Posté le: Ven 11 Aoû 2006 16:02 Sujet du message: L'Egypte Ancienne
Très conscient de mon ignorance quant à l'Egypte ancienne, vue sous l'angle afroncentriste, j'ai lu quelques articles sur ça et je suis tombé sur celui-ci:
http://fr.wikipedia.org/wiki/Origine_des_anciens_%C3%89gyptiens.
Je me pose de nombreuses questions et j'aimerai l'avis parmi vous de ceux qui en savent le plus à ce ce sujet.
D'ailleurs, si ça ne t'ennuie pas, je préfèrerais largement que tu relances ta question à partir d'un des topics pré-cités, plutôt que de repartir à zéro. Comme ça, on bénéficie des discussions qui ont déjà eu lieu, et on avance davantage.
Qu'en penses-tu ? _________________ "Le colonialisme et ses dérivés ne constituent pas à vrai dire les ennemis actuels de l'Afrique. À brève échéance ce continent sera libéré. Pour ma part plus je pénètre les cultures et les cercles politiques plus la certitude s'impose à moi que LE PLUS GRAND DANGER QUI MENACE L'AFRIQUE EST L'ABSENCE D'IDÉOLOGIE."
Cette Afrique à venir, Journal de bord de mission en Afrique occidentale, été 1960, Frantz Fanon, Pour la Révolution Africaine
2011, annee Frantz Fanon
Pour se faire une idée claire de l'état du débat entre les eurocentristes et les afrocentristes sur cete question, voici une copie d'une excellente discission qui a eu lieu dans la revue politique africaine. (Il faut beaucoup de patiente et de motivation en raison de la qualité scientifique des chercheurs, pour suivre leur débat lorsqu'on est un néophyte)
Je ne sais pas si je suis autorisé à poster un ensemble d'articles aussi longs
Je n'ai pas trouvé un meilleur compte rendu des débats en cours sur grioo (sauf erreur de ma part), c'est pourquoi je m'aventure à vous poster ces textes chers grioonautes. J'attend vos réactions et notamment celle de Soundjata dont je suis triste de ne plus lire la prose... C'est déjà la rentrée Soundjata et vous nous manquez. Revenez siouplait. .
Bonne lecture aux motivés. (désolé pour la qulalité du copié-collé, je pense que les textes sont quand même lisibles)
Cette courte réflexion sur l’afrocentrisme
n’est pas un compte rendu classique, même
si elle a d’abord été suscitée par les deux
excellents ouvrages de Stephen Howe (1998)
et de Jean-Pierre Chrétien, François-Xavier
Fauvelle-Aymar et Claude-Hélène Perrot
(2000). Elle est aussi influencée par d’autres
lectures plus ou moins récentes, notamment le
livre de Wilson Moses 1. Elle est enfin le fruit
d’une expérience quotidienne d’enseignement
dans une université américaine.
Je m’attacherai d’abord à explorer les contours
du débat autour du concept d’afrocentrisme,
et en particulier à montrer comment l’élasticité,
si souvent porteuse d’originalité en sciences
sociales, peut se transformer en un véritable
dialogue de sourds. Ensuite, il faudra repositionner
l’afrocentrisme dans son contexte
de discussion épistémologique somme toute
ordinaire. Et, enfin, il s’agira de rappeler
que l’afrocentrisme signifie souvent des choses
différentes dans les contextes africain, américain
et européen, sous l’emprise de différentes
situations politiques et sociales.
L’ouvrage de Howe a été accueilli comme un
pendant plus académique que nombre d’autres
réactions à Black Athena de Martin
Bernal 2. L’auteur accuse l’afrocentrisme d’être
une version exagérée de l’ethnonationalisme,
d’être bâti sur un projet politique confus incapable
de choisir entre séparation et intégration,
et dont les conclusions sont dangereuses
en ce qu’elles confortent un racisme à rebours
et un repli passéiste. Howe ne reconnaît pas
les divisions internes majeures qui traversent
ce débat et le réduit finalement à la figure de
Molefi Asante comme emblème de l’afrocentrisme.
Toutefois, le ton inutilement polémique
et discourtois de l’ouvrage renvoie souvent le
lecteur à des interrogations sur les intentions
réelles de l’auteur et sur la source de son animosité.
Cependant, la contribution du même Howe
à l’ouvrage de Jean-Pierre Chrétien et al.
(pp. 295-316) fait justice à la profondeur
historique de la tradition afrocentriste, mais
la relativise dans le concert banal des débats
soulevés par les subaltern studies autour du
postmodernisme, du postcolonialisme, etc.
HOWE (Stephen)
AFROCENTRISM.
Mythical Past and Imagined Homes
Londres, Verso, 1998, 337 pages.
CHRÉTIEN (Jean-Pierre),
FAUVELLE-AYMAR (François-Xavier),
PERROT (Claude-Hélène) (dir.)
AFROCENTRISMES.
L’histoire des Africains entre Égypte et Amérique
Paris, Karthala, 2000, 402 pages.
Le point de vue de Mohamed Mbodj
Afrocentrismes rassemble dix-huit contributions
originales s’attachant à relier les versants
africains et américains de l’afrocentrisme à
travers la plupart des champs d’investigation
des sciences sociales. Le projet central est
d’exposer comment les « afrocentrismes particuliers
sont connectés, reliés les uns aux autres
par des liens généalogiques, institutionnels,
individuels, contextuels» (p. 19). Les méthodes
ne sont pas homogènes, bien sûr, mais ce
qui unit les textes est un scepticisme général
par rapport aux thèses afrocentristes ainsi
que le refus d’une « contre-tradition scientifique
qui ne serait plus d’inspiration universaliste
». La plupart des auteurs s’attachent
aussi à se démarquer d’un amalgame dont le
trait forcé pourrait entraîner une réaction de
rejet, en particulier en Afrique. La présentation
des thèses afrocentristes n’est pas réduite
à leurs aspects les plus réducteurs. Enfin, les
auteurs s’écartent d’une discussion détaillée
(«pied à pied») pour, surtout dans la première
partie, engager le débat sur la philosophie de
l’histoire, débat auquel invitent en particulier
les travaux de Cheikh Anta Diop.
Cependant, le projet n’aboutit pas totalement.
Par exemple, les liens institutionnels
annoncés ne sont pas exposés. Ensuite, penser
que, « pour s’affranchir de leur blancheur
suspecte, et pour flatter une frange de leur
clientèle africaine (lecteurs, étudiants, contacts
divers), certains journalistes et universitaires
trouvent aux théories afrocentristes les plus
douteuses des circonstances atténuantes »
(p. 21), consiste à déplacer les responsabilités
et à nier toute capacité de persuasion
propre aux théories afrocentristes. Cette tendance
à ne pas reconnaître une certaine
capacité de conviction à l’afrocentrisme (ou
à certains de ses aspects) est d’ailleurs une faiblesse
partagée par les différents auteurs de
l’ouvrage. En particulier, elle ne reconnaît
pas que le besoin de cohésion idéologique de
tout groupe dominé est vital à sa survie, ni
que, pour l’instant, aucune construction sociopolitique
à l’occidentale n’a fourni le cadre
adéquat à ce besoin de cohésion de la diaspora
africaine. L’afrocentrisme joue en partie
ce rôle de pourvoyeur d’ethos. Après tout,
l’histoire n’a d’utilité que si elle peut être
manipulée.
La définition incertaine ou largement ouverte
du terme d’afrocentrisme et de ses dérivés permet
à chaque intervenant d’élaborer son propos
et d’y mettre le contenu qui lui convient.
La plupart des encyclopédies ignorent le terme
ou le définissent en une phrase telle que « centré
sur l’Afrique ». Plus prolixe, l’Encyclopedia
Africana de Kwame Anthony Appiah et
Henry Louis Gates présente l’afrocentrisme
comme « l’étude de l’Afrique à partir d’une
perspective non-européenne», avant de faire
le distinguo entre une version modérée, intéressée
à « redécouvrir les accomplissements
des Africains et des Afro-Américains pour
rétablir la place légitime de l’Afrique dans
l’histoire universelle », et une version extrémiste,
voire raciste, qui prône « la supériorité
indiscutable des peuples noirs 3 ». Cette distinction
présente une des toutes premières
difficultés. Car, si un grand nombre d’intervenants
se reconnaissent dans la première
version, tandis qu’en face certains l’acceptent
comme légitime, beaucoup de critiques, et
en particulier Howe, insistent sur le second
aspect pour dépeindre l’afrocentrisme. Le
terme «afrocentrisme-afrocentrique» est souvent
attribué à M. Asante. C’est le cas dans
l’Encyclopedia Africana (2000, p. 45), mais
le terme semble remonter au moins au début
des années 60. Wilson Moses (1998, pp. 1-2)
«Ne pas reconnaître
une certaine capacité de conviction
à l’afrocentrisme est une faiblesse
partagée par les différents
auteurs de l’ouvrage.»
