Posté le: Mer 09 Nov 2005 23:04 Sujet du message: Novembre 2004
Refuser l’amnésie
«Tourner la page», disent-ils. Alors que les morts du «novembre noir» étaient encore chauds et que l’hostilité politico-médiatique de la Chiraquie était au plus haut, les grands esprits «licorniens» sommaient la Côte d’Ivoire patriotique de «tourner la page», d’oublier la guerre ouverte qu’ils ont déclaré – et perdu – face à une petite Nation africaine «amie et alliée». Puisqu’il est de notoriété publique, depuis le 19 septembre 2002, que la résistance ivoirienne a pour péché mignon de suivre en permanence l’agenda de l’ennemi là où elle devait songer à lui imposer le sien, les «tourneurs de pages» se sont mis à proliférer sur les bords de la lagune Ebrié.
«Il ne faut pas remuer le couteau dans la plaie», disent-ils. «Il faut être politique et sortir de la logique d’affrontement», poursuivaient-ils. Raisonnables. Raisonneurs. Beaux joueurs. Hommes d’Etat.
Mais enfin… Jetterions-nous aux orties la phrase très forte du poète Aimé Césaire dans «Cahier d’un retour au pays natal» - «Et surtout mon corps aussi bien que mon âme, gardez-vous de vous croiser les bras en l'attitude stérile du spectateur, car la vie n'est pas un spectacle, car une mer de douleurs n'est pas un proscenium, car un homme qui crie n'est pas un ours qui danse...» ? Un homme qui crie n’est pas un ours qui danse. Les nombreux morts fauchés par la soldatesque criminelle de Jacques Chirac ne se sont pas suicidés. La douleur des leurs n’est ni négociable, ni effaçable. Les jambes des amputés ne reviendront pas. La «politique» ne pourra pas faire taire les cris de douleur et de révolte.
C’est parce qu’au «Courrier d’Abidjan», nous refusons de toutes nos forces l’amnésie que nous avons produit ce numéro spécial et que nous avons organisé une projection mondiale de «La Victoire Aux Mains Nues», l’œuvre du mémorialiste Sidiki Bakaba, grâce à qui la planète entière a vu ce que les endimanchés de l’Elysée, de Matignon, de la Défense et du Quai d’Orsay, jugeaient trop peu digne d’intérêt – et surtout trop infamant pour l’image que ces institutions veulent donner de «la patrie des droits de l’homme».
L’enjeu de la mémoire sur les événements de novembre 2004 dépasse la Côte d’Ivoire et dépasse même les destinées politiques particulières de ceux qui la dirigeaient quand elle a été attaquée par l’hydre néocolonialiste. La mémoire est, très clairement, ce qui différencie l’homme de l’animal. Se la refuser, ou céder au chantage moral de ceux qui exigent de nous que nous nous la refusions, c’est accepter d’être relégué à l’état de sous-homme.
Il y a tout juste quelques jours, la France commémorait le 60ème anniversaire de la Shoah, le génocide des Juifs, en se recueillant dans un camp de concentration nazi installé en Alsace. La Nation poussait, comme chaque année, un grand cri : «Plus jamais ça !». Parce qu’elle a nié pendant plus de cinq ans l’humanité des Juifs, il est de son devoir de rappeler à chaque fois qu’elle en a l’occasion qu’elle ne le fera plus jamais. C’est ce qui protège la communauté anciennement martyrisée du retour de la «bête immonde»… Avec un peu de gêne, la France a été obligée de commémorer le massacre de Sétif, en Algérie, il y a 60 ans. Les tentatives de formater l’Histoire et de ménager dans la mémoire le fait colonial y suscitent aujourd’hui des polémiques énormes…
Si le rappel des faits qui se sont déroulés il y a soixante ans fait l’objet d’une surveillance aussi pointilleuse et unanimement admise, comment comprendre que le souvenir d’une tragédie qui a eu lieu il y a juste un an soit considéré comme trop encombrant ? Ceux qui veulent nous complexer, nous empêcher de nous souvenir de nos morts, sont ceux qui se préparent à recommencer les forfaits qui ont coûté la vie à nos martyrs. Ils ne nous considèrent pas comme des hommes à part entière. Nous devons nous imposer en tant que tels, en réclamant notre place au Panthéon mondial de la douleur et de la dignité. Nous devons ériger les violences qu’ils nous ont fait subir en tabou absolu. C’est l’impérieux devoir de notre génération.
Au-delà de l’impératif moral, c’est également une nécessité politique. Car, dans cette affaire, la peur est dans leur camp. Ce sont eux aujourd’hui qui mentent ; qui ont détruit tous les indices matériels pouvant conduire aux responsables du prétendu bombardement de Bouaké (relevés GPS des drones, boîtes noires des Sukhoï, éclats de roquettes…) ; qui ont censuré la quasi-totalité des documents français classés «secret-défense» et prétendument déclassifiés. Le scandale est devant leur nez. Ils ont menti. C’est pour cette raison qu’ils demandent de tourner la page, alors qu’ils ne se privent pas de campagnes médiatiques mensongères pour accabler les autorités ivoiriennes. Avant de tourner la page, M. Chirac, Mme Alliot-Marie, écrivons-la donc !
ki nèg nwè ki nèg klè
ki nèg klè ki nèg nwè
tout nèg a nèg
nèg klè pè nèg nwè
nèg nwè pa lè wè nèg klè
nèg nwè ké wéy klè
senti i sa roune nèg klè
mè nèg klè ké wéy klè a toujou nèg
sa ki fèt pou nèg vin' blang?
