Alors la situation camerounaise préoccupe l’establishment à Paris et Washington, l’ambassadeur de France à Yaoundé tente de rassurer les milieux d’affaires franco-camerounais dans un contexte politico-économique difficile et très incertain.
C’est sans conteste le rôle des diplomates de toujours vendre l’optimisme, du moins publiquement, même lors que les indicateurs réels préfigurent tout le contraire. C’est sans doute à un tel exercice que le Haut représentant du gouvernement français au Cameroun s’est essayé mardi dernier. Présidant au consulat général de France à Douala une réception offerte par la section commerciale de la mission diplomatique qu’il dirige, Son Excellence Jean François Valette a demandé à l’assistance de ne pas s’inquiéter d’une éventuelle reproduction au Cameroun de ce qui se passe en Côte-d’ivoire. “ Ce qui arrive en Côte-d’Ivoire ne peut pas se transposer ici (au Cameroun, ndlr). Le Cameroun est un pays stable”, a déclaré en substance l’ambassadeur de France au Cameroun.
Une déclaration hors de propos ? Si l’on s’en tient uniquement à l’objet de la rencontre du consulat de France – une opération de marketing des autorités diplomatiques françaises, pour l’origine et la destination France, aux consommateurs et producteurs locaux, de plus en plus tentés, dans l’environnement globalisé actuel, de diversifier leurs partenaires et débouchés d’affaires, souvent au détriment des pôles traditionnellement français –, on pourrait répondre par l’affirmative. Erreur car, dans les rangs des opérateurs économiques camerounais, les inquiétudes d’avant-veille de la présidentielle ne se sont pas encore complètement estompées. Par exemple, dans les sièges hexagonaux des groupes français installés au Cameroun depuis des lustres (Cfao, Delmas, etc.), on cache de moins en moins son pessimisme, au regard du tassement de l’activité économique dans de nombreuses branches. Au point où des stratégies dites de “maîtrise des charges, dans un contexte très difficile” sont planifiées pour assurer la rentabilité du business. Ainsi, au groupe Cfao, une opération de dégraissage de personnel serait en cours depuis bientôt deux semaines. Selon une confidence parisienne c’est plus de 10% du personnel, soit quelque 150 employés des 900 employés du groupe, qui devraient ainsi, à terme, être “ libérés ”.
Quant au groupe Bolloré (Sdv, Socopao et Saga), très présent dans le secteur du transport maritime, d’ici décembre 2004, c’est quelque 200 personnes qui pourraient être mis à la porte, pour dit-on “ des raisons économiques ". Et pas seulement du fait de la baisse des bénéfices dans la principale branche d’activité de ce groupe (manutention des conteneurs qui représente plus de 50% du chiffre d’affaires annuel) depuis la réorganisation, à travers une nouvelle concession, de la gestion du terminal à conteneurs. On y voit surtout la conséquence d’un projet de fusion des différentes structures en un pôle unique. L’un n’explique-t-il pas l’autre ? Voire.
Parallèle camerouno-ivoirien
Quelles que soient les raisons véritables de ces mesures qui devraient sans doute d’abord toucher le personnel “ africain ”, qui, bien que majoritaire (90%) représente un très faible pourcentage des charges (-30%) en réalité camerounais, il y a une lame de fond qui justifie ces inquiétudes dues, en bonne partie, aux incertitudes politiques. En effet, dans les milieux d’affaires locaux, qu’ils soient camerounais d’origine ou français, beaucoup n’hésitent plus à faire un parallèle entre la situation camerounaise actuelle avec celle qui a prévalu en Côte-d’Ivoire vers la fin du long règne de Félix Houphouët-Boigny. L’on se cache à peine désormais, malgré la “dolce vita” sous les tropiques de ces Européens qui n’aimeraient en partir à aucun prix, pour rappeler, que la dure crise ivoirienne d’aujourd’hui a pour origine profonde réelle la mauvaise préparation de la sortie d’un système non démocratique et autoritaire soutenu par la France et les réseaux souterrains.
Au regard de l’héritage complexe laissé par Houphouët-Boigny et difficilement gérable dans un contexte d’ouverture démocratique où le peuple mobilisé veut dire son mot, nul ne peut prédire demain, avec, la sortie inéluctable de scène du président actuel du Cameroun, des luttes de succession n’ouvrent le champ à une longue période d’incertitudes. Le discours de M. Vallette tente ainsi de masquer une inquiétude à peine voilée des officiels français sur une situation potentiellement explosive, du moins sur le plan social, tel que le montre la réalité des chiffres.
Pourquoi les Français du Cameroun ont peur
Le traitement princier des ressortissants français travaillant en Afrique francophone révolte de plus en plus leurs camarades africains qui n’attendent que la première occasion pour en découdre. Décryptage de la sortie récente de l’Ambassadeur de France à Yaoundé.
