Posté le: Sam 13 Mai 2006 00:59 Sujet du message: Esclavage:Nos frères du pacifique aussi....
Au XIXème, l’Australie développe son industrie sucrière grâce à la main-d’oeuvre des Mélanésiens du Pacifique Sud. C’est à leur sueur, leurs larmes et leur douleur que l’Australie doit l’essor de cette industrie. Des milliers de Mélanésiens en sont morts.
Leur mémoire reste toujours vivante dans le coeur de leurs descendants comme Joe et Monica qui entament un voyage au Vanuatu à la recherche de leurs racines. Il y a un siècle, le père de Monica et les grands-parents de Joe étaient enlevés de force sur une plage et conduits sur le continent australien. Ils n’étaient encore que des enfants... Les premiers esclaves du Pacifique débarquèrent en Australie en août 1863.
Techniquement, ils n’étaient pas véritablement des esclaves puisqu’ils reçoivaient un salaire, aussi misérable fut-il. Toutefois, les Mélanésiens n’avaient pas le droit de quitter leur emploi. Un siècle plus tard, la communauté, issue des hommes et des femmes qui ont échappé au rapatriement, vit isolée. Ce n’est qu’en 1994 que le gouvernement australien a reconnu officiellement les Mélanésiens en tant que communauté éthnique, le seul grand groupe d’immigrés noirs en Australie.
ki nèg nwè ki nèg klè
ki nèg klè ki nèg nwè
tout nèg a nèg
nèg klè pè nèg nwè
nèg nwè pa lè wè nèg klè
nèg nwè ké wéy klè
senti i sa roune nèg klè
mè nèg klè ké wéy klè a toujou nèg
sa ki fèt pou nèg vin' blang?
blang té gen chivé pli long?
pou senblé yé nou trapé chivé plat kon fil mang!!!
mandé to fanm...!
mè pou kisa blang lé vin' nwè?
ha... savé ki avan vin' blan yé té ja nèg!
a nou mèm ké nou mèm dépi nânni nânnan...
chinwa soti, kouli soti, indyen soti, blang soti
mèm koté nèg soti
Je viens de voir le reportage,et j'ai été surpris de ne pas voir un méchant roi négrè vendre ses sujets pour des verroteries et autres futilités
Donc,il y a bien eu une traite du pacifique,certes moins importante que sa soeur atlantique,mais toute aussi barbare pas son côté raçiste et machiavélique.
L'australie,je savais qu'ils étaient raçistes,mais là...
aux crétins comme Kelman
Regardez le reportage c'est demain que ça passe en france. _________________ "tout nèg a nèg
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L'australie,je savais qu'ils étaient raçistes,mais là...
Waye Papa ! L'Australie est jusqu'à aujourd'hui un des pays les plus racistes qui soient !!!
Cet article un peu longuet donne un aperçu de leur histoire et de la construction de leur identité nationale. J'ai surligné en rouge les passages concernant les Aborigènes, mais vous pourrez constater également le racisme et la xénophobie dominants dans l'idéologie nationale, et qui s'est exercée contre les chinois et les Européens non anglo-saxons.
Identité nationale et diversité ethnique dans l’histoire de l’Australie : l’équation introuvable
En durcissant un peu une réalité qui demeure toujours complexe et un peu fuyante, on pourrait dire que, dans la plupart des sociétés d’Occident, la trame nationale se déploie en constante dialectique avec le culturel et le politique. Elle puise dans le premier des matériaux symboliques dont elle nourrit les représentations formelles, systématisées, de la collectivité ; ces représentations s’érigent parfois en définitions officielles. Mais on se doute que l’opération n’est jamais gratuite ou innocente, dans la mesure où elle entretient un rapport direct (au moins de facto) avec le politique ; en effet, ces représentations et ces définitions sont toujours mobilisées, sinon confisquées, soit pour orienter, soit pour justifier, soit encore pour déguiser des stratégies et des décisions de l’Etat. Pour les fins de notre analyse, il ne paraît pas utile de préciser davantage le contenu du vocable national. Ce contenu est trop variable d’une collectivité à l’autre ; il met l’accent tantôt sur des données ethniques comme la langue ou la religion, tantôt sur le territoire ou sur l’histoire, et tantôt sur un ensemble de valeurs supposées partagées ou sur des traits ethnographiques, physiques et autres. Il semble plus avisé de partir tout simplement à la découverte de l’acception australienne, telle qu’elle s’est modelée et remodelée au cours des 19e et 20e siècles. Au contraire de certains auteurs, nous ne nous demanderons pas non plus si cet imaginaire national était le fruit d’une quête authentique ou d’une falsification. La catégorie du vrai et du faux, appliquée à cette matière, inviterait à un procès difficile et arbitraire qui ne relève pas de notre démarche. Nous visons d’abord à reconstituer et à mettre en perspective le processus de construction et de reconstruction de l’imaginaire collectif, tout en demeurant très attentif aux contradictions qu’il véhicule, aux feintes qu’il dissimule.
L’Australie est née de divers éléments d’une société européenne transportés dans un environnement asiatique. Par quel cheminement, à partir de cette distorsion initiale, la nouvelle population en est-elle venue à se percevoir comme une nation ? Quelles aspirations, tensions et appréhensions y a-t-elle investies ? Nous allons montrer que la représentation nationale s’est élaborée suivant deux voies : l’une relevait d’une démarche de rupture et affirmait l’existence ou l’émergence d’une nouvelle entité détachée de la mère patrie ; l’autre s’inscrivait au contraire dans un esprit de continuité et présentait la collectivité australienne comme une figure originale certes, mais seulement à titre de variante de l’héritage britannique au sein de l’Empire, et en filiation directe avec lui. On pourrait dire que l’histoire nationale australienne fut un va-et-vient, un tiraillement continuel entre ces deux horizons, assorti d’une lente dérive dans le sens de la rupture. Mais d’un côté comme de l’autre, nous aurons à montrer comment l’idée nationale a été confrontée à d’importantes divisions et contradictions que ses promoteurs ont essayé tant bien que mal de surmonter.
Dans un premier temps, nous allons passer en revue les divers traits ou représentations à l’aide desquelles on a voulu
– successivement ou simultanément – caractériser cette collectivité au cours des 19e et 20e siècles ; ce faisant, pour chacun des archétypes nationaux présentés, nous nous efforcerons d’identifier aussi précisément que possible la classe sociale de référence. L’exercice devrait faire ressortir toute la complexité et la pluralité de l’imaginaire national australien. En effet, on relève non seulement une succession mais aussi un parallélisme, sinon une compétition entre les principales représentations de la nation. Nous verrons ensuite comment la diversification progressive de la population australienne au cours du 20e siècle a heurté l’imaginaire national, suscitant soit des réactions de rejet et d’exclusion, soit divers essais d’accommodement et de conciliation. En tout ceci, l’Australie apparaîtra à double titre comme un entre-deux, comme un terrain de rencontres, de frictions, étant partagée premièrement entre un héritage européen et une vocation asiatique, deuxièmement entre ses populations blanche et aborigène.