Politique africaine n° 79 - octobre 2000
Autour d’un livre 167
suggère de l’attribuer à William E. Bois qui,
en 1961, dans la première mouture de son
projet d’encyclopédie africaine, le décrit
comme « afro-centric, mais non indifférent à
l’impact du monde extérieur sur l’Afrique, ni
à l’impact de l’Afrique sur le monde extérieur
». Du Bois prévoit de faire réaliser son
projet par des chercheurs africains à partir
d’une perspective africaine, mais en consultation
avec leurs collègues non-africains. On
sait qu’il n’en eut pas le temps. Sachant que
ce projet a été élaboré de longue date, on peut
donc situer l’origine de ce concept du premier
tiers du XXe siècle. Moses souligne ironiquement
que lorsque M. Asante s’empare du concept,
il taxe Du Bois de non-afrocentrique. Donc,
en reliant étroitement le terme aux débats
des années 80-90, on réduit souvent le champ
historique approprié.
Ma position est que l’afrocentrisme est un
lieu de rencontre entre les idéologies panafricanistes
et racialistes élaborées à partir du
milieu du XIX e siècle. Du panafricanisme procèdent
les idées d’identité commune et de solidarité
entre tous les peuples noirs, la croyance
en une personnalité unique, l’exigence d’une
réhabilitation de l’histoire africaine, et enfin
la foi dans un futur unifié et prospère. De
l’aspect racialiste, on peut retenir les influences
divergentes de deux écoles de pensée dont
l’adoption pèse lourdement sur le type d’afrocentrisme
: la vision évolutionniste suggère
une sorte de course de relais entre les races
ou peuples qui prendraient tour pour dominer
l’histoire de l’humanité sans qu’aucun ne
soit naturellement supérieur aux autres ; la
vision téléologique suggère une supériorité
inhérente ou de nature divine d’un groupe qui
finirait par s’imposer sur les autres.
Cette divergence est importante car elle oppose
une vision historiciste, relativiste et ouverte à
une vision essentialiste, absolutiste et fermée.
Néanmoins, les afrocentristes éprouvent souvent
une grande difficulté à choisir une approche,
car, s’ils conçoivent une gloire précoce
de l’Afrique, ils veulent aussi lui réserver la
figure rédemptrice de la victime. On peut
dire que le problème repose surtout sur la
manière non encore clairement établie de
combattre un eurocentrisme historiquement
constitué. Évidemment, la position qui consiste
à isoler l’Afrique et les Africains dans une
vision essentialiste ne fait que retourner une
image à peine déformée du phénomène
dénoncé à juste titre dans un premier temps.
La tendance à prétexter qu’on utiliserait les
mêmes armes que l’adversaire ignore que le
traitement analogique est réducteur et répétitif;
c’est d’ailleurs là un des arguments essentiels
de l’ouvrage dirigé par J.-P. Chrétien et al.
Et cela est possible, comme je l’ai déjà dit,
parce que l’histoire du concept est limitée à
ce que l’on peut appeler les constituants, ou
protagonistes, visibles. En effet, une revue
d’ensemble de la littérature critique de l’afrocentrisme
montre que la plupart des auteurs
pensent avoir fait le tour de l’histoire du
concept lorsqu’ils invoquent Cheikh Anta Diop,
Chancellor Williams, Yosef Ben-Jochannan,
Maulana Ron Karenga, Ivan van Sertima et
Molefi Asante, pêle-mêle ou dans un ordre
quelconque (à cette liste beaucoup ajoutent
maintenant M. Bernal, alors que L. Jeffries a
tendance à disparaître). En quelque sorte, il
semble que l’afrocentrisme soit limité à sa
dimension immédiate, et qu’il soit le produit
direct de la lutte pour les droits civiques aux
États-Unis et pour l’indépendance en Afrique
(deuxième moitié du XX e siècle). Lorsque des
prédécesseurs sont associés à cette liste, on y
retrouve Edward W. Blyden, Marcus Garvey,
« L’afrocentrisme est un lieu
de rencontre entre les idéologies
panafricanistes et racialistes
élaborées à partir du milieu
du XIX e siècle. »
ou William E. Du Bois, mais comme icônes ou
figures référentielles. Il s’agit là, selon moi,
d’une démarche permettant à la discussion
d’emprunter plus facilement la dimension
politique ou idéologique, racisme et racialisme
inclus; et en particulier d’insister sur les motivations
ou les intentions, appréciées ou dénoncées,
imaginaires ou réelles, des intervenants,
en particulier le côté racialiste ou raciste du
concept dont l’objet éminemment politique
est ainsi mis en exergue – par exemple, on ne
peut s’empêcher de penser qu’une partie des
vives réactions suscitées par M. Bernal est
due à ses origines judéo-européennes et à son
statut professionnel ; qu’on le dise ou non, il
représente le meilleur des alliés ou le pire des
traîtres possibles pour les afrocentristes et leurs
détracteurs. Cependant, cette attitude conforte
la tendance à la surenchère paradoxalement
dénoncée par ailleurs. Après tout, y a-t-il une
éthique de la lutte pour les droits civiques et
pour la promotion de l’indépendance ?
Enfin, je voudrais souligner que si la volonté
des afrocentristes d’être des auteurs plutôt que
des consommateurs d’«Histoire», et en particulier
de la leur, ne doit pas être exagérée, elle
ne doit pas non plus être sous-estimée. Dans
cette perspective, il ne faudrait pas exagérer
la lecture séparatiste, car c’est bien à une philosophie
universaliste de l’histoire qu’appellent
la plupart des afrocentristes, qui donnerait
bien entendu les bons rôles à l’Afrique noire et
à sa diaspora. C’est là une opinion à propos de
Diop que j’ai déjà développée ailleurs.
Toutefois, je pense que donner plus d’épaisseur
historique et contextuelle au débat permettrait
de l’enrichir. Cela permettrait en particulier de
déplacer la question des motivations ou des
intentions de l’afrocentrisme, et de la mettre
en relation avec les développements d’une
historiographie somme toute traditionnelle et
certainement plus ancienne que celle des
années 50. Dans cette perspective, Moses a
raison de rappeler que l’on ne peut pas faire
l’histoire de la pensée afrocentriste sans se
référer à l’influence pionnière de Franz Boas,
Melville Herskovits et Bronislaw Malinowski 4.
Boas a établi le relativisme culturel et le multiculturalisme
comme phénomènes sociaux
dominants. Herskovits a démontré la rétention
historique de la culture africaine chez les
Noirs américains. Pour sa part, Malinowski
suggère que cette rétention est permanente et
que la solution des relations raciales tendues
en Amérique passe par la prise en compte de
cette réalité dans toute politique d’intégration.
Aujourd’hui, si l’on peut aisément retrouver
ces aspects chez les afrocentristes, en
faire leur propriété exclusive est assurément
erroné. Comme il est erroné de penser que le
débat est spécifiquement américain.
C’est dire qu’il convient d’être prudent face
à la volonté des adeptes de l’afrocentrisme de
créer un discours unifiant les destinées de tous
les «Africains» du continent et de la diaspora.
Également réductrice est la tendance des critiques
de l’afrocentrisme à sous-entendre une
réception unanimiste des Africains et de la
diaspora. Ce qui est difficile, car le débat
sur l’afrocentrisme est quelque peu prisonnier
de l’éternelle contradiction entre essentialisme
et relativisme, entre intégration et
séparation, etc. En revanche, il est important
de débattre sur la question de savoir si la fin
justifie les moyens, ou, en d’autres termes, si
les prémisses de la conclusion à obtenir doivent
l’emporter sur la recherche du consensus
scientifique. C’est là le point le plus faible de
l’argumentaire afrocentriste, en ce que ses
conclusions sont souvent largement contenues
168 LECTURES
« Le point le plus faible
de l’argumentaire afrocentriste
est que ses conclusions
sont souvent largement
contenues dans les prémisses
de ses énoncés. »
Politique africaine
Autour d’un livre 169
dans les prémisses de ses énoncés. Il faut y
ajouter la pratique qui consiste aussi quelquefois
à combler les vides par des hypothèses,
dont la seule justification est souvent une vision
statique des « types » raciaux. À ce propos,
il me paraît pour le moins maladroit d’utiliser
les arguments des auteurs racistes dont on
veut justement combattre les idées. Enfin, si la
question des origines est très importante, les
phénomènes d’influence mutuelle et les processus
ultérieurs semblent l’être davantage
encore.
