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Kahm Piankhy : L'idéologie de la distance raciale

 
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Auteur Message
Yazol
Grioonaute 1


Inscrit le: 22 Fév 2005
Messages: 108

MessagePosté le: Jeu 24 Mai 2007 03:05    Sujet du message: Kahm Piankhy : L'idéologie de la distance raciale Répondre en citant

Vient de paraître "L'idéologie de la distance raciale" un essai à lire absolument

Auteur : Kahm Piankhy
Site : www.Piankhy.com
Titre : « L’idéologie de la distance raciale »
Sortie : 21 mai 2007
Page : 338
Prix : 19 euros
Pour commander : www.Piankhy.com (malheureusement ce site vient de subir une attaque)


TABLE DES MATIÈRES :

Introduction 7
a) La prime à la soumission 20
b) Racisme, antiracisme : baliser le terrain .23
1° De l’antiracisme au centrisme racial 33
2° L’alibi ethnique 69
3° La grille de lecture ethnique 77
4° La naturalisation des crimes 87
5° Sondage et décompte des ethnies 91
6° Le mépris inconscient 97
7° L’effet coupe du monde : histoire d’un leurre 107
8° Culture de la « dénuance » 129
9° Extension du domaine de l’humour .151
10° De l’exploitation idéologique des mythes du métissage 173
11° Brésil : le paradis du mythe de la distance raciale 199
12° Vers une « aristocratisation » de la distance raciale ? 229
13° À la recherche d’une hypothétique pureté raciale 253
14° Dérives de l’idéologie de la distance raciale 273
15° La tyrannie des mots ou l’instrument des impostures 287
16° Désir égoïste de chair et prétention à l’universel 299
17° Tolérance ? 315
Conclusion .325
Bibliographie 327


INTRODUCTION
« Les incantations enthousiastes nous procurent du plaisir par l’effet des paroles, et chassent le chagrin. C’est que la force de l’incantation, dans l’âme, se mêle à l’opinion, la charme, la persuade et, par sa magie, change ses dispositions.
Nombreux sont ceux qui, sur nombre de sujets, ont convaincu et convainquent encore nombre de gens par la fiction d’un discours mensonger. Car si les hommes avaient en leur mémoire le déroulement de tout ce qui s’est passé, s’ils < connaissaient > tous les événements présents, et à l’avance tous les événements futurs, le discours ne serait pas investi d’une telle puissance ; mais lorsque les gens n’ont pas la mémoire du passé, ni la vision du présent, ni la divination de l’avenir, le discours a toutes les facilités. » Gorgias de Léontium

Sophiste présocratique et grand orateur se vantant d’être capable de défendre n’importe quelle cause par le seul pouvoir des mots, Gorgias était conscient du rôle tyrannique du discours dans les nouvelles formes du convaincre et, notamment, lorsque l’on désire disqualifier un adversaire politique et idéologique. De nos jours, la débauche d’énergie qu’applique cette tyrannie et l’omniscience dont elle se prévaut permettent souvent de masquer un petit autoritarisme de « système » qui refuse aux autres le droit de penser différemment d’elle, tout en prenant soin de sur-interpréter puis de sataniser, grâce au jeu des émotions, tout ce qui fait obstacle au triomphe de ses propres idées.

C’est dans les domaines en périphérie de l’antiracisme-spectacle et, plus précisément encore, dans l’analyse des comportements sociaux qu’il a générés, que nous allons nous atteler à constater comment la tyrannie du discours se charge de tromper sciemment, d’égarer l’opinion par l’inflation affective provoquée par le faussement des données d’intellection des problèmes d’exclusion. Tout cela dans le seul but de consolider une culture de système au sein des populations concernées par ces exclusions, et de tenter d’établir une relation d’emprise sur elles, tout en confisquant leurs luttes, après en avoir déformé et aseptisé l’essence originelle.

Jusqu’ici, l’intériorisation du statut victimaire au sein de l’inconscient national enseignait aux Autres, c’est-à-dire aux personnes différentes de la norme, d’attribuer au seul racisme, personnifié efficacement par l’unique Front national, la cause des obstacles qui entravaient leur liberté, leur dignité et leur citoyenneté.
On s’entêtait, pour des raisons purement idéologiques, à instrumenter toutes les souffrances de ces Autres afin de les inclure dans le combat politique « antiraciste » dont on se présentait comme les uniques mandataires : les racisés avaient des problèmes et les seuls qui tenaient compte de ceux-ci étaient les antiracistes qui devenaient par conséquent leurs protecteurs, leurs guides et leurs sauveurs.

Ces antiracistes s’offraient en spectacle et mettaient en scène leur prétendu souci de l’Autre, mais tout cela était en réalité très superficiel. Pour eux, l’antiracisme était avant tout un instrument pour nourrir des ambitions strictement politiques et personnelles qui n’avaient rien à voir avec l’énoncé. Ils combattaient un volet du racisme qui, pris séparément, n’avait qu’une incidence minime, comparée aux réalités quotidiennes de ceux qui subissaient toutes sortes de discriminations que l’idéologie dominante refusait de voir.
Les victimes du racisme étaient victimes de stéréotypes dégradants, présents dans l’inconscient national, d’exclusion, de discrimination au logement, au divertissement et à l’emploi etc., mais on ne leur parlait que des skinheads téléguidés par le Front national. C’était tout simplement de l’utilitarisme. L’utilitarisme rejette la morale commune en la remplaçant par la seule valeur valable à ses yeux : l’obsession de son utilité. Une chose n’est bonne que parce qu’elle est utile, et seul ce critère permet de définir moralement sa valeur intrinsèque. Il n’y a plus de notion du bien ou du mal, de notion de ce qui est moral ou cynique, tout s’efface devant la question : y trouve-t-on un quelconque intérêt ? Si la réponse est oui, on l’exploite sans vergogne au nom du tout ce qui est utile est forcément bon.