blang té gen chivé pli long?
pou senblé yé nou trapé chivé plat kon fil mang!!!
mandé to fanm...!
mè pou kisa blang lé vin' nwè?
ha... savé ki avan vin' blan yé té ja nèg!
a nou mèm ké nou mèm dépi nânni nânnan...
chinwa soti, kouli soti, indyen soti, blang soti
mèm koté nèg soti
«On a loué Dieu, chanté, dansé, jusqu’à ce que l’hélico français s’en aille»
Souvenir - Avocate à la Cour et présidente du Collectif des avocats des victimes de la guerre en Côte d’Ivoire, Maître Patricia Lohrougnon Hamza-Attéa était au cœur des douloureux événements du «Novembre noir» ivoirien. Cette juriste humaniste et défenseur des Droits de l’Homme a vécu en direct, le mitraillage de la résidence du président Gbagbo. Elle raconte.
Quand l’opération Dignité a commencé, le chef de l’Etat a désigné le président Mamadou Koulibaly pour conduire ce qu’on appelait à cette époque-là une cellule de crise, une cellule de coordination, et nous tous on se réunissait au domicile du président Mamadou Koulibaly. Donc ce jour-là, je pense que c’était un samedi, il était 11H quand le Professeur Niamien Messou, qui est le président du Collectif des organisations de la société civile - dont je suis la secrétaire générale - est venu chez moi à la maison vers midi. Je l’ai invité à manger et on a commencé à peine à manger quand on a reçu un appel du député Attéby, qui demande : «Mais vous êtes où ?». Messou dit : «On est chez Hamza. Ecoute, on mange et on vient tout de suite à la réunion». Attéby dit alors : «Ah ! J’ai appris une nouvelle qui n’est pas du tout rassurante, mais je ne suis pas encore très sûr, la France vient de détruire nos Sukhoï».
Du coup, on n’a plus eu envie de manger et on a voulu vérifier l’information. On est parti rapidement chez le président Mamadou Koulibaly, où le député Attéby nous a rejoint et on a commencé à appeler partout. Et puis tout le monde est venu : Mmes Bro Grébé, Lohourougnon Odette, M. Affi N’Guessan et bien d’autres personnalités encore. On était là quand on a commencé à recevoir des appels de l’extérieur, notamment d’amis vivant en France qui nous disaient : «Attention, il y a des avions français qui décollent de Djibouti et qui viennent sur la Côte d’Ivoire. Faites très attention.» Il était 14 heures passées. On s’est regardé, et quelqu’un a demandé : «qu’est ce qu’on fait ?». Et quelqu’un d’autre a répondu : «Il faut aller voir à l’aéroport», parce qu’au moment où l’opération «Dignité» avait été lancée, on s’était dit qu’il fallait protéger l’aéroport. Et puis, quelques instants après, on a reçu des informations comme quoi les soldats français sont en train de prendre positon à l’aéroport – aéroport Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan Port-Bouët, Ndlr - et de tout détruire là-bas ; et donc on a décidé de nous y rendre.
Entre temps, il y a quelqu’un de la Licorne - vous savez, ils ne sont pas tous nos ennemis là-bas – qui nous a appelés pour dire qu’il voulait nous rencontrer, que c’était urgent et qu’il avait des informations importantes à nous donner. Donc on se retrouve avec cette personne à quatre à l’Hôtel Ivoire : Messou, le député Attéby et moi-même, et puis on parle à cette personne, qui nous dit : «attention, c’est confirmé, les avions sont effectivement détruits». On demande : «Mais pour quelles raisons ?» Il répond : «Il semblerait que des soldats français aient été tués dans les bombardements». «Ah bon ? Mais on n’est pas au courant», lui rétorque-t-on. Et il ajoute : «Il faut faire attention. Je ne peux pas vous en dire plus, mais les heures qui suivent ne sont pas très bonnes.». Dès qu’on sort de là, on apprend qu’il y a des gendarmes ivoiriens qui sont pris en otage à l’aéroport par des militaires français. Donc on se déporte à l’aéroport. On était là quand on a entendu Licorne tirer, car les jeunes patriotes de Port-Bouët étaient déjà sortis. Vers 17H-18H, Attéby a pu faire libérer les gendarmes qui étaient retenus effectivement en otage par les soldats français, mais entre-temps, les Français avaient déjà tiré délibérément sur des gens à l’aéroport, fait évacuer l’aéroport et commencé à le piller eux-mêmes. On ne pouvait plus y avoir accès, parce qu’ils avaient commencé à disposer leurs chars au niveau de la statue «Akwaba».
Il était environ 18H30, et on s’est dit qu’il fallait aller voir ce qui se passe à la résidence du chef de l’Etat. Nous sommes donc retournés à la résidence vers 19H, et on nous a dit que le chef de l’Etat était en réunion avec ses plus proches collaborateurs et les membres du FPI. On était assis dans la salle d’attente, quand on nous a appelé de Yamoussoukro pour nous dire : «Attention, on vient de détruire tous les avions de Yamoussoukro et on vient de tirer sur le Colonel – devenu aujourd’hui Général – Mangou. Il y a une bombe qui est tombée sur la résidence du chef de l’Etat à Yamoussoukro». On a trouvé que cela devenait sérieux, et on a décidé – il y avait Odette Lorougnon, Bro Grébé et moi-même – d’aller à la télévision pour demander aux Ivoiriens de sortir massivement, parce que les choses commençaient à prendre une tournure qui n’était pas bien. Blé Goudé nous a rejoint à la RTI, et c’est comme ça qu’on a lancé l’appel à tous les patriotes, on a demandé à tout le monde de sortir massivement parce que les choses n’allaient pas bien. De la RTI nous sommes retournés à la résidence du chef de l’Etat ; il était déjà 21 heures passées.
