge et, face à toi, je n'articule que le silence. Tu t'es contenté de regarder mes yeux embués, de caresser tendrement ma joue et de me dire simplement au revoir. Pouvais-tu deviner que c'était un adieu ?
(...)
Cet après-midi-là, assise à même le sol au pied du canapé où ma mère, en bonne Diriyanké (= femme nonchalante et corpulente) sénégalaise, était allongée langoureusement, l'éventail à la main, le cure-dents à la bouche, je m'ouvrais à elle sur mes projets d'avenir, les yeux rêveurs, révulsés vers le ciel, vers un demain imaginaire et idyllique : mes études de médecine, ma spécialisation, mon mariage avec mon bien-aimé...
- Ah bon ! ton bien-aimé, qui donc ? fit-elle, amusée.
- Eh bien, Momar ! lançai-je, comme si cela allait de soi. Cette question, à vrai dire, m'étonnait un peu d'elle, car, pour moi, elle tombait sous le sens. (...)
- Hélas, mon enfant, reprit-elle sans se départir de son air détaché, tu ne peux pas, tu sais bien que c'est un casté.
(...)
Mon très cher ami, qui a dit que l'expression épistolaire savait atténuer les douleurs ? Moi, je ne le crois pas. Les mots que je m'arrache pour les coucher sur cette feuille sont autant de lambeaux de ma peau qui desquame. Je me mets à nu, à vif, à sang. Seule, peut-être, ma lâcheté y trouve son compte.
Momar, ma révolte est comme tout soubresaut, comme toute colère. Je la sens faiblir par la résignation. Les préjugés sont trop lourds et trop ancrés dans leurs esprits en limbes entre deux époques. Le passage trop rapide, ou, peut-être même, le manque de transition entre ces deux ères s'est soldé par des égarements, des anachronismes dont nous sommes aujourd'hui les victimes innocentes. Mais je ne peux point lutter, car s'opposer à la volonté parentale sous nos cieux, même maintenant, c'est aller au-delà de graves difficultés. Ils nous ont sacrifiés sur l'autel des convenances (...)"
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MessagePosté le: Ven 21 Oct 2005 11:28    Sujet du message: Répondre en citant

"Sagar" est peut-être la nouvelle la plus dure, dans laquelle Nafissatou Dia Diouf dénonce le comportement de certains hommes et affiche son mépris envers ces derniers.
C'est une nouvelle particulièrement dure dans laquelle la femme humiliée parce qu'apparemment stérile, finit par avoir sa revanche qui ne passe pas par son mari, mais un autre homme dans sa vie, son fils.

"On l'appelait Sagar. Cela signifiait chiffon. Ce n'était pas son vrai nom, mais il était d'usage dans nos contrées de nommer ainsi les femmes ayant fait une première fausse couche. Une façon de conjurer le sort et de dissuader le Malin de réitérer son acte satanique. (...).
Aux premiers temps de son union avec Alioune, comme pour tous les nouveaux mariés, on avait longtemps épié le ventre de Sagar. Chez les wolofs, il faut prouver au bout de neuf ou dix mois déjà que l'on est fécond. On devrait plutôt dire féconde, car les soupçons de stérilité ne pèsent jamais sur l'homme. L'homme c'est l'homme, symbole de virilité, de puissance, d'autorité.(...). C'est ainsi qu'Alioune commença à se retourner sans pudeur dans la rue sur les Diongama (femmes de classe) qui passaient, suivant presque à la trace le sillage de leur tiouraye (encens), s'enivrant de nemali et de dogali (encens) à en perdre le souffle.(...). Puis, dans la même année, il prit une seconde, puis une troisième, puis une quatrième épouse, dans le même élan euphorisant de certains hommes musulmans qui, par exégèse et par bonté d'âme plus que pour des raisons bassement terre à tere, disent-ils, prennent sous leur coupe, dès que possible financièrement, des femmes qui sans eux auraient été vouées à la perdition. (...).
Alioune pouvait désormais se gargariser d'être aussi prolifique qu'un lapin.
(...)
Alioune continuait à l'honorer, les rares fois où il était de tour chez elle, de manière mécanique et absente, davantage pour la forme que par réel désir. Et humiliée, le visage marbré de larmes, elle cachait sa peine dans l'obscurité de l'alcôve. Elle devait subir à chaque fois les assauts sans passion, parfois brutaux, d'un homme qui avait déjà tout, mais qui voulait lui montrer qu'il tiendrait jusqu'au bout son rôle de coq de basse cour. Bien lui en a pris cependant, car finalement à quarante-quatre ans Sagar tomba enceinte.(...). C'est au plus profond de sa confusion qu'elle tira sa force : elle garderait l'enfant et demanderait le divorce. Et c'est ce qu'elle fit (...)".
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MessagePosté le: Sam 22 Oct 2005 09:36    Sujet du message: Répondre en citant

"Mémoires de taxi" est, comme le titre de la nouvelle l'indique, le récit des mémoires d'un taximan relatant les périples de ce dernier avec ses clients, souvent en tant que simple observateur mais parfois en tant qu'acteur notamment quand il prend la décision de racompagner un jeune talibé dans sa famille...

Dans les extraits que j'ai choisis, le taximan décrit les relations de couple et l'importance qu'a pris l'argent dans les relations. On a un regard très critique sur certaines Sénégalaises devenues matérialistes du fait de la crise. Ce qui me gêne dans cette description, c'est que seule la femme est mise en cause, notamment lors de l'évocation du tourisme sexuel, alors que le Sénégalais est tout autant concerné.

"L'homme qui drague, par exemple, ne peut décemment pas enmener la femme qu'il conquiert au cinéma en transport en commun. La Sénégalaise très fière n'acceptera jamais d'être courtisée de cette façon ! Notre homme arrive donc toujours un peu gauche pour wakhalé (discuter) à la fenêtre de mon taxi, pendant que la fille, trois mètres derrière sur le trottoir prend son air le plus détaché. Le bon compromis pour l'homme, c'est d'en avoir le moins possible tout en ne paraissant pas trop radin ; Moi, je l'avoue, je prends souvent un plaisir malin à discutailler pendant de longues minutes. Le quidam, se sentant de plus en plus mal à l'aise, sentant surtout le poids du regard foudroyant de la jeune fille dans son dos ("si mes amies me voient attendre trop longtemps sur le trottoir, elles vont penser que je ne sors qu'avec des fauchés") finit par se rendre, des gouttes de sueur perlant sur son front, calculant le coût de la soirée-odyssée : taxi à tous les déplacements bien entendu, mais aussi cinéma, glaces pour les plus gourmandes, boîte de nuit, etc., avec, à la clé, peut-être à peine une petite bise... sur la joue ! (...).
La crise, cette grande pourvoyeuse de nouveaux métiers (système D oblige), a déversé sur nos trottoirs une armada de jeunes filles qui ne croient plus en rien. Ce ne sont pas forcément les amours tarifées classiques, mais des jeunes filles tout à fait recommandables, du moins en surface, qui arpentent le pavé à la recherche du pigeon. (...).
Celles qui s'acoquinent avec des toubabs aux mains baladeuses sont celles sur lesquelles se cristallise tout mon mépris. Je sais, je ne devrais pas faire de jugement de valeur, mais cette nouvelle forme de tourisme sexuel me rappelle trop le passé colonialiste de leurs aïeux. Cette page sombre de notre histoire est restée logntemps dans notre conscience collective et aujourd'hui toutes les rancoeurs ancestrales semblent être balayées d'un coup de torchon par des écervelées cupides. Pour celles-là, j'ai du mal à cacher mon dégoût. (...)"

