M.O.P. Super Posteur
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Posté le: Jeu 22 Juin 2006 10:53 Sujet du message: M-A. Savané:Mécanisme africain d’évaluation des democraties |
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Marie-Angélique Savané
Figure politique sénégalaise, elle parle des progrès et des régressions de la démocratie sur le continent.
Propos recueillis par Jean Baptiste Ketchateng
http://www.quotidienmutations.net/mutations/32.php?subaction=showfull&id=1150948332&archive=&start_from=&ucat=32&
Vous êtes la première présidente du Mécanisme africain d’évaluation par les pairs (Maep), une institution du Nepad qui doit permettre aux gouvernants en Afrique de faire juger leur action à travers les opinions de la population que vous collectez. Comment a-t-il été accueilli par les Africains ?
Dans l’ensemble, pour faire dans la langue de bois, on peut dire que c’est globalement positif. Je crois qu’il reste encore beaucoup d’efforts à faire. Je vois à travers les questions qui sont posées sur ce mécanisme qu’il est nouveau, qu’il est complexe et qu’il n’est pas facile à accepter parce que peu d’Africains croient qu’il est possible en Afrique d’avoir un exercice démocratique transparent. Je me rends compte qu’il y a encore un effort énorme à faire pour le médiatiser et le mettre à la portée des gens. Ce ne sont pas les gouvernements qui doivent être informés. Dans l’ensemble il y a eu suffisamment de réunions africaines. Les populations, les organisations de la société civile, dans leur grande majorité, sont loin de comprendre ce mécanisme. D’où la réticence et les doutes que certains peuvent avoir par rapport à la fiabilité du travail, par rapport à la transparence et surtout à l’autonomie intellectuelle et politique de ce mécanisme.
Comment expliquez-vous que le Cameroun qui a adhéré au Maep n’ait encore rien fait pour être évalué ?
Chaque pays décide du moment le plus opportun pour commencer son mécanisme. Au départ, le Ghana a insisté pour être le premier pays. Il y a eu aussitôt le Rwanda qui a bougé. Mais il y a apparemment des pays qui ne sont pas prêts. Certains nous disaient : il faut attendre qu’on termine les élections. Nous aussi on voulait attendre qu’elles passent, parce qu’on a eu l’expérience au Ghana. Pendant la période électorale, c’était pratiquement impossible de travailler de la manière la plus participative possible et surtout dans la transparence.
Je pense que le Cameroun, manifestement, n’est pas encore prêt. On a eu des indications parce qu’il y a quelqu’un qui a été désigné, qui a choisi de s’occuper du Cameroun, Mme Graça Machel. Après la rencontre de Kigali où beaucoup de pays ont exprimé leur désir de se lancer dans la course, j’espère que le Cameroun va commencer dans peu de temps. Mais il y a des démarches préalables, à savoir la nomination d’un point focal, la mise sur pied d’une commission nationale, l’identification des institutions spécialisées qui vont travailler avec la commission, etc.
Parmi les pays que vous avez évalués, il y en a qui ne se reconnaissent pas dans les critiques formulées par vos rapports…
Je crois que la contestation est une bonne chose. Ce n’est pas une opposition frontale. On n’a pas remis en question les données que nous avons fournies. On n’a pas remis en question l’ensemble des recommandations que nous avons faites. Je trouve très sain qu’il n’y ait pas entente, ça montre au moins que le travail a été bien fait, qu’il n’a pas été manipulé. Je pense que c’est normal. Nous nous attendions à ce que, sur certains points, les gouvernements ne soient pas aussi enthousiastes que nous, pour reconnaître qu’il y a des problèmes difficiles, parce qu’ils essaient d’élaborer des solutions.
Le président du Ghana lui-même a dit qu’il reconnaît pratiquement la totalité des problèmes qui ont été soulevés. Mais il pense qu’on n’apprécie pas à leur juste mesure les efforts du gouvernement ghanéen en vue de régler ces questions. Ce qui est important, c’est que les gouvernements reconnaissent que notre démarche est crédible dans la mesure où elle n’est pas dominée par des préjugés idéologiques et parce qu’il n’y a pas d’a priori par rapport à un gouvernement. Nous avons dit aux chefs d’Etat, vous pouvez dire que vous n’êtes pas d’accord, mais ces problèmes ont été identifiés par vos propres concitoyens.
Ce discours est récurrent. Mais les Africains se demandent toujours comment ces mécanismes peuvent changer leur vie. Ne va-t-il pas falloir penser à obliger les gouvernements à prendre en compte ce que les peuples vous ont dit ?
Il faut partir du principe que l’Afrique indépendante a une histoire qui est récente. C’est 40 ans. Qu’on le veuille ou non, en 40 ans, on ne peut pas sortir des situations qui correspondent à bien des égards au Moyen-âge européen et se trouver dans le post-modernisme sans transition. Je crois que la grosse difficulté que nous avons aujourd’hui en Afrique c’est qu’il y a un hiatus extraordinaire entre les intellectuels impatients qui vivent des situations difficiles et qui n’acceptent pas le manque et l’absence de démocratie dans nos pays, et nos masses paysannes qui vivent dans un monde qui leur est autonome qui souffrent, mais qui n’ont pas les moyens de mettre fin à leur souffrance.