Le président était à table avec des gens. Les patriotes ont commencé à nous appeler pour nous dire : «Ça tire sur les ponts»… Et nous, on essayait de joindre le chef d’Etat-major (Ndlr : à l’époque, le général Doué, passé aujourd’hui dans la rébellion) pour voir… On a essayé aussi de joindre le général Mangou – à l’époque Colonel – sur Yamoussoukro pour voir, et on nous a dit : «Ne vous inquiétez pas, il va bien et il est en sécurité quelque part». Nous étions donc rassurés, parce que pour tout vous dire, c’était la seule personne crédible dans l’armée en qui nous mêmes nous avions confiance, et il était primordial pour nous que le Colonel Mangou soit en vie. On voyait la Première Dame qui n’arrêtait pas de demander : «Est-ce que le Colonel Mangou est en vie, est-ce que ça va bien chez lui ?». Elle était vraiment inquiète pour lui et quand on lui a dit que «ça va, le colonel Mangou est en sécurité», elle a poussé un ouf de soulagement. On a vu les personnalités de l’Etat, du PDCI, enfin, tout le monde venir au domicile du chef de l’Etat pour voir si tout allait bien, et c’est comme ça qu’il y a eu un beau monde à la Résidence.
Vers 22H-22H30, l’armée française a commencé à tirer sur la résidence. Les impacts de balles sont encore visibles jusqu’à ce jour, et il y a même eu un blessé. Ils étaient dans leur fameux hélicoptère qui vole dans le noir et éclaire avec des infrarouges ; lui il voit, il illumine la résidence du chef de l’Etat mais les gens ne le voient pas, et il tirait sans arrêt. Comment le chef de l’Etat et nous-mêmes avons eu la vie sauve ? C’est Dieu seul qui peut l’expliquer. Pendant que l’armée française tirait, le chef de l’Etat était toujours à table. Immédiatement, le service de sécurité est allé dans la salle à manger pour voir comment il fallait protéger le président de la République. C’est une anecdote, aujourd’hui on en rit. Alors que beaucoup de personnalités autour du chef de l’Etat commençaient à pleurer, à se lamenter, à s’inquiéter, le chef de l’Etat et son épouse étaient sereins, assis à table et ils continuaient de manger. Et puis on a un ami, Roger Kouakou, un patriote, qui vient et qui crie pratiquement sur le chef de l’Etat : «Mais monsieur le président de la République, vous n’entendez pas tirer et puis vous êtes assis tranquillement en train de manger ?» Le chef de l’Etat le regarde, et puis il ne répond pas. Alors Roger s’énerve, crie à nouveau et le chef de l’Etat s’énerve à son tour, et il lui dit : «J’entends tirer, mais qu’est-ce que vous voulez que je fasse ?».
La Première Dame également ne réagit pas, elle est sereine, même si tout le monde autour s’activait… «Bon, il faut voir comment cacher le chef de l’Etat et son épouse»… Mais le chef de l’Etat ne réagissait pas, il était serein. Et puis, à un moment donné, la Première Dame se lève de table et se dirige vers le salon rose, là où elle reçoit habituellement, et elle entonne un chant de prière. Et puis on a commencé à chanter, à prier, à louer Dieu… pendant qu’on entendait tirer ! On a loué Dieu, chanté, dansé jusqu’à 1H-2H du matin, et puis l’hélicoptère français est reparti. L’hélico a tiré pendant environ deux heures de temps, de 23H à minuit trente-1H du matin. Vers 1H-1H30, l’hélico est reparti et puis vers 2H du matin, il est encore revenu, il a fait trois ou cinq tirs encore et il est reparti. On est restés à prier jusqu’à 2H-3H du matin, et puis le chef de l’Etat, qui était entre-temps monté dans ses appartements nous a rejoint, et nous avons continué de prier ensemble. Il y avait une émotion à voir le chef de l’Etat serein, et les gens n’ont pas pu retenir leurs larmes. Il a commencé à encourager les gens, il est venu vers nous les femmes et a dit : «Ah ! Oui, vous les femmes, c’est vous qui êtes courageuses». Il est resté un moment avec nous, et puis on l’a raccompagné et il est monté se coucher tranquillement. Nous sommes restés là à prier jusqu’au petit matin et le lendemain, on s’est réorganisés en faisant poster le peuple, les patriotes devant la résidence, la RTI ; en un mot, devant les points stratégiques. Le lendemain dimanche, on s’est rendu à la Radio, au Plateau, pour continuer de mobiliser les patriotes.
