Rocs Bon posteur

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Posté le: Jeu 03 Nov 2005 10:23 Sujet du message: Europe forteresse, Europe passoire |
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Que ce soit sur son flanc sud ou son flanc est, l'Europe craque. Les candidats sont des milliers à fuir la misère. Face à ce phénomène, l'Europe veut se donner l'image d'un continent en lutte avec ses clandestins.
Marc Nexon
Yasmina, 26 ans, n'a pas eu besoin d'escalader à mains nues les 5 mètres de barbelés dressés devant les enclaves espagnoles de Ceuta ou de Melilla. Elle a quitté son Maroc natal il y a quatre ans pour suivre ses études en France. En toute légalité. Elle a même trouvé l'été dernier une PME lyonnaise de 120 personnes prête à lui offrir un CDI. Un poste dans les ressources humaines à 1 350 euros par mois. Mais il y a trois semaines, elle a déchanté. La direction du travail a annulé son contrat. Motif : dans le département, 604 chômeurs français correspondraient au profil du poste. « C'est une injustice, dit-elle, mon employeur a pourtant essayé d'embaucher des Françaises, mais elles étaient en arrêt maladie ou elles parlaient mal anglais. »
Injuste, mais c'est comme ça ! La France est inflexible avec ses immigrés « réguliers ». Surtout si le marché du travail les réclame. Depuis le choc pétrolier de 1974, le dogme est intangible : pas de main-d'oeuvre en provenance de l'étranger. Il en va de la préservation des emplois nationaux ! Une profession de foi reprise dans la plupart des pays européens.
Voilà pour l'Europe forteresse. Mais il y a aussi l'Europe passoire. Avec ses 500 000 à 800 000 clandestins venus de tous les continents. Des miséreux sur les routes depuis des mois, des persécutés politiques, des diplômés sans avenir, débarqués de rafiots, de camions ou d'avions. Toujours plus nombreux, sans que l'on sache vraiment dans quelle proportion ils augmentent.
Car, aux portes de l'Europe, les foules grossissent. Il y a d'abord celles d'un continent en perdition : l'Afrique avec ses 40 % d'habitants contraints de vivre avec moins de 1 euro par jour. Et sa démographie démentielle puisque sa population devrait bondir de 800 millions à 1,3 milliard d'ici à 2025. Du Mali, du Tchad, du Niger, ils sont 100 000 chaque année à gagner le Nord. Quitte à s'entasser dans des « pays de transit ». Un million d'entre eux erreraient ainsi en Libye. Sans parler du Maghreb et de ses 40 000 candidats marocains à l'exil, prêts à fondre chaque année sur l'Espagne. « Je n'ose même pas imaginer les scènes que nous risquons de contempler dans vingt ans », soupire Ahmedou Ould-Abdallah, le représentant spécial de l'Onu pour l'Afrique de l'Ouest. « Les gens sont maintenant prêts à mourir pour tenter leur chance, car chez eux ils ne vivent plus, voilà le fait nouveau », renchérit Jean-Pierre Garson, spécialiste des migrations internationales à l'OCDE. La statistique donne le vertige : 2 000 personnes périraient chaque année dans la Méditerranée sur le chemin de l'Europe, selon un rapport de l'Onu du début du mois.
Et les passeurs n'ont que l'embarras du choix pour ouvrir de nouvelles brèches. Dernières destinations « à la mode » : Chypre et Malte, perçues comme de nouveaux eldorados depuis leur intégration à l'Union européenne en mai 2004. Ces derniers mois, un millier d'Africains ont échoué sur les côtes maltaises... Trois fois plus qu'il y a un an. « Chez nous, c'est la panique générale », prévient le ministre des Affaires étrangères du petit archipel de 400 000 habitants.
Mais ce n'est pas tout. L'Europe craque aussi sur son flanc est. Des vagues moins médiatiques mais tout aussi imposantes. Résultat : les Russes constituent la troisième communauté d'immigrants en Allemagne. Les Ukrainiens, la première au Portugal. Plusieurs milliers de Tchétchènes, venus de Biélorussie, campent à la périphérie de Varsovie (voir reportage page 62). Quant aux Chinois, débarqués récemment massivement en Finlande, aux Pays-Bas et en Belgique, leur flux est désormais supérieur en effectifs à ceux déjà installés.
Et pourtant, l'Europe veut donner l'image d'un continent en lutte contre ses clandestins. L'Italie s'enorgueillit même d'avoir découragé les traversées maritimes. Les occupants des pateras auraient ainsi vu leur nombre chuter de 23 700 à 5 300 en l'espace de trois ans. Seul hic : la grande masse des clandestins n'opte plus pour de frêles embarcations. Elle emprunte la voie terrestre (à 29 %). Mieux, elle déboule dans les aéroports de la péninsule en toute légalité (à 67 %), dotée d'un visa de séjour de trois mois. Sitôt débarqués, les nouveaux arrivants disparaissent dans la nature. La parade ? Bruxelles peine à la trouver. Dans l'Union des Vingt-Cinq, chacun avance en ordre dispersé. « C'est une Europe à la carte, déplore Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherche au CNRS-CERI sur les migrations internationales. Voyez les politiques de régularisation ! » L'Italie et l'Espagne, il est vrai, ont fait fort. Sans consulter ses partenaires, chacune a décidé de régulariser 700 000 travailleurs irréguliers au cours des deux dernières années. La France et l'Allemagne, craignant de voir surgir de nouvelles légions de sans-papiers, ont protesté. Mais rien n'y a fait.
