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Raju Singh : « on vit moins longtemps au Cameroun aujourd’hui qu’il y a 20 ans »
Economiste en charge du Cameroun et de la sous-région Afrique centrale à la Banque Mondiale, Raju Singh analyse pour grioo.com le sixième numéro des cahiers économiques du Cameroun publié par le bureau de la Banque Mondiale au Cameroun
Par Paul Yange le 22/11/2013
Quels sont les enseignements majeurs de votre rapport semestriel sur l’économie camerounaise ?

Le Cameroun affiche des performances économiques relativement bonnes au regard du ralentissement de la croissance observé dans le reste du monde. Selon les estimations, l’activité économique a progressé de 4,4 % en 2012, à la faveur de résultats solides et soutenus obtenus aussi bien dans le secteur pétrolier que dans celui des services. Cette croissance devrait se reporter sur 2013 et augmenter à environ 5 %.
Ces taux de croissance restent néanmoins insuffisants pour contribuer à améliorer les conditions de vie des Camerounais.

Par ailleurs, le Cameroun reste vulnérable aux effets des incertitudes économiques mondiales. Certains observateurs prévoient une accentuation de la récession en 2013 dans la zone euro, qui reste le plus important partenaire commercial du Cameroun. Dans ces circonstances, nous pensons qu’il serait bon de poursuivre les efforts qui sont déjà en partie en cours pour renforcer la résilience du pays, notamment en rendant les dépenses publiques plus efficaces et en les axant davantage sur les résultats.

le Cameroun reste vulnérable aux effets des incertitudes économiques mondiales
Raju Singh


Pour ce faire, il faudrait notamment examiner les différentes solutions envisageables pour alléger la charge budgétaire que représentent les subventions, en particulier celles liées aux carburants. Les subventions aux produits pétroliers (à l’exception du pétrole lampant) profitent essentiellement aux 10 % les plus riches de la population vivant en milieu urbain, et leur suppression n’aurait qu’un effet limité sur les prix (de l’ordre de 2 %).
Le focus de ce rapport est la santé : pourquoi ?

Intitulé Vers une plus grande équité – Numéro spécial sur la santé, le sixième numéro des Cahiers économiques du Cameroun publiés par le Bureau de la Banque mondiale au Cameroun s’intéresse tout particulièrement au secteur de la santé et ce pour deux raisons. Tout d’abord, le Cameroun, qui ambitionne de devenir une économie émergente d’ici 2035, devra favoriser l’accès des populations les plus démunies aux services de santé s’il veut s’engager sur la voie d’une croissance durable.

Ensuite, au Cameroun, il n’est pas facile de disposer de données récentes sur la santé. Aucun rapport annuel sur les statistiques de la santé n’a été établi depuis plus d’une décennie. Nous avons pu bénéficier pour la rédaction de notre travail du récent rapport sur l’état de santé de la population du Cameroun, décrivant le profil de santé de ce pays, ainsi que les ressources (financières et humaines) allouées à la santé.

Aucun rapport annuel sur les statistiques de la santé n’a été établi depuis plus d’une décennie
Raju Singh


Le rôle du capital humain a été reconnu comme indispensable à la croissance économique. Une bonne santé valorise le capital humain et améliore par conséquent la productivité économique des individus et ainsi le taux de croissance économique de l’ensemble du pays. Une meilleure santé accroît la productivité de la main-d’œuvre, aussi bien qualifiée que non qualifiée, en améliorant ses capacités physiques et mentales générales comme la vigueur, le fonctionnement cognitif et l’aptitude au raisonnement, et en réduisant les cas de maladie et d’incapacité. Une bonne santé aide en outre à améliorer les niveaux d’éducation en élevant les niveaux de scolarisation et de performance intellectuelle. Une économie qui ne dispose pas d’une main-d’œuvre ayant un niveau minimum d’éducation et de santé n’est pas en mesure de suivre durablement un sentier de croissance approprié.

Raju Singh
Le secteur de la santé au Cameroun se porte-t-il mieux ou moins bien que le secteur de la santé dans d’autres pays africains économiquement comparables au Cameroun ?