Mohamed Mbodj
Columbia University/Manhattanville College
à l’évidence, l’afrocentrisme, tel qu’il se
dégage de ces livres, est une affaire afroaméricaine
d’aujourd’hui et qui doit le rester.
Mais ses origines sont anciennes, tout autant
européennes qu’africaines bien entendu.
A priori, toutes les démonstrations des ouvrages
en question sont impossibles à discuter en
détail, à moins d’avoir une compétence certaine
(ce qui est le cas de W. van Binsbergen)
ou une érudition plus érudite encore que celle
de S. Howe ou de la quinzaine d’auteurs
réunis par J.-P. Chrétien, F.-X. Fauvelle-Aymar
et C.-H. Perrot. Il faut donc aborder ce thème
à partir du lieu qui nous réunit, Politique
africaine, et s’interroger sur l’africanisme ou
l’africanité de cette littérature, de ces mouvements,
de ces polémiques.
La culture africaine moderne des dix dernières
années est mondialisée, métissée mais
aussi réfugiée et violentée. C’est la culture des
populations de la « brousse », de la jeunesse
des écoles et des populations informelles
urbaines. C’est celle des feuilletons radiotélévisés
tout autant que celle des intellectuels,
des spécialistes en sciences sociales ou encore
1. W. J. Moses, Afrotopia. The Roots of African American
Popular History, Cambridge, Cambridge University
Press, 1998.
2. M. Bernal, Black Athena. The Afroasiatic Roots of
Classical Civilization, vol. 1 (1987), The Fabrication
of Ancient Greece, 1785-1985, vol. 2 (1991), The
Archaelogical and Documentary Evidence, New Brunswick,
Rutgers University Press.
3. Voir R. Fay, «Afrocentrism », in K. A. Appiah et
H. L. Gates jr (eds), Africana. The Encyclopedia of the
African and African American Experience, New York,
Basic Civitas Books, 1999, p. 45.
4. Cette liste a accessoirement l’utilité de poser à la fois
le problème des origines du racisme antisémite ou/et
anti-européen de certains afrocentristes et celui de la
légitimité académique du thème de la spécificité de
l’Afrique noire et de sa diaspora.
Le point de vue de Jean Copans
des écrivains et des gens de culture. Qu’estce
que cette culture justement a à voir avec
ce torrent de chauvinisme, d’ignorance,
d’irrationalité et de charlatanisme, en un mot
d’irresponsabilité, que semblent constituer
les afrocentrismes (le pluriel me paraît très
important) tels qu’ils se dégagent de ces deux
ouvrages ? Certes, aux yeux des afrocentristes,
j’accomplis ce qui doit être le péché
suprême puisque, en tant qu’africaniste blanc,
je défends avec les Africains (mais non à
leur place comme le font si allègrement les
afrocentristes) l’image d’une histoire africaine
qui a d’abord des comptes à rendre à
l’Afrique de maintenant et non à celle de
l’époque coloniale, aux Africains concernés
par l’histoire des populations africaines anonymes
de tout le continent et non à ceux
mobilisés par la seule histoire de quelques
pharaons d’Égypte, ou enfin aux Africains qui
n’ont pas à copier les fantasmes occidentaux
quant aux sources exactes de l’origine
de leur propre civilisation (contrairement aux
Afro-Américains, incapables d’assumer leur
américanisation pluriséculaire).
Les auteurs de ces deux ouvrages révèlent
aux spécialistes de l’Afrique noire le délire
dont ils risquent de devenir les victimes prochaines.
N’ai-je pas eu cette année dans un
cours de licence d’ethnologie consacré aux
sociétés africaines une étudiante bien blanche
et bien picarde qui m’affirmait avec force
que c’étaient en effet les Africains qui avaient
peuplé le continent américain ! J’avais très
vaguement entendu parler des élucubrations
d’Ivan van Sertima mais, n’ayant pas encore
lu ces deux ouvrages, je n’avais pas pris cette
affirmation très au sérieux. Aujourd’hui, je ne
réagirai certainement pas de la même manière,
c’est-à-dire avec une désinvolture sceptique
et amusée, et je prendrai très au sérieux une
déclaration de ce genre.
Je me dois donc de remercier d’emblée et
publiquement tous ces collègues de m’avoir
informé très précisément et très intelligemment
d’un danger que nous avons mis du
temps à déceler. C’est d’ailleurs le sens que
je donne à la conclusion de la contribution de
B. R. Ortiz de Montellano à Afrocentrismes,
consacrée à la prétendue origine africaine de
l’art olmèque au Mexique : « […] l’establishment
anthropologique et archéologique a
largement ignoré ou sommairement congédié
ses affirmations [celles de I. van Sertima],
permettant à ses idées de se diffuser sans
vérification au sein de la communauté afroaméricaine
» (pp. 264-265).
Deux questions méritent une discussion en
profondeur : la première porte sur les conditions
de production des idéologies chauvines,
ethniques, racistes, racialistes et nationalistes
aussi bien en Amérique qu’en Europe et évidemment
en Afrique. La seconde porte sur le
rôle assumé, volontairement ou non, par les
producteurs de connaissances, sur le recours
systématique à des discours soi-disant scientifiques
pour justifier, valoriser et protéger de
telles idéologies, et surtout sur les intérêts et
la volonté de pouvoir de ceux qui les diffusent
et les appliquent. Stephen Howe déploie avec
ironie et humour une prodigieuse érudition,
mais il lui manque parfois un esprit de synthèse.
Il nous offre un jeu de rapprochements absolument
saisissants entre vieilles idées européennes,
historiographies afro-américaines (et
même américaines) et tous les courants de
critique culturelle (ou de soi-disant critique)
ayant eu cours aux États-Unis ces trente dernières
années. Afrocentrismes complète cette
entreprise ou la précise à propos de thématiques
africaines, brésiliennes et antillaises
(françaises). Ceux qui ont oublié nos divagations
coloniales (sinon colonialistes et
racistes) seront surpris, mais le seront surtout
ceux qui auraient oublié l’origine purement
eurocentrique de ces nationalismes, racismes
et culturalismes essentialistes – S. Howe ou
encore J.-P. Chrétien, dans sa contribution
intitulée « Les Bantu. Des Indo-Européens
noirs?», nous le rappellent avec force citations
et insistance.
Il manque toutefois, pour le lecteur peu cultivé,
afrocentré naïf ou africaniste bienveillant,
une contextualisation historique et conceptuelle
plus globale. Howe est typiquement
anglo-saxon, puisqu’il ne conclut ses trois cents
pages que d’une page, alors que l’ouvrage
Afrocentrismes, malgré sa remarquable introduction
collective, reste éclaté entre la quinzaine
de pistes ouvertes. Un utile retour en
arrière consisterait à lire A.-M. Thiesse et sa
récente synthèse, La Création des identités
nationales. Europe XVIII-XX e, qui nous rappelle
toutes les turpitudes ethnologiques et historiques
fabriquées très volontairement et
consciemment par les spécialistes et savants
« Il manque,
pour le lecteur afrocentré naïf
ou africaniste bienveillant,
une contextualisation historique
et conceptuelle plus globale. »
Politique africaine
de ces époques pour justifier les revendications
nationales et ethniques d’États en gestation1.
L’histoire sociale et la sociologie historique
permettraient de contextualiser une quête
érudite tout à fait justifiée et nécessaire, mais
qui oublie parfois les raisons d’être récurrentes
de ce genre de discours. Howe reconnaît
bien cette lacune, tout en évoquant la situation
de l’élite afro-américaine qui compense par
l’afrocentrisme les dernières vingt années de
recul du mouvement des droits civiques.
Nous ne disposons cependant pas des mêmes
éléments pour comprendre l’africanisation
possible de cet afrocentrisme. En effet, nous
ignorons à peu près tout de l’opinion des
« africanistes » africains sur cette question.
Si S. Howe et F.-X. Fauvelle-Aymard analysent
la pensée de Cheikh Anta Diop et de certains
de ses épigones (comme T. Obenga), voire de
certains ethnophilosophes, aucun historien
africain ne présente de contribution dans
Afrocentrismes. Quelle qu’en soit la raison,
cette situation n’est pas normale, même si un
tel ouvrage peut se placer dans la filiation
des travaux de V. Mudimbe, et il manque une
dimension historique et politique à ces évocations.
Car il existe tout un courant d’africanité
nationaliste ou panafricaine qui débat depuis
une dizaine d’années, notamment au sein du
Codesria, et qui, tout en se tenant à une certaine
distance de l’afrocentrisme défini comme
américain, critique plus ou moins fortement
les études africaines, voire les sciences sociales
classiques considérées comme intrinsèquement
occidentales ou encore coloniales dans leur
conception et surtout leurs objets.