Ces dernières lignes ne sont pas sans me rappeler le premier roman de Aminata Zaaria, "la nuit est tombée sur Dakar" édité chez Grasset en 2004, qui est le récit de deux jeunes Sénégalaises de 17 ans qui quittent leur village natal pour échapper à la pauvreté et mener la grande vie à Dakar et qui, pour survivre, se retrouvent dans le lit de vieux toubabs. C'est un premier roman d'une jeune Sénégalaise née à Thiès en 1973 et qui vit actuellement à Paris. Très dur, il décrit cependant une certaine réalité à ne pas généraliser pour autant : l'attrait de la ville pour ceux de la brousse, l'attrait de l'argent facile, la déchéance...
Du coup, je propose de parler de "la nuit est tombée sur Dakar" juste après "Voltaïque" de Sembène et avant la "Nini" de Sadji, puisqu'il s'inscrit dans cette dernière thématique de "Mémoires d'un taxi" et qu'il est très bien écrit.


NB :
J'ai conscience que je propose pêle-mêle de grands classiques, de grands sujets et, des références très récentes pour des ouvrages qui semblent plus accessibles et cela pour deux raisons :
- mes lectures se font de cette manière : je ne m'attache pas à un genre particulier, ni à une époque précise ;
- ce post n'a pas fait l'objet d'un pré-travail et relate mes lectures au fur et à mesure.

Désolée pour ceux qui n'y voient qu'un fourre-tout Laughing
Ce désordre a au moins le mérite de montrer la richesse de cette littérature africaine, et en particulier sénégalaise, je le conçois, puisque pour l'instant mes références sont surtout sénégalaises.
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MessagePosté le: Sam 22 Oct 2005 11:58    Sujet du message: Répondre en citant

J'ai particulièrement aimé ce recueil de nouvelles d'Ousmane Sembène, dans lequel la femme est mise en avant sous plusieurs facettes.
J'ai cependant rappelé plus haut le contexte global dans lequel s'inscrivait ce recueil, à savoir la souffrance, de façon générale, de la femme comme de l'homme africains.

La période pendant laquelle Sembène a écrit le livre est souvent abordée, il s'agit du contexte de la colonisation, de la guerre d'Algérie, de la situation délicate de l'ex-Congo belge, de l'éclatement de la fédération du Mali (Soudan-Sénégal), de la prochaine session de l'ONU. Mais les problématiques traitées sont toujours d'actualité.

Je vais indiquer brièvement les sujets de chaque nouvelle avant de m'attarder davantage sur quatre nouvelles qui m'ont particulièrement marquées :
- "la mère", un hommage à la femme-mère ;
- "ses trois jours", qui raconte la détresse, l'humiliation et la colère d'une épouse délaissée dans le cadre d'un mariage polygame ;
- "la noire de...", qui est le récit d'une désillusion qui tourne au drame pour Diouana, petite bonne sénégalaise, expatriée ;
- "le Voltaïque" qui est le récit-conte de Saër, moitié voltaïque, moitié sénégalais, pour expliquer les scarifications et qui est finalement le récit d'une histoire particulière d'une famille martyre de la traite négrière.
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MessagePosté le: Sam 22 Oct 2005 12:17    Sujet du message: Répondre en citant

"Devant l'histoire" est le récit du contraste entre le couple traditionnel sénégalais (l'homme en boubou, ses deux épouses et leurs cinq garçonnets) et le couple moderne (vêtu à l'européenne, apparemment sans enfants) devant un cinéma. "Ils ont perdu l'équilibre" dira un spectateur de la discussion entre la femme "moderne" non soumise et son mari.

"Un amour de la rue sablonneuse" est le récit d'un amour de jeunesse balayé par un mariage d'intérêt arrangé.

"Prise de conscience" est le récit de l'égarement d'un ancien ouvrier exalté qui défendit la cause des siens, devenu député et depuis lors confortement installé devant sa vie de bourgeois. "Ces types n'ont rien de commun avec nous ! Ils sont noirs dessus... leur intérieur est comme le colonialisme".

"Lettres de France... " est la correspondance d'une expatriée mariée à un vieux sénégalais à Marseille : désillusion, ennui, dégoût, et résurrection à l'annonce de son retour au pays.

"Chaiba" est le récit d'un Algérien expatrié depuis 25 ans et travaillant au port de Marseille, dans le contexte de la guerre d'Algérie.

"Mahmoud Fall" est le récit d'un parasite exploitant les Sénégalais sous couvert de religion.

"Souleymane" est le récit du bilal de la mosquée, et donc respecté à ce titre, et qui profite également de sa situation pour répondre à ses vices.
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MessagePosté le: Jeu 27 Oct 2005 19:13    Sujet du message: Répondre en citant

La mère d'Ousmane Sembène, extrait de Voltaïque est donc un hommage à la mère.
Je ne peux m'empêcher de repenser à la dédicace-poème de Camara Laye dans l'Enfant noir :

"Femme noire, femme africaine, ô
toi ma mère je pense à toi...

ô Dâman, ô toi ma mère, toi qui me
portas sur le dos, toi qui m'allaitas,
toi qui gouvernas mes premiers pas,
toi qui la première m'ouvris les yeux
aux prodiges de la terre, je pense à
toi...

Femme des champs, femme des
rivières, femme du grand fleuve, ô
toi, ma mère, je pense à toi...

(...)

Femme noire, femme africaine, ô
toi, ma mère, merci ; merci pour tout
ce que tu fis pour moi, ton fils, si
loin, si près de toi !"

La mère d'Ousmane Sembène est le récit d'une victoire d'une mère sur un roi-despote qui avait décrété qu'aucun homme de son royaume n'épouserait une fille sans qu'il ne soit le premier à passer la première nuit avec elle... L'une des mères de ces jeunes filles se révolta et fut suivi par tous les sujets du roi.

