youngsoldier Bon posteur
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Posté le: Lun 10 Oct 2005 18:40 Sujet du message: Interview de Gbagbo par le Figaro |
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«J'exerce un pouvoir légitime»
Propos recueillis par Jean-Louis Tremblais
[08 octobre 2005]
Vous l'avez annoncé : l'élection présidentielle n'aura pas lieu le 30 octobre car les rebelles n'ont pas désarmé. Que va-t-il se passer après cette date ?
Laurent Gbagbo - Il ne se passera rien. Le 30 octobre sera un jour comme un autre. Le putsch annoncé du général Mathias Doué ? C'est une plaisanterie. Depuis quand divulgue-t-on les dates et détails d'un coup d'Etat par voie de presse ? Vous avez écouté mon discours à la nation : je ne veux plus ni négociations ni médiations. Et ce pour une raison très simple : tout ce que les médiateurs m'ont demandé depuis les accords de Marcoussis, je l'ai fait. J'ai réformé la Constitution. J'ai rendu Alassane Ouattara éligible. D'ailleurs, le Président sud-africain Thabo Mbeki, dont je rappelle qu'il est toujours en charge de la médiation, a reconnu mes efforts. En revanche, les rebelles refusent toujours d'appliquer le plan DDR (désarmement, démobilisation, réinsertion). Moi, je donne des gages. Pas eux. D'atermoiements en tergiversations, ils gagnent du temps. Il faut cesser ce petit jeu. Vous connaissez le proverbe ivoirien : «Premier gaou (naïf) n'est pas gaou. C'est deuxième gaou qui est niata (imbécile).» Si j'acceptais de repartir dans un cycle négociation-médiation, je serais vraiment niata ! Le seul obstacle aux élections, c'est le fait que les rebelles occupent militairement la moitié septentrionale de la Côte d'Ivoire. Si le désarmement avait lieu aujourd'hui, l'élection pourrait se tenir dans un délai de trois mois. Moi, j'invite tous les candidats à se présenter aux élections. J'ai été élu et j'exerce un pouvoir légitime. Je ne rendrai ce pouvoir qu'à une personne élue, conformément aux dispositions constitutionnelles.
La communauté française de Côte d'Ivoire, traumatisée par les émeutes de novembre 2004, est inquiète pour son avenir. 8 500 de nos compatriotes ont quitté le pays. Souhaitez-vous qu'ils reviennent ?
Mais pourquoi les Français se prennent-ils pour le centre du monde ? D'abord, on ne leur a pas demandé de venir. Même si la Côte d'Ivoire a besoin d'investisseurs. Tous ceux qui ont des capitaux et des compétences peuvent venir s'installer. Qu'ils soient français ou non. Les remous sociaux, comme ceux de novembre 2004, arrivent partout. Ce sont des accidents. Regardez ce qui se passe dans le reste de l'Afrique de l'Ouest. Comparativement, la Côte d'Ivoire est plutôt calme. Cela dit, je ne peux pas dire «Reste» à quelqu'un qui éprouve de la peur. Le sentiment d'insécurité est quelque chose de très personnel.
Ce sentiment d'insécurité est fondé. Des soldats français ont été tués par l'aviation ivoirienne. Les pillages et les violences visaient les Français...
Méfiez-vous des évidences. Je suis un grand fan de feuilletons policiers, comme «Colombo» ou «Navarro». Quand l'inspecteur arrive sur une scène de crime, il ne conclut pas en cinq minutes. Il doit mener une enquête. C'est ce que j'ai demandé concernant la mort des soldats français. Je suis convaincu que les autorités ivoiriennes n'ont jamais donné l'ordre de les bombarder. Il faut faire toute la lumière sur cette affaire très grave. Il y a eu des morts et je m'incline devant eux. Mais la riposte française, c'est-à-dire la destruction immédiate de notre aviation, a été brutale. Personne n'a voulu écouter nos explications.
On dit que vos rapports avec Jacques Chirac sont exécrables. Est-ce la raison de la brouille franco-ivoirienne ?