L’antiracisme et l’utilitarisme se marièrent en juin 1985, lors du grand concert de SOS Racisme à la Concorde qui vit 300 000 personnes se déplacer contre le racisme et le Front national. C’est à cette date que les institutionnels décidèrent de soumettre au peuple l’idée que, désormais, la définition de l’antiracisme ne se conjuguera plus qu’avec la notion de spectacle, de slogans infantiles et d’intérêts (les leurs) purement politiques pour combattre l’infamie.

Durant l’âge d’or de l’antiracisme, l’utilitarisme et l’antiracisme-spectacle fonctionnaient donc en bonne intelligence. Comme pour toute exploitation, les uns y trouvaient matière à diaboliser les racistes d’extrême droite pendant que les Autres s’enfermaient dans une posture victimaire qui les irradiait de toute part, tout en servant de caution morale aux premiers. Quand les Autres pâtissaient d’un racisme plus ou moins prononcé, ils allaient s’en lamenter auprès des « autorités officielles » qui commençaient par vérifier si l’affaire était exploitable puis, en cas de réponse positive, formalisaient les modalités d’application de sa dénonciation selon leur propre centralité.

Pendant des années, l’antiracisme utilitariste ne s’est ainsi préoccupé que de la gestion de l’opposition au racisme des extrêmes. Le sort des racisés réels l’intéressait déjà beaucoup moins hormis, bien entendu, lorsqu’il s’agissait d’en tirer profit et de faire la démonstration de son propre humanisme. Pressuré au bénéfice des donneurs d’ordres, le racisé s’effaçait donc après l’exploitation de sa détresse et de sa souffrance par d’autres, puis cessait subitement d’exister. Il retournait à son insignifiance jusqu’à ce qu’une prochaine urgence le sorte de son repos forcé.

Mais depuis un certain temps, le consensus fondé sur le simplisme outrancier de cet antiracisme utilitariste a volé en éclat. Le statut victimaire est clairement remis en cause. Depuis que l’opposition au FN n’est plus suffisante à elle seule pour jouer cette fonction qui confère une compétence morale à toute épreuve, et depuis que la victimisation à outrance des Autres a démontré ses limites en braquant un électorat contestataire (celui des Français de vieille souche vivant dans les quartiers populaires) contre la gauche antiraciste, accusée de faire la part belle aux « immigrés », et de délaisser les « vrais Français », un changement s’est opéré. Les Autres sont soudainement devenus encombrants.

D’un extrême, ils sont passés à un autre. On évoque leur hypersensibilité et leur susceptibilité à tout bout de champ. C’est à peine si on ne les somme pas de se justifier sur tel acte criminel commis par leurs « semblables », et de le « condamner fermement » avant d’avoir accès à une éventuelle parole. À ce stade de cynisme, le confort de la chose antiraciste est perçu en terme de « retour sur investissements » et n’échappe donc plus à la logique marchande. Ce retour sur investissement n’ayant pas répondu aux espérances et aux attentes de rentabilité fondées en lui, le revirement fut aussi soudain que brutal.

Au fil des années, les anciens bénéficiaires de l’antiracisme à tout prix, enfermés dans la victimisation inhérente à leur statut de « Français de la deuxième et troisième génération », se sont transformés en militants politiques et se sont affranchis de la tutelle paternaliste de leurs aînés. Ils ont tué « papa ». Ce que « papa » a, bien entendu, très mal pris. Par conséquent, il se venge par tous les moyens afin de rappeler l’ingratitude de ses anciens sujets. Il les charge dès qu’ils ne vont pas dans son sens et lui leur lance à la figure l’invective in du moment : communautaristes ! Étrangement, antiracistes et ennemis de l’antiracisme de l’époque se retrouvent aujourd’hui sur la même ligne nationale-républicaine et anticommunautariste.

