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![]() L'équipe de France à l'entraînement lors de l'Euro 2012 | ||||||||||||
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Depuis la débâcle de l’équipe de France de football au mondial 2010 en Afrique du sud, l’espace public français est constamment envahi par des polémiques en tous genres qui mettent en cause les comportements pour le moins controversés de certains joueurs de cette sélection nationale, notamment ceux issus essentiellement des mouvements migratoires volontaires et involontaires, conséquences des aventures coloniales de la France dans le monde. De leurs piètres performances sportives successives, il est désormais courant d’en faire un drame national mettant en évidence un « dialogue de sourds entre la France et ses rejetons illégitimes de ses aventures d’outre-méditerranées ». [1]
Ce déplacement passionnel, d’une analyse qui devrait rester stricto-sensu sportive vers des discours publics à caractère ethnologiques sur ces fiascos à répétition, trahit la transformation progressive de la scène footballistique française en scène de luttes postcoloniales mettant aux prises les expressions publiques d’insoumissions minoritaires aux injonctions majoritaires à la limite de l’intimidation hégémonique. Ainsi, au-delà des attitudes inacceptables des joueurs à blâmer, est-il davantage question de perceptions journalistiques à décoloniser. On le sait, certains professionnels des médias, dès qu’il s’agit de l’équipe de France de foot, ont désormais la fâcheuse tendance compulsive à oublier leur métier, en se muant en éducateurs de quartier prêts à assener la leçon de morale dès le moindre écart de comportement de ces joueurs traités comme des bambins de banlieue « immatures », enivrés par la gloire et l’argent, qu’il faut à tout prix rééduquer et civiliser. | ||||||||||||
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![]() Michel Platini | ||||||||||||
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Michel Platini, ancien attaquant en équipe de France, a reconnu lui-même, dans un entretien récent, avoir proféré des insultes au cours de sa carrière. Mais à aucun moment il ne fut inquiété par une « fatwa journalistico-footballistique » comme celle qui a été lancée contre Anelka après l’épisode de Knysna et aujourd’hui contre Samir Nasri. Le caractère infantilisant de ce discours journalistique, qui tend à faire passer ces réalités comme une spécificité des joueurs issus des minorités ethno-racialisées alors qu’elles sont largement répandues dans le milieu du foot voire même au delà, traduit un mépris de la classe journalistique française envers ces derniers. Un mépris d’autant plus mâtiné de jalousie qu’il met en évidence une sorte de fossé entre une élite journalistique parisienne imbue d’elle-même et une élite sportive composée pour l’essentiel des rescapés de la fracture urbaine devenus pour certains des milliardaires.
« L’audace des opprimés fait scandale » , écrit Christine Delphy. On pourrait reprendre la formule en disant que « l’audace des joueurs issus des minorités racialisées fait scandale ». En témoigne le déploiement d’une phraséologie plutôt déconcertante à la limite de la nausée sur ces derniers dès que les performances attendues ne sont pas au rendez-vous. « Traitres à la nation », « incultes », « grossiers », « mal polis » « bande de petits cons », « caïds immatures », « ils ont pris la grosse tête », « ça suffit le melon », « Ils ont encore souillé le maillot bleu », « ils ont rien à y faire », etc. Des mots pour la plupart proférés sur le ton de la menace, de l’intimidation, de l’invective, avec comme dessein la disqualification de ces joueurs aux yeux de la Nation et l’érection des frontières symboliques entre « Nous » et « eux ». | ||||||||||||
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![]() Laurent Blanc et Samir Nasri | ||||||||||||
