Posté le: Ven 21 Oct 2005 23:01 Sujet du message: QUE DANSE LE NOIR?...
QUE DANSE LE NOIR ?Petite métaphysique d'une esthétique de la névrose
« La danse n’est pas qu’un jeu du corps elle est plus que cela » Bertrand VERGELY
«On va BOUGER, BOUGER»!
C'est l'invite d'un air très connu. Oui, « On a trop parlé mais rien n’a changé » ; alors :« On va BOUGER, BOUGER ». En effet, « la vie est trop courte,… il faut profiter… ».
C’est cela même. La création ivoirienne semble ne s’être jamais aussi bien portée que depuis que ce Pays s’est abîmé dans l'errance guerrière.
Pays déchiré, pays en tranches à l’image de la gestuelle entêtée de cette danse qui continue, paradoxe bien africain, de remplir les « maquis » (non les obscurs retranchements de la rébellion armée mais les boîtes de nuits et autres lieux d’ambiance d’Abidjan).
Pays cou coupé ? Pays COUPE DECALE !
Corps en fête de têtes résolument tristes. Tous ces balancement s de tête, négations non assumées ? Vrai joie, faux bonheur ? Célébration de l’étant, fuite de l’être ?
Et que dire donc de la proposition congolaise ?
Une Nation entière révulsée. Convulsives, ces désarticulations? Danses lubriques, on fait la nique à la mort ! Esthétique de l’exubérance : On hausse le ton pour « rester audible »,pour « subsister » (cf. SIMMEL). L’exagération, l’extraversion : un appel à l’aide ? Clips aussi déjantés les uns que les autres de fausses vraies stars complètement désincarnés.
Hasardeuses spéculations que tout cela ! Pas tout à fait cependant.
Rappelons nous ceci : « Ce Nègre qui se tord comme un ver, c’est le Nègre au « paroxysme du vécu et de la fureur » » Stanislas Spéro ADOTEVI (Négritude et Négrologues)
Une pensée sérieuse de la Danse ne saurait faire l’économie d’une théorie des affects. La démarche de questionnement de son discours latent, l'analyse des passions qu’elle révèle ou dissimule et de leur mécanisme, trouve son sens dans le projet d’architecture d’une Conscience Noire.
RIZE a fait irruption dans l’univers extrêmement monotone du film documentaire à portée sociologique et le Krump fait désormais parti de nos sujets de discussion favoris. Mais en dis t-on assez ?
Impressionnant en effet le spectacle de cette expression. Ce qu’il nous est donné de voir nous fait penser à ces quelques vers d’Aimé CESAIRE :
« Sang ! sang ! vertige du devenir ! aux trois quarts abîmes dans l’ahurissement du jour. Je me suis senti rougir de sang. Des artères du monde bouleversées, arrachées, déracinées, se sont tournées vers moi et elles m’ont fécondé. Sang ! sang ! tout notre sang ému par le cœur mâle du soleil » (Cahier d’un retour au pays natal)
Le Krump est un grand NON. Un non qui bouge
Le Krump n’est pas drôle. Et s’il vous fait ne serait-ce que sourire, vous êtes définitivement coupable de cécité.
Le Krump est l’age mûr d’un cri qui , échouant à trouver un mode d’expression et ne pouvant cependant plus être retenu, explose.
Ne cherchez pas à comprendre le Krump.
Le Krump est déjà mort.
Mort quand la première caméra s’est braquée dessus...
L’africain ne se suicide pas, l’Africain a la danse…
« Danse- t-on sa vie quand on danse ? » Bertrand VERGELY
La réponse à la question que pose le Professeur VERGELY dans Les grandes interrogations esthétiques est bien évidemment Oui ! Mais s’agissant du cas nègre la chose est plus complexe que ce à quoi aboutit sa réflexion.
Voici :
Le Noir danse sa vie mais aussi sa mort. Sa vie qui est une mort, sa vie qui est sa mort.