Ce terme de « communautarisme » est de plus en plus présent et utilisé pour sa capacité à mettre hors d’état de nuire tout adversaire politique dérangeant. C’est une manière de renvoyer à son altérité, sans trop d’effort d’argumentation, tout Encombrant qui ne se soumet pas à la pensée dominante, en lui rappelant implicitement sa marque distinctive. Une façon très hypocrite, en somme, de remplacer des termes péjoratifs par un vocable passe-partout qui
semble neutre, mais qui s’est très vite chargé de jouer un rôle réprobateur. Car l’on constate de plus en plus cette transposition du mot « communautarisme » là où, il y a encore quelques années, étaient utilisés des termes culturellement ou racialement connotés.
Les aigris d’hier, muselés par le politiquement correct, savourent enfin leur revanche, et appliquent l’accusation de communautariste à presque tout ce qui bouge : « bandes ethniques », délinquance juvénile, vrais communautaristes, associations communautaires d’intégration, Encombrants ayant des avis différents de la norme, etc. Dans ce salmigondis conceptuel, même des apprentis délinquants post-pubertaires sont accusés d’ourdir une conjuration contre la République tant qu’ils ne se trouvent pas être de la bonne couleur de peau. 1 Qu’est-ce donc le communautarisme, au juste ? Schématiquement, et sans entrer dans une définition complexe, c’est la prise en main de la gestion politico-sociale des communautés par des leaders mandatés pour les représenter officiellement, au détriment de l’idée de « destin commun » des citoyens composant la Nation. Cette prise en main est doublée de l’adjonction d’une « citoyenneté communautaire » qui domine la « citoyenneté tout court » : chaque citoyen est ainsi relégué non pas à un ensemble de valeurs communes qui fondent la citoyenneté, mais à son particularisme identitaire, et réclame des lois et des droits en fonction de ce qui le distingue des autres. Le vrai communautarisme n’est pas plus inhérent à la communauté que le nationalisme ne l’est à la nation. Il n’en est qu’une perversion. Mais certains démagogues, dits Nationaux-républicains, alimentent cette confusion qui les arrange, car elle leur permet d’abord de ne plus se soucier de la notion de complexité, puis de faire des grands ensembles dans lesquels ils fourrent tout ce qui les dérange.

Cette définition du communautarisme n’est que rarement respectée, et le « mot » est évoqué le plus souvent pour désigner des situations qui n’en relèvent pas nécessairement. Ce qui ne signifie pas qu’il n’existe pas pour autant. Quand on lit que « dans une école primaire, des élèves sont allés jusqu’à instituer l’usage séparé des deux robinets des toilettes, l’un réservé aux "musulmans", l’autre aux "Français" » ; ou encore qu’« un responsable local du culte musulman […] a demandé de prévoir des vestiaires séparés dans les salles de sport, car, selon lui, "un circoncis ne peut se déshabiller à côté d’un impur" »2, on peut légitimement être alarmé. Cependant, la véridicité de tels faits ne signifie pas qu’il faille recourir systématiquement à cette grille de lecture communautariste pour tout ce qui concerne les Encombrants.

Les anti-communautaristes de circonstance exposent ainsi leurs combats. Mais, pour des gens qui affirment rejeter le communautarisme, on se demande comment ils font pour se hasarder à débiter des phrases comme « ce n’est pas dans la tradition républicaine qui rejette le particulier pour prôner l’universel », alors que ces dites valeurs furent magnifiquement bafouées tout au long de l’Histoire, notamment dans les colonies. La gestion algérienne de l’époque coloniale est le parfait exemple d’un communautarisme d’État divisant des segments populationnels en catégories « religieuses » ou d’essence ethno-raciale. En 1936, le projet Blum-Violette, qui voulait octroyer la citoyenneté française à 20 000 Musulmans assimilés – qui, par déduction, ne l’avaient donc pas –, s’est vu retiré l’année suivante en catastrophe, car il avait soulevé l’ire des « Français » et des « Européens », présageant la fin de leur petite suprématie sur des autochtones qu’ils adoraient …, mais seulement avec un statut inférieur au leur. Étonnant ensuite de voir que les Juifs d’Afrique du nord (les « Israélites » étant encore une autre communauté historique d’Algérie que l’on distinguait des « Européens » et des « Français ») qui furent rapatriés plus tard en France, se voyaient accusés d’instituer un « communautarisme » étranger aux moeurs françaises, alors qu’ils perpétuaient là une tradition républicaine – instituée en Algérie – de « développement séparé » des communautés, parfaitement admis de tous à l’époque…

De nos jours, une profusion d’idéologies de substitution – instrumentant démagogiquement la race pour mieux réussir à imposer leurs propres impératifs – se manifeste et revendique le statut de « panacée » pouvant épargner le monde des haines fratricides. Elles ne rêvent de rien si ce n’est d’imposer leur inepte superficialité, estampillée abusivement « antiracisme », alors qu’en réalité elles n’ont fait que substituer un discours futile d’essence raciale à un discours qui remet réellement en cause les mécanismes d’exclusion que le racisme a générés.

Quels sont donc leurs avantages ? Leurs « revendications » ne mettent pas en péril l’ordre intellectuel établi au profit de la pensée de système. En outre, elles sollicitent moins d’engagement personnel », et sont moins gourmandes en production intellectuelle, dans la mesure où elles schématisent tout à l’extrême et font l’éloge d’une consternante « réduction au plus simple ». L’occasion est trop belle : voici les nouveaux habits que les Encombrants sont supposés revêtir au plus vite. L’injonction est claire. Finie la réflexion, place aux slogans ostentatoires en faveur du métissage ad nauseam. L’Encombrant doit être ravi de constater qu’on lui fait une faveur, car il s’agit de conforter chez lui cette culture du larbinisme qui fait qu’il intègre la conviction intime de son infériorité jusqu’à l’intérioriser et se considérer toujours redevable de quelque chose à quelqu’un. Il finit par passer sa vie à justifier sa présence dans des lieux où il n’a pas à la justifier, à brandir sa couleur pour démontrer que l’antiraciste qui l’a recruté dans telle société ne fait pas de discrimination fondée sur la couleur.