I- La construction de la nation
En tout premier lieu, l’ambiguïté qui règne sur la date de naissance de la nation est très révélatrice en elle-même. Dans les premières décennies du 19e siècle, l’émergence d’un sentiment d’appartenance fut compromise au sein de la classe dirigeante par ce qu’on pourrait appeler la honte des origines. Pour la plupart des intellectuels, grands propriétaires, commerçants et administrateurs, il répugnait en effet de s’identifier au passé pénitentiaire de l’Australie[1]. Il valait mieux court-circuiter ces commencements jugés peu glorieux et se réclamer plutôt de l’appartenance à la grande civilisation britannique. Cette donnée éclaire sans doute les nombreux témoignages de visiteurs, au cours du 19e siècle, manifestant leur surprise de trouver sur ce continent perdu une bourgeoisie encore plus british que l’originale. Néanmoins, selon plusieurs auteurs (R. Ward, 1966, et M. Roe, 1971, notamment), un sentiment proto-national s’est formé parmi les prisonniers eux-mêmes et surtout parmi leurs descendants immédiats. Selon certains, on pourrait même voir dans cette première solidarité le berceau de la nation. Pour d’autres (par exemple, G. Nadel, 1957), celle-ci est née au milieu du siècle seulement, à l’époque de l’octroi du gouvernement responsable. Des appels se faisaient alors entendre pour l’adoption d’objectifs communs et la création d’une véritable culture nationale qui s’élèverait au-dessus des intérêts matériels et donnerait une cohésion à la société naissante. Le ressentiment exprimé par les Australo-Irlandais et les protestations contre la déportation de criminels alimentèrent ce courant d’opinion dont le journal Australian Era se fit l’un des porte-parole. Pour d’autres encore, ce sont les affrontements d’Eureka à Ballarat (Victoria) en 1854 qui ont constitué l’acte de naissance véritable du pays. Cette rébellion de mineurs contre la police gouvernementale aurait représenté la première affirmation du peuple contre le pouvoir métropolitain, et par conséquent la première contestation du lien colonial en même temps que l’acte fondateur de la démocratie australienne.
Pour une majorité d’auteurs toutefois, les barricades d’Eureka, demeurées sans suite, ne furent qu’un signe annonciateur, un événement précurseur. La nation serait plutôt née dans l’effervescence des années 1880-1890 (les célèbres nineties) et le Commonwealth de 1901 en aurait constitué la consécration officielle. Un poème de J.B. Stephens, publié en 1877 (« The Dominion of Australia »), en fut peut-être la première expression. A cette époque, la majorité de la population adulte était née sur le nouveau continent. L’exploration des grands espaces était à peu près complétée et un réseau de chemin de fer unissait les principales parties du pays. C’est dans la brousse toutefois que cette nation prenait forme, à travers les « stony hills and sandy plains, bare rocks and rushy swamps » (Alexander Harris). Divers auteurs (V. Palmer, 1954 ; R.M. Crawford, 1955 ; G. Davison, 1978) ont expliqué qu’il ne pouvait guère en être autrement : la ville, par son allure hétéroclite et britannisante, se dérobait à une mystique identitaire originale. En outre, en ces temps de crise économique, elle apparaissait à plusieurs comme un lieu de misère dont on voulait se détourner et même comme un symbole de l’Europe décadente ; on s’adonnait donc d’autant plus volontiers à une idéalisation de l’intérieur du pays (l’outback). Mais cette nation de la brousse, ce pays né de l’arrière-pays puis étendu aux couches ouvrières demeurait lui-même fragile. Le tissu urbain, en continuant de s’étendre, a fini par éroder cet imaginaire. En outre, la légende des nineties s’est refroidie avec le tournant du siècle.
Pour plusieurs, ce sont les deux guerres mondiales qui enfantèrent vraiment la nation. La première d’abord, avec le célèbre épisode de Gallipoli (Dardanelles) en 1915, où des troupes australiennes aux côtés de soldats britanniques, néo-zélandais et français s’illustrèrent dans un tragique affrontement contre les Turcs. Au plan strictement militaire, l’opération fut plutôt un échec ; les assaillants durent battre en retraite et on enregistra du côté australien plus de 8 000 morts et près de 20 000 blessés. Mais au plan symbolique, le profit fut énorme. On se plut à découvrir à cette occasion la nation en armes, confrontée à son destin et démontrant une grande intrépidité. Enfin, dans ces conditions tragiques, l’Australien s’était révélé aux autres et à lui-même. A partir de ce moment, ANZAC (pour : Australian and New Zealand Army Corps) devint un symbole populaire du berceau de la nation. Mais pour d’autres, l’échec même de Gallipoli jette une ombre sur la légende et il semblerait plus indiqué de faire naître la nation avec la Deuxième Guerre mondiale, où les Australiens s’illustrèrent encore plus nettement (par exemple : N. Mclachlan, 1989).
Enfin, comme nous le verrons, il ne manque pas non plus d’observateurs pour affirmer que la nation est en train de naître présentement, au milieu des brassages ethniques du multiculturalisme et à la faveur des réaménagements symboliques qu’ils commandent. La recherche de la date de naissance de la nation fait donc déjà ressortir une importante figure d’incertitude et d’ambiguïté. Ce trait s’amplifie lorsqu’on porte attention cette fois aux contenus, aux archétypes qui ont été proposés pour nourrir les représentations collectives.
Il y eut l’idée d’une nouvelle race. En 1877, le pamphlet plutôt facétieux de Marcus Clarke (The Future Australian Race) suscita des commentaires très sérieux, à la surprise de son auteur. Et vers la fin du siècle, selon R. White (1981, Chap. 5), un certain nombre d’intellectuels croyaient volontiers qu’il existait un type physique typiquement australien. C’était aussi l’avis de V. Palmer (1954, pp. 32-33 et suiv.) qui fondait son opinion sur une collection de témoignages du 19e siècle. Très proche de cette première représentation, on trouve l’image de l’Australien doué d’une exceptionnelle vitalité : rude, puissant, résistant, intrépide. A ce propos, il faut signaler la place très importante que le sport a toujours occupée dans cette société, où il a été depuis la fin du 19e siècle l’objet d’un investissement symbolique au service de l’identité[2]. Il en va de même sans doute avec le stéréotype du solide buveur qui a été associé depuis longtemps à l’homme du peuple[3]. Ces traits, qui ont exprimé la masculinité du caractère national, sont en partie une réaction à l’élitisme intellectuel des villes, imitateur de l’esprit britannique, et en partie aussi un effet de la surreprésentation des hommes parmi la population australienne jusqu’au milieu du 19e siècle, sinon au-delà (deux hommes pour une femme en 1840).
On rejoint par ce chemin la représentation de l’australianité issue de la légende des nineties. Les principaux traits qui y sont associés (matérialisme, rudesse, indépendance, solidarité, égalitarisme, insubordination) furent imputés d’abord à l’homme de la brousse puis aux milieux populaires et, enfin, à l’ensemble des Australiens. L’idée sous-jacente de cette entreprise symbolique, qui a rallié un très grand nombre d’intellectuels à la fin du 19e et dans les premières décennies du 20e siècle, veut que la culture de l’outback ait pris valeur de matrice pour toute la nation, sans qu’elle ait été un reflet fidèle de sa réalité. Le portrait durable de ce qu’on a appelé le dinkum aussie se résume dans le mateship, ce sentiment profond qui se développe parmi les hommes « who are thrown together by some emergency in an unfriendly environment and have become of one blood in facing it » (D. Horne, 1972, p. 32)[4]. On en a trouvé les racines tour à tour (ou simultanément)
a) dans l’adversité du milieu naturel et le défi qu’il posait à la survie d’une population très dispersée,
b) dans les violences du régime pénitentiaire, contre lesquelles les prisonniers devaient savoir se défendre,
c) dans le rapport social très inégal créé par la grande propriété foncière dans l’arrière-pays,
d) dans l’acharnement des gold diggers. A sa façon, chacune de ces expériences aurait contribué à forger les dispositions qui allaient s’exprimer dans l’idéologie sociale-radicale.
