Interview de Issangh'a Mouellet Wa Indo par Anthony Young, Journaliste à Ponton FM , une Radio périphérique de Pointe noire. L'entretien s'est déroulé à Brazzaville, en Décembre 2005, peu après la traversée du Pool-Malebo par le journaliste rentrant de Kinshasa où il avait assisté au Festival "JOURCAS " (Journées Congolaises des Arts et Spectacles), à Matadi, (Bas-congo).



Anthony Young : Issangh'a mouellet wa indo, Bonjour. Vous venez de publier dans la collection "Ecrire l'Afrique" aux Editions l'Harmattan, un ouvrage "Fuir Brazzaville-Sud, Otages des milices". Pourquoi avoir choisi ce titre ?

Wa Indo : En vérité, c'est le choix de l'éditeur. Le journal était initialement intitulé "La traversée du Pool". Mais, puisque le document est double, il fallait alors proposer d'autres titres. "Fuir Brazzaville sud, otages des milices", c'est l'option sans autre forme d'ouverture qui s'est imposée à moi, à mon frère et à des milliers d'autres pour tenter de se sortir de la tragédie.

Anthony Young : Nous sommes pratiquement à 9 jours du 18 Décembre, comment vous sentez vous à l'approche de cette date?

Wa Indo : C'est un sentiment lourd comme ces temps de jadis. On pense à ces sons qu'on entendra plus, qu'on ne retrouvera plus. Mais puisqu'il faut avancer, j'avance ; ainsi pour demeurer un homme, je m'inspire de la lecture froide et sereine de l'histoire et, la mouvance est plus juste. Plus réfléchie.

Anthony Young : Est ce que vous ne repensez plus à ces moments douloureux ? Est ce que vous les avez définitivement enfouis sous des tonnes de souvenirs plus agréables, pour ne penser qu'au présent, à un avenir plus radieux?

Wa Indo : Il est difficile de ne plus penser à ce passé. Au contraire, je rebondis sur cette réalité qui m'a été imposée, - nous a été imposée - par les faiseurs de l'histoire pour participer à ma manière à l'édification d'un Autrui, et d'un autre Moi plus humains. On ne peut donc enfouir ces moments, fut-il sous des tonnes de souvenirs plus agréables, comme vous dites, de peur de sombrer. Car, les mécanismes de la psychologie sont si complexes.

Anthony Young : Selon vous l'édification d'un" Autrui et d'un autre Moi plus humains" passe par quoi ?

Wa Indo : La démarche vers cet Autrui sans à priori. Cet autrui qui nous fait peur, et pousse parfois à l'extrêmisme. S'il est vrai qu'il faut des préalables, des canaux de diffusion, d'approche ; il n'est pas aussi faux que les hommes de bonne volonté sont souvent plus écoutés après des tragédies.

Anthony Young : Pensez vous faire partie du cercle des hommes de bonne volonté ? Et, seriez vous écouté, à travers votre livre, bien sûr...

Wa Indo : Ces choses ne se décretent pas. Elles sont plus subtiles, - c'est en nous que ça se passe. Le problème, c'est toujours se dire qu'on doit faire de son mieux, autour de nous - et peut-être loin de notre environnement immédiat pour répondre aux impératifs de la société, donc de la condition humaine. Mon livre est un témoignage sans à priori. C'est une petite voix de ce pays qui dit simplement ; "c'est le temps de la guerre qui m'a brûlé, mais je n'ai pas basculé". Le message en filigrane, c'est d'amener humblement le plud grand nombre à croire et bien lire les signes du temps et de l'histoire ; bien qu'elle soit foncièrement cruelle.



Anthony Young : Justement, revenons au livre ; celui-ci a pour sous-titre "Journal d'un Etudiant Congolais pendant la Guerre du 18 Décembre 1998", seulement il commence le 14 du même mois. Pourquoi ?

Wa Indo : Pour le monde qui sait lire, - qui s'attache à l'information, la tension qui prévalait dans Brazzaville-Sud à l'époque ne pouvait laisser indifférent. Et, ayant déjà des "démangeaisons d'écrivain" comme dirait le grand frère Sony Labou Tansi, j'ai voulu juste saisir ce temps-là pour remplir un carnet de réflexions. J'avais peur de ce qui se profilait à l'horizon. J'avais un rêve, commencer ma carrière par une victoire au concours du "Jeune écrivain" qu'organise la Mairie de Palaiseau en France. __ Anthony Young__ : Un journal, c'est le quotidien de celui qui l'écrit. Le "je" prime. Mais, en lisant le votre, on a l'impression qu'on sort du cadre personnel pour englober le contexte particulier à chaque localité traversée.

Wa Indo : Ce n'est pas étonnant. Dans ce cas de figure qui dénote d'un drame national, il y a le facteur microcosme et macrocosme. Le "Je" est toujours présent, mais se fond dans le moule générique, donc macrocosme, - monde en mouvement comme un narrateur hétérohomodiégétique.

Anthony Young : "Fuir Brazzaville Sud..." est un journal double ; "La traversée du Pool" et " L'oiseau qui portait des missiles". Cependant, entre les deux, on remarque un grand vide, car la seconde partie ne commence que le 18 juin. Wa Indo, avez-vous été usé par le temps, perdu la main ou n'avez vous pas de matériel du 16 janvier 1999, date de votre arrivée au village au 18 juin ?

Wa Indo : C'est vrai, il y a comme un relâchement lorsqu'on se rend compte qu'on est prisonnier pris entre le feu de l'absurde, par l'absurde. A cette époque, ma lutte c'est ne pas sombrer. Et, j'écrivais, mais alors beaucoup sans mettre le drame personnel à l'avant-scène. J'étudiais, je réfléchissais à des lendemains meilleurs en saisissant d'une autre manière les heures qui passaient et, dans un an si Dieu le veut, vous aurez à lire ces autres réflexions.

Anthony Young : On vous lisant, malgré les frustrations, les douleurs, vous avez toujours gardé espoir en pensant constamment à Sally. Je vous ramène à la page 56 : "Dans ce ciel lugubre, l'amour de Sally m'a éclairé. Seul et à la fois si suffisant" et page 96 " Qu'il me tarde de revoir ma soeur Sylvie ! Elle est fragile. Je pense à Yaya Serge. Ils sont si loin en Europe ! Je sais que nous nous reverrons"...

Wa Indo : Lorsque le guerre éclate, je suis étudiant en 2ème année de Licence à la Faculté des Lettres de l'Université de Brazzaville. Comme je le dis dans une réflexion à venir, " j'avais l'âge où l'on croit que le Bonheur est forcément dans le pré". Sally, c'est une sorte de Fée qui n'apparait que pour mieux disparaître, en vous laissant alangui, sûr de la retrouver demain. Mais, c'est aussi la condition humaine, le fait de s'accrocher à un canot de sauvetage chaque fois que le spectre de l'horreur se jette sur la vie.




(A suivre)



Brazzaville Dimanche 9 Décembre 2005 Anthony Young, Emission "VITR' ARTS" sur Ponton FM. 100.5