Or si la discrimination est effectivement à stigmatiser, puisqu’elle est illégale aux termes de la loi, en revanche, le recrutement de « gens de couleur » – comme on les nomme vulgairement – sur la seule base de leur qualification devrait être banal en soi, donc l’exemple même de la situation à ne justement pas relever, puisqu’elle n’a rien d’extraordinaire. Ce qui est extraordinaire, c’est justement la discrimination. Personne n’a, par exemple, moralement le droit d’instrumentaliser la diversité de l’équipe de France de football au nom de l’antiracisme, puisque ce n’est pas l’antiracisme qui justifie sa diversité, mais le talent intrinsèque des joueurs qui la composent. Et si ces derniers se trouvent être de telles ou telles origines, cela est moins dû à des motivations antiracistes que sociales et démographiques. Idem pour le métissage de la société qui n’est pas le fait de l’antiracisme. Il y a un aspect éminemment rebutant et malsain chez tous ces crève-la-dalle de l’auto-flatterie qui tentent de s’approprier par tous les moyens et sans vergogne les bénéfices moraux du fait multiracial, en faisant volontairement s’entremêler la définition de la multiracialité avec celle de l’antiracisme. Cet opportunisme se retrouve pareillement répandu – dans des proportions toutes aussi délirantes – chez les autoproclamés « couples mixtes », avec la même culture de la confusion entre « discours d’essence raciale » et « discours antiraciste ». Non, il n’y a rien d’intrinsèquement respectable ni d’éminemment moral dans le fait d’embaucher une Noire dans son entreprise ou d’épouser une Beurette, comme le croient tous les navrants et logorrhéiques démagogues qui viennent réclamer leur award pour avoir accompli une action qui leur conférerait des honneurs particuliers – selon l’idéologie développée par l’antiracisme-spectacle.

Car l’antiracisme utilitariste a tendance à chercher à tout récupérer et à s’enivrer de lui-même. Une véritable culture est née, et ces habitudes acquises ont pris comme références du bien l’inversion de celles-ci pour constituer leurs certitudes triomphantes. On voit ainsi untel mettre l’index sur sa femme étrangère, son mari « coloré » ou ses amis tropicaux en faisant bien comprendre que des gens comme eux, flanqués d’une immense et haute moralité, correspondent exactement aux exceptions que les misérables victimes du racisme recherchent pour mettre du soleil dans leur vie.

Par le truchement de cette idéologie enseignée par l’antiracisme-spectacle durant des années, on a laissé croire que toute personne, qui intériorisait l’idée selon laquelle la « distance raciale » – c’est-à-dire de la constatation d’un banal écart racial, culturel ou ethnique entre deux individus – était un indicateur de moralité, se distinguait immédiatement des « normaux » par sa supériorité et sa bonté d’âme. On a fait de la distance raciale un indicateur moral absolu. Elle incarnerait l’humanisme universel, le parangon de vertu et de « tolérance » chez l’Homme moderne. Puis vint immanquablement le contrecoup : du fait de cet enseignement pour le moins fantasque, une véritable génération s’est créée, nourrie de ces mythes tournant autour de la « distance raciale, ethnique et culturelle », où il ne s’agit plus, pour ceux qui la composent, que de se mettre en quête de la moindre occasion pouvant révéler leur prétendu antiracisme pour frimer et rouler des mécaniques. C’est la course à celui qui va pouvoir étaler son ami de telle culture, sa femme de telle couleur ou son mari de telle ethnie afin de bénéficier prioritairement des retombées narcissiques de l’imposture.

Ces logiques suintant le paternalisme affectent de remplacer la prise de conscience de souffrances réelles par des ersatz qui tendent d’abord à satisfaire leurs propres désirs cannibales. En politique, on qualifie d’« entrisme » l’idée de pénétrer en masse dans une organisation politique afin d’en modifier l’orientation et d’en prendre in fine le contrôle. L’antiracisme a donc subi une prise de contrôle de son orientation doctrinale par des gens qui, tout en s’en réclamant, n’ont eu de cesse d’en dénaturer le sens pour l’accommoder à l’instrument politique qu’il est devenu : un jouet pour se faire gloire et au service de leurs intérêts.

Ce n’est plus la condition des victimes du racisme qui est l’objet de toutes les attentions, mais les détestations ou l’aménité du supposé antiraciste qui finit par se servir de l’alibi « antiraciste » pour communiquer sur lui, encore et encore. Car l’enivré de lui-même – qui est d’abord et avant tout un simple « vendeur d’emballage » – s’aime plus que tout et n’a de contenance antiraciste que de par l’édification à visée spéculatrice qu’il fonde sur la « distance raciale » existant entre lui et l’Autre. Ce qui explique qu’il en parle autant. C’est sur la base de cette seule distance ethnique, raciale ou culturelle, qu’il décrète une emblématisation de son expérience en lui attribuant une valeur morale. Il faut soumettre le monde à cet imaginaire et l’obliger à admirer cette expérience en la déclarant comme conforme au réel antiraciste. Oui, l’enivré de lui-même ne voit pas plus loin que le bout de son nez. Il ne comprend pas que le catalogue des oppressions et des exclusions pris en charge par l’antiracisme puisse être large, complexe à telle enseigne que le champ de compétence exigé sur ce sujet dépasse largement la question de la seule distance raciale. Mais on peut aussi comprendre que quelqu’un qui n’a aucune contenance cherche à s’accrocher à la seule chose qui lui permette de faire illusion sur une telle question.