"Gloire à ceux et à celles qui ont eu le courage de braver les calomnies. Soyez louées, femmes, sources intarissables, vous qui êtes plus fortes que la mort...
Gloire à vous, coolies de la vieille Chine, tagalacoye du plateau du Niger ! Gloire vous, femmes de marins, dans l'éternel deuil ! Gloire à toi, petite, petite enfant, mais jouant déjà à la mère...
L'immensité des océans n'est rien à côté de l'immensité de la tendresse d'une mère..."
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MessagePosté le: Jeu 27 Oct 2005 19:35    Sujet du message: Répondre en citant

Ses trois jours est un récit très dur d'une femme pour qui l'approche de ses trois jours avec son mari Moustapha qu'elle partage avec trois co-épouses est une joie immense, hante toutes ses pensées et ses activités.
"Noumbé, je vois que tu te prépares à cuisiner un plat rare...
- Oui, répondit-elle à la femme. Ce sont mes trois jours. Je veux ressusciter les fastes d'antan ; faire que son gosier garde la saveur du plat, des lunes et des lunes, et oublie la cuisine de ses autres épouses."
Elle imagine ses trois jours et regrette que toutes les femmes n'aient pas un mari à soi.
L'attente se fait longue, le mari est en retard, la 4e lui "vole" une partie de ses trois jours, comme auparavant elle "volait" ceux de la seconde femme.
"Pourquoi acceptons-nous d'être le jouet des hommes ?" pensera-t-elle, plein d'amertume lorsque la 2e femme lui rend visite tout en sachant pertinemment que leur mari se trouve chez la 4e. Noumbé essaye de garder sa dignité devant sa co-épouse qui elle-même, a priori, n'a pas eu le droit à ses trois jours.
"Aucune n'aurait perdu la face. C'était ce qui leur restait. Ce n'était pas du mensonge, pour elles. Elles avaient été objets désirés, convoités, choyés pendant un temps. Puis l'homme comme un charognard rassasié, les avait dédaignées, en laissant à sa place dans leur coeur le venin du chagrin et de leur comédie".
Le 2e jour, elle finit par envoyer ses enfants chez la 4e épouse pour chercher le mari qui arrivera avec des amis la 3e nuit.
Elle se révolte de cette attente, de cette humiliation et a un malaise.
Son mari conclut "regardez ce qu'elle a fait cette folle. Un jour sa jalouserie l'étranglera. Je ne suis pas venue la voir... deux jours seulement, et elle crie comme un veau".
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MessagePosté le: Jeu 27 Oct 2005 20:05    Sujet du message: Répondre en citant

La noire de ... est le récit d'une jeune bonne de Dakar, Diouana, "négresse qui n'avait pas trente ans", accompagnant la famille française dont elle s'occupe à Dakar en vacances en France, à Antibes. Par désillusion de la France, nostalgie de son pays mais aussi parce qu'elle est traitée de façon irrespectueuse et exploitée par la famille, elle finira par se suicider.
"Diouana voulait voir la France et revenir de ce pays dont tout le monde chante la beauté, la richesse, la douceur de vivre. On y faisait fortune. Déjà, sans avoir quitté la terre d'Afrique, elle se voyait sur le quai, à son retour de France, riche à millions, avec des vêtements pour tout le monde (...).
Persécutée, elle se minait. Dioumana, lorsqu'elle était à Dakar, n'avait jamais eu à réfléchir sur le problème que posait la couleur de sa peau. Avec le chahut des petits, elle s'interrogeait désormais. Elle comprit qu'ici elle était seule. Rien ne l'associait aux autres."

A travers l'histoire de Diouana, il s'agit d'une révolte envers ce nouvel esclavage, ce mépris du noir par le blanc qui n'hésite pas à l'exploiter.
Dans ce poème qui suit la nouvelle, Ousmane Sembène dénonce les siècles d'esclavage, le mirage de l'Europe qui mène au servage, et la dépossession des richesses, des terres, des hommes de l'Afrique par les blancs.


NOSTALGIE

Diouana
Notre soeur
Née des rives de notre Casamance
S'en va l'eau de notre fleuve Roi
Vers d'autres horizons
Et la barre tonnante harcèle les flancs de notre Afrique
Diouana
Notre soeur
Sur la barre ne tanguent plus les négriers
L'épouvante, le désespoir, la course éperdue
Les cris, les hurlements se sont tus
Dans nos mémoires résonnent les échos
Diouana
La barre demeure
Les siècles sont ajoutés aux siècles
Les chaînes sont brisées
Les carcans dévorés par les termites
Sur les flans de notre Mère
Afrique
Se dressent les maisons d'esclaves

(...)

Diouana
Notre soeur
Déesse de la nuit
Le parfum de notre brousse
Nos nuits de réjouissances
Notre rude misérable vie
Sont préférables au servage
Nostalgie de la patire
Nostalgie de la liberté
Diouana
Rayon de nos aubes prochaines
Tu es victime comme nos ancêtres du troc
Tu meurs de l'implantation
Tels les cocotiers et les bananiers
Meublant les rives d'Antibes
Ces arbres implantés et stériles.

Diouana
Nore soeur
Clarté des jours à venir
Un jour - un jour très prochain -
Nous dirons
Ces forêts
Ces champs
Ces fleuves
Cette terre
Nos chairs
Nos os
Sont à nous
Effigie de notre mère l'Afrique
Nous gémissons sur ton corps vendu
Tu es notre
Mère
Diouana.


Diouana, c'est la mère Afrique, celle qu'on a vidée, celle qu'on a exploitée, celle qu'on a dépossédée, celle qu'on a menée vers la mort...
Mais l'espoir est là "un jour, nous dirons .... sont à nous". Renaissance...


Dernière édition par Diali le Jeu 27 Oct 2005 20:27; édité 1 fois
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MessagePosté le: Jeu 27 Oct 2005 20:22    Sujet du message: Répondre en citant

nallyter a écrit:
diali a écrit:
La mère d'Ousmane Sembène, extrait de Voltaïque est donc un hommage à la mère.
Je ne peux m'empêcher de repenser à la dédicace-poème de Camara Laye dans l'Enfant noir :

"Femme noire, femme africaine, ô
toi ma mère je pense à toi...

ô Dâman, ô toi ma mère, toi qui me
portas sur le dos, toi qui m'allaitas,
toi qui gouvernas mes premiers pas,
toi qui la première m'ouvris les yeux
aux prodiges de la terre, je pense à
toi...

Femme des champs, femme des
rivières, femme du grand fleuve, ô
toi, ma mère, je pense à toi...