Une typologie grossière permettrait de spécifier
trois positions. Tout d’abord, celle des
chercheurs faisant l’éloge de l’africanité (par
opposition à l’afrocentrisme) qui doit dissoudre
les études africaines puisque, en Afrique, il ne
peut y avoir de spécialiste africaniste par
définition. On pourrait distinguer ici une version,
très agressive, de l’anticolonialisme
réchauffé et aux références dépassées telle
que celle défendue par A. Mafeje, et une version
plus synthétique et à jour des recherches
africanistes mais s’efforçant néanmoins de
préserver le droit à une prééminence « africaine
». On pourrait résumer cette sensibilité
par l’expression : « Les études africaines aux
africains 2 » ! P. T. Zeleza n’évoque d’ailleurs
qu’une fois, et de manière sibylline, les fantaisies
de l’afrocentrisme dans son gros
ouvrage critique Manufacturing African
Studies and Crises ; c’est au moment de sa
lecture du philosophe K. A. Appiah, lui-même
critique acerbe de ce soi-disant retour à
l’Afrique noire. Paradoxalement, P. T. Zeleza
est un historien malawite installé aux États-
Unis.
La deuxième position serait celle du ghanéen
Kwesi K. Prah, qui vit aujourd’hui en Afrique
du Sud, et qui est partisan d’un afrocentrisme
raisonnable. En réalité, selon ce dernier, il
existerait une approche commune, le fait de
se référer à un point de vue prenant l’Afrique
noire comme point de repère, mais qui se
dédouble ensuite en deux afrocentrismes, l’un
véritable et scientifique, l’autre faux et mystificateur.
Prah regrette le poids incontournable
des études africaines occidentales tout
en reconnaissant leurs acquis. Pour ce faire,
il se fonde sur les grandes traditions sociologiques
occidentales (Marx, Weber, Durkheim)
qui définissent le projet indépassable des
véritables sciences sociales. Ce rationalisme
sociologique et anthropologique (Prah reconnaît
l’importance de cette dernière discipline,
« Ce qui frappe,
dans la production de tous les
auteurs mis en lumière et en cause,
est le non-professionnalisme
scientifique, l’autodidactisme
de leurs méthodes et de leurs
connaissances. »
et il s’agit là d’une opinion plutôt minoritaire)
relativise la «pureté» de l’africanité de Prah, qui
manifeste du coup une certaine ambiguïté.
Enfin, se situant au-delà de tout afrocentrisme
ou africanité, nous trouvons Achille Mbembe.
La critique de l’africanisme occidental a conduit
les chercheurs africains, selon lui, à créer un
ghetto de l’identité géographique: l’afrocentrisme
(américain) et l’africanisme (à la Mafeje)
ne permettent pas de comprendre la mondialité
de l’Afrique noire d’aujourd’hui. Prolongeant
ses éditoriaux du Bulletin du Codesria, A. Mbembe
analyse de manière très subtile les « [...] deux
courants idéologiques, instrumentalistes et réducteurs,
qui prétendent parler “au nom” de toute
l’Afrique 3 ». Je rappelle ici ses définitions: «
Le premier courant – qui par ailleurs se présente
volontiers comme radical et progressiste – s’est
appuyé sur des catégories d’inspiration marxiste
et nationaliste pour développer un imaginaire
de la culture et du politique dans lequel la manipulation
de la rhétorique de l’autonomie, de la
résistance et de l’émancipation sert de critère
unique de légitimation du discours africain
authentique» [dans la note 10 placée ici, l’auteur
signale comme l’un des lieux producteurs
de cette idéologie... le Codesria lui-même !].
«Le deuxième courant s’est développé à partir
d’une exaltation de la différence et de la
condition native. Il prône l’idée d’une identité
culturelle africaine singulière dont le fondement
serait l’appartenance à la race noire.» Pour
autant que j’ai le droit de donner mon avis sur
un débat afro-africain, je rappelle que je partage
entièrement le point de vue de Mbembe
quant aux débordements et dangers des afroafricanocentrismes.
Je me permettrai pourtant de compléter
sur ce point les analyses de S. Howe ou de
F.-X. Fauvelle-Aymard à propos des cas
L. S. Senghor et C. A. Diop. Lorsque nous
découvrîmes, en écoutant S. Hymans, que le
chantre du « racialisme » culturel de la négritude,
L. S. Senghor, avait trouvé ses cadres
formels d’inspiration au cours des années
20-30 dans la lecture des œuvres de l’écrivain
chauvin d’extrême droite M. Barrès et du philosophe
chrétien très occidentalo-centré J. Maritain,
et que l’initiateur de ces lectures avait été son
condisciple de khâgne G. Pompidou, le ciel
nous tomba littéralement sur la tête. En 1965
ou 1966, nous ne percevions que des divergences
idéologiques et politiques entre F. Fanon
et L. S. Senghor. L’idée d’une telle « coupure
épistémologique » nous était insupportable,
d’autant que ce rappel à l’ordre venait d’un
Américain! Quant à Diop, il faudrait le considérer
comme l’éternel concurrent, intellectuel
et politique, de Senghor, et un concurrent,
qui plus est, malchanceux. Fauvelle suggère
d’ailleurs cette lecture dans son article, intitulé
très pertinemment «C. A. Diop, ou l’africaniste
malgré lui ».
En fait, l’intelligentsia sénégalaise tient deux
discours sur Diop. Officiellement, il est le père
à tous (d’où le nom de l’université de Dakar),
le héros fondateur impossible à critiquer et à
remettre en cause. Le « diopisme » version
pré-afrocentriste se présente comme une idéologie
naturelle et procure un prestige universel
à peu de frais. Tous les écrits des uns et des
autres sont là pour le confirmer. Mais si l’on
passe aux sources orales, aux discussions de
couloir, de colloque, de café ou de salon, les
choses changent alors drastiquement. Je puis
témoigner que, depuis trente ans, et tout en
protégeant l’identité et l’amour propre des
universitaires concernés, je ne compte plus les
collègues et amis sénégalais qui vivent cette
référence obligée comme un fardeau et nous
envient, nous les non-Sénégalais (ou les non-
Africains), de pouvoir remettre à sa juste
« On ne peut analyser
avec les mêmes outils
l’afrocentrisme idéologique
et l’afrocentrisme savant. »
Politique africaine
place l’histoire et la linguistique mythique « à
la Diop », de ne pas céder au chantage des
Africains ou des Afro-Americains jaloux de
la soi-disant prescience sénégalaise. Ainsi
les travaux des historiens et sociologues de
« L’École de Dakar » sont-ils d’une remarquable
qualité professionnelle et rationnelle
(et à cent lieux de l’irrationalisme historique
des afrocentristes), même si certains points
communs idéologiques peuvent les rapprocher
des thématiques de C. A. Diop. Ces convergences
trouvent leurs origines dans une configuration
socio-historique et culturelle commune,
comme j’ai essayé de le montrer il y
a presque dix ans 4, et non dans la volonté
de défendre une problématique explicative
similaire.
Ce qui frappe, dans la production de tous
les auteurs mis en lumière et en cause, est le
non-professionnalisme scientifique, au pire ou
au mieux, l’autodidactisme de leurs méthodes
et de leurs connaissances. Certes, il ne faut
pas traiter de la même manière M. Bernal et
I. van Sertima, mais enfin Bernal est parfois
bien léger, ou prétentieux, dans ses démonstrations.
C’est ici que la science de la réception
critique, branche bien connue de la critique
littéraire, est utile. Howe la conduit le plus
loin possible mais, de son propre aveu, il y
manque la sociologie ou même l’ethnographie
car, dans le cas de l’afrocentrisme, qu’il soit
populaire ou prétendument érudit, il ne lui
reste plus que l’écrit. Il doit se fonder, en effet,
sur des sources secondaires pour reconstituer
l’histoire sociale de la diffusion de ces
travaux et de ces écrits. Mais autant le point
a été fait et continue d’être fait sur les
recherches de M. Bernal (voir la contribution
de P. Carledge sur ce dernier dans Afrocentrismes,
pp. 47-63), autant l’élucidation des
tenants et aboutissants de l’afrocentrisme militant
et afro-américain relève d’une véritable
enquête policière. Howe n’a pas mené d’enquête
de terrain sur ce point, et l’on sent bien
là toute une dimension « activiste » qui ne
peut être mise à jour que par des entretiens,
des discussions ou même des observations
(des conférences publiques, des cours des
écoles afrocentrisées, etc.). Bref, on ne peut
analyser avec les mêmes outils et surtout avec
les mêmes types de sources d’information
l’afrocentrisme idéologique et l’afrocentrisme
savant, l’afrocentrisme de la supériorité africaine
intrinsèque et l’afrocentrisme de l’Égypte
archéologique.