La solidarité et le militantisme syndical en furent l’une des principales manifestations. Des grèves célèbres servent ici de points de repère : conflit quasi général en 1890, grèves dans l’industrie pastorale (1891), dans le secteur minier (1929, 1949), etc. Le mouvement ouvrier serait ainsi parvenu à discipliner le développement du capitalisme en le contraignant à d’importants compromis. Cette représentation va de pair avec une autre selon laquelle les luttes sociales auraient avivé le sens de la démocratie, déjà présent dans les aspirations égalitaires du dinkum[5]. On doit effectivement aux Australiens d’avoir, les premiers, introduit le vote secret (1856). Le suffrage populaire y fut institué en 1855 pour les hommes et en 1895 pour les femmes, soit bien avant la plupart des pays d’Occident[6]. Selon l’historien Keith Handock, il existerait une tradition démocratique typiquement australienne, à caractère collectiviste, assez différente de la démocratie individualiste d’inspiration tudorienne. On s’expliquerait de cette manière les succès électoraux de l’Australian Labor Party, fondé en 1890, et la législation sociale avant-gardiste du pays. Rappelons que les travailleurs de la construction de Melbourne furent les premiers à obtenir la journée de huit heures en 1856 et que l’Australie fut le premier pays à élire un gouvernement travailliste. Le leit-motiv fair go reflète l’esprit de ce nationalisme radical, avec ses connotations d’équité, de justice sociale et de sollicitude de la part de l’Etat.
On notera néanmoins que cette culture de solidarité et d’équité s’accommodait de la discrimination la plus flagrante. D’abord, elle n’accordait aucune attention aux Aborigènes (nous y reviendrons). En deuxième lieu, la femme – si on excepte le droit de vote qui lui fut reconnu assez tôt – était également exclue. De nombreux auteurs ont montré que le mateship, dans ses diverses expressions et figures, s’accompagnait de forts relents anti-féminins[7]. L’autre grande forme d’exclusion a pris pour cible les immigrants non britanniques, les non-Européens et surtout les Asiatiques. Il est remarquable en effet que la pensée sociale-radicale était profondément imprégnée de xénophobie et de racisme. Mais jusqu’aux années 1940-1950, ce trait semble avoir fait partie de la pensée dominante en Australie : la nation australienne était communément identifiée à la race britannique. Fondée en 1871, la très influente Australian Natives’ Association ne regroupait que des Blancs nés au pays. A l’époque où, pour des raisons économiques évidentes, Londres préconisait le libre mouvement de la main-d’œuvre entre les colonies de l’Empire, l’Association favorisait au contraire l’isolement et l’exclusion, et c’est dans cet esprit qu’elle appuyait le projet du Commonwealth (C.S. Blackton, 1958). Ce souci de préserver la race blanche était d’abord dirigé contre les Jaunes. Déjà, les émeutiers de 1860-1861 dans les mines d’or de la Nouvelle-Galles (Burrangong Riots) en avaient contre les travailleurs chinois. Et aux lendemains de la Deuxième Guerre, comme nous le verrons, c’est encore la crainte du péril jaune qui incita le gouvernement à accroître substantiellement la population du pays au moyen d’une immigration beaucoup plus ouverte ; une Australie plus nombreuse, plus forte au plan économique et militaire saurait mieux contrer le danger qui venait du nord. Selon R. Nile (1994), ce sentiment serait encore vivant aujourd’hui[8].
Cela dit, l’une des expressions les plus durables et les plus formelles du racisme australien est représentée par la White Policy, cette politique d’immigration instituée en 1901 et abrogée officiellement en 1973 seulement. En vertu de cette loi, que nous aborderons plus loin, l’entrée du pays aux non-Européens était rendue pratiquement impossible.
La composante raciste de la représentation nationale perdit du terrain après 1940-1950, mais ne disparut pas pour autant. Elle connut même des résurgences importantes, notamment dans les années 1980. Il faut rappeler qu’à ce moment, les Australiens de naissance ou de descendance britannique représentaient encore 77% de la population et l’attachement aux racines demeurait encore puissant. Mais à la même époque, H. Mcqueen (1986) dénonçait vigoureusement cette vision raciste de la nation, dont il montrait les origines et l’évolution au cours des 19e et 20e siècles. Pour cet auteur, c’est le péril jaune, et non pas le sentiment anti-colonial ou anti-britannique, qui a été le ressort principal du nationalisme australien. Il construisait sa preuve en parcourant pratiquement tout le paysage intellectuel, prenant à témoin l’histoire du mouvement ouvrier, des idéologies politiques, de la littérature (par exemple : Bernard O’Dowd, A.H. Adams, Henry Lawson), etc.
Après l’ouverture du pays à une immigration diversifiée, la référence à la nation comme une New Britannia (blanche, anglo-saxonne) devint de moins en moins adéquate et de nouvelles variantes, sinon des visions de rechange, virent le jour. A la faveur de la prospérité qui a suivi la Deuxième Guerre, la consommation de masse connut un essor spectaculaire en Australie, envahissant l’univers domestique et la vie privée. Une nouvelle figure de l’individualisme apparaissait, associée à la classe moyenne, sous les traits du petit bungalow et de la vie de banlieue, et ce en parallèle avec l’image toujours très populaire du digger[9]. Dans ce contexte qui plaçait au premier rang le confort, la famille, les loisirs et le matérialisme, l’automobile de marque Holden, fabriquée au pays par General Motors, devint l’un des nouveaux symboles de la nation, de ce qu’on appela alors l’Australian way of life (M. Taussig, 1987). Cette notion mal définie représentait désormais le modèle culturel auquel les immigrants devaient s’assimiler. Nous pensons qu’elle occupe une place importante dans l’histoire des représentations nationales australiennes : pour la première fois, un stéréotype de la nation se construisait formellement en dehors de l’ethnicité. L’essai fut éphémère toutefois. A partir des années 1970, les difficultés économiques firent obstacle au modèle qui, de toute façon, écartait a priori les milieux défavorisés. Il devenait en outre évident qu’en définitive, l’assimilation à l’Australian way of life ne différait pas beaucoup du modèle traditionnel d’assimilation à la société blanche, anglo-saxonne.
C’est dans ce contexte qu’apparut l’idée selon laquelle le trait essentiel de la nation, la véritable source de son originalité, résidait dans sa diversité ethnique. Le multiculturalisme australien était né[10]. Contrairement à la plupart des autres sociétés, l’Australie était dite capable d’accueillir et de faire coexister un large éventail d’apports culturels, en perpétuant leurs spécificités ; c’est de là qu’elle tirait désormais son principal caractère distinctif. Du coup, cette nouvelle orientation en préparait une autre, plus récente encore, à savoir la destinée asiatique de l’Australie. Elargissant encore son cercle, la nation s’apprêtait ainsi à intégrer complètement sa géographie aux dépens de son histoire. Mais nous verrons que ce virage est loin d’être acquis, même aujourd’hui.