En effet le noir danse la faim, la misère, la guerre, la soumission, les frustrations. Il danse sa réalité qui est une folie.
Le Noir danse sa mort, mais attention, la danse n’est pas suicide. Ce n’est même pas un mime du suicide. L’expression corporelle générale défi les archétypes de la légèreté, de la fuite, de l’évasion caractéristiques du langage moderne occidental. Elle ancre le corps résolument dans la réalité. Elle rend le danseur présent au monde. En témoigne le dialogue entre les pieds entre les pieds du danseur africain et le sol, entre la « paume » des pieds et la Terre.
La Danse est un refus du suicide, c’est une violence.
Et, que NIETZSCHE ait vu dans le danseur « la plus haute définition de l’homme » est un trait d’esprit dont la puissance reste entière. Le Danseur est le « Héros » nietzschéen, et la Danse est héroïque en ceci que : « s’il est courant de voir les hommes aspirer à fuir leur condition en se délivrant du corps, il l’est moins de voir des hommes aspirer à rentrer dans leur corps pour s’incarner et non se désincarner. ». L’expression corporelle est une dialectique de la matérialisation, elle travaille contre l’acceptation de la disparition.
Le Noir danse aussi, et peut être surtout, la mort de son oppresseur.
La Danse semble mettre inconsciemment en scène toutes ces révoltes rêvées, milles fois accomplies dans la solitude de l’être. On danse la liberté d’être réellement, c’est à dire la liberté de se lever. On joue et on rejoue l’acte ultime. On crée symboliquement les conditions du trépas du "dominant".
Jean Paul SARTRE l’a compris :
« Ils dansent : ça les occupe ; ça dénoue leurs muscle douloureusement contractés et puis la danse mime en secret, souvent à leur insu, le non qu’ils ne peuvent dire, les meurtres qu’ils n’osent commettre . en certaines régions, ils usent de ce dernier recours : la possession. » (Préface aux Damnés de la terre de Frantz FANON). La Danse devient ainsi un exutoire.
Le Danseur est le « Rebelle » dont rêve le poète et ce n’est nullement un hasard si la révolte se construit dans son imaginaire comme le spectacle d’une gigantesque célébration de corps en transe autour d’un grand feu.
« C’était un soir de novembre (…) des clameurs éclairèrent le silence, (…) Nous avons bondi (…) Nous courions (…) Nous frappions. La sueur et le sang nous faisaient une fraîcheur. Nous frappions parmi les cris et les cris devinrent plus stridents et une grande clameur s’éleva vers l’est, c’étaient les communs qui brûlaient et la flamme flaqua douce sur nos joues… » CESAIRE (Et les chiens se taisent).
On s’est beaucoup demandé pourquoi les esclaves noirs chantaient et dansaient autant, alors même, qu’ils subissaient la plus grande des injustices. La réponse est dans l'interrogation.
Nous initions une anthropologie du réel. Le Nègre est le siège d’un violent trouble. Il vit dans un monde qui nie au grand jour son humanité. Alors la nuit - quand la mesure commence seulement de somnoler et que l’esprit s’éveille hagard - celle ci se révèle criarde , possède le corps et tire la langue. C’est le moment qui suit la rencontre infiniment brève avec soi même, lancinante, où on doit choisir entre l’affrontement, ou l’oubli ou le report, et qu’on opte pour le remise à plus tard.
La danse est la tentative de contenance de la folie qui hurle. Le fameux « hurlement irréversible » aux portes duquel se trouve la personnalité tronquée. Faute d’être résorbée la chose peut prendre les aspects les plus inattendus. Il s’agit de cette « furie contenue » qui selon les mots de SARTRE « faute d’éclater, tourne en rond et ravage les opprimés eux-mêmes ». Et Le principal théoricien de la névrose nègre met le doigt sur ce qui est une des plus grande cécité de la conscience noire : « Pour s’en libérer, ils en viennent à se massacrer entre eux … ».