Au cours des deux dernières décennies, les indicateurs de santé du Cameroun n’ont que peu évolué. Par exemple, le Cameroun a été l’un des pays au monde où le taux de mortalité des enfants de moins de cinq ans a le moins diminué et où l’espérance de vie a même baissé. On vit moins longtemps au Cameroun aujourd’hui qu’il y a vingt ans. De plus, on constate des disparités marquées en matière de santé entre les zones rurales et urbaines, ainsi qu’entre les différents groupes socio-économiques. Ainsi, plus une femme est riche, plus elle a de chances d’accoucher avec l’assistance d’un professionnel qualifié, alors qu’au sein des communautés démunies et rurales, les femmes et les nouveau-nés sont au contraire exposés à un risque de décès beaucoup plus élevé.

Alors que ses indicateurs de santé sont à la traîne, le Cameroun consacre pourtant plus d’argent aux dépenses de santé que le reste de l’Afrique subsaharienne (hors Afrique du Sud) : 61 dollars par habitant contre 51 dollars en moyenne
Raju Singh


L’espérance de vie réelle a diminué et les indicateurs dans le secteur de la santé stagnent depuis près de vingt ans : comment expliquer cela eu égard au potentiel économique et humain du Cameroun ?

Alors que ses indicateurs de santé sont à la traîne, le Cameroun consacre pourtant plus d’argent aux dépenses de santé que le reste de l’Afrique subsaharienne (hors Afrique du Sud) : 61 dollars par habitant contre 51 dollars en moyenne. C’est paradoxal. Mais ce sont les Camerounais eux-mêmes qui assument la plus grande partie de ce fardeau financier. Sur ces 61 dollars, l’État ne finance que 17 dollars (dont 8 proviennent des bailleurs de fond).
De plus, les faibles ressources publiques affectées à la santé ne semblent pas être déployées là où les besoins sont les plus criants. En conséquence, la somme que les ménages doivent débourser pour financer leurs dépenses de santé est extrêmement élevée. Il existe donc une forte corrélation entre les indicateurs de santé et les indicateurs de revenus, les ménages les plus aisés ou les régions les plus riches ayant un meilleur accès aux services de santé.

Quelles sont vos recommandations pour les années à venir ?

Les Cahiers économiques du Cameroun visent à partager l’information et à encourager la discussion afin d’aider à améliorer la gestion économique du Cameroun et à libérer son énorme potentiel économique. Dans cet esprit, le présent numéro suggère quelques pistes de réflexion pour aller de l’avant. L’adoption du budget programme en 2013 devrait améliorer l’efficacité des dépenses publiques en réduisant l’écart entre besoins et allocations budgétaires. Dans ce cadre, les ministères vont jouir d’une plus grande autonomie pour préparer et exécuter leurs budgets mais en échange ils vont devoir rendre des comptes. D’où la nécessité pour le pays d’améliorer la collecte de données car pour obtenir des résultats, il faut disposer de données fiables.
La mise en œuvre à plus grande échelle du mécanisme de financement basé sur les résultats pourrait aussi contribuer à améliorer les services et les résultats de santé et à assurer une plus large couverture desdits services sur le territoire national. Le principe du financement basé sur les résultats inverse la logique traditionnelle : au lieu de financer les intrants (salaires, matériels, etc.), le mécanisme s’intéresse d’abord au résultat – nombre d’enfants vaccinés par exemple – et laisse aux agents et gestionnaires de santé le soin de décider du meilleur moyen de l’atteindre.


En cours d’expérimentation au Cameroun, le mécanisme de financement basé sur les résultats porte ses fruits. Il ressort d’une comparaison des établissements de santé entre 2011 et 2013 que la couverture des principaux services, tels que les consultations externes, les soins prénatals, la vaccination des enfants et l’utilisation de moyens de contraception modernes, a été considérablement élargie dans les établissements soumis au financement basé sur les résultats en comparaison à ceux au sein desquels aucune réforme n’a été menée.
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