C’est adolescent que je me suis pris de passion pour ces fameuses opérations financières, qui opposent régulièrement les entreprises géantes du monde capitaliste (selon une expression aujourd’hui bien désuète puisqu’on parle désormais d’économie de marché et de libéralisme ; à chaque temps, son vocabulaire donc). Les OPA qui m’ont marqué : la longue guerre de tranchée qui à opposé Bernard ARNAULT, aujourd’hui patron et fondateur du groupe Louis Vuitton Moët Hennessy (LVMH), aujourd’hui première fortune professionnelle de France et membre du gotha français des affaires et de l’establishment, à Henri RACAMIER alors patron de Louis Vuitton. Marque devenue 20 ans plus tard un des fleurons de LVMH.

Il y eut aussi une tentative célèbre d’OPA avortée de la BNP dont la cible était la SOCIETE GENERALE, sa rivale sur le marché bancaire français. Faute de croquer la SG, la BNP se consola avec un morceau plus digeste, PARIBAS d’où l’émergence du géant français de la banque BNP PARIBAS qui pourrait se faire croquer par un de ces conglomérats financiers, qui rayonnent sur la planète entière comme Hong Kong and Shangai Bank Corporation (HSBC ; lequel a d’ailleurs absorbé « amicalement » le CCF français) On se rappelle aussi une OPA qui fit couler beaucoup d’encre de la part du condottiere italien des affaires, Carlo de Carlo de Benedetti , contre la SOCIETE GENERALE DE BELGIQUE . Il y eut l’OPA réussie de TOTAL sur ELF et plus récemment, celle de SANOFI SYNTHELABO sur AVENTIS…

Toutes ces opérations, souvent inamicales ont généré leur lot de psychodrames, déclarations à l’emporte pièce, noms d’oiseau jusqu’à ce que l’un finisse par croquer l’autre, que les patrons remerciés s’en aillent avec leur « golden parachute » et retraites confortables ; les cadres dirigeants et autres « vaincus » se voyant souvent remerciés avec moins de ménagements pour cause de doublons et de réduction de coûts (cette « vache sacrée » du libéralisme moderne justifiant souvent les OPA à côté des raisons de nécessité d’atteindre une masse critique nécessaire pour se battre sur les marchés mondiaux) ; les salariés de base connaissant des sorts divers dans ce genre d’opérations qui peuvent se faire pour le meilleur, le statu quo, comme pour le pire (l’absorption du fleuron français de l’aluminium PECHINEY par son rival canadien ALCAN, a laissé bien des blessures dans bien des cœurs en France… ).

Une des constantes de ces opérations, c’est aussi l’irruption du politique dans des jeux qui sont pourtant censés être purement économiques, au nom d’enjeux aussi flamboyants que flous tels le patriotisme économique inventé pendant l’été en France, lorsque des rumeurs à l’origine ambigüe, on parlé d’une OPA de PEPSICO sur DANONE. Pure hypocrisie et rodomontades destinées à calmer le salarié électeur et le citoyen en adoptant des postures défensives qui n’ont aucune base solide.

La bataille en cours entre MITTAL STEEL (géant de droit privé néerlandais de la sidérurgie, aux implantations majoritairement en Asie, Europe de l’Est, Afrique, Amérique du Sud et autres pays émergents, contrôlé majoritairement par une famille Hindoue installée à Londres !!!) et ARCELOR (groupe franco luxembourgeois dont le siège est situé justement dans le grand duché ; issu il y a quelques années du rapprochement entre des groupes sidérurgiques français, espagnol et luxembourgeois sur les décombres encore fumantes des douloureuses transformations subies par cette industrie sur le vieux continent à partir des années 70) est exemplaire dans ce qu’elle révèle de constats :

La posture grandiloquente et incohérente des politiques : quand on entend Thierry BRETON notre ministre des finances s’indigner du fait que MITTAL n’ait pas pris langue avec ARCELOR pour parler de ses projets, on hallucine ; cela ne manque pas de sel venant de la bouche d’un ex PDG de multinationales qui sait bien que la règle de base d’une OPA inamicale réussie, c’est le secret absolu sur l’opération jusqu’à son lancement. Les cris d’orfraie des politiques sont encore plus risibles quand les mêmes, toutes sensibilités confondues, privatisent à tout vent, ont défait les fameux « noyaux durs » mis en place par Balladur dans les fleurons du capitalisme français, justement pour les mettre à l’abri de raids hostiles.