De même que certains incarnent la « droite la plus bête du monde », ces enivrés d’eux-mêmes incarnent magnifiquement l’« antiracisme » le plus bête du monde. Un antiracisme borné, fixé sur eux, qui ne parle que d’eux, n’aime qu’eux, ne pense qu’à dire du bien d’eux, présente leur expérience comme irrésistible et ne pense qu’à « éclairer » le reste de l’humanité de leur magnanimité, en vantant leur noblesse de coeur dont le monde devrait s’inspirer.

Persuader les gens que l’antiracisme se résume à une prise de position sommaire contre l’extrémisme en niant sa complexité peut, finalement, être très néfaste pour l’étude et la compréhension du racisme, ainsi que de ses effets complexuels et sociaux. Car l’antiracisme-spectacle rêve d’honneurs et de ce bénéfice moral à tirer de son semblant d’engagement, mais refuse parallèlement de s’acquitter du tribut réel, car celui-ci est trop onéreux. Il désire imposer une lecture de l’antiracisme qui serait tournée exclusivement vers ses propres préoccupations afin de mieux apaiser sa conscience et, dans le même temps, être seul juge d’un mal qui ronge ceux dont il méprise pourtant le ressenti et les expressions au profit des siens. Il fantasme sur un antiracisme formaté à ses propres attentes et aux risques extrêmement réduits qu’il se sait prêt à prendre. Il revendique, comme un dû, la charge de pouvoir juger du bien-fondé de l’état des racisés en souffrance, afin de déterminer si, oui ou non, ces malheureux peuvent jouir de leur générosité antiraciste. Dire que « le Front national est un affront national », il veut bien. Mais lorsqu’il s’agit de remettre en question les complexes d’infériorité et de supériorité que le racisme a générés sur un plan plus vaste, indépendamment des idéologies et des doctrines politiques, et que ces effets se sont dilués dans les comportements psychosociaux de toute la population pour définir un rapport à l’Autre malsain, là, c’est une autre affaire. Ainsi, le champ de réflexion sera-t-il confiné à la question du racisme de l’extrême droite politique sans remettre en cause les autres comportements hérités du même mal.

Mais, pour officialiser tout cela, il faut édifier ses désirs en règle commune et universelle pour, ainsi, marginaliser les autres formes de pensée en les disqualifiant d’office en tant qu’hérésie, puisque n’étant pas, en substance, analogues à la « fausse norme ». De ce fait, ce que l’on nomme de nos jours « antiracisme » est une chose qui n’a pour seul mandat que d’obéir aux impératifs de ceux qui ont pris la charge d’en faire un instrument de lutte politique. L’antiracisme-spectacle a donc eu besoin de la permanence du racisme d’extrême droite pour justifier sa raison d’être, ainsi que ses prises de position, qui sont dites « antiracistes » alors qu’elles sont avant tout « anti-extrême droite » et, par conséquent, politiquement orientées.

De nos jours, le « racisme ordinaire » s’exprime par le biais d’une discrimination latente, pratiquée par une société civile baignant dans l’hypocrisie la plus absolue de son anti-lepénisme. Ce racisme ordinaire est un comportement social banalisé qui a toujours existé en France, bien que l’on s’y vante d’être un pays multiracial pour mieux masquer sa propension à segmenter socialement et économiquement – entre autres – sur la base du faciès. Mais il est plus confortable d’occuper l’esprit des grégaristes acharnés avec l’épouvantail Le Pen, pendant que la discrimination que l’on prétend dénoncer est elle-même pratiquée un peu partout au vu de tout le monde. Il y a ainsi de plus en plus de références faites à la générosité dans une société pourtant de plus en plus égoïste, de plus en plus d’allusions à la France « black-blanc-beur » lors de poussées cocardières tout bonnement stupides, quand cette même France pratique une gestion sociale catastrophique de sa diversité.

Deux mondes revendiquent ainsi l’antiracisme, mais n’ont rien en commun et n’en dénoncent pas les effets pour les mêmes raisons. Deux mondes qui parlent d’antiracisme, mais qui n’ont ni la même définition ni les mêmes attentes. Au fil du temps, elles paraissent même antagonistes.

Il faut faire montre de sa réputée « tolérance » sur des sujets éminemment complexes et, à défaut d’être déductifs, réfléchis et cultivés, on reconnaîtra aux profanes « antiracistes » versant dans la caricature des Encombrants, une « authentique sincérité ». La sincérité, soit la nouvelle référence érigée en valeur cardinale : être instruit de la chose étudiée ne suffit pas ou ne suffit plus. Le must du snobisme est d’être sincère, même si le terreau de cette sincérité est l’ignorance. Incapables de concevoir de manière cohérente la matérialité d’un sujet étudié, mais puisqu’ils expriment leurs sentiments sans dissimulation, cette authenticité suppléera volontiers les carences d’érudition sur la matière. C’est ainsi que l’on tolèrera les analyses au rabais proférées par les « je ne fais pas de différences entre les Blancs et les Noirs » tant qu’elles sont d’essence multiraciale. Comme s’il suffisait d’être « pro-multiracial » pour dire
n’importe quoi.