Je n'ai pas de problème relationnel avec Jacques Chirac. Il est plutôt jovial et bon vivant. Moi aussi. Quand je le vois, je suis content. Il m'a même offert des bouteilles de vin rouge. Jusqu'au 19 septembre 2002, il n'y avait pas l'ombre d'un nuage dans nos rapports. La situation s'est dégradée avec le putsch du 19 septembre. Il s'agissait d'une agression extérieure, perpétrée avec des mercenaires burkinabé et libériens, et la France ne pouvait pas l'ignorer. Ou alors c'est à désespérer de la «Piscine» (NDLR : surnom de la DGSE, Direction générale des services extérieurs). Il fallait donc faire jouer les accords de défense. La France aurait dû soutenir le pouvoir légitime et chasser les agresseurs. J'ai demandé des hélicoptères aux Français, qui ont dit non. Résultat : la Côte d'Ivoire n'a pas retrouvé son unité territoriale. C'est un pays coupé en deux.
Vous entretenez des liens privilégiés avec les Jeunes Patriotes de Charles Blé Goudé, surnommé le «Général de la rue». Or ces agitateurs professionnels sont les principaux instigateurs du ressentiment antifrançais : n'est-ce pas inquiétant ?
Pas du tout. Vous devez comprendre une chose : 70% de la population ivoirienne a moins de 30 ans. Quand j'étais jeune, je défilais pour le 14 Juillet en chantant la Marseillaise. Tous mes professeurs étaient français. Pour notre génération, le pouvoir et le savoir étaient français. Mais cette Afrique de papa est morte. Les jeunes dont vous parlez n'ont eu que des professeurs ivoiriens. Leur gouvernement était ivoirien. Le seul élément qui n'a pas changé, c'est la langue française. Ils n'ont donc pas le même regard sur la France et les Français. Il est nécessairement moins révérencieux. Moi, je suis de mon temps. J'évolue. J'incarne l'Afrique de 2005, pas celle de 1960.
Outre l'insécurité, il existe un autre problème, endémique : la corruption à tous les niveaux, du policier au ministre...
Les êtres humains sont les êtres humains : connaissez-vous un régime exempt de corruption ? Le général de Gaulle était intègre mais peut-on en dire autant de ses ministres ? Vous me parlez des policiers qui rackettent les automobilistes. Quand nous sommes arrivés au pouvoir, avec nos idées de gauche, on s'est dit : «Il faut les augmenter.» On l'a fait. Pendant quinze jours, il n'y a plus eu de racket. Et puis le seizième jour, c'est reparti comme en 40 ! On est dur avec les policiers : on les fustige parce que leurs trafics se font au vu et au su de tout le monde. Mais toute l'administration est concernée et les sommes extorquées sont autrement plus importantes que les billets de 1 000 ou 5 000 francs CFA distribués à la police. Il s'agit parfois de millions. On essaye de lutter contre le phénomène. Et on y arrive pas si mal. La preuve : nos recettes douanières sont passées de 360 milliards de francs CFA en 2000 à 700 milliards de francs CFA en 2004. Donc l'argent ne s'évapore pas tant que ça.
Vous terminez tous vos discours par : «Que Dieu bénisse la Côte d'Ivoire !» Votre appartenance au courant évangélique est notoire. N'est-ce pas surprenant pour un socialiste ?
Il n'y a aucune contradiction. La formule que vous évoquez est la transcription de «God bless America». Dans les années 80, je me trouvais aux Etats-Unis et j'avais apprécié cette invocation. Je crois en Dieu. Ce n'est pas incompatible avec l'idéologie socialiste, qui est plurielle : regardez le PS français. On y trouve aussi bien Jacques Delors que Henri Emmanuelli, non ? Ce n'est pas parce que la mouvance évangélique est proche de George W. Bush que tous les évangéliques sont de droite. Quand je vois Jean-Marie Le Pen défiler devant Jeanne d'Arc, je ne conclus pas que tous les catholiques sont d'extrême droite... _________________ youngsoldier's back
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