(...)

Femme noire, femme africaine, ô
toi, ma mère, merci ; merci pour tout
ce que tu fis pour moi, ton fils, si
loin, si près de toi !"

La mère d'Ousmane Sembène est le récit d'une victoire d'une mère sur un roi-despote qui avait décrété qu'aucun homme de son royaume n'épouserait une fille sans qu'il ne soit le premier à passer la première nuit avec elle... L'une des mères de ces jeunes filles se révolta et fut suivi par tous les sujets du roi.

"Gloire à ceux et à celles qui ont eu le courage de braver les calomnies. Soyez louées, femmes, sources intarissables, vous qui êtes plus fortes que la mort...
Gloire à vous, coolies de la vieille Chine, tagalacoye du plateau du Niger ! Gloire vous, femmes de marins, dans l'éternel deuil ! Gloire à toi, petite, petite enfant, mais jouant déjà à la mère...
L'immensité des océans n'est rien à côté de l'immensité de la tendresse d'une mère..."


Quel bel hommage à la femme et à la noire en particulier !
ça me fait penser au poème de Senghor " femme noire, femme nue....vêtue de ta couleur qui est vie....etc...(je ne me souviens plus, il faudrait que je le relise !!!)



Moi je dirais surtout quel bel hommage à la femme-mère !
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MessagePosté le: Ven 28 Oct 2005 07:34    Sujet du message: Répondre en citant

La dernière nouvelle du recueil, qui en a donné le titre par ailleurs, est "le Voltaïque".

C'est une nouvelle très forte, l'amour d'une homme, Amoo, envers deux femme : l'amour d'un mari pour son épouse, l'amour d'un père pour sa fille dans le contexte des razzias lors des traites négrières.
Ce qui donne "prétexte" à ce récit, c'est la question de Saër, moitié Sénégalais, moitié Voltaïque, à ses amis qui discutent autour d'un thé maure : "pourquoi avons-nous des balafres ?".

Après maintes explications de l'assemblée (signe de noblesse, signe d'asservissement, etc), Saër se lance dans l'histoire de l'Afrique noire pour trouver une explication : nulle trace après les traites négrières dans les deux Amériques, nulle trace en Afrique noire juste avant l'ère négrière, mais des traces lors de la traite négrière lorsque les négriers voulaient des esclaves sans la moindre imperfection.

A partir de là, Saër se lance, devant une assemblée qui boit ses paroles, dans un récit qui ressemble à un conte inscrit dans un contexte réel, ce qui est particulièrement troublant.

Le contexte des razzias est décrit dans toute son horreur, avec les conséquences sur la vie des villages, la vie des familles mais aussi la collaboration de certains noirs. Il est raconté comment des hommes comme Momutu délivraient des captifs sur les bateaux pour les revendre aux blancs. Amoo, lui, tua par amour sa femme pour qu'elle ne soit pas captive et risqua sans arrêt sa vie pour sauver celle de sa fille.
L'incompréhension entre les deux hommes est totale, leur destin est opposé.

Après cette razzia, Amoo et sa fille, Iomé, parviendront à retrouver leur village et ses survivants (la plupart sont des vieillards dont la belle-mère de Amoo). La vie reprend son cours quelques temps avant qu'une nouvelle razzia tombe sur le village. La seule solution qui se présente à Amoo cette fois-ci pour sauver sa fille est de scarifier son corps. Amoo cette fois-ci est capturé, mais la belle-mère, trop vieille pour intéresser, rentre avec sa petite fille au village. Grâce aux plantes, le corps de Iomé cicatrisa. Des mois plus tards, quand reviendront les chasseurs, Iomé sera relâchée : "elle ne valait rien... parce que sa peau n'avait plus la pureté exigée (...). C'est ainsi que cette pratique se répandit et qu'on vit apparaitre des diversités de balafres sur le corps des ancêtres."

La nouvelle se termine par une interpellation du lecteur par l'auteur : "lecteurs, qu'en pensez-vous ?"
Personnellement, j'ai trouvé cette réponse de Saër pour expliquer la présence des balafres, particulièrement poétique à défaut d'être scientifique. Le contraste est fort entre ce contexte réaliste des razzias négrières et la beauté qui ressort de cet amour familial, de cette histoire particulière. Cette nouvelle m'a particulièrement émue, peut-être donnera-t-elle naissance à une légende ?

Et vous, qu'en pensez-vous ?
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MessagePosté le: Ven 28 Oct 2005 07:59    Sujet du message: Répondre en citant

Juste un avant-goût de la nuit est tombée sur Dakar d'Aminata Zaaria, paru début 2004.

C'est l'un des premiers livres sénégalais que j'ai lus, après les classiques comme Mariama Bâ ou Aminata Sow Fall. J'ai lu ce livre à la même époque que le ventre de l'Atlantique de Fatou Diome.
Ce n'est pas que je remettais en cause l'intérêt de ce dernier livre, au contraire, le sujet du ventre de l'atlantique est intéressant et même courageux, mais j'ai trouvé un trop gros décalage entre le silence relatif sur le livre d'Aminata Zaaria que je trouve bien mieux écrit (même s'il ne s'agit pas de "grande littérature") et qui décrit une autre réalité du Sénégal et, le succès de celui de Fatou Diome.

Avec le recul, je me dis que ce livre peut donner naissance à un certain nombre de clichés dangereux et justement, peut intéresser juste pour ces clichés-là. Il n'empêche qu'aujourd'hui, je compte dire quelques mots sur ce livre malgré tout car il apporte des éléments intéressants sur la femme, repris par certains auteurs que j'ai cités plus haut dont Nafissatou Dia Diouf, et Aminata Zaaria est une référence actuelle qui ne démérite pas.

Dès la première page du livre, on est dans le vif du sujet, qui peut choquer. C'est un passage très direct qu'on appréciera ou qu'on rejettera d'emblée.
On remarquera que l'ensemble du livre, comme la plupart des ouvrages sénégalais est empreint de références à la religion musulmane compte-tenu du contexte religieux du pays (à 80% musulman).