Quelques jours après – et ça aussi c’est une autre anecdote - un des amis du chef de l’Etat lui a demandé : «M. le président, tu étais où exactement et tu faisais quoi quand les Français tiraient sur ta résidence ?». Il a dit : «Beuh ! Je suis monté dans mes appartements et puis j’ai commencé à regarder mes DVD, tranquillement.» Son ami a dit : «Mais enfin, Laurent, tu es inconscient ! Nous on est là, on est inquiet, on pleure, on meurt pour toi, on dit mais le président, qu’est-ce qu’il devient et toi, tu es là et tu regardes DVD ?». Le chef de l’Etat lui a répondu : «Oui, mais écoute, on ne dira jamais que Gbagbo Laurent est mort en fuyant ! Je ne voudrais pas qu’on le dise. Je meurs les armes à la main. Si les gens ont pensé que j’allais fuir, ils se sont trompés. Je suis donc monté à mes appartements regarder mes DVD et puis évidemment, réfléchir à la situation et je me suis demandé : «Pourquoi la France s’est-elle comportée de la sorte, en Etat voyou ?»» Parce que ce que beaucoup d’hommes ne savent pas, c’est que l’opération «Dignité» a été menée avec l’accord de la France. La France était d’accord et elle-même a demandé au chef de l’Etat en combien de temps il comptait libérer son pays. Le président a répondu : «72 heures à peu près». Donc l’opération «Dignité» avait été cautionnée par Paris, mais quand il y eu la réaction de la France, on a compris qu’elle voulait profiter de cette opération-là pour réussir le coup parfait, c’est-à-dire renverser le président Laurent Gbagbo, ce qu’elle n’a pas réussi le 19 septembre 2002. Raison pour laquelle dimanche nuit, la Force Licorne a commencé à positionner ses chars à l’Hôtel Ivoire, non loin de la résidence du chef de l’Etat ; et même certains chars sont arrivés aux portes de la résidence. Ça, je peux vous le confirmer, puisque j’y étais et je les ai vus.
ki nèg nwè ki nèg klè
ki nèg klè ki nèg nwè
tout nèg a nèg
nèg klè pè nèg nwè
nèg nwè pa lè wè nèg klè
nèg nwè ké wéy klè
senti i sa roune nèg klè
mè nèg klè ké wéy klè a toujou nèg
sa ki fèt pou nèg vin' blang?
blang té gen chivé pli long?
pou senblé yé nou trapé chivé plat kon fil mang!!!
mandé to fanm...!
mè pou kisa blang lé vin' nwè?
ha... savé ki avan vin' blan yé té ja nèg!
a nou mèm ké nou mèm dépi nânni nânnan...
chinwa soti, kouli soti, indyen soti, blang soti
mèm koté nèg soti
«J’ai reculé de deux pas, et le jeune gendarme a pris la première balle»
Récit – Député à l’assemblée nationale et membre du groupe parlementaire FPI, Williams Attéby était l’envoyé spécial du président de l’Assemblée nationale, M. Mamadou Koulibaly à l’Hôtel Ivoire, était au cœur des douloureux événements du mois de novembre le plus sombre pour le peuple de Côte d’Ivoire. L’Honorable Atteby livre ici ses souvenirs des tueries de l’Hôtel Ivoire du 9 novembre 2004, qu’il a vécu en direct.
«Je n’avais jamais voulu en parler où que ce soit, pas même dans la presse. Pourtant, j’ai été au cœur de tous les événements. J’étais là à l’Hôtel Ivoire parce que le président Mamadou Koulibaly m’avait demandé d’aller parler aux manifestants, les jeunes patriotes. Je me suis retrouvé entre les troupes françaises et les jeunes patriotes. J’ai discuté, j’ai consulté, j’ai eu un ultimatum des autorités françaises, bref…
Les jeunes se sont rendus l’Hôtel Ivoire parce qu’ils ne comprenaient pas ce qu’y faisait l’armée française, à quelques mètres de la résidence du chef de l’Etat, prétextant s’être perdue alors qu’elle ne s’est jamais perdue.
Les jeunes patriotes qui étaient là protestaient contre cette présence. Ce sont ces jeunes gens là qui ont été victimes de la barbarie des troupes françaises. Ce sont des jeunes qui aiment leur pays qui protestaient contre cette présence à un endroit où elle n’avait rien à faire. Ce que me rappellent ces événements, ce sont les gros mensonges de l’armée française et cette impuissance que j’ai ressentie. Je voyais la mort venir. Elle était là sous mes yeux. Mais je n’ai pas pu… et les gens sont tombés à côté de moi ! Je suis encore sonné. Et ça me fait faire des cauchemars même jusqu’aujourd’hui. Impuissant devant les armes au sens où lorsque vous vous trouvez devant des gens barbares qui ont des armes, une armée aussi puissamment armée que l’armée française, vous ne pouvez rien…
L’officier français le plus gradé qui était là ce jour s’appelait le Colonel Destremau. Son nom était écrit sur son treillis. C’est avec lui que j’ai négocié. Je lui ai dit : «Ne tirez pas sur les jeunes gens. Ils ne feront rien de mal, ils n’ont pas d’armes, ils ne feront rien de méchant». Il m’a répondu : «On ne tirera pas sur eux.» Je lui ai demandé : «En êtes-vous sûr ?». Il a insisté : «On ne tirera pas sur eux. Rassurez vous ; mais allez leur dire de dégager pour que nous puissions passer». Et c’est ce que j’ai fait. J’ai réussi à un moment donné à faire reculer les jeunes. Et je suis revenu vers les militaires français. Et c’est là que le colonel m’a donné l’ultimatum. Il m’a dit «M. le député, on vus donne une demi-heure.» Je lui ai répondu : «Donnez 45 minutes». Et il m’a répété : «on vous donne une demi-heure.» Je suis reparti parler aux jeunes.Il était 15 heures quand un jeune élève gendarme ivoirien est venu me dire : «M. le député, reculez s’il vous plaît parce que ça devient trop dangereux.» Je lui ai naïvement répondu que je ne crois pas que des soldats français oseraient tirer sur un député ivoirien. Le jeune a insisté, mais devant mon entêtement, il a cru bon me bousculer, et il m’a bousculé. Puis, j’ai reculé de deux pas. Et le jeune élève gendarme… a pris la première balle. Si je n’avais pas reculé de ces deux pas, je ne sais pas où j’allais me retrouver aujourd’hui. Je l’ai vu s’écrouler avec du sang partout. Par terre là, j’ai vu des gens déchiquetés par les balles. Je l’ai vu de mes yeux.