Si nous voulons aller au fond du problème,
il faut évoquer quelques conceptions méthodologiques
concernant l’histoire. Howe se
moque un peu du militantisme historiographique
des défenseurs de l’Afrique noire,
comme s’il fallait rappeler la nécessité du discours
historique quand on examine son passé
(pp. 124-125). Mais on voit à ce genre d’«humour
anglo-saxon » que Howe n’a jamais
eu à affronter le terrain concret de la reconstruction
d’un passé le plus souvent oral, pas
encore très archéologique dans les années
60-80, et surtout si longtemps bafoué par la
science occidentale et par les acteurs africains
eux-mêmes, concédant souvent l’existence
d’un passé bien primitif et linéaire. On ne
badine pas avec l’histoire africaine, et c’est
cette longue irresponsabilité qui explique en
partie le succès de l’afrocentrisme. Mais on
ne badine pas non plus avec les méthodes des
sciences sociales, comme semble l’accepter
W. van Binsbergen. Comment peut-on en
effet affirmer, comme le fait ce dernier, « [...]
quel que soit le vice de forme qui affecte le
projet de Bernal, il est plus que compensé
« Le succès de l’afrocentrisme
tient à l’absence d’ouvrages
de vulgarisation
et de popularisation de qualité,
des “découvertes” de l’histoire
et de l’anthropologie africaines. »
par l’étendue de son champ de vision » ? Les
bonnes idées ne peuvent rattraper les méthodes
inadéquates ; j’ai même tendance à penser
l’inverse. Car la large discussion autour
de Bernal pose par définition un problème de
méthode de production des connaissances, ce
qu’admet toutefois W. van Binsbergen dans
le paragraphe suivant. C’est cette discussion,
avec ses préjugés et ses lacunes, qui me
semble exemplaire, et par ricochet les deux
livres que nous avons en lecture. Certes, cette
discussion a déjà quelques années derrière
elle, mais le débat idéologico-scientifique
constitue un élément intrinsèque des études
africaines depuis au moins un demi-siècle, et
il est remarquable que, pour une fois, nous
disposions d’une intervention française de
qualité avant que le débat ne soit clos.
Au-delà des contraintes idéologiques incontournables,
il convient de rappeler avec force
le droit à la rigueur de la preuve, de l’explicitation
des conditions de production et de
fabrication des données, de la conceptualisation
raisonnée du comparatisme, du respect
des points de vue divergents. Enfin, si la prudence
va de soi, il paraît évident à la lecture
de ces textes que le succès de l’afrocentrisme
tient pour partie à l’absence criante d’ouvrages
de vulgarisation et de popularisation
de qualité, aussi bien en anglais qu’en français,
des « découvertes » de l’histoire et de
l’anthropologie africaines. La science n’a
jamais fait reculer le racisme, comme l’atteste
l’emprise encore récente et actuelle de
l’idéologie d’extrême droite en France (et les
nombreux travaux sur la « vérité» de la place
et du rôle des populations immigrées), mais
elle peut contribuer à aider les « damnés de
la terre » à mieux penser le monde qui leur
dénie encore une existence normale. Pour
S. Howe, l’afrocentrisme est le rêve éveillé
du racisme blanc. Qu’on me permette de
citer la dernière page de son livre : « [...]
aucune des idées qui ont été l’objet central de
cet ouvrage n’offrent la base pour une quelconque
stratégie qui puisse améliorer le sort
des pauvres, des opprimés et des exclus, que
ce soit en Amérique du Nord, en Europe ou
en Afrique. Ces derniers méritent plus que
n’importe qui d’autre, une information précise
à propos du monde où ils vivent, s’ils
tiennent un jour à le transformer » (p. 285).
Les peuples africains et leurs descendants à
travers le monde ont comme les autres peuples
le droit à la Raison, une Raison humaine et
universelle et non ethnique, «noire» et raciste.
Il serait dommageable pour l’histoire africaine
que l’afropessimisme occidental du
chaos des années 90 débouche sur la sublimation
fantasmatique nègre et racialiste d’un
afrocentrisme irresponsable d’origine américaine.
La fuite des cerveaux africains vers
l’Amérique du Nord peut conforter les désillusions
d’une décadence de l’université
africaine. Mais cela n’a rien à voir avec le
maintien des études africaines ou africanistes
scientifiques. Les sociétés africaines ont
tout autant que les autres sociétés de par le
monde le droit à des sciences sociales
méthodologiquement et épistémologiquement
fondées, quels que soient l’identité
nationale, la couleur de la peau ou le genre
de celles et ceux qui les élaborent. Cette
conclusion peut sembler bien grandiloquente
et ringarde, mais ces deux ouvrages en
confirment l’extrême actualité.
Jean Copans
Université de Picardie-Jules Verne (Amiens)
« On ne badine pas
avec l’histoire africaine,
mais on ne badine pas non plus
avec les méthodes
des sciences sociales. »
Politique africaine
1. A.-M. Thiesse, La Création des identités nationales.
Europe XVIII-XXe, Paris, Le Seuil, 1999.
2. Lire A. Mafeje, «L’africanité: une ontologie de combat»,
Bulletin du Codesria, n° 1, 2000, pp. 67-73. Voir également
ma critique de son point de vue anti-anthropologique
dans «Six personnages en quête d’un africanisme»,
Politique africaine, n° 69, mars 1998, pp. 89-108.
3. Voir notamment les derniers numéros des années
L’ouvrage de Stephen Howe est avant tout
un travail d’histoire intellectuelle, et sur ce plan
il fait montre d’une d’érudition remarquable.
L’ampleur de l’argumentaire et l’étendue des
lectures qui le sous-tendent sont tout à fait
impressionnantes. Afrocentrism est l’un des
premiers ouvrages à étudier en détail, depuis
ses plus lointaines origines jusqu’à ses ramifications
contemporaines et ses manifestations
les plus hautes en couleur, l’un des mouvements
intellectuels et politiques les plus
importants de notre époque. Il est indéniable
que l’auteur entend, avec ce livre, prononcer
une condamnation définitive de l’afrocentrisme.
Ce qui le motive, c’est de sonner l’alarme
face à ce que lui et d’autres (à commencer par
M. Lefkowitz 1) considèrent comme un dévoiement
des valeurs intellectuelles et morales au
nom d’une prise de conscience des Noirs,
notamment des Afro-Américains.
Certes, on ne peut qu’être d’accord avec Howe
(et Lefkowitz) lorsqu’il énumère les défauts
propres à ce phénomène: érudition médiocre,
amateurisme, approche autodidacte d’une
histoire grandiose et de thèmes comparatistes,
usage non systématique de sources et
de méthodes sérieuses, isolement manifeste
et délibéré des auteurs afrocentristes par rapport
aux débats actuels et à l’état des recherches
dans les domaines qu’ils abordent, basculements
occasionnels dans un racisme noir,
etc. Howe a, sur tous ces aspects, des choses
1999 et 2000 (« Ouvrir les sciences sociales », « Sortir
du ghetto : le défi de l’internationalisation», « La fin des
monologues »). Lire également l’article «À propos des
écritures africaines de soi », Politique africaine, n° 77,
mars 2000, pp. 16-43.
4. «Les noms du geér: essai de sociologie de la connaissance
du Sénégal par lui-même, 1950-1990 », Cahiers
d’études africaines, 123, XXXI (3), 1991, pp. 327-362.
Le point de vue de Wim van Binsbergen
très juste à dire. Mais je suis en désaccord
total avec lui en ce qui concerne l’ampleur du
rejet à opposer à l’afrocentrisme. Pour Howe,
l’afrocentrisme relève avant tout de ce que
nous appelions, à notre époque marxiste,
une fausse conscience, c’est-à-dire une perception
totalement erronée de la réalité, et
qui peut être expliquée par la trajectoire historique
suivie, au cours des derniers siècles,
par la collectivité chez qui se rencontre cette
représentation. Lorsque Howe juge l’afrocentrisme
tout bonnement intolérable, c’est parce
que, dans le contexte de politique de l’identité
où évolue le monde postmoderne, il n’est
plus politiquement correct, et même de moins
en moins politiquement possible, d’ignorer
publiquement ou de congédier les affirmations
afrocentristes – d’où leur influence grandissante
dans le système éducatif américain. Pour Howe
(p. 6) comme pour moi, la question centrale est
ici celle de la vérité de l’afrocentrisme.
