J’étais à 100% pour l’entrée de la Turquie (à moyen/long termes) dans l’UE ; je le plus que jamais aujourd’hui et je suis naturellement exaspéré par tout le psychodrame tragi-comique qui s’est joué ses dernières heures pour l’ouverture du long processus « pouvant aboutir éventuellement à l’intégration turque dans l’UE ». La position autrichienne s’opposant à ce processus est scandaleuse, méprisante et tellement représentative de l’état d’esprit général qui prévaut en Europe : sans ambages, c’est un état d’esprit aux forts relents de racisme et de xénophobie de la part d’une opinion publique manipulée, peu sûre d’elle, qui refuse de faire le minimum d’efforts (que lui procure ses immenses ressources culturelles et de tous ordres) pour dépasser les préjugés, les phantasmes, et essayer pour une fois de comprendre l’Etat (à la frontière de l’Europe et de l’Asie ; 2 continents qui, ironie du sort n’en font qu’un géographiquement parlant. Et ce n’est pas moi qui ai inventé la notion de civilisations indo-européennes qui font tant la fierté de certains européens !!!) le peuple et l’Etat qui, depuis plusieurs décennies, ont manifesté le plus de motivation à entrer dans l’UE. Le « partenariat privilégié » proposé par l’Autriche, la droite française menée par Sarkozy, Giscard et de Villiers (et bien d’autres) aux turcs est un concept fumeux, injurieux et vide de sens pour un Etat turc qui a déjà une union douanière et divers accords privilégiés avec l’UE. En quelques mots, je suis pour un véritable processus d’intégration à terme de la Turquie dans l’UE (si d’ailleurs, elle garde cette motivation à terme), dans certaines conditions de respect des droits de l’Homme, de mise à niveau de ses systèmes économique, politique… et avec le soutien exigeant, sans complaisance, mais loyal de ses futurs partenaires européens. Car : __ 1. La Turquie a prouvé largement sa loyauté, son intérêt pour l’Europe ; personne ne se posait la question de la loyauté et de l’appartenance au camp européen de cet Etat membre de l’OTAN et donc, aux avants postes de la défense des intérêts européens pendant la guerre froide. Elle a autant de légitimité que bon nombre d’ex Etats de l’Est (lesquels, si la logique de la guerre froide avait été poussée à son terme, se seraient retrouvés, en choc frontal avec les frères européens) à intégrer l’Europe.__

2. Si l’identité européenne de la Turquie pose tant de problèmes, c’est la définition même de l’Europe que les membres de l’UE devraient urgemment trouver. Les russes sont-ils européens ? La Turquie est-elle européenne ? L’adhésion éventuelle de ce pays rend urgent cette définition et il importe de clarifier quels sont les idéaux et valeurs qui sont à la base du projet d’union européenne. Cela d’autant plus que celle-ci s’est considérablement élargie vers l’Est sans qu’aucune réponse n’ait été apportée à cette question fondamentale. Club chrétien ? Simple union d’Etats partageant le souci des mêmes valeurs démocratiques, soucieux d’assurer et/ou d’augmenter le développement économique de ses membres ? Simple zone de libre échange réunissant des Etats démocratiques ? Il faudra s’entendre sur ce que sous-entend le projet européen car clairement, les définitions que s’en font les un(e)s et les autres divergent fortement. __ 3. La Turquie est musulmane, laïque, archaïque par bien des aspects, pauvre et potentiellement très riche, jeune, fière de ses traditions, intransigeante sur certains points (la question arménienne et kurde dans une certaine mesure) mais aussi soucieuse de progresser, d’écouter :__ c’est tout cela qu’il faut prendre en compte en l’aidant à sauvegarder ce qui fait sa grandeur et à abandonner ce qui la maintient en arrière. C’est tout le projet européen qui prendrait là une dimension quasi messianique, un exemple quasi unique dans l’histoire de l’humanité d’une vraie coopération pacifique d’hommes de divers horizons pour bâtir un empire. Ce serait un exemple quasi inédit, d’une aide exemplaire d’un groupe d’Etats riches et puissants envers une grande nation en voie de développement, pour l’ancrer définitivement dans la prospérité et les valeurs démocratiques et de respect des droits de l’Homme. Exemple qui pourrait être édifiant pour toutes les autres nations.

4. Pour ce qui est de la foi musulmane de la majorité des turcs (et qui nourrit tant de phantasmes inavoués et/ou des réactions carrément racistes ; il faut bien les désigner comme telles !!!), chrétien et pratiquant, conscient de la menace intégriste musulmane comme d’autres périls tout aussi (voire plus) terribles pour l’humanité tels les excès du libéralisme, les déséquilibres abyssaux entre la minorité riche d’environ 20% de l’humanité qui s’accapare des deux tiers des richesses de la terre au détriment de la majorité, je ne vois pas pour autant les turcs comme des ennemis; leurs croyances et leurs traditions aussi respectables que les autres ne m’effrayent nullement. L’Europe a indubitablement des racines chrétiennes (il est d’ailleurs assez ironique de le souligner régulièrement face à la question de l’adhésion turque, de la part de personnes qui ont quasiment toutes abandonné la foi de leurs pères) mais il n’y a pas que celles là : il y a des présences fortes sur ce continent d’influences historiques, toujours contemporaines, des 2 autres religions du Livre que sont l’Islam et le judaïsme ;les populations musulmanes sont par ailleurs largement présentes en Europe dont elles sont les ressortissants de différents Etats. Le projet européen n’étant pas officiellement chrétien et ses Etats étant quasiment tous laïcs, sécularisés, adeptes d’une séparation stricte des églises des Etats, l’épouvantail islamiste qui hante tant de consciences, lorsqu’il s’agit de la question turque, devra être abandonné ou repensé. La Turquie n’a pas vocation à servir de bouc émissaire à toutes les craintes et phantasmes justifiés ou non des européens ; ceux-ci devraient plutôt principalement rechercher en eux-mêmes les sources de leurs angoisses et doutes divers et variés…

En conclusion, la Turquie a donné (et donnera) de nombreux gages du sérieux de sa candidature, de sa forte envie de rejoindre l’UE dont elle a d’ailleurs largement contribué à assurer la stabilité dans le cadre de l’OTAN. Cette forte résolution, son acceptation de consentir de nombreux sacrifices pour rejoindre l’Union et de se soumettre au processus d’adhésion le plus dur et le plus frustrant de l’histoire de la construction européenne, sont en définitive un hommage aux Etats membres de l’Union, à la démarche de progrès qui a été la leur jusque là pour assurer l’essor de la démocratie et la prospérité économique. Il appartient à l’UE de se montrer digne de cette confiance et de l’honneur qui lui est fait ou de se démettre. La question de l’adhésion turque renvoie l’UE aux fondamentaux de son projet et à une exigence de clarté pour ses peuples comme pour le reste du monde. Je suis persuadé que l’UE à plus à gagner de l’adhésion de la Turquie que l’inverse et que celle-ci, n’acceptera plus des conditions d’intégration à l’UE à n’importe quel prix. Et je fais le pari qu’une UE qui rejettera la Turquie, se perdra en chemin et qu’un tel rejet annoncera pour tous, des lendemains terribles. Un jeune écrivain turc vient d’écrire un best seller de politique fiction sur ce que pourraient être ses lendemains qui déchanteraient terriblement.