J’ai rampé pour me retrouver sous un char français. Ce sont les soldats français qui m’ont aidé à me retrouver finalement dans le hall de la tour l’Hôtel Ivoire.
C’est là que j’étais quand les premiers coups sont arrivés. Et c’est le corps de ce jeune élève gendarme de 19 ans que des soldats français ont essayé de ranimer. Ce jeune était en 1ère année à l’école de gendarmerie. Je ne sais même plus comment il s’appelle. J’y étais avec John Jay et bien d’autres personnes. Nous pleurions dans tous les sens. Et je vous le dis, j’ai reçu ces images comme un cauchemar. Après je suis sorti pour voir tous les corps que vous avez vus. Mais ce qui est extraordinaire, c’est que en même temps que j’ai vu tous ces corps déchiquetés, j’ai vu des Ivoiriens enjamber les corps de leurs camarades et continuer à courir derrière les chars français. Et j’ai compris que certains soldats qui étaient en bas avec nous étaient eux-mêmes pris dans un piège parce qu’ils ne comprenaient rien à ce qui se passait. Parce qu’il y avait des gens qui étaient perchés en l’air et qui tiraient. L’autopsie d’un jeune ivoirien qui a été tué a révélé que la personne qui a tiré était en haut parce que la balle est entrée par le cou et est sortie par l’abdomen. Ce qui veut dire qu’en plus de ceux qu’on voyait à terre, il y en avait qui étaient perchés en haut avec pour charge explicite de tuer. La France n’avait pas besoin de cette barbarie. Et c’est cette duplicité opérationnelle – parce que ceux qui étaient en bas ont essayé de ranimer des ivoiriens qui étaient touchés – qui étonne vraiment.
Et ce que j’observe et que je retiens comme souvenir, c’est que nous n’avons pas assez pleuré ces jeunes, nous ne leur avons assez rendu hommage. Mais il faut qu’on comprenne qu’ils font partie de notre patrimoine commun, de notre histoire commune et qu’il faudra que chaque fois que novembre arrive, on s’en souvienne. Et qu’à cause d’eux, nous ne soyons plus le même peuple. Ou alors ils seraient morts pour rien et c’est ce qui sera le plus dommage.
ki nèg nwè ki nèg klè
ki nèg klè ki nèg nwè
tout nèg a nèg
nèg klè pè nèg nwè
nèg nwè pa lè wè nèg klè
nèg nwè ké wéy klè
senti i sa roune nèg klè
mè nèg klè ké wéy klè a toujou nèg
sa ki fèt pou nèg vin' blang?
blang té gen chivé pli long?
pou senblé yé nou trapé chivé plat kon fil mang!!!
mandé to fanm...!
mè pou kisa blang lé vin' nwè?
ha... savé ki avan vin' blan yé té ja nèg!
a nou mèm ké nou mèm dépi nânni nânnan...
chinwa soti, kouli soti, indyen soti, blang soti
mèm koté nèg soti
«Nous voyions les éclairs des balles siffler au-dessus du Plateau»
Témoignage - Assis derrière le pupitre de sa cabine de presse, Pierre Ignace Tressia, journaliste à Radio Côte d’Ivoire, est l’un des grands témoins et acteurs qui ont su garder l’antenne et empêcher la falsification de la vérité par les médias français.
«Autour de 14 heures, nous avons été informés de ce que les soldats français s’étaient mis à bombarder et à détruire tous les aéronefs de l’armée ivoirienne. J’ai eu la confirmation auprès de nos autorités.
J’ai reçu, sur le coup de 15 heures, Mme Bro Grégbé, Mme Lorougnon Odette et tout le gotha des femmes patriotes. Elles sont venues à la radio lancer un appel aux Ivoiriens afin qu’ils descendent dans la rue.
Charles Blé Goudé est arrivé aux environs de 18 heures. Il est venu immédiatement à la Radio et il a également pris l’antenne pour appeler à la résistance.
Nous avons immédiatement passé des contacts avec certaines radios périphériques pour leur demander, au cas où la radio nationale n’émettait plus, parce qu’il n’était pas exclu que l’antenne d’Abobo soit brisée ou attaquée, que ces radios nous permettent en relais de diffuser tous les messages. Mais en plus, quand par le net l’information a été balancée, certains de nos compatriotes de l’extérieur nous ont joint pour nous demander ce qu’ils pouvaient faire. Nous avons donc ouvert des lignes spéciales pour permettre aux expatriés de réagir. C’est le cas de Bamba Mamadou qui nous prenait en relais depuis New York. A son tour, il nous rapportait ce qui se passait à New York et à Washington. A travers cela, nous avons su que les Ivoiriens étaient mobilisés comme c’était le cas à Bonn et à Paris.
Un groupe d’informaticiens s’est même mis en place avec un des responsables de Le Courrier d’Abidjan avec d’autres journalistes pour créer un site qui leur permettait de balancer des images de la barbarie française. Tout ceci nous a permis d’arroser le monde entier par rapport à la réalité du terrain. C’est ce qui a poussé les médias français à passer le film que nous avons vu sur Canal + Horizons. Ils n’avaient pas le choix puisque cela se faisait en direct.