Lorsque – il y a une vingtaine d’années de cela – certaines associations antiracistes louaient le droit à la différence, la majeure partie de la gauche politique tendait dans ce sens. Il fallait montrer qu’on était « tolérants » et prêts à accepter l’altérité comme preuve de son ouverture d’esprit. C’étaient les années 80. L’époque de la Marche des Beurs et de Touche pas à mon pote. En ces temps où Harlem Désir proclamait la « solidarité entre communautés »3 que sont les « Juifs, Beurs, Blancs et Noirs »4. Tout cela avant que le conflit israélo-palestinien ne vienne clairement diviser cette association entre « inconditionnels d’Israël » et défenseurs des palestiniens 5 , tous chapeautés par leurs « mentors » respectifs, augurant la rupture brutale constatée de nos jours sur cette question au sein des associations antiracistes. Aujourd’hui, les uns accusent, non pas une certaine gauche, mais l’antiracisme de gauche, d’avoir engendré un nouvel antisémitisme que le clan incriminé contre en retournant l’accusation aux envoyeurs : islamophobie ! La rupture est consommée.

a) La prime à la soumission

Vu à la télé sur M6 : lors d’une émission de télé-réalité où l’on confrontait le life-style d’un groupe de jeunes de banlieue populaire – tous noirs et arabes, s’exprimant par des borborygmes – à un groupe de jeunes de la société aisée – tous blancs, propres sur eux et parlant un langage parfaitement châtié –, un des jeunes du groupe « banlieusards » énonça une idée d’une évidente incontestabilité. Que disait-il ? Qu’il lui serait difficile, à lui, en tant que « beur de cité », d’être accepté au sein d’un groupe de fils et de filles de bonne famille « française », et de s’en faire des amis durables. La distance de classe, d’éducation et de pouvoir d’achat finissant par engloutir l’insurmontable distance existant entre lui et ceux avec lesquels il partage le statut de cobaye de l’émission. Sur ce commentaire qui faisait pourtant sens, une « beurette » braillarde, véritable pie-grièche en furie sûrement nourrie au grain de l’antiracisme utilitariste, se mit à éructer un discours verbeux qui se résuma à : « Y’a pas de blancs ou de beurs qui tienne hein, on est en République liberté-égalitéfraternité, hein. On est tous pareils ! Hein. C’est quoi ça ! »

La sortie de cette braillarde – qui était persuadée qu’une société multiraciale était logiquement vierge de racisme et de toute autre forme d’exclusion, puisque l’antiracisme-spectacle a toujours entretenu la confusion entre « ce qui relève de l’antiracisme » et « ce qui relève du fait multiracial » – a, bien sûr, soulevé les acclamations d’un public-veau acquis à la cause consensuelle, à la fausse morale de masse, et oublieux des tristes réalités de ce pays. Car ce serait bien évidemment se mentir que de refuser d’admettre que la France, comme la majorité des pays du globe, vit bel et bien une segmentation sociale soumise à des critères divers, et que les personnes de même condition se fréquentent avant tout entre elles.
Ce n’est pas du racisme, mais une banale évidence. Mais tant que l’on est « sincère », on peut effectivement répéter les ritournelles fédératrices et égalitaires sans se soucier de la réalité des faits. On a l’« esprit ouvert », mais seulement pour les choses simples. Celui-ci restant irrémédiablement verrouillé dès que s’agite une grille de lecture qui complexifie les faits et appelle à la réflexion. Cette culture grégariste semble le propre des sociétés actuelles, nourries aux seuls slogans débilitants que la jeunesse répète servilement, comme si ceux qui la composent fonctionnaient tous à partir du même logiciel. Toute capacité d’analyse contextuelle est traitée par le mépris tant qu’elle n’est pas issue du moule normatif.

Pourquoi des applaudissements de soutien pour la braillarde, alors que l’idée du débat était justement de confronter des univers différents, donc de faire s’affronter en termes caricaturaux le life style des uns et des autres ? Parce que l’Encombrant « beur » sortait de sa place naturelle et traditionnelle d’amuseur public qui baragouine un verlan drolatique. En cherchant à privilégier une critique sociale complexe et imbriquée de la réalité française, il prenait possession d’un espace réservé qui n’était pas le sien. On exige de lui qu’il critique le racisme quand il vient d’extrême droite, et qu’il montre son refus des extrêmes en condamnant fermement celui-ci au nom du « black-blanc-beur ». On n’attend pas de lui qu’il explique que les choses sont plus complexes que cela et que des formes d’ostracisme très subtiles peuvent aussi exister. On l’a donc remis à sa place. Tout simplement.

Lorsque, quelques minutes auparavant, l’animateur prit gentiment à partie une des filles de bonne famille du groupe « privilégiés » pour lui signifier, entre quatre yeux, qu’elle avait plus de chance de se voir marier à un Dupond de Versailles qu’à un Mouloud de Bobigny, le public-veau ne broncha pas pour autant. Il n’exprima pas son refus de voir s’exprimer une réalité peu accommodante qui n’allait pas dans le sens de la pensée de système. Il n’a pas eu comme réflexe premier de désigner l’égalitarisme complaisant pour noyer le débat dans les flots de la fausse bonasserie.

La simple évidence n’a pas sa place dans l’univers frelaté de la télévision de « divertissement pour jeunes » où l’on bénit la Disney- Landisation des esprits en rejetant tout ce qui fait réfléchir. Un univers où l’on sert un antiracisme de masse, bas de gamme, vulgaire et réducteur, qui n’apprend qu’à penser à l’échelle de sa bêtise, de sa petite arrogance et à ne jamais voir plus loin que le bout de son nez.
Un monde où l’on veut imposer comme modèles des gens « intégrés » qui ne trouvent rien d’autre à penser que ce qu’il leur est autorisé de penser. C’est-à-dire rien, le néant total, si ce n’est du mal de Le Pen et du Front national.