Ce rapide survol des principales représentations de la nation appelle tout de suite trois remarques. D’abord, à un degré qui n’a peut-être été atteint dans aucune autre collectivité neuve, la culture populaire semble avoir pesé lourd dans les représentations de la nation. Ses contenus, ses symboles, semblent avoir largement pénétré la culture savante. Déjà en 1829, dans sa Letter from Sydney, Edward G. Wakefield constatait qu’en Australie, contrairement à la manière des vieux pays, les modes et les façons de faire se diffusaient du bas vers le haut. C’était aussi l’opinion de Russell Ward et de A.A. Phillips (1958, pp. 41-42 : « …the common man… beat the gentleman »). En fait, ce trait fut si prononcé qu’il a créé l’impression – chez les Australiens comme chez plusieurs observateurs étrangers – que la culture savante (la vie intellectuelle, les arts et lettres) était l’objet d’une sorte de mépris, qu’elle s’en est trouvée marginalisée et appauvrie. On pense ici, parmi de nombreux autres, aux témoignages bien connus de Francis Adams (« il y a autant de culture en Australie que de serpents en Islande ») et de D.H. Lawrence (« plus j’en apprends sur ce genre de démocratie et plus je la déteste, je ne connais rien d’aussi nul, vulgaire », etc.)[11]. Deuxièmement, et cette remarque n’est sans doute pas sans relation avec la précédente, la vision impériale de la nation n’a pas fait l’objet de nombreux écrits célèbres et son légendaire n’a pas été fixé dans une grande tradition littéraire, comme ce fut le cas pour la pensée sociale-radicale. On en trouvera un élément d’explication dans le fait que l’idée impériale a surtout été associée à la frange la plus conservatrice et la plus aristocratique de l’élite intellectuelle, celle qui, pour cette raison justement, écrivait pour un public britannique et se tenait à proximité des cercles londoniens. En conséquence, la vision britannique et impériale de la nation australienne a été peu expliquée ou traduite aux Australiens eux-mêmes, dans une langue et selon des genres auxquels les classes populaires et les classes moyennes auraient pu d’emblée adhérer. En troisième lieu, en dépit de l’assurance qui paraît se dégager des diverses représentations nationales passées en revue, toute l’histoire de cette pensée, de cette quête identitaire, est traversée par une grande incertitude qui amène les élites intellectuelles à porter un regard sévère sur elles-mêmes, à formuler un jugement péjoratif sur leurs œuvres tenues pour inférieures à celles de la mère patrie, sur les manières et sur la langue du peuple. C’est ce que A.A. Phillips (1958, pp. 92, 94) a appelé le cultural cringe (« that disease of the australian mind »).
Ce complexe d’infériorité a, selon les époques, suscité trois types de réaction. La première a conduit à dénoncer la vulgarité de la culture australienne et à décréter son infériorité pour ainsi dire structurelle[12]. La deuxième réaction a consisté dans des appels à la construction de la culture nationale selon divers plans mis de l’avant, propres à remédier au vacuum originel. On pense ici à l’essai de P.R. Stephensen (1936), qui proposait un véritable programme de développement de la vie intellectuelle dans une perspective nationaliste. On pense aussi à l’effervescence des années 1950-1970, alors que le même thème refit surface, appuyé cette fois sur des politiques de subventions gouvernementales destinées à stimuler la vie des arts et des lettres, toujours suivant une visée identitaire (D. Horne, 1972, pp. 244-246 ; J. Rickard, 1988). Enfin, d’autres ont plutôt essayé de démontrer que le sentiment d’infériorité n’avait pas de fondement, que la culture australienne est l’égale de n’importe quelle autre, que les cringers sont des masochistes (E. Thompson, 1994b, Chap. 10), qu’il existe une riche tradition intellectuelle depuis le 19e siècle (A.A. Phillips, 1958).
En conclusion de cette partie, d’importants aperçus se dégagent d’ores et déjà. D’abord, il est possible d’identifier quelques glissements de fond survenus au cours du dernier demi-siècle et qui paraissent difficilement réversibles : de la White Australia au multiculturalisme, de l’allégeance européenne à l’intégration asiatique, de l’éthique populiste à l’éclectisme des classes moyennes. Parallèlement, on constate que le mateship est en déclin. Sur un autre plan, le kaléidoscope des visions et des visées nationales, tel que nous l’avons sommairement reconstitué, fait ressortir la nature éphémère et presque artificielle de ces constructions de l’imaginaire. A la lumière d’une telle fluidité, il serait hardi de plaider pour une conception essentialiste (« primordialiste ») de la nation. Même la référence à la fameuse tradition britannique est polyvalente et se prête à des nuances et des variantes subtiles, selon le contexte et le locuteur : on y interpelle tantôt le riche patrimoine intellectuel de la métropole, tantôt la monarchie, le Parlement ou l’Empire, et on y gomme facilement l’Anglais, le Gallois, l’Ecossais et même l’Irlandais. Humphrey McQueen a peut-être raison : la xénophobie et le racisme ont en effet occupé une très grande place dans l’ensemble des représentations et des idéologies par ailleurs fort diverses et souvent opposées que nous avons passées en revue. Ces deux traits semblent être les principaux candidats au titre de dénominateur commun de la pensée et de la culture nationale australienne jusqu’au milieu du 20e siècle.
On relève aussi des quasi-absences importantes (la religion, la ville), des silences (le mythe du self-made man, de la mobilité sociale), des incohérences (les inégalités socio-économiques en regard du mythe égalitaire). Et on reste un peu étonné de la fragilité symbolique qui semble être le point d’aboutissement de deux siècles d’histoire. Il faut sans doute y voir l’effet des éléments de diversité et d’adversité qui, tout au long de son histoire, ont mis la nation en échec et ont amené l’imaginaire collectif à mettre au point des stratégies symboliques visant à la remettre sur ses rails.
II- La diversité contre la nation
Toutes les entreprises de construction de la nation australienne partageaient le souci de représenter une collectivité uniforme, cohérente, intégrée. Mais cette prémisse n’était acquise qu’au prix de bien des contorsions car la symbolique nationalitaire était sans cesse contredite par d’importants éléments de diversité et de clivage dans la population. Notre réflexion s’engage ici dans ce que G.S.J. Barclay (1987) a appelé l’« exploration of unifying myths and disunifying realities » (p. 5). Jusqu’au milieu du 20e siècle environ, la perception commune caractérisait la population australienne comme fondamentalement homogène, cimentée par son héritage britannique. A cette époque en effet, la proportion d’Australiens d’origine ou de descendance britannique atteignait plus de 90% (95% selon J. Jupp, 1994, Chap. 4) et la plupart des autres habitants étaient de descendance européenne. Ces chiffres attestent à leur façon l’efficacité de la White Policy. En outre, depuis le début du siècle, le nombre annuel d’immigrants avait décliné et les éléments de diversité étaient marginalisés, au moins dans la conscience collective sinon dans la réalité. Les spécificités irlandaises, écossaises, galloises et anglaises furent plus ou moins fondues dans la référence britannique. Au cours de la seconde moitié du 19e siècle, les ruées vers l’or et les développements miniers avaient suscité une immigration assez hétéroclite. Il y eut des Allemands en Tasmanie, des Indiens (Kanakas) et des Scandinaves dans le Queensland, quelques esclaves africains et mélanésiens en Nouvelle-Galles et dans le Queensland (I. Duffield, 1986 ; K. Saunders, 1982). Mais les fortes pressions exercées soit pour assimiler cette immigration, soit pour la restreindre, en limitèrent radicalement la portée[13]. En 1911, la population de l’Australie ne comptait que 45 000 Asiatiques et 10 000 ressortissants des autres îles du Pacifique (S. Macintyre, 1947, p. 136). Le nombre des Chinois, de 22 000 en 1911, n’était plus que de 9 000 en 1947 (C.Y. Choi, 1975, pp. 42-43 ; G. Sherington, 1980 p. 119). Au plan religieux, nous avons déjà signalé que les Eglises protestantes étaient les plus nombreuses – bien que leurs rapports avec l’Eglise catholique ne s’envenimèrent jamais. Par contre, les régionalismes furent traditionnellement très accusés (C. Bulbeck, 1989, Chap. 5) et la vie politique du pays fut sans cesse tiraillée entre le pouvoir fédéral et les revendications décentralisatrices des Etats membres. Cependant, ces allégeances locales ne menacèrent jamais sérieusement l’unité nationale, même dans le cas du Queensland qui a toujours été le plus autonomiste des six Etats[14].