Il y a des gens qui nous ont appelés pour nous dire que la Licorne venait vers la Radio. Nous ne pouvions pas déserter la radio. Moi, je me suis dit que s’il fallait que je meure, ce devrait dans ma cabine. C’est derrière le micro que les soldats français devaient me fusiller. Et les Ivoiriens sauraient que je ne parle plus parce que j’ai été fusillé par l’armée française. J’étais avec trois autres collègues. Je peux vous dire que nous avons eu peur parce que quand l’armée française bombardait le Palais présidentiel du Plateau, les détonations faisaient trembler toute la commune. A un moment, il y a eu une coupure d’électricité dans le Plateau. Nous voyions les éclairs des balles qui sifflaient au dessus du Plateau. On a eu très peur car ils pouvaient à n’importe quel moment venir s’emparer de la radio et la fermer. Je ne peux pas vous dire pourquoi ils ne sont pas venus jusqu’à nous. Mais je pense que dans cette affaire la main du Seigneur était sur nous.»
ki nèg nwè ki nèg klè
ki nèg klè ki nèg nwè
tout nèg a nèg
nèg klè pè nèg nwè
nèg nwè pa lè wè nèg klè
nèg nwè ké wéy klè
senti i sa roune nèg klè
mè nèg klè ké wéy klè a toujou nèg
sa ki fèt pou nèg vin' blang?
blang té gen chivé pli long?
pou senblé yé nou trapé chivé plat kon fil mang!!!
mandé to fanm...!
mè pou kisa blang lé vin' nwè?
ha... savé ki avan vin' blan yé té ja nèg!
a nou mèm ké nou mèm dépi nânni nânnan...
chinwa soti, kouli soti, indyen soti, blang soti
mèm koté nèg soti
«Pourquoi Licorne termine le travail à la hache, faisant disparaître la boîte noire ?»
Souvenir – Pour la première fois, un témoin direct de la crise, vue du théâtre des opérations, donc aux côtés du colonel Mangou, raconte comment les choses se sont déroulées dans la capitale politique. Le témoignage de Toussaint Alain est troublant et dérangera assurément ceux qui tentent toujours d’accréditer la thèse du bombardement de Bouaké par l’aviation ivoirienne.
«Le 6 novembre 2004, j'étais sur le théâtre des opérations. Par une conjugaison extraordinaire de faits, je me suis retrouvé ce jour-là à Yamoussoukro. Quarante-huit heures après le début de l'opération «Dignité», comme à son accoutumée, la presse française avait commencé à faire le procès du pouvoir d'Abidjan.
Une fois encore, la question de gestion de la communication en période de crise se posait. Depuis le 19 septembre 2002, à partir de Paris puis à Abidjan, j'ai régulièrement collaboré avec les services de communication du Ministère de la Défense.
Face à l'afflux massif de journalistes étrangers, le com'théâtre Philippe Mangou a accepté de me recevoir. J'ai quitté Abidjan ce jour-là vers 12h. Pour des raisons de sécurité, j'étais accompagné par un militaire. Rien ne laissait présager que la Côte d'Ivoire allait vivre des heures dramatiques.
A 14 heures précises, alors que nous nous apprêtons à emprunter la route qui
mène vers l'aéroport de Yamoussoukro, deux hommes nous demandent de rebrousser chemin, car «ça tire partout à l'aéroport. Les Français tirent sur les avions». Ensemble, nous avons rejoint le com'théâtre Philippe Mangou au Palais Présidentiel de Yamoussoukro.
C'était des moments extrêmement pénibles. Le com'théatre était digne, concentré. Tout l'après-midi, j'ai tenté de savoir ce qui s'était passé. Y a-t-il eu destruction d'un cantonnement français à Bouaké ? Pourquoi la Force Licorne a-t-elle détruit les aéronefs stationnés sur le tarmac de l'aéroport de Yamoussoukro ? Pourquoi ont-ils terminé le sale boulot à la hache et fait disparaître la «boite noire» ? Les pilotes des avions «fautifs» étaient formels : ils n'ont pas bombardé de cantonnement français. En français comme en anglais, pas d'erreur de cible.
Vers 17 h, un ami journaliste dans un grand quotidien français m'alerte :
les Français ont l'intention de finir le sale boulot en détruisant les avions stationnés au GATL à Abidjan, ainsi que ceux de Yamoussoukro. D'ailleurs, le même ami me fait savoir que l'information concernant «le bombardement d'un cantonnement français» par l'aviation ivoirienne était sous «embargo» depuis le milieu de matinée. Certains chefs de service, en week-end, ont même été rappelés par leurs rédactions parisiennes, parce qu'il y aurait «du nouveau» dans la crise ivoirienne. Ainsi donc, à
Paris, certains avaient eu le don de prévoir les derniers développements de la crise ivoirienne avant même qu'ils aient eu lieu. A ce jour, cet épisode demeure encore un mystère.
A 18 h 30, le com'théâtre Philippe Mangou me demande de convoquer la
presse nationale. Besoin d'explication et d'information. Durant près de quarante-cinq minutes, il fait le point de la situation avec les journalistes. Le discours n'a pas varié chez cet homme de mission.
Juste avant 20 h, il s'entretient avec le Président de la République, ainsi qu'avec plusieurs autres hautes personnalités du pays.
A 20h 05 minutes, alors que le com'théâtre s'apprête à rejoindre le bureau annexe d'où il doit accorder une interview en direct à la RTI, nous avons entendu un grondement sourd. «On nous bombarde», s'est écrié un militaire.