"Je sais que je risque les flammes de l'enfer, mais je suis prête à tout pour échapper à la pauvreté. Et puis, le Bon Dieu tiendra peut-être plus compte des supplices subis ici-bas que de mes pêchés. Il suffira de Lui expliquer que j'en avais marre de la médiocrité ambiante pour qu'Il m'accorde sa grâce infinie. Ainsi, le jour du Jugement dernier, Il ne m'enverra pas dans les braises où cuisent les femmes qui ont eu des rapports sexuels avec des hommes qui boivent de la bière, mangent du porc et refusent de jeûner durant le mois sacré.
Si j'ose braver les interdits religieux, c'est parce que Dior Touré, ma meilleure amie, et moi, nous en avons parlé très sérieusement et qu'elle a réussi à anéantir toutes mes craintes.
Je sais désormais que mon ultime issue de secours ce sont les Blancs, les toubabs très riches, en tous cas beaucoup plus riches que les hommes du pays".
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MessagePosté le: Dim 30 Oct 2005 10:23    Sujet du message: Répondre en citant

La nuit est tombée sur Dakar est avant tout le récit d'une amitié féminine, entre la narratrice et la belle Dior Touré, la meneuse, l'ambitieuse, la rêveuse..., le récit d'une courte tranche de vie de deux adolescentes de 17 ans, passage entre la vie monotone et dépassée dans un village de brousse, "un bled perdu" comme écrit la narratrice, et la vie pleine de fastes à Dakar, dans lequel ressurgit des moments très durs de l'enfance des deux amies (notamment les conditions de l'excision de Dior Touré).

D'autres personnages féminins apparaissent dans le livre, notamment les mères respectives des deux amis, la mère "pleureuse" de la narratrice, la mère devenue folle de Dior Touré qui passa sa vie à enfanter et accoucha dans de terribles conditions (ce qui est déclencha sa folie).

La plupart des hommes décrits dans le livre, noirs comme blancs, sont pour la plupart perçus comme des ennemis de la femme : père intolérant et violent ; copain profiteur et inintéressant ; vieux toubabs riches, intéressés par la luxure et repoussants ; ex-lutteur noir proposant ses services...

Modernité et tradition sont mêlées dans ce récit qui fait référence au futur rêvé des deux jeunes femmes vers un pays "civilisé", avec tout le confort et toute la richesse possibles, et le passé dans un village de brousse caractérisé par l'ennui, la médiocrité, les traditions dépassées. L'opposition entre les deux mondes est mise en valeur dès les premières pages du livre où il est montré le décalage entre Dior et les autres habitants et la vision idéalisée des deux jeunes femmes, forcément pas objective.

Pour arriver à leur fin, les deux jeunes femmes ne voient qu'un moyen : sortir avec de vieux toubabs et rapidement avant que leurs charmes ne dépérissent. Relativement lucides quant à la nature de leurs relations avec leurs vieux toubabs, les deux jeunes femmes n'en sortiront cependant pas indemnes. Arrive le grand réveil, le drame et la mise à l'écart de Dior Touré par ces deux mondes opposés.

L'écriture est spontanée, directe, facile à lire. Elle devient poétique dans les dernières pages.
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MessagePosté le: Dim 30 Oct 2005 10:47    Sujet du message: Répondre en citant

Comme d'habitude, je proposerai quelques extraits du livre sur les personnages féminins mais j'en profiterai aussi pour citer quelques extraits sur cette question de relations noirs/blancs qui apparait dans le livre.

La situation est-elle simplement liée à la couleur de peau ou dans ce cas précis, au décalage des situations financières des personnages ? L'histoire coloniale est évoquée mais l'épisode entre l'ex-lutteur et la narratrice, particulièrement dur, montre que les inégalités socio-économiques sont ici la principale cause de cette terrible situation. Du moins, Aminata Zaaria a choisi dans son livre de montrer essentiellement cette facette de la question.

La narratrice rappelle aussi que si Mme le ministre de la Condition Féminine n'était pas venue dans leur village et si, surtout, il n'y avait pas eu ces kilos de céréales en échange d'une promesse de scolarisation des petites filles, les deux jeunes femmes n'auraient jamais appris à lire. Elle met en valeur le poids des traditions qui rend la femme soumise à l'homme. Mais surtout, elle montre que si les deux jeunes femmes sont attirées par les toubabs, c'est parce qu'ils sont riches, parce qu'ils représentent la promesse d'une autre vie que celle qui leur semble si fade et si médiocre.

Le débat sur cette question est ouvert en tous cas !
Certains diront que l'un n'empêche pas l'autre d'ailleurs.

Après les extraits de "la nuit est tombée sur Dakar", j'enchaînerai ensuite sur la "Nini" d'Abdoulaye Sadji, citée en exemple dans l'essai de Fanon "Peau noire, masques blancs" pour montrer la véritable maladie mentale dont est touchée Nini, liée au complexe d'infériorité de la métisse vis-à-vis du blanc, le déni envers la part de son sang noir, la volonté obsessionnelle de blanchir davantage son sang.

L'écriture et le genre de ce livre sont particuliers : "Nini", c'est à la fois le récit de la vie de cette "mulâtresse", ou plutôt de son comportement envers les blancs et les noirs, et l'analyse psychologique de son comportement.
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MessagePosté le: Lun 31 Oct 2005 10:39    Sujet du message: Répondre en citant

Quelques extraits sur le personnage de Dior Touré, décrite par la narratrice.

"(...). Hier après-midi, je m'ennuyais et j'avais décidé d'aller retrouver Dior Touré. Elle était à l'ombre du flamboyant devant la concession familiale. Assise sur une natte, elle dévorait des yeux les fiches-cuisine de Femme actuelle.
Ma copine collectionne les recettes et les range dans un gros classeur en attendant d'avoir son appartement avec cuisine équipée, four à micro-ondes et cocotte-minute. (...).
A peine avais-je pris place à son côté sur la natte, que Dior me confia :
- Je veux une autre vie et c'est maintenant que je dois me battre pour m'en sortir, car lorsque je serai vieille, aucun homme n'acceptera de m'entretenir. Une femme est comme un marchand d'ombres, elle doit engranger ses bénéfices avant le crépuscule puisqu'au coucher du soleil, personne ne veut plus de sa marchandise.
- Oui, mieux vaut tirer profit de ses charmes tout de suite parce qu'après, il ne te restera plus que des regrets, ai-je renchéri, car elle a raison.
Dior a dix-sept ans comme moi mais déjà, l'air d'une vraie femme. Et si je devais faire une esquisse de ma meilleure amie, je dessinerais au fusain des jambes interminables, une cambrure exubérante, et un buste lourd. Il y aurait aussi l'arrondi des hanches et la géométrie précise du ventre. Je finirais mon portrait avec le tracé sobre du nez qui tranche avec l'ourlet fantaisiste de ses lèvres et je n'oublierai pas les pommettes saillantes et les yeux dont l'iris est comme un fragment de japse. Dior est singulière par sa taille et troublante par ses courbes. Elle est belle et elle en est consciente."
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MessagePosté le: Lun 31 Oct 2005 11:12    Sujet du message: Répondre en citant

La narratrive voue un respect et une admiration forte envers son amie d'enfance Dior Touré, l'ambitieuse.