Quand on ne peut danser, c’est à dire célébrer symboliquement la mort « du soi » et ou la mort de l’autre ; quand la danse ne suffit plus, on tue. On tue, vraiment. Et on tue le soi. On se tue en tuant l’autre qui nous ressemble. On fait inconsciemment œuvre d’épuration de cette humanité problématique, la nôtre. (nous reviendrons dans de prochains sujets sur les dialectiques de la violence intra- africaine).
En somme la danse devient un exorcisme, exorcisme de l’être. Coule contenue dans la sueur, le solde de l'opération d'une certaine oeuvre d'humanité. Des frustrations des « révoltes inopérantes ». Les libertés du corps sont l’émergence à la surface, d’un rêve turbulent.
De la névrose
Au nombre des esthétiques de la névrose, on compte : l’esthétique du cri, l’esthétique du suicide, l’esthétique de l’éclat, etc. La Danse a plusieurs masques.
Ces manifestations contemporaines noires du besoin d’expression corporelle sont en tout point comparables au « fait de Négritude ». Elles usent des mêmes mécanismes de l’absurde.
« Si le nègre de la brousse souffre, ce n’est pas dans son cerveau mais dans sa chair ». ADOTEVI n’a peu-être pas totalement mesuré la portée de cette vérité. Et le traumatisme de la souffrance se manifeste et tente de se résorber par là même où s’exerce la souffrance.
La danse comme la poésie à une certaine époque est un « cri fort absurde et sans finalité ». C’est la même esthétique du bizarre.
La Névrose est une Fièvre. C’est une prise de parole à un niveau supra conscient, prise de parole du grand Corps. C’est la cristallisation des signaux alarmants qu’envoient le physiologique et le psychologique (résolument solidaires) et leur conscience : l’être, qui est aussi une inconscience.
Elle est urgence. C’est la tentative non réfléchie de lutte contre le mal qui ronge . L’être ne démissionne pas. Il n’est pas raisonné justement parce qu’il n’a pas de « conscience ». La Danse est le symptome manifeste de l'opération d'un système d’auto défense.
Elle est déraison. Notre dé-raison n’est ni irrationnelle ni déraisonnable. Cette déraison n’est ni caprice ni errance, ce n’est pas la déraison bourgeoise surréaliste. Ce n’est pas une déraison en cœur, c’est une déraison en l’être. En ceci la névrose devient une exigence.
Elle est exigence, d’une exigence que le caractère unique de la "persécussion" subie et de la "dépossession" vécue, imposent au Noir. La Danse participe de la survie. Elle sublime le refoulement.
Il faut comprendre que, pour utiliser une image chère à HEIDEGER , la Danse aménage un « séjour à l’être » (dans le sens de prendre soin). L’Africain habite le monde, et l’habite en tant qu’homme et homme libre en dansant.
Il reste donc que la névrose aujourd’hui comme hier est nécessaire. Elle le premier tressautement. Le signe visible du manque. Elle est une étape et doit la rester. Tant qu’elle ne s’enlise dans les contingences de la "fixité" et les pièges de la répétition, elle participe d’une dynamique heureuse. Il lui faut, avant qu’elle ne soit récupérée par l’"industrie" et qu’elle ne subisse la corruption exotique, livrer tous ses enseignements et passer au stade du réfléchi et du choisi. La névrose est un moment. La Renaissance doit travailler à en faire un premier moment.
A quand la danse ?
« Le Nègre danse. Il faut qu’il continue de danser.
Mais il ne s’agit plus de danser sur le mode de la répétition, mais sur celui de la Révolution.
Il faut maintenant danser la danse de la victoire » Stanislas Spéro ADOTEVI
Quelque chose est à l’œuvre.
La même chose qui était à l’œuvre dans l’irruption de la négritude dans le champ de la poétique, la même chose qui était à l’œuvre dans l’irruption dans le champ musical du Spiritual, de ses masques, du Hip hop, etc.