Le ciel était illuminé. Immédiatement des dispositions ont été prises pour nous sécuriser. Le com'théâtre, d'un côté, et nous, de l'autre. Premier réflexe après le choc : malgré l’état désastreux des télécommunications, je parviens à joindre une connaissance à Abidjan à qui je demande d’informer la Première Dame de l’attaque du Palais de Yamoussoukro. Quelques instants plus tard, mon téléphone sonne : c’est la Première Dame. Je lui dis simplement : «Madame la Première Dame, les Français sont en train de nous bombarder. Ils tirent sur les hélicoptères stationnés dans le Palais.» Elle répond tout simplement : «Merci pour l’information. Que Dieu vous garde !»
Avec Louis Adjé, journaliste à la RTI, nous formions un petit groupe de cinq personnes dont deux militaires. Louis avait une première fois échappé à la mort, l'après-midi même, à l'aéroport de Yamoussoukro. Il fut un témoin privilégié des missions aériennes de l'armée ivoirienne sur Bouaké. Un vrai reporter de guerre. Son avion avait essuyé plusieurs tirs de la Licorne, alors qu'il amorçait son atterrissage.
Nous avons suivi en direct, sous nos yeux, la destruction des aéronefs de notre armée. «Ce n'est pas nous qu'ils cherchent, ils sont venus détruire les avions», expliquait Louis Adjé, en connaisseur, devant ce feu d'artifice. Cela a duré environ trois quarts d'heure. Nous avons remis notre sort entre les mains de Dieu. Unis en prière, nous tenant les mains.
«Je vous salue Marie...» En plein coeur de la Résidence de Feu Houphouët-Boigny.
Après, l'armée française s'est livré à une chasse à l'homme dans les rues de
Yamoussoukro. Une fois exfiltrés du Palais de Yamoussoukro, mes amis et moi avons trouvé refuge dans un hôtel qui pullulait d'agents de services français et de journalistes occidentaux. Nous avons dû quitter les lieux. Le patron d'une grande banque nous offrira plus tard l'hospitalité.
Vers minuit, nous retrouvons quelque part le com'théâtre Philippe Mangou,
sain et sauf. Nouvel entretien avec le Président de la République. Le lendemain, sur le chemin d’Abidjan, c'est une colonne de chars français qui nous empêche de circuler. L'un a même pointé son canon sur notre véhicule. «Si vous bougez, je vous explose la tête», a menacé le soldat Licorne. Comme au bon vieux temps des colonies.
J'ai été profondément marqué par ces événements. Nous aurions pu y laisser
nos vies. Puisque les tirs de missiles français sur les aéronefs du Palais ont provoqué des dégâts collatéraux (matériels et humains) dans des habitations proches des lieux.
Mais je pleure surtout ces femmes et ces hommes tombés sur le champ d'honneur pour la patrie. J'espère qu'on ne les tuera pas une seconde fois en les sacrifiant sur l'autel de la "real politik" et de je ne sais quels intérêts.
La réconciliation durable passe par la justice et la vérité. On ne peut pas tuer impunément un être humain, fût-il africain, colonisé, noir, pauvre. Se souvenir, ce n'est pas faire montre d'intolérance. Bien au contraire. Il faut aider toutes ces familles meurtries, tous ces blessés, à se reconstruire. A espérer.»
ki nèg nwè ki nèg klè
ki nèg klè ki nèg nwè
tout nèg a nèg
nèg klè pè nèg nwè
nèg nwè pa lè wè nèg klè
nèg nwè ké wéy klè
senti i sa roune nèg klè
mè nèg klè ké wéy klè a toujou nèg
sa ki fèt pou nèg vin' blang?
blang té gen chivé pli long?
pou senblé yé nou trapé chivé plat kon fil mang!!!
mandé to fanm...!
mè pou kisa blang lé vin' nwè?
ha... savé ki avan vin' blan yé té ja nèg!
a nou mèm ké nou mèm dépi nânni nânnan...
chinwa soti, kouli soti, indyen soti, blang soti
mèm koté nèg soti
Ironie – Dans l’affaire des neuf morts français justifiant la destruction de la flotte aérienne ivoirienne, plusieurs étapes de la désinformation en temps de guerre ont été franchies. Affolante invention des faits…
On savait bien que la guerre était le champ privilégié de toutes les techniques de désinformation, mais celle qui est faite à la Côte d’Ivoire aura atteint des sommets jamais égalés dans ce domaine.
Des techniques de désinformation, on en connaissait plusieurs. Il y a l’entrée en matière qui va du Camouflage de la Vérité à son Etouffement. C’est une technique à peu de frais, accessible et surtout à la disposition des esprits de première intention. Avec elle, par exemple, on fera l’effort de ne pas mettre au-devant les réalisations positives de l’ennemi, on taira aussi ses propres tares et ses propres crimes. Le silence est dans ce domaine de rigueur.