Réagissant aux informations sur la situation sociale dans certaines entreprises française installées au Cameroun, un haut responsable de la filiale camerounaise de Delmas confirme, certes indirectement, que cette société citée par Le Messager, avec Cfao-Cameroun comme mettant actuellement à la retraite de contingents importants d’employés camerounais, a effectivement entrepris depuis quelque temps de se séparer de certains de ses employés “africains”. Même si ce haut responsable s’est gardé d’indiquer le nombre de personnes concernées et l’incidence financière globale de ces départs qu’il qualifie de “volontaires”, il a affirmé qu’ils constituent plutôt une très bonne affaire pour les intéressés. “Nous essayons de les faire partir dans les meilleures conditions possibles. Nous avons par exemple accordé 150 millions de Fcfa à un de nos cadres qui s’est installé à son propre compte. De plus nous lui avons facilité l’ouverture d’une ligne d’affaires dans la région du Proche-Orient ”, a-t-il révélé.
S’agissant de l’information du Messager sur le récent séjour à Douala d’un dirigeant hexagonal de Delmas, il a réfuté la thèse du Messager qui y voyait un lien avec le projet de restructuration de la filiale qui serait à l’origine des quelque 200 départs annoncés par nos sources. “ On est en fin d’exercice budgétaire. Le dirigeant du siège qui a effectivement séjourné au Cameroun y était pour la préparation du budget 2005 qui doit entrer en vigueur dès janvier prochain ” a confié au Messager ce haut responsable de Delmas Cameroun.
Mais qui a donc dit que préparer un budget exclut la mise en œuvre d’un plan de réduction des charges, notamment celles du personnel ?
Toujours est-il que de manière sibylline, ce haut responsable de Delmas veut laisser entendre que cette entité camerounaise du groupe Bolloré ne jette pas les cadres africains dans la rue comme certains de ses pairs locaux. Il ne s’est pourtant pas étendu sur la constance relevée par Le Messager, sur la priorité accordée aux Africains lors des “départs”, volontaires ou non, alors même que les charges occasionnées à l’entreprise par leur présence ne représenteraient pas grand-chose par rapport au traitement des cadres et agents européens.
Disparités sociales criardes
Selon les sources syndicales en effet, les employés européens, tous grades et cadres et confondus, contrairement à leurs collègues africains, ont droit à de nombreux avantages supportés par l’entreprise. Il en va ainsi des logements dans les quartiers huppés des grandes métropoles Bonapriso à Douala et Bastos à Yaoundé. Le loyer mensuel oscille entre 600.000 et 1 million de Fcfa ; du crédit auto ; un hôtel particulier ; deux voyages annuels pour toute la famille (y compris enfants et chiens) en métropole (France) en business class ; un remboursement des frais médicaux des membres de la famille des travailleurs expatriés ; la scolarité des enfants dans les écoles et collèges français de Douala (Dominique Savio) et Yaoundé (Fustel de Coulanges) ; etc. Ces avantages qui sont autant de charges pour des entreprises qui préfèrent tailler dans le pauvre personnel africain lorsqu’il leur vient de vouloir réduire les charges, s’ajoutent à des salaires mensuels mirobolants. On les situe entre 4 millions et plus de dix millions de Fcfa selon la fonction occupée, rarement compatible avec la qualification universitaire ou professionnelle. Selon les calculs des syndicats, que refusent de voir les Inspecteurs de travail camerounais, un cadre expatrié moyen coûterait mensuellement entre 80 et 100 millions à l’entreprise, contre moins de moins de 10 millions pour le cadre camerounais moyen.
Ce traitement princier des expatriés n’est pas exclusif à Delmas. Selon des sources syndicales, que ce soit à Cfao, à Orange-Cameroun, la filiale locale de France Télécom; Utc ; Crédit lyonnais du Cameroun; Société générale de Banque du Cameroun; Agf Assurances; Axa Assurances; Bicec; Getma ; Camrail ; Air France ; bref toutes les filiales africaines de groupes occidentaux en général et français en particulier, l’attribution des avantages serait, selon les syndicats des travailleurs, généralement fonction, non de la compétence de l’employé, mais de la couleur de la peau.
On comprend mieux pourquoi l’Ambassadeur de France s’est cru obligé de rassurer ce petit monde lors de la réception offerte au Consulat de France mardi dernier. Car, en cette période de révolte des patriotes ivoiriens contre la domination française, de telles disparités alimentent sans doute un sentiment anti-français diffus, du moins dans les milieux des cadres africains desdites multinationales. Beaucoup d’entre eux, affirment en effet, en cette ère de mondialisation, supporter de moins en moins ce traitement à double vitesse vécue comme une injustice criarde. C’est pourquoi, pour la plupart, ils ont de plus en plus de la sympathie pour les patriotes du président ivoirien Laurent Gbagbo qui défient la troupe française à Abidjan.
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