Le problème, c’est de faire la jonction de ces deux-là. C’est peut-être là que l’on peut gagner du temps. Les Etats ont parlé pendant longtemps, c’est maintenant qu’ils ont décidé d’agir. Avant, on faisait des déclarations, à chaque sommet, on en faisait. Depuis la Baule et le mouvement des conférences nationales. C’est une rupture par rapport à l’Afrique d’avant. Comment renforcer le courant pour éviter qu’on retombe dans ce qu’on connaissait avant ? C’est normal qu’un gouvernement cherche à asseoir avec sa pérennité. C’est aux autres acteurs de créer les conditions pour que cette pérennité se fasse dans le respect de l’état de droit.
Vous rejetez donc la responsabilité sur ceux qui s’opposent inefficacement aux gouvernements accrochés sans légitimité au pouvoir.
C’est la responsabilité de tout le monde. A la fois des gouvernements incapables de prendre en charge les aspirations et les besoins des populations, mais aussi des populations, surtout celles organisées, qui ne vont pas au bout de leur logique. Parce qu’il y a une logique dans chaque pays. Il y a un système politique qui fonctionne bien ou pas. Il faut que les élites politiques fassent leur boulot. Le travail, c’est l’encadrement, la formation des populations. Tant qu’on aura des masses paysannes ou des masses dans les milieux urbains qui ne voient pas les enjeux, qui ne comprennent pas toujours les relations de cause à effet qui existent entre une décision politique et leur propre situation, mais qui pensent que çà dépend du Bon Dieu ou qu’il s’agit d’un phénomène surnaturel, on ne s’en sortira pas.
Je pense que les leaders politiques africains ont démissionné en grande partie de leur travail de sensibilisation, de conscientisation, de formation. Le jour où les paysans comprendront que la mévente du cacao, les changements de prix au niveau international ont un impact sur leur vie parce que les bonnes politiques n’ont pas été choisies, c’est évident que ces gens vont s’organiser. Il y a tout un processus qui n’est pas un point ici, un point là. Malheureusement, les Africains, je crois, ont cru que si le monde occidental se réveillait et imposait à nos gouvernements, on allait s’en sortir. Ce n’est pas vrai. L’expérience a montré que ce n’est pas possible, parce que nos gouvernements ont des moyens d’une coercition interne que le monde occidental ne prendra pas en considération. Ce monde aussi a des intérêts qui sont divergents des masses populaires, des femmes dans la rue, des enseignants qui n’ont pas de budget de recherche.
Nos rapports à l’Occident ont un impact qu’on le veuille ou non dans l’absence de démocratie dans nos pays. C’est évident que si on ne le comprend pas, on va dire : cette histoire de démocratie, c’est l’histoire des Blancs. Le jour où les Africains seront réveillés, ils comprendront que si aujourd’hui les matières premières ne peuvent pas être achetées à un juste prix, c’est parce qu’il y a un rapport de dépendance à l’Occident qu’il faut changer. Il y a donc une nécessité de comprendre pour nous autres Africains que nous sommes dans un monde globalisé, qui a ses tenants et ses aboutissants. Si on est dedans pour survivre, il faut se battre. L’Asie a montré, tout en restant dans ce système, que l’on peut faire en sorte qu’il y ait des retombées qui reviennent dans leurs pays. Il y a eu des améliorations réelles du niveau de vie en Asie pour quiconque visite ces pays là. Pourquoi nous, en Afrique, on ne le fait pas ? C’est un problème de leadership…
Cela fait tout de même 40 ans que l’on attend ce nouveau leadership.
Il ne faut pas attendre, il faut le faire.
Quand pensez-vous que cela se fera ?
Je pense qu’il est déjà en train de se faire. Vous êtes peut-être jeune. Il y a vingt ans, dans un pays comme le Cameroun, vous ne pouviez pas venir faire un séminaire comme ça ( Mme Savané participe à un symposium de réflexion et d’échanges sur le dialogue entre chercheurs et décideurs dans le domaine de la gouvernance au Cameroun, Ndlr). Je ne pouvais pas venir tenir ce type de réunion. Maintenant, on le fait. Dans d’autres pays, ce n’était même pas possible pour les intellectuels de sortir du pays pour aller à des colloques internationaux si cela ne passait pas par le conseil des ministres. Maintenant, personne ne penserait à faire ce genre de choses. Cela veut dire que contrairement à ce qu’on pense, l’Afrique a avancé peut-être plus rapidement que n’importe quel autre continent, parce qu’on vient de trop loin.
Je comprends effectivement qu’on soit tous impatients. On a envie de voir les changements. Mais la démocratie, c’est une culture. Ce n’est pas quelque chose qui vient parce que les Occidentaux ont dit qu’il faut des élections tous les cinq ans. Ils n’ont pas résolu notre problème parce qu’on fait des élections truquées et on finit par rester. Mais le jour où les Africains comprendront que l’on ne choisit pas un dirigeant parce qu’il est un parent du même groupe ethnique, etc., on peut espérer juger sur la base d’un programme. On n’aura plus le même type de leaders.
Je suis d’accord avec vous que l’impression est que ça dure depuis 40 ans. Mais, ayant vécu ces 40 ans là et ayant été pendant 25 ans sur la scène internationale, je réalise que l’Afrique a fait énormément. Quand on m’a demandé d’être la présidente de ce mécanisme, je me suis dit, c’est un mécanisme pour plaire aux Occidentaux. Mais, une fois qu’on m’a convaincue, je me suis dit pourquoi on ne prend pas ces instruments pour créer les conditions de l’apprentissage de la démocratie et de la négociation. _________________ La vie est un privilege, elle ne vous doit rien!
Vous lui devez tout, en l'occurence votre vie |
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