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Restitution d’avoirs volés à l’Afrique: Quelle justice ? Pour quelle efficacité ?
Suite aux révolutions arabes et aux révélations concernant les fortunes des dictateurs tombés, les autorités judiciaires occidentales pourront t-elles vraiment se révéler efficaces quand on sait la suite donnée à d'autres affaires de restitution de fonds détournés et placés en Occident ?
Par Daniel Noumbissie Tchamo le 09/03/2011

Hosni Moubarak
De Londres, Génève, Bruxelles, Paris, et ailleurs on entend les voix des autorités (inter)gouvernementales et judiciaires s’élever pour clamer le gel des avoirs, saisies des comptes bancaires et biens immobiliers de Hosni Moubarak, Ben Ali et des membres de son clan pour (soupçon) d’évasion fiscale ou blanchiment d’argent. C’est une politique de remédiation qui, jusqu’ici, reste très en dessous des attentes au regard de la suite réservée aux affaires du même acabit dans le passé. C’est d’autant plus hypocrite que les pays dits développés dont les hautes autorités publiques disent se soucier du développement, des libertés et justice sur le continent africain en particulier, perpétuent ou entretiennent paradoxalement des centres financiers onshore et offshore qui font du "recel de détournement de fonds publics" et abritent des investissements privés "frauduleux".

Il serait inexact de ne pas reconnaître que la grammaire des réformes du système financier international ne cesse de grossir pour faire face au phénomène de blanchiment, d’évasion fiscale et de recel des deniers publics détournés. Néanmoins, sur les 400 milliards de dollars détournés, c’est près de 150 milliards qui continuent à sortir de l’Afrique chaque année (CNUCED).

Les pays dits développés dont les hautes autorités publiques disent se soucier du développement, des libertés et justice sur le continent africain en particulier, entretiennent paradoxalement des centres financiers onshore et offshore qui font du "recel de détournement de fonds publics" et abritent des investissements privés "frauduleux"


Et la somme de 5 milliards et de 70 milliards d’euros que le Magazine américain Forbes et le Quotidien Guardian, par exemple, attribuent respectivement aux familles Ben Ali et Hosni Moubarak, et leur clan en Occident et ailleurs réactive des interrogations. Quel que soit le sens de la réflexion à ce sujet, il s’ensuit qu’il reste encore beaucoup de chemins pour pallier les failles d’un système financier international qui fait rituellement recours à la justice réparatrice. Le problème est que toutes les affaires traitant de recouvrement des avoirs dans lesquelles certains Etats africains se sont portés partie civile ont mis en exergue un déni de justice et l’inefficacité même de cette pratique de justice réparatrice.
Déni de justice réparatrice

Ben Ali
Une grande majorité des Etats membres des Nations Unies ont ratifié, dans le cadre régional plusieurs Conventions et autres instruments multilatéraux pour prévenir, combattre la corruption internationale, y compris le recouvrement d’avoirs. La Convention des Nations Unies contre la Corruption (CNUCC) de décembre 2005 nous intéresse parce que c’est elle qui regroupe un nombre important des Etats (147), et affirme clairement le principe de justice réparatrice. Au travers de ce principe on note une focalisation sur le préjudice en essayant de le réparer et / ou de restaurer l’équilibre rompu entre les différentes parties.

C’est de cela qu’il est question dans le Chapitre V : « Recouvrement d’avoirs ». l’Art. 51 Al. 1, est assez révélateur : « la restitution d’avoirs en application du présent chapitre est un principe fondamental de la présente convention et les Etats parties s’accordent mutuellement la coopération et l’assistance la plus étendue à cet égard. »

Ceci est réaffirmé dans l’Initiative pour la restitution des avoirs volés(StAR) conjointement élaborée par la Banque Mondiale et l’Office des Nations Unies contre les drogues et le crime.
La pratique de ce type de justice relève d’une politique de remédiation car elle intervient après la violation des droits. Et quelque louable qu’elle puisse paraître, elle engage les pays d’origine dans des dédales de procédures pour entrer en possession de ce qui leur est dû.
Or, l’environnement de libéralisation des finances internationales en la matière est fait de rouages de blanchiment et d’une prédominance des accords bilatéraux sur les accords multilatéraux. Les pays africains ne sont pas à la hauteur des tracasseries judiciaires parfois savamment orchestrées pour faire échouer ou décourager les gouvernements comme ceux-là qui initient cette démarche de restitution ( affaire RDC contre Suisse).

Les échanges des informations fiscales, judiciaires et bancaires se font généralement entre pays riches et développés au risque de violation de l’article 51 de la Convention suscitée et autres. En effet, les avoirs finalement restitués au fil de moult années de procédures ne représentent pas grand-chose par rapport aux fonds frauduleux des délinquants à col blanc. Malheureusement on ne peut pas compter sur un système financier mondial encore très opaque imbu de règles inéquitables qui étranglent les pays africains pour faire triompher la vérité et rendre justice comme équité aux Etats africains, mieux aux citoyens lésés.