Et puis, il y a le second niveau, là où le professionnalisme dépasse la nécessité pour devenir vital. C’est le niveau du Mensonge. Le fait est là, il a été vu et vérifié, alors on n’a plus d’autres choix que de le travestir. De l’attribuer à d’autres, de brouiller les pistes et tout cela, en faisant confiance à la vulnérabilité intellectuelle du plus grand nombre. Cette technique a été par exemple utilisée pour faire croire que l’avion de Habyarimana avait été abattu par Kagamé et non par les gentils français qui étaient en charge de sa sécurité. Tant pis pour ceux qui ne pourront pas apprendre que Kagamé était loin de Kigali. Tant pis pour ceux qui ne sauraient pas que le missile qui a abattu cet avion a été convoyé de l’Irak au Rwanda via l’allié Mobutu du Zaïre. Plus près de nous, cette technique a été utilisée avec succès par RFI pour monter son affaire sur le Charnier de Yopougon. Ici encore, le fait existe, le problème des professionnels de la désinformation est de lui trouver une histoire pour servir une cause depuis longtemps fixée. Comme on utilise un étage inférieur pour accéder à un autre, on peut utiliser, si cela est nécessaire, l’entrée en matière de la désinformation pour déployer la technique du Mensonge. Ainsi, dans le cas du charnier de Yopougon, il a fallu taire le fait que sur les 57 corps du charnier, il y a en avait qui sont morts par noyade et d’autres à l’armes blanche puisqu’il fallait tenir la thèse « de l’exécution groupée par les gendarmes de Gbagbo ». Au contraire de la technique de l’Etouffement ou du Camouflage, le Mensonge a besoin d’être ressassé. Il a besoin d’être distribué à grande échelle pour que les recoupements deviennent vains. L’esprit est maté jusqu’à ce qu’il se rende à l’évidence qui se construit et qui finit par devenir plus vraie que la Vérité. A ce prix, même des esprits éclairés comme François-Xavier Verschave peuvent être pris. Là, si tu ne vis pas là où ça se passe, tu es quasiment pris.
La troisième Technique, c’est quand il n’y a rien. Pas de fait, pas de contre-fait. Mais juste un projet. Dans ce cas, on utilise ce que François Xavier Verschave a appelé la Technique du Miroir. C’est une technique récente inventée au Rwanda par les Français. Elle consiste à accuser l’autre de ce qu’on est. Quand on prépare une extermination, on accuse l’autre d’en préparer. Quand on veut attaquer, on accuse l’autre de s’apprêter à le faire. Quand on veut piller des banques, on accuse l’autre de piller les richesses du pays. C’est une Technique qui part du principe de la dualité des valeurs. S’il y un a un Méchant, c’est que l’autre est Bon. S’il y a un projet criminel, c’est qu’il y a nécessairement un projet humaniste. Alors, l’opinion choisit vite son camp. Et quand il est de tradition africaine que le mauvais est celui qui est au pouvoir, l’idiotie ou la candeur fait le reste.
Mais toutes ces techniques n’ont pas marché en Côte d’Ivoire, alors il a fallu en créer une autre. Et celle-là opère une véritable rupture dans l’histoire de la désinformation. C’est la technique de la Création ou la 4ème Dimension. Il semble que ce mot ait déjà meublé le vocabulaire estudiantin en Côte d’Ivoire pour dire que quelqu’un est en train de mentir, mais son application qui a donné ce qu’on appelle désormais «les 9 morts français de Bouaké » est proprement un chef-d’œuvre.
En effet, le vendredi 05 novembre 2004, après les tout premiers bombardements de Bouaké par l’armée ivoirienne, toute exaspérée par l’arrogance des rebelles, Jean-François Bureau (porte-parole du ministère français de la Défense) menaçait en ces termes : «Dans les heures à venir, notre préoccupation première, c’est de permettre à l’Onuci qui a la responsabilité de la stabilité en Côte d’Ivoire de pouvoir accomplir sa mission.» De son côté, Alliot-Marie voulait une réunion d’urgence du Conseil de sécurité pour obtenir le mandat de «parer au plus pressé». Le samedi 06, à défaut de réunion du Conseil de sécurité et donc du mandat, la France obtenait 9 morts en guise de feu vert pour permettre à l’ONU «d’accomplir sa mission» de protéger «les rebelles du nord contre les excités du sud» (dixit Jean-Pierre Raffarin, alors Premier ministre de la France, interviewé sur le plateau de France 2). Des morts, on ne verra ni de photos, ni d’histoires personnelles. Morts de rien, ils seront sanctifiés dans la prestigieuse bâtisse des Invalides pour Services incommensurables rendus à la Grandeur de la France. Ces morts seront versés au Patrimoine national de la France, leurs actes de naissances seront classés «secret-défense». Ils ne seront pas accessibles au commun des mortels. Ils sont morts pour la France. Pas seulement, ils n’auront peut-être existé que pour la France. Pas donc étonnant que le très professionnel Ange Kessi ne doive se contenter que de la version d’Alliot-Marie et CROIRE (au sens plein du terme) que ces morts EXISTENT et qu’ils ont fait les frais «d’un bombardement AVERE et DELIBERE à l’instigation des plus hautes autorités de l’Etat de Côte d’Ivoire». Les conditions de réalisation de l’infraction sont remplies. Plus besoin d’enquête. Encore moins d’autopsie. Peu importe après si le successeur du général Poncet à la tête de Licorne, le général Irastorza pense que «seule l’histoire dira ce qui s’est passé.»
Isaac TAPE _________________ "tout nèg a nèg
ki nèg nwè ki nèg klè
ki nèg klè ki nèg nwè
tout nèg a nèg
nèg klè pè nèg nwè
nèg nwè pa lè wè nèg klè
nèg nwè ké wéy klè
senti i sa roune nèg klè
mè nèg klè ké wéy klè a toujou nèg
sa ki fèt pou nèg vin' blang?
blang té gen chivé pli long?
pou senblé yé nou trapé chivé plat kon fil mang!!!
mandé to fanm...!
mè pou kisa blang lé vin' nwè?
ha... savé ki avan vin' blan yé té ja nèg!
a nou mèm ké nou mèm dépi nânni nânnan...
chinwa soti, kouli soti, indyen soti, blang soti
mèm koté nèg soti
Vous ne pouvez pas poster de nouveaux sujets dans ce forum Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum Vous ne pouvez pas éditer vos messages dans ce forum Vous ne pouvez pas supprimer vos messages dans ce forum Vous ne pouvez pas voter dans les sondages de ce forum