Je note que, si les historiens français se sont récemment mobilisés contre une législation
tendant à imposer une histoire « officielle » de la colonisation, les enseignants du secondaire
s‘accommodent assez bien d‘une « littérature officielle » définie par le politique.
Le cas de la place d‘Aimé Césaire dans le corpus scolaire est assez révélateur : dans son
Discours sur le colonialisme (Présence africaine, 1955), Césaire écrivait :
Oui, il vaudrait la peine d’étudier, cliniquement, dans le détail, les démarches de
Hitler et de l’hitlérisme et de révéler au très distingué, très humaniste, très
chrétien bourgeois du XXe siècle qu’il porte en lui un Hitler qui s’ignore, que
Hitler l’habite, que Hitler est un démon, que s’il le vitupère, c’est par manque de
logique, et qu’au fond, ce qu’il ne pardonne pas à Hitler, ce n’est pas le crime en
soi, ce n’est pas l’humiliation de l’homme en soi, c’est le crime contre l’homme
blanc, c’est l’humiliation de l’homme blanc, et d’avoir appliqué à l’Europe des
procédés colonialistes dont ne relevaient jusqu’ici que les Arabes d’Algérie, les
coolies de l’Inde et les nègres d’Afrique. (p. 12.)
Suite à une intervention du député UDF Alain Griotteray, à l‘Assemblée nationale, le 12
septembre 1994, le Discours sur le colonialisme osant comparer nazisme et colonialisme...,
idée choquante et inacceptable, a été retiré par le ministre de l‘Éducation nationale de
l‘époque, François Bayrou, du programme des épreuves de français des sections littéraires de
terminale… Or, ce qu‘analysait Césaire avec une belle lucidité est aujourd‘hui assez
couramment admis dans les recherches des historiens : la colonisation a bel et bien été aussi
un laboratoire de mise au point de technologies de contrôle social qui se sont ensuite
appliquées sur les populations occidentales :
En juin 48, certaines des techniques employées dans la colonie furent en effet
importées à Paris par des officiers supérieurs – Cavaignac, Lamoricière et
Changarnier notamment – qui avaient longtemps servi en Algérie. L’expérience
acquise là-bas a ainsi inspiré la conduite de la guerre civile, dont les violences
extrêmes demeurent peu intelligibles [si l’on oublie que la garde nationale]
commandée par de nombreux ‘Africains’ [partait] à l’assaut de la capitale et des
‘Bédouins de la métropole’, comme on disait alors »
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