Cela dit, la figure de diversité la plus durable et la plus lancinante était représentée par l’Aborigène. Tout au long de son histoire en effet, l’Australie s’est heurtée au fait autochtone. Les Aborigènes occupaient le continent depuis 40 000 ou 50 000 ans, ils formaient une population dispersée et diversifiée (quelques centaines de langes et dialectes), pratiquant le nomadisme à l’intérieur de certaines limites territoriales. Ce double caractère les rendait du même coup nuisibles et vulnérables aux menées territoriales des Blancs : nuisibles parce que leur rapport à l’espace faisait obstacle au nouveau mode d’exploitation de la terre, et vulnérables parce que ces peuplades isolées ne pouvaient résister à l’avance organisée de la colonisation. Rappelons que, de 250 000 à 300 000[15] à la fin du 18e siècle, le nombre des Autochtones avait chuté à 50 000 environ un siècle plus tard. Néanmoins, aux années 1930-1940, l’effectif s’était haussé à 75 000 - 80 000 et il connut par la suite une croissance spectaculaire, atteignant 84 000 en 1961, 160 000 en 1981 (A. Armitage, 1995, Tableaux 2.1, 2.2) et 350 000 environ au cours de la décennie 1990 (soit autour de 2% de la population australienne). Cela dit, la nouvelle façon de dénombrer les Aborigènes à partir de 1967 rend un peu aléatoire toute comparaison avec les années antérieures : au lieu d’estimer comme jadis la proportion autochtone de la descendance (half-caste, full-blood), on s’en remettait désormais à la déclaration que les intéressés en faisaient eux-mêmes. Ce facteur est à l’origine d’un important coefficient d’incertitude dans les statistiques des années récentes. En tout état de cause, même en s’en remettant aux chiffres les moins conservateurs, la population aborigène demeure une faible minorité qui varie aujourd’hui entre 1% et 3% à l’échelle des Etats membres, la proportion grimpant à un tiers dans le Territoire du Nord. Ces petits effectifs n’en ont pas moins suffi à assurer une présence symbolique considérable qui a toujours hanté la conscience identitaire australienne et a même contribué à la déstabiliser durant les dernières décennies.
Une autre importante figure d’hétérogénéité est née de l’augmentation et de la diversification de l’immigration après la Deuxième Guerre mondiale. Les expériences vécues au cours de ce conflit, en particulier le bombardement de Darwin par les Japonais en février 1942 et leur incursion en Nouvelle-Guinée, laissèrent les Australiens plus inquiets que jamais de la menace militaire asiatique. En outre, la croissance démographique rapide dans ces pays (en Chine surtout) augmentait la crainte d’une immigration massive. En troisième lieu, la décennie 1940 amorçait un long cycle de développement économique en Occident et l’Australie fut bientôt aux prises avec un pressant besoin de main-d’œuvre. Pour toutes ces raisons, le slogan diffusé dans les années 1930 (« populate or perish ») prit une nouvelle signification et la solution parut se trouver dans une hausse substantielle de l’immigration. Cette réorientation découlait donc davantage de considérations économiques et militaires que d’un véritable choix culturel et social[16].
C’est en 1947 qu’un programme d’immigration massive fut institué. A court terme, il fut alimenté principalement par le grand nombre de réfugiés de la guerre (Europe de l’Est, pays baltes, Vietnamiens, Cambodgiens, etc.) et par des ressortissants de pays moins développés (d’Europe du sud, notamment). Durant tout le demi-siècle qui suivit, cette politique ne connut guère de fléchissement, les objectifs de recrutement étant même révisés à la hausse en 1976-1978 par le gouvernement libéral de l’époque (Fraser). Pendant cette période, on enregistra plus de cinq millions d’entrées, alors que la population du pays passait de 7 à 18 millions. Aucun autre pays au monde n’a égalé cette performance de l’Australie compte tenu de sa taille (nombre d’émigrants per capita). Ainsi, durant les seules années 1945-1964, elle accueillait plus d’immigrants que durant toute la période 1860-1945. Les chiffres ne sont pas moins remarquables du point de vue de la diversification de la population immigrante. A l’origine, le programme visait à attirer surtout des Britanniques (dans une proportion de 10 pour 1, selon l’engagement pris par le ministre Caldwell en 1947). Mais l’objectif s’avéra irréaliste et, dès les années 1947-1952, la moitié seulement des immigrants reçus provenaient de la Grande-Bretagne. Cette proportion diminua régulièrement par la suite : 42% en 1947-1969, 29% en 1970-1981, de l’ordre de 15% pour les années récentes. Parallèlement, la part des immigrants en provenance de l’Asie et de l’Océanie augmentait d’une façon spectaculaire : 2,6% en 1947-1969, plus de 50% durant l’année 1996. En conséquence, le nombre d’Asiatiques vivant en Australie a doublé entre 1985 et 1995. En 1994-1995, environ 70% des nouveaux venus venaient de pays non anglophones. Enfin, pour l’ensemble de la période 1945-1996, plus de 150 pays et 80 groupes ethniques ont contribué à l’apport migratoire.
Ainsi, l’Australie de la décennie 1990 fait montre d’importants éléments d’hétérogénéité qui, d’une façon ou d’une autre, invitent à remettre en question les constructions de l’imaginaire jusque-là mises de l’avant pour représenter et caractériser la nation. Outre les clivages déjà mentionnés plus haut (Blancs/Aborigènes, régionalismes, etc.), il faut ajouter le fait que la plus grande partie de l’immigration récente ne s’est pas assimilée. Les immigrants non anglophones et leurs enfants représentent aujourd’hui 20% de la population (40%, toutes ethnies confondues). Une centaine de groupes ethniques parlant autant de langues sont présents actuellement en Australie. Les principaux axes de division se présentent désormais sous la forme Britanniques/non-Britanniques, Européens/Aborigènes, Blancs/non-Blancs.
Voyons maintenant comment depuis le 19e siècle, par des procédés symboliques ou autres, les élites australiennes ont voulu surmonter ou contourner les expressions de diversité culturelle ou ethnique qui faisaient obstacle aux propositions de représentation de la nation[17].
III- La nation contre la diversité
En Australie comme en de nombreux pays, l’idée nationale était donc commandée traditionnellement par une recherche et une affirmation d’homogénéité. A ce premier ressort s’ajoutait le sentiment que la culture australienne, prolongement de la « race » britannique, était mise en péril par l’environnement asiatique. Aussi bien, jusqu’aux dernières décennies, les élites se sont employées à protéger cet héritage et à réduire les éléments ethniques réfractaires – du seul fait qu’ils étaient distincts – en recourant à un éventail de dispositions et moyens allant de la force brute aux aménagements de l’imaginaire. Les femmes en furent les premières victimes. Elles acquirent avec difficulté le droit de voter et de siéger au Parlement, même si l’Australie a fait figure de pionnier en ce domaine. L’Australie du Sud fut en effet le premier Etat à légiférer en ce sens (1894) et Victoria le dernier (1908). Le gouvernement fédéral l’avait fait en 1902. Au plan culturel, depuis le début du peuplement jusqu’aux années 1960, les représentations identitaires furent profondément imprégnées de symboles masculins, qu’il s’agisse de la mystique de la brousse ou des héros de ANZAC et Gallipoli (D. Tyler, 1984). Même le modèle de l’Australian way of life consacrait le rôle prédominant de l’homme comme propriétaire et comme citoyen paisible et travailleur, pourvoyeur consciencieux de sa famille.