Les situations spécifiques d’exclusion que peuvent vivre les Encombrants sont ainsi passées au tamis d’une grille de lecture cannibale qui confisque tout ce qui est exploitable ou favorise l’emballement narcissique des dominants, puis élimine sans états d’âme tout ce qui ne lui apporte rien. Il n’y a pas de vie possible en dehors de ce jugement. Et hors de question qu’il y ait le moindre débat : le contentieux se règle par l’admonestation et la condamnation ferme et définitive de l’impertinent, sans que celui-ci puisse s’expliquer sereinement. La conspuation de masse donnant en plus un caractère humiliant à cette punition pour l’éconduit honteux de ne pas avoir su, ou pu, se faire comprendre par une foule hostile totalement au service d’un discours dominant qui se dit antiraciste, mais se montre incapable de comprendre ce qu’il subit.

b) Racisme, antiracisme : baliser le terrain

Dans ses dispositions actuelles, l’antiracisme établi se bâtit peu ou prou sur deux fondements principaux : égalitarisme biologique par déconstruction critique du bien-fondé du concept de « race » désignant les groupes humains ; puis dénonciation des variantes du « vieux » racisme.

Chaque individu partage 99,99 % du même code génétique avec le reste des autres hommes peuplant la planète. Diverses sciences – dont la génétique 6 – ont ainsi prouvé l’origine commune de l’Homme et ce, quelles que soient les différences phénotypiques, physiques ou culturelles qui les dissocient les uns des autres. Les hérésies théorisées au nom de la science et enseignées au cours des siècles passés – dont celles qui arguaient d’une différence organique entre les groupes humains peuplant les cinq continents – ont donc été balayées par les vraies sciences modernes. On pourrait aller plus loin en affirmant que certaines expressions à la mode chez les « antiracistes » – toujours très féconds en matière de slogans paternalistes, et réducteurs dès qu’il s’agit d’évoquer l’Autre – ne tiennent pas la route. Ainsi en est-il de formules du type : « Il n’y a qu’une seule race, c’est la race humaine ».

L’historien des sciences André Pichot rappelle que c’est bien « l’espèce humaine qui est unique au sein de son genre »7. Aussi, puisque la race est une subdivision de l’espèce, il ne peut y avoir de « race humaine » au singulier, car ce serait reconnaître l’existence d’une nouvelle ramification au sein de l’espèce. Or le genre Homo ne connaît actuellement qu’une seule et unique espèce à laquelle appartiennent tous les Hommes sans exception : Homo sapiens, soit l’humain. Cette espèce ne connaît aucun autre rameau qui la diviserait à nouveau.
Un Genre : Homo Une espèce : Homo-sapiens (les autres ayant disparu)

En somme, si l’on veut évoquer cette subdivision de l’espèce homo sapiens, en suggérant donc l’existence de la race dans un contexte humain, autant le faire de manière sensée : « Soit il y a plusieurs races (au moins deux) au sein d’une même espèce, soit il n’y en a pas »8, mais dans tous les cas l’expression « il n’y a qu’une seul race : c’est la race humaine » est incohérente puisque Homo-sapiens constitue déjà une espèce à lui seul et représente l’humain en propre. Mais il est certes vrai qu’une fois que l’on a dit cela, on n’a quasiment rien dit car, au fond, la question du racisme dépasse largement aujourd’hui la polémique sur l’existence ou non des races.

Il est cependant coutumier d’entendre dire, à la moindre mention d’un soupçon de racisme, que « tous les hommes ont du sang rouge qui coulent dans leurs veines ». Cette lapalissade, présentée comme argument décisif et absolu, est supposée contrer définitivement le racisme, tant il est aujourd’hui admis qu’il suffit de dilacérer la notion de race, et d’affirmer que « tous les êtres humains ont le même sang rouge qui coule dans les veines », pour éradiquer le mal. Notons d’ailleurs que les humains ne sont pas les seuls à avoir le sang rouge : il y a aussi les poules et les boeufs, entre autres.

Il est important de retenir avant tout que le racisme actuel s’est parfaitement accommodé des sciences qui nient la pertinence et la rationalité du concept de race, puisqu’il a eu l’intelligence de les dépasser en se référant à d’autres critères d’exclusion ayant le même penchant au rejet : la race perd son maillot jaune au bénéfice de l’ethnie, de la culture, de la langue, de la religion ou de la civilisation. Mais le problème demeure…

Le « différentialisme culturel » est, dans ce sens, considéré comme une mutation du « racisme premier ». Les partisans du vieux racisme ayant été universellement marginalisés au lendemain de la seconde guerre mondiale, certains d’entre eux se sont depuis recyclés dans l’affirmation revendicative et radicale d’un culte des différences ethniques et culturelles pour orner leurs constructions dialectiques et idéologiques autour du « chacun sa culture, chacun ses coutumes, chacun sa civilisation, chacun sa langue, chacun sa nation et, par conséquent, chacun chez soi. » C’est une transposition du champ d’exclusion biologique du racisme primaire vers le champ moins polémique de la culture et de ses succédanés.