Le déni de justice ici représente une double peine : il participe davantage à la dégradation des conditions de vie socio-économiques voire politiques des victimes. Ces dernières avaient déjà souffert de l’impact des avoirs détournés sur leurs droits sociaux, économiques voire politiques. Certaines conséquences restent irrémédiables comme les millions de décès, les traumatismes socio-politiques, les dégradations environnementales. Quel sentiment d’injustice internationale de savoir que les avoirs colossaux des « pauvres » aux droits fondamentaux bafoués alimentent le marché financier (de crédit et de titre etc.) dans et en faveur des pays riches ?

Sur les 20 à 40 milliards de dollars d’aide détournés annuellement dans les pays bénéficiaires (d’aide), seuls 5 milliards ont été restitués ces seize dernières années
Justice inefficace

Mobutu
La justice réparatrice s’apparente, nous l’avons vu, à une politique de remédiation. Si tant est que l’efficacité ait trait au résultat, son inefficacité se dévoile ici, au regard des sommes finalement restituées aux victimes. Elles sont insignifiantes et moins réinsérées dans les programmes socio-économiques de développement. Ce qui laisse réapparaître la responsabilité des acteurs dans le pays d’origine.
La politique de remédiation dans la politique financière internationale en matière de blanchiment et évasion fiscale recolle les morceaux épars du système financier corrompu de manière palliative et ne permet pas toujours, au regard de son succès très mitigé, de mettre le secteur financier international à contribution dans le financement du développement dans les pays africains.

Elle reflète une certaine complaisance des organisations internationales financières et économiques, un laxisme dans l’application des réglementations déjà en vigueur par certains pays riches notamment ceux qui profitent beaucoup de cette « économie de blanchiment, d’évasion fiscale et de deniers publics détournés ». Par exemple, dans « l’affaire C-170/09 », la France n’a-t-elle pas été condamnée par la Cour de justice européenne pour n’avoir toujours pas transposé en droit national la directive antiblanchiment de 2005 trois ans après le délai prescrit ?

lors de la tenue du G20 à Londres en avril 2009 le passage éclair de beaucoup de pays épinglés par l’OCDE pour non transparence fiscale et pratiquant le secret bancaire, de la « liste noire » à la « liste grise » n’a-t-il pas été un tour de passe-passe juridico-éthique forcé, qui n’a pas convaincu l’opinion publique internationale ? Que sont devenus les gages de bonne volonté affichés ? Quels résultats concrets escomptés sont issus de la coopération juridique mutuelle entre l’Initiative StAR et les 23 pays victimes qui ont sollicité son appui depuis 2005 ?

Sani Abacha
Il a fallu, par exemple, au Nigéria, l’un des pays les plus corrompus de l’Afrique et aussi victime de détournement de fonds, 5 ans pour rapatrier 505 millions de $ US sur les 3 à 5 milliards attribués à Sani Abacha( ex. Président nigérian 1993-1998) et ses proches en Occident. Même la RDC( l’ex. Zaïre) n’a pas pu en avoir la moitié. La dernière plainte de la RDC a été rejetée le 21 avril 2009 par les autorités helvétiques pour prescription des faits. Sur les 20 à 40 milliards de dollars d’aide détournés annuellement dans les pays bénéficiaires (d’aide), seuls 5 milliards ont été restitués ces seize dernières années.

Entre 1998-2004, c’est environ 2,8 milliards d’euros de deniers publics camerounais qui ont été détournés d’après un document de Stratégie nationale de lutte contre la corruption (SNLCC). Point n’est besoin d’ajouter qu’ils ont été plus placés hors du continent. Encore qu’il faudrait attendre, comme c’est de coutume, la chute de l’autocrate au costume de démocrate, pour en savoir plus. Pour quelle justice ? pour quelle efficacité ?

L’hypercomplexité des procédures et le particularisme des systèmes juridiques nationaux compromettent aussi les chances de réussite de l’opération même si les Etats victimes peuvent bénéficier au regard de l’Initiative pour la restitution des avoirs volés (StAR) une assistance juridique. Mais l’abandon de la procédure peut aussi être lié à une grande politisation de la question dans le pays d’origine dont les autorités locales privilégient la paix contre la justice internes surtout quand les gouvernements successifs sont une continuité de gabegie et de gestion publique opaque.
Somme toute l’assainissement de l’environnement politico-économique du pays d’origine s’impose pour que le peu de fonds restitué soit mieux réutilisé et ne reprend plus d’autres voies pour se retrouver ailleurs. Cela relève encore d’un grand défi pour tous. Il est grand temps que les Etats parties à la Convention de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption en fassent bon usage. Qu’ont-ils d’ailleurs fait de l’Art. 19 de ladite convention « coopération internationale » au moment où les pays comme le Ghana et l’Afrique du Sud sont à la fois victimes et bénéficiaires (des avoirs volés)?

Les sociétés civiles africaines doivent davantage s’approprier la question. Oser de véritables réformes au niveau de l’OCDE, du FMI donneraient moins de champ d’action à la justice réparatrice. Cette dernière est inefficace aux yeux des populations africaines, les plus faibles dont certains dirigeants et une certaine élite continuent à être « très forts » pour distraire les fonds et, leur Etat très précaire sinon encore corrompu pour se défendre en récupérant les avoirs volés. Dans un système financier qui peine à se réformer vraiment au-delà des discours ou appliquer le minimum de règles de droit en vigueur, la justice réparatrice y est une grande parodie de justice qui se moque des victimes que sont d’abord les citoyens mal lotis.
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