Il s’agit de ne pas de réveiller seulement qu'avec les douleurs d’un corps violemment solicité la veille. Il s’agit de se réveiller tout court.
On régurgite l’inadmissible. Comme le visage se fronce du fait du goût désagréable dans la bouche, de même le corps se crispe quand remonte à la surface cette souffance, que l'opération de l'esprit tant en quelque sorte à ignorer. La Danse est un pré-vomissement. Il s’agit de construire un vomissement complet.
La poésie à un défi de classe. La Danse, elle, rassemble. La poésie se construit de et dans la solitude. la Danse joue du groupe. Elle uni.
De ce fait elle est intéresse hautement le programme révolutionnaire. Nous avons à faire à une névrose collective en ceci qu’elle se manifeste collectivement et donne lieu à une célébration.
La névrose est une crispation musculaire. L’an 0 de l’élan ; elle renferme donc en son sein, et est : élan et déni de l’élan. La névrose concentre la Conscience à l’état embryonnaire : Masse brute et informe. Il faut la travailler, l’alléger. L’œuvre esthétique, à n’en doit point douter, a ici une dimension hégélienne.
L’Etat de conscience consciente ou l’état consciente de la conscience est notre quête. Que le danseur sache pourquoi il danse est le plus important. Qu’il choisisse de soumettre la Danse, sera une attitude éclairée.
Bien sûr, d’abord le corps, la matière parle (elle parle sans qu’on l’y invite parce qu’elle est la première à subir) ; puis il appartient à la conscience de se faire maître du langage. De transformer le tourbillon en brise légère ou en rafale directe .
C’est cela : que tous sachent qu’ils rêvent la nuit et pourquoi ils rêvent.
Il s’agit de ne pas intérioriser la mort mais de l’intégrer. La mort intériorisée est une mort niée, la mort intégrée est une mémoire de la mort. Tout le génie de HEGEL se trouve contenu dans ces quelques lignes où il offre, bien malgré lui, la loi de la démarche constructive:
« C’est seulement par le risque de sa vie qu’on conserve la liberté, qu’on prouve que l’essence de la conscience de soi n’est pas l’être, n’est pas le monde immédiat dans lequel la conscience de soi surgit d’abord, n’est pas son enfoncement dans l’expansion de la vie ; on prouve plutôt par ce risque que dans la conscience de soi, il n’y a rien de présent qui ne soit pour elle un moment disparaissant ou prouve qu’elle est seulement un pur être-pour-soi ».
Prenons le risque de faire de ce être dans le monde qu'est la Danse, un être au monde qui ne soit pas seulement un visage de "l'expansion de et dans la vie", mais réellement un moment disparaissant. C’est le prix de notre liberté.
Oui, nous dansons encore pour ne pas devenir fou. La Danse est folie du corps qui préserve l’intégrité de l’esprit. Nous dansons pour ne pas tuer. Partout en Afrique on danse pour oublier.
Mais voilà, la danse n’invite pas à l’oubli. Les psychologues pensent que la douleur ancre la mémoire.
Donc la Danse ne libère pas (pas seule). Et c’est danger de l’ignorer. On n’est réellement libéré, que si naît une conscience (assumée ou non) de la Danse. Est n’est est que quand il est pour être c’est à dire qu’il n’est pas d’être réel sans conscience d’être pour être.
En clair, l’être est à l’œuvre en puissance dans la manifestation névrotique. Il nous appartient de pas le trahir et de permettre à la conscience prendre le relais dans la lutte qu’elle entend mener en réquisitionnant ainsi le corps.
Il appartient à la théorie de la renaissance de construire une conscience de l’élan. Il faut une structure. Nous parlons bien de posséder notre folie et de la diriger. Pas de la circonscrire mais de l’inscrire. Nous travaillerons cependant la doctrine et le programme sans faire fi du style.