A partir de 1901, comme nous l’avons mentionné, la White Australia Policy freina l’immigration en provenance d’Asie, d’Afrique et des îles du Pacifique[18]. Même les Européens non britanniques étaient l’objet de restrictions. Cette loi reçut l’appui de l’ensemble de la population, incluant les milieux syndicaux. Comme le déclarait un homme politique en 1901, il fallait édifier la jeune nation sur le marbre le plus pur et le plus blanc (T.W. Tanner, 1978, p. 239). Le ministre du Travail et de l’Immigration affirmait quant à lui que « two Wongs don’t make a White ». Des caricatures profondément racistes étaient régulièrement publiées dans les journaux. En 1907, le célèbre Bulletin changea sa devise, passant de « L’Australie pour les Australiens » à « L’Australie pour les Blancs ». La nouvelle devise ne fut abolie qu’en 1960. Le mouvement syndical, qui voulait protéger les prérogatives de la main-d’œuvre locale, appuyait vigoureusement la loi, ce qui le rendit un peu imperméable aux solidarités ouvrières internationales. Les fermiers emboîtaient le pas[19]. La White Australia Policy fut complétée par d’autres dispositions législatives dans les années 1920-1930 et elle demeura jusque dans les années 1960 la pièce maîtresse de l’Etat australien en matière d’immigration, n’étant officiellement abolie qu’en 1973. Même en 1948, le nouvel acte de la citoyenneté privilégiait encore les ressortissants britanniques aux dépens des autres Européens. Au-delà de ses conséquences pratiques en matière de sélection des nouveaux venus, la loi australienne affirmait explicitement la supériorité de la race britannique et le souci de préserver sa pureté en évitant sa contamination par des races inférieures (ce sont les termes qu’on employait dans les premières décennies du 20e siècle ; voir par exemple les essais réunis dans F.K. Crowly, 1974, pp. 207-208, 274 et passim). Ces conceptions trahissent un mélange de xénophobie, de racisme et d’eugénisme qui puisait ses justifications dans ce qu’on appelle souvent le darwinisme social – dont on sait pourtant qu’il est une profonde trahison de la pensée de Darwin.
Sans surprise, la White Australia Policy visait tout particulièrement les Asiatiques, qui avaient été la cible d’attaques racistes depuis les années 1840, et surtout les Chinois, qui avaient déjà inspiré plusieurs lois discriminatoires avant 1900. Mais on avait continué à les admettre néanmoins, sous la pression des grands propriétaires fonciers et des industriels qui recherchaient cette main-d’œuvre docile et peu coûteuse (C.Y. Choi, 1975). Des pratiques racistes ont été relevées également à l’endroit des Juifs, des Italiens, des Slaves, des Allemands (G. Fischer, 1989). Durant toute cette période, les Australiens s’attendaient généralement à ce que les immigrants s’assimilent complètement à la culture du pays : qu’ils apportent leur savoir et leur capacité de travail mais qu’ils renoncent à leur héritage culturel ou ethnique. Ce sentiment a prédominé jusqu’au milieu du 20e siècle (G. Caiger, 1953) et on en trouve des expressions jusque dans les années 1960.
Mais ce sont les Aborigènes qui ont le plus sollicité et tourmenté la conscience nationale. Ce sont eux aussi qui ont été traités le plus durement, dans le cadre d’opérations souvent violentes qui visaient à réduire cette différence soit en les assimilant, soit en les excluant. D’abord, dès aux premiers temps du peuplement, le continent fut décrété Terra Nullius. Les Britanniques se crurent ainsi juridiquement autorisés à l’occuper à discrétion, comme s’il était inhabité (R.J. King, 1986). La précarité de cette justification était compensée par la profonde conviction que ces peuplades, à cause de leur barbarie, n’étaient pas dignes d’exercer un droit de propriété sur des terres dont ils ne savaient visiblement tirer parti. Des essais furent d’abord effectués, par des missionnaires et des sociétés philanthropiques notamment, pour les intégrer à la civilisation (établissement sur des fermes d’élevage, instruction, christianisation) mais on constata vite que ces entreprises étaient vaines : plusieurs pensèrent que ces indigènes tenaient plus de la bête que de l’homme, étant dépourvus de la faculté de réfléchir et de juger (comme le déclara au début du 20e siècle un juge de la Cour suprême). Les actes de violence, de discrimination et d’exclusion qui ont jalonné la vie de ces tribus jusqu’en 1950-1960 ont suscité une immense littérature au cours des dernières décennies et les principaux faits sont maintenant bien établis. Les épidémies et la malnutrition, là comme ailleurs, causèrent de nombreux décès. A cela s’ajoutaient les assauts meurtriers des Blancs. Avec l’institution des réserves à partir de 1840, les Aborigènes furent pourchassés et transplantés de force. Les récalcitrants étaient souvent abattus. Sur l’île de Tasmanie, la plupart des 7 000-8 000 autochtones furent exterminés. Des contre-attaques étaient parfois organisées, ce qui suscitait de la part des Blancs des expéditions punitives dont des exemples ont été rapportés jusqu’en 1930 dans des régions éloignées. A la fin des années 1940, il ne subsistait environ que 50 000 Aborigènes, alors que leurs effectifs étaient de l’ordre de 350 000 en 1788. Diverses tribus ne comptent plus de descendants aujourd’hui. Les violences perpétrées incluaient des enlèvements de femmes, des meurtres d’enfants nés d’unions entre Blancs et femmes autochtones, des déportations. Se référant à ces brutalités, plusieurs auteurs ont parlé de génocide[20].
Parallèlement aux actes violents, on a relevé aussi de nombreuses formes de discrimination et d’exclusion. Avant les années 1960, en vertu de la Constitution de 1901, les Aborigènes ne possédaient pas la citoyenneté, n’étaient pas autorisés à voter et n’étaient pas recensés. Ils étaient exclus des programmes gouvernementaux d’aide sociale et étaient sous-payés lorsqu’ils travaillaient hors des réserves. Mais le cas n’était pas si fréquent : en 1935 par exemple, seulement 10 000 indigènes environ étaient reliés à l’économie nationale.
Le déclin continu de la population aborigène laissait prévoir leur extinction éventuelle ; tel était du moins le point de vue d’un grand nombre de dirigeants australiens. Mais il s’avéra que cette échéance fut sans cesse repoussée et, avec la reprise démographique de la première moitié du 20e siècle, il fallut bien admettre que le problème autochtone ne serait pas éliminé de cette manière. Dès lors, on se tourna de nouveau vers l’assimilation autoritaire, parfois brutale elle aussi. Ce revirement fut amorcé à partir de 1940-1950. En vertu de la nouvelle politique, des enfants étaient enlevés de leur famille pour être éduqués dans des pensionnats. Pour forcer les adultes à quitter les réserves, on y fermait les magasins, on interrompait les services, on laissait les bâtiments se délabrer. Les mesures d’assimilation obligatoire étaient particulièrement draconiennes dans le Queensland et dans l’Australie occidentale. Dans le Territoire du Nord, en vertu d’un programme eugéniste, on soumit des femmes autochtones à un métissage méthodique avec des Européens afin d’éradiquer les traits de la race noire[21].
L’exclusion prenait aussi des formes plus discrètes, symboliques même, mais non moins révélatrices. Nous avons évoqué déjà la transition qui, au cours du 19e siècle, a fait passer les Aborigènes du statut de Bons Sauvages, capables de civilisation, au statut de brutes, d’animaux, sujets d’une race inférieure, le tout enveloppé soit dans un pseudo-darwinisme, soit dans une perspective biblique qui faisait de l’autochtone la figure du péché originel non absout par le christianisme. B. Smith (1971) a montré comment cette évolution peut être reconstituée à l’aide des représentations picturales. Mais ce genre d’enquête se heurte à une rareté de matériaux. L’art et la culture indigènes, pourtant riches et complexes, ont longtemps été dénigrés et marginalisés. Quant aux peintres australiens de la fin du 19e siècle, ceux de l’Ecole de Heidelberg notamment, ils excluaient les Aborigènes de leurs canevas (ainsi que les autres minorités ethniques et les femmes). A la même époque, le chef de l’Etat de la Nouvelle-Galles ne déclarait-il pas : « We, [are] the original australian people » (cité par L. Spillman, 1997, p. 31). Jusqu’en 1945-1950, les indigènes étaient absents des films et ce n’est que dans les années 1960 qu’ils firent vraiment leur entrée dans l’historiographie[22].