Même pagaille en matière de droit d'asile. La France accueille volontiers les Sri-Lankais. L'Allemagne s'y refuse. Le Portugal tend les bras aux Algériens. La France leur oppose un « niet ». Sans parler de la confusion créée par l'espace Schengen, où la liberté de circulation prévaut. Le Royaume-Uni et l'Irlande, qui n'en font pas partie, ont ainsi le plus grand mal à recouper leurs fichiers de clandestins avec ceux des autres Etats membres.
Alors, bien sûr, face à la multiplication de drames humains, les consultations s'emballent : sommets d'urgence avec le Maroc et l'Algérie, proposition de « plan Marshall » pour l'Afrique, promesses de programmes de codéveloppement... Pas facile d'oeuvrer concrètement. « Courage, audace et imagination », a déclaré Dominique de Villepin à l'issue d'une rencontre la semaine dernière avec son homologue espagnol sur la question. Certes ! Mais encore ? Seule initiative commune : l'organisation conjointe de vols charters de rapatriement par l'Allemagne, la France, l'Espagne, le Royaume-Uni et l'Italie. Bruxelles voudrait aussi raccourcir les délais entre les décisions d'expulsion et leur exécution. « Mais il faudra au moins deux ans pour que les pays l'intègrent dans leur législation », souffle-t-on dans l'entourage de Franco Frattini, le commissaire européen chargé des affaires judiciaires et intérieures.
Il y a pourtant urgence. Car voilà une trappe idéale pour les clandestins. « L'examen d'une demande d'asile exige parfois en France trois ou quatre ans, explique un haut fonctionnaire du ministère de l'Intérieur. Lorsque celui-ci débouche sur un refus, l'intéressé a eu le temps de se marier et d'inscrire ses enfants à l'école, bon courage ensuite pour les expulser ! Vous avez les habitants, le maire et parfois le préfet sur le dos ! » Leur nombre ? 50 000 nouveaux cas chaque année, rien que pour la France. Une situation tout aussi délicate à l'échelle européenne. Sur 650 000 décisions de retour, 164 000 sont réellement suivies d'effet. Sans compter le coût exorbitant généré par le traitement des dossiers : 10 milliards d'euros ! « Vous avez bien entendu... », lâche, dépité, un haut fonctionnaire de la Commission.
De quoi convaincre certains de sortir de l'ère du « tout-répressif ». « Cela fait trente ans que l'on renonce à mener une politique d'immigration à long terme », tempête Olivier Brachet, de Forum Réfugiés, une association spécialisée dans les demandes d'asile. D'autant qu'un fait apparaît incontournable. L'Europe, handicapée par ses piètres taux de fécondité, manquera cruellement de bras à l'horizon 2030. Un besoin chiffré à 20 millions d'actifs au total. D'où l'idée régulièrement caressée de promouvoir une politique de quotas. Comme celle en vigueur aux Etats-Unis, au Canada ou même au Royaume-Uni. Une façon de sélectionner des compétences afin de satisfaire les besoins du marché du travail. Nicolas Sarkozy y est favorable. Dominique de Villepin la juge « contraire à la tradition républicaine ». « En attendant on improvise, regrette Olivier Brachet, on délivre dans l'urgence des titres de séjour à des infirmières étrangères, à des joueurs de basket ou à des fils de diplomates étrangers pistonnés. »
La Marocaine Yasmina, elle, n'a pas eu cette chance. Qu'importe. Elle n'entend pas rester en France. Son CV, elle l'a adressé à des entreprises britanniques. Et des réponses positives tombent déjà...
Sangatte
Sangatte, toujours
Retour au coeur de la clandestinité. Nicolas Sarkozy, le ministre de l'Intérieur, en visite lundi à Calais, veut montrer qu'il poursuit sa traque des clandestins. Trois ans après la fermeture du centre de Sangatte, lieu de passage à l'époque de 60 000 sans-papiers, les problèmes, il est vrai, demeurent.
Le nombre de candidats au départ vers la Grande-Bretagne croît dans des proportions inquiétantes. 6 000 clandestins ont ainsi afflué depuis le début de l'année, prêts à traverser la Manche à bord de ferries ou de camions. Un millier d'entre eux sont même arrivés au cours des quatre derniers mois. Soit cinq fois plus que l'an passé pendant la même période. Des Africains, des Irakiens, mais aussi de nombreux Afghans aux mains de près de 130 passeurs, parmi lesquels des Lituaniens. Conséquence : la psychose de l'insécurité grandit parmi la population. Surtout au lendemain de la violente agression d'un couple, près du port M. N. _________________ Domine ta peur et tu seras plus fort que la mort |
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