Dior a tout compris et ne veut pas se résigner au destin qui l'attend.
Elle rejette la société dans laquelle elle a été élevée dans laquelle "des hommes contrariés pour une broutille battent leurs femmes, ces dernières pour riposter cherchent à les émasculer et les coépouses s'entr'ébouillantent à la moindre dispute".
Elle est au contraire attirée par la société décrite dans les magazines féminins européens et, se donnera tous les moyens pour y arriver : sa relation avec Paul Grenelle, Français installé à Dakar, une relation particulière qui résume pour elle la situation :
- les noirs à la recherche de l'argent ;
- les blancs à la recherche d'exotisme.

"Tous ces Français, Belges et Allemands qui vivent au Sénégal, ils ne sont attirés que par l'exotisme. L'essentiel pour eux c'est que tu sois noire, black comme ils disent, et que tu ne sois pas vieille. Ils ne font pas la différence entre une chèvre coiffée et un top model, je te dis.
Cette réponse de Dior a suffi pour me convaincre que moi aussi, j'ai peut-être une chance de trouver un toubab qui accepte de m'entretenir".

Dior reste très lucide sur la nature de leurs relations malgré son âge : "Elle dit que Paul n'est qu'un toubab abruti par des fantasmes coloniaux ; c'est pourquoi il se tape chaque mercredi les soixante-dix kilomètres de route qui sépare Dakar de notre village."


Le livre se divise en deux parties, la première partie qui se passe dans le village essentiellement, et la seconde partie quand la narratrice va rejoindre son amie à Dakar pour avoir le même style de vie.

Celle qui semble la plus forte, la meneuse, Dior, est en fait celle qui a été la plus fragilisée par la vie et sera incapable de supporter une déception supplémentaire. La narratrice, qui semble être un personnage plus fade, tant physiquement que moralement (elle est en quelque sorte la suiveuse) est en fait plus forte.
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Diali
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MessagePosté le: Lun 31 Oct 2005 11:14    Sujet du message: Répondre en citant

Je fais un petit hors sujet juste pour citer un passage intéressant du livre sur l'urbanisation de Dakar, avant de reprendre l'analyse des personnages féminins.

"De la fenêtre du salon où j'attendais que Dior finisse de se préparer, je pouvais voir la mer et même les îles Sarpents.
Et si je n'ai pas cherché à localiser Escale entre le mirador de la prison de Rebeuss et le cimetière de Soumbédioun, c'est parce que le quartier où vivaient mon oncle et sa famille a été effacé du paysage urbain. Plus rien ne reste de l'ancien ghetto considéré par le gouvernement comme une croûte sur la gueule de Dakar... Escale n'a pu survivre au programme d'embellissement de la corniche décidé par l'Etat il y a trois ans. Tout avait commencé par des avertissements qui laissaient les habitants de marbre.(...). Tout s'est passé très vite, des architectes et des maçons ont pris d'assaut les bicoques rasées et se sont acharnés nuit et jour afin de finir l'édifice destiné à marquer le passage à l'an 2000. Le 31 décembre 1999, La fenêtre du millénium, une sculpture en bronze géante sur un lit de gazon synthétique, était inaugurée par la chef de l'Etat. Et depuis, ce monument fait la fierté des Dakarois qui s'y promènent, s'y font prendre en photo et assaillent les bancs publics, profitant ainsi de la brise marine et de cette grande plage qui servait de décharge publique aux habitants de l'ancien quartier (...)".
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BM
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MessagePosté le: Lun 31 Oct 2005 11:29    Sujet du message: Répondre en citant

Salut, Diali

Tu merites une medaille d'or pour l' aniçmation que tu fais dans ce topic.
Désolé de t' avoir laiséee en plan, les vacances, tu sais ce que c'est.
Elle s'achèvent bientôt Sad Mad , je reviens d'ici peu .

Très heureux que la pièce de Soyinka t'aie plu.
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Diali
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MessagePosté le: Lun 31 Oct 2005 11:40    Sujet du message: Répondre en citant

"La nuit est tombée sur Dakar et un monstre a fait irruption dans le salon. C'était l'ami de Paul Grenelle qu'on attendait pour dîner. Il doit avoir dans les soixante-dix ans, peut-être beaucoup plus. (...). C'est d'ailleurs la première fois de ma vie que je vois un homme sans sourcils ni cils. Ses yeux globuleux le font ressembler à un crapaud. En plus, il a une façon de bouger juste l'iris, lorsqu'il veut regarder, qui lui donne l'air d'un batracien. Il ne parle pas, il croasse et c'est lugubre. En lui serrant la main, j'ai failli m'enfuir.
De sa main droite, il ne reste plus que le pouce. La main est là mais pas les quatre autres doigts".

Ce chapitre, qui a donné le titre du livre, est particulièrement intéressant. "La nuit est tombée sur Dakar" = un Dakar, qui attire, qui aspire ses habitants mais qui fait des victimes.

La description par la narratrice de celui qui ne sera plus appelé que "le crapaud" est symbolique : c'est un monstre, moralement comme physiquement, vu par les yeux d'une jeune fille de 17 ans.

C'est comme s'il avait fallu décrire des personnagers complètement antinomiques pour montrer la monstruosité d'une relation qui repose sur une certaine liberté de "choix" malgré tout, une relation qui existe même entre noirs (cf. le mbarane par exemple, que certains n'assimilent pas à la prostitution cependant. La narratrice évoquera un épisode tout aussi difficile entre elle-même et le lutteur pour montrer que beaucoup de relations sont basées sur l'intérêt même lorsqu'on est jeune, beau et de la même nationalité).

L'attitude des deux vieux toubabs est particulièrement repoussante, ils jaugent leurs jeunes "proies" comparées aux filles de d'autres pays d'Afrique et aux Européennes.

"(...)le crapaud a croassé :
- Moi je suis encore au Sénégal pour un bon moment, les filles sont si belles.
- J'ai fait pas mal de pays d'Afrique, mais je dois dire que la palme revient aux Sénégalaises... Cette élasticité dans la gestuelle, cette douceur dans les préliminaires et cette fureur dans le coït, on ne les retrouve nulle part ailleurs.
Et pour illustrer ses propos, il a ajouté tout en me désignant d'un mouvement de menton :
- Elles ont de superbes croupes, je suis sûr que mademoiselle assise près de moi est merveilleusement bien foutue...
Dior, heureuse qu'on s'intéresse enfin à ma personne, a délcaré :
- C'est ma copine, elle vient du village...
- Alors mademoiselle, tu te lèves un peu pour qu'on puisse constater la véracité de mes propos, insiste le vieux toubab.
Du regard, Dior Touré me somme d'obéir et je finis par me lever pour m'exhiber devant ce crapaud.
- Regarde-moi cette cambrure, tu peux faire des kilomètres dans Paris ou même à Venise sans jamais croiser une nana avec un cul pareil, a affirmé encore ce crétin de Bernadin.
- Mon ami a beaucoup voyagé dans le cadre de son travail. Il sait de quoi il parle. Autre détail important, il a divorcé et il perçoit d'importantes royalties avec ses livres de cuisine. Je te signale que c'est un beau parti, conclut Paul".