Pour que vienne la danse, vite…
Sé pour le GRDPEA _________________ " Vitam impendere vero "
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Posté le: Ven 21 Oct 2005 23:30 Sujet du message: Re: QUE DANSE LE NOIR?...
yedidia a écrit:
QUE DANSE LE NOIR ?Petite métaphysique d'une esthétique de la névrose
« La danse n’est pas qu’un jeu du corps elle est plus que cela » Bertrand VERGELY
«On va BOUGER, BOUGER»!
C'est l'invite d'un air très connu. Oui, « On a trop parlé mais rien n’a changé » ; alors :« On va BOUGER, BOUGER ». En effet, « la vie est trop courte,… il faut profiter… ».
C’est cela même. La création ivoirienne semble ne s’être jamais aussi bien portée que depuis que ce Pays s’est abîmé dans l'errance guerrière.
Pays déchiré, pays en tranches à l’image de la gestuelle entêtée de cette danse qui continue, paradoxe bien africain, de remplir les « maquis » (non les obscurs retranchements de la rébellion armée mais les boîtes de nuits et autres lieux d’ambiance d’Abidjan).
Pays cou coupé ? Pays COUPE DECALE !
Corps en fête de têtes résolument tristes. Tous ces balancement s de tête, négations non assumées ? Vrai joie, faux bonheur ? Célébration de l’étant, fuite de l’être ?
Et que dire donc de la proposition congolaise ?
Une Nation entière révulsée. Convulsives, ces désarticulations? Danses lubriques, on fait la nique à la mort ! Esthétique de l’exubérance : On hausse le ton pour « rester audible »,pour « subsister » (cf. SIMMEL). L’exagération, l’extraversion : un appel à l’aide ? Clips aussi déjantés les uns que les autres de fausses vraies stars complètement désincarnés.
Hasardeuses spéculations que tout cela ! Pas tout à fait cependant.
Rappelons nous ceci : « Ce Nègre qui se tord comme un ver, c’est le Nègre au « paroxysme du vécu et de la fureur » » Stanislas Spéro ADOTEVI (Négritude et Négrologues)
Une pensée sérieuse de la Danse ne saurait faire l’économie d’une théorie des affects. La démarche de questionnement de son discours latent, l'analyse des passions qu’elle révèle ou dissimule et de leur mécanisme, trouve son sens dans le projet d’architecture d’une Conscience Noire.
RIZE a fait irruption dans l’univers extrêmement monotone du film documentaire à portée sociologique et le Krump fait désormais parti de nos sujets de discussion favoris. Mais en dis t-on assez ?
Impressionnant en effet le spectacle de cette expression. Ce qu’il nous est donné de voir nous fait penser à ces quelques vers d’Aimé CESAIRE :
« Sang ! sang ! vertige du devenir ! aux trois quarts abîmes dans l’ahurissement du jour. Je me suis senti rougir de sang. Des artères du monde bouleversées, arrachées, déracinées, se sont tournées vers moi et elles m’ont fécondé. Sang ! sang ! tout notre sang ému par le cœur mâle du soleil » (Cahier d’un retour au pays natal)
Le Krump est un grand NON. Un non qui bouge
Le Krump n’est pas drôle. Et s’il vous fait ne serait-ce que sourire, vous êtes définitivement coupable de cécité.
Le Krump est l’age mûr d’un cri qui , échouant à trouver un mode d’expression et ne pouvant cependant plus être retenu, explose.
Ne cherchez pas à comprendre le Krump.
Le Krump est déjà mort.
Mort quand la première caméra s’est braquée dessus...
L’africain ne se suicide pas, l’Africain a la danse…
« Danse- t-on sa vie quand on danse ? » Bertrand VERGELY
La réponse à la question que pose le Professeur VERGELY dans Les grandes interrogations esthétiques est bien évidemment Oui ! Mais s’agissant du cas nègre la chose est plus complexe que ce à quoi aboutit sa réflexion.
Voici :
Le Noir danse sa vie mais aussi sa mort. Sa vie qui est une mort, sa vie qui est sa mort.
En effet le noir danse la faim, la misère, la guerre, la soumission, les frustrations. Il danse sa réalité qui est une folie.