Enfin, on voit les limites des principes et valeurs (économie de marché et libéralisme, démocratie) dont se gaussent nos sociétés quand elles considèrent à tort ou à raison, objectivement ou démagogiquement (toujours la fameux électeur à caresser dans le sens du poil quand on ne le considère pas comme un débile mental peu au fait des subtilités des « grands de ce monde ») que des intérêts vitaux sont en jeu ; du moins, ceux de certaines catégories sociales. En effet, rappelons que ce sont des ardents partisans de l’économie de marché qui sont au pouvoir en France (même si le libéralisme à la française est plein de nuances et de non dits) ; rappelons aussi que c’est un gouvernement et des élus américains qu’on peut difficilement taxer d’être contre le marché, qui se sont vigoureusement opposés, il y a quelques semaines, à la prise de contrôle d’une compagnie pétrolière yankee, par une homologue…chinoise !!! On reviendra sur la nationalité du prédateur qui peut poser visiblement divers problèmes, par ces temps-ci. Bref, MITTAL STEEL ne fait que jouer le jeu du capitalisme mondialisé et c’est à peine si cette entreprise et son patron ne sont pas en train de se faire traiter de voyous.

Les mille et une contradictions de nos sociétés : une belle expression française, légèrement encanaillée, dit qu’ « on ne peut pas vouloir le beurre, l’argent du beurre et cul de la fermière » ; elle résume parfaitement la situation et apparaissent largement dans le passage précédent relatif à la posture des politiques qui reflètent jusqu’à la caricature, les contradictions de notre société. Plus précisément, on ne peut pas durablement et raisonnablement opter par exemple pour le système de retraites par répartition (schématiquement, les actifs cotisent pour les retraités ; système qui marche bien tant qu’il y a suffisamment d’actifs et que la démographie suit ; tout se corse quand on évolue vers des sociétés vieillissantes où le nombre d’inactifs tend à croître naturellement, de façon vertigineuse) en refusant le système par capitalisation (les cotisations retraites des actifs sont confiées à d’immenses fonds de pension qui investissent les énormes sommes ainsi collectées, sur les marchés ; notamment sur les marchés actions) qui permet d’injecter des sommes conséquentes dans les entreprises nationales et d’ailleurs ; la conséquence, c’est qu’une proportion considérable des entreprises du CAC 40 (indice de la bourse de Paris qui regroupe les 40 plus puissantes entreprises de la cote) est contrôlée par des capitaux étrangers.

Parallèlement, de gauche comme de droite, pour de bonnes ou mauvaises raisons, la tendance est plutôt à la privatisation des grandes entreprises du pays.

De même ne peut-on pas défendre, promouvoir le libre jeu du marché, et s’immiscer dans ce marché, quand il fonctionne « normalement » via une opération banale et hyper encadrée telle une OPA. On pourrait citer mille autres exemples du genre qui illustrent bien la mauvaise foi et l’hypocrisie qui guident largement le fonctionnement du monde des humains.

Une OPA, c’est aussi une opération de communication « virile » et fortement orientée « séduction » : les propos de Thierry BRETON ministre français des finances, de Guy DOLLE, PDG d’ARCELOR, entreprise cible de l’OPA de MITTAL STEEL (dans une conférence de presse, lundi 30 janvier, il ironisait sur la présence aux côtés de Lakshmi MITTAL (PDG de MITTAL STEEL), de son directeur financier de 29 ans, en l’occurrence son fils. Et d’évoquer aussi une « incompatibilité de cultures » entre MITTAL STEEL (présenté comme un agglomérat de sociétés de diverses tailles aux performances inégales ; qui s’est développé en payant ses proies en « monnaie de singe » et dont les produits sont bas de gamme) et ARCELOR présenté comme un « AIRBUS de l’acier » qui produit des aciers de grande qualité… On ne saurait être plus clair et des propos aussi « virils » et « assassins » ont déjà été tenus à l’occasion d’autres OPA mémorables (TOTAL sur ELF, SANOFI sur AVENTIS, tentative de la BNP de prendre le contrôle de la SOCIETE GENERALE) avant que les patrons aussitôt débarqués des cibles atteintes d’OPA ne « ferment leur gueule » en négociant des retraites en or massif et leur silence définitif ; Philippe JAFFRE, ex- PDG bien cassant et hautain d’ELF AQUITAINE, l’ex patron d’AVENTIS absorbé par SANOFI, se sont retirés avec des sommes conséquentes et on n’en entend même plus parler ; le premier se serait même installé dans un autre pays pour des raisons fiscales. Comme quoi, dans ce genre d’affaire, seul le vainqueur a le dernier mot et le temps de la bataille, l’objectif prioritaire est de convaincre ses actionnaires de ne pas se laisser tenter par l’offre « alléchante » du prédateur en lui apportant ses titres.