Stephen Howe se pose lui-même comme étant
d’abord intéressé par la dimension politique
de l’écriture de l’histoire, mais il échoue à s’emparer
de la formidable question philosophique
de ce qui constitue la vérité dans l’analyse
historique. Et s’il persiste à désigner la
version afrocentrique de l’histoire comme
mythique, il manque malheureusement l’occasion
d’explorer les dimensions potentiellement
mythiques du courant principal de
l’historiographie.
une approche méthodologique capitale est
celle du «sens commun», qui consiste à recourir
à l’effet d’auto-validation de la simple logique
quotidienne et des concepts communs
(du moins dans le monde nord-atlantique,
ou occidental). Inévitablement (les perspectives
communes quotidiennes étant par définition
intersubjectives, partagées par d’autres et
reconnues comme telles), le recours au sens
commun joue en faveur des paradigmes considérés
comme admis à un moment précis dans
une discipline précise.
Le mérite de Bernal a justement été de nous
révéler l’immense portée historique et politique
de l’un de ces paradigmes, que le projet
Black Athena entendait détruire. Ce paradigme
est le suivant : « La culture grecque
classique fut pratiquement indépendante de
toute influence venue du Proche-Orient ancien
(Anatolie, Phénicie, Égypte, Palestine, Syrie,
Mésopotamie » (a).
Sur le même plan, trois autres paradigmes historiques
ont dominé la seconde moitié du
XX e siècle :
– «L’Égypte ancienne, bien que située en bordure
du continent africain, fut une civilisation
essentiellement non africaine, dont les
réalisations dans les domaines du religieux,
du social, du politique, de l’organisation militaire,
de l’architecture et des autres arts,
sciences, etc., furent largement originales, et
dont la dette, si tant est qu’elle existe, serait
plutôt en faveur de l’Asie occidentale que de
l’Afrique subsaharienne » (b).
– « L’Égypte ancienne n’a pas eu d’impact
profond, durable et donc repérable sur le
continent africain, et notamment en Afrique
subsaharienne » (c).
– « L’Afrique contemporaine est un patchwork
composé de nombreuses cultures locales
distinctes, chacune caractérisée par une
langue distincte et donnant naissance à une
identité ethnique distincte, à la lumière de
quoi une plus large perspective sur une continuité
culturelle du continent remontant au
Pour Howe, la part de vérité de l’afrocentrisme
est nulle. En d’autres termes, l’afrocentrisme est
entièrement mythique. Pour moi2, au contraire,
l’afrocentrisme contient, malgré ses défauts
endémiques, un embryon de vérité, sous la
forme d’hypothèses à tester au sujet de possibles
contributions que les Africains ont pu offrir
au développement planétaire de la culture
humaine. Cette position a d’importantes implications
politiques et critiques. Car s’il existe une
possibilité, même infime, que certaines thèses
afrocentristes (fussent-elles faiblement élaborées
et documentées) se trouvent validées une
fois reformulées de manière scientifique et éprouvées
dans les règles de l’art, alors le rejet intégral
de l’afrocentrisme n’est pas une attitude
aussi positive et éclairée que le dit Howe (et
Lefkowitz). Un tel rejet risque simplement
d’entériner le statu quo et de perpétuer le processus
d’exclusion que les Noirs, en Afrique
et en dehors, ont subi depuis des siècles. Il y
a ici un rôle à jouer pour un chercheur polémiste
sans ancêtres noirs ni africains et qui ne
peut être par conséquent soupçonné d’effectuer
un travail de conscientisation, mais qui
pourtant, pour des motifs scientifiquement
respectables, défend des positions semblables
ou identiques à celles des afrocentristes.
Martin Bernal est dans ce cas, et il est évidemment
dénoncé par Howe.
L’historiographie offre un certain nombre de
réponses toutes prêtes à cette question fondamentale:
selon quelle méthode, et avec quelles
validité et fiabilité construisons-nous nos
images du passé? Pour Howe, et pour d’autres
historiens qui se situent comme lui dans la tradition
empirique tout en étant suspects d’accorder
trop de crédit à la théorie systématique,
« Howe se pose comme étant
d’abord intéressé par la dimension
politique de l’écriture
de l’histoire.»
Politique africaine
plus ancien passé doit être reléguée dans le
règne de l’idéologie et de l’illusion » (d).
Formulés de cette façon, ces paradigmes,
bien que largement admis par les chercheurs
travaillant dans le contexte ainsi défini, sont
en principe des hypothèses testables. Quoiqu’ils
ne soient pas intrinsèquement idéologiques,
ils sont évidemment en conformité
avec la perspective nord-atlantique hégémonique
à l’égard du reste du monde. Ils postulent
un monde rigidement compartimenté,
en contradiction non seulement avec ce que
suggère notre expérience quotidienne de
la mondialisation mais aussi avec les flux,
bien démontrables, qui ont diffusé techniques
agricoles, armes, instruments de musique,
langues, systèmes de croyances (y compris les
grandes religions mondiales), systèmes formels
tels que jeux à damiers, méthodes divinatoires,
mythes et symboles, à travers tout le
continent africain et de façon continue (dans
une mesure considérable mais malheureusement
peu étudiée) avec le reste de l’Ancien
Monde, et même avec le Nouveau. Sous une
semblable segmentation, c’est toute une géopolitique
mythique qui se révèle : le mystère
et la mystique de l’Europe (et depuis plus
récemment, de l’Atlantique nord en général)
peuvent être conservées comme base d’un
solide pouvoir idéologique en faveur du colonialisme
et de l’hégémonie postcoloniale.
L’Égypte, l’Afrique, les cultures africaines restent
les derniers Autres, non seulement pour
l’Atlantique nord, mais aussi les unes pour les
autres ; une sorte de « diviser pour mieux
régner » conceptuel et géopolitique qui les
maintient dans une position. De même, le
courant principal de diffusion des phénomènes
culturels est défini comme allant du nord
vers le sud, tandis que l’idée indésirable
de contre-courants allant vers le nord est tout
simplement congédiée. Tout cela peut bien
être en effet un ensemble d’hypothèses à
tester, mais cela ressemble beaucoup à des
mythes géopolitiques.
Si l’on peut démontrer que nos quatre paradigmes
(de a à d) possèdent un potentiel
idéologique hégémonique (pour ne rien dire
de leur caractère totalement eurocentriste et
raciste), il est probable que les paradigmes
inverses (de a’ à d’) auront une charge idéologique
similaire mais opposée. Ces paradigmes
inverses mettraient plutôt l’accent sur
les continuités historico-culturelles :
(a’) entre la Grèce et le Proche-Orient ancien
(y compris l’Égypte ancienne) ;
(b’) entre d’une part les cultures préhistoriques
situées sur le continent africain au sud du tropique
du Cancer, et l’Égypte d’autre part ;
(c’) entre l’Égypte ancienne et les cultures
africaines postérieures ;
(d’) entre les cultures africaines contemporaines
prises dans leurs rapports mutuels,
même abstraction faite de l’influence de l’ancienne
Égypte.
Pour ma part, je soutiens que ces derniers
paradigmes contiennent une critique saine
et sérieuse des fausses idées d’hégémonie, et
qu’elles sont par conséquent, dans une très
grande mesure, vraies (et ce de façon démontrable).
Or, il se trouve que ces paradigmes
inverses font partie des thèses centrales de
l’afrocentrisme, qui ne peut donc plus être
relégué au rang de fausse conscience ou
d’outil de prise de conscience des Noirs, mais
mérite d’être admis dans le sein du sein de la
recherche. Congédier ces représentations
inverses comme de purs et simples «mythes »,
à l’instar de ce que fait Howe dans son soustitre
et tout au long de son ouvrage, ce n’est
pas seulement commettre une injustice, c’est
« L’afrocentrisme ne peut plus
être relégué au rang de fausse
conscience. Il mérite d’être admis
dans le sein du sein
de la recherche.»
aussi faire preuve de myopie, car la nature
potentiellement mythique des paradigmes
dominants est insuffisamment mise en avant.
La réalisation impeccable du dessein de Howe
ne rend pas immédiatement apparente cette
myopie. N’étant pas lui-même un africaniste,
il doit être félicité pour le soin méticuleux
qu’il a mis à assimiler la vaste bibliographie
sur le sujet, traçant une synthèse médiane
dans la ligne des paradigmes dominants. Il
trouve peu de raisons, dans l’énorme littérature
consultée, de remettre en cause ces
paradigmes du sens commun. Mais a-t-il
assez cherché ? Pour Howe, « en l’état actuel,
les preuves d’un parallélisme entre les conceptions
égyptiennes de la royauté et celles de
l’Afrique subsaharienne ou de la mer Égée
sont extrêmement minces » (p. 130). Sur
quelle autorité se base une telle affirmation ?