Le Noir danse sa mort, mais attention, la danse n’est pas suicide. Ce n’est même pas un mime du suicide. L’expression corporelle générale défi les archétypes de la légèreté, de la fuite, de l’évasion caractéristiques du langage moderne occidental. Elle ancre le corps résolument dans la réalité. Elle rend le danseur présent au monde. En témoigne le dialogue entre les pieds entre les pieds du danseur africain et le sol, entre la « paume » des pieds et la Terre.
La Danse est un refus du suicide, c’est une violence.
Et, que NIETZSCHE ait vu dans le danseur « la plus haute définition de l’homme » est un trait d’esprit dont la puissance reste entière. Le Danseur est le « Héros » nietzschéen, et la Danse est héroïque en ceci que : « s’il est courant de voir les hommes aspirer à fuir leur condition en se délivrant du corps, il l’est moins de voir des hommes aspirer à rentrer dans leur corps pour s’incarner et non se désincarner. ». L’expression corporelle est une dialectique de la matérialisation, elle travaille contre l’acceptation de la disparition.
Le Noir danse aussi, et peut être surtout, la mort de son oppresseur.
La Danse semble mettre inconsciemment en scène toutes ces révoltes rêvées, milles fois accomplies dans la solitude de l’être. On danse la liberté d’être réellement, c’est à dire la liberté de se lever. On joue et on rejoue l’acte ultime. On crée symboliquement les conditions du trépas du "dominant".
Jean Paul SARTRE l’a compris :
« Ils dansent : ça les occupe ; ça dénoue leurs muscle douloureusement contractés et puis la danse mime en secret, souvent à leur insu, le non qu’ils ne peuvent dire, les meurtres qu’ils n’osent commettre . en certaines régions, ils usent de ce dernier recours : la possession. » (Préface aux Damnés de la terre de Frantz FANON). La Danse devient ainsi un exutoire.
Le Danseur est le « Rebelle » dont rêve le poète et ce n’est nullement un hasard si la révolte se construit dans son imaginaire comme le spectacle d’une gigantesque célébration de corps en transe autour d’un grand feu.
« C’était un soir de novembre (…) des clameurs éclairèrent le silence, (…) Nous avons bondi (…) Nous courions (…) Nous frappions. La sueur et le sang nous faisaient une fraîcheur. Nous frappions parmi les cris et les cris devinrent plus stridents et une grande clameur s’éleva vers l’est, c’étaient les communs qui brûlaient et la flamme flaqua douce sur nos joues… » CESAIRE (Et les chiens se taisent).
On s’est beaucoup demandé pourquoi les esclaves noirs chantaient et dansaient autant, alors même, qu’ils subissaient la plus grande des injustices. La réponse est dans l'interrogation.
Nous initions une anthropologie du réel. Le Nègre est le siège d’un violent trouble. Il vit dans un monde qui nie au grand jour son humanité. Alors la nuit - quand la mesure commence seulement de somnoler et que l’esprit s’éveille hagard - celle ci se révèle criarde , possède le corps et tire la langue. C’est le moment qui suit la rencontre infiniment brève avec soi même, lancinante, où on doit choisir entre l’affrontement, ou l’oubli ou le report, et qu’on opte pour le remise à plus tard.
La danse est la tentative de contenance de la folie qui hurle. Le fameux « hurlement irréversible » aux portes duquel se trouve la personnalité tronquée. Faute d’être résorbée la chose peut prendre les aspects les plus inattendus. Il s’agit de cette « furie contenue » qui selon les mots de SARTRE « faute d’éclater, tourne en rond et ravage les opprimés eux-mêmes ». Et Le principal théoricien de la névrose nègre met le doigt sur ce qui est une des plus grande cécité de la conscience noire : « Pour s’en libérer, ils en viennent à se massacrer entre eux … ».