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Comme si ceux-ci s’étaient rendus coupables de la plus haute des trahisons alors qu’il n’est question que d’une banale défaite sportive qu’il faut savoir accepter, digérer et analyser sur un plan strictement sportif. Non, il s’agit de les jeter en pâture, de les livrer à la vindicte publique, bref de leur faire subir une forme de punition symbolique, comme au bon vieux temps des colonies, destinée à laver la Nation de l’humiliation publique que ces « sauvageons », indignes du maillot des Bleus, sont supposés lui avoir infligée. En oubliant parfois que derrière ces sportifs il y a des hommes, des êtres humains, des pères de famille, des citoyens lambda qui peuvent déraper parce que blessés par certaines attitudes. Mais on leur enjoint l’ordre de se taire. Parce qu’ils n’ont qu’un cerveau de "footeux" et l’apparence physique d’un "immigré". Nous sommes là en face, ni plus ni moins, d’un discours majoritaire de stigmatisation de l’Autre qu’il faut à tout prix rendre coupable de tous les maux des Bleus, dédouanant au passage certains responsables comme le sélectionneur ; d’un discours majoritaire de criminalisation de l’Autre. Ce phénomène pointé par le sociologue Stéphane Beaud lorsqu’il évoque la constitution de nouvelles classes dangereuses par les médias avec des jeunes mal élevés qui menacent l’ordre social. Bref, il est question d’un déploiement de logiques hégémoniques du « groupe maître » excédé par ceux qu’ils considèrent avant tout comme des « pièces rapportées » de cette sélection nationale, incompatibles avec les valeurs de celle-ci.
Comme si ces valeurs ne dépendaient que de lui. Ces logiques hégémoniques dans le discours journalistique sont d’autant plus rendues visibles qu’il y a un an, au moment de l’Affaire des quotas dans l’équipe de France, toute la presse, à quelques rares exceptions près, n’avait pas jugé utile de défendre ces mêmes valeurs en déployant un cordon sanitaire autour des hiérarques fautifs de la FFF. Pourtant, entre les « Chut… » et « fils de p… » de Nasri » et les « quotas raciaux », il n’y a pas vraiment match. | ||||||||||||
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![]() Nicolas Anelka | ||||||||||||
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Ce deux poids deux mesures, cette différence de traitement témoignent de ce malaise qui s’est instauré entre les journalistes et certains éléments de cette équipe de foot. Un malaise qui d’autant plus se mue chaque jour en fossé incommensurable qu’il est urgent de décoloniser les perceptions journalistiques à l’endroit de ces joueurs. Car ces derniers l’ont bien compris, les commentaires désobligeants dont ils font l’objet continuellement dans la presse ne sont ni plus ni moins que la continuité du regard colonial subi par leurs pères et mères. Et leurs réactions outrancières, postures presque contre-hégémoniques, exprimées désormais ostentatoirement sur le terrain même du jeu alors qu’elles étaient auparavant confinées dans les vestiaires, est une façon de répondre à ces injonctions majoritaires insupportables. Si la victoire des Bleus en 98 avait été placée sous le signe de la reconnaissance des talents issus des cités, les générations d’après recherchent bien plus que de la reconnaissance.
Ils demandent le respect. RESPECT est un mot bien plus important pour les générations actuelles qui savent qu’ils n’ont plus besoin de prouver leur « francité ». Ils sont Français. Et lorsque ce respect tarde à venir, il ne faut pas s’étonner que certains joueurs sifflent eux-mêmes la fin de la partie par des outrances que les interprétations racialisantes n’aideront pas à faire comprendre. Arnaud N. MASSENGO | ||||||||||||
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Notes | ||||||||||||
[1] Ahmed Boubeker, « le creuset français ou la légende noire de l’intégration », in Pascal Blanchard, Nicolas Bancel, Sandrine Lemaire (dir) (2005), La fracture coloniale, la société française au prisme de l’héritage colonial, La découverte, p.183. [2] Delphy Christine (2008), Classer, Dominer, Qui sont les « autres » ?, Editions La fabrique. [3] Beaud Stephane, Entretien Rue89, « La grève des Bleus renvoie aux banlieues ». Mars 2011 | ||||||||||||
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