ibou Grioonaute 1
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Posté le: Ven 25 Nov 2005 16:57 Sujet du message: Quid de la "vraie" réalité des Noirs aux USA??? |
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On dit que "les voyages forment la jeunesse"; au nom de ce principe et des regards plus ou moins acerbes portés sur diverses sociétés, certains parmi nous prennent la mondialisation au pied de la lettre: partis d'Afrique, ils "finissent" aux USA en passant par la France, Londres...Et le message récurrent de ces globe trotters, c'est que pour les Noirs, "l'herbe est toujours plus verte ailleurs"; notamment aux States. Pourquoi pas???Je ne vais pas mettre leurs propos en doute mais il y a cette vision américaine des récentes émeutes en France, que je vous soumets, qui me laisse quelque peu songeur; même si je ne nie pas, toutes choses égales par ailleurs, que du point de vue des symboles, les réalités des Noirs aux States et en France, ne sont pas les mêmes. Réelles avancées ou est-ce "l'arbre qui cache la forêt"
Lisez donc plutôt cette vision américaine de la chose et que les grioonautes émigrés aux USA nous la commentent.
Semaine du jeudi 24 novembre 2005 - n°2142 - Réflexions
Les débats de l'Obs : LES BANLIEUES VUES D'AMERIQUE
Né en 1943 dans le Colorado, Jeremy Rifkin est président de la Foundation on Economics Trends à Washington, enseignant à la Wharton School. Il s'est rendu célèbre par « la Fin du travail » (La Découverte, 1997). Il a publié cette année chez Fayard « le Rêve européen ».
Pour l'essayiste américain, les émeutes en France rappellent celles qui ravagèrent les ghettos des Etats-Unis. Quelles leçons en tirer ?
"Flambées de violence
C'est d'un air fataliste que les Américains ont vu la violence se développer parmi les communautés ghettoïsées de France. Avec une forte impression de déjà-vu. En 1965, des émeutes avaient éclaté parmi la jeunesse noire déshéritée du quartier de Watts, à Los Angeles. La ville fut paralysée par les pillages, les incendies de voitures, les batailles rangées avec la police. La petite bourgeoisie blanche craignait que ces jeunes en colère n'envahissent ses banlieues résidentielles pour y semer le chaos. Plusieurs villes du Nord et de l'Est connurent des flambées de violence comparables, culminant par la quasi-autodestruction des ghettos, notamment à Newark, Detroit, Washington, New York, Chicago et Philadelphie, au lendemain de l'assassinat de Martin Luther King, le grand leader du mouvement pour les droits civiques, qui avait passé sa vie à militer pour l'intégration pacifique des Noirs dans la société américaine. Cette rage visait avant tout l'Amérique blanche, qui privait systématiquement les jeunes hommes noirs de toute perspective d'emploi. Le taux de chômage était deux fois plus élevé pour cette catégorie de la population que parmi les hommes blancs, et dépassait les 22%.
Quelques années plus tôt, dans l'un des plus célèbres discours politiques de l'histoire américaine, Martin Luther King, au pied du mémorial de Lincoln, avait déclaré : «Je fais le rêve qu'un jour cette nation se dressera pour vivre en conformité avec ses valeurs :«Nous considérons comme une vérité allant de soi que tous les hommes naissent égaux.» [...] Je fais le rêve qu'un jour mes quatre jeunes enfants vivront dans un pays où ils ne seront pas jugés sur la couleur de leur peau, mais sur leur valeur personnelle.»
ENTENDRE LE MESSAGE
Et voilà qu'aujourd'hui, partout en France, dans des quartiers à forte population issue de l'émigration, des jeunes gens - presque tous de nationalité française - mettent le feu aux voitures, incendient des écoles, dans un accès manifestement spontané de rancoeur envers une société qui leur tourne le dos. Comme la génération précédente des Noirs américains, les jeunes des cités de France sont deux fois plus touchés par le chômage que leur tranche d'âge à l'échelon national, et dans certaines communautés ce taux atteint 40%, voire 50%. Ce sont là les enfants et les petits-enfants des immigrés venus des anciennes colonies françaises d'Afrique, il y a déjà plus d'une génération. Pauvres, sous-éduqués, sans emploi et rejetés par le reste de la société française, les jeunes des banlieues n'ont guère d'espoir d'améliorer leur sort, contrairement à leurs homologues des classes moyennes, en France comme dans toute l'Union européenne, qui font des études supérieures et récoltent les fruits du rêve européen, lequel met l'accent sur la qualité de vie, la mobilité, les droits de l'homme et les droits sociaux, le développement durable et la construction de la paix. La France attend encore son Martin Luther King. Elle attend encore celui qui oserait dire : « Je fais le rêve que tous les citoyens français, chrétiens et musulmans, noirs et blancs, vivront un jour ensemble dans une société d'égaux. »
Les classes dirigeantes françaises devraient prêter l'oreille au message de ces jeunes, musulmans ou pas. A longueur d'interviews, les jeunes émeutiers se plaignent, malgré la nationalité française dont ils jouissent de droit, de ne pas bénéficier du même respect ou de la même considération que leurs concitoyens... C'est pratiquement le même argument qu'on entendait, il y a quarante ans, dans la bouche d'innombrables jeunes noirs et hispaniques des ghettos urbains des Etats-Unis.