Quand on ne peut danser, c’est à dire célébrer symboliquement la mort « du soi » et ou la mort de l’autre ; quand la danse ne suffit plus, on tue. On tue, vraiment. Et on tue le soi. On se tue en tuant l’autre qui nous ressemble. On fait inconsciemment œuvre d’épuration de cette humanité problématique, la nôtre. (nous reviendrons dans de prochains sujets sur les dialectiques de la violence intra- africaine).
En somme la danse devient un exorcisme, exorcisme de l’être. Coule contenue dans la sueur, le solde de l'opération d'une certaine oeuvre d'humanité. Des frustrations des « révoltes inopérantes ». Les libertés du corps sont l’émergence à la surface, d’un rêve turbulent.
De la névrose
Au nombre des esthétiques de la névrose, on compte : l’esthétique du cri, l’esthétique du suicide, l’esthétique de l’éclat, etc. La Danse a plusieurs masques.
Ces manifestations contemporaines noires du besoin d’expression corporelle sont en tout point comparables au « fait de Négritude ». Elles usent des mêmes mécanismes de l’absurde.
« Si le nègre de la brousse souffre, ce n’est pas dans son cerveau mais dans sa chair ». ADOTEVI n’a peu-être pas totalement mesuré la portée de cette vérité. Et le traumatisme de la souffrance se manifeste et tente de se résorber par là même où s’exerce la souffrance.
La danse comme la poésie à une certaine époque est un « cri fort absurde et sans finalité ». C’est la même esthétique du bizarre.
La Névrose est une Fièvre. C’est une prise de parole à un niveau supra conscient, prise de parole du grand Corps. C’est la cristallisation des signaux alarmants qu’envoient le physiologique et le psychologique (résolument solidaires) et leur conscience : l’être, qui est aussi une inconscience.
Elle est urgence. C’est la tentative non réfléchie de lutte contre le mal qui ronge . L’être ne démissionne pas. Il n’est pas raisonné justement parce qu’il n’a pas de « conscience ». La Danse est le symptome manifeste de l'opération d'un système d’auto défense.
Elle est déraison. Notre dé-raison n’est ni irrationnelle ni déraisonnable. Cette déraison n’est ni caprice ni errance, ce n’est pas la déraison bourgeoise surréaliste. Ce n’est pas une déraison en cœur, c’est une déraison en l’être. En ceci la névrose devient une exigence.
Elle est exigence, d’une exigence que le caractère unique de la "persécussion" subie et de la "dépossession" vécue, imposent au Noir. La Danse participe de la survie. Elle sublime le refoulement.
Il faut comprendre que, pour utiliser une image chère à HEIDEGER , la Danse aménage un « séjour à l’être » (dans le sens de prendre soin). L’Africain habite le monde, et l’habite en tant qu’homme et homme libre en dansant.
Il reste donc que la névrose aujourd’hui comme hier est nécessaire. Elle le premier tressautement. Le signe visible du manque. Elle est une étape et doit la rester. Tant qu’elle ne s’enlise dans les contingences de la "fixité" et les pièges de la répétition, elle participe d’une dynamique heureuse. Il lui faut, avant qu’elle ne soit récupérée par l’"industrie" et qu’elle ne subisse la corruption exotique, livrer tous ses enseignements et passer au stade du réfléchi et du choisi. La névrose est un moment. La Renaissance doit travailler à en faire un premier moment.
A quand la danse ?
« Le Nègre danse. Il faut qu’il continue de danser.
Mais il ne s’agit plus de danser sur le mode de la répétition, mais sur celui de la Révolution.
Il faut maintenant danser la danse de la victoire » Stanislas Spéro ADOTEVI
Quelque chose est à l’œuvre.
La même chose qui était à l’œuvre dans l’irruption de la négritude dans le champ de la poétique, la même chose qui était à l’œuvre dans l’irruption dans le champ musical du Spiritual, de ses masques, du Hip hop, etc.
Il s’agit de ne pas de réveiller seulement qu'avec les douleurs d’un corps violemment solicité la veille. Il s’agit de se réveiller tout court.