Ce racisme projette donc l’évitement de l’Autre sur des fondements culturels, plus « acceptables » en soi et plus dicibles que les formulations fondées autour de la race qui effraient tant à l’heure actuelle. Ce n’est plus l’inégalité raciale qui est donc professée, mais l’irréductibilité des cultures trop distantes.

Ces thèses, le sociologue Michel Wieviorka, le philosophe Pierre- André Taguieff ou encore Etienne Balibar les développent dans plusieurs de leurs ouvrages. Ils y expliquent comment les partisans du racisme hiérarchisant ont délaissé leur dogme inégalitariste pour se référer à une sorte d’ethno-différentialisme créant ainsi un « racisme sans race »9. Cependant, en France, Jean-Marie Le Pen ou Bruno Mégret, pour ne citer que les plus connus parmi les « méchants racistes », continuent à croire en l’inégalité des races et ne se privent pas pour « déraper » à l’occasion de certains de leurs discours publics.
Quant à l’universalisme, quel sens lui donne-t-on ? Et quelle différence fait-on entre l’universalisme réel et l’« universalisation de son propre ethnocentrisme » ? L’histoire l’a démontré, notamment au cours des conquêtes coloniales : on affuble souvent toute entreprise de conquête et de domination du prétexte d’universalisme. Celui qui conquiert, puis impose son imaginaire à autrui par la force, sans même réaliser le moindre échange, se place au même niveau que celui qui échange, donne et reçoit de l’autre sans contrainte. De cette confusion sémantique va naître toutes sortes de mythes de l’universel.

L’universalisme est la capacité que l’Homme a d’apprécier une nondistance entre son sort et celui de l’humanité dans sa globalité. Sa préoccupation ne se limite plus seulement à ce qui lui est conforme, mais s’étend à tout ce qui relève de l’humain. (cf. Térence : « Rien de ce qui est humain ne m’est étranger »). Ceci induit clairement une disposition à l’empathie, au « souci de l’autre ». Malheureusement, lorsque d’aucuns font avant tout la part belle à leurs propres valeurs socioculturelles, considérées comme intrinsèquement supérieures à celles des Autres, et établissent d’emblée une hiérarchie qui va conforter leur ascendant sur ceux qu’ils croient nés pour obéir à leur fantaisie, on parle d’universalisme. Le sociologue Michel Wieviorka voit à ce sujet deux aspects du racisme, dont un « qui considère qu’il n’y a qu’un universel : celui de la race dominante, à laquelle les autres races ne peuvent être que soumises dans des rapports de domination »10. C’est ici la définition exacte de l’universel selon les républicains colonisateurs de la IIIe République, par exemple.

Généraliser, à tout l’antiracisme, l’orientation utilitariste dénoncée ici serait aussi injuste que d’en nier l’existence, son imposante présence dans l’esprit de certains, et le rôle qu’elle joue dans le mépris que ces derniers affichent pour tout ce qui n’est pas de la doctrine irresponsable dont ils se réclament. Le but de cet essai est d’analyser une atmosphère et une disposition de pensée formelle. Il ne s’agit pas ici d’extirper une réalité parmi la multitude, de la décontextualiser pour finalement prétendre qu’elle représente la seule et unique vérité antiraciste. Il s’agit de prendre délibérément une tendance précise de l’antiracisme, et d’examiner les comportements sociaux qui en découlent.

Un postulat simple : les Encombrants ont autant le droit que les autres de voir traiter les problèmes du racisme et des effets complexuels de celui-ci de façon conséquente et sérieuse. Rien ne les prédestinant à se satisfaire de slogans médiocres et superficiels sur le « métissage » et la « France black-blanc-beur », que des autosatisfaits viennent leur postillonner à la figure.
________
1 Lors des nuits d’émeutes d’octobre/novembre 2005, le magazine Le Point mit en cause explicitement « les Noirs » et accompagnait cette accusation d’une explication qui connectait « délinquance » et « polygamie africaine ». L’article titré «Banlieues – Émeutes. Les Blacks en première ligne » décrit ouvertement, et sans langue de bois, ce que tous les journalistes de droite rêvaient de pouvoir dire depuis longtemps : « La communauté noire se replie dans un communautarisme inquiétant. Et la polygamie n’arrange rien : beaucoup d’enfants sont dans la rue, faute de place à la maison » (Le Point du 10 novembre 2005).

2 Rapport sur la communautarisation des banlieues, Le Monde du 10 juillet 2004.

3 DESIR Harlem, Touche pas à mon pote, Éditions Grasset, 1985, p. 314.

4 Ibid. Aujourd’hui, on rirait jaune devant l’utilisation du mot « communauté », mais à l’époque il fallait frapper les esprits et donner l’illusion d’une conjonction d’intérêts communs contre le même ennemi incarné par le Front national.

5 Serge Malik, ancien membre de SOS-Racisme, explique cette rupture non connue du grand public à l’époque des faits dans Histoire secrète de SOS Racisme, Éditions Albin Michel.

6 Luca Cavalli-Sforza Qui sommes-nous ?, Éditions Albin Michel, 1994.

7 André Pichot La société pure : de Darwin à Hitler, Éditions Flammarion.

8 Ibid.

9 E. Balibar & I. Wallerstein Race, nation, classe. Les identités ambiguës, Éditions La Découverte.

10 L’espace du racisme Éditions du Seuil, page 91.
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eikichi onizuka
Bon posteur


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MessagePosté le: Mar 29 Mai 2007 07:46    Sujet du message: Répondre en citant

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