PROFITER DE L'OCCASION
Si depuis lors la situation aux Etats-Unis n'a cessé d'empirer, la France offre quelques raisons d'espérer. Du moins ces jeunes déshérités aspirent-ils encore à s'intégrer dans la société. Mais si jamais un jour ils s'en désintéressent, alors il faudra vraiment s'inquiéter. C'est ce qui s'est produit aux Etats-Unis. Certes, le mouvement pour les droits civiques des années 1950 et 1960 avait obtenu quelques avancées : l'intégration d'élèves noirs et pauvres dans des établissements jusque-là réservés à la bourgeoisie blanche, un système de discrimination positive pour améliorer les perspectives d'emploi, des programmes de soutien scolaire. Mais les Noirs américains ont vu beaucoup de ces modestes acquis leur échapper sournoisement dans les années 1980 et 1990.
Aujourd'hui, la plupart des jeunes noirs américains ne sont guère mieux lotis que ceux de la génération précédente. Les programmes sociaux ont été abandonnés et le taux de chômage bat des records. Mais il y a pire : 30% des hommes noirs américains âgés de 20 à 30 ans sont en attente de procès, en prison ou en liberté conditionnelle.
En moins d'une génération, nous avons incarcéré le tiers de ce groupe démographique, dans une indifférence quasi générale.
Et pendant ce temps les riches continuent de s'enrichir, tandis que les pauvres restent pauvres.
Le plus inquiétant, c'est que, selon des chiffres très officiels et pour la première fois dans l'histoire américaine, les nouveaux immigrants ne parviennent plus, dans leur majorité, à sortir de la pauvreté, signe que le rêve américain bat de l'aile.
Comment dès lors s'étonner que les jeunes noirs et hispaniques des ghettos, lorsqu'on les interroge sur leur désir d'accéder à ce rêve, répliquent le plus souvent par des ricanements, voire par un complet mépris ? Le constat est accablant : un tiers des Américains déclarent qu'ils ne croient même plus au rêve américain.
AVANT QU'IL NE SOIT TROP TARD
L'opinion française doit tirer les leçons des erreurs des Etats-Unis. Il ne faut pas croire que la simple répression et le reflux de la violence, ou l'adoption de quelques réformes sociales de façade, suffiront à dissiper le malaise. Au contraire, la société française doit profiter de l'occasion pour s'engager dans un débat national. Il faut envisager sérieusement la création d'une commission indépendante sur le sort des jeunes issus des minorités, une commission comprenant des représentants de tous les secteurs de la société, y compris de ces communautés défavorisées. Le plus important, c'est de prêter enfin attention aux griefs de ces jeunes et de mettre sur pied, en concertation avec eux, les réformes appropriées afin d'améliorer leur situation. Il faut faire savoir à ces jeunes que le reste de la société française les prend réellement en compte. Et il faut y parvenir avant que ces jeunes ne cessent de rêver d'intégration. Car alors il sera trop tard.
Si à des cris spontanés réclamant une authentique reconnaissance succédaient des appels organisés à l'insurrection, c'est la société française tout entière qui serait en danger.
Du reste, il serait naïf de croire que ces événements se cantonneraient nécessairement au territoire français. Partout en Europe il existe de telles poches de population immigrée, majoritairement musulmane, et pareillement exclue. Il n'est pas impensable que cette violence franchisse les frontières de l'Hexagone. Et dans ce cas, c'est le rêve européen lui-même qui serait remis en question.
(traduit de l'anglais par Jamila et Serge Chauvin)
Source: NOUVELOBS.COM (http://www.nouvelobs.com/articles/p2142/a288447.html) _________________ On gagne toujours à taire ce que l'on n'est pas obligé de dire |
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