C'est cru, direct, aucune possibilité d'illusion : le marché est clair, l'argent, contre la beauté et la jeunesse.
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MessagePosté le: Lun 31 Oct 2005 11:42    Sujet du message: Répondre en citant

BMW a écrit:
Salut, Diali

Tu merites une medaille d'or pour l' aniçmation que tu fais dans ce topic.
Désolé de t' avoir laiséee en plan, les vacances, tu sais ce que c'est.
Elle s'achèvent bientôt Sad Mad , je reviens d'ici peu .

Très heureux que la pièce de Soyinka t'aie plu.


Salut BMW
très touchée par ton petit mot
je sais ce que c'est les vacances, surtout profite bien ! (on m'avait prévenue, ne t'inquiète pas !)
Merci encore de m'avoir fait connaître Soyinka !
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MessagePosté le: Mar 01 Nov 2005 14:23    Sujet du message: Répondre en citant

Entre Dior et la narratrice, les rôles finissent par s'inverser lorsqu'elles sont rejetées par leurs vieux toubabs. En rupture avec leur village et leur famille, surtout pour ce qui concerne Dior, elles se retrouvent dans une situation difficile.

Leurs réactions seront opposées : Dior devient la narratrice, la narratrice devient Dior. Il y a la Dior d'avant et la Dior d'après comme il y a la narratrice d'avant et celle d'après.

L'ancienne Dior a dépeint sur la narratrice qui devient la meneuse et est prête à recommencer avec des toubabs "plus jeunes, plus sympathiques, plus riches, qui les enmèneraient en France".

La narratrice est dans la répétition, Dior est dans la désillusion.

Cette dernière a perdu tout espoir. Elle rejettera toutes les solutions préconisées par la narratrice (sortir avec d'autres toubabs, être entretenue par un homme même non toubab, reprendre les études "pour finir vacataire de l'éducation nationale et attendre d'être payée quand les caisses seront vides", invoquer le don de Dieu...).
Le réveil de Dior est particulièrement douloureux parce qu'elle comprend que se faire entretenir n'est pas la solution mais elle n'a pas trouvé d'autre solution pour rebondir, aucune issue. De plus, elle culpabilise d'avoir entraîné son amie.

Le dénouement sera aussi violent que l'enfance, le départ du village, la séparation avec le vieux toubab pour Dior.

Destin terrible, choix terrible : le suicide prémédité. Dior sera enterrée loin du cimetière parce qu'elle s'est donnée la mort elle-même, elle recevra la toilette mortuaire par trois femmes solidaires dans ce malheur : la narratrice, amie fidèle, la mère de la narratrice qui pleura de vraies larmes cette fois-ci pudique, la mère de Dior redevenue lucide et calme.

La boucle est bouclée pour Dior : enterrée loin des autres, elle qui s'est tenue de son vivant à l'écart des autres, avec le mirage d'une vie autre, "au-dessus".
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MessagePosté le: Mar 01 Nov 2005 14:37    Sujet du message: Répondre en citant

Un dernier extrait de La nuit est tombée sur Dakar, les dernières pages, particulièrement poétiques, hymne à l'amitié, attaches à la tradition, la filiation, question sur l'identité partagée entre le passé et le futur, la tradition et le choix d'une vie "moderne" et surtout plus confortable. Mais on n'échappe pas à son histoire, comme on ne peut échapper à son souhait d'évolution personnelle. Question ouverte sur les possibilités de s'en sortir d'une jeunesse attirée par ce qui semble facile dans un quotidien plutôt difficile.

" Mais de toutes façons, Dior n'est plus là et moi, non plus, je ne suis plus tout à fait ici.
Ma copine est partie avec un pan de mon être et je sais qu'il me sera impossible de survivre ainsi fragmentée.
Histoire de reconstituer cette entitée perdue, j'ai fouillé dans le carton où je garde mes vieux cahiers jusqu'à trouver un bloc-notes défraîchi avec quelques pages restées vierges.
Comme dans un jeu de Wouré, j'essaie de rétablir les faits en replaçant les billes dans leurs cases d'origine, afin de repérer les pions qui nous ont fait perdre, l'erreur qui s'est glissée dans nos calculs et les jokers qui nous ont trahies.
J'ai commencé à relater le destin de Dior : mon destin donc, puisque les deux se sont chevauchés et se sont cnfondus un long moment...
Je me rends compte que j'écris surtout pour avouer à Dieu nos péchés et plaider notre cause auprès des hommes puisque ce sont eux qui nous condamnent au nom de Dieu.
Le stylo comme saisi de nausée, crache sur le papier des phrases qui se veulent l'écho ultime des sanglots qui me sont restés dans les tripes parce que je n'ai pas osé hurler chaque fois que j'en avais envie.
Au fur et à mesure que j'avance dans ma reconstitution, je constate que je suis restée fidèle à la lignée de Koumba-Tam l'aïeule et à toutes les femmes de ma caste.
Je laisse couler les mots comme j'aurais versé des larmes. Oui ! moi aussi, je suis pleureuse.
Seulement, pour contourner l'oubli, j'ai choisi d'emprunter le pont de l'écriture plutôt que la passerelle de l'oralité.
Et cela, mes ancêtres sauront me le pardonner
".
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MessagePosté le: Mer 02 Nov 2005 10:04    Sujet du message: Répondre en citant

diali a écrit:
Après les extraits de "la nuit est tombée sur Dakar", j'enchaînerai ensuite sur la "Nini" d'Abdoulaye Sadji, citée en exemple dans l'essai de Fanon "Peau noire, masques blancs" pour montrer la véritable maladie mentale dont est touchée Nini, liée au complexe d'infériorité de la métisse vis-à-vis du blanc, le déni envers la part de son sang noir, la volonté obsessionnelle de blanchir davantage son sang.

L'écriture et le genre de ce livre sont particuliers : "Nini", c'est à la fois le récit de la vie de cette "mulâtresse", ou plutôt de son comportement envers les blancs et les noirs, et l'analyse psychologique de son comportement.



On y est !

Nini est également une réflexion sur la mixité, la difficulté de la "condition d'hybride" des mulâtressses ainsi que sur les relations blancs/noirs.