Cependant, les importantes transformations économiques, politiques et sociales qui suivirent la Deuxième Guerre mondiale s’accompagnèrent d’une révision en profondeur dans la culture elle-même. Une nouvelle attitude prit forme à l’endroit des immigrants. La rupture avec le passé raciste fut toutefois graduelle. Dans un premier temps, la levée des restrictions en matière d’immigration retint une certaine hiérarchisation qui plaçait dans l’ordre les Britanniques, les autres Européens, les Asiatiques, les Noirs. Puis, l’acte de citoyenneté de 1948 reconnut que le nouveau citoyen pouvait conserver ses traits culturels. Même si la White Australia Policy ne fut officiellement abolie qu’en 1973, ses principales dispositions tombèrent peu à peu en désuétude au cours des années 1950 et 1960, tout comme les mesures d’assimilation. Au milieu de la décennie 1960, l’Assimilation Branch du ministère de l’Immigration devint la Citizenship Branch, et le reste. Cette nouvelle orientation s’exprima dans bien d’autres domaines comme le roman, le cinéma, les programmes scolaires. Il est significatif par exemple que, dans les ouvrages d’histoire ou de sociologie culturelle, certains auteurs[23] commencèrent à parler de la civilisation australienne plutôt que de la nation ou de la culture nationale.
Ces réarrangements ont frayé la voie au multiculturalisme, dont l’Australie a emprunté l’idée au Canada où il était apparu officiellement en 1971 comme orientation de la politique nationale. C’est en 1973 que le gouvernement travailliste de Whitlam publia un premier document annonçant ce revirement (A Multicultural Society for the Future). Dans les années qui suivirent, diverses mesures furent adoptées dans cet esprit (multilinguisme dans certains médias, établissement d’écoles dites ethniques, lutte contre la discrimination à l’endroit des immigrants ou des minorités raciales). Le rapport Galbally marqua en 1978 une autre étape importante, notamment en mettant l’accent sur un programme d’aide sociale. Une autre étape fut franchie en 1989 alors que le multiculturalisme fut officiellement érigé en politique officielle de l’Etat australien. Ce dernier reconnaissait à tous les groupes ethniques du pays le droit de perpétuer leur culture distinctive et il prenait l’engagement de leur fournir une assistance à cette fin. Désormais, l’immigrant s’intégrait à la société civique, dont il respectait les règles, mais en principe l’ethnicité ne faisait plus partie de la nation comme représentation officielle de la société. La majorité silencieuse n’a jamais démontré beaucoup d’enthousiasme à l’endroit de cette politique pour laquelle les leaders des communautés ethniques avaient vigoureusement milité. En général, les intellectuels australiens la supportèrent ; il leur paraissait inacceptable de postuler la supériorité d’une culture sur les autres, ce que faisait la politique de l’assimilation forcée. Quant aux partis politiques, ils courtisaient les clientèles ethniques et, au moment où les échanges commerciaux s’intensifiaient avec les pays d’Asie, ils étaient soucieux de ne pas indisposer leurs partenaires par des politiques domestiques discriminatoires à l’endroit de leurs ressortissants [24].
Ce dernier point s’inscrit dans un autre tournant au sein d’une trame culturelle de longue durée. Pendant une bonne partie de leur histoire, la majorité des Australiens se sont perçus comme appartenant à une nation européenne transposée dans le Pacifique. D’abord, ils ont mis du temps à se réconcilier avec ce continent si éloigné et peu hospitalier. Ils ont ensuite progressivement relâché leur rapport avec la Grande-Bretagne et l’Europe, rapatriant pour ainsi dire leurs allégeances, leurs références culturelles. A partir des années 1970, ils se sont engagés dans une autre étape, celle qui consistait à s’intégrer culturellement dans leur environnement océanique et asiatique. C’est dans ce contexte qu’est apparue l’idée d’un rapprochement et même d’un métissage entre les deux grandes civilisations, occidentale et orientale. On peut parler ici d’une sorte d’utopie eurasienne (c’est le mot employé ici et là) préconisant une synthèse des deux traditions, « a search of the best in two worlds », selon l’expression de R. Smith et O. White, (1970, p. 79). Une telle vision est parfaitement représentée dans un roman de D. Malouf (1993), dont les héros, en suivant un cheminement difficile, en viennent néanmoins à découvrir la composante australe (aborigène y comprise) de leur identité. Présentement, cette idée est loin de rallier toute la classe intellectuelle mais elle compte d’importants antécédents dans le réalignement du commerce international et dans une révision des allégeances politiques depuis la Deuxième Guerre[25]. Dès 1963, l’organisation internationale ECAFE avait révisé le classement de l’Australie, qu’elle considéra dès lors comme pays asiatique (D. Horne, 1972, p. 229). Une évolution culturelle s’amorçait dans le même sens. L’Océanie, encore complètement ignorée en 1970, allait être peu à peu intégrée dans le champ de vision national.
Plus concrètement, des gestes de rapprochement ont effectivement été posés. L’enseignement de l’histoire et des langues asiatiques a pénétré les programmes scolaires australiens. De nombreuses associations bilatérales, à buts humanitaires ou autres, ont été créées. Des villes ont été jumelées. Les médias se montrèrent plus attentifs à l’actualité chinoise et japonaise. Quelques revues universitaires consacrèrent à ce sujet des numéros spéciaux, et le reste. Comme le soulignait B. Bennett (1994, p. 6, le besoin se faisait sentir d’un nouveau paradigme qui intégrerait d’une manière interactive les grandes mythologies de la région Asie/Pacifique. Mais ce besoin sera-t-il jamais comblé ? On s’est vite avisé en effet que des différences culturelles importantes (en particulier tout ce qui relève des droits de la personne) faisaient obstacle à la vocation asiatique de l’Australie. Cette prise de conscience a suscité diverses tentatives pour trouver des valeurs communes entre les deux civilisations. Dans un discours enthousiaste prononcé à Singapour, un ex-premier ministre (Paul Keating, défait en 1996) a déclaré dans cet esprit, que le mateship faisait également partie des valeurs traditionnelles célébrées par l’Asie.
La conjoncture qui avait mené au multiculturalisme allait contribuer puissamment, en parallèle, à un très important revirement dans les rapports avec les Autochtones. Pour nous en tenir aux données principales, soulignons que ces derniers acquirent en 1962 le droit de vote à l’échelon fédéral, les Etats membres emboîtant le pas peu après. En 1965, une cour d’arbitrage institua la règle du salaire égal pour la main-d’œuvre aborigène dans l’industrie de l’élevage. En 1967, les Autochtones acquirent par référendum le droit à la citoyenneté et ils firent leur entrée dans les dénombrements du recensement fédéral. Les lois discriminatoires étaient abrogées et les programmes d’aide sociale étaient étendus à l’ensemble de la population. Cette année-là marque également la fin de la politique d’assimilation. En 1971, le premier Aborigène était élu au Parlement. L’année suivante, le gouvernement Whitlam ajoutait un train de mesures qui donnaient encore plus de pouvoirs aux Autochtones, les mettant désormais en position de négocier les développements économiques prévus sur leurs terres par les Blancs. D’autres concessions suivirent par voie législative (en 1976, 1985, 1988-90), en réponse à un activisme grandissant aussi bien chez une minorité de Blancs que dans les tribus. En 1992, la plus haute cour du pays abolit le fameux principe de la Terra Nullius (jugement Mabo). En 1995, un autre jugement de la cour suprême autorisait un Aborigène à réclamer des droits de propriété sur une terre jadis occupée par ses ancêtres.