« Incompatibilité de cultures »dans le cadre d’une OPA ??? Si une entreprise ne choisissait ses opérations de croissance externe qu’en ciblant des homologues de même culture qu’elle, bon nombre d’OPA ne se seraient jamais décidés ni a fortiori, réalisés : ainsi, TOTAL et ELF quand ils constituaient deux sociétés distinctes, bien que pétroliers tous les deux, n’avaient pas les mêmes cultures d’entreprise. Mais, elles étaient bien complémentaires en termes de marchés et surtout sur leurs domaines de production. Le choc des cultures a été vite surmonté et ils’agit a priori d’une opération réussie. Idem pour PARIBAS qui était plutôt une banque d’affaires ou une banque relativement « élitiste » et qui s’est bien fondue dans le cadre de la roturière et austère BNP qui ratissait bien large en termes de clientèle…Bref, on peut oser dire qu’il en des entreprises comme des peuples, leur dénominateur commun peut être leur statut de base d’entreprises, des secteurs d’activités identiques mais les cultures liées toujours à une histoire particulière, à des patrons différents, à des implantations géographiques différentes, au choix des Hommes qui les animent (par exemple, entre celles qui ne ciblent que des cadres issus d’écoles de commerce et ceux qui sont plus ouverts en la matière, il y a des différences de fonctionnement et de mentalité notables) et à divers autres facteurs. Les cultures d’entreprise sont donc rarement semblables et compatibles a priori et justement tout l’art de la fusion (après OPA victorieuse) réussie, est d’être bien conscient des différences culturelles, et de travailler pour que les équipes les dépassent et oeuvrent ensemble pour le succès de l’organisation : ainsi dans un exemple parfaitement réussi de fusion, la BNP n’a pas fait disparaître le nom de PARIBAS et est devenue BNP PARIBAS ; a contrario, l’absorption pourtant réussie de ELF par TOTAL a été plus martiale puisque l’essentiel des équipes dirigeantes de l’ex ELF AQUITAINE, ont été débarquées en douceur et après quelques mois où le groupe se dénommait TOTAL FINA ELF, on est revenu au seul nom du vainqueur qui est TOTAL.

Alors, « l’incompatibilité de cultures » évoquée ces jours ci concernant l’OPA hostile de MITTAL STEEL sur ARCELOR serait-elle liée à l’origine Hindoue de la famille qui contrôle l’entreprise prédatrice qui, rappelons-le, est une société européenne de droit néerlandais et quasiment absente de la péninsule indienne? Attitude qui aurait des relents de xénophobie et de racisme de la part d’élites financières occidentales, outrées que ces « indiens » puissent contrôler un fleuron de l’industrie du vieux continent. Ou est-ce vraiment pour des raisons objectives d’absence de projet industriel de la part de MITTAL, les questions sur la gouvernance du futur ensemble (MITTAL STEEL étant majoritairement contrôlé par les membres de la famille du fondateur ; à plus de 80 % alors que l’actionnariat d’ARCELOR est largement éclaté et que l’un de ses plus gros actionnaires est l’Etat luxembourgeois qui en contrôle un peu moins de 6% !!!) et l’absence de perspective de création de valeur qu’une telle fusion impliquerait, comme le souligne le premier ministre du grand duché ? En rappelant objectivement que les implantations des 2 groupes sont complémentaires et qu’à 2, ils contrôleraient à peine 10% du marché mondial de l’acier, on peut estimer raisonnablement que la vérité se situe quelque part entre les deux hypothèses.