Il est vrai que mes propres découvertes, révélant
un très fort parallélisme, au niveau matériel,
entre les royautés égyptienne et zambienne3,
sont venues récompenser vingt ans
de recherches, menées de l’intérieur, sur les
mythes et la royauté nkoya, ainsi qu’une
expérience des études proche-orientales
anciennes dont peu d’anthropologues et
d’africanistes peuvent se prévaloir ; ce qui
donne une idée des problèmes méthodologiques
et paradigmatiques soulevés. Toujours
est-il que, contrairement à ce qu’affirme
Howe, les parallélismes entre l’Égypte ancienne
et l’Afrique subsaharienne sont massifs, bien
qu’inégaux.
Stephen Howe n’a tout simplement pas passé
assez de temps dans les différentes disciplines
en rapport avec son propos, ni regardé
assez attentivement autour de lui lorsqu’il y
était. La sensibilité propre à chaque discipline
lui échappe, de même que leurs contrecourants
internes et leurs développements les
plus récents. Dans le chapitre 3, par exemple,
les origines africaines de l’humanité sont
négligemment oubliées, et c’est à peine si l’on
trouve une allusion aux découvertes récentes
qui, au-delà de l’idée désormais généralement
admise selon laquelle l’hominisation eut lieu
en Afrique il y a quelque trois millions d’années,
renforcent la probabilité que la révolution
humaine d’il y a cinquante mille ans eut
également lieu (au moins en partie) en Afrique,
produisant des hommes modernes caractérisés
par le langage, l’art, le symbolisme, l’organisation
sociale, etc. Ajoutons à cela que
c’est bien d’Afrique que viennent les plus
anciennes découvertes de représentations
animales, de peintures et d’armes sophistiquées
telles que les harpons barbelés. Que les hommes
modernes possèdent un arrière-plan aussi
probablement africain (et que, compte tenu
de l’exposition aux ultraviolets, ils aient sans
doute été noirs de peau) fournit à l’afrocentrisme
une conjoncture trop favorable pour
être simplement ignorée ou balayée de la
main. Les bonnes intentions de Howe ne l’ont
donc pas empêché de faire sienne une représentation
de l’histoire du monde qui est potentiellement
hégémonique, eurocentrique et
mythique, et qui n’est donc pas préférable à
l’alternative afrocentriste qu’il combat.
Je ne parlerai pas ici de la façon dont Howe
tombe parfois dans la polémique inutile. Plus
significatif me semble être le fait qu’il sacrifie
des réputations scientifiques sur l’autel de
son indignation face à l’afrocentrisme, et ce
d’autant plus promptement qu’il connaît
moins leur domaine de spécialité. Ainsi de
C. AhmadWinters, Hérodote, H . Frankfort,
Frobenius, Sergi. Ces chercheurs anciens et
« Les bonnes intentions
de Howe ne l’ont pas empêché
de faire sienne une représentation
de l’histoire du monde qui est
potentiellement hégémonique,
eurocentrique et mythique.»
Politique africaine
Autour d’un livre 179
modernes ont en commun une chose qui les
rend indésirables pour le sens commun, ce
courant paradigmatique principal à l’autorité
duquel Howe fait appel : ils ont tous la capacité
de transgresser les frontières culturelles
et géopolitiques établies, qu’il s’agisse d’expliquer
l’origine des guerres médiques par
tout un contexte englobant l’Ancien Monde
en entier, de réunir l’Égypte et la Mésopotamie
dans la même perspective, ou encore
d’insister sur les continuités flagrantes entre
l’Afrique de l’Ouest et du Nord, l’Europe et
l’Asie, aux plans des systèmes de parenté,
des langues et du symbolisme.
De façon fort peu surprenante, les méchants de
Howe apparaissent comme des héros intellectuels
dans l’un de mes prochains ouvrages.
Le cas de Frobenius est particulièrement instructif.
Chef de file de l’africanisme de son
temps (le début du XX e siècle), il devint la
principale source d’inspiration de l’afrocentrisme.
Parmi d’autres allégations, Howe
reproche à Frobenius de trop mettre l’accent
sur les influences extérieures s’exerçant sur les
cultures africaines. Cette insistance supposée
(attribuable par ailleurs à une vision déformée
de son travail) ne s’inscrit certainement pas
dans l’orientation afrocentriste, mais c’est pourtant
la conséquence inévitable des échanges
culturels globaux qui filtrent depuis au moins
le paléolithique supérieur. En réalité, nous
rencontrons ici un cinquième paradigme
du courant dominant : «Aucune influence
non africaine substantielle ne s’est exercée
sur l’Afrique. »
Ce paradigme se trouve être partagé par les
africanistes de la fin du XX e siècle et par les
afrocentristes. Pour moi, la dimension hégémonique
de l’affirmation contenue dans ce
paradigme réside dans la combinaison de
deux postures idéologiques : d’abord la tendance
nord-atlantique à postuler l’altérité de
ce qui est africain, tendance qui ne tolère pas
que l’Afrique puisse être polluée par des
connections intercontinentales et qui refuse
de la considérer comme partie d’un monde
plus large ; en second lieu, je discerne ici la
quête d’une compensation face au sentiment
de culpabilité engendré par la violation de la
dignité africaine dans le contexte de la traite
des esclaves et de la colonisation. Pourtant,
l’Afrique a indéniablement fait partie du
monde global et de l’humanité depuis ses
origines africaines, tant par ce qu’elle a offert
au monde que par ce qu’elle en a reçu, et les
échanges culturels intercontinentaux ont été
la règle de l’histoire humaine, en Afrique
comme en dehors.
Au final, soyons reconnaissant à Stephen
Howe de nous fournir une étude scientifique
sérieuse de l’arrière-plan et des contenus de
l’afrocentrisme comme moment de l’histoire
intellectuelle. Au-delà de son inquiétude quant
à l’avenir de la recherche et de l’enseignement,
sa critique dévastatrice de l’afrocentrisme,
sur les plans politique et idéologique, provient
de la meilleure des intentions, celle de
ne pas céder à l’idée que les intellectuels noirs
puissent s’enfermer dans un ghetto intellectuel.
À l’inverse de Bernal, qui tend à avoir raison
pour de mauvaises raisons, on peut dire que
Howe a tort pour de bonnes raisons. Ce livre
ne met pas un terme à la thèse de l’afrocentrisme;
et je puis volontiers relater le fait que
Howe fut sincèrement satisfait lorsque, lors
d’un colloque où le présent argumentaire fut
avancé pour la première fois, je plaidai (mais
d’une manière dépassant le cadre de la présente
note) en faveur de la possibilité d’établir
la vérité empirique de certaines des thèses
afrocentristes les plus précieuses. Ce n’est
« L’Afrique a indéniablement
fait partie du monde global
et de l’humanité depuis
ses origines africaines.»
L’afrocentrisme est sans nul doute l’un des
principaux mouvements d’idées de ces dernières
décennies dans le domaine culturel et
intellectuel, et le débat qu’il a engendré l’un
des plus importants de notre époque. Quiconque
est un peu au courant des controverses
autour de Cheikh Anta Diop ou de
Black Athena de Martin Bernal, quiconque
s’est déjà trouvé confronté, dans ses enseignements
sur l’Afrique, à des questions saugrenues
sur la philosophie des Égyptiens
anciens, le faciès « négroïde » des sculptures
précolombiennes ou l’origine égyptienne de
la langue zulu, en sera convaincu. Jean
Copans espère que l’afrocentrisme restera
un phénomène américain ; il sait que ce n’est
plus le cas et que ce n’était déjà plus le cas
en 1998, lorsque fut lancé, par Claude-Hélène
Perrot, Jean-Pierre Chrétien et moi-même, le
projet du livre qui allait s’intituler Afrocentrismes.
L’histoire des Africains entre Égypte et
Amérique. C’est d’ailleurs tout le sens de cet
ouvrage que de faire porter l’éclairage sur un
phénomène idéologique planétaire, tout en
fournissant quelques éléments d’appréciation
sur les thèses qui le caractérisent. Objectif
double, donc, car nous voulions offrir au lecteur
un faisceau d’arguments comprenant
tant des études «pied à pied» sur des controverses
aiguisées par l’afrocentrisme que des
analyses de tel ou tel aspect, figure ou région
de la nébuleuse afrocentriste.
Un tel travail était bien entendu impensable
pour un auteur unique, sauf à s’incarner en
africaniste multicarte et « spécialiste de tout ».