Des transformations non moins substantielles se marquaient aussi au plan culturel, du moins parmi les élites. Plusieurs ouvrages (universitaires surtout) ont été publiés au cours des 20 ou 25 dernières années pour dénoncer le traitement infligé aux Aborigènes par les Européens depuis les débuts du peuplement. Pour plusieurs, l’Australie n’avait pas été colonisée mais bel et bien conquise par les Blancs. R.M. Berndt (1972) proposait d’élargir l’identité nationale pour y intégrer une identité autochtone. Dans divers albums publiés à l’occasion du bicentenaire en 1988, la culture et en particulier l’art aborigène étaient mis en valeur, au plan non seulement de l’ethnographie mais aussi de l’esthétique. Peu après, un livre important (B. Hodge, V. Mishra, 1991) dénonçait à son tour la destruction de la culture autochtone par les Blancs, plaidait pour sa restauration et affirmait même sa supériorité au plan de l’authenticité (nature de la relation avec le territoire, conception du monde, situation de la personne dans ses rapports avec les autres, etc.). D’autres auteurs, parallèlement, appelaient à un nouveau contrat social, une nouvelle république, pour effacer le passé raciste (ex. : N. Pearson, 1994)[26].
Puis, au moment même où toutes ces tendances allaient culminer, alors qu’un nouvel équilibre identitaire paraissait s’instaurer pour de bon, tout fut remis en question. Il faut d’abord souligner que, dès le début, comme on s’en doute, toutes ces pratiques d’ouverture – à l’endroit des Autochtones, des immigrants, des groupes ethniques, des pays asiatiques – n’avaient pas rallié tout le monde. Mais l’opposition ouverte demeurait restreinte, presque marginale. Au cours des années 1980, des voix influentes s’élevèrent, tout particulièrement G. Blainey (1984), pour dénoncer la voie dans laquelle l’Australie s’était engagée, en particulier l’immigration asiatique[27]. Une nouvelle droite (New Right) s’est constituée sur ce terrain, dont les porte-parole se sont fait entendre dans des publications comme Quadrant, The Australian, The Bulletin. On s’oppose à la politique d’immigration (K. Betts, 1988). On fait voir l’impossible rapprochement avec les Aborigènes à cause d’une incompatibilité de valeurs, de traditions, de structures économiques et sociales, de normes juridiques. On critique le multiculturalisme, qui met en péril la cohésion de la société et l’unité de la nation. On souligne aussi ses contradictions : comment concilier le maintien des traditions ethniques et l’égalité des chances dans l’emploi ? La fragmentation culturelle de la société et son intégration sociale ? La vocation asiatique de l’Australie est également prise à partie. Chez certains, le spectre du péril jaune renaît. Chez d’autres, les efforts d’harmonisation de la nation australienne avec les civilisations de l’Asie menacent la survie du vieil héritage européen et même judéo-chrétien. Les périodes de chômage élevé (le milieu des années 1980 par exemple) s’accompagnent inévitablement de frictions.
Le ressac s’est accentué depuis l’élection en 1996 du parti libéral, dirigé par John Howard. L’immigration, les questions raciales, les rapports ethniques et le multiculturalisme sont devenus des sujets brûlants. Les rapports avec les Aborigènes se sont durcis à la suite du jugement Mabo en 1992 et d’un jugement analogue prononcé en 1995. En réaction, le gouvernement Howard a fait adopter un projet de loi qui a entraîné une crise politique au printemps 1998, après qu’il eut été repoussé par le Sénat. A la faveur du désarroi créé par toutes ces péripéties, des tribuns ultra-conservateurs, comme les députés Pauline Hanson et Graham Campbell, multiplient maintenant les attaques verbales à saveur raciste.
L’axe qui, traditionnellement, avait opposé les classes moyennes et populaires nationalistes à des élites pro-britanniques s’est maintenant déplacé. Le nouveau clivage semble mettre désormais en présence des masses conservatrices et une élite plus soucieuse d’ouverture internationale. Après deux siècles d’histoire, l’Australie semble toujours à la recherche de l’équation culturelle qui réconcilierait son histoire et sa géographie.
IV- Conclusion
A plus d’un titre, l’histoire de l’Australie comme figure du Nouveau Monde reproduit le destin des autres collectivités neuves (ou cultures fondatrices) créées depuis le 16e siècle à même des mouvements migratoires transocéaniques ou transcontinentaux en provenance de l’Europe. Ces grands déplacements de population ont commandé, dans les Amériques, en Australasie et dans quelques parties de l’Afrique, l’essor de sociétés qui se sont très vite employées à élaborer des représentations d’elles-mêmes au présent, au futur et au passé. Elles en sont toutes venues ainsi à se percevoir à travers le prisme de la nation, en adoptant d’emblée le postulat unificateur et homogénéisant qui a supporté cette notion jusqu’au milieu du 20e siècle. Mais ce faisant, ces collectivités se sont trouvées dès le départ confrontées à d’importants éléments de diversité représentés par les populations autochtones. Cette difficulté fut ensuite aggravée par une immigration diversifiée au plan ethnique et racial. Les procédés mis en œuvre en Australie pour surmonter cette impasse recouvrent presque au complet l’éventail des recours observés dans l’histoire des collectivités neuves. La violence physique, la déportation, la marginalisation sociale (par discrimination, hiérarchisation, etc.) et la stérilisation en sont les formes les plus radicales. On relève aussi de nombreux procédés culturels ou symboliques : occultation ou négation de la différence, recherche d’origines ou de valeurs communes, assimilation, métissage culturel, et autres.
Néanmoins, la diversité s’avère la plupart du temps irréductible et, à la longue, elle finit par imposer sa réalité à l’imaginaire collectif. On le voit partout dans la résistance du fait autochtone, et presque partout, dans la survivance de minorités ethniques. Dès lors, la recherche d’une identité nationale se trouve tôt ou tard compromise. Encore là, on relève dans l’histoire très récente des collectivités neuves un certain nombre de stratégies adoptées par l’imaginaire. Elles sont presque toutes représentées elles aussi dans l’exemple australien : restreindre les contenus identitaires à des valeurs universelles, projeter l’identité dans des réalités tenues pour neutres (le territoire, les paysages, le légendaire des premières explorations…), tenir la diversité elle-même pour le trait essentiel de l’identité, se fondre dans l’identité autochtone (version postmoderne du Bon Sauvage), décréter que les sociétés actuelles n’ont plus besoin d’identité nationale, présenter la véritable identité comme un processus de recherche… de l’identité.
Toutes ces données expliquent en partie l’instabilité et l’ambiguïté qui caractérisent les contenus symboliques de la nation. Sous ce rapport, il appert que les cultures fondatrices accusent une grande fragilité par rapport aux vieilles sociétés européennes qui puisent beaucoup d’assurance et de robustesse dans leur longue historicité, et où la nation (culturelle) entretient des rapports beaucoup plus rigides avec l’Etat. Mais en retour, les collectivités neuves trouvent peut-être ici même un avantage. Toutes les nations sont présentement confrontées au défi de se redéployer dans un contexte de diversité. Depuis quelques décennies, à cause de leur incertitude et de leur fragilité symbolique, des sociétés comme l’Australie, le Canada, le Québec, le Brésil (pour ne nommer que celles-là) se sont montrées de plus en plus sensibles à la diversité culturelle et ont mis en œuvre de nouvelles formules pour ouvrir le cercle de la nation[28]. En l’occurrence, elles ont peut-être précédé leurs anciennes mères patries dans la difficile transition du paradigme de l’homogénéité au paradigme de la différence.
Gérard Bouchard[29] _________________ "Le colonialisme et ses dérivés ne constituent pas à vrai dire les ennemis actuels de l'Afrique. À brève échéance ce continent sera libéré. Pour ma part plus je pénètre les cultures et les cercles politiques plus la certitude s'impose à moi que LE PLUS GRAND DANGER QUI MENACE L'AFRIQUE EST L'ABSENCE D'IDÉOLOGIE."
Cette Afrique à venir, Journal de bord de mission en Afrique occidentale, été 1960, Frantz Fanon, Pour la Révolution Africaine
2011, annee Frantz Fanon
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