L’impérieuse nécessité de préparer soigneusement une OPA hostile d’un point de vue économique et d’en évaluer tous les « ressorts psychologiques » : si MITTAL STEEL échoue dans sa tentative, ce sera certainement pour n’avoir pas suffisamment préparé son opération en la rendant suffisamment séduisante d’un point de vue économique et en termes du sacro saint dogme de la « création de la valeur » pour les actionnaires, en ne réfléchissant pas suffisamment à l’aspect clef de la gouvernance du futur ensemble. Et puis, certainement en ne verrouillant pas suffisamment l’aspect « psychologique » de l’opération qui paradoxalement, est très important dans une opération censée être purement rationnelle et affaire de gros sous. Avec le recul, on peut en effet dire aujourd’hui que nombre d’OPA accompagnées de fusion absorption n’avaient pas suffisamment de justification économique et que la fameuse création de valeur a été plutôt une « destruction de valeur » pour les actionnaires ; bref, dans ce genre d’opérations entre entreprises, l’aspect humain n’est jamais à sous-estimer avec ce qu’il implique d’alignement bête sur les effets de mode et aussi des motifs très intéressés des uns et des autres : en effet une OPA, c’est toujours et certainement une affaire de gros sous pour les banquier d’affaires (qui montent toute l’opération), pour les banquier traditionnels qui vont être les intermédiaires d’échanges des titres dispersés dans le grand public, pour les consultants en organisation et stratégie qui vont « vendre » à un PDG ce genre d’opération de croissance externe, en y apportant toutes les justifications « officielles » ; également pour la presse économique qui promeut ou adore toujours ce genre de « feuilleton financier moderne » à multiples rebondissements…Tous ces intermédiaires empochent de plus que confortables commissions sur le dos des 2 bêtes en compétition (la prédatrice comme la proie) mais sur la durée, les actionnaires ne s’y retrouvent pas toujours. Ainsi les actionnaires de TIME WARNER à qui on a vendu dans les années de « folie Internet » l’absorption d’AOL, ceux de VIVENDI avec les multiples acquisitions de son ex-flamboyant patron Jean Marie MESSIER, ceux de France TELECOM et ses multiples acquisitions en espèces sonnantes et trébuchantes (achat au prix fort d’ORANGE, d’EQUANT…) ont des cuisants souvenirs des opérations de fusion absorption précédées d’achats amicaux ou inamicaux coûteux qui n’ont pas tenu leurs promesses et se sont plutôt traduites pas des pertes et endettements abyssaux, à la dimension de immenses espoirs qu’on y mettait. Les actionnaires de PSA dont la très raisonnable famille PEUGEOT ne peuvent que se féliciter du refus obstiné du PDG du groupe, de refuser ce genre de croissance à tout prix, défendant l’indépendance de son groupe et nouant plutôt ponctuellement des partenariats stratégiques et technologiques avec ses concurrents (FIAT,BMW etc), devenus le temps d’une opération, des alliés.

En définitive, n’est-ce pas le pur bon sens accompagné d’un véritable sens des belles opportunités, qui doit guider les actes des humains comme de ces organisations si humaines que sont les entreprises appelées si justement en français « sociétés » ??? On est souvent loin du compte et on va suivre attentivement le feuilleton MITTAL STEEL –ARCELOR et son épilogue. Quoi qu’il en soit, une telle opération est riche de promesses et largement symbolique pour l’africain que je suis par ailleurs.

PS: Sur le degré de préparation de MITTAL STEEL, il semblerait que celui-ci ait pu être inspiré par un concurrent d'ARCELOR, le sidérurgiste THYSSEN KRUPP qui serait très intéressé par DOFASCO, sidérurgiste canadien juste absorbé par ARCELOR; l'opération de MITTAL réussie, ce dernier vendrait alors à THYSSEN KRUPP, DOFASCO !!! Comme quoi, le monde des affaires est souvent à l'image du côté bien tortueux des rapports et des schémas de fonctionnement des humains qui l'animent