Il fallait que l’ouvrage fût collectif, chacun
pas dans le ghetto noir ni dans ses équivalents
académiques (comme le Journal of African
Civilizations ou Karnak Publishers, deux bastions
de l’afrocentrisme) que l’afrocentrisme
doit être contraint au débat, mais dans l’environnement
ouvert, transparent et universellement
accessible de l’Université elle-même.
Ce n’est qu’ainsi qu’il pourra être débarrassé
de ses faiblesses méthodologiques, du caractère
restrictif de la sélection des faits, du refus
obstiné d’admettre la possibilité de mener
l’enquête scientifique avec désintéressement,
et par-dessus tout du racisme. Au-delà des
défauts indéniables de l’afrocentrisme actuel,
luit la promesse d’un avenir éclatant où, grâce
à l’inversion inspirée des paradigmes hégémoniques
admis, nous pouvons espérer nous
approcher au plus près de la vérité empirique
et démontrable concernant les contributions
que le continent africain, depuis des millénaires,
a offert à la culture humaine planétaire.
Wim van Binsbergen
Africa Studiecentrum, Leiden,
Erasmus University, Rotterdam
Traduction de François-Xavier Fauvelle-Aymar
1. M. R. Lefkowitz, Not out of Africa. How Afrocentrism
Becaume an Excuse to Teach Myth as History, New York,
Basic Book, 1996.
2. W. van Binsbergen (ed.), Black Athena. Teen Years
after, special issue, Talanta. Proceedings of the Dutch
Archaeological and Historical Society, vol. 28-29,
1996-1997. Voir aussi ma contribution à Afrocentrismes,
« Dans le troisième millénaire avec Black
Athena », pp. 127-150.
3. W. van Binsbergen, Global Bec Flight, à paraître.
La réponse aux critiques
de François-Xavier Fauvelle-Aymar
Politique africaine
Autour d’un livre 181
des contributeurs conservant en outre toute
latitude d’articuler l’approche « positiviste» et
l’analyse déconstructiviste (sur les plans épistémologique
ou idéologique, notamment).
Mélange des genres très pragmatique, mais
qui a au moins le mérite de ne pas imposer
de nouvelle doctrine (forcément centriste et
modérée) entre les tenants du travail de
terrain, aveugles aux enjeux idéologiques,
et les postmodernes, résignés à n’étudier que
la constitution des savoirs. Certes, ce parti
pris collectif ne suffit pas à éviter complètement
l’effet « levée de boucliers de la science
institutionnelle contre la révolution afrocentriste
en marche », mais il permet au moins de préserver
la diversité des points de vue dans et
sur le débat. Bien entendu, ce qui unit les contributions
à cet ouvrage est un certain scepticisme
(et non un «scepticisme général», comme l’écrit
M. Mbodj), diversement modulé, à l’égard des
thèses afrocentristes, mais les différences de
tonalité, au final, sont frappantes. Cette diversité
fait peut-être un peu désordre, mais elle
est essentielle dans la mesure où elle préserve
la plurivocité de la « science occidentale »
(hypostasiée par les afrocentristes comme
une secte homogène ourdissant un complot
perpétuel contre la vérité), et où elle respecte
le caractère multiforme de l’afrocentrisme,
justement rappelé par Mbodj.
On me permettra de reprendre ici rapidement
la structure de l’ouvrage, afin de montrer
un peu l’extension du débat. La première
partie (« Un nouvel africanisme ? ») examine
trois grandes figures de l’afrocentrisme (sans
que l’ouvrage se limite aucunement à elles
seules) : Cheikh Anta Diop (F.-X. Fauvelle-
Aymar), Martin Bernal (P. Cartledge) et Molefi
Asante (C.Walker), avant de proposer deux
études transversales qui révèlent l’arrière-plan
africaniste de l’afrocentrisme : l’usage abusif
des arguments étymologiques (H. Tourneux)
et le thème de l’Ève noire (A. Lainé). Une seconde
partie (« Au commencement était l’Égypte »)
isole, parmi toutes les topiques qui balisent le
discours afrocentriste, celle d’une ancienne
Égypte noire et africaine, mère de la civilisation
grecque. Le thème central de Black Athena
de Martin Bernal (la colonisation et la civilisation
de la Grèce à partir de l’Égypte) est
l’occasion d’une réflexion sur les échanges en
Méditerranée orientale à l’âge du bronze
(W. Van Binsbergen). L’étude de la culture
matérielle de l’Égypte prédynastique (B. Midant-
Reynes), de la place de la langue égyptienne
parmi les langues du monde (P. Vernus) ou
encore de la couleur de peau des Égyptiens
(M. Etienne) permet de recadrer la part «africaine
» à ces différents niveaux et d’évoquer
surtout les autres influences sur l’Égypte. Une
autre partie («Projections dans le passé») aborde
l’Antiquité telle qu’elle est imaginée par quelques
auteurs afrocentristes (M. Lefkowitz), la
question des contacts entre Afrique et Amérique
précolombienne (B. Ortiz de Montellano),
les Bantu de Théophile Obenga (J.-P. Chrétien),
et enfin les représentations de l’Afrique aux
États-Unis (S. Howe). La dernière partie (« Réseaux
et métamorphoses ») s’intéresse quant
à elle aux formes périphériques d’affirmation
de l’authenticité africaine, à travers le
cas du courant noir judaïsant (V. Morabito),
d’une Église du Ghana (P. Schirripa), du mouvement
noir au Brésil (C. Douxami), de l’afrocentrisme
guadeloupéen (S. Vincenot) et, pour
finir, de l’African Renaissance en Afrique du
Sud (L. Samarbakhsh-Liberge).
Diversité des afrocentrismes, donc (d’où le
pluriel du titre de notre ouvrage), subsumés,
au départ du projet, sous une définition assez
« C’est tout le sens
de cet ouvrage que de faire
porter l’éclairage
sur un phénomène
idéologique planétaire. »
lâche pour englober, sans exclusive, toute
manifestation d’une idéologie de l’identité
noire plaçant l’Afrique au centre de son discours.
Mais l’essentiel, en invitant nos contributeurs
à insister sur les filiations et les réappropriations,
était surtout de saisir les modes
de résurgence, de diffusion, d’acclimatation
et de mobilisation d’une idéologie globale
qui produit autant de variantes de l’identité
noire qu’il y a d’histoires et d’enjeux régionaux.
Il reste bien sûr d’autres chantiers à
ouvrir, et M. Mbodj a raison de dire qu’il
aurait fallu, par exemple, établir la carte institutionnelle
de l’afrocentrisme (les centres de
recherches, les bailleurs de fonds...). Mais
on peut tout de même, avec le recul, ébaucher
quelques réflexions.
D’abord, si l’afrocentrisme, comme l’écrit
M. Mbodj, a hérité du panafricanisme (et
j’ajouterais : surtout de son volet diopien)
l’exigence d’une réhabilitation de l’histoire
africaine, il est à noter que cette réhabilitation
est généralement subordonnée à une
réécriture de l’histoire du monde. Mieux, tout
se passe comme si le renouvellement de
l’image de l’Afrique devait procéder non
d’une nouvelle publicité faite à son histoire
mais d’une réévaluation du rôle des Africains
comme vecteurs de civilisation en dehors du
continent. Pour s’en convaincre, remarquons
que les ouvrages afrocentristes produisent
généralement peu de connaissances sur
l’Afrique proprement dite et témoignent en
tout cas d’une étrange méconnaissance de
son histoire, hormis celle de la ré _________________ Il dit
le griot à la langue pendante
" vous irez plus loin encore
dans la forêt blanche
des bétons entassés
et vous pleurerez
dans les quartiers boueux
d'une ville sans refuge "
Il dit aussi
le griot nouveau
" regardez !
il est des hommes
que les révoltes étreignent ".
Pour retrouver la brillante argumentation de Merano sur l'infériorité intrinsèque des femmes par rapport aux hommes, cliquez ici _________________ "Le colonialisme et ses dérivés ne constituent pas à vrai dire les ennemis actuels de l'Afrique. À brève échéance ce continent sera libéré. Pour ma part plus je pénètre les cultures et les cercles politiques plus la certitude s'impose à moi que LE PLUS GRAND DANGER QUI MENACE L'AFRIQUE EST L'ABSENCE D'IDÉOLOGIE."
Cette Afrique à venir, Journal de bord de mission en Afrique occidentale, été 1960, Frantz Fanon, Pour la Révolution Africaine
2011, annee Frantz Fanon
Vous ne pouvez pas poster de nouveaux sujets dans ce forum Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum Vous ne pouvez pas éditer vos messages dans ce forum Vous ne pouvez pas supprimer vos messages dans ce forum Vous ne pouvez pas voter dans les sondages de ce forum