Avant d'en commencer l'analyse, voici la préface de l'auteur, Abdoulaye Sadji, dont j'ai déjà mis un petit extrait dans le post de Chabine sur l'actualité de Peau Noire, Masques Blancs de Fanon.

" Nini n'est pas, comme d'aucuns le pensent, un acte d'accusation qui expliquerait une déception amoureuse de l'auteur.
Nini est l'éterne portrait moral de la mulâtresse, qu'elle soit du Sénégal, des Antilles ou des deux Amériques. C'est le portrait de l'être physiquement et moralement hybride qui, dans l'inconscience de ses réactions les plus spontanées, cherche toujours à s'élever au-dessus de la condition qui lui est faite, c'est-à-dire au dessus d'une humanité qu'il considère comme inférieure mais à laquelle un destin le lie inexorablement.
On peut plaindre cette catégorie d'être ou la blâmer. Je crois qu'il est plus charitable de ne la plaindre ni de la blâmer, mais de lui offrir, comme un miroir, la réalité de ce qu'elle est. Ce n'est pas agir en moraliste ou en bourreau mais en philanthrope.
Le cas des mulâtresses devient, en effet, passionnant au moment où le monde paraît s'orienter vers la regénérescence de certaines races par un brassage volontaire d'éléments distincts où le mythe de races supérieures et de races inférieures tend à disparaître, du moins en théorie, où des unions mixtes ont lieu maintenant, chaque jour, entre individus de races différentes.
Des hommes sérieux, intéressés à la question m'ont dit que Nini est dépassé, mais je ne les crois pas. A mon avis ils ont simplement confondu deux choses bien différentes : durée et actualité.
Nous voudrions bien comme eux que Nini soit en effet un simple document à ranger parmi les pièces d'archives vétustes et millénaires. Ce serait de tout repos pour tout le monde, aussi bien pour eux que pour moi et pour ceux qui liront Nini.
Mais en est-il ainsi ?
L'histoire nous le dira."

Qu'en pensez-vous ?
Avez-vous lu le livre ?

Je reviendrai donner quelques repères chronologiques et sur la vie d'Abdoulaye Sadji même si j'en ai déjà parlé un peu plus haut quand j'ai repris Maïmouna.
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Diali
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MessagePosté le: Sam 05 Nov 2005 08:25    Sujet du message: Répondre en citant

Avant d'analyser les quatre principaux personnages féminins du livre, Nini (Virginie Maerle), mais aussi sa grand-mère Hélène, sa tante Hortense et son amie Madou, voici quelques repères sur Saint-Louis où se situe l'action, la ville des "Signaras", déformation de "senoras" (avec un tilde sur le n).

Voici un extrait d'un récit de Boubacar B. DIOP sur St-Louis, carrefour incontournable, de par sa position géographique , Saint-Louis a été la ville la plus dynamique des colonies. Cette présence des colonisateurs s'est développée en trois temps : le temps du commerce, le temps de l’extension. et celui des indépendances.

Abdoulaye Sadji décrit également le paysage et la vie sociale de la ville mais j'ai trouvé cet extrait particulièrement intéressant également pour expliquer davantage le particularisme de la ville de St-Louis.

« RETOUR À NDAR~GEEJ »

(* Ndar-Geej : littéralement Saint-Louis-sur-Mer )

À la mémoire d'Almamy Matteuw Fall

« Proche géographiquement et culturellement de la Mauritanie et du Maroc, Saint-Louis a été convoité au cours des siècles par les Anglais et les Français qui l'ont l'occupé à tour de rôle. Cette position de ville carrefour et son histoire tumultueuse expliquent peut-être notre réputation de tolérance, même si on peut soupçonner les autres de chercher seulement à nous faire plaisir.

Pour faire bonne mesure, j'ai dit à Deborah d'un air détaché que ceux qui vantent notre ouverture d'esprit se gaussent aussi en douce de notre vanité. Je crois que cet aveu l'a un peu calmée. Elle commençait à être sérieusement agacée par les déclarations d'amour des Saint-Louisiens à leur ville.

[...]

Du Saint-Louis colonial, il reste les vestiges de maisons à balcons de bois et arcades et les petites rues droites rayonnant à partir de la place principale. Je me souviens de la poste, de l'église et du grand lycée. Je me souviens du petit peuple de fonctionnaires paisibles, conformistes et discrètement satisfaits de leur sort. Par temps brumeux, on aurait pu facilement confondre Saint-Louis avec quelque ancienne cité médiévale, comme y invite du reste, aujourd'hui encore, sa célèbre « Tour crénelée » ( dite de Maurel et Prom) dont on ne sait presque rien. Les rues se nommaient BIaise Dumont, Adamson ou Victor Duval. Très peu d'entre elles portaient, à l'instar de la rue Lieutenant Pape Mar Diop, le nom d'un Saint-Louisien.

Après avoir tourné en rond pendant quelques heures, j'ai compris mon malaise: je cherchais une ville introuvable. Une seconde ville, malsaine et confuse, s'était superposée à celle d'hier, sereine et lumineuse. Le Saint-Louis d'aujourd'hui, c'est la foule compacte et affairée, la fumée noire des pots d'échappe- ment et ce garçon d'une vingtaine d'années qui manque me renverser en pétaradant sur sa moto. Des bruits. Des odeurs très fortes. Une ville aux espaces bouchés. Une ville-souk sur le modèle de la capitale, tristement coincée entre la mer et le fleuve.

Hier, la douceur de vivre, aujourd'hui la débrouille vulgaire et bavarde.

Les belles signares ne toisent plus la populace nègre du haut de leurs balcons. Elles sont, elles aussi, des figures du passé. Il est difficile d'imaginer que pendant très longtemps elles ont été la clé de toute réussite sociale ou politique. Je me suis souvenu de Nini, mulâtresse du Sénégal d'Abdoulaye Sadji et de Signares Anna de Tita Mandeleau. Deux romans qui exhibent des plaies que l'on aurait bien voulu garder à tout jamais secrètes. Il me revient aussi que c'est seulement en 1916 que le premier Noir a réussi à être maire de la ville. Avant cette date, les élections opposaient les mulâtres ou les métis entre eux, tandis que les maisons de commerce bordelaises, toutes-puissantes, tiraient les: ficelles dans la coulisse. Une ville coloniale, on vous dit. La disparition des signares est le signe d'un profond chambardement culturel. Dans le Saint-Louis de l'an 2000, elles sont perdues dans la masse et même leur nom de famille sonnant bien français ne les empêche pas d'être perçues et de se considérer elles- mêmes comme des citoyennes tout à fait ordinaires. "
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