On régurgite l’inadmissible. Comme le visage se fronce du fait du goût désagréable dans la bouche, de même le corps se crispe quand remonte à la surface cette souffance, que l'opération de l'esprit tant en quelque sorte à ignorer. La Danse est un pré-vomissement. Il s’agit de construire un vomissement complet.
La poésie à un défi de classe. La Danse, elle, rassemble. La poésie se construit de et dans la solitude. la Danse joue du groupe. Elle uni.
De ce fait elle est intéresse hautement le programme révolutionnaire. Nous avons à faire à une névrose collective en ceci qu’elle se manifeste collectivement et donne lieu à une célébration.
La névrose est une crispation musculaire. L’an 0 de l’élan ; elle renferme donc en son sein, et est : élan et déni de l’élan. La névrose concentre la Conscience à l’état embryonnaire : Masse brute et informe. Il faut la travailler, l’alléger. L’œuvre esthétique, à n’en doit point douter, a ici une dimension hégélienne.
L’Etat de conscience consciente ou l’état consciente de la conscience est notre quête. Que le danseur sache pourquoi il danse est le plus important. Qu’il choisisse de soumettre la Danse, sera une attitude éclairée.
Bien sûr, d’abord le corps, la matière parle (elle parle sans qu’on l’y invite parce qu’elle est la première à subir) ; puis il appartient à la conscience de se faire maître du langage. De transformer le tourbillon en brise légère ou en rafale directe .
C’est cela : que tous sachent qu’ils rêvent la nuit et pourquoi ils rêvent.
Il s’agit de ne pas intérioriser la mort mais de l’intégrer. La mort intériorisée est une mort niée, la mort intégrée est une mémoire de la mort. Tout le génie de HEGEL se trouve contenu dans ces quelques lignes où il offre, bien malgré lui, la loi de la démarche constructive:
« C’est seulement par le risque de sa vie qu’on conserve la liberté, qu’on prouve que l’essence de la conscience de soi n’est pas l’être, n’est pas le monde immédiat dans lequel la conscience de soi surgit d’abord, n’est pas son enfoncement dans l’expansion de la vie ; on prouve plutôt par ce risque que dans la conscience de soi, il n’y a rien de présent qui ne soit pour elle un moment disparaissant ou prouve qu’elle est seulement un pur être-pour-soi ».
Prenons le risque de faire de ce être dans le monde qu'est la Danse, un être au monde qui ne soit pas seulement un visage de "l'expansion de et dans la vie", mais réellement un moment disparaissant. C’est le prix de notre liberté.
Oui, nous dansons encore pour ne pas devenir fou. La Danse est folie du corps qui préserve l’intégrité de l’esprit. Nous dansons pour ne pas tuer. Partout en Afrique on danse pour oublier.
Mais voilà, la danse n’invite pas à l’oubli. Les psychologues pensent que la douleur ancre la mémoire.
Donc la Danse ne libère pas (pas seule). Et c’est danger de l’ignorer. On n’est réellement libéré, que si naît une conscience (assumée ou non) de la Danse. Est n’est est que quand il est pour être c’est à dire qu’il n’est pas d’être réel sans conscience d’être pour être.
En clair, l’être est à l’œuvre en puissance dans la manifestation névrotique. Il nous appartient de pas le trahir et de permettre à la conscience prendre le relais dans la lutte qu’elle entend mener en réquisitionnant ainsi le corps.
Il appartient à la théorie de la renaissance de construire une conscience de l’élan. Il faut une structure. Nous parlons bien de posséder notre folie et de la diriger. Pas de la circonscrire mais de l’inscrire. Nous travaillerons cependant la doctrine et le programme sans faire fi du style.
Pour que vienne la danse, vite…
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Qui est l'auteur de cette analyse? _________________
"- A quoi est due la chute d'Adam et Eve ?
- C'était une erreur de Genèse."
(Boris Vian / 1920-1959)
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